Alors que la 28e édition du salon Eurosatory vient de s’ouvrir, entretien avec le général Pierre Schill. Nommé chef d’état-major de l’armée de Terre le 22 juillet 2021, quelques mois avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il analyse la bascule stratégique que constitue le retour de la guerre en Europe. Il revient également sur la nécessaire adaptation de l’armée de Terre pour lui permettre de répondre aux exigences de la guerre moderne.
Lorsque vous avez été nommé, c’était le monde d’hier, finalement, juste avant une grande bascule stratégique…
Général Pierre Schill : La bascule stratégique était déjà en marche, en réalité. Il reste à déterminer ce qui en deviendra le symbole. Peut-être le 24 février 2022, l’attaque russe en Ukraine ? Ou le 7 octobre 2023, l’attaque terroriste du Hamas ? On saura dans quelques années celui que l’Histoire aura retenu. J’ai été nommé chef d’état-major de l’armée de Terre en juillet 2021 à la suite du général Burkhard, devenu chef d’état-major des armées. C’est lui qui avait mis en mouvement l’armée de Terre, dans un objectif de « supériorité opérationnelle » sur la base de l’importante réforme baptisée « Au contact » lancée par son prédécesseur, le général Bosser. L’objectif était de mettre en place une profonde réorganisation à la suite des attentats de 2015 et à la prise de conscience que la protection du territoire national était, à nouveau, une priorité. Il s’agissait là d’une bascule par rapport au monde des trente années précédentes : celui des opérations extérieures. Le général Burkhard a mis l’accent sur le volet opérationnel. Il a développé un concept nouveau : « Gagner la guerre avant la guerre ». Il a impulsé cette démarche, au moment où la crise de la covid-19 faisait prendre conscience que de grands bouleversements étaient en cours. Je me suis inscrit dans la continuité des réformes engagées quand est intervenue l’attaque russe en Ukraine. Il est vite apparu que cette bascule était très profonde. J’ai alors choisi de mettre l’accent sur la transformation. Bien sûr, il ne s’agit pas de faire « du passé table rase », mais il m’a paru fondamental de franchir une étape supplémentaire et d’insister sur l’impératif d’adaptation. Je l’ai baptisée « armée de Terre de combat ».
Sous ce nouveau slogan, vous définissez une nouvelle priorité ?
Oui, car nous sommes la composante terrestre d’armées en opérations permanentes. Nous devons donner la priorité aux effets opérationnels produits. Nous devons comprendre que, dès que nous sommes en manœuvre, sur le territoire national comme à l’étranger, nous envoyons un signal à nos alliés et à nos adversaires. Il s’agit là d’une préoccupation permanente. Nous sommes convaincus qu’il n’existe plus de situation de paix. Nous devons manœuvrer sur l’échelle de la compétition, de la contestation, et de l’affrontement avec pour mission de nous montrer suffisamment forts et crédibles afin d’empêcher une montée aux extrêmes de nos adversaires. Dès lors, nous devons produire des effets au quotidien en ayant conscience que rien n’est anodin.
La guerre en Ukraine constitue, notamment, un retour d’expérience riche pour l’armée de Terre. Quelles leçons retenez-vous ?
Il faut rester modestes dans l’analyse des retours d’expérience de ce conflit. Efforçons-nous de distinguer ce qui est conjoncturel de ce qui est structurel. Trois enseignements me paraissent importants.
Le premier, fondamental, est l’emploi de la force. Ce conflit, comme celui de Gaza, montre qu’il est redevenu une réalité, y compris en Europe. Le droit international qui avait été bâti depuis la Seconde Guerre mondiale est contesté. Ce droit, fondé sur le respect de la souveraineté et le règlement des différends par la négociation dans un contexte multilatéral, est aujourd’hui battu en brèche. Le recours à la force est considéré comme un mode acceptable de résolution des conflits par un certain nombre d’États.
Le deuxième enseignement est celui du caractère fondamental de la force morale. L’homme est le premier outil du combat ; les matériels les plus performants et les stratégies les mieux conduites ne produisent pas les effets attendus si les soldats ne font pas preuve de valeurs martiales, si les chefs de tout grade ne sont pas déterminés à vaincre, si la Nation ne soutient pas ses combattants. Les forces morales sont aussi liées à la conviction de la légitimité de l’action. Les soldats d’aujourd’hui sont plus connectés ; ils ont un meilleur accès à l’information. Ils ont besoin d’être convaincus que leur cause est juste. Au sein de l’armée de Terre, nous cultivons ces valeurs qui forment un socle solide ; nous l’appelons « l’esprit guerrier ». C’est une richesse immense.
Le troisième enseignement que je tire est plus tactique, sur les capacités indispensables aux combats futurs : C2, transparence du champ de bataille, létalité, protection contre les menaces aériennes. J’insiste sur la transparence du champ de bataille. Les progrès technologiques, notamment en matière de drones et satellites, rendent plus difficile le fait de dissimuler les intentions, les dispositifs et les mouvements. Associée à « l’hyperlétalité » des feux, elle modifie les procédés tactiques sur le champ de bataille : les concentrations de force sont rendues difficiles ; les dispositifs s’étalent ; les fronts se figent ; les PC et les zones logistiques sont plus vulnérables ; la mobilité, la discrétion, la dispersion et le camouflage sont remis au goût du jour.
Alors, comment parvenir à vaincre malgré cette transparence ?
Il faut des moyens dédiés, en quantité et en qualité : des satellites et des drones ; de l’intelligence artificielle pour analyser les images ; de la guerre électronique ; des forces spéciales ; des capacités de renseignement. La conjugaison de ces moyens permet de mieux discerner la réalité physique du champ de bataille. Ensuite, il est nécessaire de disposer des moyens d’exploitation de cette transparence. Identifier une cible est insuffisant ; il faut pouvoir la frapper, y compris à longue distance. Cela requiert la disponibilité de munitions précises et puissantes en appui d’un réseau de multisenseurs, multieffecteurs. Enfin, si nous avons la transparence et la létalité, il est probable que l’adversaire les ait aussi. La question de la protection est donc majeure, notamment face à la menace aérienne. Celle-ci va du petit drone, que l’on trouve dans le commerce et sous lequel est attachée une grenade, jusqu’au chasseur, en passant par le missile balistique, le missile de croisière ou l’hélicoptère.
Vous évoquez souvent l’importance du style de commandement. Qu’entendez-vous par là ?
Nous devons faire évoluer notre style de commandement vers plus de responsabilisation et de subsidiarité. Il est fondamental qu’un subordonné qui reçoit un ordre comprenne l’intention de son chef pour bâtir sa réflexion et produire ses propres ordres avec l’intelligence et l’initiative qui produira le meilleur effet à son niveau. Il est impératif qu’un subordonné comprenne l’espace de liberté dont il dispose pour qu’il ait l’audace de saisir des opportunités dans l’esprit de l’intention supérieure. Cela est fondamental, car ce style de commandement, historiquement très français, apporte un avantage opérationnel sur le champ de bataille. J’observe par ailleurs que ce n’est pas un mouvement isolé. Cette tendance, appelée de ses vœux par le Président de la République, s’étend au sein du ministère. Nous travaillons en ce sens avec les directions et services pour aller vers plus d’autonomie et de simplification, en temps de paix comme en temps de guerre, au quotidien comme au combat.
Dans une tribune parue dans Le Monde qui a rencontré un certain écho, vous évoquez l’objectif de pouvoir déployer une division en 30 jours en 2027. Qu’en est-il ?
L’objectif est de disposer d’une division modernisée, prête à être déployée dans un cadre particulier, celui de l’Otan. Le but est de nous montrer forts et crédibles pour décourager nos adversaires potentiels et affirmer notre solidarité stratégique avec nos alliés, en Europe notamment. En 2030, l’ambition est d’avoir consolidé la capacité de commander un corps d’armée, c’est-à-dire de déployer un système de commandement opératif puissant avec les indispensables capacités dites « du haut du spectre » – cyber, feux longue portée, renseignement, guerre électronique, aérocombat, logistique. Cet échelon de commandement sera capable d’agréger des unités françaises mais aussi alliées, pour être l’un des acteurs de la défense de l’Europe. Mon objectif n’est pas de voir des corps d’armée s’affronter effectivement sur le sol européen. Au contraire, il s’agit d’être crédibles pour décourager nos adversaires, pour gagner la confiance de nos alliés, pour commander en coalition en tant que Nation cadre. Et pour être crédible, il faut trois choses : disposer des moyens de se défendre, savoir utiliser ces moyens efficacement, convaincre alliés et adversaires que nous n’hésiterons pas à les employer. À ces conditions, le découragement de nos adversaires peut fonctionner.
L’armée de Terre recrute 15 000 jeunes par an. Ce chiffre est considérable. Qu’est-ce qui motive ces jeunes à la rejoindre ?
Les jeunes Français savent que l’armée française, en particulier l’armée de Terre, est une armée d’emploi, une armée « pour de vrai ». La France est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, membre fondateur de l’Otan, membre fondateur de l’Union européenne. Elle démontre sa volonté d’employer ses atouts de puissance – dont ses armées – pour peser sur les affaires du monde. Les jeunes qui nous rejoignent le savent et veulent agir. Nous avons une ambition en matière de souveraineté et la capacité d’agir dans le monde. Je constate chez les jeunes un intérêt pour les questions de défense et pour l’aventure humaine que représente un engagement. Ils ont conscience que cet engagement a un véritable sens.
