NGRC : Airbus, Leonardo et Sikorsky sélectionnés pour plancher sur l’hélicoptère militaire de demain

NGRC : Airbus, Leonardo et Sikorsky sélectionnés pour plancher sur l’hélicoptère militaire de demain


A l’occasion du salon Farnborough, fin juillet, l’Agence OTAN de soutien et d’acquisition (NSPA) a notifié trois contrats de développement à Airbus Helicopters, Lockheed Martin Sikorsky, et Leonardo pour la réalisation d’études conceptuelles détaillées dans le cadre du programme « Next Generation Rotorcraft Capability » (NGRC) de l’OTAN.

Pour rappel, le programme NGRC a été lancé fin 2020 à l’initiative de la France, de l’Italie, du Royaume-Uni, de la Grèce et de l’Allemagne, rejoints par la suite par les Pays-Bas et le Canada, tandis que les États-Unis et l’Espagne conservent un rôle d’observateur au sein du programme. Il vise à concevoir une nouvelle génération d’hélicoptère de transport et d’assaut, dont les caractéristiques générales avaient été abordées dans un précédent article. A la clé : le remplacement de près d’un millier d’hélicoptères de manœuvre à partir de 2035.

Des industriels européens enfin impliqués dans le NGRC

Les trois contrats qui viennent d’être signés forment le cinquième et dernier volet des études préliminaires lancées dans le cadre du NGRC. Rappelons que, outre deux volets portant respectivement sur les technologies et les concepts opérationnels, menés par les états membres eux-mêmes, deux autres volets avaient déjà été attribués à des industriels : une étude portant sur les modes de propulsion pour les futurs hélicoptères, confiée à GE Aerospace, et une autre portant sur les architectures ouvertes et les écosystèmes numériques confiée à Lockheed Martin. Deux industriels américains, alors même que Washington n’a qu’un rôle d’observateur dans ce programme.

Vue d'artiste 3D d'un concept de NGRC d'Airbus
Airbus a dévoilé une vue d’artiste présentant un hélicoptère futuriste d’allure conventionnelle, mais présentant de petites hélices propulsives pour gagner en vitesse en autonomie. Reste à voir si ce sera représentatif de la proposition de l’hélicoptériste européen pour le NGRC. © Airbus

Une situation qui semble enfin s’inverser avec la sélection de deux industriels européens, Airbus et Leonardo, aux côtés de l’américain Sikorsky, filiale de Lockheed Martin. Chacun sera chargé de « réaliser des études détaillées sur les concepts de plateforme dans le cadre du programme Next Generation Rotorcraft Capability (NGRC). » Pas question donc, pour le moment, de financer le développement de prototypes ou même de démonstrateurs, mais simplement de proposer une architecture capable de répondre aux attentes de l’Alliance.

Un NGRC qui s’éloigne du Future Vertical Lift américain… pour l’instant.

Il faudra attendre un peu plus d’un an pour connaître plus en détail ces différentes architectures, même si chaque industriel a déjà exposé son approche générale. Leonardo devrait ainsi continuer dans la voie des rotors basculants (tilt-rotors), déjà adopté pour son AW609 destiné au marché civil. Airbus, de son côté, va sans doute proposer un dérivé de son RACER, en intégrant des hélices propulsives sur une architecture d’hélicoptère relativement conventionnelle. Lockheed Martin Sikorsky, de son côté, va ainsi profiter de ses travaux sur le X2, le S-97 Raider et le SB-1 Defiant, et présenter un engin doté de deux rotors contrarotatifs.

Lockheed Martin Sikorsky : qui perd gagne ?

La sélection par l’OTAN de Lockheed Martin Sikorsky est intéressante à plus d’un titre. Ces dernières années, le géant américain a déployé de gros efforts pour convaincre la NSPA du bien-fondé de sa formule, particulièrement depuis l’échec du SB-1 Defiant dans le cadre du programme FLRAA de l’US Army, et plus encore après l’abandon du programme FARA avant même le premier vol du S-97 Raider. Dès lors, Sikorsky n’a pas d’autre solution que de viser le marché européen – et les fonds de développement de l’OTAN – afin de rentabiliser ses nombreux investissements.

Sikorsky, désormais filiale de Lockheed Martin, s’appuiera sur ses précédents travaux afin d’élaborer une proposition sérieuse pour le NGRC. Sur le papier, la formule à doubles rotors contrarotatifs et hélice propulsive présente de gros avantages en matière de performance, pour une empreinte au sol maîtrisée. Toutefois, de tels engins restent complexes à entretenir sur le terrain. © Lockheed Martin

Pour Washington, une sélection de Sikorsky pour les futures étapes du NGRC pourrait même être vu comme un bon moyen de maintenir une double production d’engins de nouvelle génération, avec un Bell V-280 Valor financé par l’US Army, et un dérivé du Raider financé par l’OTAN et certains pays européens.

Une solution unique pour l’OTAN ?

Heureusement, nous n’en sommes pas encore là. Les différents concepts seront présentés en fin d’année prochaine. Si le programme NGRC se poursuit au-delà, une de ces solutions pourrait être développée et industrialisée à large échelle afin de livrer les premiers clients vers 2035. Et rien n’empêche d’imaginer que, à la suite de la phase actuelle, plusieurs candidats se rapprochent afin de présenter une solution commune aux différents pays membres de l’initiative.

Vue aérienne de l'hélicoptère convertible AW609
Pour l’instant, Leonardo n’a pas dévoilé de vue d’artiste précise de son concept de NGRC. On sait toutefois qu’il sera basé sur les travaux menés dans le cadre du programme civil AW609. Leonardo s’étant récemment rapproché de Bell, on peut également s’attendre à une proposition inspirée du V-280 Valor. © Leonardo

Car, l’histoire nous l’a montré, les programmes otaniens de cette ampleur sont éminemment politiques. Difficile d’imaginer que les pays aujourd’hui à l’origine du NGRC, et qui sont les héritiers d’Agusta Westland, d’Eurocopter et de NHIndustries, acceptent de financer pleinement le développement d’un nouvel hélicoptère si celui-ci devait être confié uniquement à un industriel américain. Et inversement, on imagine bien que la gestion quelque peu chaotique du programme NH90 ne doit pas laisser que de bons souvenirs aux industriels européens.

Dès lors, à moins d’un fort rapprochement entre acteurs européens, à la fois sous l’égide du NGRC et sous l’impulsion du programme européen ENGRT, on risque fort de voir cette initiative de l’OTAN s’éparpiller dans plusieurs directions, au grès des investissements nationaux et des accords entre partenaires. On se rappellera peut-être que, dans les années 1950, le programme NBMR-1 avait échoué à doter l’ensemble de l’OTAN d’un avion d’attaque au sol léger commun. Mais l’élan industriel offert par cette compétition nous avait tout de même donné le G.91 italien, l’Étendard français et, d’une certaine manière, le F-5 américain, autant de symboles de leurs industries nationales respectives. A voir quel chemin prendra le NGRC.

Programme SCAF : La coopération européenne va couter très, très cher à la France

Programme SCAF : La coopération européenne va couter très, très cher à la France

Après des débuts très difficiles, le programme SCAF est parvenu, en 2023, à sortir de l’ornière dans laquelle il se trouvait, grâce à un accord politique imposé fermement par les trois ministres de la Défense français, allemands et espagnols.

Depuis, le programme semble sur une trajectoire plus sécurisée, même si les engagements actuels ne portent que jusqu’à la phase 1b d’étude du démonstrateur, et qu’il sera nécessaire, à nouveau, de renégocier le partage industriel au-delà, ce qui ne manquera pas de créer de nouvelles frictions.

Au-delà des tensions entourant les questions de partage industriel, voire de cahier des charges, divergent selon les forces aériennes, un nouveau sujet de discorde pourrait émerger prochainement, tout au moins en France.

En effet, loin de représenter la solution budgétaire optimisée avancée par l’exécutif français, pour justifier de cette coopération européenne, il apparait que le programme SCAF va couter plus cher, et même beaucoup plus cher, aux finances publiques françaises, comme à ses industriels, que si le programme était développé à l’identique, par la seule base industrielle et technologique aéronautique Défense nationale, avec un écart de cout, pour les contribuables français, pouvant atteindre les 20 Md€.

Sommaire

La Coopération européenne, seule alternative pour financer le développement du programme SCAF, selon l’exécutif français

Depuis le lancement du programme SCAF, le discours de l’exécutif français, pour en justifier le développement conjoint avec l’Allemagne, puis avec l’Espagne, n’a pas dévié d’un millimètre : les couts de développement d’un avion de combat et de son système de systèmes de 6ᵉ génération, sont à ce point élevés, qu’ils ne peuvent plus être supportés par un unique pays européen, fut-il la France.

Macron Merkel
Le programme SCAF a été lancé en 2017 par Emmanuel Macron, tout juste élu Président de la République, et Angela Merkel, alors en plein bras de fer avec Donald Trump.

Le sujet a, à de nombreuses reprises, été abordé sur la scène publique, notamment par les députés et sénateurs français, interrogeant le gouvernement pour savoir si la France était en mesure de développer, seule, un tel programme, en particulier lorsque le programme était au bord de la rupture.

La réponse donnée alors, par l’exécutif comme par la DGA, avançait que si la France devait faire seule un tel programme, celui-ci serait nécessairement moins performant et moins polyvalent, que ne prévoit de l’être SCAF aujourd’hui, pour des raisons essentiellement budgétaires. En d’autres termes, pour le gouvernement français, il n’y avait point de salut, en dehors de cette coopération franco-allemande, puis européenne.

Le programme SCAF en coopération coutera 14 Md€ de moins à la France, que si elle devait le faire seule.

L’étude des chiffres disponibles, aujourd’hui, tendrait, en effet, à accréditer la position gouvernementale. Ainsi, le budget total de R&D de l’ensemble du programme SCAF qui atteindrait les 40 Md€, permettant à chaque participant de ne participer qu’à hauteur de 13,3 Md€, soit, plus ou moins, un milliard d’euros par pays et par an, jusqu’en 2036 et le début de la production des avions eux-mêmes.

Même en tenant compte de la règle empirique qui veut que le codéveloppement engendre un coefficient multiplicateur de surcout équivalent à la racine carrée du nombre de participants, soit 1,73 pour 3 pays, la France économise bien 10 Md€ sur la phase de développement du programme.
Eurofighter Typhoon forces aériennes espagnoles
L’Espagne prévoit de remplacer les 125 Eurofighter en service et à venir, par le programme SCAF.

Cet écart se creuse encore davantage en intégrant les couts d’acquisition des appareils eux-mêmes. Pour étayer cette affirmation, il est nécessaire de poser certaines valeurs de départ. Ainsi, le prix unitaire de l’avion, s’il était produit uniquement en France, sera considéré à 140 m€ TTC, avec une enveloppe complémentaire de services et équipement de 40 m€ TTC par appareil. Nous considérerons, également, que les couts de R&D, pour la France, serait de 30 Md€, et que la France fera l’acquisition de 200 appareils.

Du côté du programme SCAF européen, nous considérerons un surcout par appareil et par services et équipements de 10 %, lié à la coopération (ce qui est très faible), soit respectivement 144 et 54 m€, alors que nous diviserons par deux le coefficient multiplicateur empirique de coopération internationale passant de 1,73 (racine carrée de 3) à 1,37, en admettant une coopération exemplaire entre les trois pays et leurs industriels, et très peu de dérives comme celles observées autour des programmes A400M ou NH90, pour un cout de R&D de 36 Md€.

Enfin, nous considérerons que l’Allemagne commandera 175 appareils, et l’Espagne 125, pour un total de 300 appareils pour ces deux pays, soit le remplacement incrémental de leurs flottes d’Eurofighter Typhoon en 2040. L’ensemble de ces valeurs sont, pour l’essentiel, des valeurs conservatoires, tendant à réduire l’efficacité de la démonstration qui suit.

Sur ces bases, les 200 appareils destinés aux forces aériennes et aéronavales françaises, couteront 36 Md€ aux finances publiques, pour un programme total à 66 Md€, développement inclus, dans le cas d’un programme exclusivement national, contre 40 Md€ pour les appareils, et 52 Md€ pour le programme, dans son format actuel.

porte-avions nouvelle génération
Le programme SCAF France portera probablement sur 200 appareils ou plus, sachant qu’une quarantaine, au moins, seront nécessaires pour armer le nouveau porte-avions nucléaires PANG.

En d’autres termes, dans le cas du programme SCAF, la coopération européenne doit permettre aux finances publiques françaises, d’économiser 14 Md€, soit presque 27 % du prix du programme, par rapport à un programme exclusivement national. Alors, l’exécutif a-t-il raison de clamer le bienfondé de ce modèle ? C’est loin d’être évident, pour deux raisons : le retour budgétaire et les exportations.

