L’écrasante victoire électorale de Trump sonne-t-elle la fin de « la chasse aux sorcières » judiciaire ?

écrasante victoire électorale de Trump
Photo : Donald J. Trump – Facebook – DR

 

Après sa victoire électorale sans appel, Donald Trump a réaffirmé son innocence qualifiant à plusieurs reprises l’acharnement judiciaire dont il était victime de « poursuites fictives » et de « guerre juridique ». Alors que deux autres affaires au niveau de l’État sont en cours, le ministère de la Justice a annoncé mercredi 6 novembre qu’il cherchait à clore deux affaires pénales fédérales concernant le président élu.

L’écrasante victoire électorale de Trump sonne-t-elle la fin de « la chasse aux sorcières » judiciaire ?

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L’écrasante victoire électorale de Trump sonne-t-elle la fin de « la chasse aux sorcières » judiciaire ?

 

  1. Les affaires fédérales :
  • L’affaire des documents classifiés lors de l’émeute du Capitole

Donald Trump a été inculpé de 37 chefs d’accusation fédéraux en juin 2023 suite à l’enquête du procureur spécial Jack Smith sur l’émeute du Capitole du 6 janvier 2021. Smith a dirigé une enquête sur la conservation de documents classifiés. Trump a plaidé non coupable de tous les chefs d’accusation.

L’équipe de campagne de Donald Trump avait demandé une pause partielle sur la base de la décision rendue par la Cour suprême, selon laquelle un ancien président bénéficie d’une immunité substantielle contre les poursuites pour les actes officiels commis pendant son mandat, mais pas pour les actes non officiels.

La juge Aileen Cannon a finalement rejeté l’affaire contre Trump en juillet 2024, estimant que Smith avait été nommé de manière inappropriée au poste de conseiller spécial en vertu de la clause de nomination de la Constitution.

La clause de nomination stipule : « Les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, les juges de la Cour suprême et tous les autres fonctionnaires des États-Unis sont nommés par le Président, sous réserve de l’avis et du consentement du Sénat, bien que le Congrès puisse confier la nomination des fonctionnaires subalternes au Président seul, aux tribunaux ou aux chefs de département ». (Source : Where do Trump’s legal cases stand after massive election win ? par Haley Chi-Sing, Fox News, 8 novembre 2024).

Or Smith n’a jamais été confirmé par le Sénat.

Smith a fait appel de la décision en août dernier avec le document indiquant : « le procureur général a validé la nomination du procureur spécial, qui est également correctement rémunéré ».

Coup de tonnerre…. Le procureur Jack Smith a dû mettre un terme à ses poursuites contre le président élu Donald Trump avant le jour de son investiture.

Dans un courrier obtenu et publié par Fox News Digital, le 8 novembre 2024, le président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, Jim Jordan et le représentant Barry Loudermilk, ont écrit à Smith. Ils craignent que le procureur spécial, ainsi que les procureurs impliqués dans les enquêtes sur le président élu Donald Trump, ne « purgent » les dossiers pour échapper à toute surveillance et exigent qu’ils produisent au Congrès tous les documents liés aux enquêtes avant la fin du mois de nombre.

Jordan et Loudermilk ont prévenu le que Bureau du conseiller spécial devait respecter le processus de transparence et n’était pas « au-dessus de toute responsabilité pour ses actes » :

« Nous réitérons nos demandes, détaillées dans l’annexe ci-jointe et incorporées aux présentes et nous vous demandons de produire l’intégralité du matériel demandé dans les plus brefs délais, mais au plus tard avant le 22 novembre » ont-ils écrit. (Source : Jordan demands Smith retain all records related to Trump prosecutions as special counsel’s office wind down, par Brooke Singman, Fox News, publié le 8 novembre 2024).

Jordan et Loudermilk demandent à Smith de fournir des informations sur l’utilisation du personnel du FBI au sein de son équipe- une demande faite pour la première fois en juin 2023- afin de savoir si « l’un des employés du FBI a déjà travaillé sur d’autres questions concernant le président Trump ».

Les responsables du ministère de la Justice cherchent à clore les affaires pénales fédérales contre Trump alors qu’il se prépare à prêter serment pour un second mandat à la Maison-Blanche, ce qui conforte bien l’impossibilité de poursuivre un président en exercice.

