Vous avez dit : International Security Force For Ukraine ?

Vous avez dit : International Security Force For Ukraine ?

par Blablachars – publié le 12 mars 2025

https://blablachars.blogspot.com/2025/03/vous-avez-dit-international-security.html#more


Au lendemain de la réunion à Paris des chefs d’état-major des armées (CEMA), les « garanties de sécurité » occidentales à l’Ukraine restent floues selon les termes employés par plusieurs médias. Parmi le « panel d’options » évoqué par le CEMA français figure la possible constitution d’une « International Security Force for Ukraine » selon les termes d’un « responsable militaire français. » Une telle force serait à dominante franco-britannique, stationnée dans un pays de l’Otan, à proximité de l’Ukraine, pour pouvoir s’y déployer rapidement si nécessaire. La création d’une telle force et son possible engagement en Ukraine ne manquent pas de soulever plusieurs interrogations relatives à sa composition, son stationnement et les moyens dont elle pourrait disposer. 

Sur le plan politique, l’ossature franco-britannique de cette force est quasiment imposée par le  refus de la Pologne, de l’Italie et de l’Allemagne de participer à une telle force, la privant de moyens conséquents dont un certain nombre de blindés qui pourraient se révéler fort utiles dans cet environnement. La position allemande illustrée par les propos d’Eva Högl, commissaire parlementaire aux forces armées, pour laquelle il est « prématuré » d’évoquer l’envoi de troupes en Ukraine pour la surveillance d’un futur cessez le feu est probablement motivée par des considérations de politique intérieure. Elle écarte aussi la perspective d’un engagement de la Bundeswehr, actuellement incapable d’envisager une telle opération au vu de situation actuelle. En effet, selon le Financial Times, une recrue sur quatre quitte l’armée six mois après son engagement, plaçant la Bundeswehr à un point de rupture et l’éloignant de son objectif de compter 203 000 soldats en 2031. 

 

Motivées par l’attitude attentiste ou opposée de plusieurs pays, c’est donc avec le Royaume-Uni que la France pourrait constituer cette force, hypothèse séduisante sur le plan politique, la coopération militaire entre les deux pays n’ayant cessé de croitre depuis la signature du Traité de Lancaster House en 2010. Cependant, l’aspect éminemment politique d’une telle éventualité ne doit pas masquer la réalité des faits et la situation dans laquelle se trouve l’armée britannique aujourd’hui. Les récentes annonces de Keir Stramer qui souhaite porter à partir de 2027, les dépenses de défense à 2,5% du PIB, pour leur permettre d’atteindre 3% dans un avenir plus lointain, ne suffisent pas à faire oublier les années de disette budgétaire et de réduction drastique des effectifs. L’augmentation annuelle du budget de la Défense de 16,1 milliards d’euros prévue par le Premier Ministre Britannique a d’ailleurs été rapidement revue à la baisse par le Secrétaire d’Etat à la Défense, John Healey qui a précisé dans un entretien à la BBC que la véritable somme serait voisine de 7 milliards d’euros en tenant compte de l’inflation. Quelle que soit la décision finale, l’armée britannique doit également composer avec son atrophie actuelle, résultat de plusieurs années de réduction d’effectifs pour arriver aujourd’hui  à un effectif voisin de 74 000 soldats, légérement supérieur à l’objectif de 72.500 hommes fixé par la revue intégrée de 2021, alors que la Revue Nationale de Stratégie de Sécurité de 2015 avait fixé à 82.000 soldats le format minimum de l’armée de terre. Sur le plan des équipements la situation de l’armée britannique n’est guère plus brillante comme l’illustrent les difficultés du  programme Ajax dont les premiers exemplaires commencent seulement à équiper les unités, quinze ans après le lancement du programme. Les revers rencontrés dans le développement de l’engin blindé ont d’ailleurs motivé Londres à prolonger la vie opérationnelle du Warrior jusqu’à 2030, alors que sa modernisation avait été abandonnée en 2021. Selon le chiffre officiel, l’armée britannique dispose encore de 213 chars Challenger 2 dont 148 doivent être portés au standard Challenger 3 par Rheinmetall BAE Systems Land (RBSL) pour équiper la 3ème Division. Cette  unité qui est la principale force déployable de l’armée britannique comprend deux régiments de chars d’active (Royal Tank Regiment et Queen’s Royal Hussars) équipés chacun de 56 Challenger 2. Ces chiffres pourraient cependant cacher une réalité légérement différente, puisque selon plusieurs médias britanniques, seuls 20 à 25 chars seraient aujourd’hui opérationnels, confrontant les tankistes locaux à une des pires crises de leur histoire. Ce chiffre tout comme celui de la vingtaine d’obusiers de 155mm AS-90 opérationnels (sur 89) rendent le déploiement d’une force britannique en Ukraine totalement irréaliste, symbole d’une capacité de réaction dont la restauration nécessitera de longues années et des investissements importants. 

 

 

Du côté français, la situation est certes meilleure mais l’absence d’une véritable composante blindée mécanisée pourrait constituer un obstacle sérieux à la réalisation de ce projet. Outre les difficultés inhérentes au terrain et l’existence de nombreux obstacles favorisant l’utilisation d’engins chenillés, ceux-ci conférerait en outre un caractère plus dissuasif à cette force, engagée dans la résolution d’un conflit qui a vu la mise en œuvre de nombreux engins blindés chenillés. Pouvant être déployée pour garantir l’observation d’un cessez le feu temporaire, cette force pourrait être confrontée à des actions de provocation, menées par l’une des deux parties en vue de discréditer l’adversaire mais aussi l’action internationale. Une telle hypothèse placerait les équipages dans des situations qui nécessiteraient une protection accrue face à des menaces de nature et d’intensité aléatoires. Dans ce domaine, les enseignements du conflit ukrainien montrent qu’en dépit des destructions subies, les blindés occidentaux fournis à Kiev ont préservé leurs équipages des effets des attaque subies, grâce à leur conception et leur fabrication. En dehors de cette mission d’interposition la « International Security Force for Ukraine » pourrait être déployée en réponse à une nouvelle agression russe, scénario qui impliquerait donc un engagement face à des moyens blindés, contre lesquels les seuls engins du segment médian pourraient ne pas faire le poids en dépit de leurs qualités et des compétences de nos soldats. Ces dernières ne seraient sans doute pas suffisantes pour compenser l’inaptitude au combat de haute intensité de ces engins, liée à leur conception placée sous le signe de la projection et de la mobilité stratégique. L’acheminement de cette force stationnée à proximité de l’Ukraine serait également source de problème, au regard des difficultés de déplacement des convois militaires en Europe, comme Blablachars l’a évoqué lundi soir sur France 2. Au-delà, des possibles difficultés que rencontrerait la mise en action de cette hypothétique force, il est fort probable que la participation française se traduirait par l’engagement d’un volume aussi significatif que possible de chars Leclerc, à l’instar de  ce qui avait été fait au Kosovo et au Sud-Liban, dans un environnement très différent. 

 

 

En évoquant ce possible déploiement, Blablachars ne peut s’empêcher d’avoir une pensée émue pour les partisans d’un « geste fort »qui en septembre 2022 prônaient le transfert de 50 Leclerc à l’Ukraine. Cette initiative (quasi suicidaire pour notre Cavalerie blindée) qui ne fut heureusement pas suivie d’effet aurait eu le mérite de nous priver aujourd’hui d’un quart de nos chars en parc et de pratiquement la moitié de nos chars disponibles. Avec les 25 Challenger 2 britanniques à nos côtés, cette force serait plus symbolique qu’efficace et surtout quasiment incapable de réagir efficacement à une dégradation significative de la situation. Il est donc heureux que les initiateurs de ce geste fort n’aient pas trouvé l’écho espéré, restant depuis cette date, comme ces dernières années, étonnamment silencieux sur la faiblesse de notre segment de décision. 

Les jours qui viennent seront déterminants pour la résolution du conflit en cours, qui pourrait mettre fin à un affrontement dont le côté technologique fait parfois oublier qu’il se déroule à hauteur d’homme avec tout ce que cela comporte. La constitution d’une force adéquate destinée à garantir le respect des dispositions adoptées pourrait nous placer en face des conséquences des choix effectués depuis plusieurs années, qui ont fait de l’armée de terre un roi nu, ne possédant que peu de moyens adaptés à une intervention en haute intensité sur un terrain difficile et truffé d’obstacles de toute nature. Il reste à espérer que l’évocation de création de cette force et son hypothétique déploiement puissent initier un véritable changement dans des mentalités encore tournées vers des opérations lointaines, désormais remplacées par des préoccupations plus continentales, nécessitant des moyens adaptés.

 

Europe, Ukraine : obstination sans issue

Europe, Ukraine : obstination sans issue

 

par Eric Denécé – Éditorial N°67 / mars 2025

 

Alors que la nouvelle administration américaine et les dirigeants européens s’opposent quant à savoir s’il faut mettre rapidement fin à la guerre d’Ukraine ou poursuivre le soutien à Kiev, il convient de rappeler que les trois acteurs à l’origine de ce conflit qui déchire l’Europe depuis février 2022 sont :

Les États-Unis, par leur volonté d’affaiblir – voire de démembrer – la Russie et d’accaparer ses ressources humaines et matérielles dans la perspective d’une possible confrontation avec la Chine. Depuis la chute de l’URSS, Washington n’a cessé de renier ses engagements vis-à-vis de Moscou, en procédant à une expansion continue de l’OTAN – allant jusqu’à installer ses missiles aux frontières de la Russie (Pologne et Roumanie) –, en sortant des traités de limitation des armements qui avaient permis de réguler la Guerre froide, en armant Kiev et en rejetant avec force tous les propositions d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe proposées par Moscou.

L’Ukraine, dont le régime, rappelons-le, est issu d’un coup d’État antidémocratique organisé et soutenu par l’Occident (2014) et qui a lancé, le 17 février 2022, une opération de vive force pour la reconquête du Donbass, dont les populations russophones s’étaient révoltées face à l’interdiction de leur langue par Kiev et réclamaient une autonomie accrue dans le cadre de l’Ukraine – et non l’indépendance. Ce à quoi le régime de Zelensky et ses milices néonazies ont répondu par le recours à la violence (15 000 morts entre 2014 et 2021). De plus Kiev réclamait son adhésion à l’OTAN en dépit des mises en garde sérieuses et légitimes de Moscou.

La Russie, enfin, qui face à cette situation a d’abord décidé de s’emparer de la Crimée en 2014 (notamment parce que Kiev avait proposé de louer la base de Sébastopol à l’US Navy; puis n’ayant d’autres moyens de faire respecter ses intérêt de sécurité, Moscou a déclenché son opération militaire spéciale (et non une invasion) pour conduire l’Ukraine à changer de politique, renverser le régime de Zelenski et afin de protéger les population russophones du Donbass, persécutées par Kiev.

Ainsi, en dépit du narratif conçu par les Spin Doctors américains et ukrainiens et matraqué par des médias occidentaux aux ordres, les torts sont donc très largement partagés. Et dans ce tableau, l’Europe n’y est pas pour grand-chose. Certes, la France et l’Allemagne sont coupables d’avoir violé les accords de Minsk, avec l’assentiment de Washington. Mais les États de l’Union européenne n’ont fait qu’exécuter la politique américaine en acceptant de soutenir le régime corrompu de Kiev et en se pliant aux directives de l’OTAN.

