Pipelines entre sécurité énergétique et stratégies géopolitiques

Eloïse Herbreteau (*) – Esprit Surcouf – publié le 7 mars 2025
Etudiante en en 3ème année de licence de sciences politiques

https://espritsurcouf.fr/geoplitique_pipelines-entre-securite-energetique-et-strategies-geopolitiques_par_eloise-herbreteau_n252-070325/

 


Le projet East African Crude Oil Pipeline qui se situe entre l’Ouganda et la Tanzanie orchestré par Total energie fait débat. En effet, EACOP sera le plus long oléoduc chauffé du monde, grand de près de 1 443 km. Cependant, ce projet suscite de nombreuses préoccupations, que ce soit de la société civile et des ONG environnementales. L’acheminement des matières premières par pipelines est un sujet central en géopolitique car il est quasi généralisé  à l’échelle mondiale. Cependant, son aspect transnational et écologique questionne. Nous pouvons nous demander, comment les réseaux de pipelines influencent-ils la sécurité énergétique des États et leurs stratégies géopolitiques ?

Les pipelines comme levier géopolitique

Il existe environ 2 millions de kilomètres de pipelines traversant le monde. Le contrôle de ces infrastructures permet à certains pays de détenir une part significative du pouvoir sur les flux énergétiques mondiaux, ce qui est particulièrement vrai pour les nations productrices de pétrole et de gaz, comme la Russie, les pays du Moyen-Orient ou ceux d’Asie centrale.

 La construction de nouveaux pipelines modifie les relations économiques et politiques entre les pays, car ces infrastructures créent des interdépendances. Ainsi, le contrôle des pipelines offre à un pays la possibilité de sécuriser ses approvisionnements énergétiques tout en réduisant sa vulnérabilité aux coupures potentielles. En effet, la dépendance des pays aux matières premières peut être utilisée comme un levier de pouvoir, établissant ainsi un axe de domination.

Dans le droit international, la construction des pipelines dépend généralement de l’accord des États concernés, qui négocient souvent les conditions de leur installation. Cela se reflète dans des accords comme celui du 12 août 2018, sur le statut de la mer caspienne signé par les chefs d’État de la Russie, de l’Iran, du Kazakhstan, de l’Azerbaïdjan et du Turkménistan, qui a permis la création du gazoduc transcaspien de 878 km.

 Un réseau de pipelines international nécessite une coopération minimale entre les États, matérialisée par l’« Intergovernmental Agreement » (IGA), accord intergouvernemental qui stipule les conditions de transit énergétique et l’engagement des États à garantir les terrains nécessaires pour son passage. Cet IGA est souvent accompagné de contrats entre la compagnie opératrice et chaque État hôte.

Cependant, il convient de noter que, bien que les pipelines sous-marins soient régis par des lois internationales solides, les pipelines terrestres ne bénéficient pas du même cadre juridique en droit international. Néanmoins, les perspectives de développement de ces infrastructures sont vastes et en constante évolution, comme en témoigne l’exemple des accords liés au Nord Stream 2.

Les enjeux géopolitiques : Europe, Moyen-Orient et Asie

Nous pouvons prendre le cas de l’Europe qui utilise les pipelines comme levier géopolitique. En effet, il y a divers pipelines qui acheminent les matières premières vers l’Europe que ce soit Nord stream 1 et 2, trans adriatic pipeline (indiquez sa longueur)…

Nous allons nous pencher sur le cas Nord Stream 1 et 2. En quelques chiffres, Nord Stream atteint 1 222 km de longueur, 55 milliards m3/a en capacité de transport entre Oust-Louga en Russie jusqu’à Greifswald en Allemagne. De ce fait, depuis le début de la guerre en Ukraine, les enjeux géopolitiques des pipelines reviennent sur le devant de la scène car en septembre 2022, Nord Stream 1 et 2 ont été sabotés occasionnant d’importantes fuites.

Les auteurs de ce sabotage ont fait l’objet de nombreuses spéculations. De nombreuses agences de presse soupçonnent un commando ukrainien. De plus, , depuis le début de la guerre en Ukraine, afin de réduire les exportations énergétiques  russes, , les pays européens se sont entendus pour suspendre leur flux via le Nord stream 2, illustrée par la citation de l’ancien ministre de l’économie français Bruno Le Maire « Nord Stream 2 pourra ouvrir le jour où le pouvoir russe respectera ses engagements internationaux et l’intégrité du territoire de l’Ukraine ».