La participation de l’armée de Terre à la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques peut-elle être un moyen de renforcer le lien avec la Nation, et notamment avec les plus jeunes ?
Oui, je le crois. L’armée de Terre s’impliquera dans toutes les dimensions de ce rendez-vous exceptionnel : participation des athlètes militaires, sécurisation de l’événement ; protection des emprises avec l’engagement de capacités particulières telle que les hélicoptères, les plongeurs, les démineurs, les maîtres-chiens ; relais de la flamme, montée des couleurs pendant les cérémonies de remise des médailles. Ce sont des missions intéressantes et valorisantes. Cet épisode sera l’occasion de vivre l’élan olympique avec les jeunes Français, à l’image du challenge Terre jeunesse qui se déroule dans toutes les unités de l’armée de Terre. Celle-ci sera au rendez-vous pour contribuer au succès de cet événement au rayonnement mondial.
Dans quelques heures, la 28e édition du salon Eurosatory va ouvrir ses portes. En quoi cet évènement mondial de la sécurité terrestre et aéroterrestre est important pour vous et pour l’armée de Terre ?
La France est une grande nation industrielle. Elle propose des matériels de qualité dont l’armée de Terre éprouve l’efficacité en opérations.
Pour vaincre, une armée a besoin d’une troupe déterminée, d’une stratégie et de matériels en quantité et en qualité.
Il est fondamental de soutenir les industriels dans les grands programmes d’armement comme dans les plus petits. Il est fondamental d’entretenir avec tous une relation de confiance.
La solidité d’une base industrielle et technologique de défense s’inscrit dans un temps long où chaque programme constitue le maillon d’une chaîne qui se déploie sur des décennies.
Rien n’est jamais acquis pour toujours. Pour demeurer réactive, puissante et polyvalente, l’armée de Terre a besoin d’intégrer l’innovation et les nouvelles technologies. La supériorité sur le champ de bataille repose sur des capacités du haut du spectre qui permettent de surclasser l’adversaire. Le salon d’Eurosatory constitue une occasion unique de rassembler les industriels, les militaires et tous ceux intéressés par les questions de défense et l’avenir du combat aéroterrestre.
Le 35e régiment d’infanterie (35e RI) de Belfort expérimente, à partir de ce lundi 27 mai, un nouveau programme de recrutement : volontaire découverte de l’armée de terre (VDAT). Il est le seul en France. 120 jeunes sont incorporés pendant 4 mois. Ils défileront le 14 juillet à Paris et participeront à la sécurisation des Jeux paralympiques.
« Écoutez bien les règles. Écoutez bien les consignes et tout se passera bien. » Ce vendredi matin, l’adjudant-chef Franck, adjoint au chef du centre d’information et de recrutement des forces armées (Cirfa) de Belfort s’adresse à trois volontaires, qui viennent de signer leur contrat d’engagement dans la salle d’honneur du 35e régiment d’infanterie de Belfort.
Louna, Thomas et Valentin font partie des 120 incorporés qui débutent ce lundi 27 mai le nouveau programme « volontaires découverte de l’armée de terre (VDAT) ». Un programme de quatre mois, où ils seront formés au métier de militaire et aux missions qui les attendent. « Vous ferez de l’opérationnel », replace à cet effet le sous-officier en charge du recrutement. À la fin de leur cursus, ils participeront à la sécurisation des sites des « Jeux paralympiques », indique le colonel Philippe Le Duc, chef de corps du 35e RI. Les volontaires mèneront aussi des missions de l’opération Sentinelle. Ils défileront aussi à Paris, à l’occasion des défilés du 14-Juillet, derrière le chef de corps ; le régiment belfortain sera l’un des quatre régiments de l’armée de terre à défiler le 14 juillet, dans un format non mécanisé, sur l’avenue Foch et non pas sur les Champs-Élysées, compte tenu de Paris 2024.
Les volontaires sont intégrés à une compagnie d’active, dirigée par le capitaine Steve. La compagnie conserve intégralement son encadrement alors que les autres membres de l’unité sont ventilés dans d’autres compagnies du régiment.
« Adapter à la vie moderne »
« Ce dispositif vise à faire découvrir l’armée de terre, explique le chef de corps, ses missions et son monde fonctionnement à notre jeunesse. » En France, le service militaire est suspendu depuis 2002. « L’armée de terre est confrontée à un problème de connaissance de la population, ajoute-t-il. En dehors de la journée d’appel à la défense, les jeunes n’ont parfois aucun contact avec la défense. » Et pour une partie de la nouvelle génération, leur père n’a pas non plus fait son service militaire. Le dispositif facilite les immersions et doit limiter l’attrition observée chez les jeunes recrues, tout en facilitant les recrutements, qui sont à la peine dans l’armée de terre, un phénomène aussi observé en Allemagne ou aux États-Unis.
De fait, aujourd’hui, les seuls qui découvrent l’armée, « ce sont ceux qui s’engagent », convient l’officier supérieur. L’armée de terre, qui n’a pas encore trop communiqué sur ce nouveau dispositif, cherche donc à élargir les offres de découverte. « C’est beaucoup plus adapté à la vie moderne », observe le colonel Philippe Le Duc. La présente période s’insère, par exemple, parfaitement dans le calendrier universitaire. L’officier de rassurer : « Ce n’est pas du réchauffé du service militaire. »
Près de 30% de femmes
35 femmes composeront ce contingent, de 120 personnes, soit près de 30 % des effectifs. Une nouveauté pour le régiment. « On se confronte à la réalité française », apprécie le colonel Philippe Le Duc, qui estime que ce format de recrutement permettra de diversifier les profils.
Autre avantage de ce premier engagement, il peut aussi conduire vers la réserve opérationnelle. Après son immersion, le volontaire optera pour une vie active dans le civil, tout en la compétant d’une activité de réserviste. Une réserve que cherche aussi à densifier l’armée française(lire notre article).
L’expérimentation propose donc une immersion profonde. Louna a 19 ans et est originaire de L’Isle-sur-le-Doubs. Elle était esthéticienne. Elle avait envie de s’engager. Elle passe le pas avec ce contrat. « Mon idée c’est de conforter mon envie de m’engager », confie, pour sa part, Thomas, 19 ans. Enfant, il voulait être miliaire. Ado, cela s’est estompé, avant de revenir dernièrement. Ces quatre mois devraient lui donner sa réponse définitive.
Le dispositif est une expérimentation. Il a vocation à évoluer, en fonction des retours de cette première mise en place. Il pourrait être généralisé à d’autres régiments, mais aussi diversifié en termes de format en fonction des unités. « Nous partons d’une page blanche », résume le colonel Philippe Le Duc. Les 120 volontaires viennent de toute la France. Les 120 volontaires viennent de toute la France.
Le 35e RI s’est porté volontaire
« Nous nous sommes portés volontaires », assure le colonel Philippe Le Duc. Ensuite, le régiment a construit son projet, l’a soumis. Un projet rédigé alors que le 35e RI a connu, lors des 12 derniers mois, une activité opérationnelle extrêmement dense, avec des déploiements notamment en Roumanie, Grèce ou encore en Pologne. Il a été retenu pour tenter l’expérimentation, qui demandera sûrement « des réglages à la fin », acquiesce le chef de corps. Le régiment disposait de plusieurs atouts pour répondre à ce large recrutement : il a des capacités d’accueil, il a des infrastructures d’entraînements à proximité et de qualité. Ce nouveau programme n’est reste pas moins « un défi en termes de soutien et de logistique », indique le colonel Le Duc. Habituellement, les contingents de recrues avoisine plutôt la cinquantaine de personnes. Ce sera plus du double. On en revient presque à des volumes observées lorsque la France avait une armée de conscription.
Dans son dernier rapport sur le budget de l’État en 2023, la Cour des comptes a pointé de « multiples anomalies » ayant affecté la gestion des crédits allouées au ministère des Armées. « Anomalies » qui ont par ailleurs contribué à « réduire l’information du Parlement ».
Ainsi, note le rapport, de « nombreux crédits ont fait l’objet de reports depuis 2022 et vers 2024 ». Par exemple, s’agissant du programme 178 « Préparation et emploi des forces », 2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement ont été reportés à l’exercice 2024, en raison de « marchés de maintien en condition opérationnelle [MCO] dont la préparation connaît des difficultés »… Ce qui représente 7,4 % des ressources budgétaires de la loi de finances initiale [LFI].
Autre exemple : la Cour des comptes a peu goûté le fait que des crédits de paiement d’un montant de 1,6 milliard d’euros aient été l’objet « d’un gel immédiat » pour ensuite être reportés à 2024. En outre, l’enveloppe de 200 millions d’euros destinée au « fonds spécial pour l’équipement de l’Ukraine », votée en loi de finances rectificative pour 2022 puis « en loi de finances de fin de gestion pour 2023 avec l’objectif de les reporter respectivement aux exercices 2023 et 2024, plutôt qu’en lois de finances initiales pour ces exercices, constitue une autre entorse au principe d’annualité des crédits », a-t-elle relevé.