Pourtant, c’est elle aujourd’hui qui s’obstine à la poursuite de la guerre et à soutenir le régime criminel de Kiev. Criminel car Zelenski et sa clique ont décidé de poursuivre l’envoi au front et à la mort de leurs concitoyens, alors même que l’issue du conflit et d’ores et déjà jouée. Criminel car les membres de ce régime, dont les turpitudes sont bien connues quoi que tues par nos médias (détournement, blanchiment, trafics d’armes, interdiction des partis et médias d’opposition, rafles et arrestations, suspension des élections, mensonges…), profitent très directement du soutien financier de l’Occident pour s’enrichir personnellement. Trump et son équipe l’ont très bien perçu et souhaitent mettre à terme à ce conflit autant qu’à cette comédie pseudo-démocratique et pseudo-héroïque.

Mettre un terme à la guerre

Force est de constater qu’après trois ans de conflit, la situation est dramatique pour les belligérants et leurs soutiens : morts, blessés, émigration massive, destructions des infrastructures, rupture politique et économique Russie/Occident, sanctions, crise énergétique et économique…

Ceux qui ont payé le prix fort sont bien sûr les Ukrainiens des deux camps. Puis suivent les Européens, pour lesquels le coût de cette guerre a été prohibitif, bien qu’ils n’en soient pas à l’origine – mais ils en sont devenus co-responsables par leur soutien inconsidéré à Kiev –, provoquant l’affaiblissement de leur économie et la destruction de leur industrie.

La Russie a également perdu beaucoup d’hommes et ses relations avec ses voisins européens sont devenues antagonistes. Mais sa situation économique n’a pas été altérée par les sanctions, en dépit des faux espoirs de l’Occident, et elle fait preuve d’une résilience remarquable. Le Sud Global ne l’a pas abandonné en dépit des pressions, conscient de la politique inique des Américains et de leurs auxiliaires européens. Au contraire, un ras-le-bol du diktat occidental, caractérisé par son « deux poids, deux mesures », se manifeste de plus en plus explicitement dans le monde. Surtout, les force russes en train de l’emporter militairement sur le terrain et d’atteindre des objectifs que Moscou n’avait jamais envisagé avant cette crise, car la Russie n’a jamais revendiqué le Donbass.

Pour les États-Unis, enfin, c’est un bilan en demi-teinte. Certes, ils ont réussi à provoquer la rupture durable des relations UE/Russie, à reprendre en mains l’OTAN et à vassaliser l’Europe, à affaiblir son statut de concurrent économique et à s’enrichir en lui vendant massivement du GNL en remplacement du gaz russe et des armements. Mais en réalité, c’est un échec majeur pour la stratégie initiée par les néoconservateurs qui n’a pas atteint son but principal : l’affaiblissement de la Russie. Au contraire, celle-ci apparait aujourd’hui plus forte qu’au début du conflit et le multilatéralisme prôné par les BRICS semble en voie de remettre en cause l’unilatéralisme américain.

Tout cela est clairement perçu de ceux qui sont capables d’analyser objectivement ce conflit. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait Trump et son équipe qui ont compris que la politique de leurs prédécesseurs ne menait nulle part. D’où leur volonté de mettre un terme rapidement à cette boucherie qui ne sert plus leurs intérêts.

Rappelons qu’une première issue à ce conflit a failli avoir lieu fin avril 2022, six semaines seulement après le déclenchement de l’opération militaire spéciale russe. Kiev et Moscou étaient parvenus à un accord grâce à l’intercession d’Israël et de la Turquie. Mais les néoconservateurs de l’administration Biden s’y sont alors opposés et ont dépêché Boris Johnson à Kiev porter l’ordre de poursuivre la guerre. Cette décision insensée, à laquelle Zelensky s’est rangé sans attendre, les rend sans conteste co-responsables des centaines de milliers de victimes des trois années suivantes.

Illusions européennes et mirages ukrainiens

Il est aujourd’hui urgent de mettre un terme à cet affrontement dont le sort est militairement joué.

Pourtant, l’Europe et ses dirigeants affichent leur détermination à poursuivre leur soutien à Kiev, continuant à affirmer que l’Ukraine n’est qu’une victime et qu’elle doit recouvrer une intégrité territoriale sans véritables fondements historiques, et invoquant la forte probabilité d’une prochaine invasion russe de l’Europe, argument infondé et mensonger construit par l’OTAN.

Tous ces dirigeants qui s’opposent avec bravade à la politique de la nouvelle administration Trump, arguant de l’imprescriptible indépendance de l’Europe, et qui clament aujourd’hui en chœur que le Vieux continent ne saurait être le vassal des États-Unis, omettent ou veulent faire oublier le fait qu’ils ont été les exécutants obséquieux de la stratégie des néoconservateurs de l’équipe Biden depuis 2021. Mais ils n’en sont pas à une contradiction près.

Pourquoi s’obstinent-ils ? Plusieurs hypothèses existent : soit par idéologie, étant acquis aux idées néoconservatrices d’outre-Atlantique ; soit parce qu’ils veulent profiter de cette crise pour faire de l’UE un État fédéral dirigé par Bruxelles, en plaçant les peuples devant le fait accompli ; soit encore par intérêt personnel ; ou simplement par bêtise, ainsi qu’Edgar Quinet en soupçonnait certains politiques dès 1865 :

« Nous rejetons trop souvent sur le compte de la trahison et de la perfidie ce qui appartient à la sottise. Les historiens ne font pas jouer à celle-ci le grand rôle qui lui appartient dans les choses humaines. Est-ce faute de l’entrevoir ? Est-ce sot orgueil qui consent à se reconnaître criminel plutôt que dupe ? On aime mieux la trahison et le crime, parce qu’ils font de l’homme un sujet plus tragique, et qu’ils le haussent au moins sur l’échafaud.

Pour moi, je lui ai vu moins de grandeur de mon temps. J’ai vu dans les grandes affaires tant de déraison, une obstination si invétérée à s’aveugler, une volonté si absolue de se perdre, un amour si passionné, si instinctif du faux, une horreur si enracinée de l’évidence, et, pour tout dire, une si grande, si miraculeuse sottise, que je suis, au contraire, disposé à croire qu’elle explique la plupart des cas litigieux, et que la perfidie, la trahison, le crime, ne font que l’exception[1] ».

L’obstination des dirigeants européens est d’autant plus funeste que les trois années écoulées ont montré que ce conflit était dévastateur pour l’économie européenne et que ses États membres étaient incapables d’assurer eux-mêmes leur sécurité comme de soutenir efficacement l’Ukraine en matière d’armements.

Ce conflit prendra fin prochainement, avec ou sans la participation de l’Europe. L’administration Trump a déjà entamé des discussions avec la Russie, signe qu’il s’agissait bien d’une guerre américano-russe par Ukrainiens, OTAN et Européens interposés. Le nouvel hôte de la Maison-Blanche a déjà annoncé que l’Ukraine ne rentrerait pas dans l’OTAN et, à la suite de sa rencontre houleuse avec Zelensky à la Maison Blanche, il envisage sérieusement de suspendre le soutien financier et militaire à Kiev. Les États-Unis ont fait volte-face, ce à quoi leur politique pragmatique de défense de leurs intérêts nous a habitués depuis longtemps. Seuls les naïfs ou ceux qui méconnaissent l’histoire sont surpris. Après avoir entrainé Ukrainiens et européens dans le conflit, ils les abandonnent et valident une forme de victoire russe.

Soyons lucides : l’Ukraine ne récupérera pas la Crimée ni le Donbass. Souhaitons qu’elle n’intègre pas l’Union européenne, ce qui reviendrait à déstabiliser et à criminaliser davantage nos économies, déjà considérablement affaiblies par ce conflit. Seule la paix, le reconstruction du pays et sa neutralité sont des solutions réalistes. C’est la fin de la partie pour Zelensky. Mais ce dernier et ses complices européens ne l’ont pas encore compris.


[1] Edgar Quinet, La Révolution (tome 2, 1865), Belin, Paris, réédition de 1987, Livre XXIV, pp. 1030 à 1033.

ÉCONOMIE – La guerre économique des États-Unis contre l’Europe : Une attaque stratégique

Guerre économique entre les États-Unis et l'Europe
RéalisationLe Lab Le Diplo

Loin d’être une simple mesure commerciale, l’augmentation des droits de douane américains contre l’Europe s’inscrit dans une logique plus vaste et plus inquiétante : celle de la guerre économique. 

ÉCONOMIE – La guerre économique des États-Unis contre l’Europe : Une attaque stratégique

Depuis plusieurs décennies, les États-Unis ont perfectionné l’art de la coercition économique, utilisant le commerce, la finance et la technologie comme des armes pour défendre leurs intérêts stratégiques et affaiblir leurs concurrents. L’Europe, longtemps persuadée que l’ouverture des marchés garantissait la prospérité et la stabilité, se retrouve aujourd’hui prise dans un engrenage dont elle n’a pas mesuré la dangerosité.

L’analyse de Christian Harbulot, l’un des plus grands théoriciens de la guerre économique, permet de mieux comprendre la nature du conflit en cours. Contrairement à une vision naïve du commerce international, qui le présente comme un jeu d’échange mutuellement bénéfique, Harbulot démontre que l’économie est avant tout un terrain de confrontation où les rapports de force se jouent avec autant de brutalité que dans les conflits militaires. Si les armes conventionnelles restent silencieuses, la pression exercée sur les secteurs industriels stratégiques, la domination des infrastructures technologiques et la manipulation des règles du commerce international remplacent les batailles d’antan. Dans cette logique, les droits de douane ne sont pas de simples mesures de protection économique : ils sont des instruments de domination et d’affaiblissement ciblé.

La stratégie américaine, sous couvert de protectionnisme, poursuit un objectif clair : réduire la compétitivité des industries européennes pour forcer l’UE à dépendre davantage du marché américain. Ce mécanisme est d’autant plus insidieux qu’il s’accompagne d’un narratif habilement construit, celui d’une Amérique qui cherche à rétablir l’équilibre face à des pratiques commerciales supposément injustes. Pourtant, la réalité est bien différente. Derrière cette rhétorique, Washington impose des barrières à des secteurs où l’Europe excelle – de l’automobile aux technologies vertes, en passant par l’acier et l’aluminium – tout en attirant les industries européennes grâce à des subventions massives et des incitations fiscales. L’Inflation Reduction Act, conçu pour soutenir les entreprises américaines, fonctionne aussi comme un piège qui pousse les entreprises européennes à délocaliser outre-Atlantique, sous peine de perdre en compétitivité.

