C’est en 2014 que l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE], via son chef d’état-major, qui était alors le général Denis Mercier, leva le voile sur un projet visant à développer un successeur au missile ASMP-A rénové, sur lequel repose la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire française [Forces aériennes stratégiques et Force aéronavale nucléaire]. Deux projets étaient en balance : l’un privilégiant la furtivité, l’autre mettant l’accent sur le l’hypervélocité.
Dans un cas comme dans l’autre, le développement de ce nouveau missile, appelé ASN4G [Air-Sol Nucléaire de 4e génération] allait poser plusieurs défis, comme le souligna l’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA] dans son plan stratégique pour la période 2015-25.
Ainsi, la furtivité exigeait de mener à bien des travaux sur des matériaux aux « caractéristiques pérennes et compatibles avec la sévérité des environnements subis » ainsi que sur des « systèmes de préparation de mission optimisés pour la réactivité et la pénétration maximisée des défenses ». Même chose pour l’hypervélocité, qui supposait de faire appel à un « très grand nombre de disciplines », comme la propulsion, l’aérodynamique, les matériaux, etc.
En 2021, aucun choix n’était encore arrêté définitivement. Dans un avis budgétaire, l’ex-député Christophe Lejeune avait expliqué que deux Plans d’études amont [PEA] avaient été lancés. Ainsi, le PEA « Camosis » s’intéressait à la furtivité tandis que le PEA Prométhée se concentrait sur l’hypervélocité, avec des études sur un statoréacteur mixte [c’est-à-dire un moteur effectuant successivement une combustion subsonique et supersonique].
Même s’il n’y a pas eu de confirmation officielle, tout laisse à penser que le futur ASN4G sera un missile hypersonique. En tout cas, conseiller « défense » du PDG de MBDA, l’amiral [2S] Hervé de Bonnaventure l’avait suggéré lors d’une audition parlementaire en 2023. « Il apparaît que la très haute performance en vitesse et en manœuvre est la meilleure méthode pour parvenir à être détecté le plus tardivement possible, et compliquer la tâche de suivi d’un radar, voire, d’accrochage, et, enfin, à désorganiser une attaque d’un missile antimissile », avait-il en effet expliqué.
Le marché « MIHYSYS » que vient de notifier la Direction générale de l’armement [DGA] à l’ONERA et à MBDA le confirme.
« Le programme MIHYSYS permet de poursuivre l’amélioration continue des connaissances, des moyens de prévision et de briques technologiques, y compris alternatives, pour les chambres de combustion des propulseurs aérobies supersoniques et hypersoniques », explique en effet l’ONERA, via un communiqué publié le 30 septembre. En clair, ces travaux porteront sur un statoréacteur mixte, pour lequel une expérimentation visant à « recaler des modèles de simulation » a été récemment menée dans le cadre du projet ASTREE.
Il s’agit d’une « contribution majeure […] à la composante nucléaire aéroportée sur le long terme », précise l’ONERA.
Et d’ajouter : Ce « programme prévoit notamment le développement de nouvelles capacités et de nouveaux modèles pour la simulation numérique des chambres de combustion avec le code de calcul CEDRE. Des simulations confrontées à l’expérimentation grâce aux moyens dédiés de l’ONERA ».
Pour rappel, CEDRE est un logiciel de simulation multi-physique pour l’énergétique et la propulsion.
Le marché MIHYSYS aura d’autres implications. Il va permettre aussi de développer des capacités en calcul quantique, « au potentiel de rupture considérable » [dixit l’ONERA] pour la mécanique des fluides et l’énergétique.
La base historique de la dissuasion nucléaire française a repris son activité au début du mois de septembre 2024.
Le 4 septembre 2024, les militaires et leur famille ont fait leur retour dans le Val d’Oise dans la base aérienne de Taverny (95150). D’une importance capitale, la base militaire reprend donc sa place au cœur du système français de dissuasion nucléaire.
La base était dissoute, mais les bâtiments sont restés debout
En 2011, dans le cadre d’une restructuration des armées, la base de Taverny, comme seize autres bases aériennes entre 2008 et 2014, a fermé ses portes. Et ce, malgré le fait que la BA 921 “Frères Mahé” (Base Aérienne 921) abritait dans son sous-sol une installation stratégique importante : le Centre d’opérations des forces aériennes stratégiques (COFAS), mais aussi le Commandement des forces aériennes stratégiques (CFAS).
Situé à 50 mètres sous la forêt de Montmorency, ce poste de commandement est notamment équipé d’un abri antiatomique en cas de guerre nucléaire et ce dernier abritera notamment l’État-Major des forces aériennes stratégiques.
Il avait été envisagé que le COFAS soit déménagé à Lyon, mais du fait de la complexité d’un tel mouvement, il n’en fut rien. Ainsi, depuis 2011, seuls les militaires ont quitté la base, les infrastructures, elles, sont restées. L’état-major des forces aériennes précédemment installé à Taverny a donc déménagé à Villacoublay dans les Yvelines (78).
4 septembre 2024, le CFAS et le COFAS à nouveau réunis
Comme le rapporte Opex360, l’organisation entre le CFAS à Villacoublay et le COFAS à Taverny n’était pas des plus efficaces. Ainsi, en 2020, l’idée d’une réunification a émergé. Trois ans plus tard, la décision était actée, il ne restait plus qu’à la mettre en œuvre.
Et il n’aura fallu attendre qu’un an, treize ans après l’annonce de la dissolution, pour voir la base de Taverny redevenir ce qu’elle était. Un événement salué par le maire de la commune du Val d’Oise, comme le rapportait Actu : “Ce retour des Forces aériennes illustre la remontée en puissance de la base aérienne placée au cœur du dispositif de dissuasion nucléaire français.”
Ainsi, depuis le début du mois de septembre 2024, la BA 921 a repris son appellation de Base Aérienne, elle qui avait été rétrogradée en tant que “Élément air rattaché”(EAR) à la base de Creil, dans l’Oise (60). Il s’agit d’une ancienne base qui a dû être “abandonnée” faute de moyens ou de personnels.
Rénovée de fonds en comble, elle pourra accueillir 500 personnes dont 80% de militaires sur son sol.
La France et la dissuasion nucléaire
Depuis que Hiroshima et Nagasaki ont été bombardées atomiquement par l’US Air Force pour mettre un terme aux combats du front du Pacifique entre le 6 et 9 août 1945, les pays du monde entier se sont mis d’accord pour ne plus jamais avoir recours à cette arme destructrice.
Cependant, afin de se préparer à une telle éventualité, quelques pays ont réussi à mettre au point un arsenal nucléaire qui peut être déclenché si nécessaire, uniquement de manière défensive. Ainsi, ces armes nucléaires ne servent pas à être utilisées, sauf en dernier recours, mais à intimider de possibles belligérants quant à leurs actions.
C’est en cela que l’on parle de “dissuasion nucléaire”.
Les plus grandes puissances mondiales, dont la France, ont donc, à leur disposition, tout un arsenal d’armes nucléaires qui peuvent être installées dans des silos disséminés partout sur leur territoire ou depuis des sous-marins constamment en mouvement.
Ainsi, dans le cas extrême où la France devrait répondre nucléairement à une attaque, c’est à Taverny, dans le poste de commandement enterré que l’état-major coordonnerait la réponse nucléaire des forces aériennes françaises.
La dissuasion française constitue, aujourd’hui, l’un des piliers de la posture de défense du pays, tout en conférant à Paris son autonomie stratégique lui garantissant une liberté de position et de ton rare, y compris dans le camp occidental.
Son incontestable efficacité, depuis 1964, sera préservée, pour les quatre décennies à venir, par la modernisation de ses deux composantes stratégiques, avec l’arrivée du nouveau missile de croisière supersonique aéroporté ASN4G, dès 2035, et l’entrée en service des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE 3G, à cette même échéance.
C’est, tout du moins, ainsi que la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, présente le sujet, qui va consacrer plus de 50 Md€ à cette mission sur son exécution, avec l’objectif de remplacer, presque à l’identique et à partir de 2035, les moyens actuels, par des capacités largement modernisées, donc plus efficaces.
Toutefois, ces dernières années, les menaces pouvant viser, potentiellement, la France, comme ses intérêts vitaux, censées protéger par la dissuasion nationale, ont considérablement évoluer, dans leur nature, leur origine et leur volume.
Alors que de nombreuses voix s’élèvent, outre-Manche comme outre-Atlantique, appelant à une révision profonde et rapide des postures de dissuasion britanniques et américaines, pour répondre à ces évolutions, il est, peut-être, nécessaire de faire de même en France, sans attendre la fin de la LPM en cours, pour transformer l’outil au cœur de la sécurité stratégique du pays, et de ses intérêts vitaux.
Sommaire
La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité
Bâtie sur le principe de stricte nécessité, la dissuasion française a pour fonction de donner aux autorités du pays, les moyens nécessaires et suffisants, pour s’intégrer efficacement dans le discours stratégique mondial, et ce, de manière strictement autonome, tout en assurant la sécurité et l’intégrité du pays.
Celle-ci se décompose, aujourd’hui, en deux forces aux capacités complémentaires. La première est la Force aérienne stratégique, forte de deux escadrons de chasse équipés de chasseurs Rafale et d’une cinquantaine de missiles nucléaires supersoniques ASMPA-R, d’une portée de plus de 500 km, et transportant une tête nucléaire TNA de 100 à 300 kilotonnes.
À cette capacité mise en œuvre par l’Armée de l’air, s’ajoute, ponctuellement, la Force Aéronavale Nucléaire, ou FaNu, permettant à des Rafale M de la flottille 12F, de mettre en œuvre ce même missile ASMPA-R, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.
Ensemble, ces deux capacités confèrent aux autorités françaises en vaste champ opérationnel et lexical stratégique, la composante aérienne formant la force visible pour répondre aux déploiements de forces ou à la menace d’un adversaire potentiel, et la composante sous-marine, en assurant l’adversaire d’une destruction presque complète, s’il venait à frapper la France ou ses intérêts vitaux, et ce, même si la France était elle-même frappée massivement par des armes nucléaires.
En outre, cette dissuasion, face à la Russie, toujours, est également suffisante pour être étendue à d’autres pays européens alliés, le cas échéant. Son efficacité est, en effet, liée à sa capacité de destruction chez l’adversaire, et non au périmètre qu’elle protège, même si, dans ce domaine, la perception de la détermination française pour protéger ses alliés, y compris en assumant le risque nucléaire, joue également un rôle déterminant.
De fait, aujourd’hui, la dissuasion française remplie pleinement, et parfaitement sa mission, et peut même, le cas échéant, le faire sur un périmètre plus étendu. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la LPM 2024-2030, sa modernisation, avec l’arrivée du missile ASN4G pour remplacer l’ASMPA-R, et du SNLE 3G pour remplacer les SNLE classe Triomphant, est prévue à partir de 2035, avec un périmètre strictement identique.
L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française
Toutefois, ces dernières années, sont apparues de nouvelles menaces, susceptibles de profondément bouleverser l’équilibre stratégique sur lequel est aujourd’hui bâtie la dissuasion française, et qui est transposé, au travers de la LPM 2024-2030, dans la dissuasion NG française, à partir de 2035.
Ainsi, alors que la menace stratégique pouvant viser la France et ses intérêts vitaux, jusqu’à présent, était avant tout constituée par l’arsenal stratégique russe, d’autres pays, aujourd’hui, se sont dotés de moyens comparables, susceptibles d’atteindre la France, ses territoires ultramarins ou ses intérêts.
C’est en particulier le cas de la Corée du Nord, qui a développé un missile ICBM pouvant atteindre l’Europe, le Hwasong-15, d’une portée de 13.000 km, et qui pourrait, prochainement, être doté de têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV.
L’Iran, pour sa part, dispose déjà de missiles balistiques susceptibles d’atteindre le sol européen, avec le Shahab-5 d’une portée estimée au-delà de 4500 km. Si le pays ne dispose pas, pour l’heure, d’un arsenal nucléaire, plusieurs services de renseignement, y compris le Mossad israélien, estiment que Téhéran ne serait plus qu’à quelques mois de pouvoir s’en doter.
