Infographie : dissection de la Maison Blanche

Infographie : dissection de la Maison Blanche

par Revue Conflits avec AFP – publié le 20 janvier 2025


La Maison-Blanche, résidence et bureau du président des États-Unis, est un monument emblématique de l’histoire et du pouvoir américain. Mélange de grandeur architecturale et de symbolisme politique, elle incarne l’essence même de la nation américaine.

L’Architecture de la Maison-Blanche : Un symbole de pouvoir et d’histoire

La Maison-Blanche, résidence officielle du président des États-Unis, est bien plus qu’un simple bâtiment : c’est un symbole de l’autorité présidentielle et de l’histoire américaine. Son architecture incarne la grandeur de la nation tout en intégrant des éléments classiques et modernes qui la rendent unique. L’édifice de plus de 5 100 m2, situé au 1600 Pennsylvania Avenue à Washington D.C., est un mélange de style néoclassique, de design pratique et de symbolisme politique.

Les origines architecturales

La conception de la Maison-Blanche débute au XVIIIe siècle, sous la direction de George Washington, premier président des États-Unis. Cependant, c’est l’architecte irlandais James Hoban qui est choisi pour réaliser le projet. Hoban s’inspire des bâtiments palladiens, notamment du Leinster House à Dublin, pour créer une résidence digne du chef de l’État américain. Le style néoclassique, qui reflète les idéaux de la Rome antique, a été choisi pour incarner l’autorité, la rationalité et l’équilibre.

La structure de la Maison-Blanche

La Maison-Blanche est constituée de plusieurs éléments distincts. Le bâtiment principal, avec ses murs en pierre calcaire, présente une façade symétrique, caractéristique du style palladien. Il se compose de trois étages : le rez-de-chaussée, l’étage principal et l’étage supérieur. L’entrée principale, ornée d’un porche à colonnes, est flanquée de chaque côté par des fenêtres en arc de cercle, un autre élément typique du style classique. L’édifice comprend également de nombreux salons et bureaux qui servent aux fonctions politiques et diplomatiques. Le bureau Ovale, situé au premier étage, est l’un des espaces les plus célèbres du bâtiment, un lieu où le président prend ses décisions et accueille des dignitaires étrangers. À proximité, on trouve la salle à manger d’État, la salle de réception diplomatique et les salons de l’Executive Residence.

Les évolutions architecturales

Au fil des siècles, la Maison-Blanche a subi plusieurs modifications et agrandissements. Après l’incendie de 1814, lors de la guerre de 1812, le bâtiment est presque entièrement détruit. La reconstruction permet de conserver le plan initial tout en apportant des améliorations. Les modifications les plus notables au cours du XIXe et du XXe siècle ont été réalisées lors des mandats de Theodore Roosevelt, Franklin D. Roosevelt et Harry S. Truman, ce dernier étant responsable de la rénovation complète de l’intérieur. Les jardins et les terrains environnants ont également évolué. Le plus célèbre d’entre eux est le Jardin de la Rose, situé à l’arrière du bâtiment, qui constitue un espace de détente tout en étant utilisé pour des événements officiels et des cérémonies.

La Maison-Blanche et la symbolique

La Maison-Blanche ne se limite pas à ses fonctions de résidence et de bureau. Elle incarne aussi la représentation du pouvoir exécutif américain. Ses colonnes majestueuses, ses jardins soignés et ses vastes espaces intérieurs sont autant de preuves de la stabilité, de la continuité de la nation américaine. En tant que centre névralgique du pouvoir, la Maison-Blanche est aussi un lieu de visibilité internationale. Chaque modification ou rénovation est scrutée de près et devient un moyen de marquer les changements dans l’histoire politique du pays. La Maison-Blanche est donc bien plus qu’un simple bâtiment : elle est le cœur battant de la politique américaine et un symbole fort de la république.

Les conditions d’une future politique sahélienne

Les conditions d’une future politique sahélienne

Soldats français de l’opération Barkhane en patrouille avec des soldats maliens imbamogoye(Mali) avril 2016 Pascal Guyot/AFP
Editorial de Bernard Lugan publié en janvier 2025

Au Sahel où le retrait français a laissé le champ libre aux GAT (Groupes armés terroristes), la situation est désormais hors contrôle. Face aux massacres de civils les armées locales sont totalement dépassées quand elles ne sont pas complices. Quant aux mercenaires russes, ce n’est pas en multipliant les crimes de guerre qu’ils pourront faire croire aux populations qu’ils sont animés de la « parcelle d’amour » qui était si chère à Lyautey et aux grands coloniaux français…
Il faut bien voir que la catastrophe actuelle résulte de deux principales erreurs de diagnostic faites par les décideurs parisiens : 
1) Avoir cautionné la cuistrerie de ceux de leurs « experts » officiels qui qualifiaient systématiquement de jihadiste tout bandit armé ou même tout porteur d’arme
Alors que nous étions face à un « cocktail » de revendications ethniques, sociales et politiques opportunément habillées du voile religieux, et que le trafic était devenu le poumon économique de populations subissant les effets d’une désertification accélérée par la démographie. D’où la jonction entre trafic et islamisme, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par le second.
2) Avoir ignoré les constantes ethno-historico-politiques régionales. 
Un tel refus obstiné de prendre en compte les réalités ethniques s’explique à la fois par l’idéologie et par l’ignorance. Avec pour conséquence que des solutions aussi hors sol que simplistes ont été plaquées sur la complexe, mouvante et subtile alchimie humaine sahélienne. 
En effet, dans ces immensités où le jihadisme surinfecte de vieilles plaies ethno-historiques, présenter comme solution un processus électoral est une farce tragique car il n’aboutit qu’à un sondage ethnique grandeur nature. Quant au discours convenu prônant la nécessité de combler le « déficit de développement » ou encore la « bonne gouvernance », il relève du charlatanisme politique… 
En 2025, si, après avoir été honteusement « éjectée » du Sahel à la suite de l’accumulation des erreurs commises par Emmanuel Macron, la France décidait d’y revenir, ses dirigeants devraient alors bien réfléchir. Ils ne devraient en effet plus voir la question régionale à travers le prisme des idéologies européo-centrées, des automatismes contemporains et des « singularités » LGBT. 
Tout au contraire, il s’agirait pour eux de replacer les évènement dans leur contexte historique régional à travers cette longue durée qui, seule, permet de comprendre qu’ils sont liés à un passé toujours prégnant et qui conditionne largement les choix des uns et des autres. 
Pour le comprendre, on se reportera à mon livre Histoire du Sahel des origines à nos jours.

La nouvelle formule « islamiste 2.0 » du « jihadisme institutionnalisé »

La nouvelle formule « islamiste 2.0 » du « jihadisme institutionnalisé »

ihadisme politique
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Alexandre Del Valle – Le Diplomate Média – publié le 18 décembre 2024

https://lediplomate.media/2024/12/la-nouvelle-formule-islamiste-2-0-du-jihadisme-institutionnalise/alexandre/monde/mena/moyen-orient/terrorisme-moyen-orient/


D’après des spécialistes du jihadisme, comme le germano-égyptien Asiem el Difraoui ou l’américain, Aaron Y. Zelin, la victoire de Joulani et du Hay’at Tahrir al Cham contre le régime Bachar el-Assad a signé la victoire du « jihadisme politique » comme stratégie de conquête. Ce phénomème nouveau, que nous avions qualifié dans nos écrits d’« institutionnalisation du jihadisme », est un véritable tournant dans l’histoire de l’islamisme international. La Syrie est en effet, plus efficacement encore que les Talibans, le premier terrain d’essai de cette catégorie hybride, qui va probablement être un casse-tête sécuritaire pour de nombreux pays et pour tous ceux qui sont engagés dans la lutte contre l’islamisme radical et qui croyaient naïvement que l’islam politique comme celui des Frères musulmans ou de la Turquie d’Erdogan représentaient peut-être LA solution alternative au jihadisme, incapable de conquérir le pouvoir et d’administrer un Etat.

Le « Sham » du HTS, dont la Syrie est le noyau-dur, va redevenir un pôle d’attraction du jihadisme et du panislamisme européen et proche-oriental, même si son leader a dit renoncer au jihad global et a rompu avec Al-Qaïda. La conquête de la Syrie n’est que l’une des étapes d’un projet jihadiste régional. Le terme de « Hay’at Tahrir Sham » désigne en effet la « libération de la Syrie élargie au sens de tout le Proche-Orient (Jordanie, Liban, Palestine Israël, Syrie, etc) … D’ailleurs, si Al-Joulani est apparu avec le drapeau syrien de la Révolution, jadis prohibé par les Jihadistes de DAECH, il a également parlé depuis la mosquée des Omeyades de Damas, devant un autre drapeau, blanc, qui symbolise la couleur de l’islam, que Joulani ne renie aucunement puisqu’il a dédié sa victoire à la Oumma Islamique (Oumma al -islamiyya) et non pas la Syrie…

En fait, le HTS a mis en œuvre une stratégie d’adaptation proche de celle, dite « par étapes », des Frères musulmans, adeptes d’un salafisme réformiste, (Salafiyya islahiyya) apparemment plus moderne, mais qui poursuit le même objectif final du Tamkine planétaire ou Califat universel. Le génie du pragmatique Joulani est que sa formule politique va permettre de réunir dans une même expérience victorieuse tous les degrés de l’islamisme radical, un processus initié par les Talibans depuis le départ des Etats-Unis d’Afghanistan, mais que Joulani a plus de capacité à faire triompher puisque deux de ses parrains directs, la Turquie membre de l’Otan et le Qatar qui abrite une base américaine, sont structurellement liés à l’Occident et peuvent contribuer au processus de transition politique et d’institutionnalisation de l’islamisme jihadiste, deux options de l’islamisme qui ont longtemps été impossibles et qui se sont violemment combattues. Cela ne veut pas dire qu’Al-Qaïda, le Hamas, les Frères musulmans, le Milli Görüs turc, le Jamaà islami pakistanais et l’Etat islamique, mouvances aux milles divergences, vont fusionner ou même arrêter de se combattre ou d’être tantôt alliés tantôt rivaux ou ennemis, mais l’expérience du « jihadisme politique », synthèse de l’islam politique à la Frères musulmans et du jihadisme à la Al-Qaïda, va attirer des partisans issus de toutes les nuances de l’islamisme sunnite, des plus institutionnelles aux plus jihadistes et révolutionnaires.

Revenons à la chute d’Assad qui a permis de consacrer l’institutionnalisation du Jihad de Joulani

Pour revenir à la chute d’Assad, la priorité actuelle de Abou Mohamad al-Joulani, de son vrai nom Ahmed al-Charaà, est l’instauration d’un nouveau régime capable à terme d’instaurer son hégémonie sur tout le territoire syrien, donc capable de fédérer dans un futur Etat les rebelles islamistes fréristes et pro-turcs, les salafistes jihadistes qui l’ont suivi dans sa démarche, les anciens rebelles de 2011 sunnites et pas forcément islamistes mais conservateurs, et les minorités ethniques kurdes, turkmènes, arméniennes, assyro-chaldéennes, chrétiennes, chiites, alaouites et druzes y compris. Or force est de constater qu’avec 30 à 40 000 hommes, soit moins que l’Armée Nationale Syrienne – avant les ralliements récents, puisque l’ANS dispose de 50 000 soldats et mercenaires, ses troupes réellement fidèles issues comme lui d’Al-Qaïda/Al-Nosra et autres salafistes ralliés depuis 2017 (et le changement de nom en HTS) sont limitées. Les Kurdes insoumis ne vont pas plier facilement face à l’ANS pro-turc et au HTS pro-Qatari qui veulent soumettre au nouveau pouvoir islamiste le Kurdistan/Rojava autonome et ses Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dont le noyau-dur sot les YPG kurdes proches du PKK turco-kurde. Les Druzes sont eux aussi armés, bien que n’ayant pas de forces miliciennes officielles, et ils sont encore épargnés car ils sont assez difficiles à soumettre dans leurs montagnes du sud-Ouest du pays frontalier d’Israël et du plateau du Golan occupé par Tsahal et habité par des frères Druzes avec qui ils sont en contact et solidaires en cas d’attaque islamiste.  Une partie des chefs druzes a d’ailleurs appelé à être rattachés à Israël, où les Druzes sont les seuls arabes ayant des hautes positions dans l’armée et totalement fidèles à Israël. Quant aux anciens militaires du régime, bien qu’amnistiés, ils ne sont pas encore considérés assez fiables pour qu’une grande armée nationale postrévolutionnaire et post-Assad soit opérationnelle rapidement contre les forces séparatistes. Pour ce qui est du Djebel Ansariyya, la montagne alaouite, bien qu’officiellement désarmée et ayant été abandonnée par les troupes d’élites alaouites du Général pro-russe Souheil Hassan (« Le Tigre ») et de la division de Maher Al-Assad, partis vers l’Irak, il pourrait devenir rebelle et se réarmer rapidement dans ses fiefs et donc créer lui aussi des difficultés si les persécutions et vengeances massives arrivaient, d’où l’actuelle prudence de Joulani. Mais combien de temps le leader du HTS pourra-t-il contenir ses troupes salafistes-jihadistes assoiffées de vengeance et de sang, habitués à couper des têtes et les empêcher d’agir conformément à la doctrine du Jihad qu’ils n’ont jamais reniée ?

Joulani va-t-il vraiment réussir à devenir Charaà et troquer si facilement son nom de guerre jihadiste ?

De ce fait, ce n’est qu’une fois le pouvoir du HTS déployé partout, ce qui nécessitera la difficile soumission de l’ANS pro-turque, en plus de la soumission des zones rebelles kurdes, que Joulani pourra montrer progressivement son vrai visage : la pleine application de la Charià en Syrie, après une première annonce d’une version soft visant à rassurer minorités et l’Occident. Faire progressivement du « Cham » un pays attrayant tant pour des salafistes radicalisés du monde entier frustrés de ne pas avoir pu faire le Hijra (émigration ») à l’époque de gloire du « Dawla » (l’Etat, sous-entendu islamique, EI), que pour des millions de sunnites syriens revanchards qui vont goûter à la formule islamiste après tant de décennies de répression de la part des « apostats » alaouites et de leur Etat sécularisé baathiste et nationaliste.  Joulani va finalement rétablir plus efficacement que DAECH, un Etat islamique qui sera parrainé ou reconnu rapidement par des puissances liées à l’Occident, Turquie, Qatar, Koweït, Arabie saoudite. Toute une génération d’islamistes va idéaliser le succès de Joulani, qui a réussi en en finir avec les alaouites-baathistes d’Assad, « ennemis de l’islam », presque sans tirer un coup de feu, en récupérant les efforts des rebelles et des Syriens lassés de la corruption et du régime totalitaire syrien. Il va donc y avoir un appel d’air vers la Syrie, surtout la poche d’Idlib, le foyer de jihadistes français, d’Omar Diaby/Omsen. Car la zone d’Idlib va rester bien plus islamiste-jihadiste que les autres places syriennes étant donné que les jihadistes vaincus en 2016-2017 se sont réfugiés dans l’incubateur d’Idlib et y ont vécu selon la Charià salafiste et sous protection indirecte turque depuis des années.

L’excitation malsaine de la mouvance jihadiste extérieur et le pouvoir d’attraction du Sham

Pour le procureur national antiterroriste, Olivier Cristen, qui a évoqué une surveillance accrue de la “djihadosphère”, cette victoire très médiatisée de HTS – bien qu’en réalité l’ANS et les brigades de rebelles du Sud ont aussi joué un rôle important – a créé une sorte “d’excitation malsaine” des pro-jihadistes français pour qui le Cham est un quasi-lieu de pèlerinage califal. Rappelons qu’au sein du HTS et des groupes autonomes qui ont dû lui prêter allégeance, d’autres groupuscules jihadistes et islamistes étrangers demeurent attachés au jihad global, comme les légions ouïghoures, qui soutiennent leur peuple en Chine. Avec des groupes de jihadistes d’Asie centrale, du Caucase, maghrébins ou francophones, ils représentent encore quelques milliers de personnes qui vont être utilisés, comme lors de la conquête d’Alep fin novembre, comme kamikazes pour enfoncer des lignes adverses lors d’offensives, notamment contre les Kurdes, les Druzes ou les Alaouites en cas de résistance. On sait par ailleurs que certains terroristes de France, dont l’assassin de Samuel Paty, Abdoullah Anzorov, fils de réfugiés Tchétchènes, était en contact avec des jihadistes d’Idlib, comme cela a été confirmé le 4 novembre et le 10 décembre derniers lors des procès des tueurs de l’enseignant. L’influence même du HTS sur Anzorov a été attestée devant les juges par l’un de ses complices repentis, Ismael Gamaev, qui a révélé qu’il « participait activement »  à un groupe Snapchat crypté, avec des membres cette organisation, lesquels auraient lancé un appel à tuer les caricaturistes de Mahomet, et auprès de qui il aurait confirmé l’accomplissement de ce « jihad punitif ».

Quid des 300 djihadistes français disparus des radars ?

Sur 1500 volontaires français venus faire le Jihad et leur Hijra (« émigration » islamique imitant celle de Mahomet à Médine en 622, sorte d’Alyah jihadiste), on sait que beaucoup sont morts, mais d’autres ont survécu. Ainsi, Omar Diaby alias Omsen a été donné pour mort plusieurs années durant avant finalement de réapparaître dans un documentaire. Ensuite, lorsque les islamistes du HTS ont libéré les prisonniers des geôles du régime de Bachar al-Assad, deux djihadistes Français y ont été identifiés parmi les prisonniers, mais les experts sont certains qu’ils sont très probablement plus nombreux. 300 jihadistes français sont dans la nature, disparus, et susceptibles de réapparaître, tandis que la poche d’Idlib en abriterait au moins 120. Enfin, il y a toujours la possibilité d’une résurgence de l’État islamique, actuellement très affaibli, divisé en petites cellules éparses, mais à qui le chaos ambiant pourrait également profiter. Certes, la priorité d’Al-Joulani, semble axée sur l’instauration d’un nouveau régime en Syrie, ce qui nécessite des concessions verbales et juridico-politiques de transition. Les mêmes consignes ont été données par l’ancien homme d’économie et de culture Al-Bachir, récemment nommé Premier Ministre de la Syrie de Joulani, mais ce fidèle du chef de HTS ne manie-t-il pas lui aussi la taqiya, le mensonge pieux, comme son chef ? L’avenir le dira. Toujours-est-il qu’il va y avoir un appel d’air vers la Syrie, car indépendamment même  de la pseudo modération de Bachir et Joulani, qui est motivée par l’urgence de lever les sanctions économiques occidentales et la Loi Caesar américaine qui pénalise toute reconstruction, pour de nombreux jihadistes, le pouvoir de fascination du Sham est intacte et le HTS est celui qui a fait tomber l’apostat Bachar. Pour les islamistes salafistes français, le Sham demeure avec l’Afghanistan libérée des Américains, le seul « véritable Dawla islamiyya » (Etat islamique), au monde, fruit d’un « jihad béni », où la Charià salafiste va être appliquée et l’est déjà dans la région du HTS au nord. Si cette Charià devient officielle dans tout le pays, les bons musulmans salafistes n’ayant pas le droit de vivre parmi les « Mécréants » pourront venir y accomplir leur Hijra, leur « émigration » sainte, vers cet Etat islamique paré qui plus est de l’auréole et du prestige du jihad vainqueur face aux laïques, mécréants et apostats baathistes et alaouites. A cet effet, le charisme de recruteurs propagandistes comme d’Omar Diaby, en liberté et ayant prêté allégeance au HTS, va attirer des jeunes radicalisés de France et d’Europe qui ont été frustrés de ne pas avoir pu rejoindre le jihad syrien contre Bachar et qui vont « enfin » réaliser leur rêve dans le cadre d’une « excitation malsaine” évoquée par le procureur national antiterroriste, Olivier Cristen

À lire aussi : Le Sommet d’Astana : Opération de la dernière chance pour la Syrie 


 

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Carte commentée. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?

Carte commentée. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?

Par AB PICTORIS*, Clément Alberni – Diploweb – publié le 6 décembre 2024.

https://www.diploweb.com/Carte-commentee-Quelle-influence-pour-l-Organisation-des-pays-exportateurs-de-petrole-en-2024.html


*AB Pictoris est une entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Diplômée de l’IFG et de Sciences Po Aix. B. Lambert publie « Se former à la cartographie avec Inkscape », éd. D-Booker.
Clément Alberni est diplômé d’un Master en Histoire et Relations internationales, de l’Université Catholique de Lille. Après un stage au Ministère des Armées, il occupe chez AB Pictoris un poste d’analyste-cartographe dans le cadre d’un stage se déroulant d’août à octobre 2024.