Mais ce qui frappe le plus, c’est la réaction – ou plutôt l’absence de réaction – de l’Europe. Face à cette offensive économique d’une ampleur inédite, Bruxelles se contente d’exprimer son mécontentement, oscillant entre indignation et vaines menaces de représailles. L’Union européenne, paralysée par ses divisions internes et sa culture du compromis, semble incapable de comprendre qu’elle est engagée dans une bataille dont elle n’a pas choisi les règles. Trop longtemps, elle a cru que la coopération transatlantique était fondée sur des intérêts partagés et une loyauté réciproque. Or, la réalité est toute autre : dans le monde impitoyable de la guerre économique, il n’y a ni amis ni partenaires durables, seulement des rapports de force à gérer.

L’Europe se retrouve donc dans une position critique. Si elle continue de subir sans réagir, elle risque de voir son industrie décliner, ses emplois disparaître et son influence économique s’éroder. Une désindustrialisation progressive, dictée par les règles américaines, la transformerait en simple marché de consommation, dépendant des importations étrangères pour ses biens de haute technologie et ses infrastructures énergétiques. Les États-Unis, maîtres du jeu, imposeraient leur modèle, obligeant les entreprises européennes à s’aligner sur leurs normes et leurs exigences.

Une autre issue serait celle d’une réaction tardive et désordonnée, où l’Europe tenterait, sous la pression des événements, de colmater les brèches en instaurant quelques mesures de protection économique, sans réelle stratégie d’ensemble. Mais ce sursaut ne suffirait pas. La guerre économique exige une vision de long terme, une capacité d’anticipation et une volonté politique qui, jusqu’à présent, ont cruellement manqué.

Pourtant, il existe encore une alternative, celle d’une prise de conscience radicale. Si l’Europe veut conserver son rang, elle doit cesser de jouer un rôle passif et adopter une posture offensive. Cela implique de renforcer ses outils de défense commerciale, de protéger ses industries stratégiques et de cesser de croire que les règles du libre-échange seront respectées par tous. Il s’agit aussi d’investir massivement dans les secteurs clés du futur – intelligence artificielle, semi-conducteurs, énergies renouvelables – et d’empêcher le pillage de ses technologies par des puissances rivales.

Mais plus encore, l’Europe doit comprendre que la guerre économique n’est pas un phénomène temporaire ou une aberration du système, mais bien une dynamique permanente des relations internationales. Le monde ne fonctionne pas sur des principes d’équité, mais sur des logiques de puissance. Tant que cette évidence ne sera pas intégrée dans la pensée stratégique européenne, l’UE continuera à subir les décisions prises ailleurs, incapable de défendre ses propres intérêts.

L’Europe a encore le choix. Mais le temps presse. Loin des discours de façade et des illusions de partenariat, elle doit accepter la réalité : dans le grand affrontement économique du XXIe siècle, seuls les blocs capables de défendre leur souveraineté industrielle et commerciale pourront prétendre à un avenir de puissance. Les autres, eux, seront condamnés à l’effacement progressif.


Guerre économique entre les États-Unis et l'Europe

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)

Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/

avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/

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Guerre Ukraine-Russie, jour 1105 : l’aide américaine suspendue, Vance maintient la pression

Guerre Ukraine-Russie, jour 1105 : l’aide américaine suspendue, Vance maintient la pression

Un député sud-coréen a indiqué mardi 4 mars 2025 avoir rencontré deux soldats nord-coréens détenus en Ukraine. Donald Trump a décidé d’ordonner lundi une « pause » dans l’aide militaire des États-Unis à l’Ukraine, selon un responsable de la Maison-Blanche.

Funérailles d’un militaire ukrainien à Kiev, lundi 3 mars 2025. SERGEY DOLZHENKO / EPA

Un député sud-coréen rencontre des soldats nord-coréens

Un député sud-coréen a déclaré mardi 4 mars avoir échangé avec deux soldats nord-coréens détenus en Ukraine après avoir combattu pour la Russie, et que l’un d’eux lui avait dit son souhait de vouloir vivre « une vie normale » en Corée du Sud.

En janvier, les renseignements sud-coréens ont affirmé que l’armée ukrainienne avait capturé deux soldats nord-coréens envoyés par Pyongyang en Russie pour combattre l’Ukraine.

Le député Yu Yong-weon a affirmé au cours d’une conférence de presse avoir pu échanger avec ces deux soldats détenus dans une prison d’Ukraine – dont la localisation exacte n’a pas été dévoilée – après avoir obtenu le feu vert des autorités de Kiev.

Trump suspend l’aide militaire à l’Ukraine

Donald Trump a mis sa menace à exécution et ordonné lundi une « pause » dans l’aide militaire des États-Unis à l’Ukraine en guerre contre la Russie, selon un responsable de la Maison-Blanche. « Nous faisons une pause et réexaminons notre aide pour nous assurer qu’elle contribue à la recherche d’une solution » au conflit entre l’Ukraine et la Russie, a déclaré ce responsable sous couvert d’anonymat.

« Le président a clairement indiqué qu’il se concentrait sur la paix. Nous avons besoin que nos partenaires s’engagent eux aussi à atteindre cet objectif », a-t-il ajouté. Il s’agit essentiellement de l’aide militaire déjà approuvée sous l’ancienne administration de Joe Biden et très largement soldée mais dont il reste encore des équipements et armes à livrer.

JD Vance convaincu que Zelensky finira par discuter de la paix

Le vice-président des États-Unis, J. D. Vance, s’est dit convaincu que le dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky finirait par accepter de discuter de la paix avec la Russie, après le fiasco de sa rencontre vendredi avec Donald Trump.

Dans un entretien à la chaîne Fox News, il a estimé que le président ukrainien avait « montré un refus clair de s’engager dans le processus de paix » souhaité par le président américain. « Je pense que Zelensky n’y était pas encore, et je pense, franchement, qu’il n’y est toujours pas, mais je pense qu’il finira par y arriver. Il le faut », a affirmé le vice-président dans cet entretien enregistré avant l’annonce d’une pause dans l’aide militaire américaine à l’Ukraine.

Les députés français divisés sur la défense européenne

Unis dans leurs mots de soutiens à Kiev, les députés ont de nouveau étalé leurs divergences stratégiques à l’Assemblée sur la défense française et européenne, son financement, ou l’intégration de l’Ukraine dans l’UE et l’Otan.

« Accélérons le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. C’est la solution pour pouvoir faire front lors des échanges à venir », a martelé l’ancien premier ministre Gabriel Attal, chef du groupe Ensemble pour la République.

Marine Le Pen pour le RN a appelé à « soutenir » Kiev avec « réalisme ». « Nous ne pouvons pas promettre à l’Ukraine une adhésion à l’Otan » et une adhésion à l’Union européenne « va incontestablement à l’encontre de nos intérêts », a-t-elle avancé.

Retour en Russie de 33 habitants de la région de Koursk

Moscou a annoncé le retour en territoire sous contrôle de la Russie de 33 personnes venant de la partie de la région de Koursk occupée par l’armée ukrainienne et qui avaient été évacuées en Ukraine.

Le 24 février, Moscou avait indiqué avoir trouvé un accord avec Kiev pour rapatrier des habitants de la région qui se trouvaient en Ukraine. « Il s’agit principalement de personnes âgées, mais il y a aussi quatre enfants. Nombre d’entre eux souffrent de blessures et de maladies graves », a indiqué sur Telegram la médiatrice russe pour les droits humains, Tatiana Moskalkova.

D’après elle, la Russie « a négocié avec la partie ukrainienne » avec « le soutien du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et la médiation de la Biélorussie », allié de Moscou par lequel ont transité les évacués.

Nouvelle-Calédonie : Réflexions sur un accord à venir (ou pas)

Nouvelle-Calédonie : Réflexions sur un accord à venir (ou pas)

AP Photo/Charlotte Antoine-Perron)/MEU103/24268478680297//2409241524

par Eric Descheemaeker – Revue Conflits publié le 3 mars 2025

https://www.revueconflits.com/nouvelle-caledonie-reflexions-sur-un-accord-a-venir-ou-pas/


Paris et Nouméa seraient sur le point de trouver un accord, que les deux parties attendent. Mais un accord pour faire quoi et pour quel but ? Réflexions sur la Nouvelle-Calédonie.

Alors que tout Paris et Nouméa bruissent des discussions qui pourraient parvenir – quoique cela semble en réalité peu probable – à un « accord » que tout le monde dit espérer comme la terre la pluie après une longue sécheresse, essayons comme à l’habitude de prendre un peu de recul sur l’actualité immédiate. C’est le but de ces Chroniques calédoniennes : réfléchir à haute voix, agiter des idées, suggérer, proposer. Libre à chacun, ensuite, d’en faire ce qu’il veut.

Deux remarques, d’abord, sur la nature même de ce processus. Pourquoi vouloir un « accord » – et un accord sur quoi, pour faire quoi ? On ne se pose qu’à peine la question, tant tout le monde semble partir du principe que celui de Nouméa ayant expiré (« cette solution définit pour vingt années l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation », dit le point 5 du préambule), il faut bien le remplacer par quelque chose d’autre. Côté indépendantiste, ou séparatiste, de nouvelles « modalités d’émancipation » ; côté pro-français, une nouvelle « organisation politique ». Pourtant, il y au moins deux différences fondamentales entre 1998 et 2025, dont les implications sont considérables.

1998, 2025 : deux différences fondamentales

La première, c’est qu’il n’y a plus deux blocs face à face.

S’il y a une chose qu’on n’a pas reprochée à l’accord de Nouméa, comme avant à ceux de Matignon-Oudinot, c’est de ne pas être représentatifs de la population de l’archipel. Bien sûr, chaque camp a dû négocier avec ses propres troupes autant qu’avec son adversaire, mais il y avait bien, face à l’État, d’un côté une délégation indépendantiste (en 1998, le FLNKS en tant que tel), de l’autre, une délégation non-indépendantiste (en 1998 le RCPR). Aujourd’hui, à l’inverse, il n’y a plus un seul parti, ou une seule figure, rassemblant chacun des camps – à supposer même qu’on pût encore ranger tout le monde d’un côté ou de l’autre (quid des « non maintenant, oui plus tard » de l’Éveil océanien ?). Ce sont désormais pas moins de six délégations qui sont censées représenter – sans qu’on ne nous ait d’ailleurs expliqué pourquoi ni comment – les Calédoniens (dont on ne sait pas non plus qui ils sont, la définition même des parties intéressées étant, de manière un peu circulaire, un enjeu des négociations) ! Pas grand monde ne semble avoir remarqué, à haute voix tout du moins, que cela change radicalement la nature de l’exercice, puisque l’éventuel accord à venir ne serait pas bilatéral, mais multilatéral ; ni avoir posé deux questions pourtant fondamentales. Qui devrait le signer : toutes les six, ou bien une majorité (mais de qui ou de quoi) ? Et qui serait demain, dans un paysage politique calédonien en constante fluctuation, responsable de la parole ainsi donnée et de sa mise en application ?

La seconde, c’est la durée de cet accord (en tout cas telle que lui-même l’envisagerait). Matignon et Oudinot – dont on peut d’ailleurs considérer qu’ils forment un processus unique, le second ayant été conclu pour ne pas aller au référendum prévu par le premier – se donnaient une date d’échéance. C’est dans la logique d’un accord politique, qui est avant tout un accord de cessez-le-feu en échange de concessions réciproques. Mais celui à venir ? Pour ceux qui veulent faire sécession, sa limitation de durée va de soi : il s’agit de conduire, à nouveau, « Kanaky » vers sa « pleine émancipation », en 2053, par exemple.