Dans les deux cas, ces pays pourraient enregistrer, dans les mois et années à venir, des progrès substantiels dans leurs programmes nucléaires et balistiques, avec une aide technologique possible venue de Russie, en échange du soutien de Téhéran et Pyongyang à l’effort militaire russe contre l’Ukraine.
Surtout, les armées russes se dotent très rapidement de nouvelles capacités nucléaires non stratégiques, qu’il s’agisse de missiles balistiques à courte et moyenne portée, ou de missiles de croisières super ou hypersoniques, tous pouvant alternativement être équipés de charges militaires conventionnelles ou nucléaires.
Pékin se dote, notamment, de capacités stratégiques renouvelées, avec le nouveau missile ICBM à carburant solide DF-41, qui existe en version mobile et en silos, et le missile SLBM JL-3 qui arme les nouveaux SNLE Type 09IV chinois. Comme Moscou, toutefois, les forces chinoises s’équipent aussi d’un nombre croissant de vecteurs à plus courte portée, et d’une puissance de destruction non stratégique, à vocation conventionnelle ou nucléaire.
L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée
L’exemple le plus célèbre, pour illustrer ces nouvelles menaces, est l’arrivée des drones d’attaque à longue portée, mis en évidence avec les drones Shahed-136 iraniens et Geran-2 russes, employés par les forces de Moscou pour frapper les installations civiles clés en Ukraine.
Bien que vulnérables et transportant une charge militaire relativement réduite, ces drones disposent de deux atouts les transformants en menace potentiellement stratégique, pour un pays comme la France.
D’abord, leur portée, pouvant dépasser les 2000 km aujourd’hui, probablement davantage demain, leur permet d’atteindre des cibles très distantes, pour mener des frappes destructrices contre les infrastructures civiles d’un pays, comme le réseau de communication, le réseau de transport, les réserves de carburant, les capacités industrielles et énergétiques, voire les centres de commandement et de coordination militaires et civils, y compris politiques.
Or, au-delà de la possibilité d’atteindre dans la profondeur des infrastructures clés, cette portée augmente, au carré, le nombre d’infrastructures potentiellement ciblées, rendant leur protection presque impossible par des moyens antidrones classiques. Ainsi, si un drone d’une portée de 500 km peut atteindre, potentiellement, les cibles présentes sur 200.000 km² du territoire adverse, une portée de 1000 km, porte cette surface à 800.000 km².
Surtout, ces drones sont relativement simples et rapides à concevoir et à construire, et ils sont peu onéreux. Ainsi, un drone de la famille Geran-2, serait produit pour 2 à 3 millions de roubles en Russie, soit 20 à 30 k$. Ce faisant, une flotte de 5000 de ces drones, susceptibles de saturer, endommager ou détruire la plupart des grandes infrastructures d’un pays comme la France, peut-être construire en une année, et pour à peine 150 m$.
Ainsi, certains pays hostiles ou sous influence, peuvent se doter, à moindres frais, et sur des courts délais, de capacités de frappes au potentiel de destruction quasi stratégique, contre un pays très développé, qu’il serait presque impossible de contrer, et ce, sans même devoir franchir le seuil nucléaire.
Cette capacité, et d’autres comme les armes à impulsion électromagnétique, les attaques cyber, voire les moyens chimiques ou biologiques, peuvent engendrer, à relativement court terme, un profond bouleversement de la menace stratégique susceptible de viser, potentiellement, la France, contre laquelle la dissuasion, dans son format actuel, et tel que prévu dans les décennies à venir, pourrait ne pas suffire.
De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine
Si les questions portant sur la dissuasion, sont très rarement débattues sur la scène publique en France, en particulier par les militaires et les Think Tank qui travaillent pour le ministère des Armées, ce n’est pas le cas, bien au contraire, aux États-Unis.
Ainsi, le think tank conservateur américain Heritage Foundation, vient de publier une analyse stratégique pour anticiper la nouvelle Nuclear Posture Review (NPR), qui doit être rédigée et débattue en 2025, par la nouvelle administration américaine, qui sortira des urnes en novembre 2024.
Comme évoqué ici, la Heritage Foundation porte un regard critique sur le renouvellement, entamé aujourd’hui presque à l’identique des moyens de la dissuasion américaine, avec le développement de l’ICBM Sentinel, du bombardier stratégique B-21 Raider, ainsi que du nouveau SSBN classe Columbia, alors même que la menace, elle, a considérablement évoluée, en volume comme en nature, ces dix dernières années.
Sans surprise, la principale préoccupation du think tank américain, concerne la montée en puissance très rapide des moyens de frappe nucléaire chinois, venant déstabiliser le statu quo russo-américain hérité de la guerre froide.
Toutefois, là aussi, les analystes américains pointent la transformation des moyens stratégiques et nucléaires non stratégiques russes, et l’émergence de nouvelles menaces avérées (ICBM nord coréens), ou en devenir (programme nucléaire iranien), avec le risque d’une propagation rapide des armes nucléaires dans les décennies à venir.
Pour répondre à ces menaces, et bien que d’obédience républicaine, donc proche de Donald Trump, dont le programme Défense demeure très incertain, la Heritage Foundation préconise l’augmentation rapide des moyens de dissuasion américains, avec le retour à une flotte de SNLE à 16 navires, le développement d’une version mobile de l’ICBM Sentinel, et l’augmentation du nombre de B-21 Raider.
Surtout, elle préconise le développement et le déploiement rapide de capacités nucléaires non stratégiques, notamment en Europe, pour contenir l’émergence de ce type de menaces sur les théâtres européens, Pacifiques et, potentiellement, moyen-oriental.
La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?
Les arguments avancés par le Think Tank américain, pour appeler à une révision de la dissuasion américaine, dans son format comme dans sa composition, se transposent, évidemment, à la dissuasion française, elle aussi visant une modernisation itérative, des moyens dont elle dispose aujourd’hui.
Ainsi, même si elle intégrera probablement, à l’avenir, des drones de combat de type Loyal Wingmen furtifs pour accompagner les missions Poker, la composante aérienne de la dissuasion française demeurera armée d’un missile sol-air à moyenne portée et forte puissance, comme l’ASMPA-R aujourd’hui, mis en œuvre par des avions de combat tactiques Rafale, comme aujourd’hui, et soutenus par des avions de chasse d’escorte et des appareils de soutien, tanker et Awacs, comme aujourd’hui.
En outre, si les équipements seront beaucoup plus modernes, et performants, le nombre d’appareils, de missiles, et de têtes nucléaires, ne semble pas destiner à évoluer, alors que la répartition de la menace, elle, est appelée à sensiblement s’étendre.
De même, la force océanique stratégique à venir, prévoit toujours de s’appuyer sur 4 SNLE, permettant de disposer d’un navire en patrouille à tout instant, d’un navire en alerte à 24 heures, d’un navire à l’entrainement, mobilisable en quelques semaines, et d’un navire en maintenance.
Pourtant, l’arrivée de la Chine dans l’équation stratégique mondiale, et, dans une moindre mesure, de la Corée du Nord, obligera la FOST à diviser ses moyens, pour contenir simultanément ces menaces à la limite de la portée de ses missiles, notamment en déployant, au besoin, un SNLE dans une zone de patrouille mieux adaptée.
En outre, la montée en puissance des flottes sous-marines russes et chinoises, en particulièrement des flottes de sous-marins nucléaires d’attaque ou lance-missiles, SSN et SSGN, viendra accroitre le risque de compromission de l’unique navire en patrouille français, ce d’autant que le nombre de drones de patrouille sous-marine, conçus précisément pour accroitre les opportunités de détection, va nécessairement bondir dans les années à venir.
Enfin, l’absence de capacités de frappes de basse intensité, dites « Low Yield » en anglais, et de « de frappe nucléaire non stratégique », dans la nomenclature russe et en chinois, pourrait considérablement affaiblir la posture dissuasive française dans les années à venir, qu’il s’agisse de répondre à ce type de déploiement visible, de la part d’un adversaire potentiel, voire de contenir, au besoin, la menace de frappes stratégiques non nucléaires, par l’intermédiaire d’une flotte massive de drones d’attaque, à la portée budgétaire et technologique d’un grand nombre de pays.
Conclusion
On le voit, si la dissuasion française a rempli parfaitement son rôle, jusqu’à aujourd’hui, la trajectoire retenue, pour son évolution, dans les décennies à venir, bénéficierait, très certainement, d’une nouvelle analyse, prenant en considération, non pas le simple remplacement des moyens existants par des équipements plus modernes et performants, mais aussi la transformation qui est à l’œuvre, concernant la menace stratégique dans le monde.
Cet exercice permettrait, sans le moindre doute, de bâtir une vision plus actuelle sur la réalité des menaces, et leur évolution prévisible dans les années et décennies à venir, et ferait émerger une dissuasion française plus homogène, plus résiliente, et donc plus efficace, pour y faire face.
Enfin, cette démarche bénéficierait certainement d’une exposition publique, certes maitrisée pour préserver la nécessaire confidentialité là où elle est requise, mais qui permettrait de mieux cerner la construction de cette dissuasion, les moyens qui lui sont alloués, et donc, l’effort budgétaire et technologique demandé aux concitoyens, pour s’en doter, et pour assurer la sécurité du pays, comme de ses intérêts vitaux.
Faute de quoi, la France pourrait se voir doter, à l’avenir, d’une dissuasion, certes technologiquement très performante, mais incapable d’assurer efficacement sa mission dans sa globalité, avec, à la clé, des risques existentiels non maitrisés sur le pays, lui-même.
Article du 30 juillet en version intégrale jusqu’au 29 septembre
Conformément aux orientations de son dernier plan stratégique, l’armée de Terre met progressivement en place quatre nouveaux commandements dits « Alpha » qui, subordonnés au Commandement des forces terrestres [CFOT], sont censés incarner les « artères vitales qui irriguent la stratégie militaire » tout en assurant une « cohésion sans faille au sein des forces armées ».
Dit autrement, il s’agit de commandements spécialisés appelés à fournir des appuis au combat dans des domaines clés, tels que les frappes dans la profondeur, les actions « hybrides », le renseignement et la logistique.
Ces derniers mois, le « Commandement des Actions Spéciales Terre » [CAST], le « Commandement de l’Appui et de la Logistique de Théâtre » [CALT] et le « Commandement de l’Appui Terrestre Numérique et Cyber » [CATNC] ont officiellement été créés. Bien qu’il ait déjà pris part à l’exercice « Grand Duc », en mars dernier, il restait à en faire autant pour le « Commandement des Actions dans la Profondeur et du Renseignement » [CAPR]. D’où la prise d’armes organisée à Strasbourg, le 4 septembre.
À cette occasion, deux autres unités devant lui être subordonnées ont également été créées [ou recréée, pour l’une d’elles]. En effet, comme cela avait été annoncé depuis plusieurs mois, l’armée de Terre a réactivé la 19e Brigade d’Artillerie [B.ART], vingt-cinq après sa dissolution, dans le cadre de la professionnalisation des armées.
À l’époque, unité organique de la Force d’Action Rapide, la 19e B.ART réunissait les 1er, 54e et 403e régiments d’artillerie [RA]. Après sa dissolution, ces derniers furent rattachés à la Brigade d’artillerie d’Haguenau-Oberhoffen.
Relevant désormais du CAPR, par ailleurs commandé par le général Guillaume Danes, la 19e B.ART se compose des 1er et 54e RA. Mais pas seulement puisque le 61e régiment d’artillerie, jusqu’alors subordonné à la brigade de renseignement [BRENS] l’a rejoint, avec son École des drones, créée en 2023.
À noter que les capacités du 1er RA ont été amoindries avec la cession de quatre de ses treize Lance-roquettes unitaires [LRU] à l’Ukraine. Leur remplacement est prévu dans le cadre du programme « Frappe Longue Portée Terrestre » [FLPT].
