Dans un essai[1] nourri par sa connaissance ancienne et détaillée des forces armées françaises, Jean-Dominique Merchet nous confronte, en dix chapitres, à une question redoutable : la France est-elle prête pour affronter un ennemi dans un conflit de haute intensité ? Rédigé fin 2023 au moment où la guerre à grande échelle avait malheureusement confirmé son retour dans l’espace stratégique européen, ce livre analyse sans complaisance la doctrine, la posture stratégique, la structure capacitaire, les structures de commandement et le moral des armées françaises actuelles.
Il réalise cet examen principalement à la lumière de trois étalons, d’une part, la dernière Revue nationale stratégique de 2022, d’autre part, la Loi de Programmation Militaire (LPM) adopté pour la période 2024-2030 et enfin une évaluation des risques sécuritaires et militaires pesant sur la France en général et son territoire métropolitain en particulier.
La France et l’Ukraine, mêmes dangers?
D’évidence, la France n’est pas exposée à une menace militaire du type de celle qui s’est abattue sur l’Ukraine en 2022 : non seulement elle dispose de la dissuasion nucléaire mais en outre, elle fait partie de la plus puissance alliance militaire au monde, l’OTAN, deux assurances vies solides contre une agression. Pour Merchet, la dissuasion nucléaire française est devenue une véritable colonne vertébrale pour la défense nationale : elle absorbe près de 15% des crédits de défense, élève le niveau technologique de toutes les armées et de beaucoup d’entreprises de la BITD, garantit une forme d’autonomie stratégique et surtout, comme le montre l’exemple ukrainien, la préserve contre une attaque d’une grande puissance.
En effet, aux termes du Memorandum de Budapest, en 1994, l’Ukraine avait accepté de se départir de son arsenal nucléaire, s’exposant trente ans plus tard à l’invasion de la Russie. Toutes choses égales par ailleurs, l’arme nucléaire l’aurait protégée, comme elle protège aujourd’hui le régime de Pyongyang.
Toutefois, la différence entre France et Ukraine se heurte plusieurs limites : la guerre en Ukraine a montré que la masse d’équipement et d’hommes compte dans les guerres actuelles. Or, selon son contrat opérationnel, la Force Opérationnelle Terrestre (la somme des unités combattantes de l’Armée de terre) ne réunit que 77 000 hommes (contre plus de 200 000 en Ukraine) et n’est donc capable, selon les normes actuelles, de tenir qu’un front de 80 km (pour 1000 km de front en Ukraine). La qualité ne suffit pas, or la France est encore défendue par une armée « bonsaï » excellente techniquement mais quantitativement insuffisante entre dehors d’opérations extérieures (OPEX) contre des ennemis plus faibles et dans des zones circonscrites. Même après le début de la guerre en Ukraine, les forces armées françaises en restent au modèle de force expéditionnaire qui s’est généralisé en Occident entre la fin de l’URSS, en 1991, et l’invasion de l’Ukraine. Autrement dit, l’armée française est prête à opérer contre un ennemi technologiquement beaucoup plus faible, contre un adversaire qui ne dispose pas de forces aériennes et contre un opposant n’ayant pas de structures étatiques fortes.
L’autre limite est, selon Merchet, que la dissuasion nucléaire à la française isole la France en Europe : si le pays a rejoint en 2009 le commandement intégré de l’OTAN, il n’a pas, en revanche, fait son entrée dans la structure de planification nucléaire de l’OTAN qui constitue le véritable parapluie nucléaire de l’organisation. En d’autres termes, la dissuasion nucléaire française protège bel et bien le territoire national d’une attaque massive et permet aux forces conventionnelles de rester peu nombreuses (200 avions de combat, 200 chars lourds et une vingtaine de navires de premier rang). Mais elle ne lui permet évidemment pas de mener une guerre de haute intensité.
L’économie de guerre, un slogan loin de la réalité
De nuancé, le tableau se fait sombre quand il s’agit d’évaluer les capacités des forces armées françaises. Si l’avion Rafale, le canon mobile CAESAR et le porte-avions sont des équipements de premier ordre pour garantir la France contre des attaques, la base industrielle et technologique de défense (BITD) française est aujourd’hui dans un état inadapté au niveau des menaces : elle ne dispose plus de capacités industrielles pour la production de chars lourds, pour les fusils d’assaut ou encore pour les munitions.
En cas de conflit, elle serait dépendante des industries allemandes ou coréennes qui ne l’alimenterait pas en priorité… De même, la production de drones (tactiques ou d’endurance étendue) a constitué un véritable fiasco national et européen. Alors que les combats au Karabakh, en Ukraine et à Gaza soulignent l’importance de toutes ces capacités, la France de 2024, malgré les déclarations présidentielles de 2022 sur « l’économie de guerre » ne dispose pas des équipements nécessaires pour se défendre dans un conflit terrestre d’attrition.
Une France résiliente
La France dispose toutefois d’atouts que Merchet considère comme confirmés. Les forces françaises ont réussi leur professionnalisation et l’ont éprouvée au feu au fil des OPEX (plus de 700 soldats décédés en OPEX depuis la fin de la guerre d’Algérie). Hormis chez certains nostalgiques, le service militaire universel n’apparaît plus comme un outil indispensable à la sécurité nationale : le prochain défi sera d’instaurer de fortes coopérations entre les troupes actives et les troupes de réserves, à l’instar de ce que la Finlande, la Suisse et la Suède ont réalisé. En outre, la résistance aux cyberattaques a été régulièrement développée au sein d’une stratégie associant l’Etat (ANSSI) et entreprises. Enfin et surtout, l’esprit de défense est désormais peu contesté : les antimilitaristes sont bien moins nombreux que dans les années 1970 et le soutien aux armées est massif dans la population sondage après sondage.
Implacable sur les conservatismes et les biais cognitifs des états-majors français, l’essai de Merchet se fait moins incisif et moins original quand il s’agit d’évaluer les menaces actuelles et futures pesant sur la France, ses citoyens et ses intérêts. En effet, l’approche est très « terrienne » au sens où la sécurité nationale est envisagée avant tout comme l’inviolabilité du territoire national. Les menaces sur les espaces marins, cyber ou informationnels sont considérées comme de second plan. Ainsi, pour Merchet, les prochaines menaces viendront du Maghreb, du Sahel et de Russie. Du Maghreb au sens large car la Libye est à 1200 km de Toulon : au vu des capacités des drones et missiles mis en œuvre en Mer Rouge, la France a sur son flanc sud une véritable vulnérabilité que sa défense anti-aérienne ne comble pas. Du Sahel car le rejet de la France peut tout à fait, selon Merchet, déboucher sur un retour du terrorisme international contre la France à partir de cette zone. De la Russie, pour des raisons rendues évidentes depuis 2022.
C’est ce qui conduit Merchet à conclure, dans une conclusion bien succincte, à un acte de foi assumé : la France est prête pour la guerre, ou du moins elle saura l’être quand les dangers menaceront le territoire national.
Récusant la complaisance de l’esprit « fanamili », tordant le cou à des approximations chauvines sur les vertus militaires et critiquant sans réserve les certitudes des états-majors et des groupes de défense issus de la Guerre Froide, cet essai a le mérite de jeter une lumière crue sur la réalité de l’appareil de défense français, de ses atouts et de ses faiblesses. Mais il aurait sans doute mérité un examen plus détaillé des nouvelles menaces et des capacités françaises à y répondre.
[1] Jean-Dominique Merchet, Sommes-nous prêts pour la guerre ? Robert Laffont, 2024, 215 pages.
Paris – Formulée dans une « lettre d’offre confirmatoire non engageante », la proposition de l’État concerne les activités englobant les supercalculateurs utilisés pour la dissuasion nucléaire, les contrats avec l’armée française et les produits de cybersécurité
par Paul Ricard – l’Opinion (avec AFP) – Publié le
« Aucune certitude ne peut être apportée quant à l’issue des négociations et à la conclusion d’un accord définitif entre les parties », a mis en garde Atos, vendredi 14 juin, dans un communiqué, en annonçant l’offre de l’Etat. Elle intervient deux jours après le choix du consortium mené par Onepoint pour la reprise d’Atos, et vise à éviter que ces activités, qui touchent à la souveraineté de la France, tombent entre les mains d’acteurs étrangers.
Selon Atos, son conseil d’administration, sous l’égide de la conciliatrice Hélène Bourbouloux, et sa direction « vont discuter de cette proposition avec l’État ». Avec cette offre, l’État a « tenu parole », a pour sa part fait valoir sur franceinfo le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire. Selon lui, « d’autres entreprises pourraient être partenaires » pour acheter les « activités stratégiques » d’Atos, et « garantir » ainsi qu’elles « restent sous le contrôle total ou partiel de l’État. »
« Pas bradés ». Formulée dans une « lettre d’offre confirmatoire non engageante » la proposition de l’Etat concerne « l’acquisition potentielle de 100% des activités d’Advanced Computing, de Mission-Critical Systems et de Cybersecurity Products de la division BDS (Big Data & Cybersécurité) » d’Atos, a indiqué le groupe.
Ces activités englobent les supercalculateurs utilisés pour la dissuasion nucléaire, les contrats avec l’armée française et les produits de cybersécurité. « Cette offre confirmatoire non-engageante porte sur une valeur d’entreprise globale de 700 millions d’euros », a poursuivi Atos. La valeur indicative de ces activités était estimée entre 700 millions et un milliard d’euros, avait indiqué Atos fin avril.
« Nous ferons tout pour sanctuariser la partie des actifs dits ultrasensibles, mais nous serons très vigilants à ce qu’ils ne soient pas bradés », avait prévenu mercredi dans Les Echos David Layani, patron de Onepoint, après être sorti gagnant de la compétition pour la reprise d’Atos face au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.
Crise financière. Partenaire informatique mondial du Comité international olympique (CIO) depuis 2002, Atos sera l’un des piliers technologiques des JO-2024 de Paris. Embourbé dans une crise financière depuis près de trois ans, le groupe avait enclenché en février une procédure de restructuration.