Du côté loyaliste, c’est beaucoup moins clair. Ils veulent d’évidence un statut pérenne, ce qui semble la moindre des choses dans la mesure où nous sortirions des « dispositions transitoires » de Nouméa (et sa traduction juridique en droit français). Mais ils semblent réserver un droit à l’autodétermination de l’île, c’est-à-dire la possibilité unilatérale pour celle-ci de recommencer un processus référendaire qui pourrait, nécessairement, mener à la fin de ses propres dispositions. Et puis, il est peu probable qu’ils aient le désir de fixer « pour toujours » les grandes questions institutionnelles, surtout en ayant si peu préparé leur affaire. Sans compter, bien sûr, qu’en droit constitutionnel français tout ou presque est temporaire par nature : contrairement au Royaume-Uni et aux pays suivant son modèle, les Français changent structurellement de régime toutes les quelques décennies. Dans la mesure où, statistiquement, la Constitution de la 5e République n’en a plus pour très longtemps à vivre, il pourrait être intéressant de se demander ce qui arriverait alors aux dispositions concernant la Nouvelle-Calédonie…

Préparer l’avenir

Mais si, explicitement ou de manière tacite, l’accord conclu est lui aussi « pour vingt années » (ou « pour aussi longtemps qu’il pourra tenir politiquement »), alors il est évident qu’il ne réglera rien. Il ne ferait, comme Matignon et comme Nouméa, que remettre les problèmes à plus tard en échange d’un retour au calme immédiat. Que cela fasse le miel des séparatistes est une évidence. On comprend beaucoup moins bien comment cela pourrait satisfaire ceux qui pensent que non veut dire non, pas non maintenant, plus tard on verra.

Dans ces conditions, on peut se demander si la meilleure solution, d’un point de vue loyaliste, ne serait pas qu’il n’y ait pas d’accord : cela obligerait alors l’État à formuler lui-même un projet (incluant un suffrage universel ou quasi-universel pour les habitants de l’île, puisque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme l’exige). En tous les cas, il serait inconcevable de signer un accord censé être autre chose que définitif sans se demander maintenant ce qu’il se passera lorsqu’il faudra, de nouveau, en sortir : c’est de ne pas s’être posé la question dès 1998 que l’accord de Nouméa agonise aujourd’hui, entraînant le Caillou dans son sillage. Il est vrai qu’on a eu 25 ans depuis pour anticiper le jour d’après et que cela non plus n’a pas été fait. Il fut un temps où gouverner c’était prévoir ; manifestement ces temps ne sont plus.

Nouméa ou Kanaky ?

Poursuivons le raisonnement. Ce que veulent les séparatistes, c’est d’évidence unkana « Nouméa-II » avec de nouvelles concessions françaises tout de suite et de nouveaux référendums pour plus tard, exigés par la Constitution puisqu’on ne peut pas se débarrasser d’un territoire sans l’accord de ses habitants. Référendums qu’ils espèrent bien gagner, ils nous l’ont montré depuis un an de la manière la plus transparente possible, en faisant fuir ceux qui pourraient s’opposer à eux. Dont acte. Mais alors que convient-il, en face, de vouloir ? Avant tout, nous semble-t-il, un statut effectivement pérenne au sein de la France, c’est-à-dire définitif dans son principe, même si on ne sait jamais ce que l’histoire nous réservera. Cependant, on l’a dit, d’une part, on voit mal un statut satisfaisant être conçu en quelques mois – toute la question des institutions, de leurs compétences, de l’éventuelle citoyenneté, etc. devra être revisitée – ; d’autre part, un accord transitoire serait pire encore que pas d’accord du tout, puisqu’il forcerait le Caillou à revivre ce qu’il a déjà vécu, tout en encourageant les plus radicaux des indépendantistes dans leur politique de « la valise ou le cercueil ».

Espérer que les problèmes s’évaporeront entre temps relève d’une pensée magique qui ne devrait plus avoir cours depuis longtemps.

Dans ces conditions, un accord général, en plus de n’être dans les faits pas réaliste, n’apparaît plus comme aussi désirable qu’on n’a tendance à le penser (du moins à haute voix). Un statut imposé d’en haut, mais qu’on aurait pris le temps de concevoir de manière intelligente, si possible en réfléchissant à la manière dont la Calédonie s’articulerait avec le reste de l’outre-mer français, et qui serait, lui, a priori aussi intangible que n’importe quelle autre norme constitutionnelle (ou constitutionnalisée), serait probablement bien meilleur. Les indépendantistes n’en voudront certes pas, mais qu’est-ce que cela change ? Ils ne veulent de toute façon de rien, sauf d’une indépendance aux frais du contribuable français. Quant à l’éternel chantage aux violences, on a vu à quoi y céder nous menait.

Trouver malgré tout un accord

Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à toute perspective d’accord, aujourd’hui en 2025. À moins d’être va-t’en-guerre, on ne peut que préférer la concorde à une division actée entre deux camps. Mais comme un accord global n’est ni possible ni sans doute même souhaitable, restreignons-le aux seules questions urgentes : le retour à la paix civile et l’élargissement du corps électoral pour les provinciales à venir. Tout le reste peut attendre. Reste la question de savoir comment obtenir un accord avec les indépendantistes (et d’ailleurs, on l’a dit, quels indépendantistes ?) sans rien leur donner de ce qu’ils disent vouloir. Question difficile à laquelle il serait bien prétentieux de prétendre avoir la réponse, mais c’est à cela qu’on devrait réfléchir, à Nouméa comme à Paris.

Deux pistes : un véritable travail d’explication du fait que, sans ce que la France apporte, les Kanaks seront les premiers à souffrir, bien plus qu’hier, bien plus qu’en 2024, et dans une mesure qu’ils n’ont visiblement pas l’air de comprendre. Travail qui devrait venir en large mesure de tous ces Kanaks qui l’ont, eux, déjà compris, et savent que l’histoire a noué leur destin à celui de la France. Et puis de véritables réformes économiques et fiscales qui permettraient à tous ceux qui le souhaitent de s’intégrer à la société commune dans des conditions plus justes qu’aujourd’hui (à ne pas confondre, bien sûr, avec le chèque social, aussi contre-productif que méprisant).

Un petit accord rapidement, modeste dans ses ambitions, mais qui pourrait réellement changer la vie des habitants de l’île, plutôt qu’un accord global, dont on voit mal comment il ne ferait pas que décaler les problèmes pour que ceux-ci nous reviennent encore plus violemment au visage dans une génération, et qui de toute façon, ne semble avoir aucune chance d’aboutir : voilà en tout cas une suggestion. Libre, comme toujours, à chacun d’en faire ce qu’il veut.

*Eric Descheemaeker est professeur à l’Université de Melbourne

La dissuasion nucléaire française peut-elle devenir européenne ?

La dissuasion nucléaire française peut-elle devenir européenne ?

Alors que les États-Unis pourraient réduire leur engagement en Europe, la dissuasion nucléaire française apparaît comme une solution.

Par Clément Machecourt – Le Point –

https://www.lepoint.fr/politique/la-dissuasion-nucleaire-francaise-peut-elle-devenir-europeenne-01-03-2025-2583611_20.php


Le 24 février, un article du Telegraph jette le trouble. Le quotidien britannique annonce que le bouclier nucléaire français pourrait s’étendre à toute l’Europe, avec le stationnement d’avions Rafale, porteurs de l’arme nucléaire, en Allemagne. Aucune déclaration officielle ne vient confirmer les propos d’une source anonyme française. L’information tombe alors qu’Emmanuel Macron est en visite à Washington pour faire entendre raison à Donald Trump sur le règlement du conflit ukrainien.

Plus récemment, le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, s’est dit prêt à se placer sous la dissuasion nucléaire française. Un signe supplémentaire montrant que les chancelleries européennes considèrent le scénario d’un désengagement militaire des États-Unis du Vieux Continent.

« Les pays européens se sont rendu compte que les États-Unis ne risqueraient jamais un conflit nucléaire avec la Russie pour un pays européen », analyse Étienne Marcuz, spécialiste des systèmes balistiques et ancien membre du ministère des Armées. Une situation qui pousse à repenser le rôle de l’arsenal français en Europe.

Dès 2020, dans un discours prononcé à l’École de guerre, Emmanuel Macron avait bien souligné que « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». « Dans cet esprit, je souhaite que se développe un dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts, sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective. »Un message en partie brouillé en octobre 2022 quand le président avait affirmé que les intérêts vitaux de la France ne seraient pas menacés en cas d’attaque balistique nucléaire en Ukraine ou dans la région.

« C’est français et ça restera français »

Désormais, « il faudrait avoir des déclarations bilatérales fortes, au moins avec les Allemands, éventuellement les Polonais, peut-être les Suédois, comme celle faite avec les Britanniques à l’époque de Jacques Chirac », suggère Héloïse Fayet, chercheuse en prolifération nucléaire et balistique à l’Ifri. En 1995, Paris et Londres avaient déclaré ne pas imaginer « de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un de nos deux pays, la France et le Royaume-Uni, pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre le soient aussi ».

Sur le plan opérationnel, l’intégration européenne pourrait passer par des exercices conjoints. Jusqu’ici, seul un avion ravitailleur italien a participé en 2022 aux exercices français « Poker » de simulation de frappe nucléaire. « On pourrait très bien faire un équivalent de Poker à l’échelle européenne, avec des tactiques dégradées », propose Étienne Marcuz, c’est-à-dire sans partager toutes les procédures sensibles. La dissuasion pourrait-elle être un jour partagée ? « C’est français et ça restera français », a réaffirmé sur France Info le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Le message est clair : le président de la République restera le seul à pouvoir déclencher le feu nucléaire.

Mais la France aurait-elle les épaules assez solides pour assumer seule la défense de ses intérêts vitaux sur l’ensemble du continent européen ? Face aux 300 armes nucléaires françaises, représentant la « stricte suffisance » d’un arsenal au caractère avant tout défensif, Les États-Unis alignent 3 700 têtes nucléaires, la Russie près de 6 000 ogives. Le Royaume-Uni, bien que n’étant plus membre de l’Union européenne, dispose de 225 têtes, mais sa dissuasion repose principalement sur la technologie américaine.

Un manque de capacités conventionnelles

« Ce n’est pas tant une question de nombre que de flexibilité de l’arsenal », souligne Étienne Marcuz, qui plaide pour une approche combinant capacités nucléaires et conventionnelles. « Il faut réussir à dissuader les attaques qui ne relèvent pas de nos intérêts vitaux. Dans ce cas-là, c’est aux forces conventionnelles de le faire », renchérit Héloïse Fayet. Le projet européen Elsa (European Long-Range Strike Approach) initié par la France pour développer conjointement un ou des missiles capables de frappes longue portée et de précision, en est un exemple. Une capacité permettant de rester « sous le seuil » et qui manque cruellement dans les armées européennes, pourtant conscientes de son importance dans le conflit en Ukraine.