Découvrez l’histoire, la structure organisationnelle et le rôle de l’OPEP. Soyez au clair sur l’adaptation de l’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole. L’OPEP+ joue aujourd’hui un rôle de stabilisateur du marché pétrolier, même si sa capacité à influer sur certaines décisions et à utiliser le pétrole comme levier diplomatique reste non-négligeable. La diversité des membres qui la composent et dont les intérêts sont parfois opposés pousse ses dirigeants à agir de façon pragmatique. Ainsi, malgré le soutien affiché des pays arabes aux Palestiniens, aucun embargo à l’encontre de l’Etat israélien n’a été mis en œuvre à la suite de l’offensive sur la bande de Gaza.
Carte disponible sous deux formats JPG et PDF pour l’impression haute qualité.

A L’OCCASION de la COP 28, le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a suscité la colère et l’indignation de nombreux pays présents. Ce dernier a en effet demandé « en urgence » à ses membres de « rejeter proactivement » tout accord ciblant les énergies fossiles [1]. Il précise dans son courrier que la pression excessive et disproportionnée exercée sur les combustibles fossiles pourrait atteindre un point de basculement aux conséquences irréversibles, car le projet de décision contient encore des dispositions sur l’élimination progressive des combustibles fossiles ». Malgré un accord final faisant état d’une sortie progressive des énergies fossiles afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, cette prise de position interroge quant au poids politique de l’OPEP et à son niveau d’influence sur le marché du pétrole en 2024. Pour mieux comprendre, revenons plus en détail sur cette organisation peu ou mal connue.

Carte. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?
Pays membres de l’OPEP. Pays membres de l’OPEP+. Principaux exportateurs de pétrole. Principaux importateurs de pétrole. Cliquer ici pour voir la carte au format PDF haute qualité d’impression. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.
Alberni/AB Pictoris

L’OPEP est une organisation de pays producteurs de pétrole créée le 14 septembre 1960, lors de la conférence de Bagdad, dans un contexte de concurrence intense entre compagnies pétrolières et de fortes pressions à la baisse sur le prix du pétrole. Son objectif est de réguler la production et le prix du pétrole par une politique concertée de ses membres.

En 2024 elle est composée de douze membres, dont ses cinq fondateurs, l’Arabie Saoudite, le Venezuela, l’Irak, l’Iran et le Koweït, ainsi que de sept membres ayant rejoint l’organisation, la Libye en 1962 l’Algérie en 1969, les Émirats arabes unis en 1967, le Gabon (1975-1995, de nouveau membre depuis 2016), le Nigéria 1971, la Guinée équatoriale en 2017 et le Congo en 2018.

En 2016, les membres de l’OPEP se sont associés avec dix autres pays producteurs [2] pour s’entendre sur les quotas visant à limiter la production : Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud. Cette alliance est connue désormais sous le nom d’« OPEP+ ».

Notons cependant que d’autres grands pays producteurs ne sont pas membres de l’organisation, Etats-Unis en tête qui est de loin le 1er avec une production de plus de 13 millions barils/jour [3] (unité BBL/D/1K). C’est également le cas du Canada (4734 millions), de la Chine (4249 millions), de la Norvège (1859 millions), du Qatar(1322 millions) [4] et de l’Angola (1084 millions) [5].

Structure organisationnelle de l’OPEP

Le siège de l’OPEP est situé à Vienne en Autriche, et sa structure organisationnelle se décline en plusieurs institutions spécifiques. La conférence des ministres est l’organe suprême de décision de l’OPEP. Elle est composée des ministres du pétrole ou de l’énergie des pays membres. Le comité de revue du marché est quant à lui chargé d’analyser l’état du marché pétrolier, puis de préparer les rapports et recommandations qui seront utilisés lors de la conférence des ministres en matière de politique de production et de prix du pétrole. Ensuite, le secrétariat général, en tant qu’organe exécutif de l’OPEP, est chargé de la mise en œuvre des décisions prises en Conférence des Ministres. Enfin l’organisation est constituée de comités techniques, spécialisés et de groupes de travail pouvant mettre en place des comités ad hoc traitant de questions spécifiques. Ces derniers assistent le comité de revue du marché en fournissant des analyses techniques et des recommandations sur la production et les quotas de pétrole.

Une stabilisation des prix du pétrole et la défense des intérêts des pays producteurs aux origines de l’OPEP

Revenons maintenant aux origines de l’OPEP pour mieux comprendre son rôle et son influence croissante sur le marché mondial du pétrole.

Dans les années qui précèdent la création de l’OPEP, la majorité des pays producteurs de pétrole sont soumis à une très forte dépendance économique des revenus générés par les exportations de cette ressource. Ils se trouvent alors dans une situation de grande fragilité, notamment face à la volatilité des cours du baril, dont la tendance à la baisse est largement encouragée et induite par les pays importateurs. Ainsi, le regroupement d’un certain nombre de pays producteurs voit le jour et permet à ces derniers de peser suffisamment pour être en position de négocier avec les firmes pétrolières multinationales. Ce regroupement leur permet également d’instaurer, entre eux, des quotas de production afin de pouvoir contrôler les prix sur le marché mondial.

Différents tournants marquent alors l’histoire de l’organisation.

Le pétrole, un levier diplomatique pour les pays du Golfe

À partir des années 1970, l’OPEP se structure, se renforce et acquiert une stature internationale, lui conférant un rôle croissant sur la scène pétrolière mondiale.

En octobre 1973, la guerre du Kippour [6] éclate entre Israël et une coalition de pays arabes, menée par l’Égypte et la Syrie. Ce conflit est le point de départ d’une action concertée des pays arabes membres de l’OPEP pour utiliser le pétrole comme levier diplomatique.

L’OPEP, dominée alors par ses membres arabes, décide de réduire progressivement sa production de pétrole et d’imposer un embargo à destination des États-Unis et d’autres pays occidentaux pour leur soutien à Israël.

Le pétrole est ici utilisé comme une arme diplomatique : il s’agit de contraindre les puissances occidentales à faire pression sur Israël pour qu’il se retire des territoires acquis pendant la guerre des Six Jours de 1967 [7]. L’embargo provoque une raréfaction de l’offre mondiale de pétrole, entraînant une hausse spectaculaire des prix. En seulement quelques semaines, il sera multiplié par quatre, passant de 4 à 16 dollars. Les économies occidentales ne peuvent pas faire face. Dans les pays directement visés, la croissance s’effondre et le chômage augmente [8].

L’OPEP, auparavant perçue comme un simple groupe de pays exportateurs de matières premières, émerge comme un acteur économique et géopolitique de premier plan. Elle démontre sa capacité à influencer non seulement le marché pétrolier mondial, mais aussi les relations internationales.

Bis repetita en 1979, avec la chute du Shah d’Iran et la révolution islamique dans ce pays alors important producteur de pétrole, qui engendre un nouveau doublement du prix du baril, de 20 à 40 dollars. C’est le second choc pétrolier.

Ces crises successives modifient durablement les rapports de force internationaux et incitent les pays consommateurs à repenser leurs stratégies énergétiques.

Les années 1980 seront marquées par de nombreuses périodes de difficultés pour l’OPEP, en raison notamment d’une production supérieure à la demande, et l’augmentation de la production dans certains pays comme les Etats-Unis (présence de ressources en Alaska) et la Norvège (présence de ressources en Mer du Nord).

De plus, l’OPEP est également confrontée à des difficultés en interne, certains pays membres ne respectant pas les quotas de production décidés en commun. Cette surproduction accroît la surabondance de l’offre sur le marché mondial, entraînant une chute continue des prix du pétrole.

L’Arabie saoudite, en tant que leader de facto de l’OPEP, a joué un rôle clé en tentant d’ajuster sa production pour équilibrer l’offre. L’organisation n’a alors pas d’autres choix que de se réformer : elle adopte une nouvelle stratégie, qui met fin à la guerre des prix en adoptant un mécanisme de fixation des prix basé sur le marché.

Cette période est caractérisée par un affaiblissement important de l’influence de l’OPEP sur le cours du marché pétrolier international, et par ricochet de sa capacité à peser dans les relations internationales.

Toutefois, les années 2000 signent un tournant décisif avec l’essor et la montée en puissance de géants économiques entraînant une demande en pétrole sans précédent.

L’arrivée des émergents, une demande forte qui donne un nouvel élan à l’OPEP

Les années 2000 marquent un regain de l’influence de l’organisation. En effet, la période est caractérisée par une demande énergétique en forte croissance, notamment de la part des économies émergentes comme la République populaire de Chine et l’Inde. Le prix du baril s’envole, et atteint les 140 dollars en juillet 2008. L’OPEP s’impose comme un acteur déterminant dans la gestion de cette hausse des prix.

Elle joue un rôle stratégique de stabilisation en ajustant régulièrement les quotas de production de ses membres. Malgré une concurrence accrue de la part de pays non-membres qui augmentent les prix, elle parvient à maintenir un fort contrôle sur le marché mondial.

En plus de la montée en puissance des émergents, la période est caractérisée par une série de crises qui secouent particulièrement le Moyen-Orient. L’invasion de l’Irak en 2003 et les tensions en Iran lui imposent d’ajuster ses politiques pour maintenir des niveaux de production élevés de manière à compenser les pertes dans les pays en crise.

Une nouvelle fois, l’OPEP devient un instrument géopolitique. Riyad, en tant que leader de facto de l’organisation, tire son épingle du jeu et utilise habilement son influence sur le marché pétrolier pour renforcer ses relations avec les grandes puissances mondiales, et en particulier avec les États-Unis. Le pétrole, véritable outil de diplomatie, permet à l’Arabie saoudite de négocier des accords bilatéraux favorables, de sécuriser son rôle de partenaire stratégique des États-Unis au Moyen-Orient, et de renforcer sa position au sein du monde arabe.

L’État saoudien profite également de cette période favorable pour établir des relations stratégiques avec les pays émergents à forte demande énergétique, comme la Chine et l’Inde. Par exemple, des accords bilatéraux ont été signés pour garantir des contrats de livraison de pétrole à long terme à ces pays en échange de coopérations dans d’autres domaines, tels que les investissements infrastructurels et les partenariats commerciaux [9].

A l’automne 2008, une crise financière mondiale porte un premier coup d’arrêt à cette période de domination de l’OPEP sur le marché mondial du pétrole. Malgré la crise, l’organisation parvient à maintenir l’unité de ses membres, coordonnant des réductions de production sans précédent, allant jusqu’à retirer 2,2 millions de barils par jour du marché [10]. Cette adaptation rapide permet une reprise partielle des prix dès 2009, bien que les niveaux d’avant-crise n’aient pas été immédiatement atteints.

Au-delà de cette crise financière, l’émergence de nouveaux producteurs et l’importance croissante du pétrole de schiste américain sont à l’origine d’une remise en cause de cette quasi-hégémonie de l’OPEP.

L’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole, une adaptation cohérente

En 2014, l’arrivée des États-Unis en tant que puissance majeure sur le marché du pétrole, grâce à l’extraction accrue du gaz de schiste, marque une évolution décisive. Cette révolution énergétique permet à Washington de devenir l’un des plus grands producteurs mondiaux de pétrole, modifiant profondément les dynamiques du marché. L’explosion de la production de schiste provoque un excès d’offre et une chute brutale des prix du baril [11].

Pour faire face à cette nouvelle réalité et stabiliser les prix du pétrole, l’OPEP décide de repenser sa politique en adoptant une nouvelle approche stratégique, plus pragmatique. Ainsi, en 2016, l’organisation forme l’alliance OPEP+ avec des producteurs non-membres, dont la Russie, pour coordonner les politiques de production et limiter la surproduction, cette fois-ci dans un cadre étendu.

La formation de l’OPEP+ permet aux pays membres de l’OPEP de maintenir leur influence sur les prix mondiaux tout en adaptant leurs stratégies à un marché énergétique de plus en plus diversifié et compétitif. Alors que l’OPEP est une organisation historiquement dominée par des producteurs du Moyen-Orient, l’OPEP+ apparaît comme une adaptation à un nouveau contexte stratégique. D’un côté, elle apporte une réponse à la montée en puissance de producteurs non traditionnels, et de l’autre, elle s’inscrit dans l’évolution de la concentration des pouvoirs économiques et énergétiques, qui se trouvent aujourd’hui répartis entre plusieurs pôles majeurs.

L’organisation est aujourd’hui composée des douze membres de l’OPEP, et de douze autres pays producteurs : l’Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunéi, le Kazakhstan, la Malaisie, le Mexique, Oman, la Russie, le Soudan et le Soudan du Sud. Le Brésil les a rejoint en tant que membre en janvier 2024.

En définitive, l’OPEP+ joue aujourd’hui davantage un rôle de stabilisateur du marché pétrolier, même si sa capacité à influer sur certaines décisions et à utiliser le pétrole comme levier diplomatique reste non-négligeable. La diversité des membres qui la composent et dont les intérêts sont parfois opposés [12], pousse ses dirigeants à agir de façon plus pragmatique. Ainsi, malgré le soutien affiché des pays arabes aux Palestiniens, aucun embargo à l’encontre de l’Etat israélien [13] n’a été mis en œuvre à la suite de l’offensive sur la bande de Gaza.

L’Organisation risque aussi d’être confrontée à de nouveaux défis, notamment avec la découverte de gisements en Arctique et l’ouverture des nouvelles routes qui joueront un rôle-clé dans l’approvisionnement de cette ressource. Cette découverte et l’importance croissante de ces nouvelles routes liées à la fonte des glaces pourraient placer des pays membres de l’OPEP+, comme la Russie [14], et d’autres producteurs majeurs, comme les Etats-Unis et le Canada, en position de force sur la marché. Cette réalité représente un défi considérable pour l’unité de l’OPEP ainsi que pour son poids politique, l’organisation devra faire preuve d’une très grande capacité d’adaptation, sans quoi elle risque de se voir progressivement marginalisée.

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Carte. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?
Pays membres de l’OPEP. Pays membres de l’OPEP+. Principaux exportateurs de pétrole. Principaux importateurs de pétrole. Cliquer ici pour voir la carte au format PDF haute qualité d’impression. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.Document ajouté le 6 décembre 2024
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Découvrez l’histoire, la structure organisationnelle et le rôle de l’OPEP. Soyez au clair sur l’adaptation de l’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole. Carte haute qualité d’impression.


[1] Le Monde. (2023, 9 décembre). À la COP28, le chef de l’OPEP demande aux membres de refuser tout accord ciblant les énergies fossiles. https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/09/a-la-cop28-le-chef-de-l-opep-demande-aux-membres-de-refuser-tout-accord-ciblant-les-energies-fossiles_6204825_3244.html

[2] Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole. (2022). OPEC annual statistical bulletin 2022. https://www.opec.org/opec_web/en/publications/4580.htm

[3] Trading Economics. (2024, 30 août). Crude oil production. https://fr.tradingeconomics.com/country-list/crude-oil-production

[4] Le Qatar a quitté l’OPEP en janvier 2019.

[5] Le pays a quitté l’OPEP en décembre 2023.

[6] Une offensive lancée par les armées égyptienne et syrienne lors de la fête juive du Yom Kippour surprend et bouscule les forces israéliennes. L’affrontement se termine le 25 octobre 1973 avec un cessez-le-feu qui sera suivi, en novembre, par un accord de désengagement entre les belligérants. Université de Sherbrooke. (2019). Création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/110

[7] Le Monde diplomatique. (2024.). Guerre des Six-Jours. https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/guerredessixjours

[8] Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. (2024). Les chocs pétroliers. https://www.economie.gouv.fr/facileco/chocs-petroliers

[9] Le Monde. (2006, 22 avril). Accord-cadre entre l’Arabie Saoudite et la Chine sur la coopération énergétique. https://www.lemonde.fr/economie/article/2006/04/22/accord-cadre-entre-l-arabie-saoudite-et-la-chine-sur-la-cooperation-energetique_764492_3234.html

[10] Le Monde. (2008, 17 décembre). L’OPEP prépare une baisse coup de poing de ses exportations pétrolières. https://www.lemonde.fr/economie/article/2008/12/17/l-opep-prepare-une-baisse-coup-de-poing-de-ses-exportations-petrolieres_1132032_3234.html

[11] Les Échos. (2015, 24 juin). Les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole en 2014. https://www.lesechos.fr/2015/06/les-etats-unis-sont-devenus-le-premier-producteur-mondial-de-petrole-en-2014-249501

[12] GEO. (2022, 20 octobre). La guerre en Ukraine chamboule les relations entre la Russie et l’Arabie Saoudite. https://www.geo.fr/geopolitique/guerre-ukraine-chamboule-relations-russie-arabie-saoudite-marche-petrole-opep-prix-production-220562

[13] L’Orient-Le Jour. (2023, 19 octobre). L’OPEP refuse d’imposer un embargo pétrolier réclamé par l’Iran. https://www.lorientlejour.com/article/1353868/lopep-refuse-dimposer-un-embargo-petrolier-reclame-par-liran.html

[14] NDLR : Jean Radvanyi et Marlène Laruelle, « L’Artique russe, un nouveau front stratégique », Les carnets de l’observatoire, éd. L’inventaire, 2024.

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

par Pierre-Emmanuel THomann* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°664 / décembre 2024

*Docteur en géopolitique

Une alliance de terroristes islamistes dont le noyau est le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en provenance d’Idlib, refuge pour les anciens djihadistes de Daesh[1], ont lancé une offensive en Syrie et conquis la ville d’Alep. Derrière ces djihadistes, il y a les intérêts géopolitiques des puissances : avant tout Ankara (soutien à HTS), mais aussi Tel-Aviv[2] et Washington[3] qui utilisent des proxys islamistes depuis 2011 pour provoquer un changement de régime en Syrie.

Derrière cette nouvelle offensive djihadiste, les rivalités géopolitiques entre puissances aboutissent à des objectifs variés. Pour Washington, le bénéfice de cette opération vise avant tout à ouvrir un nouveau front contre la Russie, pour tenter de ralentir la défaite inéluctable en Ukraine, mais aussi au Proche-Orient contre l’Iran. L’objectif est également d’accroître la conflictualité avec la Russie et ses alliés, pour torpiller l’objectif annoncé par Donald Trump de résoudre les conflits en cours.

Washington est responsable de l’affaiblissement de la Syrie par sa politique de sanctions, avec son occupation – avec les Kurdes – d’une partie du territoire au nord-est du pays et sa base militaire d’Al Tanf, au sud. Les États-Unis ont aussi pour objectif d’orienter l’expansionnisme turc vers les zones d’intérêt de la Russie en Syrie, au Caucase et en Asie centrale. La Turquie occupe une large bande de territoire syrien le long de sa frontière avec Damas, et cherche à élargir sa zone de contrôle contre les Kurdes. Tel-Aviv, soutenu par Washington, bombarde la Syrie depuis des années pour affaiblir la partie du pays loyale à Bachar el Assad, mais aussi le Hezbollah, d’où ses bombardements récents au Liban. L’objectif de Tel Aviv est d’affaiblir l’axe chiite Iran/Syrie/Liban. 

En toile de fond des crises multiples en Ukraine, en Géorgie (tentative de coup d’État en cours), à Gaza (épuration ethnique par Israël), au Liban (offensive de Tsahal), et maintenant en Syrie, c’est la lutte pour nouvel ordre géopolitique mondial qui s’exprime, tournant la page de l’ancien ordre spatial unipolaire américain.

La multiplication des conflits au Proche-Orient, dans le Caucase, en Ukraine et dans les Balkans, malgré leurs spécificités régionales, font partie d’un même théâtre mondial et sont situés dans les zones de confrontation géopolitique entre grandes puissances. Les États-Unis, dans le cadre de leur stratégie d’encerclement de la Russie, cherchent à provoquer la surextension de Moscou, doctrine explicitement préconisée par la Rand Corporation[4] afin que la Russie soit obligée de faire face à différentes menaces sur différents théâtres.

Tout conflit, ancien ou récent, est désormais aspiré dans cette lutte pour le contrôle des espaces géopolitiques entre les États-Unis, la Russie, la Chine et les puissances secondaires.  Au-delà des conflits autour des territoires et des populations, l’enjeu est la nouvelle architecture du système international : la Russie, l’Iran et la Chine, les autres États membres des BRICS et de l’Organisation de Shangaï (OCS) font la promotion d’un monde multipolaire qui s’oppose à celui que défendent les États-Unis, Israël et leurs alliés (OTAN-UE) qui cherchent à en torpiller l’émergence et, a minima, ralentir la mutation vers un nouvel ordre mondial plus équilibré. La Turquie, membre de l’OTAN, mais refusant les sanctions contre la Russie, joue sa propre carte entre les regroupements antagonistes.