Quant à la seconde unité, il ne s’agit pas non plus d’une création mais plutôt d’une transformation, la BRENS étant devenue la « Brigade de renseignement et cyber-électronique » [BRCE]. Celle-ci regroupe le 2e régiment de Hussards, les 44e et 54e régiments de transmissions, la 785e Compagnie de guerre électronique et le Centre de formation initiale des militaires / 151e RI. Au passage, le 28e groupe géographique, bien que relevant de l’artillerie, a été transféré à la Brigade génie [BGEN] du CALT.
Outre la 19e B.ART et la BRENS ce nouveau commandement dédié à l’action dans la profondeur compte également la 4e Brigade d’aérocombat [BAC], formée par les 1er, 3e et 5e régiments d’hélicoptères de combat [RHC] ainsi que par le 9e régiment de soutien aéromobile. Enfin, le Centre du renseignement Terre [CRT], avec 180 spécialistes de l’exploitation du renseignement, complète son ordre de bataille.
«L’armée de Terre de combat s’adapte à la géométrie du champ de bataille. Dernier-né des grands commandements mis sur pied dans le cadre de sa transformation, le CAPR aura la responsabilité de la portion de terrain s’étendant devant la ligne des contacts, où les unités de renseignement, d’aérocombat et d’artillerie qui relèvent de son autorité agiront en étroite coordination pour renseigner et délivrer des feux dans la profondeur », a expliqué le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT]. Et d’ajouter : Il « possède des atours pour contribuer à comprendre l’adversaire dès la phase de contestation et pour fournir les capacités-clefs d’une nation-cadre ».
Selon les explications données par le CEMAT, la création de ce nouveau commandement est liée aux retours d’expérience [RETEX] des combats en Ukraine et au Haut-Karabakh, au cours desquels il est apparu que l’accélération de la « boucle acquisition-feux » était centrale, grâce à la combinaison de « capteurs et d’effecteurs ».
« Imposer sa supériorité au combat passe désormais par la détection, la reconnaissance et l’identification d’objectifs au plus loin, qui précèdent leur destruction », a-t-il résumé.
C’est le projet militaire le plus cher de l’histoire estimé à 148,8 milliards d’euros et les États-Unis souhaitent y mettre bon ordre pour en baisser les coûts
L’Air Force face à la complexité et aux coûts exorbitants du missile Sentinel.
L’Armée de l’air américaine (U.S. Air Force) se confronte à un défi majeur avec le développement de son nouveau missile intercontinental, le LGM-35A Sentinel. Les responsables admettent avoir sous-estimé la complexité de l’infrastructure au sol nécessaire pour le déploiement de ce système d’armement avancé, entraînant ainsi des dépassements de coûts considérables.
Une sous-estimation initiale des coûts d’infrastructure pour le projet Sentinel
Andrew Hunter, secrétaire adjoint de l’Air Force pour l’acquisition, la technologie et la logistique, a révélé lors de la conférence de Defense News à Arlington, Virginie, que l’attention s’était principalement portée sur le missile lui-même, négligeant ainsi la complexité de l’infrastructure au sol. Le programme initial prévoyait un budget de 72,26 milliards d’euros pour le Sentinel, mais les estimations actuelles suggèrent que les coûts pourraient grimper à environ 148,8 milliards d’euros si aucune modification n’est apportée.
Révision critique et réduction des coûts
Face à l’augmentation alarmante des coûts et aux préoccupations des législateurs ainsi que des responsables du Pentagone, une violation critique du seuil Nunn-McCurdy a été déclarée, incitant à une réévaluation complète du programme. Bien que la décision finale soit de ne pas annuler le projet, étant jugé trop crucial, une restructuration s’impose pour réduire les dépenses. Même une version modifiée du programme est estimée à 131,04 milliards d’euros, soit 81% de plus que l’estimation initiale.
Un processus exhaustif pour l’optimisation des coûts
Le vice-chef d’état-major général, Jim Slife, a déclaré que l’Air Force examinait minutieusement chaque ligne des exigences du Sentinel pour identifier les possibles réductions de coûts. Ce processus rigoureux, qui devrait prendre plusieurs mois, nécessite de revalider toutes les exigences en les reliant directement aux directives présidentielles ou départementales concernant la sécurité, la sûreté et la survie du système.
L’importance cruciale de l’infrastructure au sol
L’infrastructure au sol, qui comprend la construction de nouveaux centres de contrôle de lancement et la rénovation des silos existants, ainsi que le remplacement de câbles en cuivre par des fibres optiques modernes sur environ 7 500 miles (environ 12 000 km), est essentielle pour rendre le système de missiles ICBM efficace comme moyen de dissuasion nucléaire. La complexité de cette infrastructure est un aspect clé que l’Air Force s’efforce de simplifier pour maîtriser les coûts.
Redécouverte des compétences d’acquisition
Il est à noter que l’Air Force n’a pas entrepris d’acquisition majeure de ce type depuis le déploiement du Minuteman III au début des années 1970. Cette lacune dans l’expérience récente oblige l’Air Force à réapprendre certaines compétences essentielles et à améliorer ses capacités pour gérer efficacement la complexité du programme Sentinel.
Cet article explore les défis et les efforts déployés par l’U.S. Air Force pour maîtriser les coûts explosifs du programme de missiles LGM-35A Sentinel. En détaillant la sous-estimation initiale de la complexité et les mesures prises pour contenir les dépassements de budget, il met en lumière les défis logistiques et financiers auxquels l’armée est confrontée dans le renforcement de sa défense nucléaire.
La dissuasion française constitue, aujourd’hui, l’un des piliers de la posture de défense du pays, tout en conférant à Paris son autonomie stratégique lui garantissant une liberté de position et de ton rare, y compris dans le camp occidental.
Son incontestable efficacité, depuis 1964, sera préservée, pour les quatre décennies à venir, par la modernisation de ses deux composantes stratégiques, avec l’arrivée du nouveau missile de croisière supersonique aéroporté ASN4G, dès 2035, et l’entrée en service des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE 3G, à cette même échéance.
C’est, tout du moins, ainsi que la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, présente le sujet, qui va consacrer plus de 50 Md€ à cette mission sur son exécution, avec l’objectif de remplacer, presque à l’identique et à partir de 2035, les moyens actuels, par des capacités largement modernisées, donc plus efficaces.
Toutefois, ces dernières années, les menaces pouvant viser, potentiellement, la France, comme ses intérêts vitaux, censées protéger par la dissuasion nationale, ont considérablement évoluer, dans leur nature, leur origine et leur volume.
Alors que de nombreuses voix s’élèvent, outre-Manche comme outre-Atlantique, appelant à une révision profonde et rapide des postures de dissuasion britanniques et américaines, pour répondre à ces évolutions, il est, peut-être, nécessaire de faire de même en France, sans attendre la fin de la LPM en cours, pour transformer l’outil au cœur de la sécurité stratégique du pays, et de ses intérêts vitaux.
Sommaire
La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité
L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française
L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée
De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine
La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?
Conclusion
La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité
Bâtie sur le principe de stricte nécessité, la dissuasion française a pour fonction de donner aux autorités du pays, les moyens nécessaires et suffisants, pour s’intégrer efficacement dans le discours stratégique mondial, et ce, de manière strictement autonome, tout en assurant la sécurité et l’intégrité du pays.
Celle-ci se décompose, aujourd’hui, en deux forces aux capacités complémentaires. La première est la Force aérienne stratégique, forte de deux escadrons de chasse équipés de chasseurs Rafale et d’une cinquantaine de missiles nucléaires supersoniques ASMPA-R, d’une portée de plus de 500 km, et transportant une tête nucléaire TNA de 100 à 300 kilotonnes.
À cette capacité mise en œuvre par l’Armée de l’air, s’ajoute, ponctuellement, la Force Aéronavale Nucléaire, ou FaNu, permettant à des Rafale M de la flottille 12F, de mettre en œuvre ce même missile ASMPA-R, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.
Ensemble, ces deux capacités confèrent aux autorités françaises en vaste champ opérationnel et lexical stratégique, la composante aérienne formant la force visible pour répondre aux déploiements de forces ou à la menace d’un adversaire potentiel, et la composante sous-marine, en assurant l’adversaire d’une destruction presque complète, s’il venait à frapper la France ou ses intérêts vitaux, et ce, même si la France était elle-même frappée massivement par des armes nucléaires.
En outre, cette dissuasion, face à la Russie, toujours, est également suffisante pour être étendue à d’autres pays européens alliés, le cas échéant. Son efficacité est, en effet, liée à sa capacité de destruction chez l’adversaire, et non au périmètre qu’elle protège, même si, dans ce domaine, la perception de la détermination française pour protéger ses alliés, y compris en assumant le risque nucléaire, joue également un rôle déterminant.
De fait, aujourd’hui, la dissuasion française remplie pleinement, et parfaitement sa mission, et peut même, le cas échéant, le faire sur un périmètre plus étendu. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la LPM 2024-2030, sa modernisation, avec l’arrivée du missile ASN4G pour remplacer l’ASMPA-R, et du SNLE 3G pour remplacer les SNLE classe Triomphant, est prévue à partir de 2035, avec un périmètre strictement identique.
L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française
Toutefois, ces dernières années, sont apparues de nouvelles menaces, susceptibles de profondément bouleverser l’équilibre stratégique sur lequel est aujourd’hui bâtie la dissuasion française, et qui est transposé, au travers de la LPM 2024-2030, dans la dissuasion NG française, à partir de 2035.
Ainsi, alors que la menace stratégique pouvant viser la France et ses intérêts vitaux, jusqu’à présent, était avant tout constituée par l’arsenal stratégique russe, d’autres pays, aujourd’hui, se sont dotés de moyens comparables, susceptibles d’atteindre la France, ses territoires ultramarins ou ses intérêts.
C’est en particulier le cas de la Corée du Nord, qui a développé un missile ICBM pouvant atteindre l’Europe, le Hwasong-15, d’une portée de 13.000 km, et qui pourrait, prochainement, être doté de têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV.
L’Iran, pour sa part, dispose déjà de missiles balistiques susceptibles d’atteindre le sol européen, avec le Shahab-5 d’une portée estimée au-delà de 4500 km. Si le pays ne dispose pas, pour l’heure, d’un arsenal nucléaire, plusieurs services de renseignement, y compris le Mossad israélien, estiment que Téhéran ne serait plus qu’à quelques mois de pouvoir s’en doter.
Dans les deux cas, ces pays pourraient enregistrer, dans les mois et années à venir, des progrès substantiels dans leurs programmes nucléaires et balistiques, avec une aide technologique possible venue de Russie, en échange du soutien de Téhéran et Pyongyang à l’effort militaire russe contre l’Ukraine.
Surtout, les armées russes se dotent très rapidement de nouvelles capacités nucléaires non stratégiques, qu’il s’agisse de missiles balistiques à courte et moyenne portée, ou de missiles de croisières super ou hypersoniques, tous pouvant alternativement être équipés de charges militaires conventionnelles ou nucléaires.
Pékin se dote, notamment, de capacités stratégiques renouvelées, avec le nouveau missile ICBM à carburant solide DF-41, qui existe en version mobile et en silos, et le missile SLBM JL-3 qui arme les nouveaux SNLE Type 09IV chinois. Comme Moscou, toutefois, les forces chinoises s’équipent aussi d’un nombre croissant de vecteurs à plus courte portée, et d’une puissance de destruction non stratégique, à vocation conventionnelle ou nucléaire.
L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée
L’exemple le plus célèbre, pour illustrer ces nouvelles menaces, est l’arrivée des drones d’attaque à longue portée, mis en évidence avec les drones Shahed-136 iraniens et Geran-2 russes, employés par les forces de Moscou pour frapper les installations civiles clés en Ukraine.
Bien que vulnérables et transportant une charge militaire relativement réduite, ces drones disposent de deux atouts les transformants en menace potentiellement stratégique, pour un pays comme la France.
D’abord, leur portée, pouvant dépasser les 2000 km aujourd’hui, probablement davantage demain, leur permet d’atteindre des cibles très distantes, pour mener des frappes destructrices contre les infrastructures civiles d’un pays, comme le réseau de communication, le réseau de transport, les réserves de carburant, les capacités industrielles et énergétiques, voire les centres de commandement et de coordination militaires et civils, y compris politiques.
