Deux dates importantes pour l’Armée de l’Air et de l’Espace
Le 18 mars dernier, le président de la République était sur la base aérienne 116 de Luxeuil-saint-Sauveur, en Haute-Saône pour annoncer un investissement de 1,5 milliard d’euro en vue de préparer le déploiement du futur missile nucléaire hypersonique français ASN4G en 2035
Le 25 mars, l’AAE lançait sa première opération Poker de l’année 2025. L’opération a pour objectif de recréer, de jour ou de nuit, un raid nucléaire complet (ravitailleurs, Rafale B porteurs de maquettes d’ASMP-A, Rafale et Mirage d’escorte,…), devant pénétrer un espace aérien défendu par une force aérienne ennemie et des batteries antiaériennes ennemies
L’ASN4NG
Le missile nucléaire ASN4G sera déployé à Luxeuil sur Rafale B F5.
C’est d’abord le sauvetage de cette base et un soutien économique majeur pour ce bout de Haute-Saône. La base aérienne 116 de Luxeuil, régulièrement menacée de fermeture depuis 2011 va retrouver un rôle de premier plan avec la mise en service du missile air-sol nucléaire de 4e génération (ASN4G) à compter de 2035.
L’ASN4G est développé par MBDA et l’ONERA depuis 2014. Il doit devenir la « figure du renouvellement entamé de la modernisation de notre dissuasion nucléaire », a assuré mardi le chef de l’Etat .
Ce missile, porté par la version F5 du Rafale, embarquera une tête nucléaire aéroportée. Il sera capable d’évoluer à une vitesse supérieure à Mach 5 et serait doté d’une très grande manœuvrabilité.
Les missiles hypersoniques
L’objectif de ces armes, à ce jour très peu répandues dans le monde, est de « déjouer les défenses antimissiles adverses, de plus en plus sophistiquées », explique Etienne Marcuz, spécialiste des questions nucléaires
Un missile hypersonique, « c’est un missile ayant la capacité à la fois de voler à vitesse hypersonique [Mach 5 et plus, c’est-à-dire au moins 6.100 km/h] et de manœuvrer à cette vitesse », insiste -t-il. «Toutes les armes balistiques, comme le M51 [missile mer-sol balistique équipant les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, l’autre composante de la dissuasion nucléaire française], se déplacent à vitesse hypersonique, mais elles ne manœuvrent pas à cette vitesse. C’est là que se situe toute la différence. »
La manœuvrabilité de l’arme hypersonique permet de lui faire effectuer des mouvements, notamment des virages à très grande vitesse pour le rendre ininterceptable. » il faut déjouer les défenses adverses antimissiles, de plus en plus sophistiquées« .
L‘ASN4NG
Il est a priori acquis que le missile ASN4G dépassera la vitesse Mach 5; il pourrait même selon certains spécialistes atteindre Mach 6 ou 7, soit entre 7.400 et 8.600 km/h. Il sera également doté d’une grande manœuvrabilité. Sa portée devrait être de plus de 1.000 kilomètres. Il doublerait ainsi celle de l’ASMPA, ce qui permettra de le tirer de plus loin, et de moins exposer l’appareil et l’équipage qui le portent.
Les pays maitrisant cette technologie
Le Kinjal russe a une vitesse hypersonique, mais sa capacité de manœuvre reste limitée. Les Russes entretiennent le flou sur cette question
Les Iraniens ont annoncé avoir tiré des missiles hypersoniques « Fattah »contre Israël, le 1er octobre 2024. La plupart ont été interceptés par les systèmes de défense israéliens car ces missiles n’effectuent que de légères manœuvres, insuffisantes pour les qualifier d’hypersoniques.