Le retour budgétaire neutralise les bénéfices de la coopération sur le budget de l’État concernant le programme SCAF

Le retour budgétaire représente les recettes et économies appliquées au budget de l’État, par l’exécution du programme et de ses investissements. Il fait la somme des impôts et taxes générés directement et indirectement par les investissements, sur l’ensemble de la chaine industrielle, ainsi que des économies sociales pouvant s’appliquer au budget de l’État, du fait de la compensation des déficits sociaux.

Dans cette démonstration, pour plus d’efficacité, nous considérerons deux valeurs bornant le coefficient de retour budgétaire. La première, une valeur planché, est fixée à 50 %, dont 20 % de TVA, et 30 % d’impôts, de taxes et de cotisations sociales. Cette valeur correspond au cout des prélèvements français de l’OCDE, de 42 %, avec une TVA moyenne à 12 %, ramené à une TVA fixe à 20 % appliquée aux équipements des armées.

La seconde valeur applique un coefficient multiplicateur Keynésien aux recettes, lié à la Supply Chain de l’industrie de défense française, presque exclusivement française, entrainant une déperdition export particulièrement faible pour cette activité. En 2010, ce coefficient, en France, était de 1,39 pour l’investissement public. Nous ne prendrons, ici, que 1,3 pour un coefficient de retour budgétaire de 65 %, ce qui représente une valeur plafond largement par défaut, considérant la dimension industrielle et la dimension Defense de l’activité.

Ligne d'assemblage Dassault Aviation Merignac Rafale
L’industrie aéronautique militaire française est très peu exposée aux importations, ce qui lui confère un retour budgétaire particulièrement efficace.

En appliquant ces coefficients aux valeurs précédentes, nous obtenons respectivement un retour budgétaire de 33 Md€ (50 %) et de 42,9 Md€ (65 %), pour un programme exclusivement français, et de 22,5 Md€ (50 %) et 29,3 Md€ (65 %), pour les finances publiques françaises, dans le cas du programme européen.

Remarquez que dans ce dernier cas, nous avons appliqué un partage équipotentiel industriel entre les trois pays sur le volume total des appareils commandés, soit l’équivalent de 166,6 (=500/3) appareils produits en France.

Le solde budgétaire, la différence entre les dépenses et les recettes, s’établissent alors comme ceci :

  • Solde avec un retour budgétaire de 50 % (hypothèse basse) : – 33 Md€ pour le programme Fr, – 29,1 Md€ pour le programme EU
  • Solde avec un retour budgétaire de 65 % (hypothèse classique) : – 23,1 Md€ pour le programme Fr, – 22,4 Md€ pour le programme EU.

On le voit, une fois le retour budgétaire appliqué, la différence de cout entre les deux programmes, selon qu’ils sont exclusivement français ou en coopération européenne, à périmètre d’investissement constant, tend à considérablement se réduire, allant de 3,9 (33-29,1 Md€ en hypothèse basse) jusqu’à 0,7 Md€ (23,1-22,4 Md€ en hypothèse classique), selon les hypothèses.

Les industriels français pourraient perdre jusqu’au 55 Md€ de chiffre d’affaires sur le marché export en raison du partage industriel

Le volet des exportations a toujours représenté un sujet d’inquiétudes, en France, autour du programme SCAF. Industriels et analystes craignaient, en effet, de voir Berlin imposer son véto sur certains contrats exports clés, comme c’est le cas aujourd’hui avec la Turquie, concernant le Typhoon. Si les inquiétudes portaient bien sur le bon sujet, il est probable qu’elles ne portaient pas sur le bon volet.

Rafale Forces aériennes helléniques
Cinq des huit opérateurs de Mirage 2000 se sont déjà tournés vers le Rafale, alors qu’un sixième, le Pérou, pourrait le faire prochainement.

En effet, le principal inconvénient, concernant le programme SCAF, au sujet des exportations, n’est pas lié au périmètre ni au possible droit de véto de Berlin, mais à la ventilation de l’activité industrielle, en exécution de ces commandes internationales.

Ainsi, dans le cas d’un programme national, l’activité générée sera intégralement exécutée en France, par la BITD française, alors qu’elle sera équitablement répartie entre les trois partenaires, dans le cas du programme européen.

Ici, nous considérerons que le cout unitaire d’un appareil vendu à l’exportation équivaut à son prix unitaire hors taxe, auquel s’ajoutent deux lots d’équipements et services, contre un seul pour les armées Fr/De/Es employé précédemment.

Dans le cas d’un programme national, le chiffre d’affaires France hors taxes, réalisé pour 100 appareils exportés égale 18,3 Md€, 200 appareils pour 36,7 Md€, 300 appareils pour 55 Md€ et 400 appareils pour 73,3 Md€. Ce même CA HT pour la France, dans le cas du programme européen, égale 6,7 Md€ pour 100 appareils, 13,4 Md€ pour 200 appareils, 20,2 Md€ pour 300 et 26,9 Md€ pour 400 avions exportés.

De fait, la différence de Chiffre d’Affaires entre le programme France et européen, pour la BITD française, va de 11,6 Md€ à 46,4 Md€, en faveur du programme français, soit l’équivalent de 140 000 à 557 000 emplois annuels pleins. Sur une période de 40 ans de production (hypothèse haute), la différence représente de 5 600 à 22 300 emplois à plein temps.

L’État Français va perdre jusqu’à 24 Md€ sur le programme SCAF, en raison de la coopération européenne

Cependant, l’intérêt des exportations, pour la France, n’est pas uniquement que de créer de l’activité industrielle et des emplois. Celles-ci génèrent, en effet, des recettes supplémentaires au budget de l’État, de la même manière que précédemment, au travers d’un coefficient de retour budgétaire.

N’étant pas soumis à TVA, ce coefficient est toutefois réduit de 20 %, et les deux valeurs balises précédemment employées, se transforment donc en 50%-20%=30%, valeur planché, et 65%-20%=45 %, valeur plafond.

NGF programme SCAF
Le NGF ne représente qu’un élément du programme SCAF dans son ensemble.

Une fois appliquées aux chiffres d’affaires France générés selon l’hypothèse d’exportation, nous obtenons donc :

Retour export (30 %) Programme Fr Programme Eu Différence (m€)
100 app. exportés 5 500 2 017 3 483
200 app. exportés 11 000 4 033 6 967
300 app. exportés 16 500 6 050 10 450
400 app. exportés 22 000 8 067 13 933
Retour budgétaire appareils exportés, hypothèse à 30 %, en million d’euros.
Retour export (45 %) Programme Fr Programme Eu Différence (m€)
100 app. exportés 8 250 3 025 5 225
200 app. exportés 16 500 6 050 10 450
300 app. exportés 24 750 9 075 15 675
400 app. exportés 33 000 12 100 20 900
Retour budgétaire, appareils exportés, hypothèse à 45 %, en million d’euros.

En intégrant le solde budgétaire étudié dans la précédente section, pour les acquisitions nationales, nous obtenons donc le tableau suivant :

Solde budgétaire France total du programme SCAF, en million d’euros – en gras les seuils autoporteurs

On le voit, le seul cas dans lequel le programme SCAF Européen, s’avérerait plus performant, budgétairement parlant, qu’un programme SCAF français identique, s’observe avec un retour budgétaire en hypothèse basse de 50 % / 30 %, et avec un total export de 100 appareils, ou moins.

GCAP Tempest Royal Air Force Farnborough 2024
La Grande-bretagne prévoit d’injecter 12 Md£ dans la R&D du programme GCAP, concurrent du SCAF.

À l’inverse, dans le cas d’un retour budgétaire à 65 % / 45 %, par ailleurs loin d’être une hypothèse peu probable concernant l’industrie de défense, le programme SCAF serait non seulement jusqu’à 20 Md€ plus performant en version nationale, mais à partir de 300 appareils exportés, il atteindrait même un solde budgétaire positif, pour les finances publiques, signifiant qu’il rapporterait davantage de recettes et économies budgétaires, qu’il n’aura couté à l’état.

Or, 300 appareils, c’est précisément le nombre de Rafale aujourd’hui exportés, alors que Dassault Aviation peut, dans les mois et années à venir, d’accroitre encore considérablement ce total des ventes. Rappelons également que 70 % des pays utilisateurs de Mirage 2000 se sont tournés vers le Rafale à ce jour, et que le Pérou pourrait bien faire de même prochainement, et que le nombre de Rafale exporté excède désormais celui des Mirage 2000.

Conclusion

On le voit, programme SCAF, dans son organisation européenne actuelle, est loin d’être justifiable par des arguments budgétaires, et encore moins par d’éventuels arbitrages technologiques défavorables, s’il devait être réalisés seul. Au contraire, en dehors de la phase de R&D initiale, toutes les autres phases industrielles, se montrent beaucoup plus efficaces, budgétairement, socialement, comme en termes d’emplois créés, dans l’hypothèse d’un modèle exclusivement national.

Notons, enfin, que si la coopération facilite, aujourd’hui, le financement du programme dans sa phase initiale de R&D, nombreux sont ceux qui, autour de ce programme, s’inquiètent de la marche budgétaire considérable qu’il devra franchir, à partir de 2031, lorsque la phase industrielle débutera, et que le partage des couts perdra de son efficacité.

SCAF Robles Lecornu Pistorius
Il aura fallu l’intervention des trois ministres de la défense Lecornu (fr), Robles (Es) et Pistorius (All) pour sortir de programme SCAF de l’ornière dans laquelle se trouvait le programme depuis 3 ans.

De fait, une fois mis en perspectives l’ensemble des aspects budgétaires, mais également les difficultés industrielles rencontrées lors des négociations, le volet social, et les risques directement liés aux programmes en coopération, il apparait que rien, aujourd’hui, ne plaide en faveur de la poursuite de SCAF dans son modèle actuel, si ce n’est un dogme politique plébiscitant la coopération européenne, et l’éventuelle volonté de masquer des dépenses à venir, qu’il sera difficile de financer, par des dépenses plus aisément soutenables aujourd’hui, sur la phase de développement.

D’ailleurs, la situation est strictement la même, mais en faveur de l’Allemagne cette fois, concernant le programme MGCS, Berlin disposant effectivement de l’ensemble des compétences, et du marché international captif avec le Leopard 2, pour developper seul son nouveau char, et le rentabiliser, budgétairement, par l’exportation, ce qui sera beaucoup plus difficile à faire, pour Paris. Cependant, Berlin sait pouvoir financer seul le développement du MGCS, le cas échéant, ce qui n’est pas le cas de la France, aujourd’hui, concernant le programme SCAF, tout au moins dans le contexte politique et budgétaire du moment.

Reste qu’entre un programme à 12 ou 15 Md€, pour 300 chars de nouvelle génération, et un programme à 70 Md€, pour 200 avions de combat, il est impossible de compenser l’un par l’autre, et les pertes d’exploitation et de recettes budgétaires liées au partage au sein du programme SCAF, par celles qui seront générées par le programme MGCS, font de cet accord global franco-allemand SCAF + MGCS, un puissant tremplin pour l’industrie allemande, sans réelles contreparties pour la partie française, bien au contraire.

Article du 5 aout en version intégrale jusqu’au 14 septembre 2024

À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

« Il faut amener l’effort de défense pour les armées françaises à 3 % du PIB, comme pendant la guerre froide ! » Cette phrase, vous l’avez certainement entendue ces derniers mois, si vous suivez l’actualité défense française ou européenne.

En effet, les évolutions de la menace, en particulier en Europe, et même concernant la dissuasion nucléaire, jettent le doute sur la pertinence du seuil des 2 % visé par la LPM 2024-2030, qui semble incapable de donner aux armées les moyens nécessaires pour accomplir raisonnablement leurs missions à venir.

Comme c’est souvent le cas, ce type de certitudes s’appuie davantage sur un puissant ressenti, ainsi que sur certains raccourcis historiques, économiques, sociaux et même militaires, que sur une analyse construite de l’hypothèse.

Alors, à quoi pourraient ressembler les Armées françaises, si celles-ci venaient, effectivement, à disposer d’un budget équivalent à 3 % du PIB du pays ? Cette hypothèse est-elle efficace pour répondre aux menaces ? Surtout, est-elle réaliste et applicable, face aux nombreux défis et aux contraintes auxquelles les armées doivent répondre ?

Sommaire

L’évolution de l’effort de défense français de la Guerre Froide aux bénéfices de la Paix

De 1950 à 1970, les dépenses de défense de la France, représentaient, en moyenne, 5 % de la richesse produite chaque année par le pays. Ce taux, très élevé, s’explique par l’action conjuguée de la guerre Froide et de la menace soviétique, particulièrement pressante sur cette période, mais également par les deux guerres coloniales auxquelles elles ont participé, en Indochine puis en Algérie.

Mirage IV
Le Mirage IV a porté la composante aérienne de la Dissuasion frnaçaise de 1964 à 2005

Surtout, sur la même période, le pays s’est reconstruit des conséquences de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande, avec un très important effort de réindustrialisation et dans certains domaines technologiques, dont le nucléaire, ce qui transforma profondément l’économie du pays.

