Renseignement : Le français Preligens dévoile une nouvelle solution d’IA pour l’imagerie satellitaire radar

Renseignement : Le français Preligens dévoile une nouvelle solution d’IA pour l’imagerie satellitaire radar

https://www.opex360.com/2024/05/07/renseignement-le-francais-preligens-devoile-une-nouvelle-solution-dia-pour-limagerie-satellitaire-radar/


En 2022, la Direction générale de l’armement [DGA] notifia à Preligens un contrat-cadre d’une valeur maximale de 240 millions d’euros sur sept ans, au titre du programme TORNADE [Traitement Optique et Radar par Neurones Artificiels via Détecteur], mené au profit de la DRM ainsi qu’à celui d’autres unités « tournées vers les opérations », comme le Commandement des opérations spéciales [COS] et le Commandement de la cyberdéfense [COMCYBER].

On aurait pu penser que l’avenir financier de l’entreprise allait être assuré. Seulement, selon le quotidien Les Échos [édition du 18 mars], le ministère des Armées n’a pas reconduit deux « contrats clés » dans l’imagerie radar et optique, « faute de moyens ou d’intérêt d’emploi ». Or, ils représentaient près de la moitié du chiffre d’affaires de Preligens. Afin de disposer des moyens nécessaires à son développement [et à sa pérennité], cette « pépite technologique » s’est mise en quête d’un repreneur, qui pourrait être Safran [Thales s’est mis en retrait et il est exclu de recourir à un investisseur non européen].

En attendant, Preligens continue à élargir sa gamme de solutions afin de trouver de nouveaux clients. Ainsi, ce 7 mai, l’entreprise a annoncé le lancement de « nouveaux détecteurs d’intelligence artificielle optimisés pour détecter et classer tout objet d’intérêt militaire sur imagerie satellite SAR [Synthetic Aperture Radar] ».

Et d’ajouter : « Ces détecteurs innovants combinent le savoir-faire de pointe de Preligens en matière d’analyse d’images optiques à de nouvelles capacités d’analyse SAR. Est ainsi redéfini l’état de l’art du traitement multispectral par IA pour la communauté de la défense et du renseignement ».

Combinée aux satellites de reconnaissance optique, comme ceux de la constellation française CSO, cette capacité permettra d’assurer une couverture permanente des sites intéressant le renseignement militaire, les engins en orbite dotés d’un radar à synthèse d’ouverture [RSO] collectant des données quelles que soient les conditions météorologiques.

« Nos clients, qui apprécient déjà les performances de nos détecteurs en opération, ont exprimé le besoin de capacités complémentaires de surveillance par toutes conditions météorologiques 24h sur 24, qu’offre l’imagerie SAR. Nous savons que les images optiques sont plus intuitives, elles sont aussi utilisées comme référence par les analystes, nous avons donc décidé d’aborder l’analyse SAR en combinant, de manière innovante, les informations contenues dans les images optiques et de SAR », a expliqué Jean-Yves Courtois, le PDG de Preligens.

« Cette annonce souligne notre volonté de repousser les limites de l’innovation dans le domaine de l’intelligence artificielle géospatiale et notre engagement à offrir à nos clients les solutions les plus performantes qui correspondent à leurs besoins », a-t-il ajouté.

Pour mettre au point cette nouvelle solution, Preligens a noué un partenariat avec la société Capella, ce qui lui a permis d’accéder à un important volume d’images SAR de haute qualité. Cela lui ainsi permis de développer un « détecteur d’aéronefs » ayant « déjà démontré d’excellentes performances », a-t-elle indiqué. « D’ici la fin de l’année, sera également engagé le développement d’un détecteur de navires », a-t-elle précisé.

Justement, dans le domaine naval, plus précisément dans celui de la guerre sous-marine, Preligens a d’autres projets en cours, comme celui consistant à analyser les signaux acoustiques grâce à l’IA.

Au moment de la création de l’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de Défense [AMIAD], le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait évoqué des « premiers essais en matière d’IA appliquée à l’acoustique sous-marine […] bouleversants ».

MOSCOU :  « Khorasan »: un État islamique, terroriste non-identifié

MOSCOU :  « Khorasan »: un État islamique, terroriste non-identifié

Xavier Raufer* – Esprit Surcouf – publié le 3 mai 2024
Criminologue

https://espritsurcouf.fr/securite_moscou-khorasan-un-etat-islamique-terroriste-non-identifie/


Le terrible attentat qui a frappé Moscou le 22 mars dernier (150 morts et plus de 450 blessés )est l’occasion pour l’auteur, spécialiste du terrorisme) de se poser quelques questions sur l’origine des acteurs de cet attentat. Certainement pas l’Ukraine , comme a voulu le faire croire la propagande russe. Mais sans doute « l’État islamique du Khorasan ». L’auteur explique les racines et les modes d’action de cette organisation terroriste méconnue en occident mais inquiétante.

QUE sait-on à ce jour des terroristes ayant frappé Moscou (désormais, quelque 150 morts) ? Tous quatre sont arrivés d’Istanbul peu avant l’attentat. La « spécialité » de l’État islamique – ci-après ISIS-K – au Khorasan (Aire historique entre Iran oriental et Asie centrale) étant l’attaque de mosquées en mode « stratégie de la tension », la trouvaille (outre des photos du complexe culturel moscovite) de celles de mosquées d’Istanbul dans le smartphone d’un des terroristes a précipité la coopération entre le renseignement russe (FSB) et son homologue turc, le MIT.

Peu après, le MIT découvrait près d’Istanbul deux bases secrètes d’ISIS-K et y arrêt- tait 32 Tadjiks et 9 Kirghizes. Après interrogatoire des plutôt rugueux services turcs, les aveux ont afflué. Selon nos sources, ils ont permis d’identifier en Russie cinq réseaux dormants, entre Moscou et Toula ; et des métastases de l’appareil d’ISIS-K, jusqu’en Afghanistan et en Syrie.

Des prises de sang ont révélé qu’avant l’assaut, ces quatre terroristes Tadjiks de 19 à 32 ans se sont dopés au Capta gon, la « Drogue du courage » des milices du Moyen-Orient, amphétamine violemment stimulante, permettant de veiller des nuits entières. Ici, première incohérence : la guerre « sainte », Djihad, diffère de la « mission de sacrifice » (Shahadat) dont on ne revient pas et où des « martyrs » sacrifient leur vie pour l’Oumma (communauté des croyants). On a pu autopsier de ces « martyrs » après de telles missions : nul d’entre eux, jamais, n’avait absorbé d’alcool ou d’excitants.

Ceux de Moscou, oui. Étrange.

Mais l’enquête des services russes, turcs et tadjiks ne saura se borner aux constatations humaines ou matérielles : une tâche autrement plus ardue les attend : découvrir ce que camoufle l’appellation (tout sauf claire) d’ »État islamique au Khorasan ». De fait, poser un diagnostic juste suppose l’usage de termes appropriés mais d’abord, de savoir de quoi on parle. Or après le terrible attentat de Moscou, les médias dépeignent l’ »État islamique », Daesh de son acronyme arabe, comme une entité terroriste banale et bien connue, genre al-Qaïda, pour garder le registre islamiste.

Alors que Daesh est tout sauf ça – et traîne même dès son émergence, voici près de vingt ans, une persistante réputation d’agent provocateur.

Son fondateur – Abu Musab al-Zarkawi (kuniya, nom de guerre, de Ahmed Fadel Nazar al-Khalaylah), voyou toxicomane issu de la ville de \arka, proche d’Amman en Jordanie, islamisé en prison. Lourdement condamné puis bizarrement libéré, Oussama ben Laden le soupçonne d’avoir été recruté par les services spéciaux jordaniens et le tient à distance. Ensuite, Karkawi multiplie les attentats-provoc’ contre des mosquées chi’ites irakiennes, déclenchant une guerre sectaire bien utile à l’armée américaine, en mode « diviser pour régner ». Et quand Karkawi quitte Al-Qaïda  en Irak, première étape de la fondation de « l’État islamique », on ne voit pas al-Qaïda s’en désoler beaucoup.

Son architecte – Plus bizarre encore : toute l’architecture de l’appareil politico-militaire de Daesh – son « code-source » dit un expert irakien de l’islamisme – revient à Samir abd Muhammad al-Khlifawi dit « Hajj Bakr ». Un fanatique moudjahid ? Non : un colonel du renseignement de l’armée de l’air de Saddam Hussein. Retrouvé aux archives de l’état-major irakien, son dossier contient des photos d’un bon vivant trin- quant, verre de whisky en main, près de son épouse en robe légère et cheveux au vent. Pas très salafiste, tout ça…

Son encadrement – Fin 2017, des « Sources informées israéliennes » – difficile d’être plus clair… – produisent une remarquable étude sur l’encadrement de l’État islamique, partant des dossiers de 129 de ses dirigeants, dûment identifiés : à 73% irakiens et TOUS issus de l’armée, des services spéciaux ou de la police de Saddam… Pas vraiment la sociologie d’un groupe islamiste… À Bagdad, un dignitaire chi’ite ironise : « l’État islamique, c’est l’appareil régalien de Saddam, plus les barbes et les siwak » (Bâtonnets en bois odorant servant de brosse à dents ; populaires chez les islamistes, car le Prophète en usait souvent).