L’obstacle principal a une résolution des crises multiples est donc de nature systémique, et tant qu’un nouvel ordre géopolitique plus multipolaire ne sera pas accepté par les États-Unis et leurs supplétifs de l’OTAN/UE, le conflit mondial s’élargira à de nouveaux théâtres et s’envenimera jusqu’au seuil d’une troisième guerre mondiale. 

Cette nouvelle offensive djihadiste en Syrie a été facilitée par les attaques de l’armée israélienne au Liban et en Syrie, pour affaiblir le Hezbollah depuis plusieurs semaines. Le groupe djihadiste HTS est l’héritier de Jabhat al-Nusra, sous-groupe d’Al-Qaïda qui avait fusionné avec l’État islamique mais s’en est détaché en 2014.

Il ne faut pas oublier que la Syrie, la Russie, le Hezbollah, et l’Iran avaient réussi à empêcher les djihadistes sunnites d’Al-Qaïda – soutenus par Washington, Londres, Paris, Tel Aviv, Ankara, Ryad, Doha et Amman – de prendre Damas et avaient aussi combattu l’État islamique. Aujourd’hui, nous assistons à une réactivation des terroristes pour relancer l’objectif de changement de régime. Toutefois, dans le monde arabe, l’Égypte[5] et l’Irak vont cette fois-ci soutenir la Syrie de Bachar el Assad.

Rappelons-nous le soutien de la CIA, non seulement aux djihadistes afghans[6], mais aussi aux bandéristes néonazis contre l’URSS pendant la Guerre froide[7]. Souvenons-nous de la stratégie de tension de la CIA, soupçonnée d’avoir organisé des attentats ayant tué des civils en Europe, afin d’entretenir les populations dans la peur du communisme, toujours dans le contexte de la Guerre froide[8]. Plus récemment, rappelons les changements de régimes organisés en ex-Yougoslavie, en Irak, en Libye et en Syrie[9], à l’occasion desquels Washington, Londres et leurs alliés, ont soutenu des mouvements islamistes. Enfin, souvenons-nous que depuis 2014, les extrémistes ukrainiens se considérant comme les héritiers de Stepan Bandera, mais aussi des mercenaires étrangers néonazis, ont servi de supplétifs pour atteindre les objectifs géopolitiques de Washington et Londres.

Au final, Washington (Grand Occident), Tel Aviv (Grand Israël), Ankara (panturquisme) et Kiev (nation antirusse) continuent de soutenir les terroristes sunnites pour atteindre leurs objectifs géopolitiques respectifs.

Washington en soutenant militairement les deux pivots, Israël (contre l’Iran) et l’Ukraine (contre la Russie), a pour objectif géopolitique de torpiller l’émergence du monde multipolaire et déstabilise l’Europe et le Proche Orient. La politique de terreur exercée par Washington (sabotage de Nord Stream) et son soutien aux djihadistes au Proche-Orient et aux extrémistes bandéristes et néonazis en Ukraine, est destinée à menacer et contraindre tout État qui serait tenté de s’émanciper de la tutelle américaine et de rejoindre le projet géopolitique multipolaire. 

Washington, Tel Aviv et Ankara sont donc des régimes qui pratiquent le terrorisme d’État et menacent à nouveau la sécurité européenne. Ce n’est pas nouveau, la guerre en Irak en 2003 promue par les néoconservateurs adeptes du suprémacisme américano-israélien, a abouti à la montée en puissance de l’État islamique. Ces États sont co-responsables des crises migratoires de ces dernières années et des attentats islamistes en France. Leurs tentatives de changement de régime en Syrie, depuis 2011, avec leurs proxys islamistes (soutenus par Londres et aussi malheureusement aussi par Paris) demeurent jusqu’à aujourd’hui infructueuses.

On l’a dit, les Etats-Unis et la Turquie occupent le territoire syrien depuis des années, ce qui leur permet d’entretenir des djihadistes pour leurs objectifs de déstabilisation, et aujourd’hui ouvrir un nouveau front.

Pour éviter que la Syrie ne tombe aux mains des djihadistes, et préserver la sécurité de l’Europe mais aussi de toute l’Eurasie, il est dans l’intérêt de la France que Bachar el Assad, la Russie et l’Iran réussissent à éliminer ces djihadistes. Si un régime islamiste parvenait à se hisser au pouvoir à Damas, une nouvelle crise migratoire surgirait et les attentats islamistes sur le sol européen seraient facilités.

 

 


[1] https://www.fabricebalanche.com/syrie/lemirat-islamique-didleb/

[2] https://mayenneaujourdhui.com/2024/11/30/le-role-disrael-dans-le-retour-du-terrorisme-en-syrie/

[3] Ömer Özkizilcik, Uniting the Syrian Opposition the Components of the National Army and the Implications of the Unification. Ce rapport de 2019 souligne le soutien militaire de Washington à l’opposition à la Syrie de Bachar el Assad, et notamment sa composante turque, sous le prétexte de combattre Daesh (https://www.setav.org/en/assets/uploads/2019/10/A54En.pdf).

[4] https://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB10014.html

[5] https://french.ahram.org.eg/NewsContent/1/130/57427/Egypte/Politique/L%E2%80%99Egypte-souligne-son-soutien-;-l%E2%80%99Etat-syrien-et-;.aspx

[6] https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/SOUCHON/54701

[7] ttps://mronline.org/2022/09/14/ukraine/

[8] https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20110501.RUE2092/quand-l-otan-tuait-des-civils-en-europe-pour-lutter-contre-l-urss.html

[9] https://cf2r.org/actualite/revelation-des-plans-secrets-de-la-cia-pour-la-destabilisation-de-la-syrie/

IIIème Guerre mondiale ou démonstrations de force avant les pourparlers ?

IIIème Guerre mondiale ou démonstrations de force avant les pourparlers ?


Conflit Russie-Ukraine et escalade militaire
Montage Le Diplomate

Par Alexandre Del Valle

IIIème Guerre mondiale ou démonstrations de force avant les pourparlers ?


Retour sur la décision du président américain sortant, Joe Biden, et de son homologue anglais, Keir Starmer, d’autoriser les forces armées ukrainiennes à utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadows contre l’Oblast russe de Koursk. Une décision qui a déclenché une riposte « appropriée » de Moscou assimilée à une menace nucléaire et à une  déclaration de guerre de la Russie aux pays de l’OTAN devenus de facto belligérants. 

Les 20 et 21 novembre derniers, Joe Biden et Kern Stammer ont autorisé l’Ukraine à utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadow capables d’atteindre 300 km pour frapper le territoire russe. La motivation officielle de cette décision aurait été de dissuader la Corée du Nord d’envoyer davantage de troupes et de faire dérailler la contre-attaque russe à Koursk, en train de porter ses fruits après un étrange retard. Et même la France, qui a déjà fourni des missiles à longue portée à l’Ukraine, a déclaré qu’autoriser Kiev à frapper des cibles militaires en Russie, voire même à envoyer une force européenne au sol, restait une option sur la table. De son côté, la président russe Vladimir Poutine a estimé qu’étant donné que les forces ukrainiennes ne peuvent pas utiliser les missiles occidentaux seules, elles ont forcément été appuyées par des spécialistes militaires des pays fournisseurs (Etats-Unis, Grande-Bretagne, etc) pour insérer les données de renseignement nécessaires au ciblage.

Ceci a entraîné la décision de Vladimir Poutine de riposter de façon « appropriée » en testant un missile « Oreshnik » RS26 de portée intermédiaire (IRBM) et hypersonique. Conçu pour emporter 6 ogives nucléaires, ce missile, lancé avec de simples explosifs conventionnels, a été testé et utilisé comme un avertissement quant à la capacité de Moscou à viser avec des armes nucléaires ou pas – et sur une distance de 5500 km – n’importe quel point de l’Ukraine et n’importe quelle capitale occidentale. En juin dernier, lors d’une réunion avec des représentants d’agences de presse internationales, alors que ces missiles occidentaux étaient déjà utilisés en Ukraine et en Crimée annexée contre des objectifs russes, Poutine avait déjà émis l’hypothèse que Moscou pourrait réagir en fournissant à son tour des missiles “dans les régions du monde d’où seront lancées des attaques sensibles sur les sites des pays qui fournissent des armes à l’Ukraine“. Ces derniers jours, cette menace s’est accentuée et se dirige désormais directement vers des cibles occidentales, d’où  le risque de « III guerre mondiale » agité par les médias et nombre de commentateurs. Maintes voix ont également exprimé leur étonnement concernant la décision de Biden de monter d’un cran le degré de belligérance alors que le peuple américain a voté pour un président élu ayant promis de faire la paix. Qu’en est-il vraiment ?

Premièrement, il faut garder à l’esprit que la guerre psychologique a toujours été partie intégrante de la guerre. De ce point de vue, deux mois avant que le supposé non-interventionniste Donald Trump entre en fonction (20 janvier), chaque camp, celui pro-Ukraine et la Russie, a intérêt à exercer des pressions maximales sur les dirigeants et les populations respectives, afin d’arriver à la table des négociations tant annoncées avec le meilleur rapport de force concret et psychologique. C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos menaçants des proches de Poutine qui ont avoué que le but est de faire « tressailler de peur » l’Occident (Kadyrov, Medvedev). Poutine lui-même a déclaré : « nous nous considérons pleinement fondés à employer nos armes contre les infrastructures militaires des pays qui autorisent l’usage des leurs contre nos propres installations (…). Je recommande vivement aux élites dirigeantes des pays qui envisagent de déployer leurs contingents militaires contre la Russie d’y réfléchir à deux fois », dans son discours de 8 minutes. Maniant le chaud et le froid, Vladimir Poutine a également dit dans son discours-avertissement, spécialement aux Anglais et aux Etats-Unis, mais aussi implicitement à la France, que la Russie serait « toujours prête, aujourd’hui encore, à résoudre tous les différends de cette manière » par le dialogue, mais en précisant que Moscou pourra « affronter tous les développements possibles que pourraient occasionner les événements en cours. Et si certains en doutent encore, ils ont bien tort de le faire. La Russie répliquera toujours »… La peur est en fait une arme qui peut s’avérer efficace, car, comme on l’a vu avec la victoire de Donald Trump et de sa nouvelle équipe, notamment Vence, Kennedy et Musk, on sait que la promesse de paix – et donc la peur de la guerre – a motivé nombre d’Américains démocrates et républicains à voter Trump afin d’éviter la « troisième guerre mondiale », expression-épouvantail d’ailleurs utilisée le 20 novembre par Trump Junior sur les réseaux sociaux. Il convient donc de relativiser la gravité certes réelle de la situation.

D’un autre côté, il serait imprudent de réduire les avertissements de Poutine à un simple bluff, car l’histoire regorge d’exemples selon lesquels les menaces et surenchères créent des engrenages guerriers infernaux. Toutefois, les dirigeants des deux camps, et même le soi-disant fou Kim Jong Un Guide suprême de Corée du Nord, ne sont pas des jihadistes candidats au suicide. Ils aiment la vie, la chair, le luxe, ont des familles, des intérêts et donc un désir de survie, comme l’expliquait inlassablement mon ami et maître le géostratège Pierre Marie Gallois, inventeur de la dissuasion nucléaire française dite « du faible au fort ». Ils n’ont donc pas l’intention de déclencher le feu nucléaire final, du moins jamais contre une autre alliance ou puissance nucléaire plus forte ou aussi forte qu’eux. Il est certes aussi vrai que la nouvelle doctrine nucléaire qui a été approuvée par Vladimir Poutine le 26 septembre dernier prévoit une éventuelle « réponse nucléaire contre tout pays qui attaquerait la Russie même s’il ne possède pas d’armes atomiques mais qui serait soutenu par des puissances nucléaires », ce qui est exactement le cas de l’Ukraine, aidée par des pays de l’Otan – dont trois sont des puissances nucléaires et d’autres abritent des ogives nucléaires. Toutefois, malgré la gravité apparente de la situation, il faut raison garder et rappeler qu’aucun déplacement d’ogive nucléaire stratégique n’a été  détecté pour le moment et que l’essai du missile hypersonique RS26 russe du 22 novembre a été effectué – comme un essai précédent en Sibérie d’ailleurs – après en avoir informé les Occidentaux afin qu’ils sachent qu’il ne s’agissait pas d’une attaque nucléaire tournée contre une capitale européenne ou ouest-américaine. De la même manière, en autorisant depuis des mois les Ukrainiens à frapper les forces russes avec des missiles de 250 à 300 km, les Occidentaux  ont toujours annoncé par avance leur décision de façon directe ou progressive, comme cela s’est passé avec les Storm Shadow et ATACMS américains, dans le cadre d’une « communication » stratégique et médiatique qui a à chaque fois laissé le temps aux troupes russes de se préparer et de déplacer hommes, munitions ou autres engins de guerre.

Le message de guerre psychologique de Vladimir Poutine, qui sait déjà que l’administration Trump pourrait lui laisser les terres ukrainiennes actuellement conquises – Crimée incluse – est de faire comprendre que c’est une erreur de penser qu’il bluffe et que l’on peut « désanctuariser » impunément le sol d’un pays nucléaire, comme cela s’est produit depuis le 6 août dernier avec l’incursion ukrainienne vers Koursk, et comme on le voit avec l’autorisation de frapper le sol russe sur un rayon de 300 km. De ce point de vue, la révision de la doctrine nucléaire puis l’essai du 22 novembre dernier sont destinés à réintroduire une effectivité de la dissuasion qui aurait été apparemment érodée. D’une certaine manière, on peut dire que Russes et Américains procèdent depuis des jours, plus encore qu’avant, à un « dialogue stratégique in vivo et in concreto ». La Russie a donc logiquement averti les États-Unis (via le Centre national russe pour la réduction des risques nucléaires), plus d’une demi-heure avant le lancement du missile hypersonique, dans le cadre d’un système d’échange automatique visant à « maintenir une communication constante » avec un système du camp adverse, selon les propres termes du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. 

Face aux capitales pro-ukrainiennes qui estiment que la sanctuarisation nucléaire du territoire russe peut être violée sans conséquences graves, alors que pendant toute la guerre froide l’OTAN n’a jamais tenté de pénétrer « l’étranger proche russe » ou foulé le sol des pays membres du Pacte de Varsovie, d’autres Etats – même pro-ukrainiens, comme l’Italie – prennent au sérieux les avertissements poutiniens : le ministre des Affaires étrangères transalpin, Antonio Tajani, a ainsi déclaré qu’il refusait que l’Ukraine utilise des armes italiennes sur le sol russe. De même, l’Allemagne, plus grand contributeur de l’UE à l’effort de guerre ukrainien, a confirmé par la bouche de son chancelier, Olaf Scholz, que les missiles de croisière Taurus ne seraient jamais fournis à Kiev. Mieux, Scholz a téléphoné à Poutine immédiatement après la chute de son gouvernement, en parlant de nécessité de dialogue, ceci au grand dam des pays les plus antirusses, la Pologne et les pays Baltes. Quant au trio Autriche-Slovaquie-Hongrie, ce dernier pays présidant l’UE jusqu’au 31 décembre et ayant présenté à Donald Trump un plan de paix en juin dernier, il ne veut absolument pas participer à l’escalade et souhaite continuer à bénéficier du gaz russe par oléoduc. Ce trio est d’accord sur ce point avec Angela Merkel qui a avoué dans ces mémoires, parues ces jours-ci, puis dans des interviews récentes, que l’économie allemande a besoin du gaz russe bon marché par gazoducs pour que son économie et son industrie demeurent compétitive. Le chancelier Scholz a ouvertement reconnu lui-même que la reprise des relations avec Moscou permettrait de sauver l’Allemagne d’une crise économique énergétique provoquée par les sanctions sur les hydrocarbures russes. Une vision partagée plus clairement encore non seulement par la droite allemande ultra de l’AFD mais aussi par la gauche souverainiste de Sarah Wangenknecht, les deux étant en pleine ascension électorale, surtout en Allemagne de l’Est, certes, mais de plus en plus dans d’autres Landers également. 

Deuxièmement, il convient de relativiser la potentielle escalade inhérente aux autorisations occidentales de frapper le territoire russe et à la riposte russe par le test du missile hypersonique. L’autorisation faite aux Ukrainiens d’utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadow contre le territoire russe ne changera pas plus la donne et les rapports de force que cela n’a été le cas lorsque ces armes ont été utilisées depuis des mois contre la Crimée et des forces russes dans le Donbass. Non seulement ces missiles ont souvent été abattus par la défense aérienne russe, mais ils ont été livrés en nombre très limités aux forces ukrainiennes. Par ailleurs, l’arrivée sur le front russe de militaires nord-coréens, qui a servi de prétexte à Washington pour justifier l’autorisation des ATACMS contre la Russie, a été exagérée par le camp pro-ukrainien, car si la présence de 10 000 soldats nord-coréens sans expérience du combat et armés de 70 canons et lance-roquettes est avérée, cela demeure infime par rapport aux 700 000 soldats russes au total équipés de 2 000 pièces d’artillerie sur la ligne de front. Et les reporters sur place le long du front ont plus vu de mercenaires colombiens que de Nord-Coréens. En réalité, pour ne pas avoir à trop dégarnir ses troupes en pleine progression dans l’Oblast de Doniesk, les forces russes tentent de récupérer les terres du sud occupées par les Ukrainiens dans l’oblast de Koursk avec le minimum de troupes du Donbass et le maximum de forces intérieures et de mercenaires. Enfin, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, et le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, ont souligné à quel point l’utilisation de l’ATACMS par les Ukrainiens était inutile puisque les aéroports russes et autres bases d’importance stratégique sont situés bien hors de leur portée.

Revenons maintenant sur le discours du maître du Kremlin, qui a insisté sur un point d’histoire que l’Occident, Washington et l’Otan ont du mal à admettre, à savoir que « ce n’est pas la Russie, mais les États-Unis qui ont détruit l’architecture internationale de sécurité et, en poursuivant leurs combats, s’accrochent désespérément à leur hégémonie, entraînant la planète entière dans un conflit global ». La référence aux casus belli de la proposition faite à l’Ukraine en 2008 d’adhérer à l’OTAN, des soutiens occidentaux aux révolutions ukrainiennes antirusses de 2004 et 2014 – sans oublier la question des missiles antimissiles américains installés en Pologne et en Roumanie, rentre certes dans le registre d’une propagande de guerre psychologique visant à renverser les rôles et accuser l’Occident du bellicisme dont Moscou est justiciable. Toutefois, le propos peut malgré tout convaincre d’autant plus efficacement certains occidentaux épris de paix qu’il contient une part de vérité susceptible d’enfoncer un coin dans l’unité occidentale et de susciter une certaine empathie dans les pays du Sud global. Enfin, concernant la volonté russe de produire à nouveau et en masse des missiles à portée intermédiaire (5500 km) pouvant frapper toutes les capitales occidentales, sauf l’Australie et la Nouvelle Zélande, Poutine a rappelé que leur  développement s’est effectué « en réponse aux programmes lancés par les États-Unis, consistant à produire et déployer en Europe et dans la région Asie-Pacifique leurs propres missiles de courte portée et de portée intermédiaire. Nous estimons que les États-Unis ont commis une erreur en 2019 lorsqu’ils ont déchiré, sur un prétexte fallacieux, le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Aujourd’hui, les États-Unis ne se contentent pas de produire de tels équipements  : ils ont entrepris, dans le cadre de leurs exercices militaires, le transfert de ces systèmes avancés vers différentes régions du monde, notamment en Europe, sans compter qu’ils s’entraînent à leur utilisation lors de leurs manœuvres ». L’allusion au projet de George Bush jrentre 2004 et 2008 de prépositionner dans toute l’Europe de l’Est des missiles et anti-missiles américains pouvant annuler la capacité d’interception ou de riposte russe (option certes réduite ensuite par Barak Obama à la Roumanie avant que la Pologne fasse de même en 2024), est ici évidente et participe aussi d’une tentative de renverser l’accusation de bellicisme originel. Du point de vue de Bruxelles et Washington, il s’agit là d’un pur narratif poutinien qui, même si l’extension de l’OTAN vers l’est et l’ingérence pro-démocratique en Ukraine sont indéniables, ne justifie aucunement la guerre d’agression russe en Ukraine et l’annexion de territoires d’un pays voisin dont Moscou avait reconnu à maintes occasion l’indépendance et les frontières depuis 1991.

