Selon la Cour des comptes, le ministère des Armées est celui qui a perdu le plus de postes en 2023

Selon la Cour des comptes, le ministère des Armées est celui qui a perdu le plus de postes en 2023

https://www.opex360.com/2024/04/23/selon-la-cour-des-comptes-le-ministere-des-armees-est-celui-qui-a-perdu-le-plus-de-postes-en-2023/


Ainsi, note le rapport, de « nombreux crédits ont fait l’objet de reports depuis 2022 et vers 2024 ». Par exemple, s’agissant du programme 178 « Préparation et emploi des forces », 2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement ont été reportés à l’exercice 2024, en raison de « marchés de maintien en condition opérationnelle [MCO] dont la préparation connaît des difficultés »… Ce qui représente 7,4 % des ressources budgétaires de la loi de finances initiale [LFI].

Autre exemple : la Cour des comptes a peu goûté le fait que des crédits de paiement d’un montant de 1,6 milliard d’euros aient été l’objet « d’un gel immédiat » pour ensuite être reportés à 2024. En outre, l’enveloppe de 200 millions d’euros destinée au « fonds spécial pour l’équipement de l’Ukraine », votée en loi de finances rectificative pour 2022 puis « en loi de finances de fin de gestion pour 2023 avec l’objectif de les reporter respectivement aux exercices 2023 et 2024, plutôt qu’en lois de finances initiales pour ces exercices, constitue une autre entorse au principe d’annualité des crédits », a-t-elle relevé.

Enfin, s’agissant de la loi de finances de fin de gestion pour 2023, qui a ouvert 2,6 milliards d’euros d’autorisations d’engagement et 2,3 milliards d’euros de crédits de paiement, elle aurait permis de couvrir des « dépenses nouvelles à hauteur de 3,3 milliards d’autorisations d’engagement et de 3 milliards de crédits de paiement » ainsi que l’annulation de dépenses mises en réserve pour 700 millions d’autorisations d’engagement et 700 autres millions de crédits de paiement.

Parmi ces nouvelles dépenses, la Cour des comptes a relevé les surcoûts afférents au soutien à l’Ukraine « sous toutes ses formes » [déploiements militaires renforcés sur le flanc oriental de l’Otan , financement direct ou indirect de cessions d’équipement], un surcoût des opérations extérieures [pour 200 millions de plus par rapport à l’enveloppe initialement prévue] et les hausses du coût des carburants opérationnels à hauteur de 300 millions.

« L’ouverture de certains crédits, par cette loi, a été très tardive par rapport au fait générateur qui leur est associé : les déploiements militaires sur le flanc Est de l’Otan, soit 600 millions d’euros, connaissaient leur forme actuelle dès la préparation de la loi de finances initiale, à la mi-2022. Il en va de même pour les coûts du carburant opérationnel qui n’ont pas été ajustés, alors qu’ils avaient déjà occasionné un besoin de financement supplémentaire en 2022 », expliquent les magistrats de la rue Cambon.

Ceux-ci ont également pointé l’allocation de 1,5 milliard d’euros supplémentaires à la mission Défense, dans le cadre de la préparation de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. « En l’absence d’une loi de finances rectificative déposée en même temps que le projet de LPM, les évolutions des dépenses correspondantes ont donné lieu à un suivi spécifique pendant la majeure partie de l’exercice et ont contribué à contraindre son exécution », soulignent-ils.

Or, selon eux, de telles « pratiques semblent motivées par la volonté de présenter en loi de finances initiale des ouvertures de crédits conformes ‘à l’euro près’ à la programmation militaire ». Mais elles ont surtout « contribué à l’analyse de l’exécution budgétaire pour 2023 et à réduire l’information du Parlement ».

Sur ce point, le rapport déplore le fait que plusieurs indicateurs budgétaires – comme les reports de charge ou les restes à payer – ne soient plus communiqués aux parlementaires, qui, là encore, ne peuvent pas exercer leur mission de contrôle de manière efficace. Même chose pour les indicateurs mesurant l’activité opérationnelle, mis sous le boisseau pour des « raisons de confidentialité ». Pour la Cour des comptes, leur confidentialité « réduit significativement l’intérêt de la partie ‘performance’ » des « publications budgétaires pour le Parlement ».

Au-delà de ces pratiques comptables, le rapport a pointé une autre anomalie… Alors que, en 2023, le ministère des Armées devait créer un peu plus de 1500 postes, il en a finalement perdu… alors que les dépenses de personnel de l’ensemble des structures de l’État ont augmenté de 6 milliards d’euros [hors pensions], en partie à cause de l’augmentation de 1,5 % de la valeur du point d’indice, mais aussi et surtout au recrutement de nouveaux agents.

« Conformément aux priorités gouvernementales, les missions régaliennes devaient être fortement renforcées avec des effectifs en hausse au sein des ministères de l’Intérieur [+ 2978 ‘équivalents temps plein’ sur un effectif de 296’097 emplois], de la justice [+ 2253 ETP sur un effectif total de 92’753 emplois] et des Armées [+ 1500 dans le seul champ du ministère, hors service industriel de l’aéronautique », rappelle la Cour des comptes.

Si les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont respecté leurs schémas d’emplois respectifs, ce n’est pas le cas de celui des Armées.

« Alors que le ministère des Armées prévoyait 1547 créations nettes de postes en LFI, l’année 2023 s’est finalement conclue par une baisse de – 2 515 ETP, s’imposant comme le premier ministère contributeur à la baisse des effectifs, contrairement à ce qui était prévu. À l’inverse, alors que la LFI prévoyait une création nette de 2000 postes au ministère de l’éducation nationale, ses effectifs ont crû de 6027 emplois en 2023, soit un écart au schéma d’emplois présenté en LFI 2023 de 4027 ETP », constate la Cour des comptes.

Pourtant, la « dynamique » des recrutements a été soutenue en 2023, avec « 27’164 entrées nouvelles externes ». Mais elle a toutefois été inférieure aux objectifs du ministère des Armées [avec un déficit de 1813 ETP]. Et cela d’autant plus que le rythme des départs n’a pas faibli, avec 25’309 « sorties » en 2023 qui sont venues s’ajouter aux 24’957 départs constatés en 2022. « Les départs sont à leur plus haut niveau depuis 2017 », note le rapport. En particulier chez les sous-officiers et les militaires du rang.

Photo : Ministère des armées

Le ministre des Armées souhaite « remilitariser » la Journée Défense Citoyenneté

Le ministre des Armées souhaite « remilitariser » la Journée Défense Citoyenneté

https://www.opex360.com/2024/04/13/le-ministre-des-armees-souhaite-remilitariser-la-journee-defense-citoyennete/


En 2011, cette JAPD est devenue la « Journée Défense Citoyenneté » [JDC], à laquelle chaque jeune français âgé de moins de 25 ans est fortement incité à participer [sous peine de ne pas pouvoir passer le permis de conduire et le Baccalauréat], après avoir accompli les démarches [obligatoires] du recensement. Cette journée prévoit des tests d’évaluation des « apprentissages fondamentaux de la langue française » mais aussi une sensibilisation aux enjeux de défense ainsi qu’un enseignement sur le civisme et une information sur « l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Cela étant, cette JDC est régulièrement remise en question. En mai 2015, le président Hollande avait ainsi fait part de son intention de la transformer en une « journée de formation et d’information », qu’il qualifia de « journée d’espoir » pour les jeunes gens censés y participer. Puis, il changea son fusil d’épaule en annonçant, lors de ses voeux à la jeunesse, en janvier 2016, que la JDC serait non seulement maintenue mais probablement allongée étant donné qu’elle était un « moment dans la vie de chaque citoyen aujourd’hui » et qu’elle permettait « à toute une classe d’âge […] de se retrouver pour des formations à la citoyenneté ».

À la même période, les députés Marianne Dubois et Joaquim Pueyo rendirent un rapport dans lequel ils estimaient que cette JDC « n’avait aucune utilité », alors que son coût était évalué à 100 millions d’euros par an. « Ce n’est pas en quelques heures qu’il est possible d’aborder les enjeux de la Défense, qui, par ailleurs, ne sont évoqués que succinctement pour faire la place à d’autres thématiques », avaient-ils fait observer. Et de proposer de renforcer l’enseignement sur la Défense, susceptible de faire l’objet d’une épreuve obligatoire en fin de parcours scolaire, voire de mettre au place, à l’instar du Canada, un programme de « cadets de la défense » s’adressant à tous les jeunes gens âgés de 12 à 18 ans.

Ce rapport n’a pas été suivi d’effet… Mais il a été institué un Service national universel [SNU], qui se veut un « projet éducatif d’émancipation et de responsabilisation des jeunes [de 15 à 17 ans], visant à les impliquer pleinement dans la vie de la Nation et à nourrir le creuset républicain. » Il s’effectue, pour le moment, sur la base du volontariat. Y participer dispense de toute obligation à l’égard de la JDC.

Justement, s’agissant de cette dernière, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, estime qu’elle « passe à côté de sa cible », alors que les armées ont l’ambition de doubler le nombre de leurs réservistes.

« C’est devenu une journée un peu fourre-tout, où des gens admirables s’engagent pour la faire vivre, mais au fond, elle se démilitarise un tout petit peu avec le temps », a en effet affirmé M. Lecornu, à l’antenne de LCI, le 12 avril. Aussi, a-t-il continué, « je souhaite la redurcir militairement à des fins aussi théoriques : il faut qu’à la fin de cette journée, les jeunes Françaises et les jeunes Français […] aient les idées claires sur notre système de défense et les rudiments de compréhension sur le fonctionnement de l’armée française, sur les grandes opérations auxquelles l’armée française a pu participer ces dernières années », a-t-il expliqué.

Mais les projets du ministre ne s’arrête pas là puisqu’il entend aussi « moderniser » le recensement en vue d’identifier « en continu » les compétences des personnes « volontaires » susceptibles de venir renforcer la réserve.

 

L’idée serait ainsi de faire « un vrai recensement des compétences, non seulement sur une classe d’âge, autour des 16 ans […] mais surtout d’avoir à l’heure du numérique, les moyens de faire un recensement continu régulier dans la population », sur la base du volontariat. Cela permettrait au ministère des Armées de recruter des réservistes en fonction des savoir-faire dont il aurait besoin le cas échéant.

Quoi qu’il en soit, une solution qui mériterait sans doute d’être étudiée [pour ne plus tourner autour du pot] consisterait à s’inspirer du modèle de service militaire mis en place par la Norvège, la Suède et le Danemark. Rétablir la conscription [qui n’est que suspendue, pour rappel] ne passerait pas forcément par l’incorporation de toute une classe d’âge comme c’était le cas auparavant. Ainsi, les armées ne retiendraient que les conscrits dont elles ont besoin pour une durée de 12 mois, en ne sélectionnant que les plus motivés et/ou les mieux formés.

Évidemment, ceux qui seraient appelés sous les drapeaux pourraient bénéficier de certains avantages par rapport aux autres [permis de conduire, aide à l’emploi, formation, etc.]. Grâce à un tel système, les forces armées norvégiennes retiennent, chaque année, 10’000 conscrits sur un potentiel de 60’000 jeunes en âge d’accomplir leur service militaire.