Selon Etienne Marcuz, les USA « n’ont pas encore démontré qu’ils arrivaient à faire quelque chose de véritablement concluant avec leurs armes hypersoniques. »
La Chine avec le DF-17, qui pourrait voler à Mach 10, serait le seul pays assurément en possession d’une arme hypersonique. Selon le spécialiste, «…les Chinois sont véritablement les seuls à pouvoir prétendre détenir une arme hypersonique, sachant qu’ils travaillent dessus depuis très longtemps.» Avant d’ajouter «…en réalité, il n’existe aucune information, non classifiée.... »
La France : le rappel ci-dessus permet de comprendre l’importance stratégique que représentera le missile hypersonique. « la France est excellente dans la conception de missiles, soutient Etienne Marcuz. Le missile de croisière ASMPA, qui va à des vitesses de Mach 3, Mach 4, est déjà un bijou de technologie. C’est donc tout à fait crédible pour la France d’arriver à mettre au point un système hypersonique, même si la technologie est très différente de celle de l’ASMPA, puisque vous passez d’un statoréacteur à un superstatoréacteur [ou statoréacteur mixte, c’est-à-dire un moteur effectuant successivement une combustion subsonique et supersonique], ce qui est beaucoup plus complexe. »
Les défis
- Le Rafale F5 attendu pour 2030-2035 embarquera le missile dont la masse et le poids sont bien supérieurs à l’ASMP actuel. LeRafale F5 Marine, armé de l’ASN4NG devra aussi être catapultable par un porte-avions.
Il pourra aussi être embarqué par le Scaf [Système de combat aérien du futur, qui prévoit la conception d’un nouvel avion de chasse entre la France, l’Allemagne, et l’Espagne], qui sera beaucoup plus gros.
- Il reste à étudier l’adaptation de la TNA (tête nucléaire aéroportée) actuellement emportée par la cinquantaine de missiles ASMPA sur les missiles ASN4G. Les TNA sont des armes stratégiques d’une puissance maximale estimée à 300KT mais inférieure à une bordée de missiles M51 des SNLE. «L’ASN4G devrait rester l’armement privilégié pour le tir d’ultime avertissement» explique Etienne Marcuz.
- La base de Luxeuil devra être équipée de soutes à munitions spécifiques pour accueillir ces missiles nucléaires. « Il faudra par exemple très certainement y déployer des batteries de systèmes antiaériens et antimissiles » rappelle Etienne Marcuz.
POKER 2025
L’opération
Ce 25 mars, la première opération Poker de l’année 2025 était lancée par les Forces Aériennes Stratégiques françaises (FAS).
L’opération Poker demande à l’Armée de l’Air et de l’Espace le déploiement d’un nombre important d’appareils : avions de combat, avions porteurs du missile nucléaire ASMP-A (maquette), ravitailleurs,
Elle a pour objectif de recréer un raid nucléaire complet (ravitailleurs, Rafale B porteurs de maquettes d’ASMP-A, Rafale et Mirage d’escorte,…), devant pénétrer un espace aérien défendu par une force aérienne ennemie et des batteries antiaériennes ennemies. L’exercice engage de nombreux personnels, moyens et ressources de l’AAE pour à la fois créer le raid en tant que tel mais aussi des avions de combat pour la force aérienne adverse ainsi qu’une batterie antiaérienne longue portée SAMP/T.
Sauf exception, c’est une opération totalement française.
L’hypothèse d’une participation européenne ?
Étienne Marcuz, chercheur auprès du FRS, émet une hypothèse intéressante : pourquoi ne pas inclure, lors de certaines opérations Poker, des avions de combat européens ?
Alors qu’un réel raid aérien stratégique français devrait réussir sans aide externe, ajouter des appareils alliés permettrait d’encore augmenter l’efficacité de cette opération. Cet argument prend de la consistance depuis l’arrivée de Donald Trump.
Pratiquement, ces appareils étrangers ne seraient bien évidemment pas porteurs d’ASMP-A mais pourraient en revanche ouvrir la voie au raid, donnant plus de poids aux avions d’escorte français ou encore créer une bulle de défense aérienne autour du raid.
Ces configurations ouvriraient une participation européenne à dissuasion française européenne tout en garantissant l’indépendance de la dissuasion nucléaire française.
GCA (2S) Robert MEILLE
Vice-président de l’ASAF
31/03/2025