Dans la galaxie État islamique, ISIS-K n’est qu’une lointaine filiale, issue en 2014 d’une scission des Taliban du Pakistan différents de ceux de Kaboul. Depuis, ISIS- K survit à l’est du pays, commettant parfois un attentat meurtrier : 13 soldats américains tués lors de l’évacuation de Kaboul à l’été 2021, un attentat-suicide à l’ambassade russe locale, en septembre 2022.

Autre mystère : au pouvoir à Kaboul, les Taliban afghans surveillent les bases d’ISIS-K à l’est du pays et affirment aux services russes qu’aucun téléphone des terroristes ayant frappé Moscou ne les a contactées. Mais qui donc finance ISIS-K ? Qui déclenche ses attentats ? On l’ignorera jusqu’à ce que l’enquête Russo-turco-tadjike ait abouti si ses résultats sont un jour dévoilés. 

(*) Xavier Raufer, criminologue, est directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est Professeur associé à l’institut de recherche sur le terrorisme de l’université Fu Dan à Shanghaï, en Chine, et au centre de lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la corruption de l’Université Georges Mason (Washington DC). Directeur de collection au CNRS-Editions, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme.

Il a écrit  “A qui profite le djihad ?”  publié en mars 2021 aux Éditions Cerf, et présenté dans la rubrique LIVRES dans le numéro 164.

Grand Duc 2024 : décollage réussi pour le Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement

Grand Duc 2024 : décollage réussi pour le Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement

– Forces opérations Blog – publié le

À peine créé, le Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR) s’est confronté pour la première fois à la réalité du terrain à l’occasion de l’exercice Grand Duc. Un exercice autant qu’une expérimentation source de premiers résultats encourageants en matière de construction des synergies et d’accélération de la boucle renseignement-feux.

Une édition inédite

Inhabituel, Grand Duc l’aura été à plus d’un titre. De par son ampleur, premièrement. Conduit du 15 au 29 mars dans le quart nord-est de la France, cet exercice annuel des unités du renseignement de l’armée de Terre a cette fois été joué entre Amiens et Belfort. Inspiré de l’exercice d’hypothèse d’engagement majeur ORION 2023, son scénario voyait l’ennemi symétrique Mercure et sa milice Tantale envahir la nation voisine Arnland. Un allié fictif de l’OTAN opposé à des ennemis tout aussi fictifs et dont l’agression entraînait la formation d’une vaste coalition, déploiement de divisions française, britannique et américaine à la clef. 

Trois divisions formant un corps d’armée au profit duquel oeuvrait un groupement de recherche multicapteurs (GRM) déployé dans la profondeur avec l’ensemble de ses moyens. Ses quelques 400 combattants provenaient essentiellement du 2e régiment de hussards, spécialiste du renseignement de source humaine et de l’infiltration à travers les lignes ennemies. Des éléments des 54e, 61e et 1er régiments d’artillerie, du 28e groupe géographique, des 54e et 44e régiments de transmissions ainsi qu’un sous-groupement aéromobile armé par le 5e régiment d’hélicoptères de combat sont venus s’y agréger. 

Ce GRM intégrait un détachement belge du bataillon ISTAR, signe parmi d’autres des liens grandissants entre forces terrestres des deux pays. Cette unité de chasseurs à cheval a pour l’occasion envoyé son escadron A renforcé d’une section radar Squire, d’une équipe drones et d’une section de génie (EARS). Une « belle unité » dont les membres « apportent une certaine philosophie et une certaine approche de la planification d’une opération. Nous avons beaucoup à apprendre de nos camarades belges tout comme, je l’espère, ils ont beaucoup de choses à apprendre de nous », soulignait le colonel Nicolas Louis, chef de corps du 2e RH et commandant du GRM. 

La mission de ce GRM à l’accent belge ? Trouver l’ennemi, comprendre ses modes d’action, déterminer des cibles et faire remonter ces informations jusqu’au corps d’armée. Par le lien direct qu’il crée avec les feux et les moyens de guerre électronique, le GRM contribue ainsi au grignotage, à l’affaiblissement de l’ennemi au profit des divisions et brigades de la ligne de contact. Dans un espace de jeu grand comme la Bulgarie, impossible de se la jouer « big brother ». Bien que dédoublée fictivement, l’envergure du GRM impliquait « de manoeuvrer, de faire des choix en utilisant au mieux les compétences de chacun », relève le colonel Louis. 

Surtout, Grand Duc constituait un premier essai grandeur nature pour le CAPR, mis en place le 1er janvier 2024 pour succéder au Commandement du renseignement (COM RENS). Organisé autour d’un état-major implanté à Strasbourg, ce nouveau commandement Alpha rassemble le centre de renseignement Terre (CRT) ainsi que trois brigades : la 4e brigade d’aérocombat (4e BAC) et les futures 19e brigade d’artillerie (19e B.ART) et brigade de renseignement et de cyber électronique (BRCE). Ces unités opérant au profit de la division et du corps d’armée, focalisent leur action sur un compartiment profond de 50 à 500 km, tant au sol que dans la 3e dimension. Ce CAPR est commandé par le général de division Guillaume Danès, dont la carrière a démarré au 13e régiment de dragons parachutistes avant de se poursuivre au 2e RH puis à la tête de l’ex-COM RENS. 

Derrière l’entraînement et l’évaluation Antarès du PC du GRM, cette édition devait « mettre en synergies toutes ces compétences » qui évoluaient auparavant dans leur couloir de nage et de « tester une nouvelle organisation, de nouvelles procédures pour aller toujours plus vite et être toujours plus efficaces face à ces défis qui prennent une importance beaucoup plus grande par rapport à ce que les armées françaises ont connue ces 15-20 dernières années », résume le commandant du 2e RH. Un séminaire organisé en janvier dernier avec tous les acteurs du CAPR avait débouché sur de premières réflexions communes d’amélioration. Des idées pour la première fois mises en pratique lors de Grand Duc.

Un militaire du bataillon ISTAR belge survolé par un Tigre HAD du 5e RHC, illustration de la volonté du CAPR d’inclure dans ses réflexions tout acteur susceptible d’agir dans la profondeur, en ce y compris les unités alliées, la 11e brigade parachutiste, les forces spéciales ou encore les observateurs d’artillerie
(Crédits image : Bn ISTAR)

À l’instar de l’ensemble des armées, les unités du CAPR ont définitivement pris le tournant de la « haute intensité », cette volonté de durcissement de la préparation opérationnelle face à l’hypothèse d’un engagement majeur. Essentiel au bon déroulé d’un exercice, le réalisme de l’animation est l’une des spécialités de la major Stéphanie. « On nous demande depuis 2-3 ans de basculer vers la haute intensité », explique cette équipière « recherche au contact » (RAC) du 2e RH rattachée à la section entraînement-exercice du CAPR. 

Grand Duc n’y a pas coupé et prolongeait quelques grandes idées d’ORION 2023. C’est ainsi que la milice Tantale aura généré des actions de harcèlement et de sabotage les arrières de la force alliée pour déstabiliser celle-ci et faciliter l’avancée des divisions Mercure. Réalisme oblige, 23 « sources » ont été créées parmi la population arnlandaise, pour moitié réellement jouées. Des joueurs auxquels l’animatrice « fait dire des choses plus ou moins intéressantes à creuser ensuite ». Ces sources, additionnées aux événements conçus de toute pièce, auront atteint un volume inédit. « J’adore faire vivre l’exercice », se réjouit la major Stéphanie. Celle-ci a imaginé un monde artificiel d’associations, de médias, de réseaux sociaux alimentés à l’occasion par la petite force adverse présente sur le terrain. Jusqu’à l’écriture d’un journal quotidien : « Le Roseau », canal d’information exploitable jusque dans ses encarts publicitaires. 

Étendue d’Amiens à Belfort, la zone d’action profonde de plus de 400 km se voulait la plus représentative possible des élongations dans lesquelles les unités du CAPR sont appelées à opérer. Des distances sources de challenges, dont celui de l’accélération. « Notre objectif, c’est de réduire la boucle renseignement-feu, le délai entre la détection d’une cible et sa neutralisation quel que soit l’effecteur retenu », relève le général de division Danès. Pourquoi ? « Parce que, face à un ennemi à parité, il faut savoir saisir les opportunités. Nous n’avons pas toujours l’initiative, nous sommes contraints par les combats contrairement aux opérations extérieures conduites ces 20 dernières années ». Ces fenêtres d’action peuvent être très courtes, « d’où cette nécessité d’accélérer ». 