Or, au-delà de la possibilité d’atteindre dans la profondeur des infrastructures clés, cette portée augmente, au carré, le nombre d’infrastructures potentiellement ciblées, rendant leur protection presque impossible par des moyens antidrones classiques. Ainsi, si un drone d’une portée de 500 km peut atteindre, potentiellement, les cibles présentes sur 200.000 km² du territoire adverse, une portée de 1000 km, porte cette surface à 800.000 km².
Surtout, ces drones sont relativement simples et rapides à concevoir et à construire, et ils sont peu onéreux. Ainsi, un drone de la famille Geran-2, serait produit pour 2 à 3 millions de roubles en Russie, soit 20 à 30 k$. Ce faisant, une flotte de 5000 de ces drones, susceptibles de saturer, endommager ou détruire la plupart des grandes infrastructures d’un pays comme la France, peut-être construire en une année, et pour à peine 150 m$.
Ainsi, certains pays hostiles ou sous influence, peuvent se doter, à moindres frais, et sur des courts délais, de capacités de frappes au potentiel de destruction quasi stratégique, contre un pays très développé, qu’il serait presque impossible de contrer, et ce, sans même devoir franchir le seuil nucléaire.
Cette capacité, et d’autres comme les armes à impulsion électromagnétique, les attaques cyber, voire les moyens chimiques ou biologiques, peuvent engendrer, à relativement court terme, un profond bouleversement de la menace stratégique susceptible de viser, potentiellement, la France, contre laquelle la dissuasion, dans son format actuel, et tel que prévu dans les décennies à venir, pourrait ne pas suffire.
De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine
Si les questions portant sur la dissuasion, sont très rarement débattues sur la scène publique en France, en particulier par les militaires et les Think Tank qui travaillent pour le ministère des Armées, ce n’est pas le cas, bien au contraire, aux États-Unis.
Ainsi, le think tank conservateur américain Heritage Foundation, vient de publier une analyse stratégique pour anticiper la nouvelle Nuclear Posture Review (NPR), qui doit être rédigée et débattue en 2025, par la nouvelle administration américaine, qui sortira des urnes en novembre 2024.
Comme évoqué ici, la Heritage Foundation porte un regard critique sur le renouvellement, entamé aujourd’hui presque à l’identique des moyens de la dissuasion américaine, avec le développement de l’ICBM Sentinel, du bombardier stratégique B-21 Raider, ainsi que du nouveau SSBN classe Columbia, alors même que la menace, elle, a considérablement évoluée, en volume comme en nature, ces dix dernières années.
Sans surprise, la principale préoccupation du think tank américain, concerne la montée en puissance très rapide des moyens de frappe nucléaire chinois, venant déstabiliser le statu quo russo-américain hérité de la guerre froide.
Toutefois, là aussi, les analystes américains pointent la transformation des moyens stratégiques et nucléaires non stratégiques russes, et l’émergence de nouvelles menaces avérées (ICBM nord coréens), ou en devenir (programme nucléaire iranien), avec le risque d’une propagation rapide des armes nucléaires dans les décennies à venir.
Pour répondre à ces menaces, et bien que d’obédience républicaine, donc proche de Donald Trump, dont le programme Défense demeure très incertain, la Heritage Foundation préconise l’augmentation rapide des moyens de dissuasion américains, avec le retour à une flotte de SNLE à 16 navires, le développement d’une version mobile de l’ICBM Sentinel, et l’augmentation du nombre de B-21 Raider.
Surtout, elle préconise le développement et le déploiement rapide de capacités nucléaires non stratégiques, notamment en Europe, pour contenir l’émergence de ce type de menaces sur les théâtres européens, Pacifiques et, potentiellement, moyen-oriental.
La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?
Les arguments avancés par le Think Tank américain, pour appeler à une révision de la dissuasion américaine, dans son format comme dans sa composition, se transposent, évidemment, à la dissuasion française, elle aussi visant une modernisation itérative, des moyens dont elle dispose aujourd’hui.
Ainsi, même si elle intégrera probablement, à l’avenir, des drones de combat de type Loyal Wingmen furtifs pour accompagner les missions Poker, la composante aérienne de la dissuasion française demeurera armée d’un missile sol-air à moyenne portée et forte puissance, comme l’ASMPA-R aujourd’hui, mis en œuvre par des avions de combat tactiques Rafale, comme aujourd’hui, et soutenus par des avions de chasse d’escorte et des appareils de soutien, tanker et Awacs, comme aujourd’hui.
En outre, si les équipements seront beaucoup plus modernes, et performants, le nombre d’appareils, de missiles, et de têtes nucléaires, ne semble pas destiner à évoluer, alors que la répartition de la menace, elle, est appelée à sensiblement s’étendre.
De même, la force océanique stratégique à venir, prévoit toujours de s’appuyer sur 4 SNLE, permettant de disposer d’un navire en patrouille à tout instant, d’un navire en alerte à 24 heures, d’un navire à l’entrainement, mobilisable en quelques semaines, et d’un navire en maintenance.
Pourtant, l’arrivée de la Chine dans l’équation stratégique mondiale, et, dans une moindre mesure, de la Corée du Nord, obligera la FOST à diviser ses moyens, pour contenir simultanément ces menaces à la limite de la portée de ses missiles, notamment en déployant, au besoin, un SNLE dans une zone de patrouille mieux adaptée.
En outre, la montée en puissance des flottes sous-marines russes et chinoises, en particulièrement des flottes de sous-marins nucléaires d’attaque ou lance-missiles, SSN et SSGN, viendra accroitre le risque de compromission de l’unique navire en patrouille français, ce d’autant que le nombre de drones de patrouille sous-marine, conçus précisément pour accroitre les opportunités de détection, va nécessairement bondir dans les années à venir.
Enfin, l’absence de capacités de frappes de basse intensité, dites « Low Yield » en anglais, et de « de frappe nucléaire non stratégique », dans la nomenclature russe et en chinois, pourrait considérablement affaiblir la posture dissuasive française dans les années à venir, qu’il s’agisse de répondre à ce type de déploiement visible, de la part d’un adversaire potentiel, voire de contenir, au besoin, la menace de frappes stratégiques non nucléaires, par l’intermédiaire d’une flotte massive de drones d’attaque, à la portée budgétaire et technologique d’un grand nombre de pays.
Conclusion
On le voit, si la dissuasion française a rempli parfaitement son rôle, jusqu’à aujourd’hui, la trajectoire retenue, pour son évolution, dans les décennies à venir, bénéficierait, très certainement, d’une nouvelle analyse, prenant en considération, non pas le simple remplacement des moyens existants par des équipements plus modernes et performants, mais aussi la transformation qui est à l’œuvre, concernant la menace stratégique dans le monde.
Cet exercice permettrait, sans le moindre doute, de bâtir une vision plus actuelle sur la réalité des menaces, et leur évolution prévisible dans les années et décennies à venir, et ferait émerger une dissuasion française plus homogène, plus résiliente, et donc plus efficace, pour y faire face.
Enfin, cette démarche bénéficierait certainement d’une exposition publique, certes maitrisée pour préserver la nécessaire confidentialité là où elle est requise, mais qui permettrait de mieux cerner la construction de cette dissuasion, les moyens qui lui sont alloués, et donc, l’effort budgétaire et technologique demandé aux concitoyens, pour s’en doter, et pour assurer la sécurité du pays, comme de ses intérêts vitaux.
Faute de quoi, la France pourrait se voir doter, à l’avenir, d’une dissuasion, certes technologiquement très performante, mais incapable d’assurer efficacement sa mission dans sa globalité, avec, à la clé, des risques existentiels non maitrisés sur le pays, lui-même.
Article du 31 juillet, en version intégrale jusqu’au 6 septembre 2024
À l’occasion de la Conférence navale de Paris, qui s’est tenue il y a quelques jours, le Chef d’état-major des Armées français, le général Thierry Burkhard, a défendu la pertinence et l’efficacité du porte-avions dans la guerre navale moderne.
Soutenant la décision de remplacer le Charles de Gaulle par le porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, en 2038, le CEMA a ainsi fait une liste non exhaustive des différentes capacités exclusives à ce navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, allant de la rupture d’un déni d’accès à la communication géopolitique, en passant par la transformation de la géométrie d’un espace de crise ou de conflit.
Le fait est, si le porte-avions fait toujours l’objet de nombreuses critiques, il est aussi doté de capacités opérationnelles, technologiques et politiques, qui en font un outil sans équivalent à disposition des états-majors et des autorités politiques, qui peuvent aisément justifier son existence, mais qui, dans le même temps, interrogent sur la nécessité d’un second navire pour assurer la permanence de ces mêmes capacités jugées uniques et indispensables…
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Trop vulnérable, trop cher… La pertinence du porte-avions remise (à nouveau) en question
Ces dernières années, la pertinence du porte-avions a été fréquemment remise en cause, en France comme aux États-Unis, y compris au sein des armées. Pour ses détracteurs, le porte-avions est désormais un outil obsolète, trop vulnérable pour représenter un atout opérationnel. Cette perception a été accrue avec l’apparition des missiles balistiques antinavires, ou AShBM, comme le DF-21D et le DF-16 chinois, et surtout le missile hypersonique antinavires 3M22 Tzirkon russe.
Présentés comme imparables par certains, ces nouveaux missiles seraient, en effet, capables d’atteindre une cible majeure, comme un porte-avions ou un grand navire amphibie, à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres, sans qu’il soit possible de s’en protéger.
En outre, les investissements nécessaires pour concevoir, construire et mettre en œuvre un porte-avions moderne, son groupe aérien embarqué, et son escorte de frégates, destroyers, navires logistiques et sous-marins, pourraient, toujours selon ses détracteurs, être bien mieux employé dans d’autres domaines, également sous tension.
En revanche, la question de la prétendue vulnérabilité du porte-avions face aux nouvelles menaces, n’est pas un enjeu. Certes, de nouveaux missiles antinavires sont apparus. Toutefois, leurs performances ne constituent, dans les faits, qu’une évolution des performances qu’avaient certains missiles plus anciens, notamment les missiles antinavires supersoniques soviétiques, qui évoluaient au-delà de Mach 1 en transit, et Mach 3 ou 4 en attaque finale.
Comme ce fut le cas dans les années 70, avec la conception du système AEGIS et du couple F-14 Tomcat/ AIM-54 Phoenix, pour contrer la menace que représentaient ces nouveaux missiles soviétiques, de nouveaux missiles et systèmes défensifs sont en développement pour contrer ces missiles balistiques, hypersoniques ou non, antinavires.
À ce titre, les destroyers américains ont déjà pu employer, avec succès, le nouveau missile SM-6 pour intercepter les AShBM Houthis en mer Rouge, ce qui tend à indiquer qu’ils seront aussi capables d’intercepter les DF-21D et DF-16, les fameux Tueurs de Porte-Avions chinois, qui avait tant fait couler d’encre il y a quelques années. Il est probable qu’un missile comme l’Aster 30 soit, lui aussi, d’une telle interception. Et il en va de même de la menace hypersonique.
En d’autres termes, si, comme l’a reconnu le général Burkhard , il n’est plus possible, aujourd’hui, de revendiquer la supériorité technologique sur un espace de conflictualité, naval ou autre, le porte-avions n’est pas plus exposé ou vulnérable qu’il ne l’était auparavant, tout en conservant des capacités exceptionnelles.
La Groupe d’action naval, un outil d’une polyvalence inégalée
Ces atouts uniques sont au nombre de quatre. Le premier d’entre eux, repose sur la polyvalence sans équivalent, d’un porte-avions et de son Groupe d’Action Navale à la mer. Cette polyvalence a été démontrée, ces dernières semaines, par le déploiement de l’USS Eisenhower en Méditerranée et au Proche-Orient.
Initialement, la mission de Carrier Strike Group de l’Eisenhower, était d’effectuer une démonstration de forces au large des côtes israéliennes, suite à l’attaque du 7 octobre, pour contenir le conflit et empêcher son extension. Après quoi, il fut envoyé dans le golfe d’Aden, d’abord pour protéger les navires commerciaux des frappes Houthis, puis pour mener des frappes contre ces mêmes infrastructures Houthis desquelles les missiles étaient lancés.