Enfin, s’agissant de la loi de finances de fin de gestion pour 2023, qui a ouvert 2,6 milliards d’euros d’autorisations d’engagement et 2,3 milliards d’euros de crédits de paiement, elle aurait permis de couvrir des « dépenses nouvelles à hauteur de 3,3 milliards d’autorisations d’engagement et de 3 milliards de crédits de paiement » ainsi que l’annulation de dépenses mises en réserve pour 700 millions d’autorisations d’engagement et 700 autres millions de crédits de paiement.
Parmi ces nouvelles dépenses, la Cour des comptes a relevé les surcoûts afférents au soutien à l’Ukraine « sous toutes ses formes » [déploiements militaires renforcés sur le flanc oriental de l’Otan , financement direct ou indirect de cessions d’équipement], un surcoût des opérations extérieures [pour 200 millions de plus par rapport à l’enveloppe initialement prévue] et les hausses du coût des carburants opérationnels à hauteur de 300 millions.
« L’ouverture de certains crédits, par cette loi, a été très tardive par rapport au fait générateur qui leur est associé : les déploiements militaires sur le flanc Est de l’Otan, soit 600 millions d’euros, connaissaient leur forme actuelle dès la préparation de la loi de finances initiale, à la mi-2022. Il en va de même pour les coûts du carburant opérationnel qui n’ont pas été ajustés, alors qu’ils avaient déjà occasionné un besoin de financement supplémentaire en 2022 », expliquent les magistrats de la rue Cambon.
Ceux-ci ont également pointé l’allocation de 1,5 milliard d’euros supplémentaires à la mission Défense, dans le cadre de la préparation de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. « En l’absence d’une loi de finances rectificative déposée en même temps que le projet de LPM, les évolutions des dépenses correspondantes ont donné lieu à un suivi spécifique pendant la majeure partie de l’exercice et ont contribué à contraindre son exécution », soulignent-ils.
Or, selon eux, de telles « pratiques semblent motivées par la volonté de présenter en loi de finances initiale des ouvertures de crédits conformes ‘à l’euro près’ à la programmation militaire ». Mais elles ont surtout « contribué à l’analyse de l’exécution budgétaire pour 2023 et à réduire l’information du Parlement ».
Sur ce point, le rapport déplore le fait que plusieurs indicateurs budgétaires – comme les reports de charge ou les restes à payer – ne soient plus communiqués aux parlementaires, qui, là encore, ne peuvent pas exercer leur mission de contrôle de manière efficace. Même chose pour les indicateurs mesurant l’activité opérationnelle, mis sous le boisseau pour des « raisons de confidentialité ». Pour la Cour des comptes, leur confidentialité « réduit significativement l’intérêt de la partie ‘performance’ » des « publications budgétaires pour le Parlement ».
Au-delà de ces pratiques comptables, le rapport a pointé une autre anomalie… Alors que, en 2023, le ministère des Armées devait créer un peu plus de 1500 postes, il en a finalement perdu… alors que les dépenses de personnel de l’ensemble des structures de l’État ont augmenté de 6 milliards d’euros [hors pensions], en partie à cause de l’augmentation de 1,5 % de la valeur du point d’indice, mais aussi et surtout au recrutement de nouveaux agents.
« Conformément aux priorités gouvernementales, les missions régaliennes devaient être fortement renforcées avec des effectifs en hausse au sein des ministères de l’Intérieur [+ 2978 ‘équivalents temps plein’ sur un effectif de 296’097 emplois], de la justice [+ 2253 ETP sur un effectif total de 92’753 emplois] et des Armées [+ 1500 dans le seul champ du ministère, hors service industriel de l’aéronautique », rappelle la Cour des comptes.
Si les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont respecté leurs schémas d’emplois respectifs, ce n’est pas le cas de celui des Armées.
« Alors que le ministère des Armées prévoyait 1547 créations nettes de postes en LFI, l’année 2023 s’est finalement conclue par une baisse de – 2 515 ETP, s’imposant comme le premier ministère contributeur à la baisse des effectifs, contrairement à ce qui était prévu. À l’inverse, alors que la LFI prévoyait une création nette de 2000 postes au ministère de l’éducation nationale, ses effectifs ont crû de 6027 emplois en 2023, soit un écart au schéma d’emplois présenté en LFI 2023 de 4027 ETP », constate la Cour des comptes.
Pourtant, la « dynamique » des recrutements a été soutenue en 2023, avec « 27’164 entrées nouvelles externes ». Mais elle a toutefois été inférieure aux objectifs du ministère des Armées [avec un déficit de 1813 ETP]. Et cela d’autant plus que le rythme des départs n’a pas faibli, avec 25’309 « sorties » en 2023 qui sont venues s’ajouter aux 24’957 départs constatés en 2022. « Les départs sont à leur plus haut niveau depuis 2017 », note le rapport. En particulier chez les sous-officiers et les militaires du rang.
Instituée après la suspension de la conscription, la « Journée d’appel de préparation à la Défense » [JAPD] a, en quelque sorte, pris le relais des « trois jours » [qui duraient en réalité une journée] au cours desquels tous les hommes en âge de remplir leurs obligations militaires passaient des examens médicaux et psychotechniques.
En 2011, cette JAPD est devenue la « Journée Défense Citoyenneté » [JDC], à laquelle chaque jeune français âgé de moins de 25 ans est fortement incité à participer [sous peine de ne pas pouvoir passer le permis de conduire et le Baccalauréat], après avoir accompli les démarches [obligatoires] du recensement. Cette journée prévoit des tests d’évaluation des « apprentissages fondamentaux de la langue française » mais aussi une sensibilisation aux enjeux de défense ainsi qu’un enseignement sur le civisme et une information sur « l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Cela étant, cette JDC est régulièrement remise en question. En mai 2015, le président Hollande avait ainsi fait part de son intention de la transformer en une « journée de formation et d’information », qu’il qualifia de « journée d’espoir » pour les jeunes gens censés y participer. Puis, il changea son fusil d’épaule en annonçant, lors de ses voeux à la jeunesse, en janvier 2016, que la JDC serait non seulement maintenue mais probablement allongée étant donné qu’elle était un « moment dans la vie de chaque citoyen aujourd’hui » et qu’elle permettait « à toute une classe d’âge […] de se retrouver pour des formations à la citoyenneté ».
À la même période, les députés Marianne Dubois et Joaquim Pueyo rendirent un rapport dans lequel ils estimaient que cette JDC « n’avait aucune utilité », alors que son coût était évalué à 100 millions d’euros par an. « Ce n’est pas en quelques heures qu’il est possible d’aborder les enjeux de la Défense, qui, par ailleurs, ne sont évoqués que succinctement pour faire la place à d’autres thématiques », avaient-ils fait observer. Et de proposer de renforcer l’enseignement sur la Défense, susceptible de faire l’objet d’une épreuve obligatoire en fin de parcours scolaire, voire de mettre au place, à l’instar du Canada, un programme de « cadets de la défense » s’adressant à tous les jeunes gens âgés de 12 à 18 ans.
Ce rapport n’a pas été suivi d’effet… Mais il a été institué un Service national universel [SNU], qui se veut un « projet éducatif d’émancipation et de responsabilisation des jeunes [de 15 à 17 ans], visant à les impliquer pleinement dans la vie de la Nation et à nourrir le creuset républicain. » Il s’effectue, pour le moment, sur la base du volontariat. Y participer dispense de toute obligation à l’égard de la JDC.
Justement, s’agissant de cette dernière, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, estime qu’elle « passe à côté de sa cible », alors que les armées ont l’ambition de doubler le nombre de leurs réservistes.
« C’est devenu une journée un peu fourre-tout, où des gens admirables s’engagent pour la faire vivre, mais au fond, elle se démilitarise un tout petit peu avec le temps », a en effet affirmé M. Lecornu, à l’antenne de LCI, le 12 avril. Aussi, a-t-il continué, « je souhaite la redurcir militairement à des fins aussi théoriques : il faut qu’à la fin de cette journée, les jeunes Françaises et les jeunes Français […] aient les idées claires sur notre système de défense et les rudiments de compréhension sur le fonctionnement de l’armée française, sur les grandes opérations auxquelles l’armée française a pu participer ces dernières années », a-t-il expliqué.
Mais les projets du ministre ne s’arrête pas là puisqu’il entend aussi « moderniser » le recensement en vue d’identifier « en continu » les compétences des personnes « volontaires » susceptibles de venir renforcer la réserve.
L’idée serait ainsi de faire « un vrai recensement des compétences, non seulement sur une classe d’âge, autour des 16 ans […] mais surtout d’avoir à l’heure du numérique, les moyens de faire un recensement continu régulier dans la population », sur la base du volontariat. Cela permettrait au ministère des Armées de recruter des réservistes en fonction des savoir-faire dont il aurait besoin le cas échéant.
Quoi qu’il en soit, une solution qui mériterait sans doute d’être étudiée [pour ne plus tourner autour du pot] consisterait à s’inspirer du modèle de service militaire mis en place par la Norvège, la Suède et le Danemark. Rétablir la conscription [qui n’est que suspendue, pour rappel] ne passerait pas forcément par l’incorporation de toute une classe d’âge comme c’était le cas auparavant. Ainsi, les armées ne retiendraient que les conscrits dont elles ont besoin pour une durée de 12 mois, en ne sélectionnant que les plus motivés et/ou les mieux formés.