Le CAPR a en effet cela d’utile qu’il permet de « faire des choix un peu innovants en matière d’équipements » grâce au dialogue renforcé entre acteurs d’un même monde. Durant Grand Duc, la focale aura surtout porté sur les transmissions. L’acquisition rapide de systèmes disponibles sur le marché et en partie civils est ainsi venu soutenir le concept d’hybridation, cette combinaison de moyens civils et militaires privilégiée pour éviter les ruptures de communication et compenser les éventuelles perturbations adverses. 

« Comment j’utilise internet, le réseau GSM, les satellites à orbite basse en complément des satellites et liaisons radios militaires, c’est un sujet que l’on travaille à l’occasion de l’exercice Grand Duc », pointe le général de division Danès. L’armée de Terre a, entre autres, acheté des boîtiers GSM sur lesquels elle intègre un chiffrement « maison » pour pouvoir les relier à ses propres systèmes d’information. « Nous avons mis en oeuvre des passerelles automatiques et intelligentes qui nous permettent de faire basculer une information d’un niveau de classification à l’autre tout en en interdisant la redescente vers le niveau inférieur », confie le colonel Louis. Les transmetteurs auront par ailleurs réussi à pallier à l’absence de liaison 16 sur les cinq hélicoptères du SGAM, facilitant par là le positionnement ami et la coordination dans la 3e dimension. 

Résultat parmi d’autres des expérimentations, la patrouille de recherche opérant à Vesoul a pu transmettre ses informations en moins de deux minutes au poste de commandement du GRM installé à Mourmelon-le-Petit. Soit près de 300 km parcourus sans anicroches ni intervention technique. Certes, le processus n’est pas encore instantané, mais « gagner deux minutes, c’est déjà énorme », assure le général de division Danès. Ce petit gain de temps devient effectivement précieux lorsqu’il s’agit d’avoir un impact sur la manoeuvre ennemie. « Nous sommes sur une très bonne voie, car nous réussissons à prendre des décisions de tirs en quelques minutes », constate le colonel Louis. « Le pari de création de ce CAPR incubateur et laboratoire est donc gagné », estime pour sa part le général de division Danès.

Crédits image : armée de Terre

Face à un ennemi puissant et protéiforme, la réduction des délais de la boucle renseignement-feux n’est pas le seul enjeu. Repenser certains modes d’action, en concevoir de nouveaux et faire évoluer les matériels en sont d’autres. Hormis l’écriture doctrinale, il s’agira par exemple de déterminer quel sera le meilleur « pion multicapteurs » à déployer selon le contexte. Une compagnie de recherche humaine ? Une compagnie de guerre électronique ? Une section, voire une patrouille ? L’intégration de plusieurs capteurs est-elle nécessaire ? Quel est la combinaison offrant le meilleur équilibre en termes d’efficacité et de discrétion ? Bref, où placer les différents curseurs pour obtenir « un renseignement précis, fiable » ? 

Laboratoire à ciel ouvert, Grand Duc offrait le terrain idéal pour tester de nouveaux équipements. « Nous avons mis en oeuvre un certain nombre de matériels assez innovants dans le domaine du renseignement électromagnétique », explique le colonel Louis. Des systèmes de guerre électronique qui auront conduit à la capture anticipée d’un chef de la milice Tantale infiltré à proximité du PC du GRM. Un fait inattendu mais sans réelle conséquence pour le travail de la major Stéphanie, car le cadre scénaristique de Grand Duc n’a rien de figé et évolue tout au long de l’exercice. Le conflit russo-ukrainien influence certainement ce travail d’écriture mais « je me sers du monde entier », assure celle qui, à l’heure où nous la rencontrons, planche déjà sur la prochaine action de Tantale : l’attaque d’un aéroport à coup d’engins explosifs improvisés et de drones. 

Si la porosité d’un front – ou son absence dans le cas sahélien – facilite l’infiltration, celle-ci se trouve complexifiée lorsque ce front s’avère dense, parsemé de capteurs, de champs de mines, fortifications et autres obstacles présents dans les trois dimensions. La relative stabilité du front russo-ukrainien et les difficultés éprouvées par les belligérants pour le franchir en sont des rappels quotidiens. 

Traverser la ligne pour s’enfoncer dans le dispositif adverse, c’était déjà la préoccupation principale de Chamborant quand le général de division Danès était à sa tête, il y a plus d’une décennie. Pour ce dernier, « il y a toujours des moyens de passer, il faut être audacieux » et « chercher les espaces lacunaires, en espérant qu’ils existent ». Quitte à remettre au goût du jour des savoir-faire passés au second plan au cours des dernières décennies afin de « faire très mal, dès ce soir, à un ennemi disposant de capacités équivalentes », indique le colonel Louis. Grâce à Grand Duc, « nous avons pu mettre en oeuvre des savoir-faire spécifiques dans les conditions les plus réelles possibles », poursuit-il. Exemple avec ces VB2L engagés dans une phase de franchissement d’ « un cours d’eau assez profond qui allait contraindre notre manoeuvre », un procédé exceptionnellement joué de nuit.

Le défi est tout aussi prégnant pour les hélicoptères de la 4e BAC, vecteurs de mobilité, de reconnaissance, de destruction d’objectif et d’escorte par excellence mais confrontés aux capacités d’interdiction de l’adversaire. Aux équipages d’à leur tour chercher et exploiter le trou dans la raquette adverse tout en comptant sur leur maîtrise du vol tactique et sur le renouvellement progressif des parcs d’hélicoptères. De là à agir jusqu’à 500 km ? « Nous pourrions, car nous sommes capables de réaliser des FARP [Forward Arming and Refueling Point] pour pouvoir aller plus loin. C’est ce que nous avons fait durant cet exercice », précise le lieutenant François, officier contrôleur de circulation aérienne au sein du 5e RHC. Couramment déployés lors des opérations au Sahel, ces FARP sont autant de points de ravitaillement avancés permettant d’accroître l’élongation des machines, au prix d’une exposition accrue. 

Plus encore, la transparence du champ de bataille qu’amène la combinaison de satellites, drones et autres capteurs suppose un risque d’érosion de la discrétion chère au 2e RH. « D’ores et déjà, on voit les Russes comme les Ukrainiens s’adapter à cette situation. On le voyait sur les autres théâtres d’opération aussi, les gens s’enterrent », remarque le général de division Danès. Mais chez les hussards, l’effort relève plutôt du camouflage, à l’instar de cette bâche en aluminium à mémoire de forme « remontée » du 13e RDP et de solutions atténuants le rayonnement infrarouge. Faute de pouvoir traverser, d’autres voies subsistent pour le renseignement d’origine humaine, à l’image des sources disséminées sur les arrières par l’équipe animation de Grand Duc et susceptibles d’être en lien avec les populations situées au-delà du front. 

Le retour d’un ennemi à parité pose, enfin, la question de la maîtrise du ciel. Le défi est surtout prégnant pour les hélicoptères de la 4e BAC, vecteurs de mobilité, de reconnaissance, de destruction d’objectif et d’escorte par excellence mais confrontés aux capacités d’interdiction de l’adversaire. Aux équipages d’à leur tour chercher et exploiter le trou dans la raquette adverse tout en comptant sur leur maîtrise du vol tactique et sur le renouvellement progressif des parcs d’hélicoptères. De là à agir jusqu’à 500 km ? « Nous pourrions, car nous sommes capables de réaliser des FARP [Forward Arming and Refueling Point] pour pouvoir aller plus loin. C’est ce que nous avons fait durant cet exercice », précise le lieutenant François, officier contrôleur de circulation aérienne au sein du 5e RHC. Couramment déployés lors des opérations au Sahel, ces FARP sont autant de points de ravitaillement avancés permettant d’accroître l’élongation des machines, au prix d’une exposition accrue. 