Il avait annoncé avoir besoin de 1,1 milliard d’euros de liquidités pour 2024-2025 et vouloir réduire de 3,2 milliards d’euros sa dette brute, qui a atteint 4,8 milliards d’euros, pour sauvegarder son activité. Au cours des 12 derniers mois, l’action Atos a perdu plus de 90% de sa valeur, et affiche une baisse de plus de 20% depuis l’annonce du choix de Onepoint comme repreneur. Vendredi matin, elle progressait toutefois, à 90 centimes d’euro vers 09h35.
Enjeu majeur. Depuis le début de la chute du géant, le sort de ses activités stratégiques est un enjeu politique majeur. Sa branche « Advanced Computing » comprend les supercalculateurs et les serveurs participant à l’intelligence artificielle (IA) et à l’informatique quantique. Ces supercalculateurs sont essentiels à la simulation d’essais nucléaires ou à la gestion du parc des centrales nucléaires d’EDF.
La branche MCS, elle, comprend le système de commandement de Scorpion (programme de modernisation de l’armée de Terre), des outils de navigation pour les forces navales et la marine marchande, ou de cartographie en temps réel pour les militaires. MCS est également chargée de la sécurisation des réseaux de communication à bord des avions Rafale « F4 » de Dassault, et comprend la société Avantix, spécialisée dans les systèmes d’écoute pour les services de renseignement.
Dans la foulée du choix de Onepoint, Atos avait annoncé être entré en négociations exclusives avec le groupe français d’ingénierie Alten en vue de la vente de Worldgrid, sa filiale hautement critique qui conçoit les systèmes de pilotage des centrales nucléaires, notamment pour EDF. Dans son communiqué vendredi, Atos confirme « son objectif de parvenir à un accord définitif de restructuration financière avec le consortium Onepoint et ses créanciers financiers », pour une mise en œuvre « d’ici juillet ».
Cela n’aura guère trainé. Après l’évocation, par le président français Emmanuel Macron, de la possibilité d’envoyer des troupes européennes en Ukraine, les réactions, souvent peu favorables, se sont multipliées, en Europe, aux États-Unis, mais aussi au sein de la classe politique française. Les seconds couteaux de la communication russe, pour leur part, tentèrent de tourner en dérision la menace.
Ce n’est pas le cas de Vladimir Poutine. Loin de considérer l’hypothèse, ou la France, comme quantité négligeable, celui-ci a vigoureusement brandi la menace nucléaire, contre la France, et surtout l’ensemble de l’Europe, si jamais les européens venaient s’immiscer sur « le territoire russe », sans que l’on sache, vraiment, si l’Ukraine faisait, ou pas, parti de sa conception de ce qu’est le territoire russe, d’ailleurs.
De toute évidence, le président russe est prêt à user de l’ensemble de son arsenal, y compris nucléaire, pour convaincre les occidentaux de se ternir à distance de ce qu’il considère comme la sphère d’influence de Moscou, une notion par ailleurs fort dynamique dans les propos du chef d’État russe depuis 20 ans.
Dans ce contexte, et alors que le soutien et la protection américaine sont frappés d’incertitudes après les déclarations de Donald Trump, la dissuasion française apparait comme le rempart ultime contre les ambitions de Vladimir Poutine en Europe. La question est : est-elle capable de le faire ?
Sommaire
Des menaces de plus en plus appuyées de la part du kremlin contre la France et l’Europe
Les menaces proférées contre l’Europe par Vladimir Poutine ce 29 février, alors qu’il s’exprimait face aux parlementaires russes, constituent, certes, une réponse particulièrement musclée aux hypothèses évoquées par le président Macron en début de semaine. Pour autant, elles sont loin de représenter une rupture dans la position récente russe, et encore moins une surprise.
La menace nucléaire russe agitée depuis 2014 et la prise de la Crimée
Déjà, lors de l’intervention des armées russes en Crimée, en 2014, pour se saisir, par surprise, de la péninsule ukrainienne, Vladimir Poutine avait élevé le niveau d’alerte de ses forces nucléaires, et déployé des batteries de missiles Iskander-M, pour prévenir toute interférence de l’Occident.
Il fit exactement de même en février 2022, lorsqu’il ordonna l’offensive contre l’Ukraine, et le début de la désormais célèbre « opération militaire spéciale », ou специальной военной операции en russe (CBO), en annonçant, là encore, la mise en alerte renforcée des forces stratégiques aériennes et des forces des fusées.
Une réponse ferme de la dissuasion occidentale en février et mars 2022
L’efficacité de cette mesure fut toutefois moindre que lors de la prise de la Crimée, lorsque européens comme américains demeurèrent figés, se demandant qui pouvaient bien être « ces petits hommes verts », qui avaient fait main basse sur ce territoire ukrainien, à partir des bases et des navires de débarquement russes.
En 2022, sous l’impulsion des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et surtout des pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et les Pays baltes, l’aide militaire occidentale s’est organisée en soutien à l’Ukraine, avec le transfert d’équipements de plus en plus performants, d’abord des missiles antichars et antiaériens d’infanterie (février 2022), puis des blindés de l’époque soviétique (mars 2022), suivis par les premiers blindés et systèmes d’artillerie occidentaux (avril-mai 2022).
Dans le même temps, les trois nations dotées occidentales, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, répondirent à la mise en alerte des forces nucléaires russes, par le renforcement de leurs propres moyens de dissuasion, dans un bras de fer que le monde n’avait plus connu depuis 1985 et la fin de la crise des euromissiles.
Ainsi, en mars 2022, quatre semaines après le début du conflit, la France annonçait qu’elle disposait de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engin à la mer, dans une réponse tout à fait unique et exceptionnelle depuis la fin de la guerre de froide.
Des menaces qui ont porté leurs fruits pour contenir la livraison d’armes à l’Ukraine
En dépit de la fermeté de la réponse stratégique occidentale, la menace russe porta ses fruits. Il fallut, ainsi, plus d’une année pour que les occidentaux acceptent de livrer à l’Ukraine des blindés lourds modernes, comme des véhicules de combat d’infanterie (Bradley, Marder, CV90), ou des chars de combat (Leopard 2, Abrams, Challenger 2).
Un an et demi furent nécessaires pour qu’ils livrent des munitions à longue portée (Storm Shadow et Scalp-Er..), et plus de deux ans, pour que les premiers avions de combat F-16, n’arrivent en Ukraine (ce qui n’est pas encore le cas). C’est certainement la raison qui a convaincu Moscou de persévérer en ce sens.
Ainsi, en mars 2023, le chef de l’US Strategic Command, l’Amiral Charles Richard, estimait qu’il fallait s’attendre, dans les mois et années à venir, à ce que Moscou, comme Pékin, multiplient les tentatives de chantage nucléaire, en particulier contre les pays non dotés, bien plus sensibles à ce type de menace.
Le fait est, celle-ci a été très brandie par la Russie, de manière très régulière, et peu convaincante, par les séides du Kremlin, comme Medvedev, Peskov ou Lavrov, et de manière moins fréquente, mais beaucoup plus appuyée, par Vladimir Poutine et Nikolai Patrushev, dont la parole a beaucoup plus de poids.
La puissance des forces nucléaires russes est stupéfiante
Il faut dire que la puissance des forces de dissuasion nucléaire russes est pour le moins impressionnante, faisant aisément jeu égal avec celle des États-Unis, un pays pourtant 12 fois plus riche, et trois fois plus peuplé.
5 977 têtes nucléaires dont 4 477 sont opérationnelles
Elle s’appuie sur 5 977 têtes nucléaires en inventaire (2022), dont 4 477 seraient opérationnelles. Parmi elles, 2 567 arment les systèmes stratégiques russes, alors que 1 910 têtes nucléaires sont employées à bord de systèmes dits non stratégiques, auxquels appartiennent les missiles balistiques à courte portée Iskander-M ou le missile aéroporté Kinzhal.
50+ Tu-95MS et une vingtaine de bombardiers supersoniques Tu-160M
À l’instar des États-Unis et de la Chine, les forces stratégiques russes s’appuient sur une triade de vecteurs, navals, aériens et terrestres. Dans le domaine aérien, Moscou dispose d’un peu moins d’une centaine de bombardiers stratégiques à très long rayon d’action, dont une cinquantaine de Tu-95MS modernisés lors de la précédente décennie, ainsi qu’une vingtaine de Tu-160M supersoniques.
Ces appareils mettent en œuvre des missiles de croisière, comme le Kh-102 ou le Kh-65, transportant une unique charge nucléaire de faible à moyenne intensité. D’autres appareils, comme le bombardier à long rayon d’action Tu-22M3M, ou le Su-34, peuvent, eux aussi, transporter des missiles ou des bombes armés d’une tête nucléaire, alors qu’une dizaine de Mig-31K a été transformée pour transporter le missile balistique aéroporté Kinzhal, pouvant être armé d’une charge nucléaire.
11 sous-marins nucléaires SSBN armés de missiles balistiques stratégiques
Dans le domaine naval, la Marine russe dispose d’une flotte de 11 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SSBN selon l’acronyme anglais, en l’occurrence, 4 Boreï-A, 3 Boreï et 4 Delta-IV. Ces derniers seront remplacés, d’ici à 2031, par 5 nouveaux Boreï-A, pour atteindre une flotte de 12 SSBN modernes au début de la prochaine décennie, identique à celle de l’US Navy.
Chaque Boreï-A transporte 16 missiles balistiques intercontinentaux à changement de milieux SLBM R30 Bulava d’une portée supérieure à 8 000 km, eux-mêmes armés de 6 véhicules indépendants de rentrée atmosphérique MIRV, armés chacun d’une tête nucléaire de 100 à 150 kt.
Outre la flotte de SSBN, la Marine russe met également en œuvre le sous-marin Belgorod, conçu pour déployer la torpille nucléaire Poseidon, alors que ses sous-marins nucléaires lance-missiles SSGN Anteï et Iassen, peuvent mettre en œuvre des missiles de croisière Kalibr, ou des missiles antinavires hypersoniques Tzirkon, pouvant, eux aussi, accueillir une tête nucléaire (bien que rien ne l’indique à ce jour). C’est aussi le cas des nouvelles frégates russes Admiral Gorshkov qui mettent en œuvre ces mêmes missiles avec leurs systèmes VLS UKSK.
