Pour la première fois, le “pôle Nord d’inaccessibilité” est atteint par un paquebot d’une compagnie de croisière française

Pour la première fois, le “pôle Nord d’inaccessibilité” est atteint par un paquebot d’une compagnie de croisière française

par Louise Guyonnet – Science et Vie – publié le 23 septembre 2024

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Ponant, une compagnie de croisière française, a annoncé le 18 septembre que son paquebot brise-glace baptisé “Commandant Charcot” avait atteint le pôle Nord d’inaccessibilité.

Il devient par conséquent le premier bateau à accéder à cet endroit de l’Arctique, connu comme étant le plus éloigné de toutes terres. 

20 scientifiques faisaient partie de l’expédition 

C’était dans le cadre d’une expédition arctique entre “Nome, en Alaska et Longyearbyen, au Spitzberg” (comme le relaie Mer et Marine), que des passagers et 20 scientifiques internationaux ont embarqué sur le paquebot. Le but des scientifiques était, lors de cette expédition, d’étudier cette zone de l’Arctique particulièrement méconnue. 

Atteindre le pôle Nord d’inaccessibilité est un moment d’une rare intensité. C’est avant tout une aventure collective, rendue possible grâce à la passion et au savoir-faire de PONANT”, s’est exprimé le commandant Étienne Garcia qui était à la barre lors de cette expédition. 

Le Commandant Charcot, conçu pour ce type de périple en Arctique   

Navire de haute exploration polaire, le Commandant Charcot est spécifiquement conçu pour ce genre d’aventures. D’abord, il est construit avec une coque spéciale, une coque polaire PC2 qui  “lui permet de naviguer dans les régions polaires tout en tout en minimisant son impact environnemental grâce à sa propulsion hybride électrique alimentée par du gaz naturel liquéfié (GNL)”, selon le communiqué. 

De plus, le Commandant Charcot mesure 149.9 mètres de long pour 28.3 mètres de large. Il est composé d’assez de cabines pour accueillir 245 passagers. En comptant les scientifiques et les autres membres de l’équipage, la capacité totale d’accueil est de 460 personnes. 

Les pôles d’inaccessibilité 

D’après l’encyclopédie de Techno Science, un pôle d’inaccessibilité est “un endroit éloigné au maximum d’un ensemble de caractéristiques géographiques”. Par conséquent, on peut citer trois pôles d’inaccessibilité : le pôle Sud, le pôle maritime (le célèbre point Némo) et le pôle Nord d’inaccessibilité, qui a été récemment atteint par le Commandant Charcot. 

 

crédit photo : Ponant Le pôle Nord d’inaccessibilité (84°03′N 174°51′W / 84.05, -174.85) est situé à 1 453 km de Barrow en Alaska et à 661 km du pôle Nord. Les terres émergées les plus proches sont distantes de 1094 km. Il s’agit de l’Île d’Ellesmere et de l’archipel François-Joseph.

 La première fois que ce point a été survolé par un avion c’était en 1927 par Hubert Wilkins. Certains navigateurs et explorateurs ont revendiqué l’avoir atteint, sans toutefois avoir pu le prouver. D’après le communiqué de Ponant, le commandant Charcot est par conséquent le premier paquebot à l’atteindre. “Ce moment historique a été célébré à bord avec l’ensemble de l’équipage, des scientifiques et des passagers”.

À propos de l’auteur

Diplômée d’une double licence Lettres-Histoire (Université d’Angers) et d’un master de journalisme (CY Université, Gennevilliers)

La chaîne de valeur de l’aluminium : un élément clé de l’autonomie stratégique et de la neutralité carbone de l’Europe Note de l’Ifri, juillet 2024

La chaîne de valeur de l’aluminium : un élément clé de l’autonomie stratégique et de la neutralité carbone de l’Europe Note de l’Ifri, juillet 2024

Fours de fusion dans une usine d’aluminium © Jose Luis Stephen/Shutterstock.com

 

par Thibault Michel – IFRI – publié le 29 juillet 2024

https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/chaine-de-de-laluminium-un-element-cle-de-lautonomie-strategique-de


Les États-Unis, le Canada et l’Union européenne (UE) considèrent désormais tous l’aluminium comme un élément stratégique. Ce métal est en effet de plus en plus utilisé, en particulier dans le cadre de la transition énergétique, pour les véhicules électriques, les réseaux, les éoliennes ou les panneaux solaires.

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L’Europe aura ainsi besoin d’approvisionnements grandissants en aluminium dans les années à venir. Cependant, l’industrie européenne de l’aluminium a été affaiblie au cours des dernières décennies et ne représente désormais qu’une faible part de la production mondiale. En conséquence, elle n’est plus en mesure de subvenir aux besoins européens.

L’aluminium possède une empreinte environnementale conséquente et sa production, de la bauxite à l’aluminium primaire, entraîne d’importantes émissions de gaz à effet de serre (GES). Ces émissions sont particulièrement liées aux quantités extrêmes d’énergie (gaz et électricité) consommées au cours du processus industriel, notamment pour l’électrolyse. La forte consommation d’électricité nécessaire confère à la structure des mix électriques nationaux une influence majeure sur les émissions de CO2 issues de l’aluminium. Mais certaines émissions sont aussi spécifiques à la production d’aluminium, par exemple celles produites par la réaction chimique opérée dans le cadre de l’électrolyse, qui transforme l’alumine en aluminium primaire.

Avec une croissance de la demande dans les années à venir, l’Europe devra produire plus d’aluminium afin de remplir les besoins de sa transition énergétique, tout en réduisant l’empreinte carbone de son industrie de l’aluminium.

Pour relever ce défi, différentes technologies de décarbonation sont actuellement considérées. Comme pour d’autres industries, l’efficacité énergétique ou l’électrification des processus industriels peuvent aider à réduire cette empreinte carbone. Cependant, ces deux solutions ont généralement d’ores et déjà été mises en œuvre par les industriels, afin de réduire les coûts énergétiques. La mise en place partielle de ces solutions a permis à l’industrie européenne de l’aluminium d’avoir une empreinte carbone de 6,8 tonnes de CO2 par tonne d’aluminium primaire, quand la moyenne mondiale est de 16,1 tonnes de CO2.

Le recyclage doit aussi pouvoir jouer un rôle clé, en particulier car un aluminium recyclé consomme 96 % d’électricité de moins qu’un aluminium primaire, avec des émissions de GES environ quatre fois moindres (pour ce qui est des émissions directes). Toutefois, si le développement du recyclage en Europe constituera une étape cruciale, des approvisionnements supplémentaires en aluminium primaire restent essentiels et le recyclage ne pourra être un remède miracle. L’ensemble des solutions évoquées constitue des outils pertinents pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie européenne de l’aluminium mais ne sera pas suffisant pour atteindre la neutralité carbone.

Pour ce faire, le secteur de l’aluminium aura besoin de technologies disruptives. Deux d’entre elles sont aujourd’hui à l’étude. En premier lieu, le captage et séquestration du carbone ainsi que son utilisation (CCUS), pour lequel plusieurs projets sont actuellement développés en Europe, en particulier en Norvège, en Islande et en France. Néanmoins, cette technologie requiert des investissements massifs tandis que les fumées émises lors du processus d’électrolyse sont peu concentrées en CO2. La seconde technologie est celle de l’anode inerte, pour laquelle trois projets sont développés dans le monde à l’heure actuelle, au Canada, en Russie et en Allemagne. Cependant, le déploiement de ces technologies à une échelle industrielle n’est pas prévu avant 2030 et pourrait se produire plus tard encore.

Face à l’augmentation des coûts de l’énergie alors que les prix mondiaux de l’aluminium sont maintenus à des niveaux relativement bas en raison de l’importance de l’offre chinoise, qui n’est pas exposée aux mêmes coûts de production, l’industrie européenne de l’aluminium est aussi confrontée à des problématiques en matière de compétitivité. Avec la réforme de la législation européenne sur les crédits carbone et la mise en place du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), les industriels de l’aluminium primaire et les producteurs de produits manufacturés en aluminium sont inquiets de la concurrence internationale et redoutent une potentielle perte de compétitivité. Si ce mécanisme apparaît comme une politique nécessaire pour protéger la compétitivité des industriels européens tout en permettant la décarbonation des industries les plus polluantes, il contient des failles, avec des risques de contournements.