Évidemment, ceux qui seraient appelés sous les drapeaux pourraient bénéficier de certains avantages par rapport aux autres [permis de conduire, aide à l’emploi, formation, etc.]. Grâce à un tel système, les forces armées norvégiennes retiennent, chaque année, 10’000 conscrits sur un potentiel de 60’000 jeunes en âge d’accomplir leur service militaire.
Vous êtes titulaire d’un bac + 3 dans le domaine linguistique ou d’un bac + 4 dans le domaine technique et vous souhaitez exercer votre spécialité au sein du service secret français ?
Cette année, en partenariat avec l’armée de Terre, l’armée de l’Air et de l’Espace et la Marine Nationale nous recrutons des officiers sous contrat spécialistes (OSC/S) en primo-contrat dans les domaines technique et linguistique (arabe, russe, turc ou persan).
Un premier pas dans votre carrière militaire
Saisissez cette opportunité qui vous permettra de débuter votre carrière au côté de nos équipes et de vivre une première expérience passionnante et enrichissante.
Après une formation militaire initiale au sein de votre armée d’appartenance, vous serez affecté directement à la DGSE. Votre contrat d’OSC/S initial sera d’une durée de 3 à 5 ans. La limite d’âge, à la date de la signature de votre contrat, est de 30 ou 32 ans selon l’armée d’appartenance.
Comment postuler ?
Vous pouvez consulter les fiches de postes OSC/S sur notre site et nous adresser votre CV actualisé avant le 10 mai 2024 par mail :
Le processus de recrutement interne s’étend sur une durée de 6 à 9 mois en parallèle de vos démarches avec le CIRFA.
Transmission de votre CV avant le 10 mai 2024 inclus.
Invitation à participer à une présentation générale de la DGSE et du statut d’OSC/S, en parallèle de vos démarches en CIRFA.
Entretiens métier, évaluation psychologique et de sécurité, et tests linguistiques ou techniques. Rencontre avec des professionnels du métier afin d’échanger sur vos compétences et vos motivations.
Tests d’aptitude militaire Évaluation médicale et sportive au sein des centres de recrutement des armées, commune à tout engagement militaire.
Signature de votre contrat Édition de votre contrat d’engagement en qualité d’officier sous contrat spécialiste sur la fiche de poste dédiée.
Formation initiale militaire Découverte, en école d’officier du statut militaire, de vos droits et de vos devoirs.
Affectation Prise de fonction à l’issue de la formation initiale militaire.
En savoir plus :
Découvrez le témoignage de David, officier sous contrat, sur la page dédiée aux OSC/S
Du nouveau dans le recrutement, la sélection et la formation des sous-officiers? C’est ce que démontrent plusieurs avis de recrutement récents. Et ce que confirme la DRHAT.
Le premier avis concerne l’ETAP (école des troupes aéroportées) et la 11e BP; cet avis propose une session de recrutement par an pour devenir sous-officier du domaine aéroporté. La formation générale dure 10 mois.
Le deuxième avis a été diffusé par la 9e BIMa (brigade d’infanterie de marine).
La brigade ouvre elle aussi sa propre école pour une partie de ses futurs sous-officiers. Au menu: spécialisation amphibie, aguerrissement en milieu désertique ou traditions propres à l’arme des troupes de marine. « Une formation par la 9, pour la 9 », dit l’avis qui précise qu’il faut avoir moins de 30 ans et candidater avant le 10 mai. Informations au 05 49 00 25 63 ou recrutement.ricm@gmail.com
École de milieu: déjà chez les troupes de montagne Ce type de cursus est déjà proposé par l’école militaire de haute montagne (EMHM), située à Chamonix. Elle offre à des candidats à des postes de sous-officiers une formation militaire générale de 12 mois en vue de prépare les futurs cadres des troupes de montagne. Cette formation inclut des stages commando et des formations aux techniques et tactiques en milieu montagneux tant en hiver qu’en été.
Recrutement direct Une expérimentation est donc en cours au sein de la 9e BIMa et de la 11e BP. Elle porte sur le recrutement direct par des unités de candidats à des postes de sous-officiers. Une fois formés et acculturés, ils seront assurés de servir au sein de la brigade qui les aura recrutés et, en fonction de leur classement, dans un régiment de leur choix.
Si l’on prend l’exemple de la 9, le cursus sera le suivant: – recrutement à partir de mai 2024 de 12 candidats pour la première promotion (30 si tout va bien pour la promotion suivante) – formation en 11 mois qui débutera au CFIM d’Angoulême, avec un officier chef de section et trois autres personnels d’encadrement – des stages: Saint-Maixent pour deux mois, Djibouti au 5e RIAOM pour un mois, stages de qualification amphibie à Toulon, Penthièvre (3e RIMa) et Angers (au 6e RG) – au bout de la formation, des postes de chefs de groupe avec la finalité de servir dans les groupements de commandos amphibies.
Si la loi de programmation militaire est précise sur les principaux équipements à acquérir, elle reste moins explicite sur les hommes qui vont les servir. Serons-nous capables de recruter et de conserver les soldats d’active et les réservistes indispensables ? Le GCA (2S) Patrick Alabergère nous invite ici à réfléchir sur le défi de la réalisation des effectifs auquel sont confrontées nos armées.
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La LPM 2024-2030 est souvent analysée selon le prisme du budget consenti ou celui des équipements majeurs acquis, mais plus rarement sous l’angle des effectifs.
Pourtant les effectifs autorisés aux armées dimensionnent clairement leurs capacités à remplir leurs missions. C’est un critère d’évaluation avéré pour apprécier la puissance d’une armée et sa place dans la compétition que se livrent les nations majeures.
Cette LPM affiche une augmentation modérée des effectifs consentis aux armées avec 6 300 ETP[1] supplémentaires étalés sur 6 ans, alors qu’il faut répondre à de nombreux besoins, notamment ceux générés par les nouveaux champs de conflictualités (espace, cyber) et être prêt à faire face à une guerre de haute intensité.
Mais au-delà de leur format, c’est bien la réalisation de leurs effectifs qui préoccupe aujourd’hui l’ensemble des armées.
L’atteinte du plafond d’emplois autorisés devient un objectif essentiel dans la conduite de cette nouvelle LPM. Car si ces difficultés perdurent ou s’accentuent, la réalisation des effectifs militaires deviendra l’objectif stratégique majeur qui, s’il n’est pas atteint, peut compromettre la cohérence du modèle d’armée choisi. Il faut mobiliser toutes les énergies pour résoudre cette difficulté, en allant plus loin dans l’effort fait au profit de la condition militaire, tout en développant par tous les moyens l’esprit de défense dans notre société civile qui doit continuer à fournir les futurs militaires dont nos armées ont besoin.
Des effectifs comptés, difficiles à réaliser et à fidéliser pour faire face aux défis qui attendent les armées, malgré le doublement des effectifs de la réserve opérationnelle.
Il faut saluer l’effort fait au profit des effectifs des armées, notamment depuis la précédente LPM, mais ce n’est qu’une juste remise en cohérence après la réduction dramatique de format subie en 2008.
À cette date pour toucher d’hypothétiques dividendes de la paix, l’outil de défense a été sacrifié avec la suppression de 54 000 postes. La déflation s’est accentuée en 2012 avec l’annonce de la disparition de 26 000 postes supplémentaires. Il a malheureusement fallu attendre les enseignements tirés des dramatiques attentats de 2015 pour infléchir la tendance déflationniste.
En effet, historiquement les baisses des crédits accordés aux armées depuis la fin de la guerre froide, leur professionnalisation, la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ont conduit pendant des années à une réduction continue des effectifs. La création des bases de défense, décidée dans la seule logique d’économie d’effectifs et de soutien au moindre coût malgré ses effets désastreux sur la réactivité des unités, est le meilleur exemple du non-sens de cette politique.
Ainsi aujourd’hui, l’armée de Terre (ADT) s’efforce de recréer des structures de commandement (Brigade d’Artillerie, Brigade du Génie) et des unités opérationnelles (Bataillon de Commandement et de Soutien, unités d’Artillerie) pour répondre aux exigences du combat de haute intensité. Ne bénéficiant que d’environ 700 postes supplémentaires sur la LPM 2024-2030, elle le fait en étant contrainte de redéployer ses effectifs entre les différentes fonctions opérationnelles alors que toutes ces unités à recréer existaient en 2008…
Ainsi à l’horizon 2030, le ministère des Armées disposera de 355 000 ETP, dont 210 000 militaires et 65 000 civils d’une part et 80 000 réservistes opérationnels d’autre part. Cette augmentation de 6 300 postes génère un coût d’environ 890 millions d’euros.
Sur les 6 300 postes créés, 4 500 seulement rejoindront les forces vives des trois armées, les autres étant consacrés à l’environnement et aux services de soutien.
Cette montée en puissance s’étale sur 6 ans pour lisser dans le temps cette hausse de masse salariale, mais surtout pour tenir compte de la difficulté des armées à recruter des volumes importants chaque année.