En guise de conclusion : la paix annoncée par Donald Trump est-elle compromise pour autant ?

Pas forcément ! Premièrement parce que l’intensification des menaces et utilisations d’armes toujours plus efficaces et dissuasives des deux côtés du front ne signifie pas forcément une entrée dans la III -ème guerre mondiale, même si le risque n’est pas nul, mais rentre dans le contexte des dernières avancées et démonstrations de capacités de nuisance de part et d’autre avant l’ouverture prochaine de négociations annoncées par l’Administration Trump. Ensuite, il faut rappeler que, paradoxalement, cette montée en puissance – apparemment très inquiétante et « co-belligène – arrive dans un contexte global de possibles négociations imminentes. Il faut « tout faire pour mettre fin à la guerre en 2025 par la diplomatie en partant d’’une Ukraine forte’, a ainsi déclaré le président Volodymyr Zelensky, alors qu’il avait fait criminaliser dans la loi ukrainienne pareille idée et qu’il excluait toute négociation territoriale dans son fameux « plan de victoire ». Il a même été jusqu’à saluer parmi les premiers la victoire de Donald Trump et sa vision de la « paix par la force » et voit dans la nouvelle administration la perspective de sortir de la guerre par le haut, afin que cela n’apparaisse pas comme une trahison de sa part comme une décision du protecteur américain. Ceci en échange, bien sûr, de garanties pour l’avenir de la part des Etats-Unis, de l’OTAN et de l’UE. De son côté, Vladimir Poutine – lors de l’entretien téléphonique avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, le 15 novembre dernier, a réitéré qu’un éventuel accord pour la fin du conflit doit “se baser sur les nouvelles réalités territoriales”, ou plutôt sur ce que Moscou a réalisé jusqu’à présent. Ceci paraissait totalement inacceptable et inaudible il y a encore un ou deux mois, et a fortiori durant l’été, lorsque l’Ukraine réussissait une incroyable percée en terre russe vers Koursk,  mais elle est hélas devenue totalement réaliste pour les nationalistes ukrainiens maintenant qu’elle est au cœur du plan de paix du président américain élu et que les rapports de force sont nettement en faveur de l’armée russe, avec une progression accélérée dans l’oblast de Doniesk, partout  sur la ligne de front, puis même dans l’Oblast de Koursk, où les troupes ukrainiennes reculent et subissent de lourdes pertes d’ailleurs peu médiatisées. Après l’appel téléphonique avec Scholz, le Kremlin a rappelé que Poutine – dans un discours au ministère des Affaires étrangères – a posé le retrait des forces ukrainiennes des quatre régions partiellement occupées (Donetsk, Lougansk, Zaporhizhia et Kherson) comme condition d’un cessez-le-feu. Or cette option é été clairement acceptée par Donald Trump, son vice-président J.D. Vence et la quasi-totalité de son équipe, néo-cons y compris, dont Marco Rubio. En fait, le plan de paix de Trump, qui s’est appuyé en partie sur celui présenté par Victor Orban en juillet dernier, prévoit des régions autonomes de chaque côté d’une zone démilitarisée, le renvoi dans au moins vingt ans de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ; une neutralisation totale du pays, des garanties de ne jamais redevenir une puissance nucléaire et une base de l’empire rival US, et un abandon des territoires russophones en cours de conquête par la Russie et annexés à cet effet. Il est clair que pour voir le jour, ce plan théoriquement inacceptable par Kiev, passe par une remise en question totale du “plan de victoire” de Zelensky qui a parlé au contraire d’”une invitation” de l’Alliance comme base fondamentale de la paix » …. Le président ukrainien devrait donc non seulement se dédire, donc s’auto délégitimer, mais il devrait agir en contravention non seulement du droit ukrainien mais surtout de la Constitution ukrainienne, laquelle interdit tout abandon de souveraineté, inscrit dans le marbre l’adhésion du pays à l’OTAN au plus vite, et assimile à une forfaiture le simple fait de vouloir changer la constitution sous l’influence directe ou indirecte de forces étrangères.

Pour ce qui est du « dindon de la farce » qu’est l’Union européenne, première victime des sanctions, en pleine récession, obligée de payer son gaz 3 à 5 fois plus cher que les États-Unis, et sur qui va peser le fardeau financier de la reconstruction de l’Ukraine, le plan Trump prévoit qu’elle  devra prendre la place des États-Unis sur le front de l’aide militaire, ce qui impliquera de multiplier par deux les contributions annuelles – à ce jour autour de 20 milliards, soutenues en grande partie par l’Allemagne – et à un moment où, par ailleurs, l’économie n’est pas au mieux… Face au réalisme cynique du plan Trump, que d’aucuns comparent déjà aux accords de Munich signés avec Hitler par l’Anglais Neville Chamberlain en 1938, notamment, pour éviter en vain une guerre et en se déshonorant, l’effondrement de Kiev n’est pas une option pour de nombreux États membres de l’OTAN et de l’UE. Cela représenterait en effet, selon Bruxelles et les grandes capitales européennes, surtout les Pays-Baltes, la Roumanie et la Pologne, une menace existentielle pour leur sécurité, avec à la clef un double risque d’encourager la Russie à recommencer sa politique expansionniste dans l’avenir une fois son armée reposée et renforcée, puis d’autres pays aux appétits impérialistes à faire de même. En outre, les services de renseignement occidentaux estiment que si le pays se retrouvait aux mains des Russes, 10 millions d’Ukrainiens pourraient fuir vers l’Europe, avec un exode aux proportions bibliques. Un vrai dilemme « paix maintenant » versus « si vis pacem para bellum ». Un vrai casse-tête pour l’avenir de l’UE et la crédibilité de l’Alliance atlantique, mais que les partisans de l’America First sont déterminés à résoudre avec le triomphe de la Realpolitik et des accords bilatéraux sur les logiques multilatérales et les alliances globales désormais fragiles et inquiètes du risque d’arrêt brutal de leurs logiques d’expansion permanente et existentielles, bien que belligènes…

Sénégal : la commémoration du massacre de Thiaroye, un dossier aux forts enjeux mémoriels et diplomatiques

Sénégal : la commémoration du massacre de Thiaroye, un dossier aux forts enjeux mémoriels et diplomatiques

80 ans après le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le Sénégal commémore ce drame historique. Entre hommage et quête de vérité, des zones d’ombre demeurent.

Par Clémence Cluzel – Le Point –

https://www.lepoint.fr/afrique/senegal-la-commemoration-du-massacre-de-thiaroye-un-dossier-aux-forts-enjeux-memoriels-et-diplomatiques-01-12-2024-2576813_3826.php

 

L'affiche annonçant les commémorations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, au Sénégal, le dimanche 1er décembre 2024. 
L’affiche annonçant les commémorations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, au Sénégal, le dimanche 1er décembre 2024.  © Sylvain Cherkaoui/AP/SIPA

Le moment est historique et solennel pour le Sénégal en ce 1er décembre. Pour la première fois, à l’occasion des quatre-vingts ans de cette tuerie, l’État sénégalais commémore le massacre de Thiaroye, survenu au camp militaire du lieutenant Amadou Lindor Fall de Thiaroye, en banlieue de Dakar, le 1er décembre 1944. Ce jour-là, les tirailleurs sénégalais (des soldats originaires des colonies françaises d’Afrique subsaharienne ayant combattu pour la France lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale) sont massacrés sur ordre d’officiers français. Le tort de ces anciens prisonniers de guerre détenus dans des camps allemands sur le sol français, en attente depuis le 21 novembre au camp de Thiaroye de pouvoir rentrer chez eux ? Avoir réclamé leur prime ainsi que leurs arriérés de solde. Selon la version officielle, cette « mutinerie » aurait causé 35 décès. Un chiffre largement remis en cause par des historiens qui l’estiment plutôt à des centaines de morts.

C’est devant les 103 tombes in memoriam du cimetière du camp, entouré de plusieurs dirigeants (notamment africains à l’instar du président mauritanien également président de l’Union africaine), que le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye rend un hommage appuyé à ces tirailleurs. Une commémoration à laquelle assiste également le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, représentant de la France. Le 28 novembre, le président Emmanuel Macron, dans une lettre adressée au président sénégalais, avait reconnu un « massacre », un mot auparavant jamais officiellement prononcé, les autorités françaises préférant parler de « mutinerie », au mieux de « répression sanglante » pour évoquer ce crime colonial. Une avancée considérable sur ce dossier sensible, mais est-ce pour autant la fin d’une bataille mémorielle entre les deux pays et l’assurance de faire la lumière sur cette journée du 1er décembre 1944 ?

Mémoire entravée et confisquée

« C’est un grand pas », s’est félicité Bassirou Diomaye Faye, sans omettre de pointer « la chappe de plomb » imposée par la France pendant des décennies sur ce pan de l’Histoire. Pendant quatre-vingts ans, c’est cette version officielle d’une mutinerie qui sera défendue et relayée par l’État français, quitte à modifier les documents pour tenter de masquer les preuves du massacre et corroborer le récit national. « Un mensonge d’État sur une ignominie », dénonce l’historienne Armelle Mabon*, qui travaille depuis plus de vingt ans sur le sujet et réclame la fin de l’omerta. Au-delà du nombre de victimes sous-estimé, qui oscillerait entre 300 et 400, trente-quatre tirailleurs ont également été condamnés, accusés d’être les instigateurs de cette révolte, avant d’être amnistiés deux ans plus tard (deux d’entre eux sont décédés en prison) sans indemnités. Pour avoir remis en cause l’histoire officielle, le film Camp de Thiaroye (1988) du cinéaste Ousmane Sembene sera longtemps censuré et interdit de diffusion, en France comme au Sénégal. « C’est une reconnaissance bien tardive. La mémoire a été entravée pendant des années », réagit Mamadou Diouf à cette lettre. L’historien, professeur à l’université de Columbia (New York), est aussi le président du comité chargé de l’organisation de la commémoration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.

Depuis 2004, la célébration d’un hommage aux tirailleurs massacrés était portée par des associations ou les familles des victimes, avec peu de retentissement dans la population et sans aucun soutien de l’État. « Il est très clair que les politiciens qui se sont succédé depuis l’indépendance ont subi une pression qui a fait qu’ils étaient plus ou moins indifférents à Thiaroye et qu’ils n’ont pas essayé de commémorer ou rendre hommage aux tirailleurs », exception faite d’Abdoulaye Wade qui a instauré la journée du tirailleur (le 23 août), explique l’historien. Le nouveau pouvoir amorce donc un virage et une rupture nette avec l’attitude conciliante des prédécesseurs qui cherchaient à éviter toute remise en cause pour ne pas froisser la France. Le président sénégalais et son Premier ministre, Ousmane Sonko, défendant un programme souverainiste, veulent inscrire cet épisode tragique dans l’histoire nationale. « Le pouvoir a choisi Thiaroye pour signaler la nature de son engagement au souverainisme, mais aussi comme un engagement pour partager une histoire à venir, celle de la solidarité et de l’unité africaine », développe M. Diouf.

Le massacre est en effet une tragédie partagée par plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée). Dans cette vision panafricaniste, les prochaines commémorations du massacre de Thiaroye doivent ainsi être des co-organisations africaines. Les problématiques continuent cependant de faire obstacle à cette recherche de vérité. Il a fallu attendre dix ans après la remise de la copie des archives françaises au Sénégal en 2014 à la suite du discours de François Hollande, pour que ces dernières puissent être consultées par le comité de commémoration du massacre de Thiaroye… Mais surtout, l’obstruction délibérée de la France dans l’accès à ses archives persiste de nos jours.

Des zones d’ombre et histoire réappropriée

« Il y a eu la volonté délibérée de la France de dissimuler les archives. François Hollande n’a pas remis toutes celles disponibles », déplore Mamadou Diouf. Et parmi celles manquantes figurent les informations essentielles telles que le nombre de victimes, les lieux où elles ont été enterrées… autant de manques qui entretiennent des zones d’ombre. Car sans informations sur les lieux d’inhumation, impossible par exemple de lancer des travaux de fouille… « Ce que nous voulons, c’est la vérité et toute la vérité sur ce qu’il s’est passé ce matin-là. Le Sénégal demande tout simplement d’avoir accès à toute la documentation pour pouvoir engager une recherche et éclairer l’événement afin d’établir les faits », insiste-t-il. Du côté de l’administration française, on assure que tous les documents ont été transmis et que ceux manquants sont soit perdus soit brûlés.

En attendant, le comité a dressé une liste des archives identifiées comme étant en possession de la France et y a envoyé une délégation du 18 au 28 novembre pour faire un état des lieux. Passée par Morlaix, Aix-en-Provence ou encore Rennes, elle a déniché plusieurs actes de décès de tirailleurs sénégalais à l’hôpital de Dakar entre 1944 et 1945. Des découvertes qui font avancer le travail de recherche scientifique et de collecte des données entrepris par le comité de commémoration dont la deuxième mission consiste à établir les faits. Le comité doit remettre un livre blanc, qui recensera les conclusions de ses travaux ainsi que des recommandations, en avril 2025. Une sous-commission sera également chargée de collecter les demandes de révision et de réparation. « Les réparations ne sont pas seulement financières, mais aussi morales », souligne Mamadou Diouf.

Ces obstacles pour accéder aux archives relancent le débat sur le récit historique des événements et la bataille mémorielle qui en découle. « Ce travail nous permet de reprendre le contrôle de notre récit historique, de se le réapproprier pour produire le nôtre et ne plus avoir un récit exclusivement contrôlé par les vainqueurs. On aura un récit qui permettra d’éclairer de manière plurielle un événement », plaide-t-il. Un colloque scientifique est ainsi organisé du 2 au 3 décembre à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar avec comme thème « Enjeux historiographiques, fictions et imaginaires » pour poursuivre cette réflexion. Axe également central pour l’inscription dans le récit national, le volet transmission est en chantier. Le programme scolaire sénégalais ne fait pas mention du massacre de Thiaroye. « Il est capital que les populations puissent s’approprier cette histoire, il faut investir dans la jeunesse. Les jeunes sont engagés pour faire reconnaître cette histoire, cela donne de l’espoir », se félicite Dieynaba Sarr, professeur de français au lycée de Thiaroye, qui sur son temps libre mène des ateliers d’information sur cet événement avec des élèves de son établissement.

Vers une refonte des relations franco-africaines

Ces dernières années, la pression s’était accentuée sur la France pour demander des actes forts dans la reconnaissance du massacre à travers plusieurs mesures, dont en dernier lieu l’octroi en juin dernier de la mention « morts pour la France » à six tirailleurs sénégalais du camp de Thiaroye. Une avancée notable comme une brèche dans le mensonge d’État français qui avait relancé le débat, après la vive critique d’Ousmane Sonko à l’encontre de la France. Un grain de sable qui a continué d’enrayer un peu plus le mécanisme de la version officielle, toujours autant décriée. En France, une demande pour la création d’une commission d’enquête parlementaire a été proposée et devrait prochainement être déposée auprès de l’Assemblée nationale. Le but de cette commission, que les signataires désirent nommer « Ousmane Sembene », est d’obtenir la reconnaissance pleine et entière du massacre, l’accès à l’ensemble des archives pour le Sénégal et permettrait également la poursuite des personnes ayant fait obstruction aux faits. « Cela fait huit décennies que ce massacre pèse sur la mémoire sénégalaise, française et les relations entre les deux pays. Le temps est venu, il faut en finir avec ce silence beaucoup trop lourd », rapportait le député LFI Aurélien Taché, parmi les initiateurs de la proposition. La reconnaissance du massacre souligne plus encore les incohérences et manquements du dossier. « Si la France parle de massacre, c’est qu’elle n’a plus le choix. Elle se trouve dans une situation où elle est obligée d’engager la discussion. Il y a une évolution contrainte, mais il ne faut pas lire cela comme le Sénégal en train de faire pression sur la France ou contre la France », précise Mamadou Diouf. La reconnaissance par Emmanuel Macron fait espérer à Bassirou Diomaye Faye un engagement « franc, collaboratif et entier » de la France.

« Elle est obligée de coopérer avec les peuples africains et de les aider dans l’accès à la vérité. Il y a une revendication à la justice et à la souveraineté, les rapports ont changé. Pour le bien des échanges entre nos deux pays, elle doit revoir sa considération et son rapport », appuie Dieynaba Sarr. Derrière l’aspect mémoriel de ce dossier, ce sont en effet des enjeux diplomatiques qui sont en ligne de mire. Il s’agit des rapports Sénégal-Afrique, mais aussi des relations Afrique-France. La jeunesse africaine, désireuse d’un changement de paradigme, rejette la politique française et désire rompre avec la Françafrique. Et dans un contexte où la France entretient des relations très orageuses avec ses anciennes colonies, particulièrement dans les pays du Sahel, le massacre de Thiaroye pourrait s’ajouter aux griefs en cas d’immobilisme des autorités françaises. « Les enjeux aujourd’hui sont liés à la mondialisation et à ses conséquences en termes de relations économiques, politiques, culturelles, mais aussi des relations produites par toutes les questions qui sont liées à la migration, à l’intensification du racisme et de la xénophobie. Dans le recentrage de ces pays se joue toute la question de la souveraineté, politique et économique, avec des relations qui se distendent et sont en train d’être révisées pour se repositionner dans un monde en pleine transformation », analyse Mamadou Diouf.

La question des îles Éparses et l’importance stratégique du canal de Mozambique (1ère partie)

La question des îles Éparses et l’importance stratégique du canal de Mozambique (1ère partie)

Paul Villatoux (*) – Esprit Surcouf – publié le 15 novembre 2024

https://espritsurcouf.fr/geopolitique_la-question-des-iles-eparses-et-l-importance-strategique-du-canal-de-mozambique_par_paul-villatoux/


Ce secteur spécifique de l’Océan indien est largement méconnu en France. Pourtant, alors que la zone indo-pacifique est à nouveau au cœur de rivalités géostratégiques, il témoigne d’une importance loin d’être négligeable dont l’auteur nous révèle toutes les spécificités.

Parmi les nombreux points de passage considérés comme cruciaux pour le trafic maritime international dans la zone Indo-Pacifique, le canal de Mozambique est sans doute l’un des plus négligés.

Un espace géographique distinctif

Les raisons de ce relatif désintérêt tiennent à différents facteurs. Parmi ceux-ci, on peut signaler une certaine forme de polarisation sur la zone plus au nord du détroit de Bab el-Mandeb qui relie la mer Rouge au golfe d’Aden. Il convient également d’ajouter que le canal de Mozambique, espace considéré parfois comme périphérique, n’est pas une voie obligée, son contournement par l’Est ne posant pas de problème insurmontable. Enfin, plus généralement, il ne faut sans doute pas sous-estimer le fait que les États-Unis, en plaçant une limite aux côtes occidentales de l’Inde à leur définition de l’Indo-Pacifique, ont participé à une certaine forme de marginalisation de cette zone.

Cependant, depuis environ une quinzaine d’années, le canal de Mozambique retrouve progressivement son statut de point de passage stratégique, tout en concentrant un certain nombre de foyers de tensions qui caractérisent l’Indo-Pacifique aujourd’hui : tensions sécuritaires du fait de la présence de multiples activités illégales (piraterie, pêche illicite, trafics en tous genres, etc.) et de la montée de l’islamisme radical dans le Nord du Mozambique ; tensions géopolitiques dans le cadre des rivalités régionales (quatre pays le bordent – Mozambique, Comores, France et Madagascar en sont riverains) et du déploiement de la stratégie d’influence de la Chine dans l’est africain que lui conteste l’Inde ; tensions économiques enfin consécutives à l’exploitation encore timide des richesses halieutiques et pétro-gazières dont regorgent ou regorgeraient les fonds et sous-sols marins de la région.

Or, cet espace maritime, véritable « espace réticulaire » (réseaux de toutes sortes), revêt une importance toute particulière pour la France qui y concentre un ancrage insulaire certes modeste en superficie émergée, mais qui lui offre une position privilégiée dans le cadre du contrôle de l’espace maritime. La principale caractéristique de cet ancrage est de s’inscrire dans une histoire ancienne et particulièrement mouvementée en raison des conflits de souveraineté qui opposent la France à plusieurs acteurs régionaux.