700 missiles balistiques intercontinentaux ICBM mobiles et en silo
Les forces des fusées russes, enfin, alignent près de 700 missiles balistiques intercontinentaux, mobiles ou en silo, de type Topol, Topol-M, Iars et, semble-t-il, depuis cette année, Sarmat. Chaque missile a une portée de plus de 10 000 km, et peut transporter de 6 à 10 MIRV semblables à ceux mis en œuvre par le RS-30 Bulava.
À ces missiles stratégiques s’ajoutent les missiles Iskander-M, dont le nombre en service est incertain, car largement employés en Ukraine. Ce missile à trajectoire semi-balistique, d’une portée de 500 km, peut emporter une tête nucléaire de faible à moyenne intensité.
La dissuasion française et la stricte suffisance
En comparaison, les moyens dont dispose la dissuasion française, peuvent apparaitre bien faibles. En effet, celle-ci a été conçue sur le principe de la stricte suffisance, c’est-à-dire qu’elle doit suffire à dissuader n’importe quel adversaire de franchir ce seuil face à la France, faute de quoi, les bénéfices qu’il entend en retirer, seront très inférieurs aux destructions engendrées par les frappes nucléaires françaises.
290 à 350 têtes nucléaires, dont 50 pour les missiles ASMPA
N’ayant jamais été soumise aux mêmes contraintes de vérifications que la Russie et les États-Unis, engagés, jusqu’il y a peu, par plusieurs accords de limitation des armes nucléaires, la France a toujours maintenu un certain flou, concernant le nombre de têtes nucléaires détenues.
Les évaluations, dans ce domaine, se situent, le plus souvent, entre 290 et 360 têtes nucléaires, dont une cinquantaine employée par les missiles supersoniques aéroportés ASMPA-rénovés, et de 250 à 300 têtes TNO pour les missiles balistiques à changement de milieux, qui arment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.
Deux escadrons de bombardement stratégique équipés de Rafale B et de missiles ASMPA rénovés
Contrairement à la Russie, la France n’a que deux composantes pour sa dissuasion, une composante sous-marine et une composante aérienne. Cette dernière se compose de deux escadrons de chasse stratégiques, le 1/4 Gascogne et le 3/4 La Fayette, armés de Rafale B, appartenant à la 4ᵉ escadre de chasse stationnée sur la base aérienne BA 113 de Saint-Dizier.
Ces escadrons de chasse sont épaulés par les avions de ravitaillement en vol de la 31ᵉ escadre basée à Istres, en particulier les escadrons 1/31 Bretagne, 2/31 Estérel et 4/31 Sologne, équipés d’A330 MRTT Phoenix.
À ces forces mises en œuvre par l’Armée de l’Air et de l’Espace, s’ajoute la flottille 12 F de la Marine nationale, basée à Landivisiau, montée sur Rafale M, et capable de mettre en œuvre, elle aussi, le missile ASMPA rénové, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.
4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins classe Le Triomphant
La composante sous-marine porte l’essentielle de la puissance de feu de la dissuasion française. Celle-ci s’appuie sur 4 SNLE de la classe Le Triomphant, entrés en service entre 1997 et 2010, et qui seront remplacés, à partir du milieu de la prochaine décennie, par les sous-marins nucléaires de 3ᵉ génération.
3 sous-marins, le Triomphant, le Téméraire et le Terrible, mettent aujourd’hui en œuvre 16 missiles SLBM M51.2, d’une portée estimée autour de 10 000 km, pouvant emporter de 6 à 10 têtes nucléaires TNO de 100 kt, ayant des caractéristiques évoluées de ciblage et de résistance aux contre-mesures. Le quatrième SNLE, le Vigilant, est actuellement en IPER de modernisation, pour recevoir ces mêmes nouveaux missiles, et rejoindra le service en 2025.
Le format à 4 SNLE permet de maintenir, en temps de paix, un navire à la mer, alors qu’un second sous-marin tient une alerte à 24 heures. Le troisième bâtiment est à l’entrainement, mais doit pouvoir être déployé sous 30 jours (comme ce fut le cas en mars 2022). Le quatrième est en entretien.
Cette doctrine permet de disposer, en temps de crise, de deux, voire trois sous-marins dilués, c’est-à-dire ayant suivi une procédure de plongée, protégée par des sous-marins, des frégates et des avions de patrouille maritime, pour garantir qu’il n’a pas été détecté, pour conférer à la France une capacité de seconde frappe suffisante, pour détruire entièrement n’importe quel agresseur, le cas échéant, même après des frappes nucléaires préventives contre elle.
Une équation stratégique bien plus équilibrée qu’il n’y parait
Du point de vue de la comparaison stricte des moyens, la Russie disposerait d’une dissuasion plusieurs fois supérieure à celle de la France, ceci expliquant, parfois, le sentiment de faiblesse stratégique de Paris face à Moscou.
Toutefois, si ce type de comparaison, peut avoir du sens lorsqu’il s’agit de forces armées conventionnelles, pour lesquelles la masse constitue un enjeu critique de performance et de résilience comparées, elle n’est guère pertinente, lorsqu’il s’agit de comparer des forces de discussion.
Il est vrai que Moscou dispose d’une puissance de feu suffisante pour détruire plusieurs fois la planète, et à fortiori, la France. La France, quant à elle, est en mesure de détruire, de manière certaine, toutes les villes de 100 000 habitants et plus de Russie, ainsi que l’ensemble des infrastructures économiques et industrielles significatives du pays, avec seulement un seul de ses SNLE en patrouille.
On entre, ici, dans le concept de destruction mutuelle assurée, qui a été au cœur du dialogue stratégique lors de la guerre froide. De fait, disposer d’une telle puissance de feu, pour la Russie, n’a aucune incidence sur la réalité finale du rapport de force stratégique entre Paris et Moscou, qui se neutralisent mutuellement dans ce domaine.
Contrairement à la Grande-Bretagne, la France dispose, par ailleurs, d’une capacité de riposte intermédiaire, avec sa composante aérienne, adaptée pour répondre, au besoin, à la tentative d’utiliser une arme nucléaire de faible intensité par Moscou, par exemple, pour obtenir un cadre de déconfliction, comme le prévoit d’ailleurs la doctrine russe.
La dissuasion française peut-elle protéger toute l’Europe ?
Par transitivité, si la dissuasion française est capable de contenir la menace stratégique russe contre la France, elle l’est, aussi, pour contenir cette même menace, pour tout ou partie de l’ensemble de l’Europe.
En effet, c’est par sa capacité à infliger des dégâts inévitables et insoutenables, à l’adversaire, que la dissuasion fonctionne, quel que soit le périmètre qu’elle est censée protéger. Notons qu’à ce jour, la France ne s’est nullement engagée en ce sens de manière officielle, et laisse planer, comme il est d’usage, un important flou stratégique autour de ces sujets.
Toutefois, l’efficacité de la dissuasion, repose sur la certitude qu’aurait la Russie, quant à une réponse nucléaire de la France, si elle venait à frapper, ou à attaquer, un territoire donné.
Si Moscou a, aujourd’hui, la certitude que tel sera le cas, s’il s’en prenait à la France directement, il faudra, cependant, faire preuve de beaucoup plus de fermetés dans le discours, et d’unité à l’échelle européenne, pour qu’il en soit de même à l’échelle de l’Union européenne, ou de l’Europe en général.
Conclusion
On le voit, en dépit de ce que peuvent laisser penser, la comparaison stricte des moyens dont disposent les dissuasions russes et françaises, l’équation stratégique entre Paris et Moscou, est beaucoup plus équilibrée qu’il n’y parait.
Cet équilibre est tel, que la France pourrait, au besoin, protéger de son parapluie nucléaire, tout ou partie de l’Europe, d’autant que dans une telle hypothèse, elle pourrait certainement s’appuyer sur la dissuasion britannique, et ses 4 SSBN de la classe Vanguard (si tant est qu’elle parvienne à lancer ses missiles, mais c’est un autre sujet).
De fait, en dépit des menaces de Vladimir Poutine de ce 29 février, la France, et les français, n’ont pas de raison de trembler aujourd’hui, la situation étant strictement la même qu’elle l’était hier, il y a une semaine ou dix ans.
Reste, désormais, à convaincre le Kremlin de la détermination de Paris à défendre l’Europe, au même titre que son propre territoire, mais aussi de convaincre les européens eux-mêmes, d’une telle nécessité face à l’évolution du contexte international.
Car, pour être efficace, la dissuasion doit se draper, tout à la fois, dans un flou stratégique indispensable, et s’appuyer sur un socle de certitudes ne souffrant d’aucune dissension. Dans le chaos politique européen actuel, construire cette unité représente un défi considérable.
Article du 29 février en version intégrale jusqu’au 12 Mai.
Paru dans Défense et sécurité internationale No. 168, Novembre-Décembre 2023
L’arme nucléaire peut-elle être utilisée par la Russie afin d’essayer de gagner la guerre en Ukraine ou au moins d’éviter de la perdre ? Si on s’en tient à la doctrine d’emploi assurément pas, l’usage de l’arme nucléaire y étant – comme cela est souvent répété officiellement – réservé à la préservation de l’existence même de la nation ou de l’État face à une attaque majeure qui ne pourrait être contrée autrement. L’histoire tend cependant à montrer que lorsqu’il s’agit de prendre la décision de franchir ou non le seuil nucléaire, la doctrine importe peu devant les circonstances. Le doute subsiste donc.
Jurisprudence de la prudence
Le seul franchissement du seuil nucléaire, 21 jours seulement après le début de son existence, survient le 6 août 1945 au Japon et se termine trois jours plus tard après un deuxième bombardement atomique américain. Ce franchissement est alors considéré comme décisif par les Américains puisque le Japon capitule dès 2 septembre suivant. Dans les faits les choses semblent plus discutables, les frappes atomiques se trouvant mêlées à l’entrée en guerre de l’Union soviétique contre le Japon le 9 août.
Les États-Unis sont engagés à nouveau dans un conflit à peine cinq ans plus tard, en Corée cette fois. Le même président Truman qui avait décidé des frappes sur Hiroshima et Nagasaki refuse cette fois d’utiliser l’arme nucléaire alors même que les forces américaines se trouvent en difficulté et que ni les Nord-Coréens ni les Chinois ne disposent de capacité de représailles. En fait, le contexte psychologique a considérablement évolué depuis 1945 et ce qui était admissible dans une guerre totale, ne l’est plus dans le cadre d’une guerre limitée, du moins pour le pays doté. Le seuil nucléaire s’est solidifié et est devenu plus difficile à franchir.