Nord stream 2 fait polémique car il accroît la dépendance aux ressources russes et donc retire à l’Europe de la souveraineté en matières premières. Ce qui peut être dangereux lorsqu’il s’agit de conflits. Nord stream est un gazoduc maritime, il ne traverse ni les pays baltes, ni l’Ukraine. Il prive donc ces territoires de revenus de transport (estimés à 1,5 milliard d’euros par an).

Dans le contexte du Moyen-Orient, la situation est différente. On y observe  une distinction entre les grandes puissances pétrolières et les pays moins favorisés. Les pipelines sont au centre des enjeux géopolitiques et des débats. Prenons l’exemple du « Dolphin Pipeline », lancé en 1998 pour fournir du gaz qatari aux Émirats arabes unis. Ce projet a toutefois été source de tensions, notamment avec l’Arabie Saoudite qui a contesté en 2006 le passage du pipeline dans ses eaux territoriales. Le projet Dolphin a été officiellement lancé en 2004, avec la Mubadala Development Company (détentrice de 51 % des parts, appartenant à Abu Dhabi), le géant français Total et l’Américain Occidental Petroleum détenant chacun 24,5 % des parts. Le Qatar, quant à lui, fournit le gaz, et le pipeline est capable de transporter jusqu’à deux milliards de pieds cubes standard de gaz naturel par jour.

Le Dolphin Pipeline a traversé plusieurs crises, comme la « crise du Golfe » de 2017 à 2021, sans affecter son fonctionnement. Ce projet a émergé grâce à des considérations économiques et énergétiques significatives, avec une politique tarifaire au cœur des discussions. En 2022, le Qatar a dépassé les États-Unis en termes de production de gaz naturel. De plus, en participant au projet Dolphin, il a pu bénéficier d’un tarif avantageux, ne payant que 1,28 $ par million de BTU, alors que la moyenne mondiale était de 5 $.

En Asie, la Chine exerce une véritable domination sur les matières premières. En l’espace de quatre ans, sa capacité de stockage a augmenté, passant de 1,7 milliard à 2 milliards de tonnes. En 2023, la Chine a importé 16 % de matières premières en plus par rapport à l’année précédente. Plusieurs pipelines traversent l’Asie pour acheminer ces ressources, comme le China-Myanmar Oil and Gas Pipeline et le gazoduc d’Asie centrale. Ce dernier relie le Turkménistan à la région autonome du Xinjiang, à l’ouest de la Chine. Inauguré en 2009, ce gazoduc atteint 1 833 kilomètres de longueur et est conçu pour transporter 40 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an vers la Chine

Le gaz en provenance du Turkménistan permet de répondre aux besoins énergétiques croissants de la Chine, dont la demande a augmenté de 2 % en 2023. Les pipelines jouent ainsi un rôle crucial dans la géopolitique asiatique, avec la Chine dominant le marché énergétique de la région. Par conséquent, elle est perçue par les Européens et les Américains comme un concurrent majeur menaçant leur souveraineté énergétique.

Les enjeux énergétiques deviennent de plus en plus centraux dans les relations internationales, soulevant la question de l’influence des pipelines sur la sécurité énergétique globale et leurs impacts sur les relations internationales.

Les pipelines et la transition énergétique

Même si nous savons que les pipelines sont soumis à des lois plus ou moins respectées, ils (pipelines est du masculin) sont également exposés aux crises géopolitiques tel que les Nord Stream 1 et 2.

Deutsch: Karte der Explosionen, die an den Nord-Stream-Pipelines am 26. September 2022 verursacht wurden.
05 october 2022
Source : Commons.wikimedia.org

.
Les pipelines sont vus comme un axe de transaction très sécurisé et sûr pour assurer une bonne transaction de matière première entre les pays. Nous pouvons parler de “la théorie des pipelines”. Cette théorie repose sur le fait que les pipelines sont le transport d’hydrocarbures le plus sûr du monde. En effet, ils sont moins sujets aux accidents, aux problèmes météorologiques. Ils sont par ailleurs plus efficaces et rentables que des tankers et supertankers, car ils peuvent transporter une plus grande quantité en continu.