Surveiller et protéger l’espace aérien, c’est justement la mission principale du lieutenant Philippe. Grand Duc « permet de travailler avec tous les acteurs des brigades de la 3e dimension et, parce que nous sommes plus hauts dans la chaîne de commandement, la qualité d’information est beaucoup plus claire et précise tandis que les interlocuteurs sont moins nombreux », explique ce chef de centre de management de la défense dans la 3e dimension (CMD3D) au sein du 54e régiment d’artillerie. Son compartiment de travail s’étendait sur environ 100 km2, « ce qui est quand même assez conséquent et contient énormément de nouveaux acteurs car c’est la première fois que l’on se déploie avec le GRM du 2e RH », continue-t-il. La manoeuvre exige donc une vigilance de tous les instants. Gagner du muscle et traiter les menaces actuelles et futures demandera à la fois de la multiplicité et de nouvelles technologies. « Nous nous adapterons, et l’armée s’adapte déjà », souligne-t-il. En témoigne le rattrapage engagé sur la défense sol-air grâce à la loi de programmation militaire 2024-2030, un effort qui se traduira notamment par l’arrivée au 54e RA de véhicules Serval de lutte anti-drones (LAD) et de Serval équipés de missiles MISTRAL. 

Le CAPR tel qu’il s’organisera à compter de l’automne prochain
(Crédits image : armée de Terre)

Pari gagné

À quelques jours de la fin de l’exercice, le colonel Louis se disait « plus que satisfait et même fier de ce qui a été réalisé », ce dernier relevant « des résultats remarquables, ne serait-ce que dans le délai de transmission ». Un sentiment partagé par son supérieur, le général de division Danès. « C’est très concluant. La réorganisation autour de ces commandements Alpha, c’est déjà un pari gagnant pour le CAPR ».

Si les premières impressions sont positives, Grand Duc 2024 n’était qu’une étape préliminaire dans un vaste chantier soutenu par une LPM de « transformation ». Son enveloppe de 413 Md€ sur sept ans « apporte pas mal de choses en ce qui concerne le triptyque majeur de la défense sol-air, des feux dans la profondeur et de la guerre électronique ». Derrière les Serval LAD et MISTRAL, le CAPR bénéficiera du renouvellement des lance-roquettes unitaires (LRU), un projet pour lequel « il est bien dans les intentions des armées d’augmenter la portée au-delà des 70-80 km autorisés aujourd’hui pour aller bien au-delà, et pourquoi pas jusqu’à 500 km ».

L’hélicoptère interarmées léger (HIL), le (re)décollage du drone Patroller, les moyens radars intégrés avec l’armée de l’Air et de l’Espace seront d’autre axes d’effort à matérialiser. Sans oublier cet essai à transformer dans le champ de la guerre électronique, car « le conflit ukrainien nous montre bien que c’est un sujet d’importance face à un adversaire à parité ». Qu’importe le domaine, « nous allons essayer de tirer le maximum de la LPM en cours. Et tout ce qu’on aura pas réussi à faire, il faudra, si la situation internationale ne change pas, que ce le soit dans la prochaine », indique le patron du CAPR. 

De niveau divisionnaire, le CAPR rassemblera à terme quelque 3000 militaires. Si la 4e BAC a été créée en 2016, les deux autres brigades le seront au 1er août prochain. Le CAPR sera officiellement mis sur pied début septembre, cérémonie suivie de quelques bascules internes d’unités actées le 1er novembre. Les 1er, 61e et 54e régiments d’artillerie rejoindront la 19e B.ART, par exemple. Quelques éléments de commandement seront sensiblement renforcés, notamment au profit de la 4e BAC. Après petite année de transformation, « la réorganisation sera alors terminée », annonce le général de division Danès. 

Plusieurs rendez-vous sont déjà au programme. Après l’exercice préfigurateur réalisé le mois dernier, le CAPR contribuera aux exercices des brigades qu’il englobe, à commencer par l’exercice BACCARAT que la 4e BAC conduira à l’automne prochain. Autant de jalons qui mèneront au franchissement d’un nouveau pas, celui d’un exercice de corps d’armée baptisé DIODORE. Attendue pour l’automne 2025, la première édition visera à continuer les travaux engagés sur la coordination 3D et l’accélération de la boucle renseignement-feux. « Quand je vois les résultats de Grand Duc, je sais que nous continuerons à avancer à toute vitesse d’ici-là », se félicite le général de division Danès. 

Rejoignez la DGSE en qualité d’officier sous contrat

Rejoignez la DGSE en qualité d’officier sous contrat

Exercez votre spécialité technique ou linguistique dans un environnement unique.

Vous êtes titulaire d’un bac + 3 dans le domaine linguistique ou d’un bac + 4 dans le domaine technique et vous souhaitez exercer votre spécialité au sein du service secret français ?

Cette année, en partenariat avec l’armée de Terre, l’armée de l’Air et de l’Espace et la Marine Nationale nous recrutons des officiers sous contrat spécialistes (OSC/S) en primo-contrat dans les domaines technique et linguistique (arabe, russe, turc ou persan).

Un premier pas dans votre carrière militaire

Saisissez cette opportunité qui vous permettra de débuter votre carrière au côté de nos équipes et de vivre une première expérience passionnante et enrichissante.

Après une formation militaire initiale au sein de votre armée d’appartenance, vous serez affecté directement à la DGSE.
Votre contrat d’OSC/S initial sera d’une durée de 3 à 5 ans. La limite d’âge, à la date de la signature de votre contrat, est de 30 ou 32 ans selon l’armée d’appartenance.

 

Comment postuler ?

Vous pouvez consulter les fiches de postes OSC/S sur notre site et nous adresser votre CV actualisé avant le 10 mai 2024 par mail :

44ri-recrutement-osc.cer.fct@intradef.gouv.fr

 

Déroulement de la campagne de recrutement

Le processus de recrutement interne s’étend sur une durée de 6 à 9 mois en parallèle de vos démarches avec le CIRFA.

  1. Transmission de votre CV avant le 10 mai 2024 inclus.
  2. Invitation à participer à une présentation générale de la DGSE et du statut d’OSC/S, en parallèle de vos démarches en CIRFA.
  3. Entretiens métier, évaluation psychologique et de sécurité, et tests linguistiques ou techniques.
    Rencontre avec des professionnels du métier afin d’échanger sur vos compétences et vos motivations.
  4. Tests d’aptitude militaire
    Évaluation médicale et sportive au sein des centres de recrutement des armées, commune à tout engagement militaire.
  5. Signature de votre contrat
    Édition de votre contrat d’engagement en qualité d’officier sous contrat spécialiste sur la fiche de poste dédiée.
  6. Formation initiale militaire
    Découverte, en école d’officier du statut militaire, de vos droits et de vos devoirs.
  7. Affectation
    Prise de fonction à l’issue de la formation initiale militaire.

En savoir plus : 

Audition des directeurs de la DRM, DGSI et DGSE sur les menaces sécuritaires en Afrique

Audition des directeurs de la DRM, DGSI et DGSE sur les menaces sécuritaires en Afrique


 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous allons entendre, à huis clos, trois acteurs clés des services de renseignement, venus nous parler des risques et menaces sécuritaires en Afrique et depuis l’Afrique : le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire ; M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, la DGSI, dont la présence s’explique par la porosité entre les sujets de sécurité intérieure et ceux de sécurité extérieure ; le directeur général adjoint de la sécurité extérieure, que nous avons le plaisir de recevoir pour la première fois, sachant que nous avons déjà auditionné dans le passé le directeur général de la sécurité extérieure, M. Bernard Emié, lors des auditions relatives au projet de loi de programmation militaire.

Conflits, migrations économiques et climatiques, réseaux criminels, États défaillants narcotrafics, les risques et menaces sécuritaires en Afrique et depuis l’Afrique sont nombreux. On peut mentionner la situation au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, la déliquescence de la Libye et du Soudan, les tensions dans la Corne de l’Afrique et ses approches maritimes, la guerre en Éthiopie, les menaces au Mozambique, les exactions commises à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), les difficultés au Cameroun, l’insécurité dans le Golfe de Guinée. Nous ne pourrons traiter aujourd’hui de l’ensemble de ces sujets mais il nous intéresse d’entendre l’analyse toujours éclairée et pondérée de nos services de renseignements sur l’évolution géopolitique des risques et des menaces sécuritaires sur ce continent. Cela nous permettra de mieux comprendre les enjeux de l’adaptation de la politique de défense que nous y déployons et de contribuer à la stratégie française et européenne.

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire. L’exercice auquel vous nous conviez a quelque chose de frustrant, pour nous comme pour vous, car il va de soi qu’aucune information classifiée ne sera diffusée au cours de cette audition, pour la raison principale que nous devons protéger nos accès, le bien le plus précieux des services de renseignement, et protéger nos forces.