Les successeurs d’Harry Truman suivent tous sa trace, qui ce soit face à la Chine dans les années 1950 ou lors de l’engagement au Vietnam et alors même que les Américains disposent cette fois de nombreuses armes nucléaires dites « tactiques » et destinées à être utilisées sur le champ de bataille. Il est vrai que les États-Unis ne manquent pas non plus d’une puissance de feu conventionnelle qu’ils peuvent utiliser massivement avant de songer à franchir le seuil nucléaire. Lors de l’opération Linebacker II lancée en décembre 1972, 200 bombardiers B-52 déversent en onze jours l’équivalent de plusieurs armes atomiques de faible kilotonnage sur le Nord-Vietnam. Les effets de cette opération sur les accords de paix signés à Paris le 27 janvier 1973 sont encore plus discutés que ceux des frappes atomiques réelles sur le Japon. Par la suite, et alors que les combats s’effectuent toujours loin du territoire américain, il n’y a pas non plus d’emploi d’arme nucléaire contre l’Irak en 1991 et en 2003, cette dernière déclenchée justement au nom de la contre-prolifération.
Les comportements nucléaires de l’Union soviétique et de la Chine, avec pourtant des régimes politiques très différents des États-Unis, sont durant la guerre froide finalement assez proches. Si l’Union soviétique n’a pas hésité à menacer nucléairement la France et le Royaume-Uni en 1956 au moment de la crise de Suez, sans grande crédibilité il est vrai, le seul État à qui elle fait vraiment la guerre après 1945 est la Chine avec une série de combats frontaliers très violents en 1969. Or, la Chine est certes déjà un État doté à ce moment-là mais elle ne dispose pas encore de capacité de deuxième frappe, c’est-à-dire qu’elle n’est pas capable de riposter nucléairement après une attaque massive. Le pouvoir soviétique envisage alors sérieusement une campagne de frappes nucléaires désarmantes et le fait savoir, sans que l’on sache trop qu’elle était la volonté réelle d’attaquer et la part de déclaratoire dans cette opération. Toujours est-il que les autorités chinoises, sincèrement effrayées, acceptent rapidement de négocier la fin du conflit. La Chine elle-même, envahit le nord du Vietnam en février 1979, s’y fait battre de manière cinglante, mais n’ose pas non plus utiliser son arsenal nucléaire pour tenter de changer le cours des évènements.
On s’est peut-être plus approché de l’emploi de l’arme nucléaire lors d’affrontements plus symétriques et existentiels. Toute nouvelle puissance nucléaire, Israël envisage sérieusement un emploi démonstratif de l’arme atomique dans le Sinaï en juin 1967 en cas de mauvaise tournure de la guerre contre les pays arabes voisins, puis met ses forces nucléaires en alerte en octobre 1973 alors que l’armée syrienne progresse dans le plateau du Golan. Dans les deux les cas, la nette supériorité conventionnelle israélienne rend finalement inutile d’aller plus loin. À l’été 1988, le gouvernement sud-africain est très inquiet devant la possibilité d’une invasion cubaine en Namibie depuis l’Angola et fait discrètement savoir à Fidel Castro qu’il dispose de six têtes nucléaires largables par bombardiers. L’invasion n’a finalement pas lieu et Fidel Castro avoua plus tard n’avoir jamais eu lieu l’intention de la lancer, en partie par peur de l’arme atomique sud-africaine.
En résumé, dans une situation dissymétrique les États dotés n’ont jamais considéré que les bénéfices espérés de l’emploi du nucléaire pouvaient dépasser le reproche international et peut-être interne fort qui en résulterait à coup sûr, et ce même au prix d’une défaite limitée. Les seules circonstances ayant permis d’approcher ce seuil ou de le franchir, ont été une absolue nécessité de protéger le territoire national, ou considéré comme tel, alors que les forces conventionnelles ne permettaient plus de le faire ou, comme au Japon, dans le cadre d’une guerre totale avec un niveau de violence déjà considérable et sans risques de représailles.
Kilotonnes sur le Dniepr
Si on s’en tient à cette jurisprudence, aucun des critères retenus comme pouvant justifier l’emploi de l’arme nucléaire par les Russes en Ukraine n’est vraiment présent dans le conflit. Le niveau des pertes humaines russes est inédit depuis 1945 mais semble jugé encore acceptable par le régime. L’armée russe résiste par ailleurs sur les zones conquises. De plus, l’usage régulier de la menace nucléaire dans le discours russe a eu pour effet d’obliger les acteurs internationaux à exprimer par avance leur position en cas de franchissement du seuil. Elle est unanimement hostile, y compris donc de la part de l’allié chinois, et les États-Unis ont par ailleurs indiqué qu’ils ne se contenteraient pas de condamner.
Pour autant, il faut se souvenir que l’invasion de l’Ukraine en février 2022 était jugée à l’époque irrationnelle et trop contre-productive pour la Russie au regard des réactions qu’elle provoquerait, et pourtant celle-ci a bien eu lieu. En cas de situation critique en Ukraine, Vladimir Poutine peut se trouver devant le choix entre un élargissement des moyens conventionnels par une mobilisation générale ou une escalade dans la nature des moyens engagés, et considérer que le risque de troubles internes est finalement plus dangereux que celui de vaines protestations internationales, alors que la Russie est déjà isolée et sous sanctions. Quant aux États-Unis, le précédent de Barack Obama refusant d’agir en 2013 alors que la ligne rouge de l’emploi de l’arme chimique en Syrie, qu’il avait lui-même établi, venait d’être franchie est dans toutes les mémoires.
Dans une nouvelle et grande erreur de perception, le Kremlin peut donc effectivement décider d’escalader. Comme par ailleurs il ne peut plus, par impuissance des aéronefs et dilapidation du stock de missiles, passer par une campagne massive de frappes conventionnelles à la manière de Linebacker II, cette escalade ne peut que passer par le nucléaire, très probablement d’abord à faible puissance.
À ce stade de la guerre, on ne peut imaginer que deux scénarios pouvant justifier cette escalade. Dans le premier, les forces russes seraient subjuguées par les forces ukrainiennes et incapables d’empêcher un désastre sur le terrain et en particulier la reconquête de la Crimée. Dans le second, constatant le blocage du front et n’ayant pas renoncé à ses objectifs, la Russie tenterait de reprendre l’offensive par un surcroît de puissance de feu.
Ce franchissement de seuil peut se faire sous forme d’attaque blanche dans l’atmosphère ou la mer Noire en préalable à d’éventuelles « frappes rouges » effectives. Cette idée n’est jamais exprimée dans les textes russes, mais elle viendrait logiquement dans les options présentées au décideur ultime. Tout en permettant d’effrayer la partie ukrainienne, une attaque blanche présenterait l’avantage d’être facile à réaliser et de minimiser l’impact matériel et donc aussi politique. Cette option présenterait cependant l’inconvénient de provoquer quand même une indignation internationale et d’éliminer toute surprise pour la suite. Cela laisserait notamment le temps aux Ukrainiens de se préparer psychologiquement et matériellement à des frappes effectives et d’en limiter les effets. Cette attaque de semonce pourrait également être réelle, sur une base militaire par exemple ou une concentration de forces. Les avantages et les inconvénients seraient les mêmes qu’une attaque blanche, mais exacerbés.
Cela suffirait-il ? On n’en sait rien, le champ des réactions ukrainiennes pouvant aller de la soumission à l’accélération des opérations en passant par une pause le temps de s’adapter à la nouvelle situation avant de reprendre l’offensive peut-être sous forme différente. On peut même imaginer que l’Ukraine cherche à se doter elle-même d’une petite force de frappe nucléaire avec l’aide de pays alliés afin de neutraliser la menace par dissuasion mutuelle. Le champ des réactions internationales et en premier lieu américaines est également très ouvert, depuis la recherche d’apaisement à l’intervention directe et massive, en passant par des options de gel de la situation au mieux par une admission immédiate de l’Ukraine dans l’Alliance atlantique et l’envoi de troupes occidentales sur place ou au pire par une interminable mission onusienne d’interposition-négociation.
Dans le scénario russe offensif, la surprise et les effets matériels seraient privilégiés. On peut donc imaginer dans ce cas, une série de frappes atomiques en basse altitude afin de limiter les effets radioactifs sur le deuxième échelon ukrainien et quelques sites stratégiques à l’intérieur du pays. Ces frappes, qui seraient renouvelées en fonction des besoins, viendraient en appui d’une offensive des forces aéroterrestres russes qui pourraient ainsi peut-être enfin refouler ou percer un front ukrainien isolé de ses arrières. D’un point de vue opérationnel, malgré l’énorme puissance de feu projetée il n’est pas évident que cette attaque nucléaire soit efficace. On peut d’abord imaginer que les préparatifs d’une attaque atomique massive ne passent pas inaperçus et qu’une alerte serait donnée avec toutes les conséquences tactiques et stratégiques que cela impliquerait. Mais même si l’attaque initiale bénéficiait de la surprise, la défense aérienne ukrainienne détruirait un certain nombre de vecteurs en vol. Les frappes réussies elles-mêmes seraient peut être insuffisantes à désorganiser complètement le dispositif ukrainien, comme semblent l’indiquer les exemples historiques de préparations de feux supermassives. Même bousculée, l’armée ukrainienne pourrait basculer dans une grande guérilla mobile et imbriquée invulnérable aux frappes atomiques et on ne voit pas comment la Russie pourrait se sortir d’une telle situation.
L’attitude internationale est encore inconnue, mais elle serait certainement très dure vis-à-vis de la Russie avec très probablement une intervention militaire occidentale à la forme floue, entre frappes conventionnelles punitives qui enrayeraient encore plus l’offensive russe ou participation moins escalatoire par exemple par l’envoi de techniciens ou de troupes de protection. Une offensive atomique russe aboutirait ainsi très probablement à une impasse opérationnelle, mais ce serait une impasse extraordinairement risquée dans un contexte stratégique hautement chaotique.
En résumé, le franchissement du seuil nucléaire par la Russie ne peut pas être exclu par erreur de perception et cela constituerait un saut dans l’inconnu.