Photo : Ministère des Armées

Rejoignez la DGSE en qualité d’officier sous contrat

Rejoignez la DGSE en qualité d’officier sous contrat

Exercez votre spécialité technique ou linguistique dans un environnement unique.

Vous êtes titulaire d’un bac + 3 dans le domaine linguistique ou d’un bac + 4 dans le domaine technique et vous souhaitez exercer votre spécialité au sein du service secret français ?

Cette année, en partenariat avec l’armée de Terre, l’armée de l’Air et de l’Espace et la Marine Nationale nous recrutons des officiers sous contrat spécialistes (OSC/S) en primo-contrat dans les domaines technique et linguistique (arabe, russe, turc ou persan).

Un premier pas dans votre carrière militaire

Saisissez cette opportunité qui vous permettra de débuter votre carrière au côté de nos équipes et de vivre une première expérience passionnante et enrichissante.

Après une formation militaire initiale au sein de votre armée d’appartenance, vous serez affecté directement à la DGSE.
Votre contrat d’OSC/S initial sera d’une durée de 3 à 5 ans. La limite d’âge, à la date de la signature de votre contrat, est de 30 ou 32 ans selon l’armée d’appartenance.

 

Comment postuler ?

Vous pouvez consulter les fiches de postes OSC/S sur notre site et nous adresser votre CV actualisé avant le 10 mai 2024 par mail :

44ri-recrutement-osc.cer.fct@intradef.gouv.fr

 

Déroulement de la campagne de recrutement

Le processus de recrutement interne s’étend sur une durée de 6 à 9 mois en parallèle de vos démarches avec le CIRFA.

  1. Transmission de votre CV avant le 10 mai 2024 inclus.
  2. Invitation à participer à une présentation générale de la DGSE et du statut d’OSC/S, en parallèle de vos démarches en CIRFA.
  3. Entretiens métier, évaluation psychologique et de sécurité, et tests linguistiques ou techniques.
    Rencontre avec des professionnels du métier afin d’échanger sur vos compétences et vos motivations.
  4. Tests d’aptitude militaire
    Évaluation médicale et sportive au sein des centres de recrutement des armées, commune à tout engagement militaire.
  5. Signature de votre contrat
    Édition de votre contrat d’engagement en qualité d’officier sous contrat spécialiste sur la fiche de poste dédiée.
  6. Formation initiale militaire
    Découverte, en école d’officier du statut militaire, de vos droits et de vos devoirs.
  7. Affectation
    Prise de fonction à l’issue de la formation initiale militaire.

En savoir plus : 

Le recrutement et la formation des sous-officiers évoluent au sein de la 9e BIMa et de la 11e BP

Le recrutement et la formation des sous-officiers évoluent au sein de la 9e BIMa et de la 11e BP

par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 22 mars 2024

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Du nouveau dans le recrutement, la sélection et la formation des sous-officiers? C’est ce que démontrent plusieurs avis de recrutement récents. Et ce que confirme la DRHAT.

 

sousoff etap.jpg

Le premier avis concerne l’ETAP (école des troupes aéroportées) et la 11e BP; cet avis propose une session de recrutement par an pour devenir sous-officier du domaine aéroporté. La formation générale dure 10 mois.

bima.jpg

Le deuxième avis a été diffusé par la 9e BIMa (brigade d’infanterie de marine).

La brigade ouvre elle aussi sa propre école pour une partie de ses futurs sous-officiers. Au menu: spécialisation amphibie, aguerrissement en milieu désertique ou traditions propres à l’arme des troupes de marine. « Une formation par la 9, pour la 9 », dit l’avis qui précise qu’il faut avoir moins de 30 ans et candidater avant le 10 mai.
Informations au 05 49 00 25 63 ou recrutement.ricm@gmail.com

Sur ce sujet, lire l’interview du général Hervé Pierre, patron de la 9e BIMa, parue mercredi sur ouest-france.fr .

École de milieu: déjà chez les troupes de montagne
Ce type de cursus est déjà proposé par l’école militaire de haute montagne (EMHM), située à Chamonix. Elle offre à des candidats à des postes de sous-officiers une formation militaire générale de 12 mois en vue de prépare les futurs cadres des troupes de montagne. Cette formation inclut des stages commando et des formations aux techniques et tactiques en milieu montagneux tant en hiver qu’en été.

Recrutement direct
Une expérimentation est donc en cours au sein de la 9e BIMa et de la 11e BP. Elle porte sur le recrutement direct par des unités de candidats à des postes de sous-officiers. Une fois formés et acculturés, ils seront assurés de servir au sein de la brigade qui les aura recrutés et, en fonction de leur classement, dans un régiment de leur choix. 

Si l’on prend l’exemple de la 9, le cursus sera le suivant:
– recrutement à partir de mai 2024 de 12 candidats pour la première promotion (30 si tout va bien pour la promotion suivante)
– formation en 11 mois qui débutera au CFIM d’Angoulême, avec un officier chef de section et trois autres personnels d’encadrement
– des stages: Saint-Maixent pour deux mois, Djibouti au 5e RIAOM pour un mois, stages de qualification amphibie à Toulon, Penthièvre (3e RIMa) et Angers (au 6e RG)
– au bout de la formation, des postes de chefs de groupe avec la finalité de servir dans les groupements de commandos amphibies.

LPM : Nous défendre, oui, mais avec qui ?

LPM : Nous défendre, oui, mais avec qui ?


 

Si la loi de programmation militaire est précise sur les principaux équipements à acquérir, elle reste moins explicite sur les hommes qui vont les servir. Serons-nous capables de recruter et de conserver les soldats d’active et les réservistes indispensables ? Le GCA (2S) Patrick Alabergère nous invite ici à réfléchir sur le défi de la réalisation des effectifs auquel sont confrontées nos armées. 

***

La LPM 2024-2030 est souvent analysée selon le prisme du budget consenti ou celui des équipements majeurs acquis, mais plus rarement sous l’angle des effectifs.

Pourtant les effectifs autorisés aux armées dimensionnent clairement leurs capacités à remplir leurs missions. C’est un critère d’évaluation avéré pour apprécier la puissance d’une armée et sa place dans la compétition que se livrent les nations majeures.

Cette LPM affiche une augmentation modérée des effectifs consentis aux armées avec 6 300 ETP[1] supplémentaires étalés sur 6 ans, alors qu’il faut répondre à de nombreux besoins, notamment ceux générés par les nouveaux champs de conflictualités (espace, cyber) et être prêt à faire face à une guerre de haute intensité.

Mais au-delà de leur format, c’est bien la réalisation de leurs effectifs qui préoccupe aujourd’hui l’ensemble des armées.

L’atteinte du plafond d’emplois autorisés devient un objectif essentiel dans la conduite de cette nouvelle LPM. Car si ces difficultés perdurent ou s’accentuent, la réalisation des effectifs militaires deviendra l’objectif stratégique majeur qui, s’il n’est pas atteint, peut compromettre la cohérence du modèle d’armée choisi. Il faut mobiliser toutes les énergies pour résoudre cette difficulté, en allant plus loin dans l’effort fait au profit de la condition militaire, tout en développant par tous les moyens l’esprit de défense dans notre société civile qui doit continuer à fournir les futurs militaires dont nos armées ont besoin.

Crédit : SIRPA Terre.

 

Des effectifs comptés, difficiles à réaliser et à fidéliser pour faire face aux défis qui attendent les armées, malgré le doublement des effectifs de la réserve opérationnelle.

Il faut saluer l’effort fait au profit des effectifs des armées, notamment depuis la précédente LPM, mais ce n’est qu’une juste remise en cohérence après la réduction dramatique de format subie en 2008.

À cette date pour toucher d’hypothétiques dividendes de la paix, l’outil de défense a été sacrifié avec la suppression de 54 000 postes. La déflation s’est accentuée en 2012 avec l’annonce de la disparition de 26 000 postes supplémentaires. Il a malheureusement fallu attendre les enseignements tirés des dramatiques attentats de 2015 pour infléchir la tendance déflationniste.

En effet, historiquement les baisses des crédits accordés aux armées depuis la fin de la guerre froide, leur professionnalisation, la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ont conduit pendant des années à une réduction continue des effectifs. La création des bases de défense, décidée dans la seule logique d’économie d’effectifs et de soutien au moindre coût malgré ses effets désastreux sur la réactivité des unités, est le meilleur exemple du non-sens de cette politique.

Ainsi aujourd’hui, l’armée de Terre (ADT) s’efforce de recréer des structures de commandement (Brigade d’Artillerie, Brigade du Génie) et des unités opérationnelles (Bataillon de Commandement et de Soutien, unités d’Artillerie) pour répondre aux exigences du combat de haute intensité. Ne bénéficiant que d’environ 700 postes supplémentaires sur la LPM 2024-2030, elle le fait en étant contrainte de redéployer ses effectifs entre les différentes fonctions opérationnelles alors que toutes ces unités à recréer existaient en 2008…

Ainsi à l’horizon 2030, le ministère des Armées disposera de 355 000 ETP, dont 210 000 militaires et 65 000 civils d’une part et 80 000 réservistes opérationnels d’autre part. Cette augmentation de 6 300 postes génère un coût d’environ 890 millions d’euros.

Sur les 6 300 postes créés, 4 500 seulement rejoindront les forces vives des trois armées, les autres étant consacrés à l’environnement et aux services de soutien.

Cette montée en puissance s’étale sur 6 ans pour lisser dans le temps cette hausse de masse salariale, mais surtout pour tenir compte de la difficulté des armées à recruter des volumes importants chaque année.

Le rapport de l’Assemblée nationale fait au nom de la commission de la Défense Nationale et des Forces Armées en mai dernier sur le projet de LPM expose clairement cette difficulté : « Comme tous les employeurs publics et privés, le ministère des Armées fait face à des difficultés conjoncturelles pour atteindre ses cibles d’effectifs compte tenu de la concurrence exacerbée sur le marché de l’emploi et de la situation de quasi plein-emploi. Ainsi, en 2022, le ministère des Armées n’a pas réussi à réaliser son schéma d’emploi. C’est pourquoi, pour la période 2024-2030, le ministère des Armées retient une trajectoire réaliste d’augmentation de ses effectifs avec des paliers de 700 ETP supplémentaires pour les deux premières annuités, avant d’augmenter significativement les années suivantes. Le dernier alinéa de l’article 6 du projet de loi précise à cet égard que le ministère adaptera la réalisation des cibles d’effectifs fixées par le présent article et sa politique salariale en fonction de la situation du marché du travail ».

Il est donc légitime de s’interroger sur le volume de 6 300 postes supplémentaires : a-t-il été calculé en fonction des besoins à satisfaire ou dimensionné en réalité par la capacité estimée des armées à recruter d’ici 2030 ? Sans doute un peu des deux.

Pour autant, il n’existe aucune garantie que l’évolution du marché de l’emploi sur les 6 prochaines années soit favorable au recrutement des armées.

L’autre problématique en termes de réalisation des effectifs concerne la fidélisation qui est le pendant du recrutement. C’est un combat permanent que livrent les armées pour parvenir à conserver leur ressource humaine le plus longtemps possible afin de conserver des militaires entrainés et aguerris, tout en rentabilisant la formation dispensée.