Le renseignement d’intérêt militaire, vise à évaluer les capacités que nos compétiteurs ou des groupes armés peuvent être amenés à utiliser, et leurs intentions opérationnelles. Il est produit au profit du chef d’état-major des armées pour lui permettre d’élaborer des options stratégiques, et des forces en opérations pour préparer leur engagement. Le renseignement d’intérêt militaire ne traite ni du renseignement d’intérêt économique, ni du renseignement politique. En Afrique, la direction du renseignement militaire (DRM) a pour mission de fournir des appréciations de situation sécuritaire pour préparer des opérations de diverses natures : évacuations de ressortissants, comme ce fut le cas au Soudan en avril dernier ; opérations conduites à la demande de nos partenaires, telle Serval il y a une dizaine d’années ; opérations de lutte contre le terrorisme, souvent en coopération avec la direction générale du renseignement extérieur (DGSE). La DRM est aussi chargée d’appuyer ceux de nos partenaires africains qui le demandent, sur le plan méthodologique ou capacitaire.

Vous le savez, notre dispositif militaire en Afrique évolue. Le dispositif, la capacité et les accès de la DRM évoluent parallèlement, mais pas nécessairement de la même manière ni de façon synchronisée dans l’espace ou dans le temps, parce que le renseignement précède la décision et l’action.

Quelles sont, de notre point de vue, les évolutions à l’œuvre en Afrique ? S’il est risqué de tenter de globaliser un continent d’une extrême variété, des tendances de fond se dégagent. La première est une instabilité historique qu’illustrent les 220 coups d’État dénombrés sur le continent depuis soixante-dix ans – environ trois par an. Faiblesse de certains États ou de systèmes de gouvernance, corruption, trafics, clivages ethniques, fragilité des frontières au regard de réalités locales, de multiples facteurs expliquent cette instabilité chronique qui constitue une fragilité.

Or, cette instabilité s’aggrave à mesure que la prolifération des armements s’accroît, qu’apparaissent des armes de plus en plus sophistiquées tels les drones armés et que les capacités aériennes des États montent en puissance. Les capacités d’action et la létalité des armes utilisées dans les conflits en sont accrues. D’autre part, certaines armées ou certains pays recourent de plus en plus à des supplétifs qui complètent leur capacité à user de la force, parfois au mépris de règles dont ils pensent pouvoir s’affranchir.

Par ailleurs, les organisations régionales africaines peinent à contenir les conflits et à réguler les tensions sécuritaires sur le continent, en dépit d’une réelle volonté politique qui a cependant du mal à s’incarner et à se concrétiser sur le terrain. Enfin, le système de régulation internationale est contesté, affaibli, certains pays exprimant leur défiance à l’égard d’un dispositif dont ils constatent la relative inefficacité. Ainsi le Mali a souhaité le départ de la MINUSMA de son territoire, et la RDC celle de la MONUSCO.

L’aggravation de l’instabilité et l’usage de modes d’actions plus durs entraînent un nombre accru de victimes : on estime qu’il y a eu environ 120 000 morts civils dans les conflits sur le continent en 2022. D’autre part, ceux-ci ont changé de nature : ce ne sont plus des conflits étatiques ou infra-étatiques mais de plus en plus souvent des conflits régionaux ou sous-régionaux. On le voit au travers des actions terroristes au Sahel, bien souvent transfrontalières – au point de déborder sur certains pays du Golfe de Guinée – dans la région des Grands Lacs, dans la Corne de l’Afrique, autour du lac Tchad, etc.

Trois facteurs risquent d’accélérer cette fragilisation : l’explosion démographique sur un continent qui compte aujourd’hui 1,3 milliard d’habitants et qui en comptera 2,5 milliards en 2050 ; l’urbanisation, puisque deux tiers de ces 2,5 milliards de femmes et d’hommes vivront en zones urbaines en 2050, avec une capacité de sécurisation souvent absente ou très diffuse hors des centres urbains principaux ; la régression du modèle démocratique dans certains pays africains.

Ces fragilités structurelles qui s’accentuent sont autant d’opportunités à saisir pour les terroristes et pour certains de nos compétiteurs qui pourraient trouver là des moyens de contester l’ordre établi pour faire valoir leurs intérêts.

Les deux mouvances terroristes principales sont la branche africaine d’Al Qaïda, relativement affranchie d’Al-Qaïda « centrale », et l’État islamique par le biais de ses quatre principales wilayas africaines (Sahel, Afrique de l’Ouest, RDC et Mozambique), qui poursuivent leur essor de manière inégale, la « tête de gondole » étant l’État islamique au Sahel. Ces wilayas, qui savent parfaitement exploiter la permissivité des États africains, peuvent mobiliser des ressources humaines presque illimitées.

Face à ces mouvances terroristes vivaces et même en expansion, les réponses africaines sont diverses, parfois faibles, et le rejet de l’appui occidental par les juntes sahéliennes facilite l’ancrage territorial terroriste et l’extension de ces groupes vers le Golfe de Guinée. Les États tentent de diversifier leurs appuis partenariaux en faisant appel à la Russie, à la Chine, à l’Iran et à la Turquie mais il n’est en rien certain que cette diversification suffira à leur faire reprendre l’initiative face à la menace terroriste. De plus, la réponse des États africains se limite trop souvent au seul champ sécuritaire.

Pour les armées françaises, la prise en compte de la menace terroriste croissante en Afrique restera un impératif, parce qu’elle vise nos ressortissants, nos emprises, nos intérêts et nos partenaires locaux et aussi parce qu’elle met en péril la stabilité des États.

Ces fragilités constituent des opportunités que nos compétiteurs stratégiques tentent de saisir. Je m’attarderai sur les deux compétiteurs principaux que sont la Russie et la Chine. Moscou s’est réengagé avec volontarisme sur le continent africain depuis le début des années 2000. Son offre sécuritaire est maintenant diversifiée : vente d’armes, déploiement de sociétés militaires privées, formation des armées africaines… Ces offres se conjuguent à une exploitation désinhibée du champ informationnel pour lutter contre les influences ou la présence occidentales. La Russie a fait de la Libye et de la Centrafrique des pays tests avant de propager son influence. Mais l’exploitation par Moscou du renversement de pouvoirs étatiques, notamment au Sahel, par son appui aux juntes, ne sera probablement pas de nature à juguler l’extension de la menace terroriste. L’action russe en Mozambique a été un échec dont on ne parle pas assez, et nulle part l’action russe n’a suffi à imposer la paix.

La Chine, pour défendre ses intérêts et apparaître comme une puissance responsable, déploie une offre militaire au profit d’États africains. Elle le fait sous trois formes : un engagement accru dans les opérations militaires de paix de l’Onu ; l’approfondissement des relations de défense avec la presque totalité des pays d’Afrique ; l’exportation d’armements vers des États africains. À cela se combine la volonté d’ouvrir des bases en Afrique. Il existe une base chinoise à Djibouti depuis quelques années et la Chine essaye désormais de créer une base sur la façade atlantique.

Au nombre de nos autres compétiteurs, je mentionnerai la Turquie et des pays du Golfe, présents de façon structurelle.

En conclusion, l’Afrique, continent en mutation, demeurera une priorité pour la DRM en raison des menaces que font peser son instabilité, le renforcement de l’activité terroriste et la présence croissante de compétiteurs. Faire face de façon cohérente à l’ensemble de ces menaces exige une coopération entre les services qui s’améliore jour après jour.

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Je vous présente les excuses du directeur général, M. Bernard Emié, empêché d’être présent par de fortes contraintes professionnelles dues à une actualité particulièrement dense. Ayant pris mes fonctions il y a environ deux mois, je suis accompagné par le secrétaire général pour l’analyse et la stratégie, dont la mémoire suppléera la mienne, si besoin est, pour la période des deux dernières années, pendant lesquelles je servais à la DRM.

Cette audition s’inscrit dans le débat parlementaire sur la politique africaine de la France ; ce rendez-vous est très important pour la DGSE, un service secret et spécial certes, mais surtout ancré dans le système démocratique. Le zoom sur l’Afrique fait par le directeur du renseignement militaire correspond parfaitement à la vision de la DGSE. Je compléterai cette présentation à laquelle nous souscrivons entièrement par quelques remarques particulières.

La DGSE a toujours décliné, à son niveau, la politique africaine décidée par les autorités politiques. À ce titre, l’Afrique représente depuis les années 1960 une priorité pour le service, la France ayant des intérêts politiques et économiques à y défendre et des concitoyens à y protéger. Son empreinte en Afrique reflète donc celle que ce continent occupe dans la politique étrangère française. Bien entendu, la part des moyens consacrés par la DGSE à l’Afrique évolue. Ainsi, depuis 2013 et même avant cela, le service a renforcé son dispositif pour soutenir l’engagement français au Sahel et la priorité donnée à la lutte anti-terroriste. Le service se réarticule en permanence en fonction de l’évolution des menaces et des enjeux. C’est ainsi qu’aujourd’hui il se tourne encore plus vers les puissances émergentes anglophones et lusophones.