Le rapport de l’Assemblée nationale fait au nom de la commission de la Défense Nationale et des Forces Armées en mai dernier sur le projet de LPM expose clairement cette difficulté : « Comme tous les employeurs publics et privés, le ministère des Armées fait face à des difficultés conjoncturelles pour atteindre ses cibles d’effectifs compte tenu de la concurrence exacerbée sur le marché de l’emploi et de la situation de quasi plein-emploi. Ainsi, en 2022, le ministère des Armées n’a pas réussi à réaliser son schéma d’emploi. C’est pourquoi, pour la période 2024-2030, le ministère des Armées retient une trajectoire réaliste d’augmentation de ses effectifs avec des paliers de 700 ETP supplémentaires pour les deux premières annuités, avant d’augmenter significativement les années suivantes. Le dernier alinéa de l’article 6 du projet de loi précise à cet égard que le ministère adaptera la réalisation des cibles d’effectifs fixées par le présent article et sa politique salariale en fonction de la situation du marché du travail ».
Il est donc légitime de s’interroger sur le volume de 6 300 postes supplémentaires : a-t-il été calculé en fonction des besoins à satisfaire ou dimensionné en réalité par la capacité estimée des armées à recruter d’ici 2030 ? Sans doute un peu des deux.
Pour autant, il n’existe aucune garantie que l’évolution du marché de l’emploi sur les 6 prochaines années soit favorable au recrutement des armées.
L’autre problématique en termes de réalisation des effectifs concerne la fidélisation qui est le pendant du recrutement. C’est un combat permanent que livrent les armées pour parvenir à conserver leur ressource humaine le plus longtemps possible afin de conserver des militaires entrainés et aguerris, tout en rentabilisant la formation dispensée.
S’il existait une solution simple et efficace pour gagner la bataille de la fidélisation, il y a longtemps qu’elle aurait été trouvée car dans ce domaine rien n’est jamais acquis. L’envie de renouveler un contrat ou de poursuivre une carrière repose sur une alchimie complexe, qui mêle à la fois l’évolution personnelle de l’individu, la condition militaire dans tous ses aspects, les missions réalisées, les conditions de vie et d’entrainement, les matériels servis, le style de commandement, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
La fidélisation dans les armées reste intimement liée, d’une part à la façon de vivre de son métier : la condition militaire avec en premier lieu le niveau de rémunération et d’autre part à la façon de vivre son métier : les conditions d’exercice du métier militaire au quartier comme en opérations.
Face à la raréfaction des effectifs d’active, il est mis en avant le doublement des effectifs de la Réserve Opérationnelle sur la même période (40 000 à 80 000 pour les armées dont 24 000 à 40 000 pour l’AdT).
C’est une très bonne chose de pouvoir faire appel à une composante réserve plus nombreuse, sans doute mieux formée et mieux organisée pour renforcer la capacité opérationnelle de nos armées, en complément des unités d’active. Cela peut également permettre de revigorer le lien Armée – Nation, ce qui est bénéfique dans le contexte sociétal actuel.
Mais encore faut-il que cette réserve opérationnelle soit aussi correctement équipée, ainsi que formée et entrainée, avec un référentiel de missions clairement défini dans le temps comme dans l’espace et que la bataille du recrutement soit également gagnée. Il faut imaginer quelles sont les nouvelles interactions active – réserve à mettre en place en service courant comme en période de crise et s’il est pertinent d’aller jusqu’à une hybridation de l’armée professionnelle ?
Le doublement des effectifs de réserve sur la période de la LPM, avec une cible finale à 105 000 en 2035 nécessite un effort colossal en termes de recrutement, concomitamment à celui au profit de l’active. Le défi est bien réel car il mobilise les mêmes structures au sein des armées, notamment les régiments pour l’AdT, et il puise dans des viviers voisins.
Avec de telles cibles d’effectifs, il faut impérativement réussir à simplifier la gestion administrative des réservistes, problème évoqué depuis des années, mais jamais résolu, car il constitue aujourd’hui un lourd fardeau pour les unités d’active.
Cet effort significatif sur la réserve répond également à des considérations économiques, car c’est le meilleur moyen de s’offrir de la masse, en termes d’effectifs, au moindre coût.
La guerre en Ukraine a mis en évidence la difficulté de conquérir la supériorité opérationnelle pour des armées qui souffrent d’un déficit de masse et de résilience alors que les conflits peuvent durer. L’augmentation significative de format étant hors d’atteinte financièrement pour de nombreuses armées occidentales, le débat sur la conscription pour accroitre la masse des armées fait son retour. En France, certaines voix politiques prônent même le retour du service militaire.
L’autre débat porte sur la nature de la composante réserve, certains défendent un concept de Garde nationale calqué sur le modèle américain alors qu’il reste une exception[2] hors d’atteinte pour les armées françaises.
S’agissant du retour à la conscription, l’avis de GAR (2S) Lecointre, ancien chef d’état-major des armées (CEMA), est très clair : « Le service national serait impossible à rétablir aujourd’hui. La Nation n’est pas consciente d’un danger à ce point existentiel qui justifierait un tel effort, avec tout ce que cela implique sur le plan budgétaire. De ce point de vue, augmenter la réserve est pertinent. Il s’agit de donner aux armées la possibilité d’accroître assez rapidement leurs capacités par une ressource humaine compétente, venant soit de la réserve initiale, avec des jeunes qui s’engagent, soit de la réserve d’anciens militaires ».
Une fois les effectifs de la réserve opérationnelle atteints, il faut réussir à organiser sa montée en puissance, en termes d’équipement, d’infrastructures et remettre en place les processus et les structures permettant sa mobilisation en temps et en heure. Autant de compétences et de savoir-faire que nos armées possédaient, mais qui ont disparu avec la suspension du service militaire. Pour les retrouver, il faudra du temps, de l’énergie et des effectifs dédiés.
Des difficultés de recrutement avérées et explicables qui ont été prises en compte, mais qui menacent la cohérence du modèle d’armée.
Il devient plus que jamais crucial pour les armées de gagner la bataille du recrutement et de la fidélisation pour pouvoir disposer des effectifs qui leur ont été consentis par la LPM.
Le système de ressources humaines de nos armées repose sur une logique spécifique de flux importants pour préserver la jeunesse des effectifs. Cela nécessite des volumes annuels de recrutement conséquents[3] pour compenser les départs volontaires et ceux, statutaires, liés à l’atteinte des limites d’âge.
Ces difficultés de recrutement inquiètent légitimement les états-majors. Par exemple pour la première fois depuis dix ans, l’ADT n’atteindra pas ses objectifs de recrutement à la fin de l’année puisqu’il manquera entre 2 000 et 2 500 militaires. Alors qu’elle bénéficie d’un certain élan positif depuis 2015 et que les attentats ont généré un attrait pour les métiers militaires, la dynamique favorable semble terminée.
Nos armées doivent affronter une très forte concurrence dans un marché de l’emploi défavorable avec un taux de chômage en baisse. Comme l’indique le Directeur des Ressources Humaines du ministère des Armées, il existe une forte corrélation entre l’état du marché de l’emploi et la capacité du ministère à réaliser ses objectifs de recrutement. Ainsi, selon la situation conjoncturelle et concurrentielle du marché du travail, il est possible que le ministère adapte la programmation annuelle des effectifs pour chaque annuité de la LPM. Autrement dit, si les armées n’arrivent pas à recruter, leurs objectifs peuvent être revus à la baisse au détriment de l’atteinte de leur format et donc de leur capacité à remplir leurs missions.
Les armées se heurtent à une forte concurrence dans certains métiers, éprouvant des difficultés à recruter des spécialistes dans le numérique, la maintenance ou les langues, pour remplir des missions de renseignement. Dans la cyberdéfense, les employeurs civils offrent des conditions salariales bien plus attractives que les armées pour attirer les jeunes talents.
Elles subissent aussi de plein fouet la concurrence du secteur privé dans un contexte de marché du travail en tension. Ainsi, l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) doit faire sa place face au secteur privé aéronautique qui embauche massivement (13 000 recrutements pour Thales et 10 000 recrutements pour Airbus en 2023). L’AAE doit trouver des « gentlemen agreement » avec la DGAC et les industriels de défense pour limiter le « débauchage massif et non coordonné » des aviateurs et mécaniciens.
De plus, les données démographiques européennes ne sont pas favorables au recrutement. Avec un taux de fécondité moyen sous la barre des 1,5 enfant par femme, un vieillissement de la population européenne, les politiques de recrutement des armées européennes sont fragilisées.
En effet, le nombre relatif de candidats va diminuer, du fait d’un nombre plus réduit d’enfants et donc de jeunes éligibles aux fonctions militaires. Tous ces éléments font peser une menace sur le format des principales armées européennes notamment celles qui, comme la France, ont fait le choix de la professionnalisation.
Mais surtout les armées recrutent dans un vivier restreint par nature en raison des exigences découlant de la singularité du métier militaire où le collectif prime sur l’individu, l’intérêt général sur l’intérêt particulier. Comme il n’est pas envisageable de revoir à la baisse ces exigences, sauf à perdre la réactivité, la disponibilité et l’esprit de corps qui font la force des armées, c’est le candidat à l’engagement qui doit s’adapter à son futur environnement.