Les pipelines réduisent ainsi la dépendance à une route commerciale spécifique, évitent les zones sensibles qui jalonnent les routes maritimes tel le détroit de Malacca où plusieurs interruptions du trafic maritime ont été recensées en raison des actes de piraterie et de tensions locales.  Un pipeline qui passe par des zones plus stables peut assurer un approvisionnement plus sûr. Cela a conduit à des projets de pipelines transitant par des pays comme le Kazakhstan ou le Turkménistan pour assurer un flux énergétique continu vers la Chine ou l’Europe.Nous pouvons prendre aussi l’exemple du pipeline Myanmar-China offre à la Chine une route alternative pour accéder au pétrole et au gaz naturel en provenance du Moyen-Orient et de la région du Golfe, réduisant ainsi le risque de perturbations dues à des tensions maritimes mais aussi le Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline (TANAP) qui permet d’acheminer du gaz naturel de l’Azerbaïdjan à travers la Turquie vers l’Europe, diversifiant les sources de gaz pour les pays européens.

Plus sûrs, les pipelines permettent une meilleure planification à long terme et garantissent ainsi une meilleure stabilité des prix. Ce qui nous renvoie aussi à la réduction des prix de transport environ 5 à 7$ dollar moins cher sur le baril de pétrole. Par rapport à un bâtiment de surface, ils permettent d’éviter les rejets de dioxyde de carbone, propice à la formation de gaz à effet de serre.moins de gaz à effet de serre : Selon une étude de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les émissions moyennes du cycle de vie des oléoducs sont d’environ 18,5 grammes d’équivalent CO2 par mégajoule (gCO2e/MJ), tandis que la moyenne des gazoducs est d’environ 15,3 gCO2e/MJ. Ces valeurs varient en fonction du type et de la qualité du carburant, de la distance et du terrain du pipeline, ainsi que de l’efficacité et du taux de fuite du système.

Selon une étude du Département d’État américain, les alternatives au projet d’oléoduc Keystone XL, qui transportent le pétrole du Canada vers les États-Unis, sont le train, le camion ou une combinaison des deux. L’étude a révélé que ces alternatives entraîneraient 28 % à 42 % d’émissions de gaz à effet de serre en plus que le pipeline.

Nous ne pouvons pas parler de matières premières et d’énergie sans parler de transitions écologiques. En effet, dans l’essai d géographe suédois Andreas Malm Comment saboter un pipeline? (2020), l’auteur nous explique que le sabotage peut être une forme d’activisme écologique. Même si les pipelines ont beaucoup d’avantages, leurs constructions sont source de débat écologique. Cela englobe un large éventail de facteurs environnementaux qui peuvent être influencés par les pipelines, notamment l’utilisation des terres, la qualité de l’eau, la pollution de l’air et la perturbation de l’habitat de la faune.

Les écologistes soulignent les risques de marées noires et de fuites de pétrole, qui peuvent entraîner une contamination des plans d’eau et des sols, nuire aux écosystèmes et mettre la faune sauvage en danger. De plus, la construction de pipelines implique souvent la déforestation et la destruction d’habitats, ce qui aggrave encore l’impact sur la biodiversité. En effet, les pipelines sont remis en cause par la transition écologique vers les énergies renouvelables. Certains chercheurs estiment que les pipelines réduisent l’ascension des énergies renouvelables car les pipelines sont encouragés par davantage d’investissements.

On retiendra, in fin, que les pipelines sont des instruments géopolitiques clés, garantissant une sécurité énergétique et influençant les relations internationales. Ils permettent de sécuriser les approvisionnements en énergie tout en créant des interdépendances stratégiques. Cependant, leur impact environnemental, notamment en termes de pollution et de déforestation, ainsi que leur rôle dans la transition énergétique, suscitent des préoccupations croissantes. Les enjeux géopolitiques et écologiques liés aux pipelines illustrent la complexité des défis énergétiques mondiaux et la nécessité de trouver rapidement le point équilibre entre sécurité énergétique et durabilité environnementale.

Eloïse Herbreteau (*) est étudiante à l’Université catholique de l’Ouest (campus de Nantes) en 3ème année de licence de sciences politiques, le parcours géopolitique et stratégie internationale. Elle se spécialise en relations internationales. Héloïse Herbeteau est actuellement en stage de fin de licence au sein de la revue Espritsurcouf.