Pierre Razoux, Israël et la dissuasion nucléaire, Revue Défense Nationale 2015/7 (N° 782).
Laurent Touchard, Quand l’Afrique (du Sud) avait la bombe, Jeune Afrique, 19 juillet 2013.
Alors qu’elle vient d’annonce la prochaine entame des travaux pour ses deux derniers SNLE Boreï, la Russie est, aujourd’hui, le seul pays qui parvient à lancer et livrer, chaque année, plus de sous-marins que de destroyers et de frégates.
Mieux encore, la Marine russe ne recevra, dans les six années à venir, que six frégates de la classe Admiral Gorshkov, un navire de seulement 5 400 tonnes, qui est, pourtant, la plus importante unité de surface combattante produite par l’industrie navale russe post-soviétique.
Elle va admettre au service, sur la même période, cinq, peut-être sept, SSGN de la classe Iassen, de 8 600 tonnes en surface, ainsi que six SNLE des classes Boreï-A et Boreï-AM, de 15 000 tonnes chacun en surface, soit au moins 11 grands sous-marins à propulsion nucléaire.
Sommaire
La construction des deux derniers SNLE Boreï-AM débutera en 2024 pour la Marine russe
C’est précisément la construction des deux derniers SNLE de la classe Boreï, qui débutera en 2024, selon l’agence Tass, citant une source au ministère de la Défense russe.
Ces navires seront les troisièmes et quatrièmes unités, du troisième lot de SNLE russes de la classe Boreï. Le premier lot de trois navires de la classe Boreï, a été livré à la flotte du Nord (un navire) et à la flotte du Pacifique (deux navires), de 2012 à 2014, à raison d’un sous-marin chaque année.
Le second lot porta sur 5 sous-marins d’une version évoluée, baptisée Boreï-A, disposant d’équipements de communication et de détection plus modernes, ainsi que d’une hydrodynamique redessinée, pour leur conférer une vitesse supérieure, une plus grande manœuvrabilité et une discrétion renforcée.
Comme les premiers Boreï, les Boreï-A emportent 16 missiles balistiques SLBM RSM-56 Bulava, d’une portée estimée supérieure à 10 000 km, pouvant emporter jusqu’à 10 têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV. Le premier des Boreï-A, le Knyaz Vladimir, est entré en service en 2020, alors que la dernière unité du second lot, le Knyaz Pozharskiy, doit l’être en 2024, deux pour la flotte du Nord, les trois autres pour celle du Pacifique.
Le troisième, et pour l’heure, dernier lot de SNLE Boreï, porte sur quatre navires. La construction des deux premiers, le Knyaz Potemkin et le Dmitry Donskoy, a débuté en 2021. Les deux navires doivent rejoindre la flotte du Nord en 2026 et 2028.
Les troisièmes et quatrièmes Boreï de ce lot, et derniers navires de la classe, selon la planification actuelle, devraient être livrés, selon la source citée par Tass, en 2029 et 2030, à raison d’un navire par flotte.
6 SNLE pour la flotte du Nord, et 6 pour la flotte du Pacifique en 2030
De fait, selon cette source, les deux flottes principales de la Marine russe, la Flotte du Nord, basée à Mourmansk, et la Flotte du Pacifique, à Vladivostok, disposeront chacune de 6 SNLE Boreï en 2030.
Ce format doit leur permettre, chacune, de conserver deux navires en patrouille en permanence, ainsi qu’un navire en alerte, conférant à Moscou un potentiel de 6 SNLE à la mer en temps de crise, peut-être davantage, autant que les États-Unis, et 50 % plus importante que la flotte de SNLE européenne.
La Marine russe disposera également de 576 à 960 têtes nucléaires prêtes au tir, au travers de cette flotte, soit bien plus qu’il n’en faut pour participer au dialogue stratégique mondial, en dépit d’un PIB 30 % inférieur à celui de la France, et d’une flotte de surface de haute mer en décrépitude.
Les quatre derniers sous-marins appartiendront à une nouvelle version Boreï-AM
L’Agence Tass fait référence, dans son article, non pas à des sous-marins de la classe Boreï-A, comme les 5 navires formant le second lot, mais d’une nouvelle sous-classe, baptisée Boreï-AM. Le M fait référence à une version Modernisée (модернизированный) de l’équipement, et apparait aussi dans la nomenclature du programme, le Projet 955AM.
La nature des modernisations apportées à ces nouveaux navires, n’est pas encore dévoilée. On peut penser, en application de la logique employée jusqu’ici dans ce programme par l’Amirauté russe, comme des chantiers navals Sevmash, qui construiront les navires, que les deux navires les précédant, appartiendront, eux aussi, à cette sous-classe.
Davantage de SNLE russes au-delà de 2030 ?
Les deux derniers SNLE dont la construction vient d’être annoncée, devraient, selon la planification russe actuelle, être les derniers navires de ce type à entrer en service. Pour autant, il se pourrait bien que Moscou table sur une flotte de SNLE plus imposante, dépassant celle des États-Unis, avec 12 SSBN classe Columbia planifiés.
En effet, la fin annoncée du programme P955-A-AM Boreï d’une part d’ici à 2030, mais aussi du programme P885-M Iassen, va laisser l’outil productif russe dans le domaine des sous-marins nucléaires, sans activité suffisante pendant près de deux décennies, ce après avoir fourni un effort colossal pour retrouver ses compétences et moderniser la flotte sous-marine russe, en 20 ans seulement.
Pour l’heure, aucun programme de sous-marins à propulsion nucléaire n’a été annoncé par Moscou pour cette période, ni de SSN pour remplacer les Akula et renforcer les SSGN Iassen et Anteï, ni pour étendre la flotte de SNLE.
Il est probable, cependant, que de nouvelles annonces interviendront lors de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire pluriannuelle, ou GPV, celle actuelle se terminant en 2027.
Cette hypothèse est d’autant plus probable que, dans une interview donnée à RIA Novosti, igor Vilnit, le PDG de Rubin, a indiqué que si la classe Arktur, qui doit succéder aux Anteï et Iassen, n’entrera pas en service avant 2050, le « remplacement des Boreï », en revanche, devrait débuter à partir de 2037.
Sachant qu’à ce moment-là, le plus ancien des Boreï, le Yury Dolgorukiy, n’aura que 25 ans, et que les Delta IV russes qui l’ont précédé, ont navigué pendant plus de 40 ans, on peut supposer que Moscou prévoit d’accroitre sa flotte de SNLE au début de la prochaine décennie, peut-être jusqu’à 16 navires, pour maximiser son ascendant stratégique dans ce domaine, face aux États-Unis, mais également face à la Chine, et ainsi garantir sa position dans le concert des super-puissances militaires mondiales, si pas économiques.
Article du 28 mars en version intégrale jusqu’au 12 mai 2024
La France, la bombe, l’Europe et autres plaisanteries
OPINION – Menacée de destruction par des adversaires étatiques potentiels, l’Europe doit également tenir compte d’un désengagement possible de part des Américain. Les Européens doivent donc sans délai repenser leur défense collective dans le cadre de l’OTAN, estime le groupe Mars. Et la France doit élargir ses intérêt vitaux aux frontières de l’Alliance atlantique. Par le groupe de réflexions Mars.
Les idées présentées au cours d’une campagne électorale n’ont plus vocation à être mises en œuvre. Cela participe du folklore politique. A notre époque, ce n’est que de la communication, soit pour se démarquer de l’adversaire, soit pour le mettre en difficulté. Une fois que l’on a compris cela, il n’y a pas lieu de s’offusquer de ces propos, qui faisaient autrefois tout le charme des banquets républicains et de leur chaleur communicative. De nos jours, faute de chaleur, ce sont des idées que l’on essaie de communiquer, mais c’est tout aussi éphémère.
Aujourd’hui, la dissuasion nucléaire est à la mode, elle n’échappe donc pas au processus de démonétisation de la parole publique. Récemment encore, on faisait la guerre à n’importe quoi, et on voulait réarmer tout et son contraire. Aujourd’hui, on se pique d’ambiguïté stratégique, car ça fait chic et entendu : chut ! on évoque la fin du monde à demi-mot…
De l’utopie à la dystopie
Tout cela n’est évidemment qu’une sinistre plaisanterie. Si l’on se croyait vraiment en guerre, on mettrait en œuvre une vraie économie de guerre au lieu d’en jouer la comédie. Comment partager l’inquiétude feinte des batteurs d’estrade qui n’ont que le mot de guerre à la bouche, quand la priorité de l’exécutif (on n’ose plus dire de la majorité) est de se battre contre le déficit budgétaire ? Comment croire à l’économie de guerre quand on annule dix milliards de crédits par décret, alors qu’il faudrait décréter la mobilisation de l’industrie à grands coups de crédits publics ? Comment se fier au discernement de dirigeants qui, au lieu de faire face aux responsabilités nationales pour lesquelles ils ont été élus, pratiquent la fuite en avant vers un état final recherché dans l’idéal fédéral européen, utopie du XIXe siècle devenue dystopie du XXIe ?
Consternée par tant d’incohérence, qui confine à l’irresponsable si le risque de guerre est réel, l’opinion publique se réfugie, comme toujours, dans une abstention massive et un vote de colère tout aussi massif. Au résultat, moins d’un électeur sondé sur douze dit vouloir soutenir la liste unique des partis présents au gouvernement. On ne peut ni s’en réjouir, ni s’y résoudre.
Une guerre de civilisation
Alors, que proposer d’un peu plus sérieux et responsable ? Fidèle à sa ligne, qui s’apparente de plus en plus à une étroite ligne de crête entre le précipice fédéraliste et le ravin nationaliste, le groupe Mars propose de poursuivre la réflexion lancée lors d’une précédente chronique (1) sur le partage nucléaire en Europe face à une menace russe dont nul ne conteste plus la réalité et la gravité. Contrairement à beaucoup de commentateurs, nous ne savons pas quelles sont les intentions du Kremlin lorsque sa soi-disant « opération spéciale » en Ukraine prendra fin. Emportée par l’hubris de la victoire ou l’amertume de la défaite, le régime russe cherchera-t-il d’autres victimes à sacrifier pour garantir sa pérennité ? A vrai dire, personne ne le sait, et sans doute pas même le principal intéressé derrière les murs rouges du Kremlin.