Il doit pour cela accepter les contraintes liées à son statut de militaire, les fameuses sujétions du métier militaire, de plus en plus en décalage avec l’évolution des valeurs partagées par la société civile et diffusées par le système éducatif et social.
Pour autant, les militaires ne sont pas imperméables à ces évolutions sociétales. En effet, il existe aujourd’hui une plus grande convergence entre les comportements sociaux et familiaux des militaires avec ceux constatés dans l’ensemble de la société. Les modes de vie du militaire et de sa famille tendent à rejoindre ceux du reste de la population française.
« Il y a un éloignement croissant entre le style de vie moyen et celui que nous proposons », explique le Chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT). Les contraintes de disponibilité, de mobilité territoriale ou encore de vie familiale deviennent des freins à l’embauche.
Ce vivier, restreint au départ par construction, est en plus partagé avec la gendarmerie, la police, les pompiers, voire les douanes et l’administration pénitentiaire, sans oublier les sociétés privées de sécurité qui recrutent énormément dans l’objectif des Jeux Olympiques de 2024.
Il faut noter que toutes ces administrations sont confrontées, comme les armées, à de sérieuses difficultés de recrutement. Pour la première fois, la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris est en sous-effectif de 300 postes, recrutant mensuellement 70 jeunes sapeurs-pompiers au lieu de la centaine nécessaire pour faire vivre son modèle RH et remplir ses missions.
Cette tendance est partagée par nos alliés puisque la Bundeswehr et l’US Army rencontrent des difficultés pour recruter. Les enrôlements allemands sont en recul de 7 %, selon une information du Spiegel, alors que les États-Unis n’ont pas atteint leurs objectifs de recrutement puisque 15 000 postes restaient vacants en 2022.
L’AdT est parfaitement consciente des enjeux du recrutement. Elle est sans doute encore plus sensibilisée que d’autres à l’importance cruciale de ses effectifs, car ce sont ses hommes qui constituent son système d’armes. Elle peut se définir par des hommes servant des systèmes d’armes, alors que la Marine et l’AAE se caractérisent d’abord par des systèmes d’armes (bâtiments et aéronefs) servis par des hommes.
Ainsi l’AdT prévoit d’optimiser la fidélisation des personnels au-delà de cinq ans de service, de développer la gestion individualisée des parcours, d’améliorer les conditions de vie et de travail, tout en mettant en place des efforts financiers sur les métiers en tension. Pour le recrutement, elle compte également investir davantage les zones urbaines, en premier lieu l’Île-de-France, qui ne contribue pour l’instant qu’à hauteur de 15 % du contingent, soit l’équivalent de l’Outremer.
Pour compléter les efforts déjà demandés à sa chaine recrutement, elle a demandé aux régiments de s’impliquer encore plus dans ce défi en les autorisant pour la première fois à recruter directement, sans intermédiaire, dans la société civile.
En termes de fidélisation, il faut s’interroger sur la pertinence de conserver un volume de recrutement ab initio dans les services interarmées aussi important. En effet, ce mode de recrutement initial rend bien plus difficile le reclassement des plus anciens engagés des forces en deuxième partie de carrière dans des métiers de soutien, moins exigeants physiquement. D’autant plus que ce type de recrutement sollicite le vivier des jeunes recrues dont les forces ont cruellement besoin.
Le ministère des Armées est conscient que le défi du recrutement nécessite d’améliorer la condition militaire pour mieux répondre aux sujétions du métier militaire. En termes de salaire, la Nouvelle Politique de Rémunération des Militaires (NPRM) mise en place dans la précédente LPM et poursuivie dans la LPM 2024-2030 va dans le bon sens, à condition qu’elle ne fasse pas trop de déçus ou de perdants. De même, la poursuite du plan famille est une réponse positive aux contraintes subies par les familles de militaires.
Mais ces mesures en cours d’application seront-elles suffisantes pour faciliter la résolution de la crise du recrutement, surtout si cette dernière perdure, voire s’aggrave ?
La réalisation des effectifs devient un enjeu stratégique qui nécessite d’aller encore plus loin en termes de condition militaire et de mener des actions en direction de la société civile pour promouvoir et développer l’esprit de défense.
En privilégiant la cohérence de notre modèle d’armée par rapport à sa masse, considérée pourtant comme un facteur de supériorité opérationnelle, cette LPM résulte d’un choix politique et économique compréhensible. En effet, dans un pays qui consacre près de 40 % de son PIB à ses dépenses de protection sociale, dont la dette publique s’élève à plus de 110% du PIB, avec une balance commerciale déficitaire depuis plus de 25 ans et un environnement social de plus en plus tendu, les arbitrages financiers sont lourds de responsabilités.
Mais le minimum d’effectifs consenti à nos armées ne doit pas être remis en cause par un recrutement et une fidélisation défaillants, car c’est la cohérence du modèle d’armée qui n’existerait plus.
Pour devenir un facteur de supériorité opérationnelle, le critère de masse exige un niveau minimal d’effectifs pour mener un combat de haute intensité dans la durée. Il semble déjà illusoire d’y parvenir avec les effectifs annoncés en fin de LPM et encore moins si la défaillance du recrutement les remet en cause. Il faut être conscient qu’un conflit de haute intensité, même limité dans le temps et dans l’espace, engendrera des pertes massives que la réserve opérationnelle ne palliera pas.
Pour gagner la guerre avant la guerre, encore faut-il montrer ses muscles pour être respecté, craint si possible, et surtout être dissuasif dans des affrontements en dessous du seuil nucléaire. Pour éviter un contournement de la dissuasion par le bas, il faut de la masse, donc des hommes et des équipements en quantité suffisante.
Le défaut de recrutement peut constituer un danger mortel car dans le modèle d’armée professionnalisée, les effectifs sont la seule chose qui ne s’achète pas.
Les équipements sont conçus dans des bureaux d’étude, commandés par les armées et fabriqués dans des usines par les industriels. Puis ils sont livrés aux unités, au rythme des chaines de production et des capacités annuelles de financement des armées.
En revanche pour nos soldats, pas de bureaux d’études pour les concevoir, pas de chaine de fabrication et de livraison régulière selon la masse salariale disponible. Il faut extraire de la société civile chaque futur militaire, au rythme de la capacité des recruteurs à le convaincre de rejoindre les armées. Il faut qu’il soit convaincu du bien-fondé de son engagement, puis gagner la bataille de la fidélisation pour le conserver le plus longtemps possible.
Avec le budget nécessaire et les capacités de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) française, les équipements seront globalement toujours au rendez-vous, en revanche rien ne garantit que nos soldats soient en nombre suffisant pour les servir.
Pour gagner la bataille du recrutement et de la fidélisation qui se dessine, le levier de la condition militaire doit être prioritairement utilisé pour améliorer nettement l’attractivité du métier militaire en termes de rémunération notamment, en allant plus loin que ne le prévoit la LPM. Améliorer la condition militaire devient donc une nécessité stratégique pour faire face à la crise de recrutement et de fidélisation qui s’annonce.
Pour illustrer cette nécessité, il suffit de consulter le dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la Condition Militaire (HCECM) en prenant l’exemple des officiers qui est le sujet de l’étude. Il fait plusieurs constats qui fragilisent la fidélisation :
Un écrasement des grilles indiciaires de l’ensemble des militaires entre 2011 et 2023 ;
Un décrochage des rémunérations des officiers supérieurs des 3 armées vis-à-vis des fonctionnaires de catégorie A+ et en particulier des commissaires de police ;
Cette situation défavorable rejaillit mécaniquement sur le montant de la pension de retraite des officiers, calculé en fonction de la part indiciaire de la rémunération en fin de carrière.
Ces situations fragilisent la fidélisation, car elles détériorent l’attractivité des fonctions d’officier, dans le cadre du recrutement interne, et leur fidélisation. Or les armées ne peuvent plus se permettre de perdre leurs talents.
Pour remédier à cet état de fait, le HCECM propose plusieurs mesures, non prises en compte dans la LPM 2024-2030, qui méritent pourtant une attention particulière si les armées veulent réussir à conquérir et préserver leurs effectifs :
Revoir les grilles indiciaires de l’ensemble des militaires et, en cas de séquençage dans la mise en œuvre des nouvelles grilles, de commencer par les officiers, sauf à prendre le risque d’altérer davantage l’attractivité de la fonction d’officier et d’affecter leur moral ;
Intégrer l’indemnité d’état militaire (IEM) dans le calcul de la pension militaire de retraite dans la mesure où elle compense les sujétions inhérentes au statut militaire ;
Assurer une cohérence de la politique indiciaire entre toutes les catégories de militaires pour préserver l’escalier social ;
Revaloriser le positionnement indiciaire des officiers au regard de la nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l’État et des limites de la compensation purement indemnitaire des conséquences de la mobilité géographique, notamment sur l’emploi du conjoint et le niveau de vie des ménages.
Ce constat est corroboré par un rapport du Sénat, établi en 2019 au nom de la commission des finances sur la gestion des ressources humaines dans les armées, qui estime qu’en dépit des mesures spécifiques de revalorisation, le niveau général de rémunération des militaires apparaît faible, en comparaison des armées alliées et des autres emplois de la fonction publique.