L’UE doit relever le défi de développer une industrie de l’aluminium décarbonée, compétitive et résiliente. À cette fin, plusieurs éléments pourraient être étudiés :

  1. Renforcer la production d’aluminium primaire en Europe ;
  2. Fournir un soutien plus large au développement de technologies de décarbonation ;
  3. Améliorer le recyclage à travers l’Europe et limiter les exportations de déchets ;
  4. Étendre le périmètre du MACF à davantage de produits transformés et intensifier la diplomatie climatique de l’UE à l’étranger ;

Développer la résilience de l’industrie européenne, en particulier concernant les approvisionnements en alumine.


> Cette publication est uniquement disponible en anglais: The Aluminum Value Chain: A Key Component of Europe’s Strategic Autonomy and Carbon Neutrality

Le crime organisé colonise l’Amazonie (2). L’emprise de pouvoirs parallèles

Le crime organisé colonise l’Amazonie (2). L’emprise de pouvoirs parallèles

par Jean-Yves Carfantan – Revue Conflits – publié le 2 juillet 2024


L’Amazonie est devenu un vaste territoire qui échappe au contrôle de l’Etat central, permettant aux groupes criminels de prospérer et de se déployer. Tour d’horizon d’une colonisation qui prend en main le cœur même du Brésil.

Article original paru sur le site Istoébrésil

Au moins 22 factions, dont le Primeiro Comando da Capital (PCC), le Comando Vermelho (CV) et même des organisations étrangères, se disputent le contrôle des routes de la drogue dans les États brésiliens de la région. À l’ouest, l’Amazonas et l’Acre sont désormais les principales portes d’entrée sur le territoire national de la cocaïne et du cannabis produits en Colombie, au Pérou et en Bolivie. Le Pará, l’Amapá, le Rondônia ou le Mato Grosso sont en revanche utilisés comme zones de transit, soit pour l’envoi de stupéfiants vers d’autres régions du Brésil (le marché intérieur ne cesse de s’accroître), soit pour l’exportation vers l’Europe, l’Afrique ou l’Asie, où la revente est très rentable. Les réseaux criminels ne limitent pas leur action au marché de la drogue. Ils diversifient en permanence leurs investissements. Ils cherchent aussi à instrumentaliser le système politico-institutionnel.

L’avancée des groupes criminels sur l’Amazonie fait émerger un nouvel ordre social fonctionnant sur la base des normes établies et imposées par les factions.

Ce n’est plus l’État qui dicte ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait. Ce sont les organisations criminelles les plus puissantes et influentes.

Celles-ci imposent des relations fondées sur les seuls rapports de force et l’extrême violence. Aux conflits existants entre des gangs concurrents s’ajoutent les hostilités constantes entre les criminels et les populations locales, notamment les peuples indigènes.

Les guerres entre factions bouleversent la vie d’un habitant sur trois dans la région où l’insécurité bat tous les records nationaux et continentaux. Un indicateur parmi d’autres : le taux d’homicides volontaires a atteint 33,8/100 000 habitants en 2022,  soit 45 % de plus que la moyenne nationale. La propagation de la violence favorise également les crimes contre l’environnement, tels que la déforestation, les incendies, l’exploitation clandestine de l’or ou le pillage de la faune sylvestre.

De vastes étendues du bassin amazonien, en particulier dans les pays qui contrôlent la plus grande partie de la forêt tropicale (Brésil, Pérou, Colombie, Bolivie), sont ravagées par un écosystème criminel. La disparition des forêts est accélérée par les métastases de la criminalité organisée, notamment une augmentation de la production, du trafic et de la consommation de cocaïne. Les gangs de trafiquants orchestrent désormais la déforestation et la dégradation de l’Amazonie en impulsant l’accaparement illégal des terres et des ressources, principalement en ce qui concerne l’exploitation forestière, le pâturage du bétail, la production agricole et l’exploitation minière.

La drogue tue la forêt 

Les trafiquants de drogue diversifient leurs portefeuilles d’investissements en se lançant dans la criminalité de la nature. L’Amazonie est une zone de transit obligatoire pour la cocaïne et le skunk [1], des drogues illicites provenant des pays andins. Le commerce transamazonien représente 40% du volume total des ressources financières annuelles générées par le trafic de cocaïne, soit l’équivalent de 4% du PIB brésilien (environ 77 milliards d’USD). Les pays où se concentrent les plantations de coca et la production de cocaïne (Colombie, Pérou, Bolivie, Venezuela) abritent des organisations clandestines armées qui travaillent avec les syndicats brésiliens du crime et ont établi des partenariats avec ces derniers.

Les routes de la cocaïne et du cannabis en Amérique du Sud.

Source : Insightcrime.  

Au niveau de la production agricole (culture des plants de coca ou de cannabis) et de la transformation des feuilles de coca en cocaïne, les effets directs sur la couverture forestière et la biodiversité sont limités. Le déboisement provoqué par l’ouverture de plantations de coca et de cannabis n’est pas considérable [2]. Plus problématique est le rejet dans les cours d’eau des produits chimiques utilisés pour la production de cocaïne. Pourquoi les criminalistes parlent-ils alors désormais de « narco-déforestation » pour désigner un phénomène récent et de grande ampleur ? Ils évoquent ainsi une des modalités de diversification de ses activités qu’utilise le narcotrafic pour blanchir les revenus considérables dégagés sur son activité de base. Le recyclage de ces revenus contribue directement à détruire la forêt amazonienne.

Comme de nombreux autres acteurs clandestins, les factions criminelles brésiliennes investissent dans l’acquisition frauduleuse de titres fonciers, détruisent le couvert forestier, exploitent le bois et commercialisent les grumes.

Elles assurent encore le défrichage, l’ouverture de terres de pâturages et deviennent des éleveurs de bovins. Un peu plus tard, lorsque les sols peuvent être semés, elles deviennent exploitants agricoles et commercialisent le soja ou le maïs planté. La traçabilité sur ces cultures est encore très incertaine en Amazonie. Une partie des recettes dégagées sur le commerce de cocaïne devient ainsi un revenu « honnête » d’agriculteurs qui se débrouillent pour que l’origine réelle des grains commercialisés reste inconnue. Il arrive souvent que les choix d’emblavement de ces nouveaux exploitants agricoles restent marqués par leur métier d’origine. Dans certains États de l’Amazonie brésilienne, l’argent du trafic de la cocaïne est réinvesti dans le déboisement et le défrichage afin d’établir des plantations de cannabis. Le phénomène a été observé par exemple dans l’État de Pará, entre 2015 et 2020) [3].

Pâturages ouverts par la déforestation en Amazonie.

Les grandes organisations criminelles peuvent aussi assurer le recyclage et le blanchiment de leurs avoirs financiers en avançant des fonds à des forestiers insuffisamment capitalisés et qui ne peuvent pas prendre en charge les lourds investissements liés à l’ouverture de routes clandestines, à la déforestation et au défrichage. Les débiteurs honorent alors leurs obligations de remboursement sous la forme de services fournis à leurs créanciers. Ils peuvent par exemple se charger de la logistique et de l’exportation des stupéfiants. Les organisations criminelles qui opèrent en Amazonie sont passées maîtres dans la technique dite du « rip-off », qui consiste à faire voyager des stupéfiants avec une cargaison licite ou rendue telle.  En Amazonie brésilienne, les trafiquants de drogue bénéficient d’un service fourni par les exploitants forestiers qui acceptent de transporter des cargaisons de cocaïne sur les convois acheminant des chargements légaux ou illégaux de bois d’œuvre, voire à l’intérieur des grumes ou produits dérivés. Entre 2017 et 2021, environ 9 tonnes de drogue ont ainsi été interceptées dans de grandes cargaisons de bois destinées à des marchés européens. Ces saisies ont eu lieu dans les ports de l’Amazonie, mais aussi loin de la région, notamment dans les ports du nord-est, du Sud et du Sud-Est. La contrebande est souvent dissimulée dans les cargaisons de grumes, de poutres, de palettes et de stratifiés. Les interceptions interviennent aussi à l’intérieur du pays : la police fédérale a effectué 16 saisies importantes de cocaïne dissimulée dans des cargaisons de bois rien qu’entre 2017 et 2021.

La nouvelle ruée vers l’or

La stratégie de diversification des investissements pratiquée par les grandes factions criminelles ne se limite pas à l’exploitation forestière et à l’agriculture. Le « narco-garimpo » est aussi en plein essor.