Ce qui est sûr en revanche, c’est que le monde a changé. La domination occidentale n’est plus seulement contestée, elle est prise pour cible en vue de l’anéantissement des valeurs qui la sous-tendent. Si guerre il y a, c’est, au-delà même du conflit idéologique qui caractérisait la guerre froide, une guerre de civilisation. On peut considérer, à l’instar du cirque politico-médiatique, qu’il y a d’un côté les gentils, de l’autre les méchants, ou bien le camp du bien et celui du mal. On peut aussi, plus rationnellement, réaliser que les valeurs occidentales ne sont plus guère considérées comme universelles que dans l’aire de civilisation représenté, schématiquement, par l’OCDE.
Vingt ans d’aventurisme occidental en Irak et en Libye, d’hypocrisie politique au Kosovo et de « deux poids, deux mesures » au Proche-Orient, de déroutes militaro-politiques en Afghanistan et au Sahel, sans oublier des avancées sociétales pour le moins incomprises ailleurs, ont largement concouru à décrédibiliser la « bonne nouvelle » démocratique que l’armée américaine a vainement tenté d’imposer par la force. L’heure de la vengeance a sonné. Que nous le voulions ou non, les valeurs occidentales sont désormais prises pour cible non seulement par la nébuleuse terroriste, mais aussi désormais par de nombreux États dans le monde, qui regroupent une part, sinon majoritaire, du moins significativement plus peuplée que l’aire de la civilisation occidentale, même élargie à l’OCDE.
Que nous le voulions ou non, il faut admettre qu’une partie de la population mondiale, peut-être majoritaire, nous déteste et rejette ce que nous représentons. Ce n’est certes pas vraiment nouveau. La nouveauté, c’est que ces peuples devenus hostiles voient dans la Russie aujourd’hui, la Chine demain, voire l’Iran nucléaire après-demain, un champion désormais capable de défier et de défaire cet Occident honni, et pourquoi pas de le détruire.
« C’est qui l’Union européenne »
Face à une menace d’une telle gravité, la question n’est plus de savoir si le droit international a été respecté en Crimée et dans le Donbass. Bien-sûr que la Russie se comporte en État voyou. La nouveauté, c’est que le monde non occidental n’en a cure. Et pire : il applaudit et en redemande. Alors, combien de temps va-t-on se cacher la tête dans le sable et faire assaut de plaisanteries alors que la menace est mortelle ? Mortelle, non pour l’UE, tout le monde s’en f… C’est bien triste pour la technocratie bruxelloise, mais on s’en remettra. Mais mortelle pour les valeurs sur lesquelles la civilisation occidentale s’est bâtie depuis, disons, deux ou trois cents ans.
La vraie question n’est donc pas de savoir si Poutine coupera demain le corridor de Suwalski. Elle est de savoir si la civilisation occidentale mérite d’être défendue par les armes, ou pas. La réponse de l’exécutif français est claire : la priorité d’aujourd’hui est de lutter contre le déficit, et celle de demain de transférer à Bruxelles de nouvelles compétences régaliennes.
Comment donc défendre notre civilisation si le protecteur américain est trop affairé en Asie pour protéger l’Europe ? « Europe puissance » et « souveraineté européenne » ne sont que des slogans creux qui ne recouvrent que des oxymores. Car l’Europe est déjà une puissance commerciale, point final. Cela suffit à ceux qui en profitent, Allemands et Néerlandais en tête. Pourquoi gaspiller son énergie dans un coûteux projet stratégique ?
Quant à la souveraineté européenne, elle n’existe plus depuis 1648. En affirmant une souveraineté revendiquée depuis 350 ans contre l’Empire, le royaume de France, allié à la Suède protestante, fait alors de son exception la nouvelle règle du « droit des gens ». Franchement, qui a envie de reconstituer un épigone des trois Reich, ces ectoplasmes de sinistre mémoire chers aux idéologues nazis qui voyaient dans les traités de Westphalie la cause du malheur allemand ?
La solution n’est donc pas pour la France, État doté de la dissuasion nucléaire, de transférer à l’UE ses codes atomiques. D’ailleurs, c’est qui, l’UE ? Le président de la Commission, celui du Conseil européen ou le chef du gouvernement qui préside l’UE et change chaque semestre ? Ou bien les trois ensemble ? Mais non, vous n’avez rien compris, l’UE, c’est le futur président de l’Europe fédérale, élu au suffrage universel et chef des armées européenne. LOL
Renforcer les capacités de la dissuasion nucléaire
La crédibilité de la dissuasion procède d’intangibles certitudes politiques, techniques et opérationnelles, et d’une seule ambiguïté. N’y a-t-il donc rien à partager de la part de la France que le général de Gaulle nous a laissé en héritage ? Si, bien-sûr : le périmètre de nos intérêts vitaux. C’est bien le seul point pour lequel l’ambiguïté est souhaitable. Pour le reste, rien ne doit être ambigu : la performance des armes et des vecteurs, l’entrainement des équipages et de la chaîne de commandement, la robustesse des réseaux de transmission, la clarté de la doctrine d’emploi, et par-dessus tout, la crédibilité de la volonté du chef des armées de faire usage de la dissuasion. Alors, évidemment, à force de passer pour un aimable plaisantin, cela n’aide pas.
Mais que signifierait élargir aux frontières de l’Europe le périmètre de nos intérêts vitaux ? C’est très exactement ce que dit l’Écriture : quand elle proclame « élargis l’espace de ta tente », elle ajoute aussitôt « Allonge tes cordages, Et affermis tes pieux ». Cette image immémoriale empruntée à la sagesse de nomades orientaux sédentarisés de la fin de l’âge du bronze nous parle encore aujourd’hui, même si, sous nos latitudes, il est davantage question de parapluie. Elle est pourtant beaucoup plus juste et porteuse de sens. On n’ouvre en effet un parapluie que quand il pleut, alors que la tente peut être plantée pour longtemps, surtout après en avoir élargi l’espace.
Telle est la sagesse à laquelle la France devrait se référer plutôt que d’envisager de transférer ses responsabilités et ses capacités à une entité sans consistance ni mémoire. Cela suppose, avant d’inviter de nouveaux hôtes à jouir de la protection de notre « tente », d’en « allonger les cordages » et « raffermir les pieux », autrement dit de renforcer les capacités de la dissuasion nucléaire française. Alors, quand cela aura été fait, les hôtes viendront d’eux-mêmes solliciter l’hospitalité. Surtout si le puissant chef « oncle Sam » de la tribu voisine a subitement levé le camp pour planter ailleurs sa vaste tente. Ce faisant, les invités auront à cœur d’apporter des présents, chacun à la mesure de ses moyens. Ce sera leur contribution à la défense commune. Mais la tente de la France restera la tente de la France.
Repenser la défense de l’Europe
Et vous savez quoi ? Pas besoin de réinventer l’eau tiède, cela existe déjà, c’est l’OTAN. Tiède, car l’alliance atlantique n’est aujourd’hui qu’une alliance militaire dotée de capacités de planification et reposant sur la confiance réciproque entre ses nations (notamment pour la mise en œuvre de l’article V, dont la rédaction permet toutes les interprétations), et non un réel système de défense commune.
Dans la perspective du désengagement américain, il est temps de repenser la défense de l’Europe dans ce cadre. Concrètement. Sans se laisser abuser par les idées creuses. « L’autonomie stratégique » doit devenir une réalité, et non plus un slogan. Elle ne se fera pas de zéro : faire table rase de 75 ans d’alliance atlantique est une utopie. C’est au contraire dans ce cadre qu’il convient de construire un système de défense apte à protéger l’Europe et ses valeurs, à partir des capacités militaires existantes, des spécificités politiques et géographiques, et des moyens financiers et humains de chaque pays membre.
La France fournira à cette alliance renouvelée la doctrine et la capacité de frappe atomique en second, c’est-à-dire la garantie de destructions intolérables pour tout éventuel agresseur. Mais puisque la dissuasion est un continuum, et non un pari binaire, elle a besoin de « l’épaulement stratégique » que ses propres forces conventionnelles et surtout celles de ses alliés lui fourniront, sur le modèle de la guerre froide, avec un corps de bataille blindé-mécanisé constitué de divisions interarmes pré-affectées, équipées et entraînées à faire face à une agression sous le seuil nucléaire ou préalable à la mise en œuvre de la dissuasion.
Maastricht a désarmé l’Europe
A vrai dire, cette évolution est assez simple à mettre en œuvre, ce n’est qu’une question de moyens. Cela suppose évidemment de secouer le joug de Maastricht et du pacte de stabilité qui a désarmé l’Europe depuis trente ans. On devrait pouvoir garder le marché unique et la monnaie commune sans s’empêcher d’investir dans la défense. C’est donc aussi une question de volonté politique, consistant à placer les priorités face aux vraies menaces.
La difficulté serait cependant de l’ordre de la doctrine et du concept d’emploi. Que faire des capacités nucléaires tactiques dont disposent une demi-douzaine de pays membres de l’OTAN selon le principe de la double clé ? Même si le général de Gaulle ne croyait pas que les Américains pourraient « sacrifier Boston pour les beaux yeux des Hambourgeoises » (2), il est impossible à ce jour de préjuger des intentions américaines à ce sujet. Assumeront-ils le risque majeur, pour leur propre sécurité, de laisser leurs bombes atomiques tactiques B61-12 en Europe tout en se désengageant, sachant qu’ils n’ont pas besoin de cette arme par ailleurs puisqu’elle est spécifique à l’OTAN et ne participe pas à la dissuasion américaine ?
Si c’est le cas, il risque d’y avoir un hiatus entre les plans nucléaires de l’OTAN, qui prévoient la possibilité d’une utilisation tactique de l’arme atomique sur le champ de bataille (y compris en premier), et la doctrine française, beaucoup plus réaliste et crédible, qui refuse la perspective d’une bataille atomique et n’envisage d’utiliser ses missiles « tactiques » qu’en tant qu’ultime avertissement, avant d’engager des frappes massives sur les centres vitaux de l’agresseur. Poser la question, c’est déjà y répondre. Mais c’est encore inaudible pour les six pays européens concernés.