S’il existait une solution simple et efficace pour gagner la bataille de la fidélisation, il y a longtemps qu’elle aurait été trouvée car dans ce domaine rien n’est jamais acquis. L’envie de renouveler un contrat ou de poursuivre une carrière repose sur une alchimie complexe, qui mêle à la fois l’évolution personnelle de l’individu, la condition militaire dans tous ses aspects, les missions réalisées, les conditions de vie et d’entrainement, les matériels servis, le style de commandement, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

La fidélisation dans les armées reste intimement liée, d’une part à la façon de vivre de son métier : la condition militaire avec en premier lieu le niveau de rémunération et d’autre part à la façon de vivre son métier : les conditions d’exercice du métier militaire au quartier comme en opérations.

Face à la raréfaction des effectifs d’active, il est mis en avant le doublement des effectifs de la Réserve Opérationnelle sur la même période (40 000 à 80 000 pour les armées dont 24 000 à 40 000 pour l’AdT).

C’est une très bonne chose de pouvoir faire appel à une composante réserve plus nombreuse, sans doute mieux formée et mieux organisée pour renforcer la capacité opérationnelle de nos armées, en complément des unités d’active. Cela peut également permettre de revigorer le lien Armée – Nation, ce qui est bénéfique dans le contexte sociétal actuel.

Mais encore faut-il que cette réserve opérationnelle soit aussi correctement équipée, ainsi que formée et entrainée, avec un référentiel de missions clairement défini dans le temps comme dans l’espace et que la bataille du recrutement soit également gagnée. Il faut imaginer quelles sont les nouvelles interactions active – réserve à mettre en place en service courant comme en période de crise et s’il est pertinent d’aller jusqu’à une hybridation de l’armée professionnelle ?

Le doublement des effectifs de réserve sur la période de la LPM, avec une cible finale à 105 000 en 2035 nécessite un effort colossal en termes de recrutement, concomitamment à celui au profit de l’active. Le défi est bien réel car il mobilise les mêmes structures au sein des armées, notamment les régiments pour l’AdT, et il puise dans des viviers voisins.

Avec de telles cibles d’effectifs, il faut impérativement réussir à simplifier la gestion administrative des réservistes, problème évoqué depuis des années, mais jamais résolu, car il constitue aujourd’hui un lourd fardeau pour les unités d’active.

Cet effort significatif sur la réserve répond également à des considérations économiques, car c’est le meilleur moyen de s’offrir de la masse, en termes d’effectifs, au moindre coût.

La guerre en Ukraine a mis en évidence la difficulté de conquérir la supériorité opérationnelle pour des armées qui souffrent d’un déficit de masse et de résilience alors que les conflits peuvent durer. L’augmentation significative de format étant hors d’atteinte financièrement pour de nombreuses armées occidentales, le débat sur la conscription pour accroitre la masse des armées fait son retour. En France, certaines voix politiques prônent même le retour du service militaire.

L’autre débat porte sur la nature de la composante réserve, certains défendent un concept de Garde nationale calqué sur le modèle américain alors qu’il reste une exception[2] hors d’atteinte pour les armées françaises.

S’agissant du retour à la conscription, l’avis de GAR (2S) Lecointre, ancien chef d’état-major des armées (CEMA), est très clair : « Le service national serait impossible à rétablir aujourd’hui. La Nation n’est pas consciente d’un danger à ce point existentiel qui justifierait un tel effort, avec tout ce que cela implique sur le plan budgétaire. De ce point de vue, augmenter la réserve est pertinent. Il s’agit de donner aux armées la possibilité d’accroître assez rapidement leurs capacités par une ressource humaine compétente, venant soit de la réserve initiale, avec des jeunes qui s’engagent, soit de la réserve d’anciens militaires ».

Une fois les effectifs de la réserve opérationnelle atteints, il faut réussir à organiser sa montée en puissance, en termes d’équipement, d’infrastructures et remettre en place les processus et les structures permettant sa mobilisation en temps et en heure. Autant de compétences et de savoir-faire que nos armées possédaient, mais qui ont disparu avec la suspension du service militaire. Pour les retrouver, il faudra du temps, de l’énergie et des effectifs dédiés.

Crédit : 13e BCA.

 

Des difficultés de recrutement avérées et explicables qui ont été prises en compte, mais qui menacent la cohérence du modèle d’armée.    

Il devient plus que jamais crucial pour les armées de gagner la bataille du recrutement et de la fidélisation pour pouvoir disposer des effectifs qui leur ont été consentis par la LPM.

Le système de ressources humaines de nos armées repose sur une logique spécifique de flux importants pour préserver la jeunesse des effectifs. Cela nécessite des volumes annuels de recrutement conséquents[3] pour compenser les départs volontaires et ceux, statutaires, liés à l’atteinte des limites d’âge.

Ces difficultés de recrutement inquiètent légitimement les états-majors. Par exemple pour la première fois depuis dix ans, l’ADT n’atteindra pas ses objectifs de recrutement à la fin de l’année puisqu’il manquera entre 2 000 et 2 500 militaires. Alors qu’elle bénéficie d’un certain élan positif depuis 2015 et que les attentats ont généré un attrait pour les métiers militaires, la dynamique favorable semble terminée.

Nos armées doivent affronter une très forte concurrence dans un marché de l’emploi défavorable avec un taux de chômage en baisse. Comme l’indique le Directeur des Ressources Humaines du ministère des Armées, il existe une forte corrélation entre l’état du marché de l’emploi et la capacité du ministère à réaliser ses objectifs de recrutement. Ainsi, selon la situation conjoncturelle et concurrentielle du marché du travail, il est possible que le ministère adapte la programmation annuelle des effectifs pour chaque annuité de la LPM. Autrement dit, si les armées n’arrivent pas à recruter, leurs objectifs peuvent être revus à la baisse au détriment de l’atteinte de leur format et donc de leur capacité à remplir leurs missions.

Les armées se heurtent à une forte concurrence dans certains métiers, éprouvant des difficultés à recruter des spécialistes dans le numérique, la maintenance ou les langues, pour remplir des missions de renseignement. Dans la cyberdéfense, les employeurs civils offrent des conditions salariales bien plus attractives que les armées pour attirer les jeunes talents.

Elles subissent aussi de plein fouet la concurrence du secteur privé dans un contexte de marché du travail en tension. Ainsi, l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) doit faire sa place face au secteur privé aéronautique qui embauche massivement (13 000 recrutements pour Thales et 10 000 recrutements pour Airbus en 2023). L’AAE doit trouver des « gentlemen agreement » avec la DGAC et les industriels de défense pour limiter le « débauchage massif et non coordonné » des aviateurs et mécaniciens.

De plus, les données démographiques européennes ne sont pas favorables au recrutement. Avec un taux de fécondité moyen sous la barre des 1,5 enfant par femme, un vieillissement de la population européenne, les politiques de recrutement des armées européennes sont fragilisées.

En effet, le nombre relatif de candidats va diminuer, du fait d’un nombre plus réduit d’enfants et donc de jeunes éligibles aux fonctions militaires. Tous ces éléments font peser une menace sur le format des principales armées européennes notamment celles qui, comme la France, ont fait le choix de la professionnalisation.

Mais surtout les armées recrutent dans un vivier restreint par nature en raison des exigences découlant de la singularité du métier militaire où le collectif prime sur l’individu, l’intérêt général sur l’intérêt particulier. Comme il n’est pas envisageable de revoir à la baisse ces exigences, sauf à perdre la réactivité, la disponibilité et l’esprit de corps qui font la force des armées, c’est le candidat à l’engagement qui doit s’adapter à son futur environnement.

Il doit pour cela accepter les contraintes liées à son statut de militaire, les fameuses sujétions du métier militaire, de plus en plus en décalage avec l’évolution des valeurs partagées par la société civile et diffusées par le système éducatif et social.

Pour autant, les militaires ne sont pas imperméables à ces évolutions sociétales. En effet, il existe aujourd’hui une plus grande convergence entre les comportements sociaux et familiaux des militaires avec ceux constatés dans l’ensemble de la société. Les modes de vie du militaire et de sa famille tendent à rejoindre ceux du reste de la population française.

« Il y a un éloignement croissant entre le style de vie moyen et celui que nous proposons », explique le Chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT). Les contraintes de disponibilité, de mobilité territoriale ou encore de vie familiale deviennent des freins à l’embauche.

Ce vivier, restreint au départ par construction, est en plus partagé avec la gendarmerie, la police, les pompiers, voire les douanes et l’administration pénitentiaire, sans oublier les sociétés privées de sécurité qui recrutent énormément dans l’objectif des Jeux Olympiques de 2024.

Il faut noter que toutes ces administrations sont confrontées, comme les armées, à de sérieuses difficultés de recrutement. Pour la première fois, la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris est en sous-effectif de 300 postes, recrutant mensuellement 70 jeunes sapeurs-pompiers au lieu de la centaine nécessaire pour faire vivre son modèle RH et remplir ses missions.

Cette tendance est partagée par nos alliés puisque la Bundeswehr et l’US Army rencontrent des difficultés pour recruter. Les enrôlements allemands sont en recul de 7 %, selon une information du Spiegel, alors que les États-Unis n’ont pas atteint leurs objectifs de recrutement puisque 15 000 postes restaient vacants en 2022.

L’AdT est parfaitement consciente des enjeux du recrutement. Elle est sans doute encore plus sensibilisée que d’autres à l’importance cruciale de ses effectifs, car ce sont ses hommes qui constituent son système d’armes. Elle peut se définir par des hommes servant des systèmes d’armes, alors que la Marine et l’AAE se caractérisent d’abord par des systèmes d’armes (bâtiments et aéronefs) servis par des hommes.

Ainsi l’AdT prévoit d’optimiser la fidélisation des personnels au-delà de cinq ans de service, de développer la gestion individualisée des parcours, d’améliorer les conditions de vie et de travail, tout en mettant en place des efforts financiers sur les métiers en tension. Pour le recrutement, elle compte également investir davantage les zones urbaines, en premier lieu l’Île-de-France, qui ne contribue pour l’instant qu’à hauteur de 15 % du contingent, soit l’équivalent de l’Outremer.

Pour compléter les efforts déjà demandés à sa chaine recrutement, elle a demandé aux régiments de s’impliquer encore plus dans ce défi en les autorisant pour la première fois à recruter directement, sans intermédiaire, dans la société civile.

En termes de fidélisation, il faut s’interroger sur la pertinence de conserver un volume de recrutement ab initio dans les services interarmées aussi important. En effet, ce mode de recrutement initial rend bien plus difficile le reclassement des plus anciens engagés des forces en deuxième partie de carrière dans des métiers de soutien, moins exigeants physiquement. D’autant plus que ce type de recrutement sollicite le vivier des jeunes recrues dont les forces ont cruellement besoin.

Le ministère des Armées est conscient que le défi du recrutement nécessite d’améliorer la condition militaire pour mieux répondre aux sujétions du métier militaire. En termes de salaire, la Nouvelle Politique de Rémunération des Militaires (NPRM) mise en place dans la précédente LPM et poursuivie dans la LPM 2024-2030 va dans le bon sens, à condition qu’elle ne fasse pas trop de déçus ou de perdants. De même, la poursuite du plan famille est une réponse positive aux contraintes subies par les familles de militaires.