Ainsi, le PIB par habitant en France est passé de 10 500 à presque 16 000 $ sur la décennie 1960-1970. Le PIB du pays, quant à lui, est aussi passé de 15 Md$ en 1950 à 126 Md$ en 1970, pour s’envoler à 1060 Md$ en 1990, et 2650 Md$ en 2022. Même compensé de l’inflation, on comprend les raisons qui obligeaient la France à consacrer de tels pourcentages à son effort de défense jusqu’en 1970, et une partie des raisons ayant entrainé la baisse de cet effort, à partir de 1980.

Difficile, dans ces conditions, de comparer l’effort de défense en 1970 de 3,06 %, et celui qui est consacré aujourd’hui à cette même fonction par le pays, tant les contextes économiques, sociaux, politiques, industriels, technologiques et même internationaux, sont sans comparaison avec ce qu’ils étaient alors.

Les limites du seuil à 2 % du PIB pour l’effort de défense français

Pour autant, les armées en reconstruction, avec un effort de défense autour de 2%, apparaissent bien inadaptées pour répondre aux enjeux sécuritaires qui se dessinent, en particulier depuis la transformation de l’économie et de la société russe, mettant les armées et l’industrie de défense, au cœur de l’action de l’état.

SNLE Triomphant
Le SNLE Triomphant doit rester indétectable pour assurer sa mission de dissuasion

Et pour cause, avec un effort de défense à 2 % PIB, la dissuasion française ne pourra s’appuyer que sur 4 SNLE et deux escadrons de bombardement stratégique, l’Armée de Terre sur une forte opérationnelle terrestre forte de seulement 77 000 militaires d’active, renforcé, il est vrai, par une grande partie des 80 000 gardes nationaux.

Cette force est armée d’uniquement 200 chars de combat, 600 véhicules de combat d’infanterie et à peine plus d’une centaine de systèmes d’artillerie, et 10 à 20 lance-roquettes à longue portée, soit bien moins que ce que produit l’industrie de défense russe en une seule année.

La Marine nationale n’est pas mieux lotie, avec son unique porte-avions, une aberration opérationnelle, ses six sous-marins d’attaque, ses trois porte-hélicoptères dont un servant de navire école, et sa quinzaine de frégates de premier rang, pour un pays dont la métropole a trois façades maritimes, et qui a la plus grande zone économique exclusive repartie sur tous les océans de la planète.

L’Armée de l’Air et de l’Espace, enfin, a dû ramener sa chasse à 185 appareils, dont une trentaine sont consacrées à la seule mission nucléaire, une cinquantaine d’avions de transport tactique et stratégique, une quinzaine d’avions ravitailleurs et quatre Awacs, moins de dix batteries antiaériennes et antimissiles à longue portée. Elle ne dispose même plus d’appareils d’entrainement à hautes performances, pour la formation de ses pilotes de chasse, et l’entrainement des pilotes et abonnés dans les escadrons.

Rafale Armée de l'Air
Avec seulement 185 avions de combat, l’Armée de l’Air et de l’Espace ne dispose pas du format nécessaire pour soutenir, sur la durée, un conflit de haute intensité.

La défense étant un exercice relatif, il convient de comparer ce format des armées françaises à 2 % PIB, fortes de 208 000 hommes, avec les armées russes, disposant d’un budget de 110 Md$ équivalent à 10 % du PIB, fortes de 1,5 million d’hommes, alignant 12 SNLE, plus de 500 missiles stratégiques ICBM, une centaine de bombardiers stratégiques, 2500 à 3500 chars, 5000 véhicules de combat blindés et d’infanterie, plus de 2000 canons automoteur et lance-roquettes, 300 batteries antiaériennes à longue portée, et un millier d’avions de combat.

Certes, la France n’est pas seule pour s’opposer à la menace russe en Europe, et beaucoup de pays produisent d’importants efforts pour rééquilibrer le rapport de force défavorable. Pour autant, les armées françaises disposent, en Europe, de moyens détenus, à part par elles, uniquement par l’allié américain, voire par les britanniques dans certains cas.

Quelles pourraient être les armées françaises si la France consacrait 3 % au budget des armées.

Dans ce contexte, porter l’effort de défense à 3 %, permettrait-il de rétablir un rapport de force favorable, face à la menace russe et mondiale, en Europe et ailleurs ? Ce serait, comme nous le verrons, probablement le cas.

Ainsi, les évolutions de format des armées, en passant de 2 à 3% du PIB, seraient bien plus sensibles qu’elles ne le furent en passant de 1,5 à 2 %, de 2016 à 2024. En effet, à l’issue de cette première hausse, qui permit avant tout de ramener les armées à un point d’équilibre budgétaire sur le format qui est le leur, les forces françaises respectent toujours les volumes visés par le Livre Blanc de 2013, que ce soit en termes d’hommes, de blindés, d’avions et de navires.

Armées françaises Leclerc
La LPM 2024-2030 ne prévoit ni de remplacer le char Leclerc, ni d’augmenter les 200 exemplaires devant être modernisés, dans l’attente du MGCS qui devrait arriver au delà de 2040.

À l’inverse, passer à 3 %, permettrait de s’appuyer sur l’ensemble des investissements de fonctionnement et de développement déjà couverts par le passage à 2 %, pour consacrer les efforts, précisément, à une évolution de format sensible. Car, avec un PIB 2023 de 2650 Md€, un effort de défense à 3 % permettrait au budget des armées de passer de 47 Md€ à presque 80 Md€, soit une plus-value de 30 Md€.

Une dissuasion française à nouveau dimensionnée pour contenir la menace russe

Face à la menace russe, et la possible réorganisation de la dissuasion européenne, un budget défense à 80 Md€, permettrait d’augmenter sensiblement le potentiel opérationnel de la dissuasion française, en passant notamment de 4 à 6 SNLE.

Avec 6 SNLE, la Marine nationale pourrait, en effet, maintenir en permanence deux navires à la mer, et un troisième en alerte à 24 heures, sur une durée illimitée, contre un navire en patrouille, et un en alerte aujourd’hui.

Or, la montée en puissance de la flotte sous-marine russe, mais également l’arrivée aussi massive qu’inévitable de drones sous-marins de surveillance, augmenteront, dans les années à venir, le risque qu’un SNLE à la mer puisse être compromis, donc incapable d’assurer sa mission de dissuasion.

Or, si un sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer a, admettons, 1 % de se faire détecter lors de sa patrouille par ces nouveaux moyens, un risque que l’on peut juger relativement faible, cela signifie également que la posture de dissuasion française, donc européenne, serait menacée 3,5 jours par an. Il suffirait à l’adversaire d’être un minimum patient, pour éliminer potentiellement ce risque.

Iskander-M Russe
La dissuasion française doit disposer d’un système équivalent au système balistique sol-sol à courte portée Iskander-M pour disposer de l’ensemble du vocabulaire requis pour le dialogue de dissuasion avec Moscou.

Avec 2 navires à la mer, le risque que les deux navires soient, simultanément, compromis, ne représente plus que 0,01 % du temps, soit à peine 1 jour tous les trente ans. Le rapport au temps, ici, pour une crise qui se déroule sur plusieurs mois, voire une ou deux années, plaide effectivement, dans ce contexte, pour une flotte à 6 SNLE, plutôt que 4.

Au-delà de la flotte océanique stratégique, la posture de dissuasion française pourrait voir sa composante aérienne passer de 2 à 3 escadrons, et de doter à nouveau l’Armée de Terre de régiments dotés de missiles balistiques à courte portée et capacités nucléaires, pour répondre à la menace des Iskander-M russe.

Enfin, il conviendrait de permettre aux missiles de croisière navals, le MdCN et son futur remplaçant, de transporter, au besoin, une tête nucléaire, là encore, pour se doter de capacités en miroir de celles en service en Russie, et ainsi disposer d’un vocabulaire de dissuasion aussi fourni que peut l’être celui de Moscou.

Une nouvelle division blindée pour l’Armée de Terre

L’Armée de terre serait, en bien des domaines, celle qui bénéficierait le plus d’un passage à un effort de défens à 3 % PIB. Elle pourrait, ainsi, se doter d’une troisième division organique qui, pour le coup, serait conçue comme une division blindée, avec une brigade blindée de rupture, deux brigades d’infanterie mécanisée, et une brigade de soutien, soit une force de 40 000 hommes, 350 chars de combat, 700 véhicules de combat d’infanterie et blindés de combat et de reconnaissance, 1500 blindés multirôles Griffon et Serval, une centaine de tubes de 155 mm, autant de mortiers et de pièces de DCA mobiles, ainsi que quarante hélicoptères.

Division blindée france
L’Armée de Terre ne dispose que de deux brigades lourdes, disposant d’un régiment de chars.

Conçue spécifiquement pour être employée en Europe orientale face à un adversaire symétrique, cette division pourrait être très majoritairement constituée de régiments de Garde nationaux, ou de conscrits choisis (ce qui sera abordé plus bas), pour répondre à un risque de très haute intensité, mais dont la probabilité demeure faible.

En outre, une brigade mécanisée supplémentaire, elle aussi composée majoritairement de gardes nationaux et de conscrits choisis, serait intégrée à chaque division existante, avec l’objectif de renforcer la masse de ces divisions, et surtout d’assurer les capacités de rotation des forces et des matériels, au niveau organique de la division, avec des forces déjà intégrées.

En procédant ainsi, la Force Opérationnelle Terrestre serait doublée, pour atteindre 150 000 hommes, mais verrait certains de ses moyens tripler, comme les chars de combat et l’artillerie. Certains nouveaux moyens pourraient également rejoindre les brigades de l’Armée de terre, comme, on peut l’espérer, dans le domaine de la défense antiaérienne et des drones.

Permanence du Groupe aéronaval et des flottilles d’action navale de la Marine nationale

La Marine nationale verrait sensiblement ses moyens augmenter, sans atteindre une évolution aussi importante que celle de l’Armée de Terre. Elle recevrait, ainsi, deux sous-marins nucléaires d’attaque supplémentaires, sans qu’il soit vraiment possible, cependant, d’aller au-delà, eu égard à la difficulté de créer des tranches nucléaires dans les équipages, d’autant que 2 SNLE supplémentaires ont été évoqués précédemment.

PANG Marine Nationale
La Marine nationale n’aura qu’un unique porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ce qui pose de serieux problèmes quant à la disponibilité du groupe aéronaval.

Pour renforcer la flotte sous-marine, face à la trentaine de sous-marins nucléaires russes, et autant de sous-marins conventionnels, celle-ci se verrait dotée d’une flottille de sous-marins conventionnels et/ou de drones sous-marins de grande taille. Ces navires devront assurer la protection des arsenaux, de la base sous-marine stratégique de l’ile-longue, et éventuellement de certains territoires ultramarins, et ainsi libérer la flotte de SNA de ces tâches.

La flotte de surface, elle, verrait ses capacités s’étendre, notamment avec l’entrée en service de deux porte-avions légers, des navires de 40 000 tonnes à propulsion conventionnelle, destinés à assurer la permanence opérationnelle du groupe aéronavale aux côtés du porte-avions nucléaire, sans avoir les couts de ce dernier, et ayant l’immense avantage de pouvoir être potentiellement exportés.

La flottille de frégates serait, elle aussi, étendue, avec deux frégates antiaériennes et cinq frégates anti-sous-marines supplémentaires, ainsi que 11 corvettes lourdes ou frégates légères, pour remplacer les frégates de surveillance et les frégates légères furtives. La flotte de patrouilleurs et d’OPV, elle, demeurerait inchangée.

Doublement de la chasse et de la défense antimissile de l’Armée de l’Air et de l’Espace

L’Armée de l’air et de l’Espace pourrait, enfin, retrouver un format suffisant pour s’engager dans un conflit de haute intensité, avec une douzaine d’escadrons de chasse tactique, en plus des trois escadrons de chasse stratégiques déjà abordés, soit 240 chasseurs tactiques pour un total de 300 avions de combat, contre 185 aujourd’hui.

Rafale Neuron
L’acquisition de drones de combat et de remote carrier est indispensable pour permettre à l’Armée de l’Air et à la MArine nationale d’évoluer dans des espaces contestés.

Ces escadrons pourront, en outre, recevoir le futur drone de combat du Rafale F5, probablement 200 à 300 exemplaires, et plusieurs centaines de drones aéroportés légers Remote Carrier, pour disposer d’une importante capacité de suppression des défenses adverses.

La flotte de transport et de soutien, elle aussi, croitrait conséquemment, avec une flotte de transport amenée à 60 appareils contre 45, 25 avions ravitailleurs contre 15, et 6 avions Awacs contre 4. La flotte d’hélicoptères, notamment pour les missions SAR, évoluerait proportionnellement à la flotte de chasse.