A ce titre, les responsables du ministère de la Justice ont cité une note du Bureau du conseiller juridique déposée en 2000, qui soutient l’argument se rapportant au Watergate, selon lequel il s’agit, pour le ministère de la Justice, d’une violation de la doctrine de la séparation des pouvoirs que d’enquêter sur un président en exercice.

De telles « procédures interfèreraient indûment, de manière directe ou formelle, avec la conduite de la présidence ».

  • L’affaire d’ingérence électorale

Le fameux procureur spécial Smith a également déposé un autre acte d’accusation dans son enquête contre Trump en août 2023.

Ce dernier a été inculpé de quatre chefs d’accusation fédéraux découlant de l’enquête, notamment de « complot » en vue de frauder les États-Unis, de « complot en vue d’entraver une procédure officielle », d’entrave et de tentative d’entrave à une procédure officielle et de « complot contre les droits ».

Trump a plaidé non coupable de tous les actes d’accusations et a fait valoir « qu’il devait être à l’abri des poursuites pour les actes officiels accomplis en tant que président des États-Unis (Source : Where do Trump’s legal cases stand after massive election win ? par Haley Chi-Sing, Fox News, 8 novembre 2024).

En juillet dernier, la Cour suprême, dans sa décision sur l’immunité présidentielle, a renvoyé l’affaire à un tribunal inférieur.

Trump a été inculpé une deuxième fois en août 2024. Le nouvel acte d’accusation a maintenu les accusations criminelles précédentes tout en modérant les actes d’accusations, après la décision de la Cour suprême, en se référant aux conversations que le président Trump aurait eu avec son vice-président de l’époque, Mike Pence. Smith a soumis un dossier de 165 pages, dans lequel il espérait exposer des preuves suffisantes pour traîner le président Trump en procès.

Or, la juge Tanya Chutkan a ordonné, quelques semaines avant l’élection présidentielle, que davantage de preuves soient rendues publiques.

Un procureur général nommé par Donald Trump pourra immédiatement mettre un terme à toutes les affaires fédérales portées par l’actuel procureur spécial Jack Smith, à Washington, DC et en Floride. Les procureurs et les juges locaux devront arrêter « leur show ».

  • Les cas d’État :
  • L’affaire Stormy Daniels : le juge Juan Merchan a un très sérieux problème à résoudre

Le 47ème président élu, Donald Trump doit être encore jugé dans son procès pénal à Manhattan ce mois-ci. Le juge Juan Merchan doit se prononcer sur le rejet ou non des accusations à son encontre, après la décision de la Cour suprême sur l’immunité présidentielle.

Pour rappel, Donald Trump a été reconnu de 34 chefs d’accusation notamment de falsification de documents commerciaux, à l’issue de son premier procès pénal, à Manhattan, en mai dernier. Le procureur Alvin Bragg s’est employé à démontrer que Trump avait falsifié des documents commerciaux pour dissimuler un paiement de 130 000 dollars, à l’ancienne star du porno Stormy Daniels avant l’élection de 2016 pour faire taire l’intéressée quant à une présumée liaison qu’il aurait entretenue avec elle en 2006. Trump a toujours clamé son innocence dans l’affaire.

Le président élu a plaidé non coupable dans cette affaire. Il avait dénoncé le procès comme une imposture, tout en qualifiant Merchan de « corrompu » et coupable de « conflits d’intérêts » faisant référence directement aux liens familiaux du juge avec le Parti démocrate. Trump a également fustigé l’affaire comme une « guerre juridique » entretenue par le ticket Biden-Harris pour anéantir sa campagne électorale.

Trump est dans l’attente de sa sentence, qui doit être prononcée le 26 novembre prochain, soit quatre mois de retard par rapport à la date initiale du jugement qui avait été fixée au 11 juillet 2024.

Les avocats de Trump ont expressément demandé au juge Merchan d’annuler le verdict de culpabilité en mettant en avant la décision de la Cour suprême, qui a statué en juillet dernier sur l’immunité substantielle dont bénéficient les anciens présidents dans l’exercice de leurs fonctions, lors de poursuites concernant des actes non officiels.

Le 15 octobre dernier, la Défense de Donald Trump avait également demandé le transfert de son dossier pénal, de New York, à un tribunal fédéral sur la base de cette même décision de la Cour suprême. Le juge de district Alvin Hellerstein avait rejeté cette demande en septembre.