De quoi s’agit-il ? La prospection de l’or existe en Amazonie depuis des générations, conduites essentiellement par des orpailleurs, qui pratiquent traditionnellement le garimpo, une technique rudimentaire qui permet d’extraire l’or alluvial existant sur les affluents de l’Amazone et les rivières. L’or est extrait des sédiments de cours d’eau [4], principalement à l’aide de mercure. Ce métal lourd s’amalgame avec les poussières d’or et constitue ainsi un alliage. Le terme d’orpailleur (garimpeiro) évoque un aventurier solitaire cherchant de l’or à l’aide d’une pioche, d’une pelle et d’une batée.

L’image a vieilli. Aujourd’hui,  les garimpeiros sont des entrepreneurs de toutes tailles, ayant accès à des techniques d’extraction diverses, mais de plus en plus éloignées de celle utilisée par les pionniers d’autan. Ces garimpeiros ne sont plus des aventuriers solitaires.

En raison de la flambée des prix du métal depuis 2019, le bassin amazonien a connu une véritable ruée vers l’or, avec des dizaines de milliers de mineurs incontrôlés opérant le long des rivières et à l’intérieur des terres.

Le métier a attiré des foules ces dernières années. En 1985, le garimpo occupait 18 619 hectares en Amazonie brésilienne et mobilisait quelques milliers de prospecteurs. En 2022, on comptait 80 180 sites de prospection exploitant un périmètre total de 241 019 hectares [5].

Ces mineurs ne sont plus des aventuriers solitaires. Ils forment des associations, des coopératives et des syndicats, ce qui leur permet d’exercer une influence politique auprès des gouvernements des États et des municipalités. Nombre des sites aurifères sont exploités à grande échelle, à l’aide d’équipements mécanisés qui draguent les rivières et détruisent la terre dans les zones forestières. Une fois le filon épuisé restent des espaces de forêts dévastés et des lacs infestés de mercure utilisé pour séparer le minerai d’or d’autres sédiments. Ce produit hautement toxique se déverse dans les rivières et dans la chaîne alimentaire, empoisonnant des communautés situées à des centaines de kilomètres du site minier [6].

Pépites d’or de garimpo

L’orpaillage n’est pas en soi une activité illégale au Brésil, à condition de disposer de licences environnementales et de la pratiquer sur des terres où elles sont autorisées.

En Amazonie, la plupart des garimpeiros n’ont pas de telles licences. Ils opèrent sur des territoires indigènes, sur des aires en principes protégées, sur des parcs naturels. Ils ne respectent ni les normes sociales, ni la législation de préservation de l’environnement.

Rares sont ceux qui paient des redevances minières et des impôts sur les revenus dégagés. Les garimpeiros illégaux sont légion. Le gouvernement fédéral estime que plus de 2000 orpailleurs opèrent par exemple sur les territoires indigènes en Amazonie brésilienne, un chiffre largement sous-évalué. Afin de satisfaire la demande croissante de ce métal précieux, les chercheurs d’or clandestins et non déclarés sont de plus en plus nombreux. Ils pénètrent les territoires les plus reculés. Le prix de l’or est si élevé que même l’extraction de minerai avec une teneur d’un gramme d’or par tonne est une entreprise rentable. Comme il existe un vaste marché international de l’or, les prospecteurs illégaux peuvent blanchir leurs profits par le biais de diverses chaînes d’approvisionnement légitimes et illégitimes [7]. Les autorités locales sont souvent complices. Elles ferment les yeux ou protègent même le garimpo illégal, dès lors que les exploitants n’oublient pas de les associer à leurs bénéfices.

L’exploitation aurifère a tendance à s’étendre sur toutes les régions de l’Amazonie, menaçant de plus en plus la forêt. L’utilisation massive de mercure pour séparer l’or des sédiments contamine les écosystèmes locaux, empoisonne les réserves alimentaires et nuit aux communautés autochtones et riveraines dont la survie dépend de l’Amazonie et de ses affluents. Les territoires où se situent les exploitations minières sont souvent des régions du monde habitées par des peuples indigènes qui y trouvent leurs moyens de subsistance [8].

Pollution des sols et cours d’eau par l’emploi de produits chimiques, exposition des humains aux vapeurs toxiques, disparition des arbres géants et des forêts vierges, territoires entiers transformés en paysages lunaires…

L’exploitation aurifère a de terribles répercussions pour l’homme et pour la nature.

Année après année, les surfaces de forêt détruites pour ouvrir des sites de prospection illégaux augmentent : De 5300 hectares déforestés en 2017, on est passé à plus de 10 000 en 2020. Un exemple qui n’est pas isolé : sur les terres occupées par le peuple Yanomami dans l’État du Roraima, le long de la frontière avec le Venezuela, la zone détruite pour permettre l’extraction de l’or a augmenté de 54 % en 2022, totalisant plus de 5 000 hectares (contre un peu plus de 2 000 hectares à la fin de l’année 2018). Le garimpo illégal n’est pas un phénomène récent en Amazonie. Ce qui l’est en revanche, c’est l’implication du crime organisé dans le secteur.

Les grandes factions comme le PCC et le Comando Vermelho très engagées dans le trafic de drogues ont envahi le secteur de l’exploitation aurifère pour diversifier ici encore leurs investissements.

Dans un premier temps, ces organisations ont infiltré l’orpaillage illégal pratiqué dans les territoires indigènes en organisant des rackets de protection des mineurs, en extorquant des taxes sur l’orpaillage, en proposant des services logistiques (transport aérien). Progressivement, ces factions ont pris le contrôle de sites d’orpaillage parce qu’elles disposaient d’une surface financière suffisante pour s’engager dans une activité très rentable, mais de plus en plus capitalistique. Les orpailleurs indépendants utilisent encore de simples radeaux de dragage construits sur des planches ou des rondins[9] et travaillent en bordure de cours d’eau. En 2022, en Amazonie brésilienne, la construction de ce type de radeau coûtait autour de 10 000 dollars et pouvait produire jusqu’à 40 grammes d’or par jour. Cette quantité était vendue localement pour un prix variant de 400 à 600 dollars (l’or cotait alors 50 dollars/gr. sur le marché international). Ce type d’exploitation minière en rivière ne peut cependant pas être pratiqué tout au long de l’année en raison des variations du niveau de l’eau.

Ce qui intéresse le crime organisé c’est l’orpaillage pratiqué sur des barges opérant en milieu de rivières ou de fleuves.

Ces embarcations dénommées « dragons » ont souvent plusieurs étages et transportent des équipements de plus grande capacité et plus coûteux que ceux des petits radeaux. L’acquisition et la mise en service des plus grands « dragons » (construits à la fois en bois et en métal pour accueillir des équipements de grande capacité) coûtaient en 2022 plus de 632 000 USD [10]. Un tel équipement permettait alors de produire plus de 500 grammes d’or par jour, de dégager un chiffre d’affaires mensuel de 210 000 USD et une marge nette de 121000 USD.

C’est ce type d’équipement de grande capacité qui intéresse le crime organisé : le taux de rentabilité est élevé, l’investissement absorbe des sommes importantes. Qu’il soit réalisé par les factions elles-mêmes (qui gèrent alors directement les « dragons ») ou par des tiers (qui empruntent aux factions les capitaux nécessaires), il représente un excellent moyen de recyclage des ressources financières issues d’autres activités illicites. Les gangs vendent alors l’or qu’ils produisent ou qu’ils ont reçu en remboursement des prêts consentis. Le métal est facile à conserver, à transporter et à écouler. Le narco-garimpo est désormais une des activités préférées des grandes factions criminelles en Amazonie.

L’extraction illégale d’or est devenue partie intégrante des écosystèmes d’activités criminelles que de véritables États parallèles ont développées sous la canopée de la grande forêt tropicale…

Déjà engagées dans le commerce national et international de stupéfiants, ces États parallèles ont tiré parti de leurs compétences techniques et de leurs réseaux d’acheminement de la drogue vers les marchés étrangers pour se livrer au trafic d’un large éventail de matières premières, allant des produits du bois illégaux aux minéraux essentiels et précieux tels que l’or, mais aussi le coltan, le corindon, le graphite, le manganèse, la microsilice et le tungstène. Toutes ces activités économiques diversifiées exigent la construction et l’expansion d’infrastructures logistiques. Le recyclage des bénéfices dans des activités d’extraction de bois d’œuvre, de productions agricoles et minières impose d’investir dans l’ouverture de routes clandestines, la construction de pistes d’atterrissage et de ports fluviaux, autant de réalisations qui portent atteinte à l’intégrité des forêts et à la biodiversité.

Il existe ainsi plus de 2 500 pistes d’atterrissage privées dans la seule Amazonie brésilienne, dont plus de la moitié sont considérées comme illégales et plus d’un quart sont situées sur des territoires protégés ou indigènes.