Je souhaite désamorcer dès maintenant le soupçon selon lequel nous aurions peut-être manqué de caractériser certaines évolutions politiques en Afrique, j’entends par là les récents putschs, parce que nous aurions donné la priorité, voire l’exclusivité, à la lutte antiterroriste. Le service n’a jamais abandonné la recherche et l’analyse politique africaines, dont les moyens ont toujours été préservés et même renforcés ces dernières années. Mais la DGSE n’est pas omnisciente et ses capteurs techniques et humains ne lui permettent pas de savoir ce que mijote chaque officier sahélien. Au Mali, au Burkina, au Niger, le service a, à chaque fois, caractérisé la vulnérabilité des régimes en place ; ces putschs ont été des dérapages rapides, soudains et surprenants, y compris pour leurs auteurs, de mutineries locales ou de coups de sang individuels.

Sur le plan général, pour la DGSE, les risques et les menaces sécuritaires en Afrique sont de trois ordres et s’interpénètrent. Ce sont le terrorisme, la déstabilisation politique et les risques qu’elle fait peser sur la paix civile dans les États concernés, les ingérences étrangères particulièrement hostiles à nos intérêts. Le continent est en effet devenu le théâtre d’une compétition féroce entre les démocraties et des puissances autoritaires qui remettent en cause l’ordre international. Je pense bien sûr à Wagner, mais aussi au piège de la dette chinoise qui encourage la mauvaise gouvernance.

S’agissant du contre-terrorisme, il faut souligner le bilan positif de la lutte menée par la France au regard des objectifs assignés, et les services ont joué un rôle déterminant. Cette lutte doit continuer à nous mobiliser, sous des formes différentes. Les opérations conduites par les forces françaises au Sahel, souvent sur renseignements de la DGSE et de la DRM, ont permis la réduction drastique des actions terroristes contre les intérêts occidentaux, empêché la création d’un sanctuaire d’Al-Qaïda susceptible de devenir un lieu de projection de la menace sur le territoire français et profondément affaibli Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Il en est résulté qu’aucune attaque meurtrière contre les intérêts occidentaux n’a été perpétrée en Afrique occidentale depuis 2018, ni en Europe depuis l’Afrique.

Malheureusement, les difficultés politiques et économiques qui ont fait le terreau de l’expansion des groupes djihadistes ne pouvaient pas être résolues par la seule action militaire, et les gouvernements sahéliens n’ont pas voulu ou pas pu traiter les problèmes qui étaient et qui sont toujours de leur ressort. Le renseignement de la DGSE visait à entraver des structures et des réseaux menaçant nos intérêts, non à conduire une action globale de contre-insurrection. Plus généralement, la France ne pouvait se substituer à ces États, mais seulement les aider.

Ces groupes prospèrent également en raison de certains mauvais choix. Ainsi, au Mali, les exactions commises par les miliciens de Wagner ne font qu’élargir le fossé entre l’État et certaines franges de la population, les communautés peule ou touareg. Étant donné les déficiences des armées locales et de programmes politiques qui délaissent la lutte antiterroriste, nous anticipons une dégradation rapide de la situation sécuritaire en Afrique, devenue l’épicentre du djihad mondial en raison du relatif affaiblissement des centrales terroristes dans la zone syro-irakienne et dans le sanctuaire afghan, même si ces structures restent très menaçantes.

Aussi peut-on craindre la reprise des opérations contre les capitales sahéliennes et l’instauration d’émirats territorialisés dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, et le risque, plus crédible encore à terme, de projection de la menace vers le Maghreb et l’Europe en raison du regain d’attractivité du djihad sahélien et de l’impossibilité pour les volontaires de rallier le théâtre irako-syrien.

Il faut noter que ce danger ne se limite pas au Sahel. Dans la Corne de l’Afrique, le Chabab al-Islami, filiale locale d’Al-Qaïda, contrôle des pans entiers du territoire somalien, et l’État islamique prospère au Mozambique et en RDC. Tout cela advient alors que le nouvel émir mondial de l’État islamique est le djihadiste somalien Abdulqadir Mumin. Cela doit faire craindre une attention renforcée de cette organisation au continent africain : que le nouvel émir de l’État islamique soit un Africain est tout un symbole.

Notre service intensifie ses efforts de recrutement de sources au cœur des cibles pour être en mesure de prévenir aussitôt que possible les menaces qui viseront nos intérêts dans la région. En parallèle, nous demeurons particulièrement vigilants sur l’anticipation et le suivi des crises politiques qui peuvent constituer une menace sécuritaire comportant éventuellement une dimension terroriste. Je citerai l’exemple du Soudan d’où nous avons dû évacuer les ressortissants français et européens en avril dernier,

Mais ces menaces, non plus que les autres défis que sont la démographie et le changement climatiques, ne pourront être réglées par les seules solutions militaires et sécuritaires. Pour réduire la conflictualité, il nous revient, avec nos partenaires européens et africains, de construire une approche plus politique, caractérisée par un investissement collectif coordonné dans l’aide au développement et à la bonne gouvernance. Nous devons aussi être très vigilants face à l’endoctrinement de la jeunesse, désormais soumise, même dans les lieux reculés, à une propagande et à une désinformation massives. Il nous faut pour cela lutter sans relâche contre les auteurs de ces campagnes de désinformation en les privant de leurs moyens d’expression et militer en faveur de l’éducation du grand public à une approche critique des informations diffusées sur les réseaux sociaux.

M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure. Les sujets évoqués par mes collègues touchent avant tout à la stabilité des États africains. Sur le plan sécuritaire, l’exposition principale, pour la France, ce sont les personnes physiques et les sociétés françaises représentées en Afrique plutôt que nos intérêts sur le territoire national. Les conséquences actuelles ou potentielles sur notre territoire de la situation de crise et des tendances décrites à l’instant sont néanmoins réelles. Il était donc logique que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) soit associée à cette audition et je vous remercie de votre invitation.

L’action de la DGSI sur le territoire national en lien avec l’Afrique suit trois axes. Je dirai d’abord un mot des conséquences éventuelles de la dégradation de la situation en matière de risque terroriste pour nos intérêts à l’intérieur de nos frontières. D’autre part, la DGSI, avec ses partenaires de la communauté du renseignement, notamment les renseignements territoriaux, suit des communautés étrangères ou des individus d’origine étrangère résidant sur le territoire national qui peuvent interagir avec la situation dans les pays dont ils ont la nationalité ou dont ils sont originaires. Enfin, je traiterai des manœuvres de déstabilisation informationnelle, qui s’appuient pour partie sur des structures ou des personnes physiques résidant en France ou pouvant y séjourner. Vous comprendrez que je m’abstienne de partager toute information relevant du secret de la défense nationale.

Il ne m’appartient pas de dresser l’état des lieux de la menace terroriste visant le territoire national. Vous le savez, elle est essentiellement endogène. Néanmoins, depuis une grosse année, les conséquences de l’existence des théâtres extérieurs que sont la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan mais aussi l’Afrique pèsent à nouveau, de manière croissance, sur le niveau de la menace terroriste en France. En 2022, pour la première fois en six ans, la DGSI a déjoué un projet d’attentat impliquant deux individus qui venaient de rentrer en France et qui étaient en lien direct avec des opérationnels de l’État islamique en Afghanistan, ce que l’on n’avait plus vu pendant plusieurs années.

En Afrique, où la dégradation de la situation sécuritaire est très nette, les tentatives des groupes jihadistes de prendre pied sur ce continent ne sont pas nouvelles. Mais ce théâtre n’a jamais été très attractif pour les velléitaires ou les sympathisants djihadistes français. Pendant la période postrévolutionnaire en Tunisie, la permissivité à l’égard du groupe Ansar al-Charia avait conduit quelques Français avaient rejoint ce groupe au début des années 2010 ; il s’agissait certes de profils très sérieux qui ont ensuite combattu sur le théâtre syro-irakien, mais ils n’étaient que quatre en Tunisie. De même, de modestes filières s’étaient créées en Libye en 2015 et 2016 mais une dizaine de Français tout au plus y avaient rejoint l’État islamique. En bref, jamais au cours des dernières décennies les théâtres djihadistes africains n’ont conduit à la création de filières de départs de djihadistes français au niveau de ce que l’on a connu en Afghanistan et au Pakistan et surtout en Syrie et en Irak.

La période actuelle ne fait pas exception. C’est que l’accès à ces pays est bien plus compliqué que l’accès au théâtre syro-irakien et qu’à ce jour les groupes terroristes n’ont créé ni structures d’accueil ni réseaux de facilitation pour attirer ce type de combattants. De plus, mes collègues l’ont dit, ces groupes terroristes poursuivent à ce jour un objectif local et n’ont pas, pour l’instant tout au moins, le dessein de projeter la menace. Cela explique qu’aucun projet d’action terroriste en provenance de la zone africaine n’a été détecté ces dernières années visant le territoire national – ce qui ne signifie pas que nos intérêts n’ont pas été visés – et qu’à ce jour aucun ressortissant français n’évolue au sein d’un groupe terroriste en Afrique.