Mais cette européanisation de la dissuasion française ne viserait pas, pour le moment, à remplacer la dissuasion élargie américaine, estime Héloïse Fayet : « C’est donner des garanties supplémentaires au cas où la dissuasion américaine soit moins crédible. » D’autant que le retrait des armes nucléaires américaines d’Europe, une centaine de bombes à gravité B61 réparties en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne et en Turquie, semble peu probable à court terme. Ces dernières jouant aussi un rôle dans la lutte contre la prolifération nucléaire au sein même de l’Europe.

Et hormis la Turquie, tous les autres pays qui accueillent des B61 achètent le F-35A américain pour remplacer leurs anciens avions. Un marché représentant plusieurs milliards de dollars de contrat pour la base industrielle et technologique de défense américaine.

L’échange entre Trump et Zelensky : texte intégral

L’échange entre Trump et Zelensky : texte intégral

Dans une scène d’une violence verbale sans précédent, le président des États-Unis Donald Trump et son vice-président J.D. Vance ont repris les éléments de langage de Vladimir Poutine pour chercher à humilier en direct à la télévision leur allié, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche.

Nous publions la transcription intégrale de cet échange — un tournant historique.

Auteur : Le Grand Continent – publié le 1er mars 2025
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/28/lechange-entre-trump-et-zelensky-transcription-integrale/

Dans le Bureau ovale, le 28 février 2025. © Shutterstock

Alors que le président ukrainien rappelait que l’invasion russe remontait à l’annexion de la Crimée en 2014 et que l’Ukraine a déjà signé un cessez-le-feu que la Russie n’a pas respecté, le vice-président américain J.D. Vance l’a violemment interrompu, lui reprochant de plaider sa cause devant les médias américains, exigeant qu’il remercie Trump pour son soutien et insistant sur le fait que l’Ukraine manquait de soldats.

La forme est choquante.

L’objet du débat n’a pourtant rien de trivial.

Il est crucial pour l’Ukraine et pour l’Europe : un cessez-le-feu — que Donald Trump veut obtenir au plus vite — doit-il être précédé de garanties de sécurité ?

Du côté ukrainien et européen, on craint que tout accord qui ne serait qu’un gel des lignes de front — une sorte de Minsk — ne serve qu’à permettre à la Russie de se réarmer et regrouper dans un moment où son économie montre des signes de faiblesse.

Cette séquence, assez visiblement orchestrée, intervient alors que, dans les dix derniers jours, Donald Trump a traité Zelensky de dictateur et que les États-Unis ont voté aux Nations Unies avec la Russie et la Corée du Nord contre une résolution demandant la fin des hostilités ainsi qu’une résolution pacifique du conflit et réaffirmant l’engagement de l’organisation pour l’intégrité territoriale du pays.

Elle a fait réagir la plupart des chancelleries européennes en soutien à l’Ukraine dans la soirée.

Un haut fonctionnaire européen a déclaré au Grand Continent dans la soirée qu’il s’agissait « d’une embuscade pour les caméras ».

En diplomatie, chaque mot compte — ils comptent même double lorsqu’ils sont prononcés face caméra. Pour que chacun puisse avoir connaissance de ceux qui viennent d’être prononcés à Washington, de leur brutalité mais aussi de leur portée, nous publions une transcription non altérée, non éditée des échanges.

Donald Trump 

(répondant à un journaliste) Je ne suis pas aligné avec Poutine. Je ne suis aligné avec personne. Je suis aligné avec les États-Unis d’Amérique. Et pour le bien du monde. Je suis aligné avec le monde. Et je veux en finir avec cette histoire. Vous voyez la haine qu’il a pour Poutine. C’est très difficile pour moi de conclure un accord avec un tel niveau de haine. Il a une haine immense. Et je comprends cela. Mais je peux vous dire que l’autre camp ne l’aime pas non plus.

Donc, ce n’est pas une question d’alignement. Je suis aligné avec le monde. Je veux régler ce problème. Je suis aligné avec l’Europe. Je veux voir si nous pouvons trouver une solution. Vous voulez que je sois dur ? Je peux être plus dur que n’importe quel être humain que vous ayez jamais vu. Je serais si dur. Mais vous n’obtiendrez jamais d’accord comme ça. Voilà comment ça fonctionne.

J.D. Vance

Je vais répondre à cela. Écoutez, pendant quatre ans aux États-Unis, nous avons eu un président qui se montrait dur avec Vladimir Poutine lors des conférences de presse. Et ensuite, Poutine a envahi l’Ukraine et a détruit une grande partie du pays. Le chemin vers la paix et la prospérité passe peut-être par la diplomatie. Nous avons essayé la voie de Joe Biden, celle de bomber le torse et de faire comme si les paroles du président des États-Unis comptaient plus que ses actions.

Ce qui fait des États-Unis un grand pays, c’est leur engagement dans la diplomatie. C’est ce que fait le président Trump.

Volodymyr Zelensky

D’accord. Il a occupé des territoires, nos territoires. De grandes parties de l’Ukraine. L’est et la Crimée. Il les a occupés en 2014. Pendant de nombreuses années, et je ne parle pas seulement de Biden. À cette époque, c’était Obama, puis le président Obama, puis le président Trump, puis le président Biden, et maintenant le président Trump. Que Dieu bénisse : maintenant, le président Trump va l’arrêter. Mais depuis 2014, personne ne l’a arrêté. Il a simplement occupé et pris. Il a tué des gens.

Donald Trump

2015.

Volodymyr Zelensky

2014.

J.D. Vance

2014 et 2015.

Donald Trump

2014. Je n’étais pas là.

Volodymyr Zelensky

Mais de 2014 à 2022 (…) personne ne l’a arrêté. Vous savez que nous avons eu des discussions avec lui, beaucoup de discussions. Mes discussions bilatérales. Et nous avons signé avec lui. Moi, en tant que nouveau président, en 2019, j’ai signé avec lui un accord, j’ai signé avec lui, Macron et Merkel. Nous avons signé un cessez-le-feu. Un cessez-le-feu. Tous m’ont dit qu’il ne bougerait jamais. Nous avons signé avec lui un contrat sur le gaz. Mais après, il a rompu le cessez-le-feu. Il a tué notre peuple et il n’a pas échangé les prisonniers. Nous avons signé un échange de prisonniers, mais il ne l’a pas respecté. De quelle diplomatie, J.D., parlez-vous ? Que voulez-vous dire ?

J.D. Vance

Je parle de la diplomatie qui mettra fin à la destruction de votre pays.

Monsieur le Président, avec tout le respect, je pense que c’est irrespectueux de venir dans le Bureau Ovale et d’essayer de débattre de cela devant les médias américains. En ce moment, vous envoyez de force des conscrits sur le front parce que vous manquez d’hommes. Vous devriez remercier le président d’essayer de mettre fin à ce conflit.

Volodymyr Zelensky

Êtes-vous déjà allé en Ukraine ? Vous parlez de nos problèmes.

J.D. Vance

J’y suis allé…

Volodymyr Zelensky

Venez une fois.

J.D. Vance

J’ai regardé et vu les reportages, et je sais que vous emmenez des gens en tournée de propagande, Monsieur le Président. N’êtes-vous pas d’accord pour dire que vous avez des difficultés à recruter des soldats ?

Volodymyr Zelensky

Nous avons des problèmes. Je vais répondre.

J.D. Vance

Et pensez-vous qu’il soit respectueux de venir dans le Bureau Ovale des États-Unis d’Amérique et d’attaquer l’administration qui essaie de prévenir la destruction de votre pays ?

Volodymyr Zelensky

Beaucoup de questions. Commençons par le début.

J.D. Vance

D’accord.

Volodymyr Zelensky

Tout d’abord, en temps de guerre, tout le monde a des problèmes, même vous. Mais vous avez un bel océan et ne ressentez pas cela pour l’instant, mais vous le sentirez à l’avenir.

Donald Trump

Vous n’en savez rien.

Volodymyr Zelensky

Que Dieu vous bénisse, vous n’aurez pas de guerre.

Donald Trump

Ne nous dites pas ce que nous allons ressentir. Nous essayons de résoudre un problème. Ne nous dites pas ce que nous allons ressentir.

Volodymyr Zelensky

Je ne vous dis pas…

Donald Trump

Parce que vous n’êtes pas en position de nous dicter cela. Rappelez-vous ceci : vous n’êtes pas en position de nous dicter ce que nous allons ressentir. Nous allons nous sentir très bien.

Volodymyr Zelensky

Vous en ressentirez l’influence. Je vous le dis.

Donald Trump

Nous allons nous sentir très bien et très forts.

Volodymyr Zelensky

Vous en ressentirez l’influence.

Donald Trump

Vous n’êtes pas en bonne position en ce moment.

Vous vous êtes placé dans une très mauvaise position. Et il a raison à ce sujet. Vous n’êtes pas en bonne position. Vous n’avez pas les cartes en main pour le moment. Avec nous, vous commencez à en avoir.

Volodymyr Zelensky

Je ne joue pas aux cartes. Je suis très sérieux, Monsieur le Président. Je suis un président en temps de guerre…

Donald Trump

Vous jouez aux cartes. Vous jouez aux cartes. Vous jouez avec la vie de millions de personnes. Vous jouez avec la Troisième Guerre mondiale. Vous jouez avec la Troisième Guerre mondiale. Et ce que vous faites est très irrespectueux envers ce pays, ce pays qui vous a soutenu bien plus que ce que beaucoup de gens ont dit qu’il aurait dû faire.

J.D. Vance

Avez-vous dit « merci » une seule fois pendant toute cette réunion ? Non. Pendant toute cette réunion, avez-vous dit « merci » ? Vous êtes allé en Pennsylvanie et avez fait campagne pour l’opposition en octobre. Offrez quelques mots d’appréciation aux États-Unis et au président qui essaie de sauver votre pays.

Volodymyr Zelensky

S’il vous plaît. Vous pensez que si vous parlez très fort de la guerre, vous…

Donald Trump

Il ne parle pas fort. Il ne parle pas fort. Votre pays est en grande difficulté. Attendez une minute.

Volodymyr Zelensky

Puis-je répondre ?

Donald Trump

Non. Non. Vous avez beaucoup parlé. Votre pays est en grande difficulté.

Volodymyr Zelensky

Je sais. Je sais.

Donald Trump

Vous n’êtes pas en train de gagner. Vous ne gagnez pas cette guerre. Vous avez une sacrée chance de vous en sortir grâce à nous.

Volodymyr Zelensky 

Monsieur le Président, nous restons dans notre pays, nous restons forts. Depuis le début de la guerre, nous avons été seuls, et nous sommes reconnaissants. J’ai dit merci dans ce cabinet, et seulement dans ce cabinet.

Donald Trump

Vous n’avez pas été seuls. Nous vous avons donné, par l’intermédiaire de ce président stupide, 350 milliards de dollars. Nous vous avons fourni du matériel militaire. Et vos hommes sont courageux. Mais ils ont dû utiliser notre matériel militaire. Si vous n’aviez pas eu notre équipement militaire…

Volodymyr Zelensky

Vous m’avez invité…

Donald Trump

Si vous n’aviez pas eu notre équipement militaire, cette guerre aurait été terminée en deux semaines.