À cela s’ajoute la prolifération de ports fluviaux de fortune, qui facilitent l’expansion des marchés légaux et illégaux.

La force des réseaux criminels.

Les autorités gouvernementales officielles des pays du bassin amazonien n’ont pas, jusqu’à présent, engagé une coopération efficace pour lutter contre des organisations criminelles qui tissent et gèrent des réseaux transnationaux. Très actives sur les États brésiliens de l’Amazonie, des factions comme le PCC ou le Comando Vermelho ont noué des relations de partenariat avec des groupes armés clandestins de Colombie, du Venezuela, du Pérou ou de la Bolivie. Entre ces pays andins et le Brésil, les frontières terrestres qui s’étendent sur 8700 km sont extrêmement poreuses, mal surveillées. Les territoires limitrophes sont traversés par des fleuves navigables utilisés pour tous les trafics (acheminement de stupéfiants, commerce illégal d’or, de pierres précieuses, de bois ou de faune tropicale). Il est possible d’identifier des routes aériennes entre le Pérou et Manaus, ainsi que des affluents du fleuve Amazone, en particulier le Rio Solimões. Ces routes passent par la région de la vallée de Javari jusqu’au Solimões, et de là jusqu’au fleuve Amazone pour approvisionner les marchés locaux et atteindre la ville de Manaus, répondant ainsi à la demande du marché local et établissant d’autres connexions.

Sur la zone frontalière entre le Brésil, la Colombie et le Pérou règne la violence la plus extrême. Les factions s’y affrontent, car elles savent que tous les trafics entre pays limitrophes y prospèrent. Une autre zone dominée par le crime s’étend sur la frontière nord du Brésil avec la Colombie et la République bolivarienne du Venezuela. Du côté des pays andins, la culture et la transformation de la coca ont connu un essor spectaculaire depuis 20 ans. Du côté brésilien, les forces de l’ordre sont rares et les réseaux criminels omniprésents.

La longue bande transfrontalière est sans doute un des territoires les plus violents de la planète.

Sur le versant brésilien, en 2020, les municipalités de l’Amazonie légale ont enregistré les taux d’homicide les plus élevés du pays, avec une moyenne régionale d’environ 30 homicides pour 100 000 habitants, contre 24 pour la moyenne nationale. Le taux d’homicide dans le nord du Brésil, y compris en Amazonie légale, a augmenté de plus de 260 % depuis 1980, ce qui coïncide avec une longue période de déforestation accrue, d’augmentation de la criminalité environnementale et de développement du trafic de stupéfiants.

Implantation des factions par État (2022).

Les principaux groupes de trafiquants de drogue impliqués dans cette criminalité et désormais largement responsables de la destruction de la forêt et des lourdes menaces qui pèsent sur les populations autochtones sont brésiliens et colombiens. À l’est de la Colombie, les réseaux contrôlant la production de cocaïne et de métaux précieux sont des ex-FARC et l’organisation terroriste dite Armée de Libération Nationale (ELN en Espagnol). Les factions brésiliennes comme le PCC ou le Comando Vermelho sont très présentes de l’autre côté de la frontière. En Amazonie brésilienne comme sur les pays limitrophes, par nécessité ou menacées par les gangs, les populations locales sont de plus en plus impliquées dans les entreprises criminelles.

Dans les couches les plus pauvres, les jeunes sans emploi stable et sans éducation formelle succombent facilement aux offres de recrutement des factions. Ils n’ont souvent pas d’autre option que celle de venir renforcer le sous-prolétariat des États parallèles qui dominent les territoires où ils vivent.

Hommes et femmes sont entraînés dans le cercle infernal de la criminalité et de l’esclavage en devenant prospecteurs d’or sur des barges, bucherons et grumiers sur des sites clandestins d’exploitation du bois, vachers sur les périmètres de pâturages ouverts, chauffeurs, pilotes d’avions, dealers ou mules, receleurs, vigiles armées, exécutants de basses œuvres ou prostitués. Lorsqu’elles n’ont pas été contraintes de rejoindre les troupes que commandent les gangs criminels, les populations locales sont de toute façon indirectement affectées par le pouvoir des factions. D’abord parce qu’elles subissent toutes les conséquences de la destruction des écosystèmes locaux dont dépend leur existence : pollution des eaux, perte de la biodiversité, résidus toxiques, emprise du narcotrafic, insécurité et violence. Ensuite parce que les structures publiques et les instances politiques officielles sont de plus en plus sous l’emprise d’un système criminel prospère, richissime et capable de tout acheter.

Les grandes organisations criminelles n’ont pas besoin de réaliser des putschs ou des révolutions pour renverser le système politico-institutionnel en place [11].

Ce qui compte pour le crime, c’est de pouvoir neutraliser l’État dans ses missions régaliennes (sécurité, défense, justice), de s’assurer de la passivité complice des institutions publiques, voire de les transformer en alliés silencieux financièrement intéressés.

Pour conquérir la neutralité des élus locaux, des fonctionnaires territoriaux et des forces de sécurité, les réseaux criminels cherchent d’abord à développer une multiplicité d’activités (clandestines et illégales ou parfaitement légales et déclarées) qui conférent aux entreprises et secteurs contrôlés un poids économique et social majeur à l’échelle du territoire géré par les acteurs publics concernés. Il s’agit de faire en sorte que l’économie sous-terraine créée et gérée par les factions (trafic de drogues, d’armes et de munitions, extraction illégale de l’or, contrebande de minerais et d’animaux sauvages, exploitation clandestine du bois, accaparement de terres et activités agricoles illicites, etc.) devienne une composante essentielle (voire dominante) de l’économie locale et régionale.

La première phase est donc de faire en sorte que l’ensemble du tissu économique d’un territoire (y compris les circuits légaux développés pour recycler les revenus d’activités illégales) tombe sous la dépendance des organisations criminelles.

Au point que toute action répressive menée contre les factions par l’État légitime fragilise ou détruise les équilibres sociaux créés (destruction d’emplois informels, effondrement des revenus de nombreux ménages, appauvrissement du territoire et contestation directe par la population des institutions officielles en place. Sur l’Amazonie brésilienne, les filières économiques illégales ne sont plus du tout marginales au sein de l’économie locale et sur le plan de la création et la distribution de revenus.

La seconde démarche est complémentaire de la première.

Il s’agit d’acheter (en mettant le prix qu’il faut) la passivité, le soutien voire la contribution engagée aux activités criminelles des agents et représentants de l’État officiel.

La force du crime organisé en Amazonie est d’avoir identifié et souvent rallié à sa cause de nombreux acteurs d’un État qui pourraient s’opposer à ses menées. Il faut séduire et intéresser les agents d’organismes fédéraux en charge de la préservation de l’environnement, de la forêt et des communautés qui y vivent, les autorités chargées de délivrer des permis et licences d’exploitation (ouverture de sites d’orpaillage, extraction d’essences rares, agriculture et élevage, transport), les douaniers, les notaires, les responsables de forces de sécurité, la magistrature. Les factions criminelles utilisent ici plusieurs « méthodes d’achat » de la bienveillance de l’État légitime. La plus courante consiste à offrir des opportunités de revenus complémentaires aux agents du secteur public. Les gangs permettent ainsi que les patrouilles de gardiens de parcs protégés ou de territoires indigènes puissent participer (en prélevant une dîme) aux revenus de barges d’orpaillage clandestin ou que les patrouilles de la police militaire soient « intéressées » aux trafics de drogues. Les factions criminelles parviennent aussi à « associer » à leurs trafics et activités clandestines des juges, des notaires, des agents du fisc, des douaniers. Elles s’assurent ainsi que la drogue, le bois, l’or ou le bétail (élevé sur des pâturages ouverts après destruction de la forêt) pourront traverser les frontières ou entrer dans les circuits de l’économie légale. Elles organisent aussi des circuits de blanchiment de l’argent grâce à tous ces soutiens.

Si les soutiens sollicités sont trop rigides, restent insensibles aux partenariats proposés, il est toujours possible de passer à des techniques d’intimidation plus convaincantes (menaces exercées contre les individus et leurs proches). Assez souvent, les gangs n’ont pas la patience d’insister. Ils éliminent physiquement les récalcitrants.

 

Dans plusieurs États de l’Amazonie brésilienne, le versement de pots-de-vin, les trafics d’influence, la falsification des appels d’offres permettent au crime organisé de s’allier à la haute fonction publique, aux élus municipaux, voire à des personnalités politiques assumant des missions de premier plan au niveau du gouvernement des États fédérés ou de l’Administration fédérale.