La défense antiaérienne et antimissile pourrait être renforcée, notamment pour pouvoir, le cas échéant, mettre en œuvre un bouclier antimissile sur un large périmètre, alors que les défenses antiaériennes à courte et moyenne portée évolueraient proportionnellement aux besoins, c’est-à-dire à l’évolution de la menace, et du nombre de bases et de sites à protéger.

Enfin, dans le domaine spatial, l’AAE pourrait se voir doter de satellites de reconnaissance et de communication supplémentaires, tant pour en étendre la couverture que pour couvrir le risque d’attrition.

40 000 militaires d’active, 40 000 gardes nationaux et 80 000 conscrits sélectionnés supplémentaires, pour 28 Md€ de surinvestissements par an

la mise en œuvre de l’ensemble de ces évolutions, nécessiteraient un profond changement dans le format des armées. Celles-ci devront, en effet, recruter 40 000 militaires d’active supplémentaires pour atteindre les 250 000 hommes et femmes en 2035. Ces militaires formeront essentiellement les cadres des nouvelles unités, et capacités ainsi créées, en particulier au sein de l’Armée de terre, et permettront de renforcer certaines capacités exclusivement aux mains des militaires d’active, comme en matière de dissuasion.

Recrutement armées françaises
Le recrutement et la fidelisation des effectifs est un défi pour toutes les armées occidentales.

L’essentiel de l’évolution du format, quant à lui, s’appuierait sur une nouvelle augmentation de la réserve opérationnelle, qui passerait des 80 000 visés par la LPM 2024-2030, à 120 000 Gardes nationaux en 2035, mais aussi par la mise en place, comme dans les pays scandinaves, d’une conscription obligatoire sélective, n’intégrant que 10 % d’une classe d’âge, soit 80 000 jeunes par an.

La mise en œuvre de ce format nécessiterait au minimum 10 ans, probablement 15, en particulier pour ne pas venir sur-dimensionner inutilement les capacités de l’industrie de défense française, et que son format de sortie, corresponde effectivement aux besoins de renouvellement des équipements des armées, et du marché international potentiellement adressable.

En matière de surcouts, étalés sur 10 ans, les couts d’acquisition des équipements représentent entre 16 et 18 Md€ annuels linéarisées, les couts de maintenance et d’entrainement 5 à 6 Md€ à termes, et les surcouts concernant les ressources humaines, 7 à 9 Md€, pour un total de 28 Md€ (en euro 2024), à 35 Md€ (en euro 2035 probables), soit dans le périmètre budgétaire libéré par le passage à un effort de défense à 3 % PIB.

Des défis difficiles à relever pour atteindre ces objectifs

On le voit, passer à un effort de défense à 3 % PIB, induirait une évolution de format très sensible des armées françaises, avec parfois des capacités multipliées par deux, comme dans le cas de la FOT, de la flotte de chasse, ou du potentiel aéronaval.

Haute intensité Leclerc
Pour accroitre les capacités opérationnelles, il sera indispensable d’accoitre sensiblement les effectifs, donc de relever le défi RH des armées.

Pour autant, la mise en œuvre d’un tel objectif, se heurte à de nombreuses difficultés et obstacles, qui ne peuvent être ignorés, et qui sont loin d’avoir des solutions évidentes.

L’écueil des ressources humaines et le retour à une conscription obligatoire sélective

Le premier, et certainement le plus important, n’est autre que les grandes difficultés que rencontrent les armées, aujourd’hui, pour attirer des candidats satisfaisants, pour armer l’ensemble des postes disponibles, alors que le format est restreint. Dans ce contexte, comment imaginer pouvoir recruter les 40 000 militaires d’actives, et les plus de 100 000 réservistes d’active indispensables à la mise en place du nouveau format ?

L’obstacle est, certes, de taille, mais il n’est pas sans solution. En premier lieu, le passage à 3 % PIB libère davantage de crédits qu’employés par le changement de format. Les crédits supplémentaires, de l’ordre de 3 Md€/an, peuvent être employés pour accroitre l’attractivité de la fonction militaire.

En second lieu, une telle transformation des armées françaises, et les acquisitions de matériels qui seront annoncées, engendreront une attractivité renforcée de la fonction militaire, mais aussi de nombreuses occasions de communiquer sur l’évolution du risque international, et la nécessité de participer à l’effort de défense. Ce type de message, dans ce type de contexte, a souvent fait émerger de nombreuses vocations par le passé.

Recrutement Armée de terre
L’évolution du format des armées permettra de multiplier les supports de communication pour améliorer le recrutement.

Enfin, l’hypothèse retenue, ici, est de s’appuyer sur un retour à la conscription, une mesure probablement indispensable pour répondre aux enjeux. Cependant, il ne s’agirait pas de remettre en œuvre le service militaire tel qu’il était connu, en France, par le passé, mais de s’appuyer sur un service militaire obligatoire, mais sélectif, comme mis en oeuvre, avec succès, dans les pays scandinaves depuis plusieurs années.

Associés à une image sélective extrêmement valorisante pour la future vie professionnelle, les conscrits sélectionnés ne viendraient pas, ainsi, saturer les infrastructures des armées, qui pourront faire évoluer le nombre de conscrits à leurs infrastructures disponibles et besoins existants. En outre, les armées sélectionnant les candidats, les difficultés rencontrés par le Service militaire par le passé, en matière d’encadrement, seraient largement diminuées.

Enfin, le service militaire sélectif, a le potentiel de créer une base très efficace pour améliorer le recrutement des armées, et de la Garde Nationale, permettant d’atteindre bien plus aisément les objectifs préalablement établis dans ces deux domaines.

La transformation de l’outil industriel de défense et le défi de la Supply Chain

Le second défi majeur à relever, pour parvenir à mettre en œuvre une évolution aussi importante, concerne la transformation de l’outil industriel de défense, qui va devoir livrer, sur une période relativement courte, un nombre très élevé d’équipements parfois très complexes, et nécessitant des infrastructures industrielles rares et très onéreuses, ainsi qu’une main d’œuvre qualifiée, tout aussi rare, et tout aussi onéreuse.

Nexter usine
L’industrie de défense française devra évoluer en volume et capacités, mais de manière raisonnée.

Dans le même temps, cette transformation de l’outil industriel, doit aussi se faire de manière raisonnée, afin que l’outil résultant, en sortie de cette phase de croissance rapide, puisse être maintenu en activité, par l’action conjuguée du renouvellement des équipements des armées françaises, ainsi que les commandes à l’exportation.

Enfin, cette évolution raisonnée et contrôlée de l’outil industriel, doit concerner aussi bien les grands groupes de la BITD, tels Nexter, Thales, Dassault ou Naval Group, que l’ensemble de la Supply Chain. Or, si ces grands groupes ne rencontreront certainement aucune difficulté pour financer leur croissance, ce n’est pas le cas de cette Supply Chain, que l’on sait être sévèrement handicapée, aujourd’hui, par le manque de soutien du secteur bancaire.

Pour donner à corps à cet objectif, il sera donc indispensable de résoudre le problème d’accès au crédit des ETI et PME de la BITD auprès du réseau bancaire national, probablement par des voix légales et avec la mise en place d’un système de garantie d’état, sous couvert d’une grande cause nationale.

Comment financer l’effort de défense face à la dette et aux déficits ?

Reste, évidemment, l’écueil du financement qu’une telle augmentation du budget des armées, ne manquera pas de faire émerger, face à la situation socio-économique du pays, et en particulier concernant sa dette souveraine, et son déficit public.

Naval Group Lorient FDI
Le recrutement de la main d’oeuvre sépcialisée par l’indsutrie de défense, sera également un enjeu d’une transformation importante des armées françaises.

Pour autant, en tant que lecteur assidu de Meta-Defense, vous savez que plusieurs solutions peuvent être envisagées, pour que le « Quoiqu’il en coute Défense« , que le passage de l’effort de défense à 3 % entrainerait, ne se solde pas, comme pour le Covid, par l’explosion de la dette et des déficits.

Le principe de la « Défense à Valorisation Positive« , permettrait déjà de sensiblement diminuer le poids budgétaire de cette hausse des investissements engendrerait sur les finances publiques. Il s’agit, ni plus ni moins, que de tenir compte des recettes sociales et fiscales, mais également des économies sociales, que l’augmentation des dépenses d’état va engendrer, par la création d’emplois directs, indirects et induits, dans les armées, la BITD, la Supply Chain et la société civile.

Selon les démonstrations déjà effectuées, ce montant atteint et dépasse les 50 % des sommes investies dans l’industrie de défense, et 30 % concernant les dépenses d’effectifs. En tenant compte de la hausse probable des exportations d’équipements de défense français, consécutives de la hausse des commandes françaises et des capacités industrielles disponibles, le retour budgétaire d’état sur l’investissement industriel peut atteindre, et même dépasser, les 75 %, et venir flirter avec les 100 %, si l’on considère les économies sociales conséquences de la création d’emplois dans la BITD.

Le second axe pour réduire les effets de cette hausse des investissements défense français, sur la dette souveraine et les déficits sociaux, repose sur l’intervention de l’Union européenne sur son propre périmètre. Il serait possible, de cette manière, de sortir du déficit de calcul, la différence d’investissement entre les 2 % visés par la LPM, et les 3 % évoqués ici, du fait du rôle que les armées françaises auraient concernant la sécurité européenne, notamment en termes de dissuasion.

Conclusion

Nous voilà au terme de cette longue analyse. Il apparait, comme évoqué, que si la France a bien connu un effort de défense de 3 % de son PIB, voire davantage, par le passé, la justification de la soutenabilité d’un tel effort, par cette seule référence historique, est bien insuffisante, tant les différences sont nombreuses concernant l’ensemble des données économiques et sociales entre les deux époques.

MMP Akeron Armée de terre
À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ? 17

En revanche, les Armées françaises pourraient, effectivement, avoir un format et des capacités opérationnelles, donc dissuasives, bien plus importantes, y compris proportionnellement parlant, en passant de 2 à 3 % d’effort de défense, alors que l’ensemble des défaillances constatées aujourd’hui, les concernant, y trouveraient leurs solutions.

Pour y parvenir, il sera cependant nécessaire de relever de très nombreux défis, particulièrement complexes. Non que la tâche soit impossible, d’ailleurs. Il existe, en effet, des solutions efficaces tant pour répondre aux difficultés de recrutement, que pour financer la mesure sans creuser les déficits, et pour accompagner l’indispensable changement de format de la BITD.

De fait, amener l’effort de défense français à 3 % du PIB est, effectivement, possible, et certainement plus que souhaitable. Mais il faudra bien plus qu’une simple conviction, exprimée avec passion, pour y parvenir. Comme c’est souvent le cas pour les questions de défense.

Article du 15 février en version intégrale jusqu’au 2 aout 2024.

L’Occident doit « se préparer à des temps très durs » : l’alerte du chef d’état-major des armées françaises

L’Occident doit « se préparer à des temps très durs » : l’alerte du chef d’état-major des armées françaises

Thierry Burkhard, le 26 juin 2024, à Paris ( AFP / BERTRAND GUAY )
 
information fournie par Boursorama avec Media Services 28/08/2024

Le général Thierry Burkhard a mis en garde les dirigeants de grands groupes français face à la « récusation du modèle occidental » qui gagne le monde.

« On va devoir vivre avec ». Devant un parterre de dirigeants d’entreprises, le chef d’état-major des armées françaises a prévenu face à la remise en cause inexorable du « modèle occidental » à travers le monde, appelant à « se préparer à des temps assez durs, sinon très durs, pour l’Occident ».

« On entre résolument dans une nouvelle ère, un Occident qui est contesté (…) et une fragmentation de l’ordre international extrêmement forte« , a averti le général Thierry Burkhard devant les responsables du Medef et de dix grands groupes français, mardi 27 août.

Cet ordre international « a été fondé sur le droit, construit par le monde occidental et on nous reproche de l’avoir construit pour le monde occidental », a-t-il ajouté, décrivant « en parallèle la montée d’un ordre alternatif (…) qui veut nous pousser dehors ».

Garnir les effectifs

Le général intervenait à Paris lors d’une cérémonie de lancement du partenariat ProMilès entre ces groupes et l’armée, visant notamment la reconversion des soldats blessés dans le secteur privé, le renforcement de la réserve et l’emploi des conjoints de militaires. En avril, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait indiqué vouloir moderniser le recensement pour identifier « en continu » les compétences de volontaires susceptibles de renforcer la réserve militaire. Le président de la République, Emmanuel Macron, veut doubler le nombre de réservistes, actuellement de 40.000, qui viennent en appui des plus de 200.000 militaires de l’armée française.

« Le recours à la force est désinhibé et apparaît comme la manière la plus forte d’imposer sa volonté et de résoudre les différends », a poursuivi le général Burkhard.  » Ne croyons pas qu’on va revenir au monde d’avant. Ce qui se met en place, on va devoir vivre avec ».