Mais ces mesures en cours d’application seront-elles suffisantes pour faciliter la résolution de la crise du recrutement, surtout si cette dernière perdure, voire s’aggrave ?

La réalisation des effectifs devient un enjeu stratégique qui nécessite d’aller encore plus loin en termes de condition militaire et de mener des actions en direction de la société civile pour promouvoir et développer l’esprit de défense.

En privilégiant la cohérence de notre modèle d’armée par rapport à sa masse, considérée pourtant comme un facteur de supériorité opérationnelle, cette LPM résulte d’un choix politique et économique compréhensible. En effet, dans un pays qui consacre près de 40 % de son PIB à ses dépenses de protection sociale, dont la dette publique s’élève à plus de 110% du PIB, avec une balance commerciale déficitaire depuis plus de 25 ans et un environnement social de plus en plus tendu, les arbitrages financiers sont lourds de responsabilités.

Mais le minimum d’effectifs consenti à nos armées ne doit pas être remis en cause par un recrutement et une fidélisation défaillants, car c’est la cohérence du modèle d’armée qui n’existerait plus.

Pour devenir un facteur de supériorité opérationnelle, le critère de masse exige un niveau minimal d’effectifs pour mener un combat de haute intensité dans la durée. Il semble déjà illusoire d’y parvenir avec les effectifs annoncés en fin de LPM et encore moins si la défaillance du recrutement les remet en cause. Il faut être conscient qu’un conflit de haute intensité, même limité dans le temps et dans l’espace, engendrera des pertes massives que la réserve opérationnelle ne palliera pas.

Pour gagner la guerre avant la guerre, encore faut-il montrer ses muscles pour être respecté, craint si possible, et surtout être dissuasif dans des affrontements en dessous du seuil nucléaire. Pour éviter un contournement de la dissuasion par le bas, il faut de la masse, donc des hommes et des équipements en quantité suffisante.

Le défaut de recrutement peut constituer un danger mortel car dans le modèle d’armée professionnalisée, les effectifs sont la seule chose qui ne s’achète pas.

Les équipements sont conçus dans des bureaux d’étude, commandés par les armées et fabriqués dans des usines par les industriels. Puis ils sont livrés aux unités, au rythme des chaines de production et des capacités annuelles de financement des armées.

En revanche pour nos soldats, pas de bureaux d’études pour les concevoir, pas de chaine de fabrication et de livraison régulière selon la masse salariale disponible. Il faut extraire de la société civile chaque futur militaire, au rythme de la capacité des recruteurs à le convaincre de rejoindre les armées. Il faut qu’il soit convaincu du bien-fondé de son engagement, puis gagner la bataille de la fidélisation pour le conserver le plus longtemps possible.

Avec le budget nécessaire et les capacités de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) française, les équipements seront globalement toujours au rendez-vous, en revanche rien ne garantit que nos soldats soient en nombre suffisant pour les servir.

Pour gagner la bataille du recrutement et de la fidélisation qui se dessine, le levier de la condition militaire doit être prioritairement utilisé pour améliorer nettement l’attractivité du métier militaire en termes de rémunération notamment, en allant plus loin que ne le prévoit la LPM. Améliorer la condition militaire devient donc une nécessité stratégique pour faire face à la crise de recrutement et de fidélisation qui s’annonce.

Pour illustrer cette nécessité, il suffit de consulter le dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la Condition Militaire (HCECM) en prenant l’exemple des officiers qui est le sujet de l’étude. Il fait plusieurs constats qui fragilisent la fidélisation :

  • Un écrasement des grilles indiciaires de l’ensemble des militaires entre 2011 et 2023 ;
  • Un décrochage des rémunérations des officiers supérieurs des 3 armées vis-à-vis des fonctionnaires de catégorie A+ et en particulier des commissaires de police ;
  • Cette situation défavorable rejaillit mécaniquement sur le montant de la pension de retraite des officiers, calculé en fonction de la part indiciaire de la rémunération en fin de carrière.

Ces situations fragilisent la fidélisation, car elles détériorent l’attractivité des fonctions d’officier, dans le cadre du recrutement interne, et leur fidélisation. Or les armées ne peuvent plus se permettre de perdre leurs talents.

Pour remédier à cet état de fait, le HCECM propose plusieurs mesures, non prises en compte dans la LPM 2024-2030, qui méritent pourtant une attention particulière si les armées veulent réussir à conquérir et préserver leurs effectifs :

  • Revoir les grilles indiciaires de l’ensemble des militaires et, en cas de séquençage dans la mise en œuvre des nouvelles grilles, de commencer par les officiers, sauf à prendre le risque d’altérer davantage l’attractivité de la fonction d’officier et d’affecter leur moral ;
  • Intégrer l’indemnité d’état militaire (IEM) dans le calcul de la pension militaire de retraite dans la mesure où elle compense les sujétions inhérentes au statut militaire ;
  • Assurer une cohérence de la politique indiciaire entre toutes les catégories de militaires pour préserver l’escalier social ;
  • Revaloriser le positionnement indiciaire des officiers au regard de la nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l’État et des limites de la compensation purement indemnitaire des conséquences de la mobilité géographique, notamment sur l’emploi du conjoint et le niveau de vie des ménages.

Ce constat est corroboré par un rapport du Sénat, établi en 2019 au nom de la commission des finances sur la gestion des ressources humaines dans les armées, qui estime qu’en dépit des mesures spécifiques de revalorisation, le niveau général de rémunération des militaires apparaît faible, en comparaison des armées alliées et des autres emplois de la fonction publique.

La condition militaire ne se réduit pas aux seules rémunérations, même si elles en sont la traduction la plus visible. Les attentes en termes de réduction de la mobilité et d’accès au logement sont maintenant devenues des enjeux cruciaux de condition militaire sur lesquels des efforts supplémentaires doivent être faits pour ne pas diminuer encore l’attractivité du métier militaire.

Bien entendu la condition militaire n’est pas le seul levier à utiliser, car en matière de recrutement il faut prendre en compte de nombreux facteurs sociétaux : l’esprit de défense, le sentiment national, le niveau de résilience de la Nation, l’éducation.

En effet, le militaire est toujours un produit de la société civile qui l’a éduqué et façonné en tant que citoyen. Il rejoint les armées parce qu’il est volontaire, qu’il en a envie et qu’il y trouve un intérêt, avant de retourner au terme de sa carrière dans le monde civil, entre 3 et 40 ans plus tard selon son parcours.

Il existe donc un lien direct entre la nature et les caractéristiques de la société civile d’une nation, la vivacité de l’esprit de défense qui y règne et l’existence d’un vivier potentiel permettant aux armées de recruter les soldats dont elles ont besoin.

Malheureusement l’esprit de défense ne se décrète pas, il découle d’abord du sentiment d’appartenance à une Nation dont les valeurs, l’histoire, le fonctionnement démocratique sont partagés et enseignés. En faisant renaitre ce sentiment national, l’esprit de défense sera naturellement conforté, car il se construit dans le temps long par l’action conjuguée de la famille, de l’école, de la société, de décisions politiques. Mais il relève aussi d’éléments d’ordre psychologique, moral, politique et social, d’une conscience collective, du rapport à la patrie et, surtout, d’une compréhension collective des enjeux de sécurité. Autant d’éléments qu’il est parfois difficile de percevoir concrètement aujourd’hui en France.

L’esprit de défense est d’autant plus difficile à développer lorsque la sécurité d’une Nation est confiée à un nombre de plus en plus restreint de ses citoyens, qualifiés aujourd’hui de « professionnels ». La défense du pays, de ses intérêts, de sa culture et de son influence devient alors l’affaire d’une minorité d’experts spécialistes, dont le reste de la société peut facilement se dessaisir.

Plus l’esprit de défense sera développé au sein de la société civile, plus le nombre de jeunes citoyens conscients de l’importance de défendre leur pays sera important et plus le vivier potentiel de recrutement pour les armées sera intéressant.

Il faut donc chercher par tous les moyens à développer cet esprit de défense dans notre société. Les armées ont certes un rôle important à jouer en se faisant encore mieux connaitre, mais il faut au préalable une véritable volonté politique. Elle doit se traduire par des actions concrètes allant au-delà des déclarations d’intention, pour ensuite être relayée par l’éducation, la famille, l’entreprise, les acteurs sociaux qui concourent tous dans leur domaine à transmettre les valeurs sur lesquelles se construit la résilience d’un pays.

On ne détruit pas impunément dans une société la valeur travail, la fierté d’appartenance à une Nation démocratique, la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt individuel et des devoirs sur les droits, sans fragiliser l’esprit de défense et la capacité d’un pays à se défendre face au retour de la guerre.

Le CEMAT formule cette interrogation centrale : « Nos sociétés occidentales, dont les dernières générations n’envisageaient jusqu’à récemment la guerre qu’au travers des livres d’Histoire, sont-elles prêtes à voir leurs fils et filles mourir en nombre pour un plus grand bien ? ».

À l’heure des réseaux sociaux mondiaux, des communautarismes d’appartenance et des individualismes exacerbés, se pose donc la question de savoir quel esprit de défense irrigue la France et si nous sommes prêts, en tant que nation, à faire face aux menaces grandissantes qui se profilent.

Cet effort crucial pour développer l’esprit de défense est donc l’affaire de toutes les composantes de la société, il conditionne par relation de cause à effet la capacité à recruter des armées et il devient à ce titre un enjeu stratégique.

Tout est en place pour que la conquête de la ressource humaine devienne le défi majeur pour les armées durant les prochaines années et bien au-delà de l’horizon de la LPM. La condition militaire, autour du triptyque rémunération-mobilité-logement et les différentes compensations des sujétions du métier militaire constituent un levier stratégique pour espérer remporter la bataille du recrutement et de la fidélisation.

Ce combat ne peut être remporté qu’avec le développement d’un esprit de défense bien plus vivace dans notre société. Cette prise de conscience est indispensable pour faire comprendre à nos concitoyens que la défense nationale n’est pas qu’une affaire exclusivement militaire.

Mais attention, le temps RH n’est pas celui de l’immédiateté, ni celui du temps politique. Pourtant les décisions d’aujourd’hui engagent l’avenir de nos armées, de la même façon que celles d’hier ont généré les difficultés d’aujourd’hui.

Dans une société française où le sens du devoir est de moins en moins enseigné et cultivé, il faut absolument se donner les moyens de redynamiser l’esprit de défense, sans attendre une évolution géopolitique dramatique qui engendrerait un sursaut trop tardif. Concomitamment, il est indispensable d’améliorer encore la condition militaire pour trouver suffisamment de jeunes hommes et femmes qui aient encore l’audace de servir leur pays au sein des armées. C’est le véritable défi d’aujourd’hui pour espérer gagner la bataille de la réalisation des effectifs demain.


NOTES :

  1. Postes exprimés en ETP : Équivalent Temps Plein.
  2. La Garde nationale américaine est une force de réserve opérationnelle dirigée directement par les états américains, et coordonnée par les armées fédérales. C’est l’une des plus importantes forces militaires au monde, avec presque 500 000 hommes, 8 divisions d’infanterie, 62 brigades de soutien ou spécialisées, et des dizaines de milliers de véhicules blindés, hélicoptères et avions de combat.
  3. 15 à 16 000 recrutements par an pour l’AdT, tous grades confondus.