Grâce à leur puissance financière, les organisations criminelles cooptent, les détenteurs de mandats électifs, imposent leur contrôle sur les institutions officielles, créent des structures corrompues en impliquant une multitude d’acteurs publics dont la mission est pourtant d’appliquer et de faire appliquer la loi commune.

Le PCC, le Comando Vermelho ou des factions criminelles locales sont en train d’engager une troisième démarche en Amazonie comme sur d’autres parties du territoire national. Ces réseaux interviennent désormais directement dans le jeu politique en présentant leurs candidats aux élections, en finançant des campagnes, en fournissant les fonds secrets de partis politiques officiels.

Aujourd’hui, la stratégie d’emprise mise en œuvre par les syndicats du crime n’est pas encore parvenue à ses fins. Dans les États d’Amazonie, il subsiste des autorités administratives, des magistrats, des forces de répression ou des services de protection de la biodiversité qui remplissent les missions qu’ils doivent remplir. Le travail de termite conduit au sein du système politique local n’a pas encore transformé ce dernier en simple instrument docile des gangs. Il existe encore des élus qui se battent pour faire prévaloir l’État de droit. Et des services publics qui leur obéissent. C’est d’ailleurs grâce aux enquêtes de police, aux procédures judiciaires, aux actions de répression menées, aux témoignages de victimes que la puissance publique légitime a pu suivre ces dernières années l’essor des activités et de l’emprise du crime organisé sur la société et l’économie de l’Amazonie.

Nous sommes néanmoins aujourd’hui au point de bascule. Si l’État fédéral et les collectivités locales ne parviennent pas à engager rapidement la guerre contre le crime organisé, la forêt amazonienne sera perdue.

De la capacité de la République fédérative du Brésil à défendre l’intégrité de son territoire et à rétablir sa pleine souveraineté sur l’Amazonie dépend désormais la survie de la première forêt tropicale de la planète.


[1] Le skunk est une variété hybride de cannabis fortement dosée en tetrahydrocannabinol (THC), la molécule responsable des effets psychoactifs et addictifs du cannabis.

[2] Une fois cueillies, les feuilles de coca sont portées jusqu’à un laboratoire, lui aussi dissimulé dans la forêt, puisque cette activité est illégale dans tous les pays producteurs (Colombie, Pérou, Équateur, Bolivie). Les feuilles sont alors broyées puis mélangées à toutes sortes de produits chimiques (essence, acide, ciment…). Le tout finit par former un liquide, puis une pâte et enfin de la poudre de cocaïne.

[3] Lorsque des terres sont saisies, achetées, défrichées et cultivées par les trafiquants de drogue, cela peut déclencher et exacerber les tensions locales sur les droits fonciers et de propriété, en particulier si la coca et le cannabis sont cultivés sur des terres indigènes ou à proximité de celles-ci.

[4] Il existe aussi une exploitation à ciel ouvert de mines d’or. Cette exploitation de concessions minières a fourni en 2022 65,7% de la production brésilienne d’or (62,2 t.) alors que le garimpo a fourni le reste, soit 32,4 t. La production de garimpo est sous-estimée. Une part significative de l’activité est en effet clandestine et illégale.

[5] Les régions les plus touchées sont concentrées dans le nord-ouest de Roraima, le sud-ouest et le sud-est de Pará, le nord des États du Mato Grosso et de Rondônia, et certaines zones des États d’Amazonas, d’Amapá et de Maranhão. Source : Institut Mapbiomas. Voir le site :

https://brasil.mapbiomas.org/wp-content/uploads/sites/4/2023/09/MapBiomas-FACT_Mineracao_21.09.pdf

[6] Afin d’obtenir l’or pur, ces agglomérats sont chauffés pour que le mercure s’évapore. Les vapeurs toxiques non filtrées s’échappent dans l’atmosphère et contaminent l’air et les cours d’eau. Rien qu’en Amazonie, on estime à 100 tonnes la quantité de mercure annuellement répandue. Déversé dans les cours d’eau, ce métal lourd finit par s’incruster dans la chaine alimentaire. Le mercure est un métal lourd qui lèse surtout le système nerveux central et les fonctions rénales.

[7] Selon l’Institut brésilien Escolhas, de 2015 à 2020, le Brésil a exporté 229 tonnes d’or présentant des indices d’illégalité. Ce volume représente 47% du total du volume du métal exporté sur ces six ans. Sur ce total de 229 t., 54% avaient pour origine la région amazonienne.

[8] Les garimpeiros illégaux ont bénéficié entre 2019 et 2022 du soutien affirmé du Président Bolsonaro. Celui-ci a tenté d’autoriser sans restriction l’ouverture de tous les territoires indigènes à l’activité minière et à l’extraction artisanale. Faute d’être parvenu à ses fins, il a supprimé les financements de programmes et d’organisations destinées à lutter contre l’exploitation minière illégale sur les territoires indigènes.

[9] Le radeau est équipé d’un moteur à essence et d’un tuyau qui aspire la boue du lit de la rivière. La boue aspirée est ensuite poussée vers une écluse, qui recueille les sédiments et les particules d’or lorsque la boue retourne dans la rivière.

[10] Étude de l’Institut Escolhas intitulée Abrindo o Livro-Caixa do Garimpo, juin 2023. L’étude se base sur l’analyse des comptes d’entreprises opérant dans l’État du Pará, premier État producteur d’or du Brésil. Une grande drague mobilise pour l’extraction 18 orpailleurs qui se relaient en trois équipes sur 24 h et parviennent à produire 3,75 kg d’or par mois… Voir le site :

 [11] Ce dernier assume de nombreuses fonctions sociales qui n’intéressent pas les factions, depuis la création et l’entretien d’infrastructures de base (réseau de circulation, approvisionnement en énergie et en eau, communications, logement, etc..) jusqu’à l’organisation économique.


Jean-Yves Carfantan

Né en 1949, Jean-Yves Carfantan est diplômé de sciences économiques et de philosophie. Spécialiste du commerce international des produits agro-alimentaires, il réside au Brésil depuis 2002.

Voitures électriques : l’enfer environnemental de l’extraction de nickel en Indonésie

Voitures électriques : l’enfer environnemental de l’extraction de nickel en Indonésie

Ouverture et défrichement d’une zone d’extraction de nickel, Pomalaa, Indonésie – mars 2023 – Credits: KAISARMUDA/Shutterstock

 

par Thibault Michel, cité par Etienne Goetz dans Les Echos – IFRI – publié le 27 juin 2024

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/voitures-electriques-lenfer-environnemental-de-lextraction-de-nickel


Déforestation, lessivage des sols, asphyxie des océans, utilisation intensive de charbon… L’extraction de nickel en Indonésie génère des impacts colossaux sur l’environnement. L’archipel est devenu le premier producteur au monde de ce métal en quelques années.

En quelques années, l’Indonésie est devenu le premier producteur au monde de nickel avec une part de marché passée de 5 % en 2015 à 50 % en 2023. L’archipel s’est par la même occasion imposé comme l’un des acteurs clés de la transition énergétique, car le nickel est l’un des ingrédients essentiels des batteries de voitures électriques. Mais, et c’est tout le paradoxe de la transition, le coût environnemental de l’extraction de ce métal est colossal, notamment en Indonésie qui a désormais la réputation d’être un producteur de nickel « sale ».

L’essor de l’industrie du nickel a certes contribué au développement économique de l’Indonésie, mais l’archipel est désormais « confronté aux répercussions négatives des activités minières sur son sol », explique Thibault Michel, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans une note. L’expert évoque la contestation sociale liée au manque de sécurité dans les mines et les fonderies, l’expropriation de certaines populations locales, la présence de tribus indigènes sur les sites miniers « et surtout, les dommages causés à l’environnement ».

Déforestation et océan asphyxié

Il y a d’abord les impacts directs de la mine, en premier lieu la déforestation, nécessaire pour démarrer l’extraction. C’est d’autant plus problématique que l’Indonésie compte parmi les plus belles et importantes forêts primaires au monde. Autre grand sujet environnemental : celui de la gestion des résidus miniers. Certains opérateurs peu scrupuleux n’hésitent pas à jeter les boues au fond de la mer (« deep-sea tailing ») au risque d’y détruire la biodiversité marine. 