De fait, au cours d’un même déploiement, le navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, ont effectué plusieurs missions de nature très différentes, aussi bien offensives que défensives, et même purement géopolitiques.
En effet, le groupe aérien du porte-avions, ses moyens propres et ceux de son escorte, confèrent au groupe d’action naval une polyvalence supérieure à celle de n’importe quelle unité navale, et même aérienne, susceptible non seulement de remplir un très vaste panel de missions, mais de les remplir simultanément ou successivement lors d’un même déploiement.
La capacité à durer d’un porte-avions au combat
Non seulement le porte-avions est-il d’une polyvalence inégalable, mais il dispose, en outre, d’un atout remarquable, sa capacité à durer au combat. En effet, contrairement à la plupart des navires militaires, le porte-avions a la possibilité de régénérer, voire de remplacer dynamiquement ses moyens offensifs et défensifs, au cours d’un même déploiement.
Ainsi, si l’Armée de l’Air et de l’Espace était parvenue à effectuer, avec l’ide de frégates de la Marine nationale, l’opération Hamilton contre les infrastructures chimiques syriennes, en avril 2018, celle-ci aurait été incapable de mener des frappes de même type dans la durée.
En effet, chaque mission ayant une durée de plus d’une dizaine d’heures, et mobilisant un grand nombre d’avions de soutien pour accompagner les Rafale et Mirage 2000-5 de la métropole jusqu’à la Méditerranée Orientale, l’Armée de l’Air serait rapidement arrivée à court de son potentiel au bout de quelques missions seulement.
À l’inverse, le porte-avions peut maintenir une posture opérationnelle, beaucoup plus proche des cibles visées, et donc mener des frappes quotidiennes, tout en économisant le potentiel de vol de ses aéronefs, pendant plusieurs mois. Ainsi, l’USS America, CVA-66, a été déployé en mission opérationnelle au large des côtes vietnamienne, durant 292 jours, de juin 1972 à mars 1973.
Faute de disposer d’un allié acceptant l’utilisation de ses bases, comme c’était le cas pour les frappes contre la Syrie, la base aérienne française de Jordanie ne pouvant être employée pour cette mission, le porte-avions est le seul à pouvoir maintenir une pression constante et soutenue, sur le dispositif adverse.
L’adaptabilité intrinsèque du porte-avions pour répondre aux évolutions
Système de systèmes par excellence, le porte-avions et son groupe naval, se caractérise également par une très importante évolutivité, lui conférant de nouvelles capacités qui ne s’imaginaient peut-être pas, lors de son entrée en service.
Ainsi, le groupe aérien de l’USS Nimitz, entré en service en 1975, se composait initialement de F-4 Phantom 2, A-6 Intruder et A-7 Corsair II, à la sortie de la guerre du Vietnam. Il se compose, dorénavant, de F/A-18 E/F Super Hornet et C Hornet, de EA-18G Growler et de E-2C Hawkeye, lui conférant des possibilités sans commune mesure avec son groupe aérien initial. Ses sisterships emportent, quant à eux, le nouveau F-35C, et certains pourraient même accueillir le futur NGAD.
Son escorte, quant à elle, est passée des croiseurs Longbeach ou California, destroyers Spruance, frégates Knox et sous-marins Los Angeles, aux destroyers Arleigh Burke et croiseurs Ticonderoga armés du système antiaérien et antibalistique AEGIS et de missiles de croisière Tomahawk, et sous-marins Virginia. En outre, par son volume et sa capacité énergétique, le porte-avions lui-même est une plate-forme nativement conçue pour être évolutive.
Ainsi, le Charles de Gaulle français s’est vu doté, au fil des années, de nombreuses capacités nouvelles, alors qu’à l’occasion de sa prochaine phase de modernisation, il recevra le nouveau radar AESA à face plane Sea Fire 500 de Thales, lui permettant de contrôler un espace aérien sur 350 km de rayon, étendues par les capacités de détection des nouvelles frégates FDI, elles aussi, équipées du même radar, et du nouvel avion radar E-2D Hawkeye.
Cette capacité à évoluer, et à intégrer de nouveaux moyens pour répondre à l’évolution de la menace sur les différents espaces de conflictualité, est, à ce titre, présentée comme l’un des enjeux clés du développement du nouveau porte-avions nucléaire PANG de la Marine nationale, par le CEMA lui-même.
La visibilité du porte-avions, un atout majeur dans la guerre de communication et la communication de guerre
Enfin, le porte-avions peut se parer d’une dernière vertu, que très peu de moyens militaires peuvent égaler, tout au moins dans le domaine conventionnel. En effet, au-delà de son potentiel offensif et défensif global, et de sa capacité à faire peser une menace constante sur l’adversaire, le porte-avions a un atout majeur dans la guerre moderne : il dispose d’une visibilité aussi importante que modulable.
Ainsi, l’envoi d’un porte-avions et de son escorte, à proximité d’un espace de crise, constitue aujourd’hui un message politique et diplomatique d’une immense portée, qui ne peut, objectivement, être dépassée que par le déploiement de missiles à capacités nucléaires, ou d’une force armée conventionnelle considérable.
Il s’agit, pour les pays qui disposent de cet outil, souvent du dernier avertissement précédant une frappe massive, qui d’ailleurs a fréquemment eu les effets escomptés, y compris contre des pays vindicatifs, comme l’Iran, la Syrie, la Libye, ou la Corée du Nord. Dans la même temps, par sa grande mobilité, le porte-avions sait aussi se faire discret, lorsque cela est nécessaire.
Conclusion
Bien que remis en cause par certains, le porte-avions demeure, aujourd’hui, un outil sans équivalent en matière de guerre navale, et ce, dans de nombreux domaines. Par sa polyvalence, sa capacité à durer, son évolutivité et sa visibilité, il confère aux pays qui en disposent, et à leur marine, un potentiel opérationnel et politique unique pour agir sur une crise, ou un conflit ayant une dimension navale.
Reste qu’il s’agit d’un outil onéreux, que l’on peut aisément comparer, à l’autre bout du spectre naval, avec les sous-marins à propulsion nucléaire, aussi discrets, invisibles et spécialisés que le porte-avions est ostentatoire, visible et polyvalent. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce sont les pays qui disposent, également, de ce type de sous-marins qui, par ailleurs, alignent les porte-avions les plus importants.
Reste qu’en France, si la question du remplacement du Charles de Gaulle par le PANG, ne semble plus se poser, celle de la construction d’un second navire, de même type, ou de dimensions plus réduites, et doté d’une propulsion conventionnelle, pour en optimiser les couts et le potentiel export, ne semblent pas, non plus, sérieusement considérée, alors qu’un unique navire ne permet d’en avoir la jouissance opérationnelle que 40 à 50% du temps, dans le meilleur des cas.
En outre, en dépit des surcouts engendrés par une telle décision, des solutions existent précisément pour en réduire les effets de captation sur les autres budgets des armées, comme la coopération internationale européenne, avec des pays comme la Belgique et les Pays-Bas, dont les frégates escortent fréquemment le Charles de Gaulle ces dernières années.
Il faudra donc, dans un avenir proche, mettre en cohérence les positions et les besoins opérationnels, avec les ambitions politiques, et surtout avec les moyens conférés aux armées, en particulier dans ce domaine.
Article du 2 février en version intégrale jusqu’au 21 aout 2024
Cela n’aura guère trainé. Après l’évocation, par le président français Emmanuel Macron, de la possibilité d’envoyer des troupes européennes en Ukraine, les réactions, souvent peu favorables, se sont multipliées, en Europe, aux États-Unis, mais aussi au sein de la classe politique française. Les seconds couteaux de la communication russe, pour leur part, tentèrent de tourner en dérision la menace.
Ce n’est pas le cas de Vladimir Poutine. Loin de considérer l’hypothèse, ou la France, comme quantité négligeable, celui-ci a vigoureusement brandi la menace nucléaire, contre la France, et surtout l’ensemble de l’Europe, si jamais les européens venaient s’immiscer sur « le territoire russe », sans que l’on sache, vraiment, si l’Ukraine faisait, ou pas, parti de sa conception de ce qu’est le territoire russe, d’ailleurs.
De toute évidence, le président russe est prêt à user de l’ensemble de son arsenal, y compris nucléaire, pour convaincre les occidentaux de se ternir à distance de ce qu’il considère comme la sphère d’influence de Moscou, une notion par ailleurs fort dynamique dans les propos du chef d’État russe depuis 20 ans.
Dans ce contexte, et alors que le soutien et la protection américaine sont frappés d’incertitudes après les déclarations de Donald Trump, la dissuasion française apparait comme le rempart ultime contre les ambitions de Vladimir Poutine en Europe. La question est : est-elle capable de le faire ?
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Des menaces de plus en plus appuyées de la part du kremlin contre la France et l’Europe
Les menaces proférées contre l’Europe par Vladimir Poutine ce 29 février, alors qu’il s’exprimait face aux parlementaires russes, constituent, certes, une réponse particulièrement musclée aux hypothèses évoquées par le président Macron en début de semaine. Pour autant, elles sont loin de représenter une rupture dans la position récente russe, et encore moins une surprise.
La menace nucléaire russe agitée depuis 2014 et la prise de la Crimée
Déjà, lors de l’intervention des armées russes en Crimée, en 2014, pour se saisir, par surprise, de la péninsule ukrainienne, Vladimir Poutine avait élevé le niveau d’alerte de ses forces nucléaires, et déployé des batteries de missiles Iskander-M, pour prévenir toute interférence de l’Occident.
Il fit exactement de même en février 2022, lorsqu’il ordonna l’offensive contre l’Ukraine, et le début de la désormais célèbre « opération militaire spéciale », ou специальной военной операции en russe (CBO), en annonçant, là encore, la mise en alerte renforcée des forces stratégiques aériennes et des forces des fusées.
Une réponse ferme de la dissuasion occidentale en février et mars 2022
L’efficacité de cette mesure fut toutefois moindre que lors de la prise de la Crimée, lorsque européens comme américains demeurèrent figés, se demandant qui pouvaient bien être « ces petits hommes verts », qui avaient fait main basse sur ce territoire ukrainien, à partir des bases et des navires de débarquement russes.
En 2022, sous l’impulsion des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et surtout des pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et les Pays baltes, l’aide militaire occidentale s’est organisée en soutien à l’Ukraine, avec le transfert d’équipements de plus en plus performants, d’abord des missiles antichars et antiaériens d’infanterie (février 2022), puis des blindés de l’époque soviétique (mars 2022), suivis par les premiers blindés et systèmes d’artillerie occidentaux (avril-mai 2022).
Dans le même temps, les trois nations dotées occidentales, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, répondirent à la mise en alerte des forces nucléaires russes, par le renforcement de leurs propres moyens de dissuasion, dans un bras de fer que le monde n’avait plus connu depuis 1985 et la fin de la crise des euromissiles.
Ainsi, en mars 2022, quatre semaines après le début du conflit, la France annonçait qu’elle disposait de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engin à la mer, dans une réponse tout à fait unique et exceptionnelle depuis la fin de la guerre de froide.
Des menaces qui ont porté leurs fruits pour contenir la livraison d’armes à l’Ukraine
En dépit de la fermeté de la réponse stratégique occidentale, la menace russe porta ses fruits. Il fallut, ainsi, plus d’une année pour que les occidentaux acceptent de livrer à l’Ukraine des blindés lourds modernes, comme des véhicules de combat d’infanterie (Bradley, Marder, CV90), ou des chars de combat (Leopard 2, Abrams, Challenger 2).
Un an et demi furent nécessaires pour qu’ils livrent des munitions à longue portée (Storm Shadow et Scalp-Er..), et plus de deux ans, pour que les premiers avions de combat F-16, n’arrivent en Ukraine (ce qui n’est pas encore le cas). C’est certainement la raison qui a convaincu Moscou de persévérer en ce sens.
Ainsi, en mars 2023, le chef de l’US Strategic Command, l’Amiral Charles Richard, estimait qu’il fallait s’attendre, dans les mois et années à venir, à ce que Moscou, comme Pékin, multiplient les tentatives de chantage nucléaire, en particulier contre les pays non dotés, bien plus sensibles à ce type de menace.