CERCLE MARÉCHAL FOCH

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).

La Marine nationale précise ses plans pour l’avenir de sa réserve opérationnelle

La Marine nationale précise ses plans pour l’avenir de sa réserve opérationnelle


La Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 prévoit d’accroître significativement le format de la réserve opérationnelle, avec l’objectif d’atteindre le ratio d’un réserviste pour deux militaires d’active à l’horizon 2035… Ce qui supposera de recruter et de fidéliser environ 105’000 volontaires.

Il s’agira ainsi de conforter la « pertinence du modèle d’armée professionnelle » grâce à une « réserve opérationnelle plus nombreuse et mieux équipée, pleinement intégrée à l’armée active et polyvalente dans ses missions, dont l’emploi sera intensifié ».

En outre, comme l’a souligné le contre-amiral Laurent Berlizot, chef du pôle « Cohésion nationale » au sein de l’État-major de la Marine nationale, lors du dernier point de presse du ministère des Armées, ce renforcement de la réserve opérationnelle vise aussi à renforcer la « résilience de la Nation ».

Selon son site dédié au recrutement, la Marine nationale compte actuellement 15 % de réservistes opérationnels dans ses rangs, soit 6000 volontaires. Que feront ceux qui seront recrutés dans les années à venir ?

L’été dernier, alors qu’il s’apprêtait à quitter ses fonctions de chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier avait évoqué le projet de créer des « flottilles côtières de réserve », afin de « durcir » la défense maritime et de combler les « angles morts » en matière de surveillance.

Ces nouvelles unités de réservistes opérationnels sont sur le point de voir le jour. En effet, le contre-amiral Berlizot a annoncé que l’état-major d’une première flottille côtière de réserve sera formé à Brest d’ici l’été 2024, avec deux escouades associées, l’une à Bayonne, l’autre à La Rochelle. Ces entités seront dotées d’embarcations semi-rigides [le modèle n’est pas encore arrêté] et de mini-drones de type Anafi.

« Dans sa forme aboutie, le dispositif prévoit la création de trois flottilles côtières adossées aux façades littorales de l’Atlantique [Brest], de la Méditerranée [Toulon] et de la Manche et mer du Nord [Cherbourg] », a précisé le contre-amiral Berlizot.

Une flottille côtière de réserve sera constituée de dix escouades, comptant chacune 70 marins réservistes. En outre, six autres escouades seront créées en outre-mer. Au total, ce dispositif mobilisera 3000 volontaires, susceptibles d’être sollicités pendant une trentaine de jours par an. Ils auront à assurer quatre types de missions : « patrouiller » [intégration dans la fonction « garde-côtes »], « observer » [renforcement de la posture permanente de sauvegarde maritime], « protéger » [intégration au dispositif de l’action de l’État en mer] et « rayonner ».

Ces unités de réservistes « conduiront par exemple des missions de présence, de surveillance, de sauvetage en mer d’opportunité ou de diffusion des règles de bonnes pratiques aux usagers de la mer. Les escouades seront sous contrôle opérationnel du commandant de zone maritime et coopéreront avec les unités de la Marine nationale », a détaillé le contre-amiral Berlizot.

Cela étant, ces flottilles côtières ne représenteront qu’un quart de l’effectif de réservistes opérationnels de la Marine nationale à l’horizon 2035. Aussi, trois « flottilles spécialisées » vont être créées, en particulier dans les domaines de numérique/cyber, de la logistique opérationnelle et de la formation. Sur ce dernier point, il est question de recruter des professeurs réservistes qui iront ensuite enseigner dans les écoles de la « Royale ».

Enfin, 11 « flottilles maritimes » vont être mises sur pied, avec l’objectif de recruter plus de 2500 réservistes opérationnels. Ces unités seront adossées à une « autorité d’emploi », c’est à dire à l’aéronautique navale, à la force d’action navale, à la force océanique stratégique, etc.

Un haut responsable du Pentagone a publiquement appelé le Royaume-Uni à revoir le format de ses armées

Un haut responsable du Pentagone a publiquement appelé le Royaume-Uni à revoir le format de ses armées

https://www.opex360.com/2024/01/27/un-haut-responsable-du-pentagone-a-publiquement-appele-le-royaume-uni-a-revoir-le-format-de-ses-armees/


Vingt ans plus tard, après maintes « réformes », « externalisations » et autres revues stratégiques expliquant comment faire davantage avec toujours moins de moyens, le format des forces britanniques a été réduit d’environ 30%, selon des chiffres communiqués à la Chambre des communes.

Ainsi, l’effectif de la Royal Air Force [RAF] a fondu de 40% [avec « seulement » 31’940 aviateurs] tandis que ceux de la British Army et de la Royal Navy ont diminué respectivement de 31% et de 21%. Pour autant, cela n’empêche visiblement pas le Royaume-Uni de tenir son rang au sein de l’Otan puisqu’il fournit environ 20% des moyens mobilisées pour l’exercice « Steadfast Defender » qui, lancé cette semaine avec la participation de 90’000 militaires, est décrit comme étant le plus vaste jamais organisé depuis ceux de type Reforger, dans les années 1980.

Quoi qu’il en soit, avec un effectif réduit à 141’460 militaires, et sans parler de la « haute intensité », le Royaume-Uni n’est a priori plus en mesure d’avoir un niveau d’engagement semblable à celui qui était le sien en 2003. D’autant plus que ses forces armées ne sont pas encore arrivées au bout de leurs peines au regard de leurs difficultés à recruter et à fidéliser leurs personnels.

Lors d’une récente réunion du comité des Comptes publics de la Chambre des communes, le député [conservateur] Mark Francois a avancé que le « taux de départ des forces armées est de trois pour une recrue ». Et d’ajouter : « C’est le patient qui saigne sur la table d’opération. On ne peut pas continuer ainsi plus longtemps ».

En attendant, cette crise du recrutement et de la fidélisation n’est évidemment pas sans conséquences sur le plan opérationnel. Ainsi, faute de marins, la Royal Navy a dû se résoudre à accélérer le désarmement de deux de ses frégates de type 23 et envisage de mettre sous cocon ses deux navires d’assaut amphibie, ce qui pose la question de l’avenir des Royal Marines.

Cette situation préoccupe… les États-Unis, où, à plusieurs reprises, des responsables militaires se sont interrogés sur l’efficacité des forces britanniques. Comme le fit, en 2015, le général Ray Odierno, alors chef de l’US Army. « Dans le passé, nous avions une division de la British Army travaillant aux côtés d’une division américaine et nous avons maintenant une brigade britannique intégrée à une division américaine », avait-il relevé.

En 2023, il a été rapporté par Sky News qu’un général américain de « haut rang » avait estimé que la British Army n’était « plus une force de combat de haut niveau ». Mais les propos tenus le 25 janvier par Carlos Del Toro, le secrétaire à l’US Navy, devant le Royal United Services Institute [RUSI], sont d’une tout autre nature.

En effet, le responsable américain a critiqué la politique de défense britannique… Ce qui est rare à ce niveau. « La Grande-Bretagne devrait revoir la taille de ses forces armées pour répondre aux menaces posées par la Russie et à la crise au Moyen-Orient », a dit M. Del Toro.

« Franchement, je dirais que, compte tenu des menaces à court terme qui pèsent sur le Royaume-Uni et les États-Unis, les investissements dans la marine britannique sont d’une importance cruciale », a-t-il ajouté. Et de suggérer que Londres doit aussi reconsidérer le format de la British Army.

« Toute décision de dépenser davantage pour les forces armées britanniques relève du gouvernement britannique » mais « aux États-Unis, nous avons continué à investir de manière significative dans notre sécurité nationale », malgré un contexte économique difficile, a aussi fait valoir le secrétaire à l’US Navy.

Pour le Guardian qui a été le premier à rapporter les propos de M. Del Toro, « bien que les dirigeants américains appellent souvent les pays européens à augmenter leurs dépenses de défense, les commentaires pointus sur l’armée britannique sont rares en raison de l’étroite relation militaire » entre la Grande-Bretagne et les États-Unis.

Pour le chef de la British Army, la société britannique doit se préparer à l’éventualité d’une guerre

Pour le chef de la British Army, la société britannique doit se préparer à l’éventualité d’une guerre

https://www.opex360.com/2024/01/24/pour-le-chef-de-la-british-army-la-societe-britannique-doit-se-preparer-a-leventualite-dune-guerre/


« Si le conflit s’arrête aujourd’hui, quel serait le bilan? L’Ukraine a résisté contre toute attente. La Suède et la Finlande ont rejoint […] l’Otan [du moins, Stockholm est sur le point de le faire, ndlr]. L’armée de terre russe est dans un état critique. Elle ne constitue plus une menace pour l’Otan. La Russie a installé un lien de vassalisation avec la Chine. Elle s’est placée dans une situation de défaite stratégique », a en effet expliqué le CEMA.

Cependant, Grant Shapps, le ministre britannique de la Défense, n’est pas exactement sur la même ligne. « Un autre facteur inquiétant apparaît désormais : nos adversaires sont davantage liés les uns aux autres », a-t-il récemment estimé, dans un discours prononcé le 15 janvier à Lancaster House. « La Russie entretient […] un ‘partenariat sans limites’ avec la Chine » et « compte sur les drones iraniens et les missiles balistiques nord-coréens pour bombarder l’Ukraine », a-t-il ajouté.

En attendant, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a de nouveau mis en garde contre le risque d’une guerre [ce qu’il fait régulièrement depuis plusieurs semaines…], à l’occasion d’un entretien diffusé par la ZDF, le 21 janvier. Même si une attaque russe ne paraît pas probable « pour l’instant », il a expliqué qu’elle pourrait l’être dans quelques années. « Nos experts s’attendent dans cinq à huit ans à une période au cours de laquelle cela pourrait être possible », a-t-il dit. Aussi, « nous devons être capables de faire la guerre », a-t-il insisté.

En octobre, M. Pistorius avait déjà dit peu ou prou la même chose… « Nous devons nous habituer à nouveau à l’idée qu’il pourrait y avoir une menace de guerre en Europe » et cela « signifie que nous devons nous préparer à la guerre, que nous devons être capables de nous défendre et d’y préparer la Bundeswehr et la société », avait-il en effet déclaré, sur la même antenne. Depuis, la question de rétablir une nouvelle forme de service militaire est évoquée outre-Rhin.

En Suède, il est aussi question de préparer la population civile à une possible guerre. « Mon intention première n’est pas de faire peur, mais plutôt à faire prendre conscience de la situation. Je cherche à ouvrir une porte : une porte qui est souvent bloquée et encombrée par les exigences et les défis de la vie quotidienne. Une porte que de nombreux Suédois ont peut-être gardée fermée toute leur vie. Une porte vers un espace où nous sommes confrontés à une question importante : qui êtes-vous si la guerre éclate? », a en effet déclaré Carl-Oskar Bohlin, le ministre suédois de la Défense civile, le 7 janvier.