« Les entreprises sont censées respecter des normes environnementales, mais ces exigences passent parfois à la trappe sur certains projets », détaille le chercheur aux « Echos »

[…]

Plus de poissons dans les filets

Par ailleurs, comme les rayons du soleil ne peuvent plus passer dans l’eau, la végétation disparaît aussi. Plusieurs pécheurs vivant à proximité d’usines et de mines ont expliqué dans une enquête de Bloomberg ne plus trouver le moindre poisson dans leurs filets. Certains acteurs préfèrent presser les boues et les stocker à sec. Cette méthode permet également de revégétaliser le site minier et éviter l’érosion des sols.

L’autre sujet environnemental du nickel indonésien est lié à l’utilisation intensive du charbon dans les fonderies et raffineries du minerai. « Il y a une volonté affichée d’aller vers la décarbonation mais pas grand-chose de réalisé concrètement », juge Thibault Michel

[…]

à lire en intégralité dans Les Echo

Le nucléaire britannique à la recherche de financements

Le nucléaire britannique à la recherche de financements

par Baudouin de Petiville – Revue Conflits – publié le 4 juin 2024

https://www.revueconflits.com/le-nucleaire-britannique-a-la-recherche-de-financements/


Alors que la guerre fait rage en Ukraine, le Royaume-Uni ambitionne d’assurer son indépendance énergétique par un mix décarboné et donc…  nucléarisé. Principal défi pour concrétiser cette stratégie, la mobilisation des financements avec la possibilité de se tourner vers les Émirats arabes unis.

Le gouvernement britannique vise à produire 95 % d’électricité décarbonée d’ici 2030. Pour y parvenir, il conçoit un mix électrique combinant éolien offshore (y compris l’éolien flottant), baisse des coûts du gaz, investissements dans l’hydrogène et nouvelles unités nucléaires.

Le Royaume-Uni ambitionne ainsi de redevenir un leader de l’atome, avec un objectif de 25 % d’énergie nucléaire dans son mix énergétique d’ici 2050. Malgré la fermeture imminente de cinq de ses six centrales le Royaume-Uni planifie maintenant de tripler sa capacité nucléaire à l’horizon 2050. A cette date, le gouvernement vise 24 GW de capacité installée. Un objectif ambitieux qui impliquera la construction de plusieurs réacteurs nucléaires pour un quasi-renouvellement de son parc.  Toutefois les deux projets de centrales en cours et menées par EDF rencontrent des difficultés liées aux financements. La porte de sortie pourrait être une solution externe apportée par les Émirats.

Les mésaventures d’EDF

Mais comment le Royaume-Unis en est venu à une situation paradoxale ? Les mésaventures nucléaires britanniques commencent lorsque EDF remporte l’appel d’offre pour diriger l’installation des tranches deSizewell C et d’Hinkley Point, les seuls contrats en cours dans le pays. Critiquée en France, EDF demeure un électricien de rang mondial et qui dispose expérience reconnue dans le domaine nucléaire. Raison pour laquelle le groupe a remporté plusieurs contrats en Europe, notamment face à l’entreprise américaine Westinghouse. Problème, les obstacles rencontrées sur ses chantiers en Angleterre et sur l’EPR de Flamanville ont ternis cette réputation.

C’est en 2012, qu’EDF est sélectionnée pour superviser la construction de la centrale nucléaire de Hinckley Point en Angleterre, composée de deux tranches de réacteurs de type EPR. Le budget initial était fixé à 13 milliards de livres sterling, avec un démarrage des travaux prévu pour 2017. En 2015, EDF a noué un partenariat financier avec la société chinoise CGN, EDF détenant 65,5 % des parts et CGN 33,5 %. Ce projet était alors financé exclusivement par ces deux entreprises, sans aide du gouvernement.

Au fil des années, les coûts du projet ont grimpé et la date de début de la construction a été repoussée à plusieurs reprises. En 2016, le coût du projet était réévalué à 18 milliards de livres, puis à 25 milliards en mai 2022, et enfin à 32,7 milliards en janvier 2023. En France, des critiques ont été formulées à l’encontre du partenaire chinois, accusé de ne pas prendre en charge les surcoûts engendrés par les retards de construction. Initialement, EDF devait investir 4 milliards de livres par an, mais cette somme a augmenté à 5 milliards, laissant EDF seul face à un risque financier croissant. Le coût du projet a ainsi augmenté de 72 % à 89 %.

Le projet a également accumulé quatre ans de retard, repoussant sa mise en service prévue entre 2029 et 2031. La pandémie de Covid-19 a aussi joué un rôle dans ces retards et surcoûts. Aujourd’hui, EDF supporte seul ces dépenses supplémentaires, CGN ayant décidé de ne plus participer au financement tout en restant actionnaire. EDF est donc en quête de nouveaux partenaires pour soutenir ce projet colossal.

Financements privés

L’Angleterre n’est cependant pas arrivé au bout de ses peines, puisque c’est désormais Sizewell C, dont la construction n’a même pas encore commencé, qui connait des difficultés. Seulement, cette fois-ci, elles ne sont pas imputables à EDF. Initialement, le financement devait être assuré par le consortium, mais en 2020, GCN s’est retiré du projet, obligeant le gouvernement de sa Majesté à prendre une participation de 50 % et à assumer le financement du projet. En janvier dernier, le gouvernement britannique a injecté 1,3 milliard de livres sterling pour maintenir le projet à flot. Pour 2023, EDF a déclaré que sa part dans le projet ne dépasserait pas 20 %.

Face à l’ampleur des coûts, le gouvernement cherche à attirer des investisseurs privés pour partager le fardeau financier. Un programme de financement récent permet de poursuivre les travaux en attendant une décision finale sur l’investissement, prévue pour plus tard dans l’année. En septembre 2023, un appel a été lancé aux investisseurs potentiels pour préparer un processus d’appel d’offres, avec l’espoir de boucler la levée de fonds en 2024. Des investisseurs comme l’Universities Superannuation Scheme, Amber Infrastructure, Equitix, et Schroders Greencoat ont déjà manifesté leur intérêt. Toutefois, seulement deux entreprises ont été sélectionnées pour la deuxième phase de l’appel d’offres : Centrica, le plus grand fournisseur d’énergie du Royaume-Uni, et Emirates Nuclear Energy Corporation (ENEC), l’entreprise publique nucléaire des Émirats Arabes Unis.

La piste émiratie

Si la participation de Centrica n’est pas surprenante – l’entreprise détient déjà une participation de 20 % dans les cinq centrales nucléaires opérationnelles du Royaume-Uni – celle d’ENEC est plus inhabituelle. En 2023, The Guardian rapportait que le gouvernement avait approché Mubadala, le fonds d’Abu Dhabi géré par le cheikh Mansour bin Zayed Al Nahyan, propriétaire du club de football Manchester City, pour financer le projet. Par ailleurs, l’offre émiratie s’est révélée plus compétitive que celle de l’entreprise britannique.

Cependant, cette offre reflète une stratégie mise en place depuis plusieurs années qui dépasse les frontières des Émirats. En effet, ENEC est le principal sponsor de la centrale nucléaire de Barakah à Abu Dhabi, d’une capacité de 5,6 GW, qui peut fournir jusqu’à 25 % des besoins en électricité des Émirats arabes unis. Ce projet a été la première centrale nucléaire du monde arabe et les Émirats ont été le premier pays de la région à s’engager dans l’énergie nucléaire. En 2009, le pays a adopté un plan de développement durable comprenant un volet nucléaire. Aujourd’hui, les Émirats arabes unis sont un des leaders de la région du Golfe dans sa politique de diversification énergétique. Alors que le Koweït a abandonné son projet nucléaire, l’Arabie saoudite l’a lancé tardivement, en 2018, avec une mise en service prévue pour 2036.

En participant à cet appel d’offres, les Émirats poursuivent leur stratégie de diversification des ressources. Par ailleurs, lors de la COP de Dubaï, plusieurs pays ont signé un accord pour renforcer leurs capacités dans le domaine nucléaire. Dans cette logique, l’ambition de l’ENEC est de devenir une entreprise internationale d’énergie nucléaire, détenant des participations minoritaires dans les infrastructures d’énergie nucléaire d’autres nations, sans les gérer ni les exploiter. Son soutien financier pourrait aider le Royaume-Uni, qui connaît des difficultés dans ses projets nucléaires, comme un premier pas vers le développement et l’exportation de compétences pour d’autres programmes étrangers.

Les effets méconnus du réchauffement climatique

Les effets méconnus du réchauffement climatique


par Louis Caudron (*) – Esprit Surcouf – publié le 17 mai 2024

https://espritsurcouf.fr/environnement_les-effets-meconnus-du-rechauffement-climatique_par_louis-caudron/
Ingénieur général honoraire du Génie Rural, des Eaux et des Forêts


Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la seule responsabilité de l’auteur.