Le fait est, celle-ci a été très brandie par la Russie, de manière très régulière, et peu convaincante, par les séides du Kremlin, comme Medvedev, Peskov ou Lavrov, et de manière moins fréquente, mais beaucoup plus appuyée, par Vladimir Poutine et Nikolai Patrushev, dont la parole a beaucoup plus de poids.
La puissance des forces nucléaires russes est stupéfiante
Il faut dire que la puissance des forces de dissuasion nucléaire russes est pour le moins impressionnante, faisant aisément jeu égal avec celle des États-Unis, un pays pourtant 12 fois plus riche, et trois fois plus peuplé.
5 977 têtes nucléaires dont 4 477 sont opérationnelles
Elle s’appuie sur 5 977 têtes nucléaires en inventaire (2022), dont 4 477 seraient opérationnelles. Parmi elles, 2 567 arment les systèmes stratégiques russes, alors que 1 910 têtes nucléaires sont employées à bord de systèmes dits non stratégiques, auxquels appartiennent les missiles balistiques à courte portée Iskander-M ou le missile aéroporté Kinzhal.
50+ Tu-95MS et une vingtaine de bombardiers supersoniques Tu-160M
À l’instar des États-Unis et de la Chine, les forces stratégiques russes s’appuient sur une triade de vecteurs, navals, aériens et terrestres. Dans le domaine aérien, Moscou dispose d’un peu moins d’une centaine de bombardiers stratégiques à très long rayon d’action, dont une cinquantaine de Tu-95MS modernisés lors de la précédente décennie, ainsi qu’une vingtaine de Tu-160M supersoniques.
Ces appareils mettent en œuvre des missiles de croisière, comme le Kh-102 ou le Kh-65, transportant une unique charge nucléaire de faible à moyenne intensité. D’autres appareils, comme le bombardier à long rayon d’action Tu-22M3M, ou le Su-34, peuvent, eux aussi, transporter des missiles ou des bombes armés d’une tête nucléaire, alors qu’une dizaine de Mig-31K a été transformée pour transporter le missile balistique aéroporté Kinzhal, pouvant être armé d’une charge nucléaire.
11 sous-marins nucléaires SSBN armés de missiles balistiques stratégiques
Dans le domaine naval, la Marine russe dispose d’une flotte de 11 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SSBN selon l’acronyme anglais, en l’occurrence, 4 Boreï-A, 3 Boreï et 4 Delta-IV. Ces derniers seront remplacés, d’ici à 2031, par 5 nouveaux Boreï-A, pour atteindre une flotte de 12 SSBN modernes au début de la prochaine décennie, identique à celle de l’US Navy.
Chaque Boreï-A transporte 16 missiles balistiques intercontinentaux à changement de milieux SLBM R30 Bulava d’une portée supérieure à 8 000 km, eux-mêmes armés de 6 véhicules indépendants de rentrée atmosphérique MIRV, armés chacun d’une tête nucléaire de 100 à 150 kt.
Outre la flotte de SSBN, la Marine russe met également en œuvre le sous-marin Belgorod, conçu pour déployer la torpille nucléaire Poseidon, alors que ses sous-marins nucléaires lance-missiles SSGN Anteï et Iassen, peuvent mettre en œuvre des missiles de croisière Kalibr, ou des missiles antinavires hypersoniques Tzirkon, pouvant, eux aussi, accueillir une tête nucléaire (bien que rien ne l’indique à ce jour). C’est aussi le cas des nouvelles frégates russes Admiral Gorshkov qui mettent en œuvre ces mêmes missiles avec leurs systèmes VLS UKSK.
700 missiles balistiques intercontinentaux ICBM mobiles et en silo
Les forces des fusées russes, enfin, alignent près de 700 missiles balistiques intercontinentaux, mobiles ou en silo, de type Topol, Topol-M, Iars et, semble-t-il, depuis cette année, Sarmat. Chaque missile a une portée de plus de 10 000 km, et peut transporter de 6 à 10 MIRV semblables à ceux mis en œuvre par le RS-30 Bulava.
À ces missiles stratégiques s’ajoutent les missiles Iskander-M, dont le nombre en service est incertain, car largement employés en Ukraine. Ce missile à trajectoire semi-balistique, d’une portée de 500 km, peut emporter une tête nucléaire de faible à moyenne intensité.
La dissuasion française et la stricte suffisance
En comparaison, les moyens dont dispose la dissuasion française, peuvent apparaitre bien faibles. En effet, celle-ci a été conçue sur le principe de la stricte suffisance, c’est-à-dire qu’elle doit suffire à dissuader n’importe quel adversaire de franchir ce seuil face à la France, faute de quoi, les bénéfices qu’il entend en retirer, seront très inférieurs aux destructions engendrées par les frappes nucléaires françaises.
290 à 350 têtes nucléaires, dont 50 pour les missiles ASMPA
N’ayant jamais été soumise aux mêmes contraintes de vérifications que la Russie et les États-Unis, engagés, jusqu’il y a peu, par plusieurs accords de limitation des armes nucléaires, la France a toujours maintenu un certain flou, concernant le nombre de têtes nucléaires détenues.
Les évaluations, dans ce domaine, se situent, le plus souvent, entre 290 et 360 têtes nucléaires, dont une cinquantaine employée par les missiles supersoniques aéroportés ASMPA-rénovés, et de 250 à 300 têtes TNO pour les missiles balistiques à changement de milieux, qui arment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.
Deux escadrons de bombardement stratégique équipés de Rafale B et de missiles ASMPA rénovés
Contrairement à la Russie, la France n’a que deux composantes pour sa dissuasion, une composante sous-marine et une composante aérienne. Cette dernière se compose de deux escadrons de chasse stratégiques, le 1/4 Gascogne et le 3/4 La Fayette, armés de Rafale B, appartenant à la 4ᵉ escadre de chasse stationnée sur la base aérienne BA 113 de Saint-Dizier.
Ces escadrons de chasse sont épaulés par les avions de ravitaillement en vol de la 31ᵉ escadre basée à Istres, en particulier les escadrons 1/31 Bretagne, 2/31 Estérel et 4/31 Sologne, équipés d’A330 MRTT Phoenix.
À ces forces mises en œuvre par l’Armée de l’Air et de l’Espace, s’ajoute la flottille 12 F de la Marine nationale, basée à Landivisiau, montée sur Rafale M, et capable de mettre en œuvre, elle aussi, le missile ASMPA rénové, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.
4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins classe Le Triomphant
La composante sous-marine porte l’essentielle de la puissance de feu de la dissuasion française. Celle-ci s’appuie sur 4 SNLE de la classe Le Triomphant, entrés en service entre 1997 et 2010, et qui seront remplacés, à partir du milieu de la prochaine décennie, par les sous-marins nucléaires de 3ᵉ génération.
3 sous-marins, le Triomphant, le Téméraire et le Terrible, mettent aujourd’hui en œuvre 16 missiles SLBM M51.2, d’une portée estimée autour de 10 000 km, pouvant emporter de 6 à 10 têtes nucléaires TNO de 100 kt, ayant des caractéristiques évoluées de ciblage et de résistance aux contre-mesures. Le quatrième SNLE, le Vigilant, est actuellement en IPER de modernisation, pour recevoir ces mêmes nouveaux missiles, et rejoindra le service en 2025.
Le format à 4 SNLE permet de maintenir, en temps de paix, un navire à la mer, alors qu’un second sous-marin tient une alerte à 24 heures. Le troisième bâtiment est à l’entrainement, mais doit pouvoir être déployé sous 30 jours (comme ce fut le cas en mars 2022). Le quatrième est en entretien.
Cette doctrine permet de disposer, en temps de crise, de deux, voire trois sous-marins dilués, c’est-à-dire ayant suivi une procédure de plongée, protégée par des sous-marins, des frégates et des avions de patrouille maritime, pour garantir qu’il n’a pas été détecté, pour conférer à la France une capacité de seconde frappe suffisante, pour détruire entièrement n’importe quel agresseur, le cas échéant, même après des frappes nucléaires préventives contre elle.
Une équation stratégique bien plus équilibrée qu’il n’y parait
Du point de vue de la comparaison stricte des moyens, la Russie disposerait d’une dissuasion plusieurs fois supérieure à celle de la France, ceci expliquant, parfois, le sentiment de faiblesse stratégique de Paris face à Moscou.
Toutefois, si ce type de comparaison, peut avoir du sens lorsqu’il s’agit de forces armées conventionnelles, pour lesquelles la masse constitue un enjeu critique de performance et de résilience comparées, elle n’est guère pertinente, lorsqu’il s’agit de comparer des forces de discussion.
Il est vrai que Moscou dispose d’une puissance de feu suffisante pour détruire plusieurs fois la planète, et à fortiori, la France. La France, quant à elle, est en mesure de détruire, de manière certaine, toutes les villes de 100 000 habitants et plus de Russie, ainsi que l’ensemble des infrastructures économiques et industrielles significatives du pays, avec seulement un seul de ses SNLE en patrouille.
On entre, ici, dans le concept de destruction mutuelle assurée, qui a été au cœur du dialogue stratégique lors de la guerre froide. De fait, disposer d’une telle puissance de feu, pour la Russie, n’a aucune incidence sur la réalité finale du rapport de force stratégique entre Paris et Moscou, qui se neutralisent mutuellement dans ce domaine.
Contrairement à la Grande-Bretagne, la France dispose, par ailleurs, d’une capacité de riposte intermédiaire, avec sa composante aérienne, adaptée pour répondre, au besoin, à la tentative d’utiliser une arme nucléaire de faible intensité par Moscou, par exemple, pour obtenir un cadre de déconfliction, comme le prévoit d’ailleurs la doctrine russe.
La dissuasion française peut-elle protéger toute l’Europe ?
Par transitivité, si la dissuasion française est capable de contenir la menace stratégique russe contre la France, elle l’est, aussi, pour contenir cette même menace, pour tout ou partie de l’ensemble de l’Europe.
En effet, c’est par sa capacité à infliger des dégâts inévitables et insoutenables, à l’adversaire, que la dissuasion fonctionne, quel que soit le périmètre qu’elle est censée protéger. Notons qu’à ce jour, la France ne s’est nullement engagée en ce sens de manière officielle, et laisse planer, comme il est d’usage, un important flou stratégique autour de ces sujets.
Toutefois, l’efficacité de la dissuasion, repose sur la certitude qu’aurait la Russie, quant à une réponse nucléaire de la France, si elle venait à frapper, ou à attaquer, un territoire donné.
Si Moscou a, aujourd’hui, la certitude que tel sera le cas, s’il s’en prenait à la France directement, il faudra, cependant, faire preuve de beaucoup plus de fermetés dans le discours, et d’unité à l’échelle européenne, pour qu’il en soit de même à l’échelle de l’Union européenne, ou de l’Europe en général.
Conclusion
On le voit, en dépit de ce que peuvent laisser penser, la comparaison stricte des moyens dont disposent les dissuasions russes et françaises, l’équation stratégique entre Paris et Moscou, est beaucoup plus équilibrée qu’il n’y parait.
Cet équilibre est tel, que la France pourrait, au besoin, protéger de son parapluie nucléaire, tout ou partie de l’Europe, d’autant que dans une telle hypothèse, elle pourrait certainement s’appuyer sur la dissuasion britannique, et ses 4 SSBN de la classe Vanguard (si tant est qu’elle parvienne à lancer ses missiles, mais c’est un autre sujet).
De fait, en dépit des menaces de Vladimir Poutine de ce 29 février, la France, et les français, n’ont pas de raison de trembler aujourd’hui, la situation étant strictement la même qu’elle l’était hier, il y a une semaine ou dix ans.
Reste, désormais, à convaincre le Kremlin de la détermination de Paris à défendre l’Europe, au même titre que son propre territoire, mais aussi de convaincre les européens eux-mêmes, d’une telle nécessité face à l’évolution du contexte international.