Les entreprises concernées, du domaine militaire (KNDS, Thalès, Dassault Aviation…) ou non (Société Générale, Michelin, Schneider Electric…) s’engagent via ce partenariat à « conforter ou initier » leurs relations avec la formation militaire pour une durée renouvelable de cinq ans. Parmi les facteurs stratégiques essentiels des années à venir, le militaire a aussi cité la guerre informationnelle, dans laquelle « nos compétiteurs agissent de manière extrêmement forte ».

Il a également cité le changement climatique comme « catalyseur de chaos, en termes de guerre d’accès aux ressources, de déplacement de population ou de famine ».

La Belgique est-elle mise sous pression par l’Otan pour augmenter ses dépenses militaires plus rapidement ?

La Belgique est-elle mise sous pression par l’Otan pour augmenter ses dépenses militaires plus rapidement ?


En 2014, lors du sommet de l’Otan organisé à Newport [Pays-de-Galles], la Belgique avait pris l’engagement, comme les autres Alliés, de porter ses dépenses militaires à 2 % du PIB au cours des dix prochaines années. À l’époque, la Défense belge avait dû se résoudre à de nouvelles coupes budgétaires, d’un montant de 140 millions d’euros. Et cela alors que ses ressources avaient déjà diminué d’environ 20 % en l’espace de dix ans.

« Nous sommes sur les rotules », avait alors commenté le numéro deux de la Défense belge. « Nous devons économiser nos moyens lors d’entraînements. Résultat: nos troupes sont moins bien préparées et leur sécurité lors des réelles opérations est compromise », avait-il déploré.

Depuis, le ministère belge de la Défense a lancé plusieurs programmes d’armement, comme l’achat de 34 chasseurs-bombardiers F-35A, le renouvellement des équipements terrestres via le partenariat CaMo [Capacité Motorisée], noué avec la France, ou encore l’acquisition conjointe, avec les Pays-Bas, de nouvelles frégates et d’une capacité de guerre des mines. En outre, il a élaboré le plan STAR [Sécurité/Service – Technologie – Ambition – Résilience], qui définit une vision stratégique jusqu’en 2030

Pour autant, dix ans après le sommet de Newport, le compte n’y est pas. Selon les derniers chiffres de l’Otan, le budget belge de la Défense doit s’élever à seulement 1,3 % du PIB en 2024… Ce qui est encore [très] loin du compte. Et l’engagement pris lors du sommet de Newport ne devrait pas être tenu avant… 2035.

Aussi, en mai dernier, le président du comité militaire de l’Otan, l’amiral Rob Bauer avait morigéné les responsables belges. « Ne pas se préparer à la guerre signifie que l’on augmente la probabilité d’une guerre », avait-il affirmé, lors d’une audition devant la commission de la Défense de la Chambre. Et d’ajouter : « En Belgique comme dans d’autres pays, les gens pensent que cette menace russe est très loin de nous. Ce n’est pas une pensée théorique que la Russie puisse attaquer. Les Russes ont souvent menti : ils ont dit qu’ils n’allaient pas attaquer l’Ukraine, ils l’ont fait. Ils ont dit qu’ils n’annexeraient pas la Crimée, ils l’ont fait ».

Alors que, comme la France, la Belgique se trouve dans une situation politique compliquée, les élections législatives du 9 juin dernier n’ayant pas permis de dégager une majorité claire, le quotidien flamand Het Laatste Nieuws a lancé un pavé dans la mare, cette semaine, en affirmant que l’Otan songerait à délocaliser son Département de communication et d’information [NCIA], qui emploie un millier de personnes, de Mons vers un autre État membre si le gouvernement belge n’augmente pas ses dépenses militaires plus rapidement.

Information ? Bruit de coursive ? En tout cas, d’après la presse d’outre-Quiévrain, il s’agirait d’une « fuite après une réunion entre l’état-major et l’équipe du formateur fédéral ».

« Le siège de l’OTAN est à Bruxelles, en Belgique, et Mons est en Belgique. Beaucoup de pays lorgnent sur ces implantations et d’autres pays qui, notamment, eux, répondent à l’obligation des 2 % et à l’engagement des 2 %. Donc je pense qu’à partir du moment où on se veut crédibles et partenaires, il faut répondre à ces engagements », a résumé Boris Morenville, responsable du Syndicat libre de la fonction publique – Défense, auprès de RTL Info.

Du côté du ministère belge de la Défense, on se veut rassurant. « Plus de 1000 civils et militaires de la NCIA sont actuellement basés en Belgique et il n’est pas prévu de délocaliser les installations ou le personnel de la NCIA de Belgique vers un autre pays », a-t-il réagi.

Une base militaire allemande a été temporairement bouclée pour une enquête sur une tentative présumée de sabotage

Une base militaire allemande a été temporairement bouclée pour une enquête sur une tentative présumée de sabotage

https://www.opex360.com/2024/08/14/une-base-militaire-allemande-a-ete-temporairement-bouclee-pour-une-enquete-sur-une-tentative-presumee-de-sabotage/


Plaque tournante de l’aide militaire fournie par l’Allemagne à l’Ukraine, la base de Cologne-Wahn [Rhénanie du Nord-Westphalie] abrite plusieurs unités de la Luftwaffe, dont son commandement de la force aérienne [LwTrKdo pour Luftwaffentruppenkommando]. Au total, environ 4000 militaires et 1500 civils y travaillent.

Or, ce 14 août, des capteurs électroniques censés surveiller l’intégrité du réseau d’adduction d’eau potable [AEP] de la base ont signalé des anomalies.

C’est ainsi que, explique la Frankfurter Allgemeine Zeitung [FAZ], une brèche dans la clôture entourant cette emprise militaire a été découverte non loin de ce dispositif d’alimentation en eau. En outre, un employé a dit avoir vu un individu « s’enfuir ».

Aussi, à des fins de vérifications, il a été décidé de fermer la base de Cologne-Wahn, les entrées et les sorties ayant été temporairement suspendues. Dans le même temps, la consommation d’eau a été interdite, dans l’attente des résultats des analyses d’échantillons prélevés dans le réseau AEP.

« Nous prenons cette affaire très au sérieux et travaillons en étroite collaboration et en toute confiance avec les autorités d’enquête compétentes », a expliqué la Bundeswehr. Le MAD [Amt für den Militärischen Abschirmdienst, service de contre-espionnage] participe également aux investigations.

Cela étant, selon la FAZ, les informations selon lesquelles il y aurait eu des cas d’intoxication liés à la consommation d’eau n’ont pas été confirmées. Du moins pas encore.

Par ailleurs, également située en Rhénanie du Nord-Westphalie, la base aérienne de Geilenkirchen, qui abrite notamment les 14 avions d’alerte avancée E-3A AWACS de la Force aéroportée de détection lointaine et de contrôle de l’Otan [NAEW&C], a vu son niveau de sécurité renforcé, alors que des informations contradictoires ont circulé à son sujet.

« La base [de Geilenkirchen] n’a été fermée à aucun moment. Nous avons vérifié l’eau. Elle est bonne. La base reste accessible », a en effet assuré un porte-parole de l’Otan, prenant ainsi le contre-pied de la Bundeswehr, qui avait affirmé le contraire un peu plus tôt.

Pour rappel, plusieurs responsables de services de renseignement européens ont mis en garde contre de possibles « opérations de sabotage » orchestrées par la Russie. En avril, deux ressortissants germano-russes ont été interpellés en Bavière. pour avoir planifié des attaques « contre des installations militaires américaines ».

Photo : Von Gordito1869 – CC BY 3.0

Trump ou pas, la menace russe est désormais le problème des armées européennes

Trump ou pas, la menace russe est désormais le problème des armées européennes

Alors que les menaces proférées par Donald Trump à l’encontre des Européens continuent de défrayer la chronique, un rapport des services de renseignement extérieurs russes, dresse un tableau des plus inquiétants concernant le potentiel industriel militaire européen en développement dans les années à venir, face à celui des armées russes.

En effet, selon ce rapport, en dépit des annonces et déclarations politiques, les européens ne parviendraient pas, par manque de munitions, à contenir la menace russe dans les années à venir, en appliquant les plans qui sont les leurs aujourd’hui, et il leur faudra quinze ans pour être en mesure de mener un conflit majeur.

Cette faiblesse structurelle européenne créera, selon le rapport des services de renseignement extérieurs russes, de nombreuses opportunités pour que Moscou puisse exploiter son rapport de force favorable, pour tenter de prendre l’avantage sur l’UE et l’OTAN. Car de toute évidence, que Trump soit ou non élu en novembre prochain, les européens devront contenir seuls, et à court terme, la menace russe.

  Sommaire

L’électrochoc Trump pour sortir les européens de leur léthargie volontaire

Quatre jours après avoir été prononcées, les menaces faites par Donald Trump, à l’encontre des pays membres de l’OTAN, à l’occasion d’un discours lors des primaires républicaines, continuent de faire la une des chaines d’information et grands sites d’information européens.

menace russe trump
Les menaces préférées par D. Trump ont fait l’effet d’un électrochoc en Europe.

Il faut dire que la menace de retirer la protection américaine aux pays qui ne « paieraient pas ce qu’ils doivent aux États-Unis« , a sorti brutalement de leur torpeur un grand nombre de dirigeants européens, persuadés que la protection que leur confèrent les États-Unis depuis 75 ans maintenant, était inamovible et illimitée, et qu’il leur suffisait d’acheter quelques avions et missiles américains, pour assurer leur sécurité.

De fait, un certain vent de panique est venu souffler dans les chancelleries européennes, entrainant des réactions allant de la prise de conscience violente, à une certaine forme de déni peu convaincant, voulant se persuader que la menace est purement électorale, voire que le peuple américain, et ses représentants au Congrès, ne laisseraient pas Donald Trump prendre une telle posture, s’il venait à remporter les prochaines élections.

Pourtant, les données actuellement disponibles, montrent qu’une victoire de Donald Trump, à la Maison-Blanche, mais aussi dans les deux chambres américaines, est de plus en plus possible, alors que la candidature Biden est remise en question en raison de l’âge du président, et que les alternatives, comme Kamala Harris, sont systématiquement données perdantes face à Trump.

Or, si Donald Trump venait à s’imposer lors des prochaines élections, et qu’il détenait la majorité au Sénat et la Chambre des Représentants, les risques qu’il puisse, effectivement, mettre en œuvre son projet, sont très élevées, d’autant qu’il en a fait un thème récurrent de sa campagne et un argument majeur de sa réélection.

L’indispensable basculement des armées américaines vers le Pacifique face à la Chine

Si les positions de Trump font l’effet d’un électrochoc sur les européens, elles sont loin d’être les seules à venir remettre en question la protection, par les armées US, de l’Europe. En effet, comme abordé à plusieurs reprises sur ce site, le Pentagone sera, bientôt, contraint d’effectuer un redéploiement majeur de ses forces déployées en Europe, en Afrique, et au Moyen-Orient, pour concentrer l’immense majorité de ses moyens militaires face au théâtre Pacifique.

Marine chinoise Type 055 Type 052D Type 056
La montée en puissance de l’Armée Populaire de Libération chinoise va imposer aux armées américaines de concentrer tout leurs moyens sur le théâtre Pacifique.

Pire encore, si un conflit venait à éclater en Europe, Washington serait certainement dans l’incapacité de venir renforcer, de manière significative, le dispositif européen, au risque de donner à Pékin l’opportunité de déclencher une action militaire contre laquelle les armées US n’auraient plus les moyens de réagir, et de perdre, ainsi, sur les deux tableaux.

Les différences, avec les menaces faites par Donald Trump, sont tout de même significatives. En effet, dans le cas d’un redéploiement américain encadré, le bouclier antimissile, et surtout, le parapluie nucléaire américain, demeurerait en place, contenant de fait un potentiel chantage nucléaire russe, qui devrait, autrement, être contenu par les seuls moyens français et britanniques.

En outre, les armées US pourraient continuer à alimenter leurs alliés en matière de renseignement et de communication, en particulier grâce à la galaxie de satellites en cours de déploiement, alors que les européens auraient l’assurance de pouvoir s’appuyer sur l’industrie américaine de défense, tout au moins pour un temps, tant que cela ne viendra pas menacer le bon fonctionnement des armées US face à l’APL.

En revanche, que Trump mette ou pas en œuvre ses menaces, il ne fait guère de doutes qu’à compter de 2025, probablement avant, les européens devront assurer eux-mêmes leur propre sécurité, et contenir la Russie, sans pouvoir compter sur une aide conventionnelle américaine significative dans ce domaine.

Les armées européennes doivent anticiper et accompagner le désengagement américain, plutôt que le subir

Il apparait, de ce qui précède, que le retrait des armées américaines d’Europe, a un caractère inéluctable et indépendant du résultat des élections présidentielles à venir. Ne pouvant agir ni sur les électeurs américains, ni sur les impératifs des États-Unis en matière de défense, et la priorité donnée au théâtre pacifique et la Chine dans ce domaine, les européens n’ont d’autres choix, que d’accompagner au mieux ce désengagement, plutôt que de le subir.