 Si l’on excepte Mayotte, 4 écueils, baptisés administrativement « îles Éparses » nous intéressent ici :

  • L’archipel des Glorieuses, à 220 km de Madagascar, qui concentre un peu plus de 7 km² de terres émergées, est la plus septentrionale des îles Éparses. Elle se compose de deux îles coralliennes : Grande Glorieuse au sud-ouest et l’île du Lys au nord-est – et d’un ensemble de platiers récifaux de faible étendue – les Roches Vertes – situés entre les deux.
  • Juan de Nova située à 150 km de Madagascar, au milieu de la partie la plus resserrée du canal de Mozambique, à mi-chemin des extrémités nord et sud. Sa superficie est de seulement 5 km².
  • Dans la partie sud du canal de Mozambique, à 380 km à l’ouest de Madagascar, Bassas da India est une formation quasi circulaire pratiquement recouverte en intégralité par la mer à marée haute, avec un lagon intérieur peu profond dans lequel se trouvent des bancs et des têtes de coraux.
  • Enfin, à moins de 130 km au sud-est de Bassas da India et à 350 km de Madagascar, l’île Europa est la plus méridionale, mais aussi, avec ses 28 km² de terres émergées, la plus grande des Éparses. Elle possède un lagon intérieur en voie de comblement dans lequel baigne une mangrove primaire.

 

On a l’habitude d’inclure dans ce groupe d’îles l’îlot de Tromelin à l’Est de Madagascar, mais, situé en dehors du canal de Mozambique, nous ne nous y intéresserons pas dans le cadre de cette communication.

Au-delà de leurs différences, ces petites îles ont en commun un certain nombre de caractéristiques communes :

  • Elles appartiennent à la même aire géographique et ont des traits géographiques qui se retrouvent dans d’autres îles, notamment les îles extérieures des Seychelles.
  • Elles abritent une faune et une flore remarquables, certaines espèces étant endémiques.
  • Elles sont dépourvues d’eau potable, à l’exception pour certaines d’elles de vagues puits d’eau saumâtre.

L’objectif de cette étude est de tenter de mieux cerner les enjeux qui se rattachent à la zone du canal de Mozambique sous l’angle de la question des îles Éparses qui constitue l’un plus des anciens et des plus épineux dossiers auquel doit faire face la diplomatie française depuis plus de cinquante ans. Pour ce faire, nous aborderons le sujet en trois grands volets : le premier s’intéressera à la dimension stratégique de la question ; le deuxième abordera l’angle diplomatique et militaire tandis que le troisième s’efforcera de rendre compte de sa dimension économique et environnementale et des enjeux qui s’y rattachent.

La dimension stratégique

Cet aspect de la question pourrait se résumer par la formule : « Les îles Éparses doivent à leur position géographique une importance que ni leur taille ni leurs richesses réelles ou supposées ne peuvent leur conférer. »

Rappelons, en préambule, que le canal de Mozambique mesure 1 600 kilomètres de long, pour 419 kilomètres de large en son point le plus étroit. Ce vaste espace maritime s’étend donc sur presque de 900 000 kilomètres carrés, à des profondeurs allant jusqu’à 3 200 m. Véritable trait d’union entre Madagascar et la côte africaine, il est à la fois un lieu d’échange depuis des siècles et le couloir de pénétration privilégié par les Européens en route vers les Indes. Privilégié, mais non exclusif, car comme nous le rappelions en introduction, le contournement de Madagascar a toujours été possible (ce que les Portugais appelaient au XVIe siècle « la route du dehors » par opposition à la « route du dedans ») au prix d’un jour voire un jour et demi de mer en plus (en fonction de la saison et des vents favorables conditionnés par le mécanisme de la mousson : la mousson d’été souffle de l’Afrique orientale vers l’Inde, la mousson d’hiver souffle en direction inverse). Pour autant le canal s’est rapidement imposé comme une voie de communication internationale et une plaque tournante essentielle pour le commerce reliant le Moyen-Orient, l’Inde et l’Asie de l’Est à l’Europe et au Brésil.

Historiquement, contrôler les îles Éparses, c’est donc contrôler des points de relâche puis d’appui le long du canal de Mozambique. Ces ancrages insulaires servent ainsi pendant des siècles de lieux de traite pour des réseaux de contrebande.

Un premier tournant intervient en novembre 1869 avec l’ouverture du canal de Suez qui bouleverse les grandes voies de communication maritimes entre l’Europe et l’Orient, réduisant d’environ 8 000 km la route entre l’Europe et l’Asie. Il ne faut ainsi plus que 18 jours de mer pour rejoindre Madagascar contre 45 jours auparavant, rendant les trajets moins aléatoires. Si le trafic se déporte en grande partie vers le golfe d’Aden, il se maintient cependant dans des proportions moindres pour des flux secondaires.

Lorsque la France prend possession des îlots du canal de Mozambique entre août 1892 et août 1897, il s’agit pour elle de parachever son maillage de points d’appui et de protection dans cette sous-région de l’océan Indien après les prises de possession de Mayotte et de l’archipel des Comores entre 1841 et 1886, l’installation à Diégo-Suarez en 1885 et enfin la colonisation de Madagascar par la loi du 6 août 1896. Ces îles ne bénéficient alors d’aucun mouillage digne de ce nom et l’idée qui prévaut alors est de pouvoir disposer autour de la Grande Île malgache d’un « glacis protecteur » (c’est l’expression employée à l’époque face aux appétits britanniques. Ces derniers se concentrent cependant plus au nord avec la volonté de sécuriser la route vers l’Inde, perle de leur Empire, et le Moyen-Orient via la Méditerranée, Suez et le golfe d’Aden.

Divers facteurs vont jouer par la suite pour redonner une importance stratégique à cette zone et faire des îles Éparses des points d’appui non négligeables. Il en est ainsi du développement de l’aviation commerciale après la Grande Guerre et du défrichement des premières lignes aériennes. Juan de Nova, opportunément placée au centre du canal, est ainsi choisie pour accueillir une piste d’atterrissage de secours dès 1934, dans le cadre de la mise en place de la liaison aéropostale entre Tananarive et Paris. L’aménagement de pistes semblables à Europa (1950) et à Glorieuses (1965) n’est réalisé qu’après la Seconde Guerre mondiale, dans le prolongement de la mise en place de stations météorologiques destinées tout autant à prévenir l’arrivée des cyclones tropicaux qu’à manifester concrètement une présence française sur ces terres isolées.

Mais le retour au premier plan de la zone du canal de Mozambique sur le plan stratégique s’inscrit dans le développement spectaculaire de la production pétrolière du Moyen-Orient qui passe de 53 millions de tonnes en 1950 à 500 millions de tonnes à la fin de la décennie suivante. La crise de Suez, qui n’éclate à l’été 1956, provoque une fermeture temporaire du canal, faisant prendre conscience de la vulnérabilité de ce dernier et de la nécessité de conserver un contrôle étroit sur l’ancienne route du Cap, véritable voie de secours en cas de détournement du trafic maritime. Ces conceptions gagnent en crédibilité à la suite de la guerre des 6 jours, entraînant une fermeture du canal de Suez en juin 1967 qui se prolonge jusqu’en juin 1975. Le contournement désormais obligé du cap de Bonne Espérance renforce ainsi le caractère stratégique des positions situées à proximité ou à l’intérieur même du canal de Mozambique, d’autant que la hausse brutale des cours du pétrole en 1973 incite à surveiller très étroitement le trafic et la stabilité des flux maritime dans la zone. Les îles Éparses apparaissent ainsi comme de véritables sentinelles avancées sur la route du pétrole.

Mieux encore : la réouverture du canal de Suez en 1975 ne correspond pas pour autant à un effondrement du trafic dans le canal en raison du développement spectaculaire des pétroliers géants (supertankers) de plus 200 000 tonnes qui, à sa réouverture, ne peuvent pas emprunter le canal de Suez. Et même si ce dernier a été agrandi et modernisé à plusieurs reprises, notamment en 2015, pour permettre le passage de navire de plus gros tonnage, le canal de Mozambique continue de voir transiter aujourd’hui 30 % du trafic maritime pétrolier, soit plus de 5 000 navires par an[i].

Le contexte international joue enfin un rôle essentiel. L’abandon de la plupart des bases militaires britanniques « à l’est de Suez » à la fin des années 1960 et au début des années 1970 et la poussée soviétique vers les mers chaudes[ii] se traduisent par une montée en puissance des États-Unis dans la zone sud de l’Océan indien – on pense ici à l’aménagement de la base de Diego Garcia[iii]. Cette recomposition pousse la France à sauvegarder dans la région un maillage de points d’appui particulièrement précieux, dans un contexte où la décolonisation française en Afrique s’achève dans l’océan Indien avec la rupture entre Madagascar et Paris en 1973 puis l’indépendance des Comores en 1975 et enfin celle de Djibouti deux ans plus tard avec cependant le maintien dans la corne de l’Afrique de facilités militaires. La France sauvegarde ainsi sa position de puissance régionale bien positionnée pour contrôler le canal du Mozambique et articuler un système stratégico-militaire constitué du triangle Djibouti-Iles Eparses-Mayotte-Réunion. C’est globalement cette posture qu’elle s’efforce de conserver par la suite en s’adaptant à l’évolution géopolitique internationale, notamment à la suite de l’accélération des événements liés à la guerre froide. C’est ainsi que le repositionnement français dans la région passe par une ouverture à l’ensemble de la sous-région du sud de l’océan Indien en tissant des liens avec des pays qui jusqu’alors faisaient peu – ou pas du tout – partie de sa zone d’influence traditionnelle, qu’il s’agisse du Botswana, du Malawi, du Mozambique, de la Tanzanie, de la Zambie ou des Seychelles. Une fois sa géographie militaire stabilisée, Paris cherche surtout à s’inscrire dans un cadre régional de gouvernance dont témoigne la participation de la France, à partir de 1986, à la Commission de l’océan indien (COI), qui regroupe les représentants de Madagascar, de Maurice, des Seychelles et des Comores, participe de cette volonté de Paris d’affermir sa légitimité régionale et de conforter sa souveraineté sur cet espace autour et à l’intérieur du canal de Mozambique.

La dimension diplomatique et militaire

Pour autant, la question du litige territorial est loin d’être réglée, les îles Éparses comme Mayotte n’étant pas inclus dans le champ de coopération de la COI. Celle-ci renvoie à la période du processus de décolonisation de Madagascar en 1960. À la veille de la prise d’indépendance de la Grande Île, le gouvernement français décide, par le biais d’un simple décret daté du 1er avril 1960, de détacher en toute discrétion les îles Éparses administrativement afin de les placer sous l’autorité du ministre des DOM-TOM, le préfet de La Réunion étant chargé de les administrer. Leur statut est alors incertain, en marge du cadre institutionnel français, ces îles étant considérées comme des domaines privés de l’État à l’accès réglementé. Laissée longtemps dans l’ignorance, la jeune République malgache s’insurge dès les années 1960 contre ce qu’elle considère comme une mesure de captation unilatérale ne respectant pas les frontières héritées de la colonisation. Toutefois, c’est en 1973, au moment du retrait français de Madagascar, que la contestation des autorités malgaches issues de la révolution de mai 1972 se fait plus vigoureuse sous l’impulsion de Didier Ratsiraka qui s’attache à faire amorcer un virage progressiste à la Grande Île

La tension à propos de ces îles monte brusquement d’un cran en novembre 1973, en plein choc pétrolier et quelques semaines après la fin de la guerre du Kippour. Convaincu de l’imminence d’un coup de force malgache sur les îles Glorieuses, le gouvernement français décide la mise en place de garnisons militaires d’une quinzaine de parachutistes et de légionnaires des Forces armées de la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) assistés d’un gendarme sur les 3 îles d’Europa, de Juan de Nova et des Glorieuses. Ces détachements sont relevés tous les 45 jours suivant un processus logistique relativement lourd : situées à 1 800 km de La Réunion, les îles reçoivent un certain nombre d’aménagements nécessaires à leur ravitaillement (piste d’atterrissage, bâtiments de vie et d’entrepôt, citernes…). Ce dispositif de nature essentiellement dissuasif est complété par le déploiement régulier de moyens maritimes dans la zone du canal de Mozambique, notamment dans le cadre de la surveillance et du contrôle du trafic maritime sur la route du Cap, chapeauté par un commandement opérationnel sous les ordres d’un amiral commandant la zone de l’océan Indien.

Or, si sur le plan militaire la tension s’apaise quelque peu au fil des ans, même si le survol de la Grande Île reste interdit aux avions de l’armée de l’Air, le contentieux franco-malgache se joue, à partir de la fin des années 1970, sur le terrain diplomatique. L’objectif d’Antananarivo est de porter le litige sur la scène internationale et de faire condamner la France qui subit coup sur coup deux revers diplomatiques en décembre 1979 et décembre 1980 par le biais du vote de deux résolutions de l’ONU invitant « le gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles ». C’est incontestablement au cours de la décennie 1979-1989 que le différend franco-malgache sur les îles Éparses connaît son apogée, d’autant que l’exemple de la crise des Malouines au printemps 1982 incite naturellement à la vigilance. Pour autant, la fin de la guerre froide et la reprise des relations militaires franco-malgaches au début des années 1990 permettent aux forces armées des deux pays d’entamer une période de coopération fructueuse qui se concrétise rapidement par l’organisation d’exercices bilatéraux et un très actif programme d’assistance militaire. Des projets de cogestion sur les îles sont même initiés dès 1999 par le président Chirac, mais ne déboucheront jamais sur des mesures concrètes.

À dire vrai, à cette date, la question de la souveraineté des îles Éparses semble avoir perdu une grande partie de sa pertinence, alors même que, côté malgache, les problèmes de politique intérieure de la première moitié des années 1990 – crise institutionnelle, économie sinistrée, autosuffisance alimentaire non assurée, déforestation accélérée – font passer au second plan le traitement de ce dossier. Du côté français, ce climat de détente se traduit par l’automatisation progressive des stations de la météorologie nationale, entre avril 1999 et septembre 2001 et même une velléité de retrait des détachements militaires en 2009. Le projet s’inscrit ainsi dans un continuum de décisions dont l’une des plus spectaculaires est le rattachement – en 2 temps 2005 puis 2007 – des îles Éparses aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) en tant que 5e district de cette entité, permettant de leur conférer un statut officiel et définitif.

Plusieurs facteurs vont pourtant bousculer le schéma apaisé qui se dessine à la fin des années 2000. Le premier est avant tout opérationnel dans la mesure où une menace nouvelle fait brusquement son apparition dans la zone du canal de Mozambique : la lutte contre la piraterie – essentiellement somalienne – autour de la Corne de l’Afrique, est en passe de provoquer une déstabilisation de la région. Entreprise en 2008, l’opération militaire maritime européenne « Atalante » dans le golfe d’Aden a pour effet indirect de repousser les pirates dans le sud de l’océan Indien. Aperçus non loin des Seychelles, des groupes de pirates sont même repérés dans les parages de l’archipel des Glorieuses en septembre 2009. Cette menace d’une possible installation de base aérienne par les pirates somaliens n’incite naturellement pas à initier un processus de désengagement. En outre, le canal de Mozambique est de plus en plus en proie à des trafics illicites en tous genres, notamment de drogue : « Le canal du Mozambique fait partie de la route sud de l’héroïne qui relie les zones de production afghanes à l’Afrique australe ». Il en est de même pour la pêche illégale, notamment de concombres de mer, qui attire de nombreuses embarcations agissant pour des commanditaires asiatiques dont certaines n’hésitent pas parfois à narguer les détachements militaires qui ont été dotés de Zodiac pour intervenir au-delà des littoraux afin de lutter plus efficacement contre ce fléau[iv].

Zone concurrentielle, le canal de Mozambique demeure enfin un espace profondément instable. La menace djihadiste, avec la montée de l’islamisme dans les pays d’Afrique de l’Est et notamment au Mozambique depuis 2017[v], constitue ainsi un risque majeur de déstabilisation régionale. La présence militaire française sur les îles Éparses, de par son ancienneté et sa remarquable continuité, apparaît à cet égard comme l’un des rares facteurs de stabilité au sein d’un espace « fragmenté dans son intériorité par les îles qui en font un puzzle de souverainetés » et « écartelé entre plusieurs aires d’influence, politiques, culturelles et marchandes »[vi]. Il est ainsi symptomatique de constater que ce sont précisément les orces des FAZSOI, chargées de se relayer sur les Éparses depuis près de 50 ans, qui, en mars 2021, ont été mis en alerte dans le cadre d’une intervention sur le Mozambique voisin, en proie à une insurrection islamique menée par le groupe Al-Shabab (lié à l’État islamique) dans la province de Cabo Delgado. L’intervention est finalement annulée au dernier moment. Un an plus tard, une équipe de cette même unité est finalement projetée au Mozambique dans le cadre d’un déploiement original mêlant engagement opérationnel et formation des forces militaires locales à la lutte anti-terroriste. Annick Girardin, alors ministre de la Mer, ne s’en est pas cachée : les 300 millions d’euros versés au titre de la coopération bilatérale avec le Mozambique vont « permettre de protéger les îles Éparses et les intérêts de notre pays dans le canal ».

Enfin, dernier facteur important dans la décision du maintien des détachements militaires, la crise politique que connaît la Grande Île en 2009 provoque une forte rancœur à l’égard de la France et ravive les vieux souvenirs de la « Françafrique ». La question des îles Éparses devient un thème important de la politique intérieure malgache, sa médiatisation étant en partie assurée sur les réseaux sociaux et par le biais de la diaspora malgache à l’étranger. Or, sans aucun doute, ce retour du « refoulé » sur les Éparses n’est-il pas étranger aux nouvelles convoitises économiques qui se manifestent. Les revendications malgaches pour la restitution des îles Éparses sont d’autant plus vigoureuses que s’affirment d’autant plus que les discussions entre le Royaume-Uni et l’île Maurice sur la restitution de l’archipel des Chagos (57 îles) a débouché sur un accord le 3 octobre 2024, après un demi-siècle de litiges. Le président malgache Andry Rajoelina ne s’y est pas trompé en invitant les autorités françaises à faire de même  (cf interview au Figaro datée du 11 octobre 2024).

 

À suivre …


[1] Le blocage du canal de Suez pendant six jours en mars 2021 ou la menace que fait peser la rébellion houthi sur son fonctionnement continuent de rappeler l’importance de l’ancienne route du Cap.

[1] L’Union soviétique recherche des points d’appui pour permettre à sa marine de guerre d’étendre son influence politique en direction des mers chaudes (on a parlé à l’époque de « chasse aux îles ») et la poussée des pays du bloc de l’Est se fait sentir tout au long des années 1970 : Madagascar, l’Éthiopie, le Mozambique, la Somalie ou la Tanzanie se sont rapprochés de l’URSS ou de la Chine. La marine soviétique se voit octroyer des facilités de relâche dans certains ports, qu’il s’agisse de l’île Maurice, de Socotra (Yémen) ou de Zanzibar, où son influence économique et politique apparaît grandissante.

[1] Il s’agit pour eux, à la veille de l’allègement de leur dispositif au Vietnam, d’organiser des positions de repli leur permettant de sauvegarder leurs intérêts dans cette partie du monde.

[1] En janvier 2014, un équipage de quinze Malgaches parvient même à débarquer sur Juan de Nova avant d’être rejeté à la mer. Quelques semaines plus tard, le 29 mars, cinq navires et 112 pêcheurs font irruption dans le lagon de Juan de Nova avant d’être arraisonnés par la frégate Nivôse appuyée par le détachement du 2e RPIMa, avec près d’une tonne d’holothuries saisies et rejetées à la mer.

[1] Le Mozambique fait face depuis octobre 2017 à de violentes attaques de la part d’un groupe militant islamiste appelé Ahlu Sunna Wal-Jamaa (les gens de la tradition du Prophète et du Consensus).

[1] Olivier Vallée, « Le canal du Mozambique : un espace géocritique », Le Grand Continent, 15 avril 2021, https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/15/le-canal-du-mozambique-un-espace-geocritique/

[i] Le blocage du canal de Suez pendant six jours en mars 2021 ou la menace que fait peser la rébellion houthi sur son fonctionnement continuent de rappeler l’importance de l’ancienne route du Cap.

[ii] L’Union soviétique recherche des points d’appui pour permettre à sa marine de guerre d’étendre son influence politique en direction des mers chaudes (on a parlé à l’époque de « chasse aux îles ») et la poussée des pays du bloc de l’Est se fait sentir tout au long des années 1970 : Madagascar, l’Éthiopie, le Mozambique, la Somalie ou la Tanzanie se sont rapprochés de l’URSS ou de la Chine. La marine soviétique se voit octroyer des facilités de relâche dans certains ports, qu’il s’agisse de l’île Maurice, de Socotra (Yémen) ou de Zanzibar, où son influence économique et politique apparaît grandissante.

[iii] Il s’agit pour eux, à la veille de l’allègement de leur dispositif au Vietnam, d’organiser des positions de repli leur permettant de sauvegarder leurs intérêts dans cette partie du monde.