Soucieux de sensibiliser leur public à la gravité des effets du changement climatique, les médias associent généralement le réchauffement de la planète à l’augmentation des canicules et des sécheresses, à la fonte des glaciers et à la montée du niveau de la mer.  En réalité, les effets du changement climatique sont beaucoup plus diversifiés et ils n’impactent pas de la même façon toutes les parties du monde. Il y a beaucoup de perdants, mais il y a aussi des gagnants.

Un premier exemple concerne la pluviométrie. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le réchauffement climatique ne signifie pas augmentation des sécheresses, mais augmentation des pluies. L’augmentation de la température se traduit par une augmentation de l’évaporation aussi bien sur terre que sur mer, ce qui provoque une augmentation des pluies à l’échelle mondiale. Globalement, deux tiers de la population du monde vont constater une augmentation des pluies et un tiers une diminution. La plupart des données proviennent du n°314 de décembre 2023 du journal du CNRS.

Une nouvelle lecture de la pluviométrie

La pluie va ainsi augmenter au Canada, dans le nord des États-Unis, en Europe du Nord, en Russie (notamment en Sibérie), en Asie centrale, en Inde, dans le nord de la Chine, en Afrique centrale, au nord de l’Argentine. Ce sont des zones où les pluies étaient déjà assez abondantes.

Les zones concernées par des sécheresses plus fréquentes sont tous les pays du pourtour de la mer Méditerranée, l’Afrique du Sud, le sud des États-Unis (notamment la Californie), le Mexique, le Brésil, l’Australie. A part le Brésil, ce sont des zones qui étaient déjà déficitaires en eau.

L’accès à l’eau potable

Actuellement, deux milliards d’habitants dans le monde, soit 25 % de la planète, n’ont pas accès à l’eau potable et environ quatre milliards, soit 50 %, connaissent à un moment de l’année des difficultés pour s’approvisionner en eau. Ils se situent pour la plupart d’entre eux dans les zones où la pluviométrie va diminuer.

Source : Pixabay

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Le réchauffement climatique va accroître les difficultés actuelles et, pour les surmonter, il va falloir faire preuve d’imagination aussi bien pour économiser l’eau que pour stocker l’eau en période excédentaire, afin de pouvoir la retrouver et en disposer lors des périodes déficitaires.

 Le cas de la France est exemplaire : toute la partie nord du pays devrait voir la pluviométrie augmenter, surtout en hiver, alors que la partie sud va connaître une diminution des pluies, surtout en été. La hauteur moyenne des précipitations est de 935 mm par an, mais avec moins de 600 mm dans la zone méditerranéenne, alors que l’on dépasse 2000 mm sur les monts du Cantal ou en Chartreuse.

 Au total, les pluies en France apportent 503 milliards de m3 d’eau par an. Les prélèvements effectués dans les rivières et les nappes sont de 32 milliards de m3 par an. Ils se répartissent comme suit : – Prélèvements industriels : 8 % – Prélèvements agricoles : 9 % – Alimentation des voies navigables :16 % – Alimentation en eau potable : 17 % – Refroidissement des centrales nucléaires et thermiques : 50 %

La plupart de ces prélèvements utilisent l’eau pour un usage particulier et la rejettent ensuite dans le milieu naturel. Si l’on s’intéresse à l’eau réellement consommée, la situation est différente. La consommation totale est de 4,1 milliards de m3, avec la répartition suivante : – Prélèvements agricoles : 57 % – Alimentation en eau potable : 26 % – Refroidissement des centrales nucléaires ou thermiques : 12 % – Prélèvements industriels : 5 % On ne peut qu’être frappé par l’écart entre les 503 milliards de m3 d’eau de pluie qui tombent en France, les 32 milliards de m3 prélevés et les 4,1 milliards de m3 effectivement consommés.

 Cela donne le sentiment que l’on devrait pouvoir trouver des solutions pour réduire les tensions actuelles et futures. 

La situation en Europe

Au sein de l’Union européenne, l’agence européenne de l’environnement vient de publier un premier rapport qui explique que l’Europe est le continent qui se réchauffe le plus rapidement au monde et que les risques climatiques menacent sa sécurité énergétique et alimentaire, ses écosystèmes, ses infrastructures, ses ressources en eau, sa stabilité financière et la santé de ses habitants. Selon l’évaluation de l’Agence, bon nombre de ces risques ont déjà atteint des niveaux critiques et pourraient devenir catastrophiques sans une action urgente et décisive. Ce constat est partagé par le centre commun de recherches de l’Union.

Des solutions pour l’avenir

Le CNRS préconise en priorité de retenir l’eau de pluie dans les sols, plutôt que de faciliter son évacuation vers l’océan. Pendant des années, on a rectifié le lit des rivières et supprimé des méandres pour faciliter l’écoulement des eaux ; on a aussi arraché les haies qui constituaient des barrières naturelles contre le ruissellement ; on a drainé artificiellement des terres agricoles pour les cultiver plus facilement. Il faut abandonner ces pratiques et, au contraire, multiplier les obstacles au ruissellement des eaux pour faciliter leur infiltration.

Source : Pixabay

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Cela veut dire, par exemple, labourer les terres en suivant les courbes de niveau, éventuellement créer des bourrelets en terre ou en pierres le long des courbes de niveau sur les terrains en pente, replanter des haies et, d’une façon générale, recréer des territoires-éponges. Les réserves de substitution qui permettent de stocker l’eau excédentaire en hiver pour l’utiliser en été peuvent aussi faire partie de la solution. Si elles sont alimentées par des rivières en crue, elles ne posent pas de problème. Par contre, si elles sont alimentées par un pompage dans une nappe souterraine, il faut s’assurer que le prélèvement ne perturbera pas le fonctionnement du système hydraulique à l’aval.

Le CNRS rappelle aussi que, depuis 9000 ans, les hommes ont développé des techniques efficaces pour capter l’eau et l’utiliser pour leurs cultures. Dans la zone méditerranéenne, les qanâts constituent depuis des siècles un système efficace de captage des eaux souterraines, puis d’acheminement de ces eaux par des galeries souterraines vers les zones à irriguer. Le sud de la France va connaître un climat plus sec, assez semblable à celui que l’on trouve actuellement au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Les ingénieurs auraient tout intérêt à aller étudier avec modestie les techniques employées dans ces pays pour capter et utiliser au mieux les ressources en eau. Le changement climatique augmente aussi la fréquence et la violence des phénomènes météorologiques extrêmes. Cela veut dire que même dans les zones où les sécheresses vont augmenter, il pourra advenir que des pluies abondantes causent des inondations catastrophiques.

Effets sur le trafic maritime

Une conséquence moins connue du changement climatique concerne la modification des grandes routes maritimes. Actuellement, les liaisons maritimes entre la Chine et l’Europe passent essentiellement par le canal de Suez ou, en cas de blocage du canal de Suez, du fait des troubles en mer Rouge actuellement, par le cap de Bonne-Espérance. Dans un avenir relativement proche, ces liaisons pourront passer par le passage du Nord-Est, appelée maintenant la route maritime du Nord, passant par le détroit de Béring et longeant les côtes de Sibérie. A ce jour, cette route n’est praticable que des mois de juillet à octobre, soit un tiers de l’année, dans des conditions fixées par la Russie, c’est-à-dire que les navires doivent être accompagnés d’un brise-glace ou disposer d’une étrave renforcée.

Source : Pixabay

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En 2035, la route maritime du Nord pourrait être libre de glace toute l’année. Or la distance entre Yokohama et Rotterdam est de 7 000 km par la route maritime du Nord, contre 11 000 km par le canal de Suez et plus de 14 000 km par le cap de Bonne-Espérance. Avec ses brise-glaces nucléaires et ses investissements dans les ports de Sibérie, il est clair que la Russie se prépare à faciliter le passage par cette route et à en tirer des recettes importantes, peut-être aussi importantes que celles que l’Egypte tire du canal de Suez.