Armées US en Europe
Les armées américaines n’uront très bientot d’autre choix que de quitter l’Europe pour se redéployer face à la Chine.

La première étape, pour y parvenir, serait de mettre fins aux faux espoirs, et aux dénis de réalité, que l’on peut percevoir, encore, dans les déclarations de certains dirigeants européens, comme Olaf Scholz. Il s’agit, en effet, d’anticiper cette transformation, dans toute son urgence, y compris en agissant bien avant l’élection possible de Trump.

Cette prise de conscience suppose, d’ailleurs, un effort de bonne volonté de la part des États-Unis, qui doivent aussi, de leurs côtés, reconnaitre le plus rapidement possible, la nécessité de ce désengagement, et ne pas mettre les européens devant le fait accompli, comme ils le firent en Afghanistan, ou plus récemment, en Ukraine.

Les européens, de leurs côtés, sont en devoir de considérer, dès à présent, l’hypothèse de devoir contenir la menace russe, sans s’appuyer sur les États-Unis, y compris en matière industrielle et technologique.

Cela suppose, évidemment, la mise en œuvre d’un vaste plan de réinvestissement industriel, de sorte à être en mesure de soutenir un conflit majeur de longue durée, le cas échéant, et de repenser le format des armées, pour contenir une armée forte de près de 2,5 millions d’hommes, soit les 1,5 million de militaires d’active et le million de réservistes russes.

Le renseignement extérieur russe estime qu’il faudra 15 ans aux européens pour mener une guerre de haute intensité

En effet, la faiblesse des européens, dans ces deux domaines, aiguise désormais jusqu’aux appétits des services de renseignement russes. Ainsi, un récent rapport des services de renseignement extérieur, le SVR, a présenté un tableau pour le moins inquiétant, mais pas nécessairement exagéré, des capacités des industries de défense européennes, aujourd’hui, et dans les années à venir.

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Selon le SVR russe, il faudra quinz ans à l’indsutrie de défense européenne, pour être en mesure de soutenir un conflit de haute intensité face à la Russie.

Selon lui, les européens ne seront pas en mesure de prendre le relais des États-Unis pour soutenir l’Ukraine dans le domaine des munitions, avant 2025, créant une fenêtre d’opportunités pour les armées russes pour agir dans ce créneau face à des armées ukrainiennes, qui seront certainement sous-équipées, en manque de munitions, et donc probablement proche de l’effondrement capacitaire et moral.

Si le soutien à l’Ukraine est déjà, en soi, un problème important pour les européens, la reconstruction de leurs capacités industrielles de défense, face à la Russie, l’est encore davantage. En effet, selon ce même rapport, il faudra quinze ans aux européens, pour reconstruire une industrie de défense suffisante pour soutenir un conflit majeur face à la Russie.

Si les services de renseignement russes ne préconisent pas d’action militaire contre l’Europe pour exploiter cette faiblesse, ce n’est pas leur rôle, ils préconisent, cependant, d’exploiter cette faiblesse relative sensible, pour déstabiliser, voire briser, les alliances qui existent en Europe, en détachant, un à un, les pays les plus vulnérables ou exposés, de l’UE et de l’OTAN, en agitant la menace militaire, et en menant, simultanément, des actions de déstabilisation politique.

Nous voila prévenu ! Alors que certains estiment encore que la Russie n’est pas un adversaire des européens, de toute évidence, l’Europe est désormais l’adversaire à abattre pour Moscou, ses services de renseignement, et ses armées.

Le rôle stratégique de l’aide européenne à l’Ukraine pour contenir la menace russe

Ce rapport fait écho à d’autres rapports, occidentaux cette fois, particulièrement pessimistes quant à l’avenir du conflit en Ukraine. Selon ceux-ci, l’action conjuguée de l’arrêt de l’aide militaire américaine, les difficultés de l’industrie européenne pour prendre le relais de Washington dans ce domaine, et celles rencontrées par les Armées ukrainiennes pour renouveler leurs effectifs, dessinent des perspectives des plus inquiétantes dans les mois à venir pour Kyiv, alors que, dans le même temps, Moscou peut s’appuyer sur une industrie en pleine croissance, et une population docile et mobilisée.

Caesar Ukraine
L’aide militaire européenne à l’Ukraine va devoir très rapidement se substituer à l’aide américaine, pour éviter l’effondrement des armées de Kyiv.

Certes, les armées ukrainiennes peuvent toujours s’appuyer sur la plus-value conférée par leur posture défensive, engendrant bien plus de pertes chez l’attaquant que chez le défenseur, pour des gains territoriaux limités.

Toutefois, le potentiel militaire ukrainien semble s’user bien plus rapidement que celui des russes, de sorte que l’hypothèse d’une rupture n’est plus à exclure, sauf à ce que les européens parviennent à augmenter rapidement, et de manière très conséquente, leur soutien militaire, et ce, sans attendre que les États-Unis fassent de même, comme évoqué, là encore, par Olaf Scholz.

En effet, si les lignes défensives ukrainiennes venaient à céder, la chute du pouvoir politique, donc du pays, ne peut probablement pas être évitée. Dans l’hypothèse d’une victoire russe en Ukraine, Moscou disposerait alors d’un outil militaire susceptible d’être rapidement régénéré, par son industrie, et tout aussi rapidement redéployé, pour venir menacer certains pays européens, sans que ceux-ci puissent y répondre de manière symétrique.

Rappelons, à ce titre, qu’il ne fallut, en 1945, que 3 mois aux armées russes, pour déplacer plusieurs corps d’armées du théâtre européen, à la frontière avec la Corée et la Mandchourie, face à l’Empire du Japon, à 8 000 km de là, après la victoire alliée contre l’Allemagne Nazie.

De fait, déplacer de mille ou deux mille kilomètres le dispositif russe face à l’Ukraine, est largement à la portée des armées et chemin de fer russes, en quelques semaines seulement. En outre, une fois le pouvoir politique ukrainien tombé, les armées russes pourront aisément venir se déployer sur les frontières occidentales du pays, bordant la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, ou encore la Roumanie, quatre pays de l’OTAN et de l’UE, et la Moldavie, candidate à l’adhésion.

Russie tank
En cas de victoire en Ukraine, les armées auront une position très favorable pour miltiplier les menaces et les actions de destabilisation contre les pays européens, avec un rapport de force très favorable.

De fait, le soutien européen à l’Ukraine représente, aujourd’hui, un impératif de portée stratégique pour l’Europe, et les européens, et leur sécurité, pour contenir et limiter la menace russe immédiate, alors même qu’aucune armée européenne n’est effectivement prête à s’engager dans un conflit de haute intensité aujourd’hui.

Un changement radical de calendrier s’impose pour la modernisation des armées et de l’industrie de défense européennes

De toute évidence, et de ce qui précède, un changement radical de calendrier s’impose concernant la modernisation des armées européennes, pour répondre à la dynamique de la menace qui se dessine.

Non seulement, les européens doivent-ils mobiliser leurs moyens pour garantir la résistance des armées ukrainiennes face aux coups de boutoirs russes, mais aussi, doivent-ils réviser en profondeur les calendriers qui, aujourd’hui, encadrent la modernisation de leurs forces, et le redéploiement industriel qui l’accompagne.

Loin de représenter une opportunité commerciale ou politique, comme plusieurs dirigeants européens continuent de la considérer, l’évolution de la menace russe, cumulée à l’inévitable retrait américain du théâtre européen, constitue un enjeu sécuritaire existentiel pour l’ensemble des organes politiques mis en place depuis 70 années pour assurer la sureté du vieux continent, qui ne résisteront pas à un rapport de force trop défavorable en faveur de la Russie, sans une protection américaine de plus en plus incertaine.

2S35 Koalitsiia
2024 verra l’arrivée de nouveaux materiels russes, comme le canon 2S35 Koalitsiia, aux perfomrnances comprables à celles des systèmes européens.

En particulier, les européens, et plus spécifiquement les économies les plus importantes du vieux continent, doivent accroitre leurs investissements en matière de défense, avec des objectifs à court terme, dans les 5 ans à venir, et non se contenter de projets à long terme, au-delà de 2040, alors que le pic de la crise se situera probablement entre 2027 et 2032.

Surtout, les dirigeants européens doivent cesser de considérer avec dédain les alertes des services de renseignement, des armées, et du pouvoir politique des pays d’Europe de l’Est les plus concernés, qui sont en première ligne face à cette menace, et bien souvent, qui connaissent le mieux la Russie.

C’est à cette condition, et seulement celle-ci, que l’Europe pourra traverser les crises qui se dessinent dans les années à venir, et qui ont un pouvoir déstructurant plus que considérable.

 

Article du 13 février en version intégrale jusqu’au 23 aout 2024

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Que vaut la dissuasion française face à la menace russe en 2024 ?

Que vaut la dissuasion française face à la menace russe en 2024 ?

 

Cela n’aura guère trainé. Après l’évocation, par le président français Emmanuel Macron, de la possibilité d’envoyer des troupes européennes en Ukraine, les réactions, souvent peu favorables, se sont multipliées, en Europe, aux États-Unis, mais aussi au sein de la classe politique française. Les seconds couteaux de la communication russe, pour leur part, tentèrent de tourner en dérision la menace.

Ce n’est pas le cas de Vladimir Poutine. Loin de considérer l’hypothèse, ou la France, comme quantité négligeable, celui-ci a vigoureusement brandi la menace nucléaire, contre la France, et surtout l’ensemble de l’Europe, si jamais les européens venaient s’immiscer sur « le territoire russe », sans que l’on sache, vraiment, si l’Ukraine faisait, ou pas, parti de sa conception de ce qu’est le territoire russe, d’ailleurs.

De toute évidence, le président russe est prêt à user de l’ensemble de son arsenal, y compris nucléaire, pour convaincre les occidentaux de se ternir à distance de ce qu’il considère comme la sphère d’influence de Moscou, une notion par ailleurs fort dynamique dans les propos du chef d’État russe depuis 20 ans.

Dans ce contexte, et alors que le soutien et la protection américaine sont frappés d’incertitudes après les déclarations de Donald Trump, la dissuasion française apparait comme le rempart ultime contre les ambitions de Vladimir Poutine en Europe. La question est : est-elle capable de le faire ?

Sommaire

Des menaces de plus en plus appuyées de la part du kremlin contre la France et l’Europe

Les menaces proférées contre l’Europe par Vladimir Poutine ce 29 février, alors qu’il s’exprimait face aux parlementaires russes, constituent, certes, une réponse particulièrement musclée aux hypothèses évoquées par le président Macron en début de semaine. Pour autant, elles sont loin de représenter une rupture dans la position récente russe, et encore moins une surprise.

Iskander systeme Forces de Dissuasion | Alliances militaires | Armes nucléaires

La menace nucléaire russe agitée depuis 2014 et la prise de la Crimée

Déjà, lors de l’intervention des armées russes en Crimée, en 2014, pour se saisir, par surprise, de la péninsule ukrainienne, Vladimir Poutine avait élevé le niveau d’alerte de ses forces nucléaires, et déployé des batteries de missiles Iskander-M, pour prévenir toute interférence de l’Occident.

Il fit exactement de même en février 2022, lorsqu’il ordonna l’offensive contre l’Ukraine, et le début de la désormais célèbre « opération militaire spéciale », ou специальной военной операции en russe (CBO), en annonçant, là encore, la mise en alerte renforcée des forces stratégiques aériennes et des forces des fusées.

Une réponse ferme de la dissuasion occidentale en février et mars 2022

L’efficacité de cette mesure fut toutefois moindre que lors de la prise de la Crimée, lorsque européens comme américains demeurèrent figés, se demandant qui pouvaient bien être « ces petits hommes verts », qui avaient fait main basse sur ce territoire ukrainien, à partir des bases et des navires de débarquement russes.

En 2022, sous l’impulsion des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et surtout des pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et les Pays baltes, l’aide militaire occidentale s’est organisée en soutien à l’Ukraine, avec le transfert d’équipements de plus en plus performants, d’abord des missiles antichars et antiaériens d’infanterie (février 2022), puis des blindés de l’époque soviétique (mars 2022), suivis par les premiers blindés et systèmes d’artillerie occidentaux (avril-mai 2022).

Dans le même temps, les trois nations dotées occidentales, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, répondirent à la mise en alerte des forces nucléaires russes, par le renforcement de leurs propres moyens de dissuasion, dans un bras de fer que le monde n’avait plus connu depuis 1985 et la fin de la crise des euromissiles.

Dissuasion française SNLE classe le Triomphant
Les quatre SNLE français de la classe Triomphant, permettent de maintenir, en permanence, en temps de paix, un sous-marin armé de 16 missiles M51, en patrouille, et de deux, ou trois, SNLE à la mer, en temps de crise, comme en mars 2022.