Visiblement, cette question « travaille » aussi le général Sir Patrick Sanders, le chef de la British Army. Ainsi, lors d’une conférence organisée à Twickenham [dont le stade pourrait réunir tous les soldats de l’armée britannique], il a estimé que la société d’outre-Manche devait se préparer à l’éventualité d’une guerre.

Il est « essentiel et non seulement désirable » de « prendre les mesures préparatoires en vue de placer nos sociétés sur le pied de guerre si besoin. C’est une action qui doit mobiliser toute la nation », a en effet déclaré le général Sanders. « L’Ukraine illustre le fait que les armées professionnelles commencent les guerres et que les armées de citoyens les gagnent », a-t-il ajouté.

« Nos prédécesseurs n’ont pas compris les implications de ce qu’on appelle la crise de juillet 1914 et se sont retrouvés dans la plus horrible des guerres. Nous ne pouvons pas nous permettre de commettre la même erreur aujourd’hui », a ensuite enchaîné le chef de la British Army.

Pour autant, il n’est pas question pour lui de rétablir la conscription. Cependant, a-t-il continué, « nous avons besoin d’une armée conçue pour se développer rapidement à partir d’un premier échelon et fournir des ressources à un second échelon, puis pour former et équiper l’armée citoyenne qui suivra. Dans les trois prochaines années, on devrait pouvoir parler d’une armée britannique de 120’000 hommes, en intégrant les réservistes. Mais ce ne sera pas encore assez ». En clair, il s’agirait de poser les bases rendant possible une éventuelle « mobilisation nationale »… à un moment où les forces armées britanniques – et la British Army en particulier – connaissent une crise des vocations.

De tels propos font écho à ceux récemment tenus par le président du Comité militaire de l’Otan, l’amiral néerlandais Rob Bauer. « Nous avons besoin que les acteurs publics et privés changent de mentalité pour passer d’une époque où tout était planifiable, prévisible, contrôlable et axé sur l’efficacité à une époque où tout peut arriver à tout moment », a-t-il déclaré, la semaine passée.

«Pour un service national obligatoire qui ne soit pas seulement militaire»

«Pour un service national obligatoire qui ne soit pas seulement militaire»


«Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise.»

«Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise.» Dragoș Asaftei / stock.adobe.com

FIGAROVOX/TRIBUNE – Face aux bouleversements géostratégiques en cours, le général de La Chesnais, ancien major général de l’armée de terre, plaide pour relancer un service national opérationnel obligatoire, différent de l’ancien service militaire, et refonder la défense opérationnelle du territoire.

Ancien numéro deux de l’armée de terre, le général (2S) Bertrand de la Chesnais a été directeur de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour.


Après la chute du Mur de Berlin, les budgets de défense de la France sont tombés à 1,7% du PIB. Il a fallu attendre 2015 pour que la tendance s’inverse sous la pression des attentats terroristes. Et depuis le printemps 2022, nous vivons un véritable retournement stratégique. Mais cette prise de conscience est encore bien timide : le budget de la défense atteint péniblement 1,9% du PIB et la prochaine LPM 2024-2030 poursuit une trop lente remontée.

L’armée française dispose certes d’une «armée complète», mais constituée d’échantillons de capacités, sans masse ni réserve. Or, les conflits d’aujourd’hui nous démontrent que, pour tenir dans la durée, il nous faut du nombre et de la Réserve.

Il y a aujourd’hui urgence ! Alors que notre stratégie a été durant des années d’aller chercher nos ennemis au plus loin, à la racine (Afghanistan, Moyen Orient, Sahel), nous sommes aujourd’hui contraints de les combattre sur le continent européen comme sur notre sol, (Sentinelle, Ukraine). Demain, devrons-nous combattre y compris dans nos villes ? Face à un ennemi diffus qui se manifeste à travers des attaques terroristes et des émeutes, les forces de l’ordre seraient-elles suffisantes ?

Puisque nous sommes contraints d’abandonner l’ère de l’armée de projection, l’heure est venue de réfléchir à l’armée dont a besoin notre nation pour faire face aux dangers d’aujourd’hui. Ce changement de paradigme nécessiterait, à l’évidence, un nouveau livre blanc et un plan aussi ambitieux que celui qui a été mis en place après-guerre pour nous doter de l’armement nucléaire autonome.

Mais le temps long ne nous exonère pas de prendre des mesures immédiates, justement pour être au rendez-vous de l’histoire. Il est certes urgent de rééquiper nos armées pour mener une guerre de haute intensité à laquelle elles ne sont absolument pas prêtes, mais il est impératif de faire tomber deux tabous que n’ose affronter l’intelligentsia, tant militaire que politique :

– remettre en place un véritable service national opérationnel obligatoire pour l’ensemble d’une classe d’âge ;

– et renouveler de fond en comble la défense opérationnelle du territoire, pour préparer l’armée à combattre un ennemi sur notre territoire, aux côtés des forces de l’ordre.

Et pourtant, un service national opérationnel, obligatoire pour tous au sein d’une classe d’âge, aurait de multiples avantages qui dépassent largement toutes les difficultés soulevées.

L’ancien premier ministre Édouard Philippe a lancé un pavé dans la mare il y a peu en indiquant que l’idée d’un service militaire était une possibilité à étudier à condition qu’il ait un intérêt sur le plan militaire. D’autres soulèvent les questions de coûts pour répondre aux besoins d’infrastructure, d’encadrement et d’équipement que nécessiterait la remise en route d’un tel service. D’autres des questions de faisabilité pratique face à l’ampleur d’une classe d’âge : près de 800.000 jeunes, garçons et filles, à encadrer. Les derniers, enfin, craignent qu’on arme ceux-là mêmes que l’on pourrait avoir à combattre demain. Il est certain que si on commence par additionner les difficultés, il vaut mieux ne rien faire.

Et pourtant, un service national opérationnel, obligatoire pour tous au sein d’une classe d’âge, aurait de multiples avantages qui dépassent largement toutes les difficultés soulevées. Ici, tous les mots ont leur importance : service pour gratuité et sens ; national pour action collective répartie dans les services régaliens de l’État ; opérationnel pour efficacité immédiate et dans la durée, au minimum 6 mois ; obligatoire pour garçons et filles.

Le bon sens populaire appelle de ses vœux le « retour du service militaire », même s’il n’en voit pas forcément l’intérêt opérationnel. À l’inverse, l’institution militaire, et la plupart des décideurs politiques ou chercheurs et analystes, y sont généralement opposés pour les raisons évoquées plus haut. Pour éviter de penser autrement, ils rappellent avec force comme unique argument que la vocation d’un service militaire n’est pas de faire de la cohésion sociale. Il convient pourtant d’admettre que cela reste une vertu secondaire importante qui participe de la résilience de la nation ; les exemples d’Ukraine et d’Israël nous le montrent.

Il reste à imaginer comment utiliser cette force humaine que constituerait un contingent de près de 400.000 jeunes de 18 à 25 ans, dont la composante militaire ne serait qu’une branche. Ma suggestion est de commencer par une sélection précise et approfondie sur tous les plans, physique, scolaire, sécuritaire, social, afin de déterminer les aptitudes et restrictions, notamment au service des armes, pour définir l’affectation qui sera proposée au jeune.

La répartition de cette demi-classe d’âge doit correspondre à des besoins opérationnels au regard des menaces à venir ou potentielles et des missions régaliennes ou d’urgence de l’État. Il est donc proposé de répartir le contingent dans les armées (100.000) pour répondre à leurs besoins, notamment pour la défense opérationnelle du territoire ; dans les forces de sécurité, police, gendarmerie et douanes (100.000), pour renforcer leur présence au quotidien ; dans les corps non armés (100.000) tels que les Pompiers, les Eaux et Forêts, gardes côtes et gardes de Parcs naturels, pour reprendre pied sur l’ensemble du territoire ; dans les services de proximité, enfin, en mairie, dans les services dédiés aux personnes âgées et dans les services sociaux publics ou musées, afin de combler les déficits que nous connaissons et de tenir compte des inaptitudes, tout en permettant à chacun de se mettre au service d’une cause nationale.

À l’issue de son service, le contingent serait automatiquement affecté dans la Garde nationale pour une durée active de 5 ans, afin de servir comme réserviste rappelable 2 semaines par an quel que soit son emploi. Ainsi, outre la mission opérationnelle immédiate remplie par le service national obligatoire, celui-ci nourrira la réserve opérationnelle nécessaire à la mobilisation de la nation en cas d’attaque et fournira ainsi le réservoir indispensable pour tenir dans la durée en cas de conflit et d’assurer la continuité des services de l’État.

Ni la Gendarmerie, ni l’armée n’ont le volume suffisant pour assurer cette mission. Il faut donc créer à nouveau des unités dédiées, afin de laisser à l’armée d’active sa capacité d’action en cas de conflit de haute intensité.

La défense opérationnelle du territoire (DOT) vise à tenir notre pays, préventivement ou en réaction à un ennemi dévoilé, en disposant de forces militaires connaissant le terrain. En le sillonnant régulièrement, elles sont susceptibles d’agir de manière décentralisée en cas de morcellement de notre pays ou de dysfonctionnement de l’État.

Or, ni la Gendarmerie, ni l’armée n’ont le volume suffisant pour assurer cette mission. Il faut donc créer à nouveau des unités dédiées, afin de laisser à l’armée d’active sa capacité d’action en cas de conflit de haute intensité. C’est là que prend toute la valeur opérationnelle du service militaire, au sein d’un service national obligatoire.

Un régiment par département serait placé sous le commandement opérationnel des zones de défense dont la DOT est une des missions principales. Les unités élémentaires doivent disposer de casernements répartis sur le département avec une autonomie d’action leur permettant d’agir de façon autonome et isolée, tout en étant coordonnées par leur colonel au niveau du département. Ce quadrillage de l’ensemble du territoire sera la force préventive qui débusquera l’adversaire quel qu’il soit, trafics, réseaux, zones refuge, qui pourront être traités par les forces de l’ordre dont cela reste la mission ou des forces d’intervention d’active en cas d’agression caractérisée. Cela permettra, en cas de déclenchement d’un conflit sur notre sol, de maintenir la résilience de la nation et des services déconcentrés de l’État.

Revenir sur les idées reçues, préparer sans tabou la guerre de demain qui sera sur notre sol en faisant en sorte que l’ensemble des forces de résilience de la nation soient non pas armées par un petit nombre mais par la nation entière. Nous aurons ainsi les moyens de tenir dans la durée et en autonomie, tout en renforçant la cohésion de notre nation par la participation de tous.

Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise. Nos anciens ont su le faire pour relever notre pays au lendemain de la Seconde guerre mondiale, nous pouvons le faire, c’est une question de choix politique. C’est surtout une urgence !

La femme, un soldat comme un autre. Recruter. Fidéliser. Valoriser.