Résumons-nous :
Les nations et les valeurs européennes sont désormais menacées de destruction, de manière directe et assumée de la part d’adversaires étatiques potentiels qui exploiteront systématiquement leurs moindres faiblesses.
Face à la perspective d’un désengagement américain, les Européens doivent sans délai repenser leur défense collective dans le cadre de l’OTAN.
Dans ce nouveau contexte stratégique, la France ne peut faire cavalier seul, ni se décharger de ses responsabilités historiques et géographiques ; ses intérêts vitaux seront nécessairement élargis à la dimension des frontières de l’OTAN ; la France n’a pour autant pas les moyens de remplacer seule l’engagement américain.
Un nouveau continuum de prévention conventionnelle et de dissuasion nucléaire doit être rapidement mis en place dans le cadre de l’OTAN, fondé sur les capacités, la géographie et les avantages comparatifs de chaque État membre ; l’épaulement stratégique de la dissuasion nucléaire française sera essentiellement fournie par les alliés, les forces conventionnelles françaises étant plutôt orientées vers la défense de nos intérêts vitaux hors périmètre de compétence de l’OTAN, notamment dans la vaste zone indopacifique.
Le mélange des concepts (américains) recouvrant systèmes défensifs, forces déployées préventivement et dissuasion nucléaire augmente le risque de franchissement du seuil nucléaire par confusion stratégique et remise en cause de la certitude de destructions majeures ; une alliance atlantique renouvelée placée sous la « tente » nucléaire franco-britannique devra en revenir à un concept d’emploi simple, lisible et efficace comme l’est la doctrine nucléaire française.
La relation spéciale franco-britannique sera renforcée dans cette nouvelle perspective, compte tenu de la capacité nucléaire servie par la Royal Navy ; cela fait d’ailleurs presque trente ans que les deux puissances européennes reconnaissent l’existence d’intérêts vitaux communs.
Tout cela demande de faire des choix politiques lourds de conséquences dans l’attribution des moyens budgétaires, et en tout premier lieu, de ne plus subir la contrainte imposée par les règles budgétaires de l’UE ; l’UE doit rester à sa place, qui est celle de concourir à la prospérité des Européens, sans porter atteinte à leur sécurité.
Tels sont les enjeux que l’on aimerait voir débattre dans la campagne électorale en cours, censée s’intéresser à l’avenir de l’Europe. Nous en sommes loin. Très loin. Et c’est préoccupant.
* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.
Pour avoir récemment dit vouloir ouvrir un débat sur la crédibilité de la défense européenne en y incluant la dissuasion nucléaire, le président Macron s’est attiré, période électorale oblige, les critiques des oppositions, celles-ci ayant vu dans ses propos la volonté de mutualiser la force de frappe française.
« La dissuasion nucléaire est en effet au cœur de la stratégie de défense française. Elle est donc par essence un élément incontournable de la défense du continent européen. C’est grâce à cette défense crédible que nous pourrons bâtir les garanties de sécurité qu’attendent tous nos partenaires, partout en Europe, et qui aura vocation aussi à construire le cadre de sécurité commun, garantie de sécurité pour chacun », a d’abord affirmé le locataire de l’Élysée, lors d’un discours sur l’Europe prononcé à la Sorbonne, le 25 avril.
Puis, deux jours plus tard, il a de nouveau abordé ce sujet à l’occasion d’un dialogue avec de « jeunes européens » publié par les journaux du groupe Ebra. Là, il a souhaité « ouvrir un débat » devant inclure « la défense anti-missile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine ». Et d’insister : « Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible. La France gardera sa spécificité mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen ».
En réalité, M. Macron n’a rien proposé de nouveau. Et ses propos sont même en retrait par rapport à ceux qu’il avait tenus à l’École Militaire, le 7 février 2020. En effet, tout en excluant toute idée de mutualisation, il avait déclaré que les « intérêts vitaux de la France » avaient « désormais une dimension européenne », avant de proposer un « dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective ». Et d’ajouter que « les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être associés aux exercices » menés par les forces stratégiques françaises.
Ces propositions ne reçurent pas l’accueil que M. Macron aurait souhaité, certains pays européens, à commencer par l’Allemagne, ayant fait part de leur scepticisme. Et puis la crise du covid fit passer ce débat au second plan… Cela étant, la guerre en Ukraine et le possible affaiblissement du lien transatlantique ont changé la donne. D’où la volonté du chef de l’État de remettre le sujet sur la table. Il s’en est d’ailleurs de nouveau expliqué dans un entretien accordé au très influent hebdomadaire « The Economist », en précisant sa pensée.
D’abord, le débat qu’il appelle de ses vœux aurait la Communauté politique européenne pour cadre. Pour rappel, cette structure vise à renforcer les liens entre l’Union européenne [UE] et les pays qui partagent ses « valeurs » sans en faire partie.
« Nous devons, nous en Européens, nous dire comment, de manière crédible, nous défendons notre espace et comment ensuite, de manière crédible et durable, nous construisons pour chacun des États membres une garantie de sécurité […]. Ce que je souhaite, c’est d’arrimer la discussion dans le cadre de la Communauté politique européenne. Vous avez autour de la table tous les pays de l’Europe au sens le plus large et nous avons des bases de discussion avec les coopérations qui existent au sein des membres de l’UE, mais aussi les coopérations bilatérales, la plus structurante pour nous sur ce volet étant sans doute celle que nous avons avec le Royaume-Uni », a en effet expliqué M. Macron.
S’agissant du rôle que pourrait avoir la dissuasion nucléaire française dans l’architecture de sécurité européenne, le chef de l’État a tracé, en quelque sorte, des lignes routes.
« La dissuasion, c’est le cœur de la souveraineté. Donc la dissuasion nucléaire française, y compris de par ses règles d’engagement, est la quintessence de la souveraineté du peuple français puisque c’est le Président de la République, comme chef des armées, qui définit l’engagement de cette force nucléaire dans toutes ses composantes et qui définit les intérêts vitaux de la France. Il ne s’agit pas de changer cela. Mais il s’agit de dire, de par la nature de nos intérêts vitaux et des choix qui sont les nôtres, notre géographie, que nous contribuons à la crédibilité de la défense européenne. Nous avons donc un cadre stratégique », a expliqué Emmanuel Macron.
Et d’ajouter : « Nous voulons bâtir un concept stratégique efficace et crédible de défense commune, qui est le préalable à un cadre commun de sécurité des Européens. Il faut que l’arme nucléaire soit intégrée dans la réflexion, avec les limites connues de son engagement et sans les changer. Donc je propose en quelque sorte de dire que nous avons cette capacité » et qu’elle « doit être prise en compte et comprise par nos partenaires pour éviter aussi des redondances […], sans pour autant la mutualiser, compte tenu des sensibilités politiques qui sont celles des [différents] pays et des règles d’engagement qui sont les nôtres ».
Cependant, le président a commis quelques erreurs factuelles dans son exposé. Ainsi, contrairement à ce qu’il a avancé, ce n’est pas François Mitterrand qui, le premier, a indiqué que « l’Europe faisait partie des intérêts vitaux » : cette mention avait été suggérée dans le Livre blanc sur la défense de 1972, sous la présidence de Georges Pompidou.
« Si la dissuasion est réservée à la protection de nos intérêts vitaux, la limite de ceux-ci est nécessairement floue. […] La France vit dans un tissu d’intérêts qui dépasse ses frontières. Elle n’est pas isolée. L’Europe occidentale ne peut donc dans son ensemble manquer de bénéficier, indirectement de la stratégie française qui constitue un facteur stable et déterminant de la sécurité en Europe », avait avancé ce document.
Ensuite, en répondant à la question de savoir s’il fallait des armes nucléaires tactiques pour « gérer une escalade potentielle », M. Macron a fait une autre erreur en affirmant que la France avait « toujours refusé l’emploi tactique de l’arme nucléaire » car « notre doctrine est celle des dommages inacceptables et non pas de la guerre nucléaire limitée ».
En effet, au début des années 1970, la France s’est dotée de bombes nucléaires tactiques AN-52, mises en œuvre d’abord par des Mirage IIIE, puis par des Jaguar A et des Super Étendard. Toutes ont été retirés du service en 1991, après avoir été remplacées par des missiles de croisière Air Sol Moyenne Portée [ASMP]. L’armée de Terre a également été munie de missiles nucléaire tactiques, avec les Pluton [d’une portée comprise entre 20 et 120 km], puis les Hadès, les derniers ayant été démantelés en 1997.
« S’agissant des armes nucléaires tactiques, si les Américains et les Soviétiques en possèdent – et en quantité considérable – c’est qu’ils y ont intérêt. Nous avons la capacité technique, industrielle et financière de développer à notre tour de tels armements ; il est logique que nous cherchions à en tirer profit », avait d’ailleurs fait valoir Jacques Chirac, alors Premier ministre, lors de la mise en service des missiles Pluton, en 1975.
En outre, avait-il ajouté, « nous devons étendre notre dissuasion à des formes d’agression pour lesquelles la menace d’une riposte stratégique ne serait pas d’emblée crédible et qui sont donc les plus probables. Il s’agit, en d’autres termes, de nous donner les moyens d’une stratégie plus nuancée – et par conséquent, plus efficace – que celle d’une dissuasion ne reposant que sur des armes stratégiques et qui pourrait nous contraindre, en cas de conflit, à l’alternative soit de céder à l’agresseur, hypothèse que nous ne pouvons admettre, soit de porter ce conflit au niveau de violence le plus extrême, ce que nous voulons justement éviter ».
Enfin, M. Chirac avait donné une troisième justification à ces armes nucléaires tactiques. Justification qui, d’ailleurs, rejoint les préoccupations de M. Macron.
« Sachant son sort lié à celui de l’Europe, la France entend jouer dans la défense du continent auquel elle appartient un rôle à la mesure de ses capacités. Pour cela nous ne pouvons nous contenter de ‘sanctuariser’ notre propre territoire et il nous faut regarder au-delà de nos frontières. À cet égard, parce que ces armes sont françaises et que sur notre continent elles sont authentiquement européennes, elles apportent à la défense de l’Europe, par leur existence même, une contribution dont nos alliés – et nous-mêmes – n’avons pas encore pris exactement la mesure », avait-il détaillé.