Volodymyr Zelensky

En trois jours. Je l’ai entendu de la bouche de Poutine : en trois jours.

Donald Trump

Peut-être moins.

Volodymyr Zelensky

C’est quelque chose, en deux semaines. Bien sûr. Oui.

Donald Trump

Ça va être très difficile de faire affaire dans ces conditions, je vous le dis.

J.D. Vance

Dites juste merci.

Volodymyr Zelensky

Je l’ai dit de nombreuses fois, merci au peuple américain.

J.D. Vance

Acceptez qu’il y ait des désaccords. Allons débattre de ces désaccords au lieu d’essayer de les exposer aux médias américains alors que vous avez tort. Nous savons que vous avez tort.

Donald Trump

Mais vous voyez, je pense qu’il est important pour le peuple américain de voir ce qui se passe. Je pense que c’est très important. C’est pourquoi j’ai laissé cette discussion durer si longtemps. Vous devez être reconnaissant.

Volodymyr Zelensky

Je suis reconnaissant.

Donald Trump

Vous n’avez pas les cartes en main. Vous êtes acculé là-bas, votre peuple meurt. Vous manquez de soldats.

Volodymyr Zelensky

Non, s’il vous plaît, Monsieur le Président.

Donald Trump

Écoutez. Vous manquez de soldats. Ce serait une sacrée bonne chose. Ensuite, vous nous dites : « Je ne veux pas de cessez-le-feu. Je ne veux pas de cessez-le-feu. Je veux continuer et obtenir ceci. » Écoutez, si vous pouviez obtenir un cessez-le-feu maintenant, je vous dirais de le prendre. Ainsi, les balles cesseraient de voler et vos hommes cesseraient de mourir.

Volodymyr Zelensky

Bien sûr que nous voulons arrêter la guerre.

Donald Trump

Mais vous dites que vous ne voulez pas de cessez-le-feu.

Volodymyr Zelensky

Mais je vous ai dit, avec des garanties.

Donald Trump

Je veux un cessez-le-feu, parce que vous obtiendrez un cessez-le-feu plus rapidement qu’un accord de paix.

Volodymyr Zelensky

Demandez à notre peuple ce qu’il pense du cessez-le-feu—

Donald Trump

Ce n’était pas avec moi. Ce n’était pas avec moi. C’était avec un type nommé Biden, qui n’était pas une personne intelligente. C’était avec Obama.

Volodymyr Zelensky

C’était votre président.

Donald Trump

Excusez-moi. C’était avec Obama, qui vous a donné des draps, et moi, je vous ai donné des Javelins.

Volodymyr Zelensky

Oui.

Donald Trump

Je vous ai donné des Javelins pour détruire tous ces chars. Obama vous a donné des draps. En fait, l’expression est : Obama a donné des draps, et Trump a donné des Javelins. Vous devez être plus reconnaissant parce que, laissez-moi vous dire, vous n’avez pas les cartes en main. Avec nous, vous avez des cartes. Mais sans nous, vous n’avez aucune carte.

Ce sera un accord difficile à conclure, car les attitudes doivent changer.

Une journaliste

Et si la Russie viole le cessez-le-feu ? Et si la Russie rompt les négociations de paix ? Que ferez-vous dans ce cas ? Je comprends que la conversation est tendue.

Donald Trump

Que dites-vous ?

J.D. Vance

Elle demande : et si la Russie viole le cessez-le-feu ?

Donald Trump

Et si quoi que ce soit ? Et si une bombe tombait sur votre tête maintenant ? OK ? Et s’ils le violaient ? Je ne sais pas, ils l’ont fait avec Biden, parce qu’ils ne le respectaient pas. Ils ne respectaient pas Obama. Ils me respectent.

Laissez-moi vous dire, Poutine en a bavé avec moi. Il a traversé une fausse chasse aux sorcières où ils l’ont utilisé, ainsi que la Russie, la Russie, la Russie, la Russie. Vous avez déjà entendu parler de cette affaire ? C’était un mensonge. C’était une arnaque impliquant Hunter Biden et Joe Biden. Hillary Clinton, le sournois Adam Schiff. C’était une arnaque des démocrates. Et il a dû traverser cela. Et il l’a fait. Nous n’avons pas fini en guerre. Et il a dû le supporter. Il était accusé de toutes ces choses. Il n’avait rien à voir avec ça. C’était sorti de la chambre à coucher de Hunter Biden. Ça venait de la chambre à coucher de Hunter Biden. C’était dégoûtant. Et puis ils ont dit : « Oh, l’ordinateur portable de l’enfer a été fabriqué par la Russie ». Les 51 agents. Tout cela n’était qu’une escroquerie. Et il a dû supporter tout cela.

On l’accusait de toutes ces choses. Tout ce que je peux dire, c’est ceci : il a peut-être rompu des accords avec Obama et Bush, et peut-être avec Biden. Il l’a fait. Peut-être. Peut-être qu’il ne l’a pas fait. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Mais il ne les a pas rompus avec moi. Il veut conclure un accord. Je ne sais pas s’il peut conclure un accord.

Le problème, c’est que je vous ai donné du pouvoir pour être un dur à cuire, et je ne pense pas que vous auriez été un dur à cuire sans les États-Unis. Et votre peuple est très courageux.

Volodymyr Zelensky

Merci.

Donald Trump

Mais soit vous concluez un accord, soit nous nous retirons. Et si nous nous retirons, vous devrez vous battre. Je ne pense pas que ce sera joli, mais vous devrez vous battre.

Mais vous n’avez pas les cartes en main. Une fois que nous signerons cet accord, vous serez dans une bien meilleure position. Mais vous ne montrez aucun signe de gratitude. Et ce n’est pas une bonne chose. Honnêtement, ce n’est pas une bonne chose.

Très bien. Je pense que nous en avons assez vu. Qu’en pensez-vous, hein ? Ça va faire de la très bonne télévision. Je peux vous le dire. Très bien. Nous verrons ce que nous pouvons faire pour arranger cela. Merci.

En sortant de la paralysie politique, le Liban se remet à espérer

En sortant de la paralysie politique, le Liban se remet à espérer

par Jean-Baptiste Noé – Revue Conflits – publié le 25 février 2025

https://www.revueconflits.com/en-sortant-de-la-paralysie-politique-le-liban-se-remet-a-esperer/


L’élection d’un nouveau président et le cessez-le-feu conclu avec le Hezbollah permet d’espérer des jours plus radieux pour le Liban et les Libanais. Il y a encore fort à faire pour restaurer l’économie et la politique du pays du Cèdre. 

Le temps est loin de l’âge d’or des années 1950 et 1960 où le Liban était un îlot de stabilité au Moyen-Orient et un refuge pour les intellectuels arabes qui trouvaient à Beyrouth un havre de paix et de liberté pour fuir les régimes autoritaires de la région. L’ancienne « Suisse de l’Orient » n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ravagé par des décennies de guerre ponctuées de massacres et de destructions, et gangréné par un clanisme politique corrompu, l’État libanais est aujourd’hui un État failli. Aussi la défaite du Hezbollah et de l’axe iranien face à Israël et l’élection en janvier d’un nouveau gouvernement à Beyrouth pourraient-elles permettre au pays du Cèdre de se reconstruire et de se doter d’institutions régaliennes dirigées par des fonctionnaires compétents plutôt que par des clientèles communautaires. Pour Alain Bifani, directeur des Finances au Liban pendant vingt ans et figure de l’opposition à la corruption, « la fenêtre qui vient de s’ouvrir est l’opportunité pour le Liban d’enfin engager une transition de fond qui ne peut passer que par le renouvellement des élites dirigeantes. »

Une corruption endémique : l’héritage de la reconstruction post guerre civile

Tout a commencé par la sortie de crise après la longue guerre civile (1975-1989) lorsque le pouvoir est tombé entre les mains des anciens chefs miliciens, avides d’accaparer leur « part du gâteau » et qui ont mis le pays en coupe réglée. La reconstruction de l’État libanais s’est traduite par un lent déclin de ses institutions, rongées par une corruption endémique d’une part, et par les nombreuses difficultés posées par les occupations étrangères (israélienne et syrienne) de l’autre. Selon l’expression de Fabrice Balanche, la reconstruction ne fut que « la continuation de la guerre civile par d’autres moyens ». Autrement dit, la fragmentation territoriale du Liban sur une logique confessionnelle a persisté après 1990, et elle explique toujours la faiblesse actuelle de la souveraineté de l’État.

De fait, la nouvelle constitution entérinée par les accords de Taëf n’a fait qu’affaiblir le rôle du président de la République, chrétien maronite, en renforçant celui du Premier ministre, sunnite, et du président du Parlement, chiite. C’est donc un système qui repose sur un consensus permanent de toutes les forces politiques en présence, c’est-à-dire une « vétocratie » où personne n’a les moyens d’engager des réformes structurelles. La guerre continue autour de la table du conseil des ministres dans un contexte de délitement de l’état de droit où les chefs de clans bénéficient d’une impunité totale. Sans autorité et sans vision, le Liban est depuis condamné au brigandage politique. Une anarchie dans laquelle les élites se partagent les richesses selon leurs intérêts communautaires et familiaux, et où le travail de fond des technocrates et du personnel administratif n’a aucune marge de manœuvre.

À cela se sont ajoutées les limites de la politique de reconstruction nationale conduite par Rafic Hariri — un homme d’affaires libano-saoudien nommé Premier ministre en 1992. En voulant refaire de Beyrouth un centre financier régional et une destination touristique pour les monarchies du Golfe, Hariri a sacrifié l’agriculture et l’industrie libanaises à tel point que le Liban a fini par importer 80 % de ce qu’il consomme. Dans le même temps, les clientèles au pouvoir se sont bâti des empires immobiliers en obtenant tous les permis de construire dans les zones les plus lucratives de Beyrouth et en puisant dans les fonds publics. Pire encore, cette oligarchie s’est financée via un modèle qui s’est avéré être une « pyramide de Ponzi » géante : pour financer sa dette, la banque centrale libanaise pratiquait des taux outrancièrement généreux pour attirer les capitaux étrangers et ceux de la diaspora. Une dette le plus souvent utilisée à des fins personnelles par les élites corrompues, ce qui a laissé les infrastructures et les services publics du pays dans un état calamiteux. La crise était inéluctable dès les années 2000.

Un État failli à bout de souffle

Alors que les vagues d’émigration syrienne mettent déjà l’économie à rude épreuve, les événements s’accélèrent à partir de 2019.