Les avocats de Donald Trump ont toujours soutenu que le bureau du procureur de district de Manhattan, Alvin Bragg « avait violé la doctrine concernant l’immunité présidentielle devant le Grand jury et à nouveau, lors du procès de leur client, en se basant sur des actes officiels du président Trump qui ont eu cours lors de son premier mandat ». L’utilisation de preuves issues d’actes officiels, dans de telles procédures, devant le Grand jury et au procès, serait susceptible de violer la Constitution et de menacer la capacité de tous futurs présidents dans l’exercice de leur fonction présidentielle.

La décision de Merchan est attendue le 12 novembre.

Le juge Merchan a démontré qu’il n’était pas un juge ordinaire. Un juge normal aurait rejeté cette affaire. Toutefois, en cas de refus, parce qu’il s’agit d’une demande d’immunité, la défense de Donald Trump aura le droit légal de faire immédiatement appel.

Dans tous les cas, en vertu de la clause de suprématie, il est fort probable que le ministère de la justice intervienne : ni Merchan, ni la cour d’appel ne pourront imposer une peine d’emprisonnement à un président en exercice. Cette affaire restera en suspens jusqu’à ce que Trump quitte le pouvoir.

 Merchan n’ira pas à l’encontre de la plus haute cour du pays. Il serait impossible de disséquer l’affaire et de séparer les preuves rattachées à la vie privée de Donald Trump avant qu’il ne soit président aux « actes officiels » durant la première administration Trump

Il est donc très probable que l’affaire Stormy Daniels et celle de Fanni Willis soient terminées.

En rejetant les accusations, la balle sera dans le camp du Procureur de district de Manhattan, Alvin Bragg. Là encore, il est peu probable que Bragg rouvre le dossier. Le président Trump aura pris ses fonctions et le ministère de la Justice agira en vertu de la clause de suprématie selon laquelle aucune plainte pénale ne peut être portée à l’encontre d’un président en exercice tant qu’il est président.

Andrew McCarthy, ancien procureur adjoint des États-Unis pour le district sud de New York a également écrit dans un éditorial que Donald Trump ne risquerait aucune peine de prison dans cette affaire :

« Comprenez-bien que Trump n’ira pas en prison même si Merchan le condamne à une peine d’emprisonnement. Bien que les accusations relèvent de crimes, elles ne sont pas suffisamment graves selon la loi de New York pour mériter une détention immédiate. Trump sera libéré sous caution en attendant l’appel. Étant donné que Trump ne sera pas envoyé de toute façon à Rikers Island par un juge de Manhattan, il serait prudent de reporter la sentence et de permettre à Trump de poursuivre son appel concernant son immunité. Cela éviterait l’inconvenance de soumettre le prochain président des États-Unis, à une condamnation et une peine au pénal alors qu’il est sur le point de prendre ses fonctions » a- t-il précisé.

« La guerre juridique a été terrible pour tout le pays. La victoire retentissante de Trump devrait sonner le glas » a ajouté McCarty (Source : Where does Trump’s New York sentencing stand after massive election win ? par Emma Colton, Fox News, le 7 novembre 2024).

  • L’affaire électorale en Géorgie de 2023

Le président élu a été inculpé en août 2023, après une enquête criminelle de plusieurs années, menée par des procureurs d’État sur la base de présupposées tentatives de faire annuler l’élection présidentielle de 2020. Il a été en effet inculpé en août dernier avec 18 coaccusés sur ses « efforts présumés » pour renverser l’élection présidentielle de 2020 dans l’État. Trump a plaidé non coupable de tous les chefs d’inculpation.

En mars 2023, le juge du comté de Fulton, Scott McAfee a rejeté six chefs d’accusation portés contre Donald Trump, affirmant que la procureure de district Fani Willis, n’avait pas fourni suffisamment de preuves détaillées. Un mois avant, le juge du comté de Fulton, Scott McAfee a également rejeté deux autres chefs d’accusation criminels contre Trump affirmant que Willis et les procureurs de Géorgie n’avaient pas l’autorité de porter ces accusations sur la base du dépôt présumé de « faux documents devant un tribunal fédéral ».

La procureure de district n’a connu que des échecs dans cette veine tentative de faire traduire Trump en justice.