La doctrine française a évolué au début des années 1980, quand, alors Premier ministre, Pierre Mauroy évoqua – sans le nommer – le concept d’ultime avertissement. « Il ne s’agit […] pas d’utiliser l’armement nucléaire tactique pour gagner une bataille, mais de brandir, grâce à lui, de façon crédible, la menace nucléaire stratégique si un conflit armé devait être malgré tout déclenché par l’agresseur sur le théâtre européen », avait-il dit.
Alors chef d’état-major des armées [CEMA], le général Jeannou Lacaze donna des précisions peu après. « Notre concept d’emploi ou de non-emploi […] consiste à envisager la menace ou l’emploi éventuel des armements nucléaires tactiques comme l’ultime avertissement qui serait adressé à l’agresseur avant l’utilisation des armements stratégiques, afin de l’amener à renoncer à son entreprise ».
Actuellement, la doctrine nucléaire française repose toujours sur ce concept, les Forces aériennes stratégiques [FAS] et la Force aéronavale nucléaire [FANu] étant susceptibles d’être sollicitées pour adresser un « ultime avertissement » à quiconque serait sur le point de s’en prendre aux « intérêts vitaux ». Pour cela, elles disposent de l’ASMP-A, décrit comme étant un « missile nucléaire tactique de dernier avertissement ». Les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la Force océanique stratégique [FOST] constituent la « garantie ultime » de par leur capacité, avec leurs missiles M51, d’infliger des dommages inacceptables à l’adversaire.
Atos : l’État fait une offre pour racheter les activités souveraines du groupe
Bruno Le Maire a annoncé avoir fait une offre ce week-end à Atos, pour racheter ses activités souveraines. Le groupe, en difficulté financière, est le concepteur de supercalculateurs français.
L’État vole au secours d’Atos. Bruno Le Maire a déclaré sur LCI avoir«déposé ce week-end une lettre d’intention en vue d’acquérir toutes les activités souveraines d’Atos». Le géant informatique français doit faire face à des difficultés financières et cette opération permettrait que certaines activités stratégiques «ne passent dans les mains d’acteurs étrangers», a souligné le ministre de l’Économie et des Finances, interrogé par Darius Rochebin.
En effet, Atos est relié par de multiples contrats avec l’armée française et a réalisé des supercalculateurs fondamentaux pour maintenir la dissuasion nucléaire. La lettre d’intention formulée par l’État concerne ces supercalculateurs, mais aussi des serveurs utilisés pour le développement de l’intelligence artificielle et des produits de cybersécurité. Le groupe emploie aujourd’hui 4 000 salariés, dont la majorité travaille en France et génère près de 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an.
Bruno Le Maire espère que d’autres entreprises se rallieront à l’action de l’État
Parce que le sauvetage d’Atos est une priorité pour l’exécutif, l’État s’est déjà engagé à prêter 50 millions d’euros au groupe. L’objectif : stabiliser ses finances pour qu’il puisse continuer d’opérer. Grâce à cette enveloppe, l’État peut déjà mettre son veto sur des décisions prises concernant Bull, la filiale en charge de la construction des supercalculateurs.
Bruno Le Maire espère que l’État ne sera «pas seul» à proposer son soutien au géant informatique. Il souhaite que d’autres entreprises du domaine de la défense ou de l’aéronautique, puissent se joindre à l’action de l’Agence des participations de l’État, qui intervient sous les ordres du ministre.
Le 26 avril, le Pentagone a annoncé que la société Sierra Nevada Corp. (lire ci-dessous) avait remporté un marché d’une valeur de 13 milliards de dollars pour produire le » Survivable Airborne Operations Center (SAOC)« d’ici à 2036.
Ce marché va permettre de remplacer les quatre avions E-4B de l’USAF utilisés pour les déplacements du secrétaire à la Défense mais aussi de PC aéroporté en cas de crise nucléaire. C’est pour cette raison que ces avions sont surnommés les « Doomsday planes » (les avions du jugement dernier). Il ne faut pas confondre ces E-4B avec les E-6B Mercury de l’US Navy basés sur des cellules de Boeing 707 et qui sont à même de servir de postes de commandement aéroporté en cas de crise majeure.
Actuellement, les E-4B sont opérés par le 1st Airborne Command and Control Squadron du 595th Command and Control Group qui est insallé sur la Offutt Air Force Base, dans le Nebraska. Le problème, c’est que ces avions volent depuis 1974. Dépassés, ils auraient déjà dû être remplacés; en tout cas, le projet était sur les rails dès 2019 (voir l’appel d’offres alors émis).
Sierra Nevada Corp. a donc grillé la politesse à Boeing qui a été écarté le 1er décembre 2023. Mais Boeing n’a pas tout perdu car les futurs avions du « jugement dernier » seront très probablement des 747 civils rénovés.
Voici l’avis: Sierra Nevada Corp., Englewood, Colorado, was awarded a $13,080,890,647 cost-plus-incentive-fee, fixed-price incentive (firm-target), and cost-plus-fixed-fee contract for the Survivable Airborne Operations Center (SAOC). This contract provides for the development and production of the SAOC Weapon System to include the delivery of engineering and manufacturing development aircraft, associated ground systems, production aircraft, and interim contractor support. Work will be performed in Englewood, Colorado; Sparks, Nevada; Beavercreek, Ohio; and Vandalia, Ohio, and is expected to be completed by July 10, 2036. This contract was a competitive acquisition, and two offers were received. Fiscal 2024 research, development, test, and evaluation funds in the amount of $59,000,000 are being obligated at time of award. The Air Force Life Cycle Management Center, Hanscom Air Force Base, Massachusetts, is the contracting activity (FA2834-24-C-B002).
Vendredi, au cours d’un entretien avec douze jeunes réunis par les journaux du groupe Ebra, le chef de l’Etat a estimé qu’il fallait rouvrir le débat d’une défense européenne qui profiterait de l’arme de dissuasion nucléaire française. Une petite phrase qui a fait réagir nombre de ses opposants.
« Mettons tout sur la table ». En proposant d’inclure les armes nucléaires dans le débat sur une Europe de la défense en construction, le président français Emmanuel Macron a déclenché une pluie de critiques parmi les oppositions qui lui ont reproché de « brader » la souveraineté nationale.
Dans le sillage de son discours sur l’Europe de La Sorbonne, le chef de l’État rencontrait vendredi à Strasbourg une douzaine de jeunes, un entretien organisé par les journaux régionaux du groupe Ebra (Est-Bourgogne-Rhône-Alpes) qui l’ont publié samedi soir.
« Quand nos intérêts vitaux sont menacés…«
« La France est-elle donc prête à européaniser sa capacité de dissuasion nucléaire ? », lui demande un de ses interlocuteurs, Linus. Emmanuel Macron reprend l’argumentaire développé jeudi dans son discours, celui en faveur d’une défense européenne « crédible ». Il évoque ensuite le déploiement de boucliers antimissiles – « mais il faut être sûr qu’ils bloquent tous les missiles »-, les armes à longue portée, puis l’arme nucléaire.
« La doctrine française est qu’on peut l’utiliser quand nos intérêts vitaux sont menacés. J’ai déjà dit qu’il y a une dimension européenne dans ces intérêts vitaux », a-t-il poursuivi. « Je suis pour ouvrir ce débat qui doit donc inclure la défense antimissile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine. Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible », a-t-il encore déclaré.
« Un chef de l’État ne devrait pas dire ça »
François-Xavier Bellamy, tête de liste Les Républicains (LR) aux élections européennes du 9 juin a dénoncé une déclaration d’une « gravité exceptionnelle parce que là nous touchons au nerf même de la souveraineté française« . « Un chef de l’État français ne devrait pas dire ça », s’est-il emporté au « Grand Rendez-Vous Europe1/CNews/Les Echos ».
Depuis le Brexit et la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la France est le seul de ses États membres à disposer de la dissuasion nucléaire. Le dialogue sur les questions de sécurité se poursuit cependant avec Londres, notamment au sein de la Communauté politique européenne (CPE), un forum nouvellement créé à l’initiative du président français.
Dans son intervention à la Sorbonne, M. Macron avait déjà abordé cette question de l’arme nucléaire française. « La dissuasion nucléaire est en effet au cœur de la stratégie de défense française. Elle est donc par essence un élément incontournable de la défense du continent européen », avait-il dit, reprenant des aspects d’un discours-clé sur la dissuasion prononcé en février 2020.
Divergences
Comme la droite, La France insoumise (LFI) a estimé dimanche, dans un communiqué de son groupe parlementaire, que M. Macron « vient de porter un nouveau coup à la crédibilité de la dissuasion nucléaire française« . « La doctrine nucléaire française, c’est que nous ne croyons pas au parapluie. On ne va pas déclencher un feu nucléaire pour un autre pays », a déclaré la cheffe du groupe Mathilde Panot sur RTL/Le Figaro/M6.
Le président du MoDem François Bayrou, allié d’Emmanuel Macron, a répondu que les intérêts vitaux de la France et de l’Europe pouvaient parfois se confondre. « Imaginez une menace mortelle contre l’Allemagne. Vous croyez que nous serions à l’abri ? Vous croyez que nos intérêts vitaux ne seraient pas engagés par une menace de cet ordre ? », s’est-il interrogé sur LCI.
À l’extrême droite, l’eurodéputé RN Thierry Mariani a affirmé sur X que « Macron est en train de devenir un danger national ». « Après l’arme nucléaire, suivra le siège permanent de la France au conseil de sécurité de l’ONU qui sera lui aussi bradé à l’Union Européenne« , s’est-il insurgé.
Aux antipodes, la tête de liste des Écologistes aux européennes Marie Toussaint, favorable à un « saut fédéral européen« , a considéré sur France 3 que cela signifiait le « partage de cette force qu’est l’arme française, donc le nucléaire aussi ».
Un débat relancé par la guerre en Ukraine
La construction d’une Europe de la défense est depuis très longtemps un objectif de la France, mais elle s’est souvent heurtée aux réticences de ses partenaires qui jugeaient plus sûr le parapluie de l’Otan. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, et le possible retour à la Maison-Blanche de Donald Trump ont cependant relancé la pertinence du débat sur une autonomie européenne en matière de défense