Ce cadre étant dessiné, je tiens à vous dire notre préoccupation quant à l’évolution de la situation, et donc notre vigilance. Nous observons en effet depuis quelques mois des signaux faibles : on constate l’attrait croissant de sympathisants djihadistes pour ce théâtre. Par « attrait croissant », j’entends quelques individus seulement, mais cela ne se voyait pas il y a deux ou trois ans. Ces derniers mois, trois projets de rejoindre une organisation terroriste africaine ont été détectés et déjoués. On est très loin des 1 400 individus qui avaient rejoint l’État islamique sur le théâtre syro-irakien, mais ce phénomène était inexistant il y a peu.

D’autre part, si la dégradation de la situation, qui a été bien décrite, vise avant tout nos intérêts à l’étranger, nous sommes attentifs à cinq facteurs susceptibles d’avoir des conséquences à moyen terme sur le territoire national. C’est d’abord la propagande très active de ces groupes terroristes. C’est ensuite que leurs succès tactiques contribuent à nourrir une image à nouveau dynamique des organisations terroristes, alors que l’attrait pour l’État islamique des velléitaires français pâtissait des revers militaires infligés par la coalition dans la zone syro-irakienne. C’est aussi le risque patent de voir des combattants francophones, notamment en provenance de pays maghrébins, rejoindre ces groupes terroristes et structurer des réseaux de facilitation ou d’échanges avec des sympathisants ou des velléitaires en France. C’est encore le gain territorial à l’œuvre, qui peut traduire une élévation capacitaire et donc peut-être aussi un renforcement de la capacité de planification d’actions extérieures. Enfin, nous devons être extrêmement vigilants pour éviter que des combattants se greffent aux flux migratoires et entrent sur le territoire national animés par la volonté de commettre un acte terroriste, ou que des profils radicalisés ou d’anciens combattants migrent vers l’Europe pour des raisons économiques mais qu’ils présentent des profils à risque compte tenu de leur parcours. Cela entraîne, en lien avec l’ensemble des services, des mesures très strictes de criblage aux frontières et d’interdictions d’accès.

La DGSI a pour autre mission cardinale la lutte contre les ingérences étrangères, ce qui l’amène à suivre les diasporas ou les individus d’origine étrangère résidant en France. Les crises, les coups d’État ou les tensions internes ont des conséquences sur les citoyens des pays concernés résidant sur le territoire national, même si ces communautés sont souvent de taille modeste et bien intégrées. Il s’agit parfois d’une immigration très ancienne, intégrée et présente pour travailler ou pour étudier, si bien que les conséquences en termes d’ordre public des troubles observés en Afrique sont restés très limitées sur le territoire national ces dernières années.

Nous suivons certains mouvements avec attention. Mais, globalement, les conséquences des troubles politiques en Afrique, en termes de sécurité publique sur le territoire national, sont réduites et contenues.

Sachez enfin que le ministère de l’intérieur est mobilisé à chaque fois qu’il nous faut réagir à des coups d’État ou des actions hostiles à nos intérêts.

Je conclurai par quelques mots sur les outils informationnels, devenus une arme aux mains de nos compétiteurs. Ces outils sont l’objet d’une veille par les services et par Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères créé il y a deux ans, avec lequel la DGSI interagit. Le cœur de l’activité d’un service de renseignement intérieur est d’essayer de détecter et d’identifier les individus ou les organismes qui participent aux manœuvres informationnelles hostiles à notre égard, parfois manipulés par des puissances étrangères. Certaines ont été citées. En leur nombre, la Russie déploie le dispositif le plus élaboré, en tenant un discours qui touche la sphère panafricaniste francophobe. La DGSI suit et s’efforce d’entraver ces actions, en l’état du droit à chaque fois que c’est possible. Je me réjouis que la délégation parlementaire au renseignement (DPR) ait repris certaines propositions avancées par les services et se soit prononcée en faveur d’une réflexion sur une évolution du cadre légal et juridique qui nous permettrait d’être plus efficaces et plus réactifs dans notre lutte.

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie tous les trois pour ces interventions éclairantes et complémentaires. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Jean-Philippe Ardouin (RE). Pour les Européens, l’Afrique est le symbole d’une perte d’influence et une source d’inquiétude lorsqu’un pays sombre dans l’instabilité. Depuis de nombreuses années, nous constatons avec impuissance les ambitions russes en Afrique. Quel regard portez-vous sur les activités du groupe Wagner sur ce continent ? Un rapport d’experts indépendants vient d’établir que cette société militaire privée a rapporté 2,5 milliards d’euros à la Russie. Son rôle demeure stratégique malgré la disparition de son dirigeant historique en août dernier et elle continue d’exploiter la principale mine de la République centrafricaine et d’extraire de l’or au Soudan, couplant profits indirects pour la Russie et développement de partenariats privilégiés. Nous devinons qu’elle entretient aussi des relations très étroites avec les armées de certains États africains pour nouer des alliances défensives. Elle s’est imposée dans plusieurs pays, sous les ordres de Moscou, notamment au Mali à la suite du retrait des forces françaises, à la demande de la junte au pouvoir. Comment s’articulent les autorités officielles russes et les sociétés telles que Wagner dans la stratégie d’influence de la Russie en Afrique ? Cette stratégie vous paraît-elle pérenne ? Comment la France y réagit-elle ?

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Avant la tentative de putsch sur Moscou, la société militaire privée (SMP) russe Wagner procurait une offre sécuritaire de garde prétorienne à des régimes fragiles en échange d’une prédation économique ciblée, dépendant des pays considérés – ici, une mine, là une usine –, se nourrissant donc de la déliquescence des États. Depuis lors, la SMP Wagner n’a plus connu de croissance dans cette zone mais elle a conservé l’héritage. Ils sont donc toujours stationnés dans les pays où ils étaient établis et le troc prédation contre-offre sécuritaire locale à des régimes fragiles se poursuit. Dans les faits, le régime russe, qui essaye de récupérer l’héritage de Wagner à des fins différentes, procède à la découpe de la société Wagner par appartements.

La SMP Wagner exerce ses activités sans scrupule : exactions, s’il le faut, pour exercer ses fonctions de garde prétorienne et, dans tous les cas, désinformation de masse pour contribuer à maintenir artificiellement la légitimité des gouvernements en place.

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros. Pour compléter ce propos sur l’interdépendance entre cette SMP et des États faillis ou en quasi-faillite, je soulignerai que l’offre de Wagner s’articule en deux volets : formation d’une part, lutte contre des opposants/terroristes d’autre part – la définition dépend des circonstances ou des pays. Bien souvent, l’action de Wagner accentue les clivages ethniques, et les exactions mentionnées ciblent telle ou telle ethnie en fonction des régions dans lesquelles ils opèrent. Wagner est implanté dans un nombre de pays très limité : la Libye, la RCA et le Mali. Cela montre que si « l’offre Wagner » a semblé fasciner le continent africain il y a quelques années, certains pays en sont revenus, se rendant compte que l’activité de ce groupe avait un effet déstabilisateur sur les équilibres ethniques et pouvait entraîner une perte de souveraineté. Plusieurs chefs d’État africains ont compris le danger d’y avoir recours. Enfin, on ne souligne pas suffisamment les échecs de Wagner, notamment au Mozambique d’où ils ont été chassés quatre mois après y être intervenus.

Mme Caroline Colombier (RN). Le retrait de nos troupes en Afrique de l’Ouest nous impose de revoir notre positionnement stratégique dans la région. Nous semblons avoir été progressivement remplacés par des compétiteurs inattendus dans cette partie du monde, la Russie et la Chine, qui créent le sentiment anti-français sur place puis en tirent bénéfice. Ces puissances paraissent avoir pris une longueur d’avance dans le champ informationnel, transformant l’Afrique du Nord en champ de bataille potentiel pour les futurs conflits hybrides auxquels la France pourrait être confrontée. En écoutant les spécialistes invités par notre commission, on ne sait pourquoi la France s’est résignée à une posture défensive et réactive, principalement justifiée par des raisons diplomatiques. Cette doctrine a nui à notre capacité d’anticipation des crises et limité notre présence à une sorte de ligne Maginot minimale de défense de nos intérêts dans la région, ce qui nous a coûté cher ces derniers mois. Même si nous avons réussi à déjouer des manœuvres de désinformation au début de l’année 2022, ce succès marginal est loin de traduire une stratégie claire de la France dans la région. Pourtant, certains d’entre vous avaient souligné par le passé la nécessité pour vos services de recevoir des consignes nettes des autorités politiques.