En octobre, l’annonce d’une nouvelle taxe sur la messagerie WhatsApp précipite dans la rue un mouvement révolutionnaire qui conspue la corruption des élites. Puis, les banques imposent des premières restrictions sur les retraits bancaires et les transferts de dollars vers l’étranger, créant une panique chez les déposants. En mars 2020, l’abcès est crevé, le Liban fait défaut sur sa dette pour la première fois de son histoire, tandis qu’en août, une explosion dévaste le port de Beyrouth provoquant en plus d’un traumatisme social, des dégâts matériels de plusieurs milliards de dollars. La livre libanaise subit une flambée qui la fait bondir d’un taux de 1500 pour 1 dollar à plus de 80 000 en 2023, plongeant la majeure partie de la population dans la pauvreté en pleine pandémie de Covid…

Le bilan est apocalyptique. 80 % de personnes sous le seuil de pauvreté, une inflation à trois chiffres pendant plusieurs années, des centaines de milliers de personnes qualifiées quittent le pays vers des horizons plus radieux. Entre 2018 et 2024, le PIB du Liban a chuté de 55 milliards de dollars à 16 milliards, soit une baisse d’environ 70 %. La contraction est si brutale qu’elle est considérée par la Banque mondiale comme une des trois pires dépressions qu’ait connues le monde depuis le milieu du XIXe siècle. Dans un pays où il faisait encore bon vivre quelques années auparavant, les gens n’ont désormais plus que quelques heures d’électricité par jour et peinent à accéder à l’eau potable.

L’État régalien et le service public, quant à eux, ont presque disparu de la carte. Les militaires sont payés au lance-pierre et sont sans moyens face aux milices communautaires. Médecins, infirmières et professeurs ont émigré en masse. Le pays est maintenu sous perfusion par sa diaspora pendant que le Hezbollah refuse l’aide internationale du FMI sous conditions de réformes, lesquelles le priverait notamment des revenus du captagon syrien.

Enfin, les quelques hauts fonctionnaires qui ont tenté d’imposer un gouvernement de transition basé sur la compétence plutôt que le clientélisme sont ignorés ou poussés à l’exil. Ainsi des technocrates compétents ont été placardisés ou entravés. C’est le cas par exemple d’Alain Bifani – l’ancien directeur général des Finances qui avait accompli « l’œuvre herculéenne », selon l’économiste et ancien ministre des Finances George Corm, de réaliser une reconstruction complète et un audit des comptes financiers de l’État libanais – qui a dû démissionner malgré le soutien que les bailleurs internationaux avaient apporté à ses tentatives de redresser les finances publiques et de restructurer le secteur bancaire afin de protéger les déposants.

La défaite du Hezbollah ouvre un espace pour l’espoir

Le malheur du Liban est dans son voisinage. Situé sur une faille tectonique entre Israël et la Syrie, il a toujours été une « caisse de résonance » des conflits régionaux, tantôt sacrifié sur l’autel du panarabisme de Nasser et de l’irrédentisme syrien, tantôt sur celui de la cause palestinienne et de « l’axe de résistance » iranien. Ces dernières décennies, le pays du Cèdre est surtout devenu la proie de la République islamique iranienne, pour ne pas dire sa colonie.

En satellisant la communauté chiite libanaise via son bras armé, le Hezbollah, Téhéran a progressivement infiltré toutes les institutions du Liban en constituant un véritable État dans l’État. Cette prédation, en plus de bloquer toute résolution durable de la crise économique, a finalement provoqué les deux interventions israéliennes destructrices de 2006 et 2024. « Au-delà d’un changement de dirigeants, le pays doit cesser d’être une terre de convoitises », expliquait d’ailleurs l’universitaire Joseph Maïla pour Ouest France en 2020.

Toutefois, la décapitation du commandement du Hezbollah et sa défaite face aux troupes de l’État hébreu en 2024 ont changé la donne. « Le Hezbollah est affaibli militairement et politiquement », affirme ainsi Ghassan Salamé, professeur à Sciences Po, au micro de Radio France. Avec la chute du régime de Bachar El-Assad en Syrie le 9 décembre, la défaite de la milice chiite marque un revers significatif de la puissance iranienne dans la région qui aura besoin de temps avant de retrouver ses forces. Si le Hezbollah n’est pas mort comme force politique, son affaiblissement et le cessez-le-feu ont rapidement permis l’élection d’un président et la nomination d’un Premier ministre au Liban le 9 janvier 2025, après deux ans de vacance du pouvoir. « La logique voudrait qu’aujourd’hui, il soit plus difficile qu’auparavant d’entraver les réformes et de protéger la classe politique corrompue, et cela constitue une ouverture significative pour le renouvellement du Liban.», selon Alain Bifani. La recomposition des forces politiques dans les ministères marque tout du moins la sortie du Liban de l’orbite iranienne, sachant qu’Israël garde un œil attentif sur la situation du Sud-Liban.

C’est donc peut-être une nouvelle phase politique qui s’ouvre sur les décombres du pays. La fenêtre est étroite et le chantier est immense, mais il y a bien un espace en ce moment géopolitique charnière pour que le peuple libanais reprenne les rênes de son destin et s’affranchisse des puissances étrangères en se constituant un État fort et moderne. Pour sortir de l’ornière, l’État doit rapidement poser le bon diagnostic. La priorité est d’abord de renouveler la classe dirigeante en substituant aux élites prédatrices des hommes compétents qui ne manquent pas au Liban et dans la diaspora. L’autre est de couper définitivement avec les tutelles iranienne et syrienne afin de rassurer la diaspora et les investisseurs, cesser l’émigration de masse et reconstruire l’économie. Autant de mesures ardues qui pourraient permettre au Liban de renaître de ses cendres, si tant est que le gouvernement en ait les moyens et qu’un sentiment de « libanité » supra-confessionnel au sein de la population parvienne à surpasser les clivages communautaires de toujours.

Afrique : Au revoir France, bonjour Russie

Afrique : Au revoir France, bonjour Russie

Pascal Le Pautremat (*) – Esprit Surcouf – publié le 21 février 2025
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf

https://espritsurcouf.fr/billet-de-pascal-le-pautremat-afrique-au-revoir-france-bonjour-russie-n251-210225/


De nombreux militaires et diplomates français blâment, à juste raison, la politique d’Emmanuel Macron qui, seul le plus souvent ou avec quelques conseillers, a conduit au recul de la France et à un ternissement de son image en Afrique. Christophe Gomart, ancien chef du 13ème RDP (régiment de dragons parachutistes) puis du COS (Commandement des opérations spéciales) devenu Député européen, pour les Républicains, s’est même plié d’un article lapidaire, fustigeant l’actuel locataire de l’Elysée dans Valeurs actuelles (« Afrique adieu », publié le 13 février 2025).

Realpolitik oblige, si la France recule en Afrique, la Russie avance ses pions, renouant avec sa politique africaine dont l’empreinte depuis l’ère soviétique, demeure finalement assez forte.

Le Kremlin démultiplie ses implantations et points d’ancrage sur un continent africain qui conserve intacte son image addictive de véritable réserve de terres rares ou minerais d’importance stratégique à haute valeur ajoutée.

Au Soudan, c’est un nouveau pôle multimodal russe qui se profile, sur le littoral de la Mer rouge, sans doute pour contrebalancer la perte de fiabilité des ports de Tartous et Lattaquié en Syrie, suite au changement de régime – avec des djihadistes jouant les repentis – auquel les Russes ne goûtent guère a priori ; différence notable, soit dit au passage, avec les Européens et l’Etat français qui témoignent d’une certaine crédulité à l’égard du nouvel « Etat » syrien. La Russie va donc disposer d’un point d’ancrage en terre soudanaise, susceptible d’accueillir plusieurs navires de guerre y compris des bâtiments à propulsion nucléaire. Lorsque l’on sait que les Français, les Américains et les Chinois (sans oublier les Turcs) ont leur socle djiboutien, la Mer rouge risque de devenir brûlante dans les années à venir.

Confortant son retour en Afrique, en s’appuyant notamment sur la Libye, le Kremlin déploie les éléments d’un Africa Corps, véritable tête de pont interarmes, qui est venu largement se substituer à la société militaire privée Wagner, créée par Evgueni Prigojine (mort en août 2023).

Quelques milliers militaires et paramilitaires sont ainsi répartis entre les pays de l’Afrique pansahélienne ; pays qui, depuis 5 ans, ont tous vu s’afficher des régimes militaires dits de transition, tranchant ostensiblement avec la posture encline à la coopération avec la France des régimes antérieurs : Mali, Guinée, Burkina Fasso, Niger, Tchad…auquel il faut ajouter le Soudan, pays anglophone où l’on a enregistré 18 épisodes de déstabilisation par des militaires, depuis 1950… Et même si la Guinée équatoriale a résisté à la dernière tentative de coup d’Etat connu, en 2018, les Russes y auraient déployé plus de 800 hommes, pour consolider le régime de l’ancien militaire Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, au pouvoir depuis 1979…

Les mutations cycliques des régimes africains ont fini par desservir la posture de la France, en tant que nation cadre. Comme quoi, l’Afrique reste ancrée dans cette prégnante habitude, depuis notamment les années 1950, en dehors de l’espace maghrébin, des coups de force militaires. Ainsi, depuis le milieu des années 1950 jusqu’en 2001, on a pu dénombrer quelque 327 opérations de déstabilisation qui se sont traduites par 139 tentatives avortées, 108 coups d’Etat qui ont tourné court et 80 putschs militaires considérés comme réussis et inscrits dans la durée.

Les Russes témoignent également d’une présence de plus en plus influente en République centrafricaine, forts d’une stratégie du soft power assez efficace, via la création de divers centres culturels, appelées les Maisons russes, que l’on observe d’ailleurs dans les pays précédemment cités, outre la Somalie. Le lobbying culturel, avec la promotion de la culture et de la langue russe, se combine avec une diffusion de la nouvelle approche des relations internationales, au profit des pays dits émergents (cf BRICS), au gré d’une multipolarité en butte avec l’Occident.

À cela s’ajoutent les jeux commerciaux, avec notamment les ventes d’armes. La Russie est ainsi devenue le premier exportateur d’armes en Afrique, au gré d’une montée en puissance constatée tout au long des années 2010. Elle assure ainsi 24% des importations d’armes sur le continent africain entre 2919 et 2023, selon l’Institut international de recherche sur la paix (Sipri). En 2023, la Russie a vendu des équipements militaires pour près de 4,6 milliards d’euros, via sa célèbre entreprise nationale Rosoboronexport.

N’oublions pas non plus les exportations de céréales qui, en 2024, ont profité à plus de 25 pays africains, à hauteur de 14,8 millions de tonne de blés, soit une hausse de 14,4% des ventes par rapport à 2023. À eux seuls, le Burkina Faso, l’Érythrée, le Mali, la République centrafricaine et la Somalie auraient reçu près de 200.000 tonnes de céréales entre novembre 2023 et le premier trimestre 2024.

Conjointement, c’est une myriade d’entreprises qui œuvrent pour obtenir divers contrats dans le secteur minier et celui des hydrocarbures. Parmi les plus connues, citons le groupe pétrolier Lukoil, pour les concessions acquises au Ghana, Cameroun, en République du Congo mais aussi au Nigeria, la multinationale Rusal, poids lourds de la production d’aluminium, pour la bauxite ou encore le producteur de diamants bruts Alroa, pour des extractions en Angola et au Zimbabwe.