La condition militaire ne se réduit pas aux seules rémunérations, même si elles en sont la traduction la plus visible. Les attentes en termes de réduction de la mobilité et d’accès au logement sont maintenant devenues des enjeux cruciaux de condition militaire sur lesquels des efforts supplémentaires doivent être faits pour ne pas diminuer encore l’attractivité du métier militaire.
Bien entendu la condition militaire n’est pas le seul levier à utiliser, car en matière de recrutement il faut prendre en compte de nombreux facteurs sociétaux : l’esprit de défense, le sentiment national, le niveau de résilience de la Nation, l’éducation.
En effet, le militaire est toujours un produit de la société civile qui l’a éduqué et façonné en tant que citoyen. Il rejoint les armées parce qu’il est volontaire, qu’il en a envie et qu’il y trouve un intérêt, avant de retourner au terme de sa carrière dans le monde civil, entre 3 et 40 ans plus tard selon son parcours.
Il existe donc un lien direct entre la nature et les caractéristiques de la société civile d’une nation, la vivacité de l’esprit de défense qui y règne et l’existence d’un vivier potentiel permettant aux armées de recruter les soldats dont elles ont besoin.
Malheureusement l’esprit de défense ne se décrète pas, il découle d’abord du sentiment d’appartenance à une Nation dont les valeurs, l’histoire, le fonctionnement démocratique sont partagés et enseignés. En faisant renaitre ce sentiment national, l’esprit de défense sera naturellement conforté, car il se construit dans le temps long par l’action conjuguée de la famille, de l’école, de la société, de décisions politiques. Mais il relève aussi d’éléments d’ordre psychologique, moral, politique et social, d’une conscience collective, du rapport à la patrie et, surtout, d’une compréhension collective des enjeux de sécurité. Autant d’éléments qu’il est parfois difficile de percevoir concrètement aujourd’hui en France.
L’esprit de défense est d’autant plus difficile à développer lorsque la sécurité d’une Nation est confiée à un nombre de plus en plus restreint de ses citoyens, qualifiés aujourd’hui de « professionnels ». La défense du pays, de ses intérêts, de sa culture et de son influence devient alors l’affaire d’une minorité d’experts spécialistes, dont le reste de la société peut facilement se dessaisir.
Plus l’esprit de défense sera développé au sein de la société civile, plus le nombre de jeunes citoyens conscients de l’importance de défendre leur pays sera important et plus le vivier potentiel de recrutement pour les armées sera intéressant.
Il faut donc chercher par tous les moyens à développer cet esprit de défense dans notre société. Les armées ont certes un rôle important à jouer en se faisant encore mieux connaitre, mais il faut au préalable une véritable volonté politique. Elle doit se traduire par des actions concrètes allant au-delà des déclarations d’intention, pour ensuite être relayée par l’éducation, la famille, l’entreprise, les acteurs sociaux qui concourent tous dans leur domaine à transmettre les valeurs sur lesquelles se construit la résilience d’un pays.
On ne détruit pas impunément dans une société la valeur travail, la fierté d’appartenance à une Nation démocratique, la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt individuel et des devoirs sur les droits, sans fragiliser l’esprit de défense et la capacité d’un pays à se défendre face au retour de la guerre.
Le CEMAT formule cette interrogation centrale : « Nos sociétés occidentales, dont les dernières générations n’envisageaient jusqu’à récemment la guerre qu’au travers des livres d’Histoire, sont-elles prêtes à voir leurs fils et filles mourir en nombre pour un plus grand bien ? ».
À l’heure des réseaux sociaux mondiaux, des communautarismes d’appartenance et des individualismes exacerbés, se pose donc la question de savoir quel esprit de défense irrigue la France et si nous sommes prêts, en tant que nation, à faire face aux menaces grandissantes qui se profilent.
Cet effort crucial pour développer l’esprit de défense est donc l’affaire de toutes les composantes de la société, il conditionne par relation de cause à effet la capacité à recruter des armées et il devient à ce titre un enjeu stratégique.
Tout est en place pour que la conquête de la ressource humaine devienne le défi majeur pour les armées durant les prochaines années et bien au-delà de l’horizon de la LPM. La condition militaire, autour du triptyque rémunération-mobilité-logement et les différentes compensations des sujétions du métier militaire constituent un levier stratégique pour espérer remporter la bataille du recrutement et de la fidélisation.
Ce combat ne peut être remporté qu’avec le développement d’un esprit de défense bien plus vivace dans notre société. Cette prise de conscience est indispensable pour faire comprendre à nos concitoyens que la défense nationale n’est pas qu’une affaire exclusivement militaire.
Mais attention, le temps RH n’est pas celui de l’immédiateté, ni celui du temps politique. Pourtant les décisions d’aujourd’hui engagent l’avenir de nos armées, de la même façon que celles d’hier ont généré les difficultés d’aujourd’hui.
Dans une société française où le sens du devoir est de moins en moins enseigné et cultivé, il faut absolument se donner les moyens de redynamiser l’esprit de défense, sans attendre une évolution géopolitique dramatique qui engendrerait un sursaut trop tardif. Concomitamment, il est indispensable d’améliorer encore la condition militaire pour trouver suffisamment de jeunes hommes et femmes qui aient encore l’audace de servir leur pays au sein des armées. C’est le véritable défi d’aujourd’hui pour espérer gagner la bataille de la réalisation des effectifs demain.
NOTES :
Postes exprimés en ETP : Équivalent Temps Plein.
La Garde nationale américaine est une force de réserve opérationnelle dirigée directement par les états américains, et coordonnée par les armées fédérales. C’est l’une des plus importantes forces militaires au monde, avec presque 500 000 hommes, 8 divisions d’infanterie, 62 brigades de soutien ou spécialisées, et des dizaines de milliers de véhicules blindés, hélicoptères et avions de combat.
15 à 16 000 recrutements par an pour l’AdT, tous grades confondus.
CERCLE MARÉCHAL FOCH
Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).
La Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 prévoit d’accroître significativement le format de la réserve opérationnelle, avec l’objectif d’atteindre le ratio d’un réserviste pour deux militaires d’active à l’horizon 2035… Ce qui supposera de recruter et de fidéliser environ 105’000 volontaires.
Il s’agira ainsi de conforter la « pertinence du modèle d’armée professionnelle » grâce à une « réserve opérationnelle plus nombreuse et mieux équipée, pleinement intégrée à l’armée active et polyvalente dans ses missions, dont l’emploi sera intensifié ».
En outre, comme l’a souligné le contre-amiral Laurent Berlizot, chef du pôle « Cohésion nationale » au sein de l’État-major de la Marine nationale, lors du dernier point de presse du ministère des Armées, ce renforcement de la réserve opérationnelle vise aussi à renforcer la « résilience de la Nation ».
Selon son site dédié au recrutement, la Marine nationale compte actuellement 15 % de réservistes opérationnels dans ses rangs, soit 6000 volontaires. Que feront ceux qui seront recrutés dans les années à venir ?
L’été dernier, alors qu’il s’apprêtait à quitter ses fonctions de chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier avait évoqué le projet de créer des « flottilles côtières de réserve », afin de « durcir » la défense maritime et de combler les « angles morts » en matière de surveillance.
Ces nouvelles unités de réservistes opérationnels sont sur le point de voir le jour. En effet, le contre-amiral Berlizot a annoncé que l’état-major d’une première flottille côtière de réserve sera formé à Brest d’ici l’été 2024, avec deux escouades associées, l’une à Bayonne, l’autre à La Rochelle. Ces entités seront dotées d’embarcations semi-rigides [le modèle n’est pas encore arrêté] et de mini-drones de type Anafi.
« Dans sa forme aboutie, le dispositif prévoit la création de trois flottilles côtières adossées aux façades littorales de l’Atlantique [Brest], de la Méditerranée [Toulon] et de la Manche et mer du Nord [Cherbourg] », a précisé le contre-amiral Berlizot.
Une flottille côtière de réserve sera constituée de dix escouades, comptant chacune 70 marins réservistes. En outre, six autres escouades seront créées en outre-mer. Au total, ce dispositif mobilisera 3000 volontaires, susceptibles d’être sollicités pendant une trentaine de jours par an. Ils auront à assurer quatre types de missions : « patrouiller » [intégration dans la fonction « garde-côtes »], « observer » [renforcement de la posture permanente de sauvegarde maritime], « protéger » [intégration au dispositif de l’action de l’État en mer] et « rayonner ».
Ces unités de réservistes « conduiront par exemple des missions de présence, de surveillance, de sauvetage en mer d’opportunité ou de diffusion des règles de bonnes pratiques aux usagers de la mer. Les escouades seront sous contrôle opérationnel du commandant de zone maritime et coopéreront avec les unités de la Marine nationale », a détaillé le contre-amiral Berlizot.
Cela étant, ces flottilles côtières ne représenteront qu’un quart de l’effectif de réservistes opérationnels de la Marine nationale à l’horizon 2035. Aussi, trois « flottilles spécialisées » vont être créées, en particulier dans les domaines de numérique/cyber, de la logistique opérationnelle et de la formation. Sur ce dernier point, il est question de recruter des professeurs réservistes qui iront ensuite enseigner dans les écoles de la « Royale ».