Le cours des événements a été ensuite bouleversé lorsqu’il a été révélé que Willis aurait eu une « liaison inappropriée » avec Nathan Wade, un procureur qu’elle avait engagé pour l’aider à porter l’affaire contre Trump. Plus précisément, c’est en février dernier, que Michael Roman, un membre du GOP et coaccusé dans l’affaire, a lancé des accusations selon lesquelles Willis aurait eu une liaison avec Wade, qu’elle avait engagé pour poursuivre l’affaire de « racket » en novembre 2021. D’autres coaccusés ont formulé des allégations similaires, selon lesquelles Willis aurait bénéficié financièrement de sa relation avec lui, en passant des vacances de luxe. Wade, a été à l’issue de ces révélations, démis de ses fonctions.

La Cour d’appel de Géorgie a ensuite suspendu la procédure en juin dernier, jusqu’à ce que soit portée l’affaire visant à disqualifier Willis. La cour a également déclaré qu’elle entendrait l’argument de Trump visant à disqualifier Willis, le 5 décembre, soit un mois après sa réélection.

Avec 14 coaccusés restants dans l’affaire de Géorgie, c’était irréaliste de croire que l’affaire serait jugée avant les élections. L’ordonnance de la Cour d’appel a envoyé deux signaux sérieux : le premier, visant les paiements effectués à Nathan Wade et la relation que Willis entretenait avec lui puis le second, se rapportant au discours malavisé de Willis depuis une chaire d’église, qualifiant les accusés de « racistes ».

En effet, Fani Willis avait prononcé un discours dans une église d’Atlanta en janvier 2024, affirmant que Wade et elle-même étaient surveillés en raison de leur « race », ce que le juge McAfee a réprimandé dans une ordonnance du tribunal.

Les Américains ont réélu Donald Trump avec une majorité écrasante. Son mandat est ainsi conforté. Il est désormais tout à fait clair qu’ils souhaitent mettre fin à cette « militarisation du système judiciaire ». Les électeurs ont été clairement perturbés par la pratique systématique des Démocrates, consistant à utiliser les forces de l’ordre et les procédures judiciaires comme des « armes » contre leur principal rival politique.

De plus, dans ces affaires pénales, Trump a quelques cartes non négligeables à jouer, particulièrement à un moment de célébration nationale.

L’immunité est censée pouvoir être immédiatement examinée par les tribunaux supérieurs- la Défense n’a pas à attendre la condamnation et la peine pour faire appel. Par conséquent, les avocats de Trump soutiendront qu’ils pourront faire appel de la décision d’immunité (dans le cas du juge Merchan), bien avant que la peine ne soit prononcée- et ce, devant les deux niveaux d’appel, de New York et potentiellement devant la Cour suprême des États-Unis.

Les affaires ne disparaîtront pas pour autant, cela ne placerait pas Donald Trump au- dessus de la loi. Elles seraient tout simplement « suspendues » afin que l’État ne soit pas en position d’interférer avec la capacité du gouvernement fédéral à gouverner- ce qui est le principe au cœur de la clause de suprématie de la Constitution.

Les Démocrates auront-il tiré la leçon de la victoire écrasante de Trump ? Car la guerre juridique est avant tout anti-américaine.

Le président Biden pourrait donner un exemple puissant de bon sens politique, en agissant comme président unificateur, à l’aube de quitter ses fonctions, en graciant son prédécesseur et son successeur. N’oublions pas que son fils Hunter, reste dans l’attente de sa sentence pour port d’armes et fraude fiscale…


écrasante victoire électorale de Trump
Angélique Bouchard

Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.

Les militaires autorisés à se présenter aux élections municipales ? La « Grande Muette » de moins en moins muette

Les militaires autorisés à se présenter aux élections municipales ? La « Grande Muette » de moins en moins muette

Par Romain Herreros  Huffington Post – 20/03/2018

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La loi de programmation militaire qui arrive ce mardi au Parlement autorise les militaires à exercer un mandat politique.

Benoit Tessier / Reuters – Des troupes déployées au sein de l’opération Sangaris sur les Champs-Élysées le 14 juillet 2016.

POLITIQUE – Si la Loi de Programmation militaire est surtout commentée à l’aune des milliards d’euros dépensés au service des « ambitions stratégiques » de la France, celle-ci couvre également le champ de la vie quotidienne des soldats. Et le texte porté par Florence Parly qui arrive ce mardi 20 mars à l’Assemblée nationale marque une petite révolution en la matière.

Dans le chapitre consacré aux « droits politiques des militaires », l’article numéro 18 du projet de loi autorise les soldats à figurer sur des listes électorales lors des élections municipales dans les communes de moins de 3.500 habitants, lesquelles représentent « 92% des communes et 33% de la population française ».