[iv] En janvier 2014, un équipage de quinze Malgaches parvient même à débarquer sur Juan de Nova avant d’être rejeté à la mer. Quelques semaines plus tard, le 29 mars, cinq navires et 112 pêcheurs font irruption dans le lagon de Juan de Nova avant d’être arraisonnés par la frégate Nivôse appuyée par le détachement du 2e RPIMa, avec près d’une tonne d’holothuries saisies et rejetées à la mer.

[v] Le Mozambique fait face depuis octobre 2017 à de violentes attaques de la part d’un groupe militant islamiste appelé Ahlu Sunna Wal-Jamaa (les gens de la tradition du Prophète et du Consensus).

[vi] Olivier Vallée, « Le canal du Mozambique : un espace géocritique », Le Grand Continent, 15 avril 2021, https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/15/le-canal-du-mozambique-un-espace-geocritique/


(*) Paul Villatoux est docteur en histoire des relations internationales et habilité à diriger des recherches. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages et de plusieurs centaines d’études, d’articles et de communications sur l’histoire militaire et le monde contemporain. Il est par ailleurs rédacteur en chef des magazine Gazette des Armes et Action et responsable éditorial des éditions Mémorabilia.

La question des îles Éparses et l’importance stratégique du canal de Mozambique (2ème partie)

La question des îles Éparses et l’importance stratégique du canal de Mozambique (2ème partie)

Paul Villatoux (*) – Esprit Surcouf – publié le 29 novembre 2024
https://espritsurcouf.fr/geopolitique_la-question-des-iles-eparses-et-l-importance-strategique-du-canal-de-mozambique_par_paul-villatoux_291124/


Suite et fin de l’étude proposée sur l’espace indopacifique spécifique que constituent les îles Eparses.

La dimension diplomatique et militaire

Pour autant, la question du litige territorial est loin d’être réglée, les îles Éparses comme Mayotte n’étant pas inclus dans le champ de coopération de la COI. Celle-ci renvoie à la période du processus de décolonisation de Madagascar en 1960. À la veille de la prise d’indépendance de la Grande Île, le gouvernement français décide, par le biais d’un simple décret daté du 1er avril 1960, de détacher en toute discrétion les îles Éparses administrativement afin de les placer sous l’autorité du ministre des DOM-TOM, le préfet de La Réunion étant chargé de les administrer. Leur statut est alors incertain, en marge du cadre institutionnel français, ces îles étant considérées comme des domaines privés de l’État à l’accès réglementé. Laissée longtemps dans l’ignorance, la jeune République malgache s’insurge dès les années 1960 contre ce qu’elle considère comme une mesure de captation unilatérale ne respectant pas les frontières héritées de la colonisation. Toutefois, c’est en 1973, au moment du retrait français de Madagascar, que la contestation des autorités malgaches issues de la révolution de mai 1972 se fait plus vigoureuse sous l’impulsion de Didier Ratsiraka qui s’attache à faire amorcer un virage progressiste à la Grande Île. La tension à propos de ces îles monte brusquement d’un cran en novembre 1973, en plein choc pétrolier et quelques semaines après la fin de la guerre du Kippour. Convaincu de l’imminence d’un coup de force malgache sur les îles Glorieuses, le gouvernement français décide la mise en place de garnisons militaires d’une quinzaine de parachutistes et de légionnaires des Forces armées de la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) assistés d’un gendarme sur les 3 îles d’Europa, de Juan de Nova et des Glorieuses. Ces détachements sont relevés tous les 45 jours suivant un processus logistique relativement lourd : situées à 1 800 km de La Réunion, les îles reçoivent un certain nombre d’aménagements nécessaires à leur ravitaillement (piste d’atterrissage, bâtiments de vie et d’entrepôt, citernes…). Ce dispositif de nature essentiellement dissuasif est complété par le déploiement régulier de moyens maritimes dans la zone du canal de Mozambique, notamment dans le cadre de la surveillance et du contrôle du trafic maritime sur la route du Cap, chapeauté par un commandement opérationnel sous les ordres d’un amiral commandant la zone de l’océan Indien.

Or, si sur le plan militaire la tension s’apaise quelque peu au fil des ans, même si le survol de la Grande Île reste interdit aux avions de l’armée de l’Air, le contentieux franco-malgache se joue, à partir de la fin des années 1970, sur le terrain diplomatique. L’objectif d’Antananarivo est de porter le litige sur la scène internationale et de faire condamner la France qui subit coup sur coup deux revers diplomatiques en décembre 1979 et décembre 1980 par le biais du vote de deux résolutions de l’ONU invitant « le gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles ». C’est incontestablement au cours de la décennie 1979-1989 que le différend franco-malgache sur les îles Éparses connaît son apogée, d’autant que l’exemple de la crise des Malouines au printemps 1982 incite naturellement à la vigilance. Pour autant, la fin de la guerre froide et la reprise des relations militaires franco-malgaches au début des années 1990 permettent aux forces armées des deux pays d’entamer une période de coopération fructueuse qui se concrétise rapidement par l’organisation d’exercices bilatéraux et un très actif programme d’assistance militaire. Des projets de cogestion sur les îles sont même initiés dès 1999 par le président Chirac, mais ne déboucheront jamais sur des mesures concrètes.

À dire vrai, à cette date, la question de la souveraineté des îles Éparses semble avoir perdu une grande partie de sa pertinence, alors même que, côté malgache, les problèmes de politique intérieure de la première moitié des années 1990 – crise institutionnelle, économie sinistrée, autosuffisance alimentaire non assurée, déforestation accélérée – font passer au second plan le traitement de ce dossier. Du côté français, ce climat de détente se traduit par l’automatisation progressive des stations de la météorologie nationale, entre avril 1999 et septembre 2001 et même une velléité de retrait des détachements militaires en 2009. Le projet s’inscrit ainsi dans un continuum de décisions dont l’une des plus spectaculaires est le rattachement – en 2 temps 2005 puis 2007 – des îles Éparses aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) en tant que 5e district de cette entité, permettant de leur conférer un statut officiel et définitif.

Plusieurs facteurs vont pourtant bousculer le schéma apaisé qui se dessine à la fin des années 2000. Le premier est avant tout opérationnel dans la mesure où une menace nouvelle fait brusquement son apparition dans la zone du canal de Mozambique : la lutte contre la piraterie – essentiellement somalienne – autour de la Corne de l’Afrique, est en passe de provoquer une déstabilisation de la région. Entreprise en 2008, l’opération militaire maritime européenne « Atalante » dans le golfe d’Aden a pour effet indirect de repousser les pirates dans le sud de l’océan Indien. Aperçus non loin des Seychelles, des groupes de pirates sont même repérés dans les parages de l’archipel des Glorieuses en septembre 2009. Cette menace d’une possible installation de base aérienne par les pirates somaliens n’incite naturellement pas à initier un processus de désengagement. En outre, le canal de Mozambique est de plus en plus en proie à des trafics illicites en tous genres, notamment de drogue : « Le canal du Mozambique fait partie de la route sud de l’héroïne qui relie les zones de production afghanes à l’Afrique australe ». Il en est de même pour la pêche illégale, notamment de concombres de mer, qui attire de nombreuses embarcations agissant pour des commanditaires asiatiques dont certaines n’hésitent pas parfois à narguer les détachements militaires qui ont été dotés de Zodiac pour intervenir au-delà des littoraux afin de lutter plus efficacement contre ce fléau[i].

Zone concurrentielle, le canal de Mozambique demeure enfin un espace profondément instable. La menace djihadiste, avec la montée de l’islamisme dans les pays d’Afrique de l’Est et notamment au Mozambique depuis 2017[ii], constitue ainsi un risque majeur de déstabilisation régionale. La présence militaire française sur les îles Éparses, de par son ancienneté et sa remarquable continuité, apparaît à cet égard comme l’un des rares facteurs de stabilité au sein d’un espace « fragmenté dans son intériorité par les îles qui en font un puzzle de souverainetés » et « écartelé entre plusieurs aires d’influence, politiques, culturelles et marchandes »[iii]. Il est ainsi symptomatique de constater que ce sont précisément les orces des FAZSOI, chargées de se relayer sur les Éparses depuis près de 50 ans, qui, en mars 2021, ont été mis en alerte dans le cadre d’une intervention sur le Mozambique voisin, en proie à une insurrection islamique menée par le groupe Al-Shabab (lié à l’État islamique) dans la province de Cabo Delgado. L’intervention est finalement annulée au dernier moment. Un an plus tard, une équipe de cette même unité est finalement projetée au Mozambique dans le cadre d’un déploiement original mêlant engagement opérationnel et formation des forces militaires locales à la lutte anti-terroriste. Annick Girardin, alors ministre de la Mer, ne s’en est pas cachée : les 300 millions d’euros versés au titre de la coopération bilatérale avec le Mozambique vont « permettre de protéger les îles Éparses et les intérêts de notre pays dans le canal ».

Enfin, dernier facteur important dans la décision du maintien des détachements militaires, la crise politique que connaît la Grande Île en 2009 provoque une forte rancœur à l’égard de la France et ravive les vieux souvenirs de la « Françafrique ». La question des îles Éparses devient un thème important de la politique intérieure malgache, sa médiatisation étant en partie assurée sur les réseaux sociaux et par le biais de la diaspora malgache à l’étranger. Or, sans aucun doute, ce retour du « refoulé » sur les Éparses n’est-il pas étranger aux nouvelles convoitises économiques qui se manifestent. Les revendications malgaches pour la restitution des îles Éparses sont d’autant plus vigoureuses que s’affirment d’autant plus que les discussions entre le Royaume-Uni et l’île Maurice sur la restitution de l’archipel des Chagos (57 îles) a débouché sur un accord le 3 octobre 2024, après un demi-siècle de litiges. Le président malgache Andry Rajoelina ne s’y est pas trompé en invitant les autorités françaises à faire de même dans une interview au Figaro datée du 11 octobre 2024.

La dimension économique

Avouons-le d’emblée : le facteur économique compte pour très peu dans l’intérêt que suscitent à l’origine les petites îles du canal de Mozambique. Tout bascule au début des années 1970 grâce à l’émergence du nouveau droit de la mer en lien avec la notion de « zone économique exclusive ». Celle-ci repose sur la possibilité de tirer profit des ressources naturelles de toutes sortes dans les eaux et le sous-sol entourant les littoraux sur une zone pouvant s’étendre jusqu’à 200 milles nautiques (environ 370 km). Cette zone est évidemment sans rapport avec la superficie terrestre d’une île et prend une importance qui ne fait que croître à mesure que cette île est éloignée d’autres rivages. C’est précisément suivant ce principe que la France institue des ZEE au large des côtes de chacune des îles Éparses en février 1978. Ces délimitations, aussitôt contestées par Madagascar et donc non officiellement reconnues sur le plan international[iv], offrent ainsi à la France un peu plus 360 000 km² pour seulement 42 km² de terres émergées[v], soit près de la moitié de la surface du canal si l’on ajoute Mayotte (74 000 km²).

Cette initiative ouvre alors de nouvelles perspectives aux autorités françaises sur le plan économique :

  • Celle de faire de ces îles des sentinelles avancées sur la « route du pétrole » en s’offrant même la possibilité d’interdire de passage certains navires (à condition de disposer et d’investir en moyens adéquats en matière de surveillance aéronavale). Pour l’heure, dans l’attente de l’arrivée des nouveaux patrouilleurs outre-mer (POM) de 1 300 tonnes en 2025, deux frégates de surveillance et un patrouilleur basés à La Réunion et le détachement encore insuffisant d’un Falcon 50M sont les principaux moyens déployés, trop limités compte tenu de l’immensité de la zone à couvrir.
  • -Celle de délivrer à des navires français, mais aussi étrangers des licences pour exploiter les ressources halieutiques dans la zone dont on estime, à la fin des années 1970, qu’elle permettrait la pêche d’environ 40 000 tonnes de thon par an. Des licences ont ainsi été accordées au coup par coup à des flottilles japonaises dès 1979, principalement pour des raisons politiques : la reconnaissance implicite d’une grande puissance industrielle de la souveraineté française sur les îlots du canal de Mozambique. En réalité, il n’en reste pas moins que, sur un plan strictement économique, les retombées de l’exploitation de la ressource halieutique demeurent toujours modestes pour différentes raisons parmi lesquelles l’éloignement des installations frigorifiques du port de la Pointe des Galets à La Réunion de la zone de pêche. Une relance de l’activité a cependant été entamée dans la seconde moitié des années 2000 grâce à l’expertise des TAAF, mais suivant un modèle exemplaire de « pêche durable et raisonnée »[vi]. Un modèle qui se veut au fond l’exact contraire de ce qui est aujourd’hui pratiqué dans le canal de Mozambique où la surpêche risque prochainement de mettre en péril le renouvellement des stocks, notamment de thons pour lesquels la demande mondiale est en constante augmentation. Le Mozambique et Madagascar accueillent ainsi chaque année un nombre croissant de navires chinois qui, face à l’épuisement relatif des stocks de poissons près des côtes chinoises, n’hésitent plus désormais à réaliser des campagnes prolongées dans le canal de Mozambique, ce qui motive en partie le soutien de Pékin aux revendications de Madagascar sur les îles Éparses[vii]. L’épuisement des stocks dans le canal du Mozambique, notamment des grands migrateurs comme les thons, risque en effet d’accentuer à l’avenir la pression de pêche illégale dans les ZEE françaises.
  • Enfin, parmi les perspectives nouvelles, la plus prometteuse reste bien évidemment la possibilité d’exploiter le sous-sol marin des ZEE des îles Éparses, potentiellement riche en hydrocarbure (gaz et pétrole) et en nodules polymétalliques (hydroxydes de fer et de manganèse).

Ce dernier aspect est celui qui attire aujourd’hui les plus grandes convoitises dans le canal de Mozambique. C’est ainsi que des gisements offshores ont été découverts entre 2010 et 2013 au large du Mozambique, suscitant l’intérêt des grands groupes pétroliers et gaziers mondiaux, dont Total Energies. C’est d’ailleurs le groupe français qui assure la mise en œuvre du projet d’exploitation de gaz à Cabo Delgado, au nord du Mozambique malgré une situation sécuritaire très dégradée du fait de l’insurrection islamiste en cours. Les réserves seraient estimées à plus de 500 milliards de mètres cubes de gaz et entre 6 milliards et 12 milliards de barils de pétrole, attisant les convoitises chinoises, mais aussi russes. Les Chinois, dont 80 % des importations énergétiques transitent par l’océan Indien et pour lesquels le canal de Mozambique est le prolongement naturel de la « route maritime de la soie », ont tissé des liens économiques importants avec certains États riverains, au premier rang desquels le Mozambique[viii] et surtout Madagascar[ix], qui abrite une diaspora chinoise qui s’élève à 100 000 personnes, et dont elle est devenue le premier partenaire commercial. Elle finance ainsi des infrastructures, notamment portuaires et militaires suivant une approche de type « collier de perles », tout en développant une habile politique d’influence grâce à un activisme diplomatique très actif et une offre de coopération institutionnelle dans des domaines aussi divers que la santé, éducation, agriculture, culture, sécurité, etc. La Russie enfin mène avec doigté, depuis plusieurs années, une politique d’influence ciblée, notamment en direction de Madagascar, en lui apportant son soutien sur le dossier des îles Éparses en 2015 puis en 2022. Ces formes d’ingérence ciblées vont de pair avec un sentiment diffus de déclassement de la France, savamment entretenu par les réseaux d’influence russes, au cœur d’une région faisant pourtant partie de la sphère d’influence traditionnelle de Paris. Couvrant par sa ZEE près de la moitié de la superficie totale du canal, la France apparait comme l’un des principaux bénéficiaires potentiels de la manne pétrolière et gazière dans la zone. En décembre 2008, des licences d’exploration offshore au large de Juan de Nova sont même accordées à des entreprises pétrolières tandis que deux autres demandes de permis de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux sont déposées pour la ZEE d’Europa. Les premières campagnes de forages exploratoires sont lancées entre décembre 2012 et mars 2013, les licences étant prolongées en décembre 2015 puis en 2018. Toutefois, en février 2020, le programme, sur lequel subsistent de nombreuses incertitudes (existence, profondeur des gisements), a été brusquement abandonné dans le cadre de la mise en application de la loi du 30 décembre 2017, mettant « fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures ».

Cette décision – et c’est ainsi que nous conclurons – répond officiellement à la volonté française de sanctuariser les îles Éparses pour les consacrer à la recherche scientifique ainsi qu’à la préservation de l’environnement et de la biodiversité[x]. Alors même qu’une partie de ces îles bénéficie depuis 2021 d’un classement en réserve nationale naturelle avec l’ambition, à terme, de l’étendre à l’ensemble du district, les autorités françaises s’appuient désormais sur « un droit environnemental » pour justifier de leur occupation. Lors de sa visite aux Glorieuses en 2019 (la première d’un président de la République), le président Macron avait ébauché à cet égard un discours consistant à conférer à la France, sur ces îlots, une forme de devoir vis-à-vis du reste du monde : « On n’est pas là pour s’amuser, mais pour bâtir l’avenir de la planète. » Ce narratif s’inscrit ainsi dans un véritable processus de « Soft Power », fondé sur les principes de développement durable et de gestion raisonnée des ressources halieutiques. Les îles Éparses constituent aujourd’hui l’une des clés de voûte de ce modèle, au cœur d’un espace qui cumule les fragilités et les vulnérabilités, qu’il s’agisse des trafics, de la surpêche, des tensions géopolitiques et sécuritaires ou des convoitises en matière de ressources énergétiques. De par son ancienneté et sa remarquable continuité, la présence française apparaît à cet égard comme l’un des rares facteurs de stabilité au sein d’un espace « fragmenté » par les îles « qui en font un puzzle de souverainetés » et « écartelé entre plusieurs aires d’influence, politiques, culturelles et marchandes »[xi]. Le risque est évidemment celui de l’isolement, d’où la nécessité d’inscrire son discours à destination des autres puissances régionales et territoires insulaires dans une volonté de multiplier les efforts multilatéraux. Le récent projet franco-malgache de réhabilitation de l’ancien port stratégique de Diego-Suarez, au nord du canal de Mozambique, participe de cet effort.

Cette ambition implique donc le maintien d’une contribution appréciable à la stabilité stratégique de la région et, au-delà de son soft power, ce sont avant tout ses capacités militaires qui font de la France encore aujourd’hui un acteur majeur dans le sud de l’océan Indien. Les îles Éparses conservent ainsi leur présence militaire et continuent donc à jouer le rôle de points d’appui au cœur du canal de Mozambique dans le cadre d’un maillage régional permettant à la France de projeter des unités lorsque cela lui paraît nécessaire dans le cadre de crises régionales.


[i] En janvier 2014, un équipage de quinze Malgaches parvient même à débarquer sur Juan de Nova avant d’être rejeté à la mer. Quelques semaines plus tard, le 29 mars, cinq navires et 112 pêcheurs font irruption dans le lagon de Juan de Nova avant d’être arraisonnés par la frégate Nivôse appuyée par le détachement du 2e RPIMa, avec près d’une tonne d’holothuries saisies et rejetées à la mer.

[ii] Le Mozambique fait face depuis octobre 2017 à de violentes attaques de la part d’un groupe militant islamiste appelé Ahlu Sunna Wal-Jamaa (les gens de la tradition du Prophète et du Consensus).

[iii] Olivier Vallée, « Le canal du Mozambique : un espace géocritique », Le Grand Continent, 15 avril 2021, https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/15/le-canal-du-mozambique-un-espace-geocritique/

[iv] Notons que le seul accord passé par la France pour sa ZEE des îles Éparses est celui du 19 février 2001 avec les Seychelles relatif à la délimitation de la frontière maritime de la zone économique exclusive et du plateau continental entre les îles Glorieuses et du Lys et les îles d’Assomption et Astove. Précisons cependant que l’Union européenne a conclu en 2001 un accord de pêche avec Madagascar précisant les limites de la « zone de pêche malgache » qui prend en considération les zones sous juridiction française du canal de Mozambique et de Tromelin, avec toutefois quelques légers chevauchements entre la ligne d’équidistance figurant sur les cartes françaises et cette zone de pêche.

[v] Bassas da India (123 700 km²) + Europa (127 300 km²) + Juan de Nova (61 050 km²) + Glorieuses (48 350 km²) = 360 400 km². 3,27 % des 11 millions de km² de ZEE française.

[vi] Pour la campagne 2020-2021, 18 thoniers senneurs ont été autorisés à pêcher dans ces ZEE, auxquels s’ajoutent trois palangriers français et 6 navires auxiliaires.