Ainsi, en mars 2022, quatre semaines après le début du conflit, la France annonçait qu’elle disposait de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engin à la mer, dans une réponse tout à fait unique et exceptionnelle depuis la fin de la guerre de froide.

Des menaces qui ont porté leurs fruits pour contenir la livraison d’armes à l’Ukraine

En dépit de la fermeté de la réponse stratégique occidentale, la menace russe porta ses fruits. Il fallut, ainsi, plus d’une année pour que les occidentaux acceptent de livrer à l’Ukraine des blindés lourds modernes, comme des véhicules de combat d’infanterie (Bradley, Marder, CV90), ou des chars de combat (Leopard 2, Abrams, Challenger 2).

Un an et demi furent nécessaires pour qu’ils livrent des munitions à longue portée (Storm Shadow et Scalp-Er..), et plus de deux ans, pour que les premiers avions de combat F-16, n’arrivent en Ukraine (ce qui n’est pas encore le cas). C’est certainement la raison qui a convaincu Moscou de persévérer en ce sens.

Ainsi, en mars 2023, le chef de l’US Strategic Command, l’Amiral Charles Richard, estimait qu’il fallait s’attendre, dans les mois et années à venir, à ce que Moscou, comme Pékin, multiplient les tentatives de chantage nucléaire, en particulier contre les pays non dotés, bien plus sensibles à ce type de menace.

Leopard 2 Ukraine
Le chantage à la dissuasion russe permit de convaincre les occidentaux de reporter de plus d’un an la livraison de chars de combat modernes à l’Ukraine.

Le fait est, celle-ci a été très brandie par la Russie, de manière très régulière, et peu convaincante, par les séides du Kremlin, comme Medvedev, Peskov ou Lavrov, et de manière moins fréquente, mais beaucoup plus appuyée, par Vladimir Poutine et Nikolai Patrushev, dont la parole a beaucoup plus de poids.

La puissance des forces nucléaires russes est stupéfiante

Il faut dire que la puissance des forces de dissuasion nucléaire russes est pour le moins impressionnante, faisant aisément jeu égal avec celle des États-Unis, un pays pourtant 12 fois plus riche, et trois fois plus peuplé.

5 977 têtes nucléaires dont 4 477 sont opérationnelles

Elle s’appuie sur 5 977 têtes nucléaires en inventaire (2022), dont 4 477 seraient opérationnelles. Parmi elles, 2 567 arment les systèmes stratégiques russes, alors que 1 910 têtes nucléaires sont employées à bord de systèmes dits non stratégiques, auxquels appartiennent les missiles balistiques à courte portée Iskander-M ou le missile aéroporté Kinzhal.

50+ Tu-95MS et une vingtaine de bombardiers supersoniques Tu-160M

À l’instar des États-Unis et de la Chine, les forces stratégiques russes s’appuient sur une triade de vecteurs, navals, aériens et terrestres. Dans le domaine aérien, Moscou dispose d’un peu moins d’une centaine de bombardiers stratégiques à très long rayon d’action, dont une cinquantaine de Tu-95MS modernisés lors de la précédente décennie, ainsi qu’une vingtaine de Tu-160M supersoniques.

Tu-160M
Les forces aériennes stratégiques russes alignent aujourd’hui une vingtaine de bombardier Tu-160 M, et prévoient de disposer d’une cinquantaine d’unité di’ci à la fin de le decennie.

Ces appareils mettent en œuvre des missiles de croisière, comme le Kh-102 ou le Kh-65, transportant une unique charge nucléaire de faible à moyenne intensité. D’autres appareils, comme le bombardier à long rayon d’action Tu-22M3M, ou le Su-34, peuvent, eux aussi, transporter des missiles ou des bombes armés d’une tête nucléaire, alors qu’une dizaine de Mig-31K a été transformée pour transporter le missile balistique aéroporté Kinzhal, pouvant être armé d’une charge nucléaire.

11 sous-marins nucléaires SSBN armés de missiles balistiques stratégiques

Dans le domaine naval, la Marine russe dispose d’une flotte de 11 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SSBN selon l’acronyme anglais, en l’occurrence, 4 Boreï-A, 3 Boreï et 4 Delta-IV. Ces derniers seront remplacés, d’ici à 2031, par 5 nouveaux Boreï-A, pour atteindre une flotte de 12 SSBN modernes au début de la prochaine décennie, identique à celle de l’US Navy.

Chaque Boreï-A transporte 16 missiles balistiques intercontinentaux à changement de milieux SLBM R30 Bulava d’une portée supérieure à 8 000 km, eux-mêmes armés de 6 véhicules indépendants de rentrée atmosphérique MIRV, armés chacun d’une tête nucléaire de 100 à 150 kt.

Outre la flotte de SSBN, la Marine russe met également en œuvre le sous-marin Belgorod, conçu pour déployer la torpille nucléaire Poseidon, alors que ses sous-marins nucléaires lance-missiles SSGN Anteï et Iassen, peuvent mettre en œuvre des missiles de croisière Kalibr, ou des missiles antinavires hypersoniques Tzirkon, pouvant, eux aussi, accueillir une tête nucléaire (bien que rien ne l’indique à ce jour). C’est aussi le cas des nouvelles frégates russes Admiral Gorshkov qui mettent en œuvre ces mêmes missiles avec leurs systèmes VLS UKSK.

700 missiles balistiques intercontinentaux ICBM mobiles et en silo

Les forces des fusées russes, enfin, alignent près de 700 missiles balistiques intercontinentaux, mobiles ou en silo, de type Topol, Topol-M, Iars et, semble-t-il, depuis cette année, Sarmat. Chaque missile a une portée de plus de 10 000 km, et peut transporter de 6 à 10 MIRV semblables à ceux mis en œuvre par le RS-30 Bulava.

RS-28 SArmat
le missile ICBM SARMAT est annoncé desormais comme en service par Moscou, même si l’essentiel de la composante terrestre de la triade nucléaire russe, repose encore sur des missiles Topol datant de l’époque soviétique.


À ces missiles stratégiques s’ajoutent les missiles Iskander-M, dont le nombre en service est incertain, car largement employés en Ukraine. Ce missile à trajectoire semi-balistique, d’une portée de 500 km, peut emporter une tête nucléaire de faible à moyenne intensité.

La dissuasion française et la stricte suffisance

En comparaison, les moyens dont dispose la dissuasion française, peuvent apparaitre bien faibles. En effet, celle-ci a été conçue sur le principe de la stricte suffisance, c’est-à-dire qu’elle doit suffire à dissuader n’importe quel adversaire de franchir ce seuil face à la France, faute de quoi, les bénéfices qu’il entend en retirer, seront très inférieurs aux destructions engendrées par les frappes nucléaires françaises.

290 à 350 têtes nucléaires, dont 50 pour les missiles ASMPA

N’ayant jamais été soumise aux mêmes contraintes de vérifications que la Russie et les États-Unis, engagés, jusqu’il y a peu, par plusieurs accords de limitation des armes nucléaires, la France a toujours maintenu un certain flou, concernant le nombre de têtes nucléaires détenues.

Les évaluations, dans ce domaine, se situent, le plus souvent, entre 290 et 360 têtes nucléaires, dont une cinquantaine employée par les missiles supersoniques aéroportés ASMPA-rénovés, et de 250 à 300 têtes TNO pour les missiles balistiques à changement de milieux, qui arment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.

Deux escadrons de bombardement stratégique équipés de Rafale B et de missiles ASMPA rénovés

Contrairement à la Russie, la France n’a que deux composantes pour sa dissuasion, une composante sous-marine et une composante aérienne. Cette dernière se compose de deux escadrons de chasse stratégiques, le 1/4 Gascogne et le 3/4 La Fayette, armés de Rafale B, appartenant à la 4ᵉ escadre de chasse stationnée sur la base aérienne BA 113 de Saint-Dizier.

Rafale B et missile ASMPA rénové
Les forces aériennes stratégiques, notamment la 4ème escadre de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Esapce, et la flotille 12F de la Marine Nationale, disposent d’une cinquantaine de missile de croiisère supersonique nucléaires ASMPA rénovés.

Ces escadrons de chasse sont épaulés par les avions de ravitaillement en vol de la 31ᵉ escadre basée à Istres, en particulier les escadrons 1/31 Bretagne, 2/31 Estérel et 4/31 Sologne, équipés d’A330 MRTT Phoenix.

À ces forces mises en œuvre par l’Armée de l’Air et de l’Espace, s’ajoute la flottille 12 F de la Marine nationale, basée à Landivisiau, montée sur Rafale M, et capable de mettre en œuvre, elle aussi, le missile ASMPA rénové, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins classe Le Triomphant

La composante sous-marine porte l’essentielle de la puissance de feu de la dissuasion française. Celle-ci s’appuie sur 4 SNLE de la classe Le Triomphant, entrés en service entre 1997 et 2010, et qui seront remplacés, à partir du milieu de la prochaine décennie, par les sous-marins nucléaires de 3ᵉ génération.

3 sous-marins, le Triomphant, le Téméraire et le Terrible, mettent aujourd’hui en œuvre 16 missiles SLBM M51.2, d’une portée estimée autour de 10 000 km, pouvant emporter de 6 à 10 têtes nucléaires TNO de 100 kt, ayant des caractéristiques évoluées de ciblage et de résistance aux contre-mesures. Le quatrième SNLE, le Vigilant, est actuellement en IPER de modernisation, pour recevoir ces mêmes nouveaux missiles, et rejoindra le service en 2025.

Le format à 4 SNLE permet de maintenir, en temps de paix, un navire à la mer, alors qu’un second sous-marin tient une alerte à 24 heures. Le troisième bâtiment est à l’entrainement, mais doit pouvoir être déployé sous 30 jours (comme ce fut le cas en mars 2022). Le quatrième est en entretien.

SNLE3G
La conception du SNLE3G, qui remplacera les SNLE de la classe le Triomphant, a été confié à Naval Group. Avec la concetpion d’un porte-avions nucléaire, celle d’un SNLE est souvent presentée comme l’entreprise technologique et indsutrielle la plus complexe du moment.

Cette doctrine permet de disposer, en temps de crise, de deux, voire trois sous-marins dilués, c’est-à-dire ayant suivi une procédure de plongée, protégée par des sous-marins, des frégates et des avions de patrouille maritime, pour garantir qu’il n’a pas été détecté, pour conférer à la France une capacité de seconde frappe suffisante, pour détruire entièrement n’importe quel agresseur, le cas échéant, même après des frappes nucléaires préventives contre elle.

Une équation stratégique bien plus équilibrée qu’il n’y parait

Du point de vue de la comparaison stricte des moyens, la Russie disposerait d’une dissuasion plusieurs fois supérieure à celle de la France, ceci expliquant, parfois, le sentiment de faiblesse stratégique de Paris face à Moscou.

Toutefois, si ce type de comparaison, peut avoir du sens lorsqu’il s’agit de forces armées conventionnelles, pour lesquelles la masse constitue un enjeu critique de performance et de résilience comparées, elle n’est guère pertinente, lorsqu’il s’agit de comparer des forces de discussion.

Il est vrai que Moscou dispose d’une puissance de feu suffisante pour détruire plusieurs fois la planète, et à fortiori, la France. La France, quant à elle, est en mesure de détruire, de manière certaine, toutes les villes de 100 000 habitants et plus de Russie, ainsi que l’ensemble des infrastructures économiques et industrielles significatives du pays, avec seulement un seul de ses SNLE en patrouille.

Atlantique 2 Patmar
la dillution d’un SNLE en depart de patrouille, représente une étape d’une importance cruciale pour garantir l’efficacité de la dissuasion. Ces sous-marins sont à ce point discrets lorsqu’ils patrouillent, que le bruit rayonné, de l’ordre de 30 dB, est inferieur au bruit de font des oceans.

On entre, ici, dans le concept de destruction mutuelle assurée, qui a été au cœur du dialogue stratégique lors de la guerre froide. De fait, disposer d’une telle puissance de feu, pour la Russie, n’a aucune incidence sur la réalité finale du rapport de force stratégique entre Paris et Moscou, qui se neutralisent mutuellement dans ce domaine.

Contrairement à la Grande-Bretagne, la France dispose, par ailleurs, d’une capacité de riposte intermédiaire, avec sa composante aérienne, adaptée pour répondre, au besoin, à la tentative d’utiliser une arme nucléaire de faible intensité par Moscou, par exemple, pour obtenir un cadre de déconfliction, comme le prévoit d’ailleurs la doctrine russe.

La dissuasion française peut-elle protéger toute l’Europe ?

Par transitivité, si la dissuasion française est capable de contenir la menace stratégique russe contre la France, elle l’est, aussi, pour contenir cette même menace, pour tout ou partie de l’ensemble de l’Europe.