Enfin, 11 « flottilles maritimes » vont être mises sur pied, avec l’objectif de recruter plus de 2500 réservistes opérationnels. Ces unités seront adossées à une « autorité d’emploi », c’est à dire à l’aéronautique navale, à la force d’action navale, à la force océanique stratégique, etc.
Déjà engagées en Afghanistan dans le cadre de la mission Herrick, les forces britanniques furent en mesure de prendre part à l’opération Iraqi Freedom, lancée en mars 2003 par les États-Unis. À l’époque, elles comptaient encore 206’500 militaired, dont 112’000 servaient dans les rangs de la seule British Army.
Vingt ans plus tard, après maintes « réformes », « externalisations » et autres revues stratégiques expliquant comment faire davantage avec toujours moins de moyens, le format des forces britanniques a été réduit d’environ 30%, selon des chiffres communiqués à la Chambre des communes.
Ainsi, l’effectif de la Royal Air Force [RAF] a fondu de 40% [avec « seulement » 31’940 aviateurs] tandis que ceux de la British Army et de la Royal Navy ont diminué respectivement de 31% et de 21%. Pour autant, cela n’empêche visiblement pas le Royaume-Uni de tenir son rang au sein de l’Otan puisqu’il fournit environ 20% des moyens mobilisées pour l’exercice « Steadfast Defender » qui, lancé cette semaine avec la participation de 90’000 militaires, est décrit comme étant le plus vaste jamais organisé depuis ceux de type Reforger, dans les années 1980.
Quoi qu’il en soit, avec un effectif réduit à 141’460 militaires, et sans parler de la « haute intensité », le Royaume-Uni n’est a priori plus en mesure d’avoir un niveau d’engagement semblable à celui qui était le sien en 2003. D’autant plus que ses forces armées ne sont pas encore arrivées au bout de leurs peines au regard de leurs difficultés à recruter et à fidéliser leurs personnels.
Lors d’une récente réunion du comité des Comptes publics de la Chambre des communes, le député [conservateur] Mark Francois a avancé que le « taux de départ des forces armées est de trois pour une recrue ». Et d’ajouter : « C’est le patient qui saigne sur la table d’opération. On ne peut pas continuer ainsi plus longtemps ».
En attendant, cette crise du recrutement et de la fidélisation n’est évidemment pas sans conséquences sur le plan opérationnel. Ainsi, faute de marins, la Royal Navy a dû se résoudre à accélérer le désarmement de deux de ses frégates de type 23 et envisage de mettre sous cocon ses deux navires d’assaut amphibie, ce qui pose la question de l’avenir des Royal Marines.
Cette situation préoccupe… les États-Unis, où, à plusieurs reprises, des responsables militaires se sont interrogés sur l’efficacité des forces britanniques. Comme le fit, en 2015, le général Ray Odierno, alors chef de l’US Army. « Dans le passé, nous avions une division de la British Army travaillant aux côtés d’une division américaine et nous avons maintenant une brigade britannique intégrée à une division américaine », avait-il relevé.
En 2023, il a été rapporté par Sky News qu’un général américain de « haut rang » avait estimé que la British Army n’était « plus une force de combat de haut niveau ». Mais les propos tenus le 25 janvier par Carlos Del Toro, le secrétaire à l’US Navy, devant le Royal United Services Institute [RUSI], sont d’une tout autre nature.
En effet, le responsable américain a critiqué la politique de défense britannique… Ce qui est rare à ce niveau. « La Grande-Bretagne devrait revoir la taille de ses forces armées pour répondre aux menaces posées par la Russie et à la crise au Moyen-Orient », a dit M. Del Toro.
« Franchement, je dirais que, compte tenu des menaces à court terme qui pèsent sur le Royaume-Uni et les États-Unis, les investissements dans la marine britannique sont d’une importance cruciale », a-t-il ajouté. Et de suggérer que Londres doit aussi reconsidérer le format de la British Army.
« Toute décision de dépenser davantage pour les forces armées britanniques relève du gouvernement britannique » mais « aux États-Unis, nous avons continué à investir de manière significative dans notre sécurité nationale », malgré un contexte économique difficile, a aussi fait valoir le secrétaire à l’US Navy.
Pour le Guardian qui a été le premier à rapporter les propos de M. Del Toro, « bien que les dirigeants américains appellent souvent les pays européens à augmenter leurs dépenses de défense, les commentaires pointus sur l’armée britannique sont rares en raison de l’étroite relation militaire» entre la Grande-Bretagne et les États-Unis.
Quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine, la Russie a déjà subi une « défaite stratégique ». Tel est l’avis exprimé par le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA] lors de la conférence inaugurale de la chaire « Grands enjeux stratégiques contemporains » de la Sorbonne, le 22 janvier, selon des propos rapportés par Le Figaro.
« Si le conflit s’arrête aujourd’hui, quel serait le bilan? L’Ukraine a résisté contre toute attente. La Suède et la Finlande ont rejoint […] l’Otan [du moins, Stockholm est sur le point de le faire, ndlr]. L’armée de terre russe est dans un état critique. Elle ne constitue plus une menace pour l’Otan. La Russie a installé un lien de vassalisation avec la Chine. Elle s’est placée dans une situation de défaite stratégique », a en effet expliqué le CEMA.
Cependant, Grant Shapps, le ministre britannique de la Défense, n’est pas exactement sur la même ligne. « Un autre facteur inquiétant apparaît désormais : nos adversaires sont davantage liés les uns aux autres », a-t-il récemment estimé, dans un discours prononcé le 15 janvier à Lancaster House. « La Russie entretient […] un ‘partenariat sans limites’ avec la Chine » et « compte sur les drones iraniens et les missiles balistiques nord-coréens pour bombarder l’Ukraine », a-t-il ajouté.
En attendant, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a de nouveau mis en garde contre le risque d’une guerre [ce qu’il fait régulièrement depuis plusieurs semaines…], à l’occasion d’un entretien diffusé par la ZDF, le 21 janvier. Même si une attaque russe ne paraît pas probable « pour l’instant », il a expliqué qu’elle pourrait l’être dans quelques années. « Nos experts s’attendent dans cinq à huit ans à une période au cours de laquelle cela pourrait être possible », a-t-il dit. Aussi, « nous devons être capables de faire la guerre », a-t-il insisté.
En octobre, M. Pistorius avait déjà dit peu ou prou la même chose… « Nous devons nous habituer à nouveau à l’idée qu’il pourrait y avoir une menace de guerre en Europe » et cela « signifie que nous devons nous préparer à la guerre, que nous devons être capables de nous défendre et d’y préparer la Bundeswehr et la société », avait-il en effet déclaré, sur la même antenne. Depuis, la question de rétablir une nouvelle forme de service militaire est évoquée outre-Rhin.
En Suède, il est aussi question de préparer la population civile à une possible guerre. « Mon intention première n’est pas de faire peur, mais plutôt à faire prendre conscience de la situation. Je cherche à ouvrir une porte : une porte qui est souvent bloquée et encombrée par les exigences et les défis de la vie quotidienne. Une porte que de nombreux Suédois ont peut-être gardée fermée toute leur vie. Une porte vers un espace où nous sommes confrontés à une question importante : qui êtes-vous si la guerre éclate? », a en effet déclaré Carl-Oskar Bohlin, le ministre suédois de la Défense civile, le 7 janvier.
Visiblement, cette question « travaille » aussi le général Sir Patrick Sanders, le chef de la British Army. Ainsi, lors d’une conférence organisée à Twickenham [dont le stade pourrait réunir tous les soldats de l’armée britannique], il a estimé que la société d’outre-Manche devait se préparer à l’éventualité d’une guerre.
Il est « essentiel et non seulement désirable » de « prendre les mesures préparatoires en vue de placer nos sociétés sur le pied de guerre si besoin. C’est une action qui doit mobiliser toute la nation», a en effet déclaré le général Sanders. « L’Ukraine illustre le fait que les armées professionnelles commencent les guerres et que les armées de citoyens les gagnent », a-t-il ajouté.
« Nos prédécesseurs n’ont pas compris les implications de ce qu’on appelle la crise de juillet 1914 et se sont retrouvés dans la plus horrible des guerres. Nous ne pouvons pas nous permettre de commettre la même erreur aujourd’hui », a ensuite enchaîné le chef de la British Army.
Pour autant, il n’est pas question pour lui de rétablir la conscription. Cependant, a-t-il continué, « nous avons besoin d’une armée conçue pour se développer rapidement à partir d’un premier échelon et fournir des ressources à un second échelon, puis pour former et équiper l’armée citoyenne qui suivra. Dans les trois prochaines années, on devrait pouvoir parler d’une armée britannique de 120’000 hommes, en intégrant les réservistes. Mais ce ne sera pas encore assez ». En clair, il s’agirait de poser les bases rendant possible une éventuelle « mobilisation nationale »… à un moment où les forces armées britanniques – et la British Army en particulier – connaissent une crise des vocations.
De tels propos font écho à ceux récemment tenus par le président du Comité militaire de l’Otan, l’amiral néerlandais Rob Bauer. « Nous avons besoin que les acteurs publics et privés changent de mentalité pour passer d’une époque où tout était planifiable, prévisible, contrôlable et axé sur l’efficacité à une époque où tout peut arriver à tout moment », a-t-il déclaré, la semaine passée.