La situation d’influence croissante de la Russie dans le sud Sahara, et au Mali en particulier, ne doit pas pour autant faire oublier le rapprochement algéro-russe qui s’est traduit par le renouvellement en juin 2023, d’un partenariat stratégique initialement établi en 2001…

Toujours est-il que la multipolarité de l’Afrique se conforte…avec une floraison de rapports de force sans qu’en France, et encore moins à l’échelle européenne, une géostratégie corrective et adaptée ne soit adoptée. Des voix s’élèvent dans toutes les directions, chacun y va de son credo, entre belles intentions et gesticulations de salon. Mais, dans les faits, plus rien, ou presque. Oui, vraiment, le président de la République fut, une fois de plus, bien inspiré lorsqu’il supprima, en 2022, le corps des diplomates.

Et lorsque l’on se remémore la formule de Bruno Lemaire qui promettait de mettre la Russie à genoux, « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe » (cf Février 2022) aujourd’hui, c’est plutôt, désormais, la France qui se trouve exsangue…Mais visiblement, la honte ou le sentiment de culpabilité n’étouffe personne sous les ors de la République.

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Pour son 251ème numéro, Espritsurcouf a fait le choix de porter un regard appuyé les femmes  qui s’investissent le secteur de la Défense. Ainsi, Michèle Alliot-Marie, qui occupa notamment la fonction de ministre de la Défense, a bien voulu répondre à nos questions et revenir sur l’augmentation de la composante féminine des armées à laquelle elle fut favorable et en permit les premières concrétisations fortes : « Les femmes et la Défense » (rubrique HUMEURS).

Pour autant, la place comme le rôle des femmes dans le monde de la guerre ne sont pas récents. Les femmes ont ainsi témoigner d’influence notoires, sinon décisives dans diverses périodes marquantes de notre Histoire. Certaines ont même été immortalisées, figures éternelles de la grâce en action. André Dulou parcourt ainsi ces périodes marquantes durant lesquelles des femmes illustres ont imprégné de leur charisme la vie publique, et continuent de le faire : « Des femmes militaires, des femmes de militaires » (rubrique DEFENSE).

Dans un tout autre domaine, Eric Stemmelen revient sur l’attentat qui frappa, en janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo et n’hésite pas, fort de son expertise et son expérience, à poser la question sur les possibles failles des services de sécurité et de protection : « Pouvait-on éviter l’attaque terroriste sur Charlie Hebdo ? » (rubrique SECURITE).

Afin de prolonger la question russe sur le continent africain, Laure Fanjeau vous propose une série de documentaires pertinents, autant que précieux qui permettent d’avoir une vue d’ensemble de ce sujet sensible au cœur des enjeux géopolitiques (VIDEOS de GEOPOLITIQUE).

André Dulou, d’autre part, nous propose un nouveau SEMAPHORE en insistant sur une certaine jeunesse désœuvrée et que l’on peut considérer en perdition : « L’ensauvagement des jeunes ».

Enfin, en matière de lecture, pour clore une série d’ouvrages en lien avec l’histoire de la Russie, nous portons votre attention, cette fois, sur les relations qui existaient entre la France et la terre des tsars, entre la fin du XIXème siècle et la fin de la Première Guerre mondiale, à une période où il s’agissait aussi de pouvoir combiner les stratégies des alliés (Grande-Bretagne, France et Russie) face à la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). Jean-Paul Bled, professeur émérite de l’université Paris-Sorbonne  éminent spécialiste de l’Europe centrale, en assure la direction : Une amitié complexe. Les relations franco-russes 1898-1918Ed. L’Harmattan, 2024, 338 pages. (rubrique LIVRES).

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.

 

La chance de l’Europe pour déjouer la vassalisation de l’Ukraine

La chance de l’Europe pour déjouer la vassalisation de l’Ukraine

Poutine et Trump voudraient vassaliser l’Ukraine sans les Européens.
Mais l’Union détient encore l’une des cartes les plus fortes de la table des négociations.
Si elle tarde trop à la jouer, elle pourrait perdre la partie.Lee Buchheit, l’une des sommités mondiales sur la question des dettes souveraines, formule une proposition simple et claire pour éviter de laisser les Empires se partager la mise.
James Gillray, « The Plumb-pudding in danger; — or — State Epicures taking un Petit Souper », 1805. Domaine public

En 1805, le caricaturiste anglais James Gillray publiait une illustration célèbre intitulée The Plumb-pudding in danger ; — or — State Epicures taking un Petit Souper. Le dessin représente le Premier ministre britannique, William Pitt, et l’Empereur des Français, Napoléon Bonaparte, assis à une table en train de se partager un énorme pudding aux prunes en forme de globe. Le Premier ministre Pitt tient fermement l’hémisphère occidental en place à l’aide d’un trident et se découpe proprement le Nouveau Monde. L’Empereur semble de son côté satisfait de se trancher une part qui comprend toute l’Europe à l’est des îles britanniques.

C’est une caricature devant laquelle aucun Ukrainien, ni d’ailleurs aucun Européen, ne peut rester indifférent en février 2025.

La semaine dernière, le président américain Donald Trump a annoncé qu’il s’était entretenu près d’une heure et demie au téléphone avec le président russe Vladimir Poutine. Ils ont notamment discuté de la fin de la guerre en Ukraine. À Bruxelles, le même jour, le nouveau secrétaire à la Défense de Donald Trump a publiquement qualifié d’« irréalistes » les principales conditions que l’Ukraine est susceptible de demander dans le cadre d’un règlement négocié du conflit. Il s’agit notamment de la restitution des territoires ukrainiens  occupés par les forces russes et de solides garanties de sécurité, y compris  l’adhésion à l’OTAN, ou du moins la participation active des États-Unis, afin de s’assurer que la Russie ne tente pas de répéter l’expérience une fois que son armée aura eu le temps de se regrouper et de se réarmer. Il est inconcevable que ces évaluations des conditions de paix ukrainiennes « irréalistes » n’aient pas été partagées avec Vladimir Poutine lors d’une conversation téléphonique de 90 minutes.

Il est apparu par la suite que Poutine et Trump prévoyaient de se rencontrer en Arabie Saoudite en l’absence de l’Ukraine et des représentants des alliés européens de Kiev afin de régler les conditions  de l’accord de paix. Après celle entre Marco Rubio et Sergueï Lavrov du 18 février à Ryiad, il y a de fortes probabilités qu’une telle rencontre permettrait aux deux participants de se mettre d’accord. Les chances de parvenir à un « deal » sont généralement meilleures lorsque l’on concède à son adversaire ses principales demandes avant même le début des négociations.

Tout cela rappelle de manière inquiétante la géopolitique du XIXe siècle. De grandes puissances, ou de « grands hommes », s’assoient autour d’une table, au-dessus d’une carte, et se répartissent le stylo à la main les territoires et les sphères d’influence sans tenir compte — ou très peu — de l’avis de ceux qui y habitent.

Pour l’Ukraine, le pire des scénarios, ou du moins l’un des plus mauvais, pourrait se dérouler de la manière suivante :

  • Poutine et Trump conviennent d’un accord prévoyant que la Russie conserve ou étende ses gains territoriaux en Ukraine et laisse le reste d’une Ukraine indépendante sans garantie de sécurité américaine solide. 
  • Les autorités ukrainiennes devraient alors : soit accepter ces conditions sans sourciller ; soit risquer de passer aux yeux de Donald Trump pour des ingrats. Or dans le deuxième cas, la sanction pour avoir rejeté un accord négocié par Donald Trump lui-même risquerait tout simplement de se traduire par la fin du soutien financier américain. 

Cela poserait deux problèmes aux alliés européens de l’Ukraine :

  • Tout d’abord, sont-ils prêts sans la participation des États-Unis à fournir à l’Ukraine des garanties de sécurité qui, si elles étaient déclenchées, risqueraient de faire de faire d’eux des co-belligérants dans une guerre avec le deuxième plus grand arsenal nucléaire du monde ?
  • Deuxièmement, sont-ils  prêts à fournir à l’Ukraine, là encore sans l’appui de Washington, les fonds nécessaires pour continuer à résister à l’invasion russe  plutôt que de capituler devant un règlement défavorable du conflit ?

Bien sûr, les événements pourraient ne pas se dérouler de cette façon.

Poutine pourrait se présenter à la table des négociations en Arabie saoudite avec des exigences supplémentaires — telles que le  retrait de toutes les troupes de l’OTAN d’Europe de l’Est — que même Trump  aurait du mal à accepter. Autre possibilité : le contrecoup politique aux États-Unis de l’abandon d’un allié américain « aussi longtemps qu’il le faudra » pourrait devenir trop  inconfortable, même sous cette administration. 

Cela étant dit, les événements pourraient tout aussi bien se dérouler de cette façon.

Face à ces changements spectaculaires de la politique américaine, les alliés de l’Ukraine ne peuvent pas rester comme des lapins paralysés par la lumière des phares. Une mesure pourrait être prise rapidement pour atténuer la menace américaine d’un retrait du soutien financier si l’Ukraine ne se soumettait pas à des conditions de règlement inacceptables : utiliser les actifs russes gelés depuis 2022 pour soutenir une ligne de crédit au bénéfice de Kiev. Une proposition allant dans ce sens, baptisée « prêt en réparation », a été lancée l’année dernière 1.

Le mécanisme juridique qui la sous-tend est d’une grande simplicité. Les pays détenant des actifs russes gelés prêteraient jusqu’à 300 milliards de dollars à l’Ukraine, garantis par l’engagement de Kiev à réclamer des dommages et intérêts à la Russie pour les dommages causés par l’invasion. Cette demande, en droit, est indubitable. Cela placerait ces  pays dans une position où ils ont une créance sur la Russie (la demande en  réparation héritée de l’Ukraine) correspondant exactement à leur dette envers la Russie  (les avoirs gelés), l’équilibre de ce mécanisme reposant sur la compensation des créances réciproques.

Pour les alliés de l’Ukraine, cette option présenterait les avantages suivants : 

  • Le maintien du financement de l’Ukraine serait assuré même en cas de retrait du soutien américain.
  • Ce financement ne proviendrait pas des contribuables des pays alliés mais, indirectement, des contribuables russes.
  • Dotée d’une source de financement sûre, non soumise aux caprices des politiciens américains, l’Ukraine retrouverait un poids considérable dans le processus de paix. Les inquiétudes qui semblent avoir provoqué une paralysie de la part des pays européens détenant les avoirs gelés — de vagues préoccupations concernant le droit international et les dommages potentiels à la réputation de l’Union en tant que garant de la sécurité des avoirs d’États étrangers — semblent dérisoires par rapport au risque qu’un pays européen soit contraint de céder à la fois son territoire et son indépendance politique à un voisin détenteur de l’arme nucléaire.
  • Les alliés de l’Ukraine détiendraient un privilège sur les actifs gelés de la Russie et une garantie sur la demande de réparation de l’Ukraine contre la Russie. En d’autres termes : la mise en place d’un tel mécanisme garantirait que personne à la table des négociations ne puisse céder sur les actifs ou la demande de réparation sans le consentement de ces pays.
  • Enfin, cela démontrerait que l’Europe a encore en main des cartes très fortes — et qu’elle est prête à les jouer.

Sources
  1. Hugo Dixon, Lee Buchheit et Daleep Singh, Ukrainian Reparation Loan : How it Would Work, 20 février 2024. SSRN : https://ssrn.com/abstract=4733340