[vii] Dans ses « scénarios noirs de l’armée française » élaborés en mars 2023, l’hebdomadaire L’Express imagine la possibilité d’un coup de force sur les îles Glorieuses en août 2028 par le biais d’un « patrouilleur malgache secondé par une frégate chinoise », en réponse à des « tirs de sommation français » faisant suite à la pénétration dans les eaux de la ZEE des Éparses de navires chinois. « Scénario 3 : Madagascar reprend les îles Éparses », in Clément Daniez, Étienne Girard et Alexandra Saviana, « La guerre est déclarée. Les scénarios noirs de l’armée française », L’Express, n° 3739, 2 mars 2023, p. 23. Ce scénario est par la suite développé sous la forme d’une vidéo mise en ligne le 11 août 2023 : https://www.youtube.com/watch?v=6lg0FDAFsaM&t=213s

[viii] On évalue les créances chinoises du Mozambique à environ 2,2 milliards de dollars, soit près de 15 % de la dette extérieure du pays. Voir : « Le canal du Mozambique : luttes d’influence pour un passage stratégique en devenir », Brèves Marines, n° 246, Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM).

[ix] En 2017, la France, troisième fournisseur de la Grande Île, a vu sa part de marché diminuer (6,4 % contre 6,9 % en 2016). Elle est devancée par l’Inde (9,3 %) et reste loin derrière la Chine (18,6 %). Tristan Coloma et Quentin René François Ygorra, Le canal du Mozambique : un espace de compétition crisogène, Notes de l’Ifri, Ifri, juin 2022, p. 27.

[x] D’autres facteurs ont pu jouer, parmi lesquels le risque d’instabilité juridique lié à la contestation non résolue du litige territorial avec Madagascar. Le chercheur magache Johary Ravaloson pointe ainsi le fait que ces investissements, « situés dans un territoire contesté, étaient menacés, d’une part, par les risques de face à face des souverainetés pouvant produire des black swans [effets de surprise] issus de la concurrence de permis, à l’instar de ceux délivrés pour la pêche dans la zone Tromelin et, d’autre part, par la prise en compte d’intérêts jusque-là négligés du droit des investissements internationaux, comme ceux de l’environnement mais également des communautés locales. Les sociétés américaines South Atlantic Petroleum et Marex Petroleum détentrices de permis français d’exploitation auraient pu être acculées devant une juridiction américaine, par exemple, pour atteinte aux intérêts d’une communauté locale, les pêcheurs nomades Vezo qui fréquentent traditionnellement la zone. La Cour Suprême des États Unis reconnaît en effet une voie de recours aux étrangers pour obtenir réparation des préjudices subis à cause de la conduite des entreprises américaines contraire au droit international, coutumier ou conventionnel, où que celles ci se trouvent ; sans que cela soit nécessaire de se prononcer sur une quelconque souveraineté. »

[xi] Olivier Vallée, « Le canal du Mozambique : un espace géocritique », Le Grand Continent, 15 avril 2021, https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/15/le-canal-du-mozambique-un-espace-geocritique/


(*) Paul Villatoux est docteur en histoire des relations internationales et habilité à diriger des recherches. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages et de plusieurs centaines d’études, d’articles et de communications sur l’histoire militaire et le monde contemporain. Il est par ailleurs rédacteur en chef des magazine Gazette des Armes et Action et responsable éditorial des éditions Mémorabilia.

Face à Poutine et après Trump, européaniser la dissuasion française ?

Face à Poutine et après Trump, européaniser la dissuasion française ?

Perspectives sur l’actualité Guerre

La guerre d’Ukraine a ouvert un nouveau contexte stratégique et établi un nouveau modèle pour les conflits d’agression que la Russie pourrait mener à l’avenir face à l’espace européen.

Alors que l’Europe se prépare à entrer dans la deuxième ère Trump, la France doit trouver les moyens d’éviter à la fois la guerre et la soumission.


La guerre d’Ukraine, par sa durée et l’ampleur des pertes que subissent les belligérants, marque le retour en Europe des conflits conjuguant ampleur et durée, destructions matérielles et pertes humaines avec, pour un des deux belligérants, un enjeu de survie nationale. Alors que la nation ukrainienne lutte pour son existence face à l’agression russe, la France semble doublement à l’abri d’un tel risque.

D’une part grâce à sa situation « d’île stratégique » qui la voit en paix durable et confraternelle avec l’ensemble du continent européen, ce qui lui confère une profondeur stratégique historiquement inédite. D’autre part, grâce à sa dissuasion nucléaire nationale autonome qui la prémunit contre tout anéantissement ou chantage nucléaire. Pour autant, la France est profondément impliquée dans la défense de cet espace européen au sein duquel elle vit une communauté de valeur et de destin avec ses voisins, partenaires et alliés. Mais dans ce contexte, la dissuasion nationale autonome n’est pas une panacée, et le contexte du retour durable d’une Russie agressive et expansionniste crée de nouvelles situations à risque que son modèle de forces actuel ne permettrait pas toujours d’affronter. Notamment en raison de la prolongation potentielle des crises, mais aussi d’un ordre international bien moins binaire et plus économiquement complexe que dans les années de la Guerre froide.

Si les dirigeants français admettent volontiers à travers leurs déclarations depuis les années 1970 qu’une part des « intérêts vitaux » du pays se situe en Europe, force est de constater que la France serait bien incapable, dans le format actuel, d’européaniser sa dissuasion de manière crédible et efficace pour s’ériger en protectrice de dernier ressort de l’intégrité de l’espace européen. Surtout dans un contexte conjuguant crise conflictuelle longue, escalade lente et doutes sur l’engagement américain : trois hypothèses probables à court ou moyen terme. La conséquence est qu’il faut sans doute admettre que les intérêts de la France en Europe ne sont pas « à ce point vitaux » pour que celle-ci puisse offrir une garantie de sécurité avec son seul arsenal nucléaire actuel — qui la verrait prête à « risquer Paris pour Vilnius ».

Il faut donc l’admettre, l’hypothèse d’un conflit conventionnel existe face à la Russie, dont l’escalade pourrait et devrait être maîtrisée. Il faudrait ainsi pouvoir mener celle-ci dans la durée, en coalition, avec l’appui de forces nucléaires françaises « différentes » pour un meilleur épaulement avec les forces conventionnelles. Un point de vue, pour l’heure, résolument hérétique, mais qui découle d’une modification profonde du contexte stratégique.

Une dissuasion française historiquement cohérente

Les fondements de la dissuasion nucléaire française, de la doctrine aux composantes et moyens, reposent en grande partie sur le traumatisme de juin 1940 et servirent son édification pendant la guerre froide, comme une continuité de « l’esprit de résistance » 1. Il s’agissait — et c’est toujours le cas — alors d’éviter le retour d’une situation menaçant la survie même de la France en tant que nation, sans avoir à dépendre du bon vouloir d’un allié anglo-saxon, ni devoir revivre les épouvantables sacrifices humains et matériels des conflits mondiaux. L’arme nucléaire, de par sa puissance, apporta à la fois la menace la plus totale et la solution la plus radicale à l’enjeu central de la défense nationale  : survivre en tant que nation 2. La défaite de Dien Bien Phu en 1954 et la crise de Suez en 1956 confirmèrent du point de vue de Paris le caractère à minima aléatoire de l’alliance américaine et la nécessaire indépendance absolue des moyens d’assurer la survie nationale 3.

L’hypothèse d’un conflit conventionnel existe face à la Russie.

Stéphane Audrand

Avec le développement d’un arsenal crédible, doté de composantes variées, d’une capacité de frappe en second et d’un volume suffisant pour infliger des « dommages inacceptables » à toute puissance quelle que soit sa taille et sa profondeur stratégique, la France se dota d’une « assurance vie » autonome. Celle-ci protège son territoire national et sa population d’une élimination brutale, sans discontinuer depuis 1964 (première prise d’alerte des FAS) et de manière très robuste depuis 1972 (première patrouille de SNLE). Sur le plan doctrinal, une pensée française riche et complexe, incarnée par les généraux Ailleret, Beaufre, Gallois et Poirier, permit de jeter les fondements d’une dissuasion nucléaire autonome, « tous azimuts », strictement défensive — seule justification de l’arme atomique nationale. Une dissuasion centrale dans le modèle des forces militaires françaises, ce que synthétisa pour le grand public le premier Livre blanc de 1972 4.

Pour la France, depuis plus de 50 ans, l’hypothèse d’un conflit majeur en Europe est systématiquement liée à un dialogue dissuasif s’appuyant sur l’arme nucléaire nationale. Face à la nécessité de prévenir le contournement « par le bas » de l’arsenal nucléaire, de témoigner de la solidarité de la France envers ses alliés et de pouvoir justifier, le cas échéant aux yeux du monde, de l’opinion française, et de l’adversaire l’ascension aux extrêmes nucléaires, la France avait articulé à partir des années 1970 son corps de bataille en Allemagne autour de l’idée que son engagement forcerait « l’ennemi » (forcément soviétique mais sans le nommer) à « dévoiler ses intentions » 5. Il s’agissait de faire face à toutes les hypothèses de crise, depuis l’option extrême d’un assaut massif du Pacte de Varsovie sur l’Europe occidentale jusqu’aux hypothèses d’attaques limitées aux frontières de l’OTAN (prise de gage territorial), ou d’une opération de contournement de la lutte armée par l’URSS qui ressemblerait au « coup de Prague » de 1968.

L’engagement hors de France du corps de bataille français composé d’appelés du contingent était alors la manifestation tangible de la détermination politique de Paris ainsi que la justification possible du recours à l’arme nucléaire « tactique », non dans une optique de bataille devant être gagnée, mais plutôt de signalement que la France, après avertissement, serait prête à toutes les options, y compris les plus extrêmes. À aucun moment il ne s’agissait dans l’esprit de « gagner » militairement contre le Pacte de Varsovie, ni même de « durer » en conflit, mais plutôt de restaurer, in extremis, un dialogue politique au bord du gouffre, en assumant le fait de contribuer si nécessaire à l’escalade pour ne pas laisser s’installer un conflit d’usure, destructeur, qui ramènerait les souvenirs de Verdun à l’ombre d’Hiroshima. Le choc avec la superpuissance soviétique ne pouvant déboucher sur une victoire conventionnelle à un prix acceptable, seule la dissuasion apportée par une promesse d’anéantissement mutuel devait pouvoir faire reculer Moscou.

Cet édifice national — doctrinal et capacitaire — qu’est la dissuasion reste, en 2024, d’une surprenante cohérence et globalement d’une saisissante validité. Toutefois, les conditions politiques et militaires « à l’est du Rhin » ont profondément évolué depuis 1991, de même que le modèle des forces de l’armée française, conventionnelles et nucléaires. La dissuasion était devenue après la chute du mur de Berlin réellement « tous azimuts » dans un contexte où aucune puissance hostile ne menaçait réellement la France et où l’hypothèse d’une attaque par armes de destruction massive était réduite à la lubie plus ou moins rationnelle du dirigeant d’un petit État « voyou » ou d’une organisation terroriste. Cet apaisement du contexte stratégique, propice au désarmement et à la maîtrise des armements, a contribué à ramener le format de l’arsenal nucléaire français à un étiage, strictement suffisant pour maintenir une capacité crédible permanente et constituer une assurance vie face à l’impensable, tout en maintenant pour l’avenir des savoir-faire et des capacités (notamment humaines) qui pourraient se perdre en un an, mais mettent trente ans à être (re)créées.

En parallèle, le succès du projet européen a fait de la France une « île stratégique ». Alors que le corps de bataille français se justifiait par la présence de milliers de chars du Pacte de Varsovie à quelques centaines de kilomètres des frontières françaises, l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne des anciens pays vassaux de Moscou, leur émancipation démocratique et leur adhésion à un espace européen uni et étroitement intriqué sur le plan économique et culturel, a donné à la France une profondeur stratégique importante au sein d’un espace pacifié qui ne semblait plus menacé par la Russie. Cette évolution très favorable a pleinement justifié les « dividendes de la paix », la professionnalisation des forces françaises, la réduction de leur format, leur transformation expéditionnaire, l’abandon de l’idée de corps de bataille en Europe et, plus largement, de défense territoriale. Elle a aussi justifié le renoncement aux forces nucléaires tactiques qui assuraient le « tuilage » entre l’engagement du corps de bataille et l’ascension au seuil thermonucléaire. Tout cela était cohérent et adapté au contexte, et ne remettait pas en cause les équilibres de la dissuasion — jusqu’en 2022.

La France pouvait sereinement maintenir un arsenal pour sa seule défense, régulièrement professer publiquement le caractère européen de ses intérêts vitaux 6 et douter, à l’occasion, de la sincérité de l’engagement américain en Europe. Sans avoir pour autant à s’interroger réellement sur les scénarios possibles qui pourraient la voir s’engager concrètement au profit de ses voisins d’Europe centrale et orientale avec sa dissuasion en cas de défaut américain, ni investir dans des capacités conventionnelles d’ampleur pour les épauler le cas échéant. La menace était objectivement faible et l’allié américain toujours présent et en apparence fiable pour se contenter d’une rhétorique théorique. Or l’agression de l’Ukraine que mène la Russie depuis 2014 et qu’elle a choisi de transformer en conflit majeur depuis février 2022 illustre les nouvelles formes que pourrait prendre une agression russe contre une partie des alliés et partenaires européens de la France. Une agression qui pourrait prendre en défaut un modèle français pensé pour des crises « courtes, fortes et proches ».

Un modèle pensé pour les « crises courtes, fortes et proches »

L’hypothèse centrale commune à tous les scénarios de la guerre froide était celle d’une crise courte. L’idée que le choc avec le Pacte de Varsovie ne durerait pas était absolument centrale. Elle se fondait sur la préparation des deux camps, sur l’ampleur de leurs moyens militaires nucléaires et conventionnels et sur le caractère idéologique de leur opposition. Pour la France, la menace était très proche. Les plans soviétiques situaient la frontière française à moins de dix jours de combat 7. Dans ces conditions, en cas d’attaque surprise appuyée par des frappes nucléaires tactiques, toute mobilisation nationale était illusoire et le « rouleau compresseur » soviétique ne pourrait que difficilement être freiné. Méfiants envers la crédibilité de l’hypothèse de représailles nucléaires américaines, les Français avaient taillé leur dispositif après leur retrait du commandement intégré de l’OTAN pour que les forces françaises de bataille soient toutes entières déployées en Allemagne et soient à la fois la seule unité de réserve de l’Alliance et le seul rempart « conventionnel » du pays, avec comme but de manœuvre l’ambition non de vaincre, mais de tester la détermination de l’ennemi 8.

L’agression de l’Ukraine que mène la Russie depuis 2014 et qu’elle a choisi de transformer en conflit majeur depuis février 2022 illustre les nouvelles formes que pourrait prendre une agression russe contre une partie des alliés et partenaires européens de la France.

Stéphane Audrand

Que cette force soit détruite ou malmenée, à quelques centaines de kilomètres au plus de Paris, impliquait que la France serait, très rapidement, en situation de menace existentielle, sinon d’anéantissement au moins d’invasion sur fond de bataille nucléaire tactique. Dans ces conditions, centrer l’hypothèse principale de la défense nationale sur la dissuasion thermonucléaire au bord du gouffre faisait parfaitement sens, et l’autonomie de la dissuasion française en renforçait encore la crédibilité, face aux alliés comme face aux adversaires. Le reste de l’OTAN, pour sa part, était préoccupé par deux risques antagonistes  : d’une part, l’invasion en bonne et due forme de l’Europe occidentale, et d’autre part la prise de gages limités, le « Hamburg grab » 9. Une telle hypothèse aurait pu voir l’URSS saisir des « tranches de salami » ou des « feuilles d’artichaut » selon les théoriciens, sous la forme de gages territoriaux limités par une attaque surprise avant de s’enterrer et de demander des négociations, contraignant l’OTAN à « passer pour l’agresseur qui escalade » s’il avait menacé de représailles ou tenté de contre attaquer (un modèle que Vladimir Poutine utilise sous la forme modernisée d’une sanctuarisation agressive 10).

Si le risque d’invasion de grande ampleur plaidait pour un dispositif étalé dans la profondeur, celui de la prise de gages limitée, associé aux inquiétudes ouest-allemandes de n’être qu’un champ de bataille sacrificiel, plaidait pour une défense de l’avant, avec le positionnement permanent de toutes les forces de bataille au plus près de la frontière, ne laissant que les forces françaises (qui refusaient la bataille de l’avant) comme seules réserves 11. Américains comme Soviétiques, peu désireux d’avoir à engager un échange nucléaire tactique pouvant déboucher sur une escalade incontrôlable, s’employèrent à trouver, tout au long de la guerre froide, les moyens de retarder le seuil nucléaire le plus longtemps possible, voire de pouvoir l’emporter, au moins dans la bataille d’Europe, par les seules forces conventionnelles.

D’une position centrale d’usage initial dans les années 1950, à l’époque des « représailles massives », les armes nucléaires ne firent que reculer dans l’esprit des belligérants potentiels, pour ne plus être qu’une forme de garantie contre la défaite en rase campagne pour l’OTAN comme le Pacte de Varsovie à la fin des années 1980 12. Le point commun entre les conceptions de l’OTAN et celles de la France restaient l’hypothèse d’une crise courte. Il était alors peu concevable qu’un conflit en Europe dure plus de quelques semaines. La décision devait être emportée par les forces pré-positionnées et par l’afflux rapide des forces de second échelon (venant d’URSS ou d’Amérique du Nord), sans passer par une mobilisation pluriannuelle. Qu’il s’agisse de contrer une attaque menaçant directement ses frontières ou de se porter en soutien de ses alliés, la dissuasion française demeurait la clé de voûte de la stratégie de la France en cas de conflit, capable de neutraliser rapidement toute agression soviétique par une ascension aux extrêmes qui semblait inéluctable si l’adversaire semblait vouloir s’engager de manière résolue, au-delà d’un gage territorial. Une crise « courte, forte et proche » en somme.

La défense de l’espace européen après 2025  : des crises « longues, lointaines, à l’escalade lente »

L’agression russe de l’Ukraine s’inscrit dans une stratégie pluriannuelle de contournement de la lutte armée 13 qui a échoué et s’est transformée, malgré la volonté des stratèges russes, en un conflit ouvert et prolongé. Elle constitue malheureusement sans doute le modèle des conflits d’agression que la Russie pourrait mener à l’avenir face à l’espace européen. Menant initialement une stratégie de déstabilisation par un mélange d’influence, de propagande et d’actions clandestines ciblées (sabotages, assassinats, cyber attaques), la Russie entreprend le « modelage » de sa cible tout en soufflant le chaud et le froid de manière officielle. Il s’agit d’isoler son adversaire, de semer le doute chez ses soutiens éventuels et au sein de son opinion tout en se créant des points d’appui. Le même schéma s’est dégagé en Géorgie ou en Ukraine hier et pourrait se retrouver en Moldavie, en Finlande ou dans les pays Baltes demain.

Selon une mécanique rôdé, la Russie utiliserait ensuite les opportunités que lui offriraient des crises survenant de manière épisodique ( économiques, migratoires, tensions sociales et ethniques, voire crises climatiques) pour accroître la pression de ses attaques hybrides tout en commençant des opérations armées sous faux drapeau (milices, mercenaires, « petits hommes verts »), notamment pour « protéger » les prétendues minorités russes (ou au moins russophones). Face à des États bénéficiant de garanties explicites de sécurité de la part des États-Unis, la Russie tentera de les faire passer pour les agresseurs, recherchera la conciliation éventuelle d’une administration américaine isolationniste ou occupée en Asie ou au Proche-Orient ou reculera de manière provisoire en patronnant des accords de cessez-le-feu tout en professant son désir de paix et en additionnant les demandes plus larges et sans lien direct avec la crise. Si la crise survient dans un espace « intermédiaire » tel que la Biélorussie (à la faveur d’une révolte) ou la Moldavie, l’engagement russe pourrait être plus direct, surtout si les forces ont été régénérées après une pause ou un arrêt du conflit avec l’Ukraine. Bien entendu, tout au long de la crise, la Russie agiterait la menace nucléaire pour peser sur les opinions (et d’abord la sienne), mais sans signalement stratégique particulier vis-à-vis des trois puissances nucléaires occidentales pour ne pas donner aux spécialistes le sentiment qu’elle sort de la « grammaire nucléaire ». Il s’agit de maintenir une forme de « sanctuarisation stratégique agressive » par la parole, à l’ombre de laquelle la Russie a les mains libres sur le plan conventionnel, en comptant sur le fait que la peur du nucléaire des démocraties occidentales tend, à l’heure des réseaux sociaux, à transformer la dissuasion en une théologie de l’inaction des décideurs politiques.