Car, pour être efficace, la dissuasion doit se draper, tout à la fois, dans un flou stratégique indispensable, et s’appuyer sur un socle de certitudes ne souffrant d’aucune dissension. Dans le chaos politique européen actuel, construire cette unité représente un défi considérable.
Article du 29 février en version intégrale jusqu’au 20 aout 2024
Chaque jour qui passe, de nouveaux pays de l’OTAN autorisent les frappes sur le territoire russe avec leurs armes.
Pourtant, le secrétaire général de l’OTAN assure que l’Organisation n’est pas en guerre contre la Russie et ne recherche pas l’escalade.
A ce jour, dix pays européens ont donné l’autorisation de frapper le territoire russe avec leurs armes (Allemagne, Danemark, France, Pays Baltes, Pays-Bas, Pologne, République Tchèque et Royaume-Uni)ainsi que les États-Unis (utilisation de missiles à courte portée sur les régions russes frontalières de la région de Kharkov).
Pour le Danemark et les Pays-Bas, leurs avions F-16, une fois livrés à l’Ukraine, pourront frapper le sol russe sans restriction.
En réponse à ces autorisations, le 5 juin lors d’une Conférence de presse avec des journalistes étrangers, en ouverture du Forum économique international de St Petersburg, le président russe a annoncé que la Russie pourrait armer avec des missiles longue portée des pays en conflit avec l’Occident. On pourrait imaginer que Moscou livre des missiles à l’Iran ou aux rebelles Houthis afin de frapper les intérêts occidentaux au Proche Orient. Cela constituerait une réponse asymétrique de la part du Kremlin.
Lors de son intervention du 6 juin, Emmanuel Macron a annoncé la formation de 4500 soldats ukrainiens sur le sol français ainsi que la livraison de cinq Mirages 2000-5 et la formation des pilotes ukrainiens. En outre, les Mirage 2000 pourront, une fois livrés à l’Ukraine, frapper le territoire russe. La mise en garde russe de la veille ne semble pas avoir été entendue.
Une autre réponse asymétrique de la part de Moscou serait d’envoyer des bâtiments de guerre sur le continent américain, par exemple au Venezuela, au Nicaragua ou à Cuba. Ainsi du 12 au 17 juin, la frégate Amiral Gorshkov accompagnée du remorqueur Nikolaï Chiker, du pétrolier Akademik Pashin et du sous-marin à propulsion nucléaire Kazan pouvant embarquer des missiles hypersoniques, ont fait escale à La Havane. Les côtes de Floride ne sont qu’à 180 kilomètres.
Le risque d’escalade devient chaque jour plus grand d’autant plus que les dirigeants occidentaux continuent de faire la sourde oreille aux propos de Moscou.
Mais vu d’Occident, la Russie est l’ennemi à abattre. L’Ukraine n’est que l’instrument, l’arme de ce projet, ses soldats ne sont que des consommables.
Cependant, Moscou se dit chaque jour prête à négocier en tenant compte de la réalité sur le terrain.
Le 14 juin, lors d’un discours devant le corps diplomatique russe, soit la veille de la Conférence de paix qui se tiendra en Suisse, sans la Russie, Vladimir Poutine présente un Plan de paix en cinq points.
1. Retrait total des troupes ukrainiennes du territoire administratif des régions de Lougansk (RPL), Donetsk (RPD), Zaparojié, Kherson. Le statut de ces régions russes, ainsi que de la Crimée et de Sébastopol devra être reconnu par des traités internationaux.
2. Engagement de l’Ukraine à ne pas adhérer à l’OTAN.
3. Statut neutre, non aligné et non nucléaire de l’Ukraine.
4. Démilitarisation sur la base des accords d’Istanbul.
5. Protection des droits des russes en Ukraine.
Il ajoute que si ces conditions sont rejetées, la responsabilité de la continuation du bain de sang incombera à l’Occident.
Sans surprise, ce plan de paix est aussitôt rejeté par le président ukrainien, le considérant comme un ultimatum mais aussi par l’OTAN, et les Etats-Unis, proclamant que cela ne ramènerait pas la paix et permettrait d’atteindre les objectifs russes.
Or ce plan semble plutôt réaliste et reprend les principales demandes russes formulées en janvier 2022, soit un mois avant le lancement de l’Opération militaire spéciale. La principale différence se trouve dans le premier point, c’est-à-dire la reconnaissance de la souvenait russe sur les régions de RPL, RPD, Zaparojié et Kherson. Ces dernières ont adhéré par référendum (23-27 septembre 2022) à la Fédération de Russie. Cette consultation est considérée comme une annexion et donc non reconnue par l’Occident. Etant donné le rapport des forces sur le terrain, où l’armée russe continue d’avancer sur l’ensemble du front, ces régions semblent perdues pour l’Ukraine.
Pour Moscou, c’est un fait accompli d’autant plus que des investissements considérables sont réalisés comme la restauration des villes (Marioupol étant le symbole), la construction de nouvelles routes et de voies ferrées permettant d’intégrer ces nouveaux territoires au reste de la Fédération. La liaison ferroviaire, en voie d’achèvement, reliant Rostov sur le Don à Djankoi (Crimée) via Marioupol (RPD), Berdyansk et Melitopol (Zaparojié), constitue le plus grand symbole.
Ces régions, au même titre que la Crimée, ne sont donc plus négociables. Elles font partie intégrante de la Fédération de Russie. D’ailleurs, selon Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma, c’est la dernière proposition de paix de la Russie. La prochaine proposition sera la capitulation.
Sans surprise, la Conférence de paix qui s’est tenue en Suisse (15-16 juin) en l’absence de la Russie, mais aussi de la Chine, n’a apporté aucun élément nouveau permettant de mettre fin au conflit.
Sur les 90 délégations, environ la moitié n’était pas constituée de membres de haut rang, notamment les pays du Sud global. Les Etats-Unis étaient représentés par la vice-présidente Kamala Harris et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan.
Seuls 78 Etats ont signé la déclaration finale (l’Inde, le Brésil, l ‘Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, membres des BRICS, n’ont pas signé), qui apporte le soutien à la « souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale » ukrainienne mais reconnait aussi qu’il faudra inviter la Russie afin de parvenir « à une paix juste et durable ». Par ailleurs, le communiqué final appelle à garantir la liberté de navigation en Mer Noire et en Mer d’Azov (totalement contrôlée par Moscou) afin de sécuriser le commerce des produits alimentaires (notamment le blé). Enfin, les participants demandent que l’Ukraine reprenne le contrôle total de la centrale nucléaire d’Energodar (contrôlée par les russes depuis mars 2022) et exigent la libération de tous les prisonniers de guerre. Le communiqué n’appelle donc pas au retrait des forces russes ni au paiement de réparations, pourtant point clés du plan de paix Zelenski.
En somme pour le président ukrainien, les conclusions de cette conférence constituent un échec, auquel s’ajoute l’absence de la Chine et de Joe Biden. Les hostilités sur le terrain continuent donc sans espoir de voir la fin prochaine.
Pourtant, comme l’a affirmé, à plusieurs reprises déjà, le Haut représentant aux affaires étrangères européen, Josep Borell, il suffirait que l’Europe arrête de fournir des armes à l’Ukraine pour que la guerre se termine. Aveuglés par une russophobie maladive, les européens et les occidentaux en général ne veulent (ne peuvent) reconnaître leurs erreurs…car ce conflit aurait pu être évité s’ils avaient accepté les Accords d’Istanbul début avril 2022.
Mais l’arrogance Occidentale, anglo-saxonne en particulier (le fameux voyage du 1er Ministre britannique Boris Johnson le 9 avril 2022), décida que l’occasion était trop belle pour détruire une fois pour toutes la Russie.
Cependant, deux plus tard, la Russie n’est pas détruite et tient fermement debout sur ses deux jambes en dépit des plus de 20 000 sanctions occidentales.
Ainsi en 2023, son taux de croissance a atteint 3,2% et a dépassé 5% au premier trimestre 2024.
La Russie est devenue la quatrième économie mondiale en 2023 en PIB PPA (parité de pouvoir d’achat), derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Inde mais devant le Japon. Le taux de chômage est inférieur à 3%, l’économie est en pénurie de main-d’oeuvre, ce qui constitue le principal problème aujourd’hui. Afin de résorber cette situation, il faudra augmenter la productivité du travail et/ou augmenter la robotisation des entreprises et/ou faire appel à de la main d’œuvre étrangère. Les autorités semblent privilégier les deux premiers facteurs.
En somme, des performances économiques très honorables sous de très fortes contraintes, pour une station service déguisée en pays, selon les termes de l’ancien sénateur républicain et héros américain du Vietnam John Mc Cain.
Or, un certain embarras semble, tout de même, gagner les capitales occidentales puisque l’économie russe ne s’est pas effondrée comme l’avait très imprudemment prédit Bruno Lemaire, le 1er mars 2022.
Que faire ? C’était la question que se posait Lénine dans son traité politique publié en 1902.
Elle s’applique totalement à la Russie s’agissant de la politique actuelle des pays occidentaux
Mais au lieu de se poser la bonne question comme Lénine à l’époque, les dirigeants occidentaux préfèrent la fuite en avant, l’escalade dans le conflit.
Ainsi, on continue de ne pas prendre au sérieux les mises en garde du Kremlin concernant l’utilisation éventuelle de bombes nucléaires tactiques (la Russie en possède plus de 4000).
La doctrine militaire russe est pourtant très claire : en cas de menace pour l’intégrité et la souveraineté du pays, la Russie se réserve le droit d’une frappe nucléaire.
Comme l’a fait remarquer John Mearsheimer dès le mois de mai 2022 : on ne joue pas impunément avec une puissance nucléaire. Ajoutons que la Russie est la première (5889 ogives) devant les Etats-Unis (5244 ogives) et très loin devant la France (290 ogives).
Pendant ce temps, l’Europe se perd, la France en tête. Le 31 mai, Standard and Poor’s a dégradé sa note de AA à AA-, en raison notamment de son taux élevé d’endettement (110,6% du PIB, soit plus de 3000 milliards d’euros) et de déficit budgétaire (5,5% du PIB en 2023, en hausse de 0,8 point par rapport à 2022). La croissance européenne reste inférieure à 1% par an, l’inflation reste supérieure à 2%, qui est la cible de la BCE. La désindustrialisation guette l’Allemagne puisqu’elle importe son énergie deux à trois fois plus chère que lorsqu’elle l’achetait à la Russie. La France ayant perdu son industrie depuis la crise de 2008.
L’écart économique entre l’UE et les Etats-Unis ne cesse de se creuser depuis la crise des subprimes.
Entre 2008 et 2022, le taux de croissance de l’UE a été de 2,8% contre 72% aux Etats-Unis.
De ce fait, l’économie européenne ne représente plus que 65% de son homologue américaine alors qu’elles étaient équivalentes en 1990.
Dans les différents Etats membres, les campagnes pour les élections européennes n’ont pas été à la hauteur des enjeux. En France, on a vu beaucoup de listes (vingt-neuf) pour très peu d’Europe.
Victor Hugo n’est plus qu’un lointain souvenir brumeux. Absence de vision, absence de projet fédérateur, alors que l’UE cumule les retards dans les domaines de l’intelligence artificielle ou de l’automobile électrique face à ses rivaux américain et chinois.
Les résultats des élections européennes du 9 juin ont encore obscurci l’horizon du vieux continent.
Les partis d’extrême droite ont gagné en France, en Belgique, en Autriche et se sont classés deuxième en Allemagne et aux Pays-Bas. Emmanuel Macron s’est résolu à dissoudre l’Assemblée nationale entrainant le pays dans une incertitude totale.
Ces résultats constituent un signal aux pouvoirs en place : problèmes de pouvoir d’achat, avenir du système social, montée des inégalités, mais aussi la guerre en Ukraine qui est une situation perdante pour l’UE. Il y a donc urgence à prendre en compte ces problèmes lors des prochaines législatures française et européenne.
Dans les prochains mois, l’Occident, et l’UE en particulier, devra revoir radicalement son agenda en Ukraine.
La situation actuelle, après plus de deux ans de conflit, largement provoqué et alimenté par l’Occident, risque de conduire à une escalade et à un élargissement du théâtre des opérations. Le danger nucléaire n’est pas à exclure.