La femme, un soldat comme un autre. Recruter. Fidéliser. Valoriser.


par Martine Cuttier (*) – Esprit Surcouf – publié le 29 décembre 2023

Docteur en Histoire Contemporaine

https://espritsurcouf.fr/defense_la-femme-un-soldat-comme-un-autre-recruter-fideliser-valoriser_par_martine_cuttier/


Si les femmes sont institutionnellement présentes dans les armées françaises depuis 1909, il a fallu attendre 1981 et l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République pour qu’elles y trouvent une vraie place qui, aujourd’hui se pérennise. La récapitulation des textes, réalisée en 2006 par l’Observatoire de la Féminisation, permet de suivre les grandes étapes de leur accès à une institution traditionnellement masculine. Spécialiste d’histoire politique et militaire, l’auteur dresse un « état des lieux » en relatant, d’abord, la manière par laquelle le pouvoir politique, au cours des 40 dernières années, a imposé la féminisation au haut commandement ; ensuite, comment cette dernière a été progressivement réalisée, via des mesures en faveur de la mixité. Enfin, Martine Cuttier ne manque pas de souligner le ressenti des femmes militaires elles-mêmes. Elles sont d’ailleurs toujours plus nombreuses, désormais, à s’exprimer en ce sens.

Dans les sociétés humaines, le recours à la guerre revient à l’homme. La division sociale entre les sexes semble si naturelle que les normes sont intériorisées depuis l’enfance au sein des lieux de socialisation primaire : la famille et l’école. L’homme s’inscrit dans une domination symbolique par rapport à la femme, son opposée du point de vue morphologique, biologique et psychologique. La guerre est une activité « sexuée » des hommes, qui ne l’aiment pas car ils y meurent. Mais elle leur octroie la virilité, les fait accéder aux vertus : héroïsme, sens du sacrifice et de la discipline, patriotisme, courage, endurance, fraternité des armes. Le passage des jeunes hommes par la conscription servait de rite d’initiation pour entrer dans le monde des adultes.

La haute hiérarchie militaire est restée hostile à la présence féminine, par culture pour les générations n’ayant pas connu la mixité scolaire, par corporatisme car ce sont des métiers « entre hommes », et parce que le recrutement féminin accroît une concurrence déjà vive. Depuis quatre décennies, cette réalité a lentement évolué et la division sexuelle du travail social s’est lentement estompée laissant peu à peu place aux femmes. 

LE VOLONTARISME POLITIQUE FACE AU HAUT COMMANDEMENT.

La question de l’intégration des femmes est restée cantonnée entre les états-majors et le pouvoir politique. Jusqu’en 1981, elle était considérée comme un pis-aller pour pallier les difficultés de recrutement. Or la gauche la regarde comme une volonté de promotion de la femme au titre de l’égalité républicaine. Elle a une approche sociétale jusqu’à imposer une révolution culturelle à l’armée, qui se place du point de vue de la préparation au combat, la mission principale des armées, la conscription ne concernant que les jeunes hommes. Le haut commandement résiste en refusant les postes de « combat de l’avant » dans les armes de mêlée, mais en les admettant, avec des quotas, dans les armes de soutien et d’appui.

Le cas de la Marine diffère. Lorsque le ministre Hernu décide d’expérimenter l’embarquement des femmes, cela « fit l’effet d’une bombe », ce fut « un véritable traumatisme psychologique. »  Car naviguer constitue le cœur du métier de marin, la clé de compréhension des comportements, des attitudes, des traditions. Même si le confort s’améliore, les conditions de vie à bord sont usantes et expliquent la tenue à l’écart des femmes.

Chantal Desbordes (qui sera la première femme nommée amiral, sans « e ») propose au directeur du personnel d’ouvrir le dossier « féminisation » et de prendre l’initiative afin « de combattre l’image conservatrice, voire rétrograde de la Marine ». Et, en cas d’acceptation du plan, de le mener selon le rythme et les modalités de la Marine. Brevetée de l’École de guerre navale, apte à intégrer le « club » très fermé des futurs dirigeants de la Marine, elle a acquis une réelle crédibilité, et son chef l’écoute. En un an, un groupe mixte a bâti un dossier à partir d’une expérimentation qui a concerné 40 femmes embarquées sur des bateaux sans équipement spécifique.

En 1993, la mixité est appliquée pour la première fois selon des quotas sur des navires aménagés au gré des réparations. Ainsi la presque totalité des spécialités d’équipage et les concours de recrutement d’officiers à l’École navale sont ouverts sur la base d’un quota de 10%. Dans la continuité, une femme prend le commandement d’un bâtiment de surface, suivie de quelques autres « pachas » et six bâtiments ont des équipages mixtes. L’armée de l’Air, moins prisonnière des traditions, accorda rapidement une place aux femmes.

AVEC LA FIN DU SERVICE MILITAIRE.

Lorsque le président Jacques Chirac annonce la suspension de la conscription et la professionnalisation des armées, votées par un gouvernement de cohabitation, en 1997, 7,5 % des personnels d’active sont féminins. Véritable rupture pour l’armée suivant l’évolution de la société dont elle est le reflet, elle puise dans le vivier commun du marché de l’emploi où les femmes sont présentes dans tous les secteurs d’activité. Le décret du 16 février 1998 fait sauter tous les verrous en supprimant les quotas féminins de l’ensemble des statuts particuliers des différents corps d’officiers et de sous-officiers de carrière. Toute une série d’arrêtés lève les restrictions aux spécialités. Dans l’armée de l’Air, celui d’avril 1998 permet aux femmes de les atteindre toutes.  Caroline Aigle est pilote de chasse dans un escadron de combat en 1999 et neuf femmes deviennent commandos de l’Air.

Caroline Aigle a été la première femme brevetée pilote de chasse en 1999. Elle était sur le point d’être sélectionnée comme astronaute en 2007 lorsqu’elle a été emportée par un cancer.

:
Dans la Marine, en 1999, la restriction d’emploi dans les équipages d’avions embarqués est levée tout comme le volontariat à l’embarquement. En 2001, la filière fusilier-commando est ouverte. Dans l’armée de Terre, seule la Légion étrangère reste un bastion masculin. Dans la Gendarmerie, l’arrêté de novembre 1999 permet d’admettre des femmes dans la Garde Républicaine et au GIGN. Mesure symbolique, en 2000, des femmes embarquent sur le PA Charles-de-Gaulle et une femme pilote est qualifiée pour l’appontage. L’arrêté de décembre 2002 maintient la restriction d’emploi dans la Gendarmerie mobile et les sous-marins jusqu’à ce que les Barracuda de dernière génération, livrés à partir de 2018, soient équipés de sanitaires séparés.

Quant aux épreuves sportives communes aux concours d’entrée aux grandes écoles de recrutement d’officiers, l’arrêté de décembre 1998 rappelle que « les épreuves sportives sont identiques pour les hommes et pour les femmes, mais font l’objet d’une cotation à l’aide de barèmes spécifiques à chacun des deux sexes ».

En 2002, alors que la professionnalisation s’organise, le président Chirac désigne Michèle Alliot-Marie à la fonction de ministre de la Défense.  Elle symbolise la féminisation de l’institution à une époque où la force physique cède la place à la maîtrise de la technologie.  Les armées françaises occupent alors la seconde place, en Europe, avant la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, avec 8,5 % de femmes servant en qualité d’officiers, de sous-officiers et d’engagées.

Jusqu’à une date récente, lorsque l’on évoquait la parité, les réticences à la féminisation restaient liées à la culture d’une institution où le modèle du leader était fondé sur une conception charismatique du chef, quand la définition du commandement évoluait vers le « management ». Ensuite, la présence féminine accroît la concurrence vers les fonctions de commandement dont le nombre diminue, à cause de la professionnalisation et des réductions budgétaires imposées par les LPM. Un lieutenant-colonel ne cachait pas son amertume de ne pas avoir obtenu un commandement régimentaire dans son arme des Transmissions octroyé à une femme. Elle eut certes un commandement mais particulier, car sa mission fut de dissoudre le 18e RT de Caen. Son temps de commandement dura un an et non deux, à l’issue duquel elle plia le drapeau et ferma la boutique.

LA FEMME MILITAIRE, OBJET D’ÉTUDES.

À l’orée des années 2000, la féminisation constitue un sujet de réflexion. Que d’écrits, de colloques, de conférences, de rapports du C2SD, de blogs, de numéros des Champs de Mars jusqu’à une thèse ! En 2011, le numéro 17 d’Inflexions porte sur Hommes et femmes, frères d’armes ? L’épreuve de la mixité. Sous-titre révélateur. En août 2013, l’hôtel de Brienne inaugure l’exposition Femmes de la défense, présentée ensuite en province. Et lorsqu’en 2012, le général Antoine Windeck prend le commandement des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, il se montre « soucieux d’améliorer le sort des élèves-filles », que « la grande école du commandement de l’armée de Terre, maison-mère des officiers, se positionne sur la question des femmes », car l’École spéciale militaire (ESM de Saint-Cyr) est considérée comme un foyer misogyne. Claude Weber, professeur de sociologie répond à la demande du général en organisant un colloque interdisciplinaire, en novembre 2013.

Le colonel Valérie Morcel, lors d’une prise d’armes à Haguenau (Photo Franck Kobi/DNA)

;
Admise en 1995 dans une promotion de 173 élèves-officiers dont 4 filles, Valérie Morcel se souvient des relations difficiles avec certains garçons, des « remarques désobligeantes », du « mépris », du « sexisme dont elle a pu être victime. »  Quand on nous traitait de « grosses », c’était « encore gentil ». En revanche, lorsqu’en 2019, le lieutenant-colonel Catherine Busch commande le 1er bataillon de France (3e année de l’ESM), les quinze filles de la promotion de 140 élèves-officiers sont bien intégrées. Le temps a assoupli les comportements. Mais revenons au colloque où une contributrice s’interroge : « Le soldat a-t-il un sexe ? » citant d’entrée la formule du général de Lattre de Tassigny : « Je ne veux pas savoir s’il y a des femmes dans la division, pour moi, il n’y a que des soldats. » En écho, lorsqu’en juin 2018 le colonel Morcel prend le commandement du 54e RT d’Haguenau, elle est agacée que l’on écrive chef de corps avec « ffe » car elle considère qu’ « un chef, c’est un chef. Un colonel, un colonel. C’est une fonction ». La féminisation des titres est « très dévalorisante » et une manière de ridiculiser les femmes militaires.

En 2011 et 2012, le Haut comité d’évaluation de la condition militaire traite le sujet dans deux rapports et décide en 2013 de consacrer un numéro thématique aux Femmes dans les forces armées françaises. De l’égalité juridique à l’égalité professionnelle. Il s’appuie sur le Livre blanc et affirme que « la place des femmes dans les forces armées n’est plus un problème ni même une question ; leur rôle est désormais reconnu. La situation n’est pas pour autant stabilisée et des évolutions sont encore nécessaires. » Réaliste, le Haut comité avance que les dispositions applicables à la société civile ne peuvent être calquées telles quelles du fait de la mission des armées. Et si l’égalité juridique avance dans la société, l’égalité professionnelle est en devenir. Pour la réussir, il rappelle les limites des comparaisons avec la société. L’évolution vers l’égalité professionnelle ne pouvant se conduire qu’avec l’adhésion du personnel et correspondre aux aspirations personnelles des militaires et surtout des femmes.