L’agression russe de l’Ukraine s’inscrit dans une stratégie pluriannuelle de contournement de la lutte armée qui a échoué et s’est transformée, malgré la volonté des stratèges russes, en un conflit ouvert et prolongé.

Stéphane Audrand

La crise se prolongeant, elle pourrait déboucher sur des combats ouverts entre les forces d’un pays de l’Union européenne et des unités de l’armée russe, avec ou sans intervention américaine, qui pourraient durer des mois entre déni plausible de la Russie, blocage turc ou hongrois de l’OTAN, polémique sur les réseaux sociaux et atermoiements bruxellois. Pendant le déroulé de cette crise, à aucun moment il ne serait opportun pour la France de faire valoir que l’intégrité du ou des pays menacés constitue un « intérêt vital » pour Paris. Ni l’opinion, ni nos autres alliés, ni la Russie ne jugeraient crédible une menace nucléaire de la part de Paris, qui s’attirerait en outre un feu nourri de critiques en provenance d’une communauté internationale « hors zone OCDE » assez sensible à la question de la retenue dans l’usage, même rhétorique, de l’arme nucléaire.

La crise continuant, en cas de mise en péril de l’intégrité territoriale d’un État de l’Alliance, la question de l’engagement au sol à son profit se poserait. Qu’il se fasse « avec l’OTAN » et sous la justification de l’article 5 du traité de l’Atlantique nord serait le cas le plus favorable, celui que la Russie souhaite éviter  : bénéficiant du soutien des forces américaines, de leurs capacités clé de voûte (espace, cyber, C3, dissuasion, guerre électronique), la victoire conventionnelle défensive serait sans doute possible. Encore faudrait-il, pour qu’elle y prenne sa part et tienne ses engagements, que la France soit en capacité de projeter une division de combat, avec ses soutiens, pour de longs mois. L’hypothèse serait alors celle d’une crise qui à défaut d’être proche, serait encore « courte et forte », un conflit dont le risque d’ascension aux extrêmes — s’il ne peut jamais être totalement écarté — pourrait néanmoins être contenu, les dirigeants russes devant comprendre rapidement qu’ils devraient se retirer sous peine de ne pas pouvoir cacher à leur opinion leur défaite face au potentiel de l’Alliance qui leur est très supérieur. Mais ce scénario « OTAN uni » n’est plus (hélas) le seul à considérer. Il est parfaitement possible, au vu de l’évolution de la politique américaine, que les craintes françaises exprimées depuis plus de 70 ans soient finalement fondées, plaçant Paris dans une situation de « victoire morale », mais aussi au pied du mur. Après avoir plaidé pour une défense européenne plus autonome en cas de défaut américain, la France devrait « assumer ».

L’hypothèse d’une Europe qui assume seule la tentative de mise en échec d’une agression russe d’une partie de son espace dans le cadre d’une crise hybride prolongée est un véritable casse-tête. Outre l’aspect diplomatique qui consisterait en la création et surtout au maintien dans la durée d’une coalition de bonnes volontés très dépendantes de l’État, toujours fluctuant, des forces politiques en Europe, il faudrait surtout parvenir sur le plan militaire à assumer un combat potentiellement durable, surtout si la Russie, voyant l’échec (encore) de son contournement de la lutte armée, se décidait à assumer une posture offensive plus transparente après s’être assurée d’un nihil obstat américain. D’un engagement initial de quelques bataillons, la France se retrouverait avec une brigade au bout de quelques semaines, puis une division au bout de quelques mois, au sein d’une coalition hétéroclite pouvant rassembler Britanniques, Belges, Baltes, Polonais, Tchèques, Scandinaves, Canadiens… Mais sans doute sans l’Allemagne, de manière directe, ni la plupart des pays d’Europe occidentale.

Les premiers cercueils des militaires français passant le pont de l’Alma susciteraient une émotion intense, mais on ne va pas au seuil nucléaire pour 10 morts. Ni pour 100. Et pour 1 000 ? Mille morts militaires — professionnels et non conscrits — pour la France serait à la fois immense, mais bien peu au regard de l’histoire ou des hypothèses de la guerre froide, surtout si ce chiffre est atteint au bout de six mois ou un an d’engagement purement conventionnel qui, après quelques mois, n’occuperait plus le devant d’une scène médiatique volatile. Outre le fait que l’armée française serait, au bout de cette année, à la peine pour régénérer un dispositif qui aurait perdu environ 4 000 hommes (avec un ratio de trois blessés pour un tué) et des centaines de véhicules, sa dissuasion pèserait peu dans le conflit  : elle se prémunirait contre toute menace nucléaire sur notre territoire national, se sanctuariserait sans doute aussi contre des frappes conventionnelles massives sur la métropole, mais serait peu crédible pour contraindre Moscou… À quoi d’ailleurs  ? « Dévoiler ses intentions »  ?

Aucun président français ne serait crédible en annonçant à ses adversaires, ses alliés ou le monde qu’il fait de la survie de l’intégrité du territoire estonien une question d’intérêt vital justifiant un « ultime avertissement » sous la forme du tir d’une ou plusieurs armes de 300 kilotonnes, rompant un tabou nucléaire vieux de plus de 80 ans. La Russie, en revanche, aurait beau jeu de rappeler, surtout si elle est en situation de défaite sur le champ de bataille, qu’elle dispose de moyens nucléaires tactiques qu’elle pourrait décider d’employer, y compris sur son propre territoire, pour oblitérer bases ou forces adverses de la coalition européenne, tout en maintenant qu’une guerre nucléaire demeure impossible à gagner et doit être évitée. 

Les premiers cercueils des militaires français passant le pont de l’Alma susciteraient une émotion intense, mais on ne va pas au seuil nucléaire pour 10 morts. Ni pour 100. Et pour 1000 ?

Stéphane Audrand

Mais même en cas de violation du tabou nucléaire par la Russie sur un champ de bataille qui entraînerait la mort de quelques milliers de militaires européens, serait-il crédible, là encore, d’engager le cœur de la dissuasion dans son format actuel pour contrer cette menace  ? La réponse assez candide d’Emmanuel Macron quant à l’absence de réponse nucléaire française à une hypothétique frappe nucléaire russe sur l’Ukraine en 2022 permet au moins d’en douter et, en matière de dissuasion, la volonté du dirigeant est au moins aussi importante que la crédibilité de son arsenal. Une des raisons principales de cette difficulté est que la dissuasion française n’a pas vraiment de « gradation » dans son concept d’emploi et son arsenal. Depuis la disparition de la composante terrestre et de la Force aérienne tactique, son échelle manque de barreaux pour affronter des crises majeures mais non existentielles, trop sérieuses pour qu’on les ignore mais trop lointaines pour qu’on puisse envisager d’assumer la menace radicale d’une destruction mutuelle assurée. Certes, les Forces Aériennes Stratégiques conservent, avec le missile ASMP-A, un moyen aérien permettant des frappes plus « dosées » que les SNLE, mais leur rôle est, comme leur nom le suggère, éminemment stratégique et leur engagement serait porteur d’un signal clair  : la France envoie son avertissement nucléaire, elle est prête à monter aux extrêmes, ce qui ne serait pas forcément le cas, loin de là.

Européaniser la dissuasion française  : « réponse flexible », « dissuasion intégrée », « arsenal bis »

Le destin de la dissuasion nucléaire française est sans doute, comme certains l’ont écrit avec à-propos, de ne plus être à l’avenir « chimiquement pure 14 », à la fois dans l’isolement de l’arme nucléaire par rapport aux affrontements conventionnels, mais aussi par l’idée que cette arme ne serait qu’un objet dissuasif en toutes circonstances. Le concept français, on l’a vu, était pertinent lorsque la menace était forte, proche et devait se concrétiser de manière brutale et existentielle. Dans ces conditions, il y avait une vraie logique à refuser le principe même d’une guerre conventionnelle (au-delà d’un choc court) et à s’en remettre à la promesse d’anéantissement mutuel pour stopper l’agression au bord du gouffre. Les déclarations françaises qui concernant son étranger frontalier proche (la République Fédérale d’Allemagne) pouvaient être crédibles, car là encore très proches du territoire national et impliquant un corps de bataille de conscrits. Mais l’extension d’un « parapluie » nucléaire français à l’Europe centrale et orientale, à notre profondeur stratégique, ne peut pas se faire avec la même doctrine ni le même arsenal.

Il ne s’agit pas d’ailleurs seulement d’une question de nombre d’armes ou de format des composantes actuelles, mais plutôt de revoir le cœur de la conception de l’arme nucléaire française. L’exemple américain des garanties à l’Europe est ici éclairant  : passées les toutes premières années de la guerre froide et dès qu’exista le risque d’anéantissement mutuel, il était devenu évident que les États-Unis ne seraient pas forcément prêts à risquer leur survie s’ils pouvaient espérer, sans désavouer leurs alliés, contenir un conflit au continent européen. La conséquence fut d’une part que les forces conventionnelles prirent une importance croissante et, d’autre part, que les États-Unis, pour prévenir tout découplage en cas d’attaque nucléaire soviétique limitée au continent européen, se dotèrent de moyens à portée limitée pour offrir une garantie crédible de riposte nucléaire depuis l’Europe qui n’engagerait pas le cœur de la triade protégeant l’Amérique du Nord. Cet exemple peut servir de guide pour penser l’avenir d’une forme de dissuasion nucléaire française au profit de l’espace européen. 

Cela supposerait bien entendu de commencer par admettre que Berlin, Varsovie ou Tallin ne seront jamais Paris. Il n’y a d’ailleurs ni mépris ni abandon dans cette remarque, simplement le constat lucide que l’organisation actuelle de l’Europe en États nations repose sur une réalité de communautés nationales qui, si elles peuvent être proches, solidaires et confraternelles, ne sont néanmoins ni fongibles ni vouées à se sacrifier les unes au détriment des autres. Mais elles peuvent partager leur défense, et le font déjà pour la plupart au sein de l’OTAN. Pour qu’elle soit crédible, une garantie nucléaire française doit respecter cette réalité, tout en respectant aussi l’ordre nucléaire mondial et sa clé de voûte, le Traité de non prolifération. Il est donc exclu à la fois de transférer des armes nucléaires « à l’Europe », mais aussi d’encourager une prolifération nationale d’autres pays européens.

La première crédibilité de la dissuasion nucléaire française au profit d’une Europe qui serait au moins en partie « abandonnée » par l’allié américain passe donc par le renforcement des forces conventionnelles françaises. Pas pour recréer un corps de bataille sacrificiel de conscrits, mais pour mettre à disposition de l’Alliance, comme Paris s’y est engagée, des forces de combat terrestre d’un volume suffisant (une division avec l’arme aérienne et le soutien naval associés), pouvant être soutenue et relevée dans la durée, malgré des pertes lourdes. Cela suppose un effort capacitaire et industriel, mais aussi humain. Pas sous la forme d’un service national, mais plutôt d’un accroissement volumétrique de la réserve opérationnelle, en nombre mais aussi en jours d’activité annuels. Si, comme le soulignait le chef d’État major de l’armée de terre, avant de penser volume il faut penser cohérence, on ne peut pas faire l’économie de penser le nombre et les pertes. Cet effort est complémentaire du renforcement de la défense antiaérienne et antimissiles ou de l’acquisition de capacités de frappes conventionnelles dans la profondeur, qui donneraient là encore plus de flexibilité pour gérer une escalade avec la Russie.

Ajoutons qu’il faut aussi être prêts à faire cet effort dans le temps long. Si un éventuel conflit entre la Russie et l’espace européen serait sans doute bien moins violent que les hypothèses de 1964-1991, il serait sans doute plus long et pèserait sur des forces plus petites qui doivent gagner autant en profondeur temporelle qu’en cohérence et en masse. Pouvoir non pas dire, mais montrer à nos alliés et nos adversaires que « nous serons là, en nombre, dans la durée » est la première condition pour être crédibles et dissuasifs. Et pouvoir envisager de mettre en échec une agression russe par des moyens purement conventionnels est à la fois devenu possible et tout à fait souhaitable. Dans l’État actuel des choses, tant que dure au moins la garantie nucléaire américaine au profit de l’Europe, il est possible d’en rester là  : européaniser la dissuasion française tant que Washington demeure fiable aux yeux de nos alliés n’est sans doute pas envisageable. Or, les États-Unis pourraient vouloir à la fois se retirer ou s’abstenir en cas de crise sur le plan conventionnel, mais maintenir une forme de garantie nucléaire en dernier ressort.

Et si les États-Unis « partaient » ou que certains pays d’Europe admettaient, à l’image de la France, que leur garantie nucléaire pourrait être incertaine  ? Bruno Tertrais évoquait la première possibilité dans ces pages en parlant d’un « scénario Trump », qui se traduirait par un lien transatlantique nucléaire délibérément cassé par le président-élu américain. Alors, la seconde étape de la crédibilité serait de disposer, à l’image des Euromissiles, d’une forme d’arsenal « bis », séparé du cœur de la dissuasion nationale qui reposerait toujours sur le tandem FAS-FOST. Centré sur une composante terrestre (missiles balistiques et de croisière sur transport érecteur lanceur), cet arsenal de quelques dizaines d’armes pourrait être basé en totalité hors de France, dans des pays partenaires volontaires, via des accords bilatéraux avec Paris, à l’image des accords permettant aujourd’hui l’implantation d’armes nucléaires américaines en Europe. La dualité des vecteurs serait assumée, ce qui est moins problématique pour des forces non stratégiques (après tout, un Rafale est déjà un « vecteur dual »), et ces forces pourraient à la fois contribuer aux frappes conventionnelles dans la profondeur et permettre d’assumer une escalade nucléaire « non stratégique » si la Russie souhaitait s’engager sur ce terrain. Cet arsenal « bis », qui demeurerait la propriété de la France sous son contrôle exclusif pour être en conformité avec le TNP, offrirait, en cas de crise, une précieuse réassurance collective et une étape intermédiaire dans le dialogue nucléaire, susceptible de répondre aux armes nucléaires tactiques russes engagées contre les forces françaises ou le territoire de ses alliés sans que ses options se limitent à « le M51 ou rien ». Bien entendu, le coût de cette restauration de la composante terrestre ne serait pas négligeable et il serait souhaitable que les pays qui en bénéficient puissent contribuer d’une manière ou d’une autre à la prise en charge de ce fardeau commun, là encore sans violer le cadre de la non-prolifération. La séparation de cet arsenal du reste des forces de dissuasion rendrait la démarche budgétaire plus facile.

Le dernier élément de crédibilité, celui qui en fait fonde les autres, serait une évolution de la doctrine française et de sa pensée stratégique, pour la mettre en cohérence avec les enjeux européens et le niveau de la menace. Encore une fois, il s’agit de défendre de manière crédible une profondeur stratégique qui n’est pas nationale, sans prétendre de manière fallacieuse que son intégrité est « vitale » pour nous. La prise en compte de l’arsenal « bis » impliquerait de construire une doctrine qui serait toujours dissuasive et défensive. La France peut et doit continuer de refuser le principe de la « bataille » nucléaire stratégique. Mais elle peut aussi admettre que certaines armes nucléaires de faible puissance pourraient avoir leur utilité, séparément des forces stratégiques, pour contrer le risque d’usage de telles armes par la Russie, notamment si elle voyait ses forces conventionnelles s’effondrer face à l’Alliance et qu’elle souhaitait pour des raisons de politique intérieure notamment, renverser la table pour éviter la défaite en combinant usage militaire du nucléaire tactique et sanctuarisation agressive par menace nucléaire stratégique. La réponse « flexible » de l’arsenal « bis » français dans le cadre d’une dissuasion européenne « intégrée », cohabitant avec sa propre sanctuarisation stratégique, mettrait ainsi en échec cette option russe — la dissuaderait — et préserverait ce qui resterait le cœur de la réponse alliée, une action défensive conventionnelle. In fine, la France aurait préservé à la fois ses alliés et sa propre liberté d’action, ce qui est un des bénéfices les plus précieux de la dissuasion.

La France peut et doit continuer de refuser le principe de la « bataille » nucléaire stratégique. Mais elle peut aussi admettre que certaines armes nucléaires de faible puissance pourraient avoir leur utilité, séparément des forces stratégiques, pour contrer le risque d’usage de telles armes par la Russie

Stéphane Audrand

Admettons-le, ces réflexions reposent sur des hypothèses qui peuvent sembler lointaines ou impensables, hétérodoxes, voire hérétiques pour certains. La plus insupportable pour la plupart de nos alliés étant le retrait de la garantie américaine ou son affaiblissement terminal. Pourtant, en 2024, ce risque n’a jamais été aussi élevé depuis 1947 et la situation de la conflictualité en Europe n’a jamais connu un tel emballement depuis la fin des années 1970. Si nous voulons parvenir à éviter à la fois la guerre et la soumission, comme nous y sommes parvenus face à l’URSS, il faut élaborer une nouvelle posture défensive cohérente et crédible. La dissuasion française a admirablement rempli ce rôle ambigu au sein de l’Alliance jusqu’à la chute du mur de Berlin, lorsque la menace était à 300km de ses frontières. Maintenant qu’elle est à 1 500 kilomètres, il faut repenser la totalité de notre modèle de forces et de notre doctrine dissuasive, pour retrouver d’abord une capacité conventionnelle crédible qui sera suffisante tant que la protection américaine sur l’Europe sera crédible, et commencer à réfléchir au format et à la doctrine qui pourraient permettre d’offrir une forme de garantie de sécurité nucléaire élargie à l’Europe qui soit crédible. Ne pas le faire pourrait contribuer à encourager certains pays d’Europe à rechercher, de manière autonome, leur propre dissuasion, relançant les risques de prolifération au cœur du continent. Bien entendu, à l’heure où la France traverse des difficultés budgétaires durables, ce débat impose des choix et, sans doute, des renoncements qui doivent être affrontés en conscience, non par les armées ou la technostructure, mais bien par la classe politique.


Sources
  1. Céline Jurgensen, « Quel avenir pour la dissuasion nucléaire ? » Hérodote, n°170, vol. 3, p. 17-35, 2018.
  2. Cette idée de « disparition » possible de la France est d’ailleurs évoquée sans détours par le général De Gaulle dans son discours du 15 février 1962. Cité par Nicolas Roche dans Pourquoi la dissuasion, Paris, PUF, 2017, p. 102.
  3. Olivier Zajec, « Armageddon polytropos. La pensée réaliste et le fait nucléaire, regards sur un demi-siècle de débats inter-paradigmatiques » Stratégique, n°116, vol. 3, p. 185-222, 2017.
  4. Patrice Buffotot, « Les Livres blancs sur la défense sous la Ve République. Paix et sécurité européenne et internationale », 2015.
  5. Jean-René Bachelet, « Il était une fois ‘l’ennemi conventionnel’ » Inflexions, n°28, vol. 1, p. 75-81, 2015.
  6. Héloïse Fayet, « Pourquoi la France ne proposera pas de « parapluie nucléaire à l’Europe », Le Rubicon, mars 2024.
  7. Stéphane Audrand, « Dissuasion française  : de ‘Neufs jours à Lyon’ à ‘Sept jours au Rhin’ », Revue de la Défense Nationale, n°844, Paris, 2021.
  8. Avery Goldstein (dir.) Deterrence and Security in the 21st Century — China, Britain, France and the Enduring legacy of the Nuclear Revolution, Stanford, Stanford UP, 2000.
  9. Sur le « Hamburg Grab », voir Scott D. Sagan et Kenneth N Waltz, The spread of nuclear weapons — a debate renewed, New York, Norton, 2003.
  10. Voir Pierre Vandier, La dissuasion au troisième âge nucléaire, Paris, Éditions du Rocher, 2018, p. 70-72.
  11. C. Franc : « Le corps d’armée français — essai de mise en perspective », Revue de Tactique Générale, Paris, CDEC, p. 118-121, avril 2019.
  12. Gordon S. Barrass, « The Renaissance in American Strategy and the Ending of the Great Cold War », Military Review, Fort Leavenworth, Combined Arms Center, p. 101-110, 2010.
  13. Dimitri Minic, « Contourner la lutte armée : la pensée stratégique russe face à l’évolution de la guerre, 1993-2016 », Histoire, Europe et relations internationales, 2022.
  14. Voir à ce propos Yannick Pincé, « Défense européenne : vers la fin d’une dissuasion française « chimiquement pure ? », Le Rubicon, mai 2024.