L’UE devrait donc convoquer une Conférence de paix afin de mettre fin à cette tragédie. Car la paix, c’est la vocation de l’Europe !
A défaut, la situation post-apocalyptique décrite par Dmitry Glukovsky dans le cadre de sa Trilogie Métro (2033, 2034, 2035) où les survivants d’une guerre nucléaire se terrent misérablement dans le métro de Moscou, depuis vingt ans, pourrait alors devenir réalité…
Philippe Condé, Docteur en Economie, spécialiste de la Russie.
Dans les systèmes monarchiques, c’est le souverain qui, par tradition, commande les armées y compris normalement sur le terrain. Avec l’arrivée des régimes républicains, et de fait avec la constitutionnalisation des monarchies, les choses sont devenues un peu plus compliquées. La Constitution de 1848 en France indique par exemple dans son article 50 que le Président de la République (PR) élu au suffrage universel « dispose de la force armée, sans pouvoir jamais la commander en personne ». Les premiers projets de lois constitutionnelles de la IIIe République reprennent la formule, ce qui suscite la colère du « maréchal-président » Mac Mahon (élu par l’Assemblée en mai 1873). Devant sa menace de démission, l’amendement Barthe (1er février 1875) est repoussé et l’article 3 de la loi du 25 février 1875 indique seulement que le Président « dispose de la force armée». Ce pouvoir est néanmoins limité par l’obligation de contreseing d’un ministre pour toutes les décisions du Président, la possibilité d’être poursuivi pour haute trahison et l’obligation d’assentiment des deux chambres pour déclarer la guerre.
Le maréchal de Mac Mahon a cependant suffisamment de latitude pour organiser un « domaine réservé », une expression de Chaban Delmas en 1959 pour désigner les prérogatives particulières qui devraient être accordées au PR en matière de défense et de politique extérieure. Mac Mahon accorde beaucoup de d’intérêt aux réformes militaires en cours et traite directement avec les ministres et les généraux de corps d’armée qu’il reçoit à l’Élysée. Il tient à désigner lui-même les ministres de la Guerre et de la Marine. La crise du 16 mai 1877 coupe court à cette interprétation. Avec la « constitution Grévy » et la révision de 1884, la France adopte un régime parlementaire et le Président de la République n’exerce plus qu’une « magistrature morale », ce qui permet à Poincaré d’imposer Clemenceau comme Président du Conseil en décembre 1917 mais ne suffit pas à Albert Lebrun pour empêcher la crise des institutions de juin 1940. Cette dernière crise et le désastre qui l’accompagne est en garder en tête pour comprendre l’esprit des institutions de défense de la Ve République.
Notons au passage que le général de Gaulle met en place dans la « France combattante » un système très simple, avec un chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) décideur unique avec sous ordres directs un État-major de Défense nationale pour la conduite des opérations et un ministre de la Défense nationale (et non quatre ou cinq ministères, de la Défense nationale, de la Guerre, de l’Air, de la Marine, de l’Armement). Le chef du GPRF est assisté d’un Conseil de défense nationale réunissant tous les ministres concernés par cette guerre désormais totale. Autant d’éléments que le général de Gaulle s’efforcera d’imposer dans les institutions et la pratique de la Ve République.
En attendant, l’expression « Chef des Armées » apparaît dans un décret du gouvernement provisoire de la République en date du 4 janvier 1946 avant d’être reprise, sur proposition du général Giraud alors député, dans la Constitution de 1946 (art. 33 « Le président de la République préside, avec les mêmes attributions [que pour le Conseil des ministres, c’est-à-dire faire établir et conserver les procès-verbaux], le Conseil supérieur et le Comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées. »). Mais l’article 47 précise que « le président du Conseil [qui devient une fonction en soi et non un ministre supérieur aux autres], assure la direction des forces armées et coordonne la mise en œuvre de la Défense nationale ». La gestion de la politique de Défense de la IVe République n’est finalement pas très différente de celle de la IIIe avec ses qualités et ses énormes défauts, évidents lors de la guerre en Algérie.
La nouvelle paralysie institutionnelle qui apparaît à cette occasion impose une réforme profonde des institutions et une nouvelle Constitution. Pourtant, étrangement, cette constitution n’apparaît immédiatement pas très différente de celle de 1946 dans son organisation de la Défense nationale. L’article 15 de la Constitution de 1958 (« Le Président de la République est le Chef des Armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale », sans préciser quelles sont les compétences qu’il exerce à ce titre) est peu différent de l’article 33 de la Constitution de 1946. De plus, l’article 19 (« Les actes du président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables. ») ne fait pas référence à l’article 15. Les actes du Président de la République en conseil de défense doivent donc normalement être contresignés par le Premier ministre. Si on ajoute l’article 20 (« le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée ») et l’article 21 (« Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la Défense nationale ») de la Constitution mais aussi l’article 7 de l’ordonnance de 1959 (« la politique de défense est définie en conseil des ministres ») et son article 9 (« le Premier ministre, responsable de la Défense nationale, exerce la direction générale et la direction militaire de la Défense »),on obtient quelque chose de proche de l’esprit de la IIIe ou de la IVe République.
Le général de Gaulle ne l’interprète pas de cette façon dans ses Mémoires d’espoir (« Il va de soi, enfin, que j’imprime ma marque à notre défense […] cela pour d’évidentes raisons qui tiennent à mon personnage, mais aussi parce que, dans nos institutions, le Président répond de « l’intégrité du territoire » [art.5], qu’il est « le Chef des Armées », qu’il préside « les conseils et comités de Défense nationale » »). La personnalité du nouveau président de la République et les évènements en Algérie – et pour le général de Gaulle le plus choquant d’entre eux est la rébellion d’une partie de l’armée – impose une centralisation des pouvoirs à son profit. À partir d’avril 1961, la dualité des pouvoirs entre le PR et du PM s’efface au profit du premier et d’une manière générale au profit des civils. L’état-major du Premier ministre redevient le Secrétariat général de la défense nationale à direction civile et le Chef d’état-major général de Défense nationale, l’actuel Chef d’état-major des armées (CEMA), perd beaucoup de ses prérogatives. L’ordonnance de 1959, finalement abrogée en 2004, perd une grande partie de sa substance. Et puis deux phénomènes particuliers sont apparus.
Arguant du caractère très particulier de l’arme nucléaire et de la nécessité de décision urgente, le décret du 14 janvier 1964 « relatif aux forces aériennes stratégiques » décide que le Président de la République a seul qualité pour décider l’emploi du feu nucléaire, ce qui est contradiction avec les dispositions de la Constitution et de l’ordonnance de 1959. Ce décret a été abrogé et remplacé par celui du 12 juin 1996 plus conforme aux textes constitutionnels et législatifs mais qui conserve un caractère ambigu. Dans son article premier, le conseil de défense doit définir « La mission, la composition et les conditions d’engagement des forces nucléaires » alors que le président chef des armées et président du conseil de défense « donne l’ordre ». Cela est considéré très majoritairement comme un « ordre de conduite » et non une décision nécessitant donc le passage par un conseil de défense et le contreseing du Premier ministre, mais pourrait être interprété différemment si une situation de crise plaçant la France devant un tel choix survenait en période de cohabitation hostile. On se demande si un président de la République pourrait réellement engager le feu nucléaire en premier (en riposte, la question ne se pose pas) alors qu’il doit faire face à un gouvernement, une majorité et donc un peuple hostile. Plus largement, la question se pose du maintien au pouvoir d’un président désavoué par le peuple. Le général de Gaulle avait tranché cette question à sa manière mais tout le monde n’est pas de Gaulle.
Et puis, il y a eu la multiplication des opérations extérieures, rendues possibles justement par la centralisation des institutions. Une opex, c’est une opération décidée par le président de la République, et comme c’est très facile alors que la France a de nombreuses obligations internationales, elles deviennent très nombreuses. Cela pour premier effet de remettre les militaires dans la boucle décisionnelle. Premier ministre et ministre de la Défense/Armées ont leurs états-majors particuliers et le CEMA redevient premier conseiller militaire et membre du Conseil de défense tout en étant en ligne directe avec le PR pour la conduite des opérations. Mais cela a pour effet également de multiplier les conseils de défense dès lors que l’on considère que ces opérations extérieures sont importantes, or qui dit conseil de défense dit in fine approbation du Premier ministre. Cela ne pose pas de problème en cas de situation normale, ou s’il y a désaccord cela se traduit par une démission, comme celle du ministre de la Défense en 1990 au moment de la guerre du Golfe et de la décision de François Mitterrand d’y engager les forces françaises.
En cas de cohabitation c’est forcément plus compliqué et cela se traduit souvent par une négociation entre les deux têtes de l’exécutif. On se souvient des difficultés de lancer l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, contrairement à l’opération Noroit au même endroit deux ans plus tôt en période « normale ». Turquoise est finalement engagée mais aux conditions du Premier ministre Édouard Balladur. En décembre 1999 en revanche, le Premier ministre Lionel Jospin s’oppose totalement à une opération de contre coup d’État en Côte d’Ivoire.
Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 se pose aussi un autre problème. Avant l’engagement dans la guerre du Golfe (1990-1991), le PR avait ordonné au gouvernement de poser la question de confiance selon l’article 48.1 devant l’Assemblée nationale et de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale (art 49.4), afin d’asseoir la légitimité de son action. Mais il disposait alors de la majorité et le vote de confiance ne posait guère de difficultés. Désormais, le Parlement doit obligatoirement voter la poursuite ou non d’une nouvelle opération au bout de quatre mois. On imagine par exemple que l’envoi de militaires français en Ukraine soit jugé suffisamment important pour justifier d’un Conseil de défense, première étape, puis en cas d’approbation, d’un vote au Parlement. Quelle que soit la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale le 7 juillet, on peut imaginer qu’on n’est pas prêt dans ce cas d’avoir des soldats français en Ukraine. Notons au passage que tous ces blocages éventuels sont des incitations au contournement en faisant appel aux services clandestins ou discrets et même, comme aux États-Unis aux sociétés privées.
Notons que si le Premier ministre ne peut déclencher lui-même d’opérations extérieures, il peut déclencher des opérations intérieures en tant que premier responsable de la sécurité du territoire. Dans la confrontation avec l’Iran qui s’est traduit notamment pas une série d’attentats terroristes sur le sol français en 1986, le Président de la République a déclenché quelques mois plus tard l’opération Harmattan dans le Golfe arabo-persique. Entre temps, le Premier ministre et rival pour la future présidentielle, Jacques Chirac, ne voulait être en reste et avait déclenché l’opération intérieure Garde aux frontières et envoyé des soldats renforcer douaniers et policiers de l’Air et des Frontières. Cela n’avait aucun intérêt opérationnel, mais cet engagement inédit de soldats sur le sol français métropolitains (le pas avait été franchi en Nouvelle-Calédonie) permettait au Premier ministre d’exister politiquement.
Pour résumer, la reconnaissance d’un pouvoir entier et personnel du Président de la République comme chef des Armées ne peut plus être niée. La question a été tranchée dans ce sens par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution dans son rapport du 15 février 1993. Le comité, tout en jugeant discutable l’expression « domaine réservé », a estimé que ; malgré certaines ambiguïtés, l’exercice de pouvoirs propres en matière de défense par le Président de la République correspondait à une « tradition trentenaire ». La tradition est ainsi devenue une source de droit en matière constitutionnelle à condition de justifier d’une application « paisible » pendant une certaine durée. On notera que le comité avait proposé de modifier l’article 21 de la Constitution comme suit : « Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de l’organisation de la Défense nationale » afin de refléter la réalité des choses. Cela n’a pas été fait et le Premier ministre, s’il ne peut rien déclencher de vraiment nouveau en politique de défense, ni même sans doute mettre fin à quoi que ce soit d’important, conserve une grande capacité de blocage. Maintenant que la coïncidence des élections présidentielle/législatives n’existe plus et que les cohabitations risquent à nouveau de se multiplier, il n’est pas certain ensuite que l’interprétation actuelle, même confortée par une longue pratique, tienne éternellement.