 

(*) Louis Caudron est Consul Honoraire au Burkina Faso et ingénieur général honoraire du Génie Rural, des Eaux et des Forêts

Gaza: l’impact environnemental du conflit actuel sera sans commune mesure avec celui des attaques passées

Gaza: l’impact environnemental du conflit actuel sera sans commune mesure avec celui des attaques passées

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 5 novembre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


A la fin (inéluctable) des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza et avant même la résolution (beaucoup moins certaine) de la crise politique régionale, il faudra faire les comptes humains: dresser la liste des morts dans le camp israélien (au moins 1500 tués civils et forces de sécurité) et estimer les pertes dans les rangs des civils combattants et non-combattants du camp palestinien. Selon des chiffres du ministère de la Santé du Hamas palestinien, après 30 jours de guerre, plus de 10 000 Palestiniens ont trouvé la mort; d’autres sources minorent ce chiffre d’un tiers, voire des deux tiers (photos AFP).

Il faudra aussi faire les comptes environnementaux. Dans l’hypothèse où les plus de deux millions d’habitants de la bande de Gaza y restent bloqués, sans espoir de trouver refuge dans un pays voisins (l’Egypte et la Jordanie refusent toujours cette possibilité), ils devront tenter de survivre dans un environnement dévasté, en proie à une crise environnementale majeure.

Et même si des aides humanitaires massives permettent de réduire les souffrances de la population civile, il faudra du temps, alors que l’hiver approche, pour mettre en place des structures efficaces à même de soigner, nourrir et loger les habitants, pour réduire les pollutions de l’air et des sols, ainsi que les contaminations des terrains aquifères, pour évacuer des monceaux de débris et d’innombrables cadavres d’animaux etc. 

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Le défi est à relever; sinon le nombre des victimes continuera de croître dans Gaza. Les morts interviendront à cause  à cause de la contamination par les obus, roquettes, grenades, bombes non explosés, à cause de la pollution des sols, de l’atmosphère et des eaux (de surface, de profondeur ou côtières), à cause de probables des carences sanitaires et épidémies.

Crise environnementale.

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur les émissions militaires de gaz à effet de serre (dans le cadre de la guerre en Ukraine par exemple). Tant que les opérations militaires, israéliennes spécifiquement, ne sont pas finies, il sera difficile de quantifier les émissions de GES. Je renvoie vers le site The Military Emissions Gap, site qui précise que l’IDF (armée israélienne) ne communique pas sur ce sujet, même en temps de paix. Rien pour l’instant donc sur la « carbon boot print » de cette guerre entre Israël et le Hamas.

A défaut de données stabilisées pour mesurer les effets de la crise environnementale en cours, on peut toutefois se pencher sur les effets des guerre passées et sur la nature des destructions enregistrées dans l’enclave palestinienne.

Après les opérations de 2008-2009

L’Onu (le United Nations Environment Programme) a publié en septembre 2009 un rapport sur l’impact des combats de décembre 2008 et janvier 2009 dans la bande de Gaza. Il est intitulé Environmental Assessment of the Gaza Strip. Il détaille toutes les atteinte à l’environnement du fait des bombardements et des combats au sol. En voici quelques-unes.

Selon les chiffres de ce rapport, 2 692 bâtiments et 186 serres ont été détruits ou irrémédiablement endommagés. Ces destructions ont généré 600 000 tonnes de débris et de gravats où la présence d’amiante (entre autres polluants) était massive. La pollution de l’air a été intense du fait des particules de combustion en particulier et elle a été exacerbée par la toxicité des débris (béton, pierres, briques,  bois, terre et autres matériaux).

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Aux bâtiments et serres s’ajoutaient 167 kilomètres de routes qui ont été détruits, selon un autre rapport. Intitulé « Public services and roads in the Gaza Strip after the last 22 days of war in Gaza« , il pointe la difficulté d’évacuer tous les débris, le coût d’enlèvement (10$ la tonne) et la superficie nécessaire pour entreposer ces débris avant le tri et le concassage (125 000 m2 sur 5 m de haut). 

Autre problème majeur: les eaux usées qui se déversent souvent directement dans la mer (entre autres via le Wadi Gaza, rivière et dépotoir géant) et les décharges publiques à ciel ouvert. Des déversements massif de bassins de rétention ont eu lieu en 2008-2009. Ainsi à la grande station d’épuration d’Az Zaitoun, une rupture de digue liée à un bombardement a provoqué le déversement de 100 000 m3 d’eaux usées qui ont pollué 55 000 m2 de terres agricoles.

Les terres agricoles ont, elles aussi, particulièrement souffert. Selon une étude conjointe de l’UNDP et de la PAPP, 17% des surfaces agricoles ont été détruites, ainsi que 17,5% des vergers et 9,2% des pâturages, labourés par les chenilles des blindés et pollués par les résidus de carburants et de munitions.

Pour en finir avec les effets sur l’agriculture, l’Onu avait recensé la mort d’au moins 35 750 vaches, moutons et chèvres, et celle d’un million de volailles. La masse de ces carcasses, qui ont pourri en plein air et pollué les sols, était estimée entre 1000 et 1500 tonnes.

L’assaut terrestre de 2014

En 2014, les 51 jours de combats terrestres et les bombardements avaient généré 2,5 millions de tonnes de débris et de gravats, selon une étude palestinienne. Elle était titrée: « 2014 War on Gaza Strip: Participatory Environmental Impact Assessment »

Cette étude d’octobre 2015 avançait le chiffre de 15 264 structures frappées par les tirs dont 10 326 bâtiments détruits/endommagés. 

Les combats avaient provoqué l’interruption totale de la collecte des déchets. 80 000 tonnes de déchets se sont donc accumulées dans les rues, les villages, les camps de réfugiés selon l’Environmental Quality Authority-Gaza.

Autre chiffre: 250 000 arbres ont alors été détruits (oliviers, citronniers, arbres fruitiers…).

11 jours de guerre en mai 2021

Une étude plus récente porte sur les bombardements de mai 2021 (11 jours de guerre). Publiée en novembre 2022 par Airwars et Conflit and Environment Observatory, elle est titrée « Reverberating civilian and environmental harm from explosive weapons use in Gaza in 2021« . 

Elle aborde surtout les effets des bombardements sur les réseaux d’assainissement et de distribution d’eau de Gaza. 109 des 290 infrastructures liées à l’eau s’occupaient du traitement des eaux usées, selon des chiffres de l’organisme onusien Water Sanitation & Hygiene (WASH).

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WASH estimait alors qu’un million d’habitants de l’enclave avaient été directement impactés par les destructions sur ces réseaux, avec des coupures d’eau, du rationnement et, surtout, des déversements d’eaux usées dans les rues, dans les champs, dans les réservoirs d’eau et dans la Méditerranée, comme l’ont confirmé les images satellites (photo ci-dessus Gaza City Municipal Council). Au plan sanitaire, ces déversements ont fait courir de sérieux risques à la population (infections qui ne peuvent pas être traitées par des antibiotiques, risques d’épidémies etc.). 

Des retards dans les travaux de rénovation des infrastructures n’ont pas permis de réduire rapidement les effets des déversements. De fortes pluies en janvier et novembre 2022 à Gaza ont même soit augmenté la taille des zones où croupissaient des eaux polluées depuis mai 2021, soit entraîné dans la mer toutes les eaux croupies et les déchets.

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2023 et après?

La virulence des frappes israéliennes et des combats au sol font craindre qu’en 2023, les effets sur l’environnement soient décuplés.

Quelques données circulent déjà. Dont cette carte du United Nations Satellite Centre (UNOSAT) qui estime qu’entre 38 200 et 44 500 constructions de la bande de Gaza ont été affectés (endommagés/détruits) par les combats entre le 7 et le 29 octobre 2023 (pour rappel, 2 692 bâtiments touchés en 2008-2009).

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L’UNSAT estime que 22% des terres arables sont désormais endommagés par les combats. Les vues satellitaires de l’UNSAT témoignent aussi de la diminution de la densité de la végétation suite aux abattages, aux dégâts causés par les véhicules militaires, par les bombardements et par les combats au sol. La biodiversité est donc menacée. Elle l’est aussi en mer avec les rejets sauvages et ceux provoqués par les ruptures de canalisation.

Les combats actuels ont les mêmes effets que ceux des années précédentes sur les réseaux d’eau et la qualité de l’eau qui est peu ou pas traitée (en 2018, 92,6% de l’eau puisée dans le sol était impropre à la consommation humaine), sur les stations d’épuration, sur les infrastructures routières et ils dégagent les mêmes types de pollution aux particules toxiques.

Deux différences toutefois sont à noter: d’abord ces combats durent depuis près d’un mois (pour la partie aérienne et les tirs d’artillerie) et depuis le 27 octobre pour partie terrestre; ensuite, leur intensité est sans commune mesure à celle connue précédemment (même en 2014). La crise environnementale sera donc sévère et durable.