En 2014, la parution médiatisée du livre de Marine Baron La guerre invisible, qui dénonce les violences physiques et morales faites aux femmes militaires, fit l’effet d’une bombe à tel point que le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian lança une enquête nationale interne, annonça des mesures en leur faveur avant de créer, en avril, la cellule Thémis, organisme central, interarmées, interservices. En 2016, afin de contrer les critiques sur les réticences à les promouvoir et les rendre plus visibles dans les campagnes de recrutement, le ministre préface un ouvrage de Jean-Marc Tanguy, L’armée au féminin, où il rappelle que la « mixité est une conquête, accomplie dans le temps long de l’histoire des armées », qu’elle est une réalité car « les femmes de la Défense servent désormais dans presque tous les domaines jusque sur les théâtres », ce que le livre montre par des portraits et des témoignages.

En 2019, la ministre des Armées Florence Parly, qui est très déterminée, publie le Plan Mixité. Les femmes représentent alors 15,5 % du total des militaires. Elles sont 30 % au secrétariat général pour l’Administration (SGA), 23 % dans l’armée de l’Air, 14 % dans la Marine et 10 % dans l’armée de Terre.

Elles sont 58 % (dont un très gros tiers médecin) dans le service de santé (SSA), commandé par une femme, le médecin général Maryline Gygax-Généro, 40 % dans les postes de gestion, de soutien et de relations humaines, et 4 % à l’opérationnel. Par catégories, elles représentent 15 % des officiers, 18 % des sous-officiers et 13 % des militaires du rang. En 2022, 51 femmes sont officiers généraux (hors contrôle général), elles étaient 30 en 2016.

Le Plan a été conçu en concertation avec les Armées, la DICOD, l’association Avec les femmes de la défense et les corps d’inspection et de contrôle. Il s’est accompagné de consultations sous forme d’entretiens individuels, d’échanges collectifs, de tables rondes ayant concerné toutes les catégories,  les directions, les services mais aussi les Conseils de la fonction militaire. Il a été présenté au Conseil supérieur de la fonction militaire le 23 janvier 2019.

Y ALLER, Y RESTER, Y ÉVOLUER.

Ce plan mixité s’appuie sur trois axes, « recruter, fidéliser, valoriser », déclinés en 22 mesures, fruit du travail du contre-amiral Anne de Mézieux, directrice auprès du DRH du ministère. Alors que seulement 8 % des femmes sont déployées en OPEX, son sous-titre, « la Mixité au service de la performance opérationnelle », n’est-il pas présomptueux ? Même question pour le très volontariste titre de la 1ère partie : «  l’égalité femmes-hommes au ministère des Armées, un principe cardinal et une réalité quotidienne ».

Le dossier pour l’obtention du label « Égalité », déposé fin 2018, témoigne de l’engagement du ministère en faveur de l’égalité professionnelle. Constatant que depuis 2008 la proportion des femmes stagne entre les civiles (38 %) et les militaires (15,5 %), la ministre entendait prendre sa part de la volonté du président de la République, qui annonçait en novembre 2017 que l’égalité constituait « la grande cause nationale du quinquennat ».

Mais l’égalité des sexes doit-elle servir de finalité à une politique sociale ?  Afin d’accroître les effectifs féminins,  on recrute directement des femmes officiers en élargissant le recrutement sous contrat et sur les titres des grandes écoles. Pour éviter « l’évaporation des talents » comme le repli sur les métiers administratifs et de soutien, il est envisagé de modifier le Code de la défense pour intégrer les droits à l’avancement (dans la limite de cinq ans) en cas de congé parental ou de disponibilité pour élever un enfant. Y compris en prolongeant les créneaux d’accès aux temps de commandement et de responsabilité après absence pour raisons familiales. Il est prévu d’instituer un mentorat dans le but de fidéliser les militaires en les accompagnant mieux tout au long de leur carrière. Une gestion non pas dans les unités mais par des accompagnateurs situés hors hiérarchie. N’est-ce pas en contradiction avec le choix de privilégier les recrutements sous contrat ?

Photo Sirpa Terre

;
La LMP 2019-2025 veille « à faciliter l’accès des femmes aux diplômes d’état-major et à l’École de guerre avec l’objectif de doubler la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici 2025 ». En 2019, 7 % des officiers généraux sont des femmes. Ce taux s’explique par le recrutement et « l’évaporation des talents » au gré de la montée en grade car, rappelons-le, il faut une vingtaine d’années pour former un chef de corps. En 2018, parmi les 78 promus « colonel » au sein de l’armée de Terre, la seule femme était Valérie Morcel. « Forcément, cela a été un soulagement de me retrouver sur cette liste. C’est beaucoup de fierté et de pression. C’est un enjeu important dans le déroulement d’une carrière ». À l’été 2019, elle prend le commandement d’un régiment de transmissions et le colonel Catherine Busch, le 31e régiment du génie de Castelsarrasin. Et il faut 30 ans pour accéder aux étoiles après le passage par le CHEM.

 

Genre et compétence.


Le sujet des examens et des concours est abordé dans la troisième partie du Plan sous l’angle de la fidélisation, alors que les mesures  visent à renforcer la féminisation du haut encadrement. Objectifs : 10 % de femmes parmi les lauréats de l’École de Guerre d’ici 2025, 10 % de femmes parmi les officiers généraux en 2022, et, on l’a déjà dit, doublement de la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici 2025. L’établissement de tels quotas n’est-il pas injuste, voire discriminant ? N’est-ce pas une façon d’humilier les femmes triées pour leur genre et non leur compétence, tout en accroissant un ressentiment masculin ? Pour le colonel Valérie Morcel : « Le combat se gagne avant tout sur la compétence »,  le colonel Catherine Busch ne dit pas autre chose lorsque, prenant le commandement du 31e RG, elle déclare à la presse locale « Le commandement, ce n’est pas une affaire de genre. » Elles revendiquent leur promotion pour leurs compétences et se montrent le plus souvent hostiles aux quotas. Faut-il traiter l’émancipation des femmes de façon idéologique et en faire une affaire de chiffres ?  Autant de questions posées.

Encore faut-il que la hiérarchie accepte que la femme fasse ses preuves et acquière des compétences. Le cas de cet adjudant-chef parachutiste illustre l’évolution des mentalités et des comportements en une génération. Au début des années 1990, sortant bien classée de Saint-Maixent, elle choisit l’infanterie parachutiste. Elle se retrouve comptable à la BOMAP alors qu’elle voulait être chef de groupe et partir en mission. Elle y parvient et, lorsqu’elle dépose son dossier pour être moniteur, le capitaine éclate de rire. Commence « un combat de longue haleine ».  Elle  sort 1ère à l’issue des tests, mais son « dossier passe toujours en dessous car il y a des priorités. » À l’ETAP, elle est « la 1ère de l’armée de Terre » et doit « faire plus pour faire ses preuves ». En 1997,  enfin moniteur, elle se retrouve au 1er RTP avec la spécialité largage. Elle largue donc mais, un jour, un légionnaire du 2e REP refuse son contrôle avant le saut. Mal lui en a pris, il écope de 10 jours d’arrêts. Puis, en 2005, l’ETAP la mute au cercle-mess où elle retrouve sa spécialité première alors qu’elle veut aller dans les régiments où les moniteurs manquent. Quand elle demande à intégrer la brigade parachutiste, même refus. Alors elle passe les qualifications de chef largueur et, après avoir participé au Grand Raid de la Réunion puis au Marathon des Sables, son chef accepte « à condition qu’elle joue le rôle de vitrine » de l’unité. Elle gagne et gravit les échelons jusqu’à saisir l’opportunité d’intégrer le 1erRPIMa, où elle poursuit les qualifications  pour la logistique et le saut à très grande hauteur sous oxygène.

 

Il y a quelques années, un communiqué du ministère de la Défense informait de la promotion d’une officière. La féminisation de ce nom était validée par le Conseil D’Etat, mais son usage ne semble pas entré dans les mœurs. Photo Bundeswher

La communication institutionnelle

Recruter, donner envie de s’engager, fidéliser en conciliant évolution professionnelle et vie privée, en mettant en valeur l’image féminine, c’est le job des communicants. Le PA Charles-de- Gaulle partant en opération après deux ans de réparation, le JT de TF1 du 25 février 2019 présente des filles mangeant dans la bonne humeur, l’une montre sa couchette, l’autre est en passerelle au poste de commandement. Un esprit mal tourné pourrait conclure que l’équipage du PA est essentiellement féminin, alors qu’elles ne sont qu’une poignée.  Sur FR3, le 20 mars, une publicité sur le recrutement dans l’armée de Terre n’affiche que des filles dans toute la diversité. Le magazine Enquête d’action diffusé sur W9 traite du stage d’instructeur commando du CNEC, à Montlouis. Sur les 25 stagiaires, l’accent est mis sur un lieutenant du 92e RI de Clermont-Ferrand et sur le sergent Christelle, venue de l’École de l’Air de Salon-de- Provence. Un homme et une femme pour l’équilibre, mais le reportage s’attarde sur le sergent qui réussit de justesse, classée avant-dernière mais quatrième femme à être allée au bout du stage. Présentée dans le Plan Mixité, elle est signalée comme la première femme de l’armée de l’Air à avoir obtenu cette qualification sans préciser son rang.

L’on aura compris que, dans chacune des armées, la communication sur le recrutement s’aligne sur une gestion des Relations Humaines très politique. Les éléments de langage traduisant la volonté politique semblent oublier que l’engagement militaire doit répondre à une vocation, et accepter que le métier militaire puisse être plus attirant pour les hommes que pour les femmes, tout comme la dimension « combat » attirer moins les femmes.

L’obsession ministérielle se traduit parfois de façon étonnante. Ainsi, la secrétaire d’État Geneviève Darrieussecq, en visite à l’ETAP à Pau, demande  à son commandant l’effectif des militaires féminines. Surpris, il répond selon l’usage, comme il avait entendu le chef d’état-major de l’armée de Terre le faire, en indiquant le nombre d’officiers, sous-officiers et militaires du rang. Une réponse qui la mécontenta. 

La ministre veut un treillis pour femme enceinte, ce à quoi s’opposent les femmes. Beaucoup considèrent qu’il faut cesser de mettre des femmes partout comme dans le civil et, si elles sont d’accord pour lisser les tests physiques, ce qui revient à baisser les niveaux exigés pour les hommes et à augmenter ceux pour les femmes, elles considèrent que l’évaluation de la capacité opérationnelle doit être identique. Pour certaines, la ministre crée un fossé, alors que la mixité doit harmoniser les relations hommes/femmes. D’ailleurs la feuille Mixité demandée par l’Inspection de l’armée de Terre a montré que les idées des groupes de travail allaient dans le sens CEMAT, et pas du tout dans celui de la ministre.

Dans l’esprit de la ministre, le Plan Mixité visait à débloquer les verrous empêchant les femmes et particulièrement les officiers de poursuivre leur carrière. Il s’appuyait sur le Plan Famille de 2017 avec des mesures en faveur des femmes et des jeunes parents, afin de mieux concilier carrière et vie personnelle, dont la maternité.


(*) Martine CUTTIER. Docteur en histoire contemporaine, spécialiste des relations internationales et des politiques de puissance avec projection de forces. Elle a beaucoup travaillé sur les questions de sociologie militaire et les relations entre forces occidentales projetées et populations des pays considérés, notamment dans les pays africains en faisant le distinguo entre Français, Britanniques, d’une part, et Américains d’autre part.