En effet, c’est par sa capacité à infliger des dégâts inévitables et insoutenables, à l’adversaire, que la dissuasion fonctionne, quel que soit le périmètre qu’elle est censée protéger. Notons qu’à ce jour, la France ne s’est nullement engagée en ce sens de manière officielle, et laisse planer, comme il est d’usage, un important flou stratégique autour de ces sujets.

Toutefois, l’efficacité de la dissuasion, repose sur la certitude qu’aurait la Russie, quant à une réponse nucléaire de la France, si elle venait à frapper, ou à attaquer, un territoire donné.

Emmanuel macron
Si l’annonce faite par E.Macron, concernant l’envoi potentiel de troupes européennes en Ukraine, n’a obtenu que peu de soutien e, Europe, elle a vertement fait réagir Vladimir Poutine, qui a immédiatement brandi la menace nucléaire. Le président français aurait-il visé juste ?

Si Moscou a, aujourd’hui, la certitude que tel sera le cas, s’il s’en prenait à la France directement, il faudra, cependant, faire preuve de beaucoup plus de fermetés dans le discours, et d’unité à l’échelle européenne, pour qu’il en soit de même à l’échelle de l’Union européenne, ou de l’Europe en général.

Conclusion

On le voit, en dépit de ce que peuvent laisser penser, la comparaison stricte des moyens dont disposent les dissuasions russes et françaises, l’équation stratégique entre Paris et Moscou, est beaucoup plus équilibrée qu’il n’y parait.

Cet équilibre est tel, que la France pourrait, au besoin, protéger de son parapluie nucléaire, tout ou partie de l’Europe, d’autant que dans une telle hypothèse, elle pourrait certainement s’appuyer sur la dissuasion britannique, et ses 4 SSBN de la classe Vanguard (si tant est qu’elle parvienne à lancer ses missiles, mais c’est un autre sujet).

De fait, en dépit des menaces de Vladimir Poutine de ce 29 février, la France, et les français, n’ont pas de raison de trembler aujourd’hui, la situation étant strictement la même qu’elle l’était hier, il y a une semaine ou dix ans.

Vladimir Poutine
La France est aujourd’hui le seul pays de l’Union Européenne capable de s’opposer aux menaces nucléaires russes, si le parapluie nucléaire américaine venait à être affaibli. Nul doute que Vladimir Poutine multipliera les menaces de ce type dans les mois à venir, pour tenter de créer la discorde et la défiance entre européens.

Reste, désormais, à convaincre le Kremlin de la détermination de Paris à défendre l’Europe, au même titre que son propre territoire, mais aussi de convaincre les européens eux-mêmes, d’une telle nécessité face à l’évolution du contexte international.

Car, pour être efficace, la dissuasion doit se draper, tout à la fois, dans un flou stratégique indispensable, et s’appuyer sur un socle de certitudes ne souffrant d’aucune dissension. Dans le chaos politique européen actuel, construire cette unité représente un défi considérable.

Article du 29 février en version intégrale jusqu’au 20 aout 2024

Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française.

Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française.

Depuis la fin de la guerre froide, la flotte de chasse de l’Armée de l’air et de l’Espace, a été divisé par trois, passant de plus de 600 Mirage F1, Mirage 2000 et Jaguar, à moins de 200 Rafale et Mirage 2000D et -5F. La flotte de l’Aéronautique navale a, elle aussi, subi une sévère cure d’amaigrissement, passant de 80 Super-Étendard, F-8 Crusader et Étendard IVP, a seulement 40 Rafale M.

Cette réduction de format a souvent été critiquée, par les spécialistes du sujet, ainsi que par certains parlementaires, et même, plus récemment et de manière plus feutrée, par les états-majors eux-mêmes. Ainsi, l’Armée de l’Air et de l’Espace estime, publiquement, qu’il lui faudrait « au moins », 225 avions de combat, pour répondre à son contrat opérationnel.

Toutefois, le format optimal de la chasse française semble, aujourd’hui, davantage une question de négociations politiques et budgétaires, que le résultat d’un raisonnement objectif, face aux besoins auxquels l’Armée de l’Air et l’Aéronavale doivent être en mesure de répondre.

Dans cet article, nous tenterons de mener ce raisonnement, et de déterminer quel serait ce format, nécessaire et suffisant, pour permettre à la chasse française, de remplir pleinement et efficacement ses missions présentes et à venir. Comme nous le verrons, le format actuel apparait très sous-estimé.

Sommaire

Le format de la flotte de chasse française aujourd’hui, son origine et son contrat opérationnel

Ce format, justement, quel est-il, et d’où vient-il ? Aujourd’hui, le LPM 2024-2030 vise à amener la flotte de chasse française à 225 avions de combat, avec 185 chasseurs pour l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 40 pour l’Aéronautique navale.

Armée de l'air et de l'Espace Rafale Mirage 2000D
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française. 7

Ce format a été fixé par la Revue Stratégique 2022, elle-même reprenant ce format de la Revue Stratégique 2018, qui servit de support à la création de la LPM 2029-2025 précédente. Là encore, ce n’est pas la Revue Stratégique 2018 qui fixa ce format, puisqu’elle avait pour consigne de reprendre l’ensemble des formats des forces, définis par le Livre Blanc de 2013.

C’est, en effet, ce Livre Blanc qui établit, pour la première fois, ce format à 225 avions de combat, avec la répartition 185/40 entre l’AAE et la Marine nationale. Pour arriver à ce résultat, les concepteurs de ce Livre Blanc, qui avaient pour ligne directrice de réduire autant que possible le format des forces armées françaises, fixèrent un contrat opérationnel relativement simple aux deux forces aériennes.

Pour l’AAE, il fallait être en mesure de garantir la projection de 15 avions de combat, y compris sur des bases distantes, comme ce fut le cas au Niger et en Jordanie, pour soutenir les forces françaises et alliées, déployées dans le Sahel ou en Irak et en Syrie. En outre, l’AEE devait assurer la disponibilité de la composante aérienne de la dissuasion française, avec deux escadrons équipés de Rafale. La Marine nationale, elle, devait permettre d’armer de 18 chasseurs le porte-avions Charles de Gaulle, pour deux déploiements de deux mois par an.

Cette réduction des formats permettait, par ailleurs, de réduire sensiblement les besoins de formation et d’entrainement des équipages, ainsi que les stocks de munitions, d’autant que la principale menace conventionnelle alors envisagée, concernait des conflits dissymétriques, en Afrique ou au Moyen-Orient, avec une menace très réduite sur les appareils eux-mêmes, et une pression opérationnelle relativement réduite pour les forces déployées.

La pression opérationnelle sur la chasse française depuis 2014, sensiblement supérieure à celle estimée par le Livre Blanc 2013

Bien évidemment, cette pression opérationnelle, depuis 2013, n’a absolument pas respecté la planification du Livre Blanc. L’Armée de l’Air et de l’Espace a ainsi dû, à plusieurs reprises, déployer vingt à trente appareils de combat en missions extérieures, y compris en Europe. Le porte-avions, quant à lui, a souvent largement dépassé les quatre mois de mer par an prévus, avec un record de 8 mois à la mer pour l’année 2019, avant son IPER.

RAfale Gripen AAE
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française. 8

Si les armées françaises ont largement allégé leur dispositif en Afrique ces dernières années, le dispositif au Levant, lui, reste inchangé, alors que l’évolution des tensions, et des guerres, en Europe et dans le Pacifique, ont amené à de nouveaux déploiements particulièrement gourmands en potentiel de vol des appareils comme des équipages.

À ce sujet, justement, il est apparu que les appareils déployés, tendaient à consommer beaucoup plus rapidement leur potentiel de vol, par rapport aux appareils employés en France pour les missions d’entraînement et de Police du Ciel, d’un facteur allant de 2 à 3.

Comme tous les avions, civils ou militaires, les avions de chasse doivent respecter une procédure de maintenance très stricte, ponctuée de grandes visites, au bout d’un certain nombre d’heures de vol, durant lesquelles les appareils sont presque entièrement démontés et rassemblés, pour en garantir le bon fonctionnement à venir.

De fait, ces grandes visites rendent indisponibles chaque appareil pour plusieurs mois, et sont d’autant plus rapprochées, que les appareils volent beaucoup, en particulier en déploiement extérieur, et lors des missions opérationnelles.

40 avions de chasse promis par la France à l’OTAN, en cas de tensions ou de conflit

Si la pression opérationnelle a considérablement évolué ces dernières années, la guerre en Ukraine, et les fortes tensions entre l’OTAN et la Russie, ont amené à réviser le paramètre clé, au cœur de la construction même du format nécessaire et suffisante, de la flotte de chasse française.

RAfale F-35A
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française. 9

En effet, la France s’est engagée, depuis son retour dans le Commandement intégré de l’OTAN, à fournir à l’Alliance, en cas de conflit, 40 avions de chasse prêts au combat. Cet engagement n’est pas nouveau, mais les évolutions géopolitiques récentes, en ont fait évoluer le statut.


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De nouvelles capacités de franchissement dans le viseur de la Défense belge

De nouvelles capacités de franchissement dans le viseur de la Défense belge

– Forces opérations Blog – publié le

Renouveler les capacités de franchissement de brèches humides ou sèches de la Composante Terre belge, voila l’objet d’un programme lancé fin juillet et pour lequel l’industrie française aura une carte à jouer. 

Approuvé mi-juillet par le gouvernement belge, le programme est depuis peu entré en phase d’appel à candidature (RFP). L’enjeu ? D’une part, l’acquisition de huit systèmes de pose de ponts tactiques (Mobile Assault Bridge – MAB) et de 17 ponts. Et d’autre part, le soutien des systèmes acquis pour une durée de 10 ans. De quoi renouveler une capacité relevant des bataillons de génie et dont l’importance pour la mobilité militaire revient sur le devant de la scène.

Ce MAB sera « un véhicule à roues équipé d’une cabine blindée permettant la pose et la reprise de ponts tactiques de manière autonome ». Exit donc la chenille privilégiée jusqu’alors avec les chars lanceurs de pont Iguane (Leguan) sur châssis Leopard 1, place à un outil visiblement monté sur un châssis 10×10 afin de conserver « une grande mobilité tactique et une capacité tout-terrain ». 

Ce poseur de ponts présentera une protection de niveau 3a/b contre les mines, de niveau 3 contre les menaces balistiques et une protection minimale contre les engins explosifs improvisés. Un bouclier complété par l’ajout d’un tourelleau téléopéré sorti des stocks belges, de lance-pots fumigènes ainsi que d’un système de protection NRBC. 

Quant aux travures, celles-ci auront une longueur minimale de 22 m. De classe MLC 80, ces ponts permettront le franchissement de l’ensemble des véhicules à roues et chenillés aujourd’hui en service. Ils disposeront par ailleurs d’un système « Health & Usage Monitoring System » (HUMS), ces capteurs permettant de déterminer la charge réelle et de prédire l’ « état de santé » donc la durée de vie du système. 

Cet avant-goût de cahier des charges s’accompagnent de plusieurs exigences opérationnelles, à commencer par les dimensions. « La longueur du pont est un facteur tactique déterminant. Un pont plus long offre une plus grande flexibilité au commandant tactique dans le choix du site de franchissement », estime une Défense belge selon qui « un pont de 26 m permet également de dépasser la capacité de franchissement d’assaut russe ». 

Second critère majeur, l’interopérabilité est souhaitée avec un maximum de pays membres de l’OTAN. Et si le projet semble s’inscrire en dehors du partenariat stratégique franco-belge « Capacité Motorisée » (CaMo), l’argument d’un nouveau rapprochement capacitaire avec l’armée de Terre pèsera dans la balance. La modularité du système, enfin, est recherchée dans une moindre mesure. Il est en effet « souhaitable que que le pont long puisse être transformé en deux ponts courts » pour mieux s’adapter à la brèche rencontrée et ainsi « économiser des moyens de franchissement lors de la manoeuvre tactique ».

L’investissement est évalué à plus de 85 M€, un effort représentant plus du tiers des 235 M€ inscrits dans le plan STAR pour renouveler les capacités du génie. Un document adopté en 2022 pour définir la transformation de la Défense à l’horizon 2030 et dont la mise à jour pourrait être conduite par le prochain gouvernement belge. 

Ce type d’engin n’est maîtrisé que par une poignée d’industriels. Hormis KNDS Deutschland et son Iguane agnostique du porteur, le besoin belge n’est pas sans rappeler le système de pose rapide de travures (SPRAT) adopté côté français. Utilisé depuis 2011 par l’armée de Terre et modernisé il y a peu, le SPRAT de CNIM Systèmes Industriels permet de déployer deux ponts courts de 14 m ou un pont long de 26 m composé de deux travures en une dizaine de minutes. Des atouts à combiner avec l’éventualité d’une interopérabilité franco-belge renforcée. 

Crédits image : 13e régiment du génie