Comme le note RFI, un amendement a été adopté pour augmenter cette limite au seuil de 9.000 habitants. Dans le détail, le projet de loi « tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel ayant jugé non conforme à la Constitution l’incompatibilité générale entre le statut de militaire en service et l’exercice d’un mandat municipal ».

Jusque-là, et conformément à l’article L4121-3 du Code de la défense, les militaires qui voulaient se présenter à des élections municipales devaient se placer en statut de « détachement », renonçant à cette occasion à leur solde. Ce qui avait tendance à démotiver les concernés, la rémunération des conseillers municipaux dans les petites communes étant soit inexistante, soit dérisoire.

« Le militaire a disparu de l’espace public »

Pour comprendre comment le militaire, qui est un citoyen comme les autres, s’est vu priver de son droit à s’investir dans la vie publique, il faut remonter aux débuts de la IIIe République. « Entre 1871 et 1873, il y avait des militaires, exclusivement des officiers, à l’Assemblée nationale« , rappelle Jean-Charles Jauffret, professeur d’histoire militaire à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Mais en 1873, en raison de la défiance des républicains envers l’armée, les officiers et les conscrits ont été privés de droit de vote.

C’est de cette époque que vient le surnom la « Grande muette« , même si certains officiers prenaient encore part aux affaires du pays, à l’image du général Ernest Courtot de Cissey. À partir de cette date, le militaire « a progressivement disparu de l’espace public », note le colonel Michel Goya.

« La neutralisation est née d’une méfiance politique liée à la possibilité d’un coup d’État militaire. Avec le temps, la stérilisation politique des militaires s’est accentuée, notamment sous la Ve République. La centralisation de la chose militaire autour du chef de l’État, le putsch des généraux en 1961 puis la professionnalisation des militaires ont accentué la séparation entre le domaine public et son armée« , poursuit l’ex-officier.

De fait, les militaires constituent la dernière catégorie de Français à avoir obtenu le droit de vote, en 1945, un an après les femmes. « Ironiquement, le général de Gaulle était chef de l’État en 1944 et ce, sans jamais avoir voté de sa vie« , remarque Michel Goya.

Outre cette défiance entre civils et militaires, et le nécessaire « devoir de réserve », s’ajoute un principe « d’impartialité » auquel sont astreints les soldats, explique André Rakoto, directeur du service départemental de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre à Paris. « Ils ne peuvent exprimer publiquement leurs idées politiques, parce que leur mission est de garantir la sécurité de tous les Français. C’est essentiel« , note-t-il.

L’armée de moins en moins muette

L’article 18 de la Loi de Programmation offre donc aux militaires la possibilité d’un retour (aussi limité soit-il) aux affaires publiques. Ce qui est une bonne chose pour Jean-Charles Jauffret. « Les militaires font intégralement partie de la vie de la cité, il n’y a aucune raison qu’ils soient exclus de la vie citoyenne« , estime l’historien, expliquant que les soldats « confinés des années dans leur rôle d’exécutants » ont vocation à l’avenir à devenir « des fonctionnaires en uniforme » avec exactement les mêmes droits.

Si le colonel Michel Goya juge que cette évolution législative est une « bonne nouvelle« , il émet néanmoins quelques réserves, considérant que la « vie nomade » des militaires s’accommode peu de l’enracinement qui précède un engagement politique local. « Un officier reste deux-trois ans en garnison maximum… Difficile dans ces conditions de s’engager localement« , note-t-il.

Cité par RFI, le général Delochre dresse un constat similaire, dans la mesure où, selon la LPM, le militaire élu devra quand même donner la priorité à ses missions. « C’est difficilement compatible avec la vie opérationnelle. Quand on arrive dans un petit village, il faut du temps pour se faire admettre« .

Pour autant, et en dépit des difficultés liées au statut, s’observe progressivement un retour des militaires dans le débat public. Lors des dernières élections législatives, plusieurs officiers se sont portés candidats, à l’image du colonel Luc Laîné dans le Var ou du général Bernard Soubelet dans les Hauts-de-Seine.

Par ailleurs, les représentants du monde militaire s’expriment de plus en plus librement. Illustration récemment avec Servir, le livre du général de Villiers, ex-chef d’État major des armées, dans lequel il revient sur sa démission fracassante du mois de juillet.