Dans ce contexte, comment envisagez-vous de réorganiser vos services pour ne pas perdre pied en Afrique et pour conserver le renseignement d’intérêt militaire de qualité indispensable à notre liberté d’action dans la région ? Si une volonté politique s’exprimait pour faire de l’offensive la ligne directrice de notre action, quelles seraient les priorités stratégiques budgétaires et humaines ? Enfin, quelles évolutions du cadre juridique du renseignement souhaite la DGSI ?

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Je n’ai pas le sentiment d’une dichotomie absolue entre offensif et défensif. Les deux axes d’action s’entrecroisent mais, face à des compétiteurs qui usent du mensonge de la désinformation, la France a fait le choix stratégique de ne pas entrer dans ce jeu-là, si bien que, pour ne pas perdre notre âme nous ne jouons pas à armes égales, ce qui peut donner une impression de fragilité. C’est le pari que, dans la durée, la parole française restera fiable. Quand nous observons des opérations de désinformation, nous les condamnons et nous pouvons décider de manœuvres d’entrave, qui restent secrètes. Tout n’est pas dans le monde visible mais sachez que la France se défend, y compris dans le champ informationnel.

La réorganisation du dispositif de renseignement français pour faire face aux menaces est permanente. Je vous ai indiqué que nous nous investissons davantage dans le Golfe de Guinée, pour contrer les nouvelles menaces au Mozambique et j’ai fait allusion à l’Afrique anglophone et lusophone. Nous continuerons de nous adapter en permanence, avec une agilité assez prononcée au regard du tempo habituel de l’administration française.

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros. Notre dispositif de renseignement évolue en permanence, singulièrement en ce moment. Tout part évidemment des accès, que nous adaptons en fonction des menaces, de l’acceptabilité des pays hôtes et de la capacité du renseignement d’intérêt militaire à s’adosser à des dispositifs de forces déployées en opération ou prépositionnées. Aujourd’hui, nous repensons à nouveau nos accès en essayant d’anticiper sur le temps long. Nous sommes parfois en décalage avec les dispositifs militaires parce qu’il nous faut créer des accès et capitaliser les informations dans la durée pour produire du renseignement. Repenser nos accès en Afrique signifie se diluer davantage et trouver d’autres partenaires, africains ou internationaux. Tous les services de renseignement troquent avec des partenaires étrangers. Il faut le faire sans naïveté et sans créer de dépendance ; cela fonctionne assez bien, mais il faut des monnaies d’échange. Enfin, nous essayons de progresser en matière d’innovations. Même si la technologie ne fait pas tout et que le renseignement humain est un volet essentiel de nos capacités, l’innovation technologique nous offre des accès dont nous ne pouvions bénéficier hier. Sur le plan budgétaire, je pense que nous nous accorderons pour dire que nous faisons un métier infini avec des moyens finis, si bien que quand bien même notre budget et nos effectifs seraient cent fois plus élevés, nous ne remplirions pas notre mission de façon exhaustive.

M. Nicolas Lerner. Le sujet de l’information, sensible à l’étranger, l’est encore plus quand on parle du territoire national où, la question du champ d’activité des services ou leur capacité de réponse peut très vite venir télescoper les principes constitutionnels de liberté de conscience et de liberté d’informer. C’est pourquoi je pense salutaire la définition d’un cadre relatif aux opérations de désinformation et à la manipulation de l’information. Le décret portant création de Viginum définit précisément ce qui relève d’une action publique et ce qui tient de la libre opinion. Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, dès lors qu’on reste dans les limites de la loi, on est libre, dans notre pays, de penser que la France mène une politique coloniale en Afrique ou que le président Poutine mène en Ukraine une action salutaire.

Néanmoins, la manipulation de l’information par une manière trompeuse d’influencer l’opinion entre dans le champ d’action du service. Depuis quelques mois, grâce à la création de Viginum et à une attitude beaucoup plus offensive de nos autorités, un moyen d’action existe, parfaitement démocratique, qui est de décrire les manœuvres en cours et de les dénoncer. Ce fut le cas pour deux opérations hostiles. L’une était pilotée par l’Azerbaïdjan. L’autre – les étoiles de David apposées sur des murs parisiens – par la Russie ; nous en sommes convaincus même si une enquête judiciaire est en cours. Le Gouvernement a donc décidé de nommer et de dénoncer les compétiteurs auteurs de ces opérations. Tel est l’état d’esprit actuel, et je partage l’opinion du directeur du renseignement militaire au sujet de l’entremêlement des volets défensif et offensif de notre action : la France, en tout cas ses services, s’est adaptée au nouveau contexte d’agressivité stratégique, dit ce qui est, et répond.

Sur le plan juridique, deux propositions des services soumises à la DPR ont été reprises dans le volet public de son rapport annuel. Un mot, d’abord, sur le cadre général. Le service chargé de la lutte contre l’espionnage et les ingérences est confronté en France à trois comportements. L’espionnage, puni par le code pénal, consiste à récupérer des informations que l’on n’est pas censé avoir. De l’autre côté du spectre, la politique d’influence menée par les États vise à promouvoir leur modèle et leurs valeurs ; ce procédé est légal et la France mène elle-même une politique d’influence à l’étranger. Entre les deux, il y a une zone grise, l’ingérence, autrement dit la volonté d’un État d’agir au bénéfice de ses intérêts ou contre les nôtres en avançant masqué, utilisant à cette fin des relais qui taisent au nom de qui ils parlent. Cette zone grise pourrait être mieux prise en compte par la loi et c’est à quoi tendent nos propositions.

La première tend à créer un registre des représentants d’intérêts étrangers inspiré du Foreign Agents Registration Act américain, récemment décliné au Canada et au Royaume-Uni, pays qui ne sont pas connus pour être des démocraties moins efficaces que la nôtre. Ce dispositif vise à rendre obligatoire la déclaration des liens de soumission ou de dépendance à un État étranger. Cela ne signifie pas que l’on est empêché de mener une activité d’influence mais qu’il faut dire d’où l’on parle et quels liens préexistent. Il s’agit simplement de renforcer la transparence du débat public.

Notre deuxième proposition tend à pénaliser l’ingérence, et la création d’un registre nous y aiderait : toute personne qui ne dirait pas précisément au nom de quels intérêts elle s’exprime pourrait être sanctionnée. C’est sur ce terrain que le Royaume-Uni a récemment avancé.

Ces deux propositions ont retenu l’attention favorable de la DPR.

M. le président Thomas Gassilloud. Si l’on vous entend bien, l’ingérence serait alors considérée comme une forme de trahison ?

M. Nicolas Lerner. Oui. Le fait d’agir pour le compte d’une puissance étrangère contre nos intérêts ou pour défendre les intérêts de cet État sans le déclarer relèverait alors du crime de trahison, puni de vingt ans de réclusion criminelle.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je vous remercie tous trois pour vos propos liminaires qui contribuent à éclairer tous les députés. Il est normal que nous parlions de nos intérêts nationaux, mais cette audition porte sur la sécurité en Afrique en général, et si la situation sécuritaire au Maghreb et dans la bande sahélo-saharienne intéresse particulièrement la France, bien d’autres événements méritent aussi une analyse de leur importance et de l’impact qu’ils peuvent avoir sur la sécurité du continent.

Avant d’y revenir, je vous interrogerai, étant donné les récents coups d’État survenus en Afrique, sur les moyens mis en place par les services de renseignement pour repérer d’éventuels signaux de contestation du pouvoir dans les cercles politiques et sécuritaires et au sein de la population. Quels étaient les dispositifs ? Comment la remontée d’informations s’est-elle faite ? Des divergences dans l’analyse du renseignement ont-elles conduit à des appréciations différentes de certaines situations ?

Alors que les activités armées du Mouvement du 23 mars, le M23, déstabilisent la zone frontière entre la République du Congo et le Rwanda et qu’un drame humanitaire perdure dans le Nord-Kivu, des élections vont avoir lieu dans ces deux pays ; comment pourraient-elles influencer la stabilité de la région ? Le conflit entre Israël et le Hamas se poursuit ; quels pourraient être les risques sécuritaires et le potentiel déstabilisateur de cette guerre pour l’Afrique ? Étant donné le risque d’accroissement de conflits liés aux problèmes climatiques ou à l’appropriation de ressources, quel pourrait être le potentiel déstabilisateur pour la région de la compétition entre l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte à propos de la gestion des ressources du Nil ?

Enfin, en soulignant qu’une intervention militaire ne suffit pas à offrir la stabilité à des peuples, vous avez mis en cause les responsables politiques locaux. Mais la France aurait-elle pu faire davantage pour obtenir de meilleurs résultats de ce point de vue ?

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Vous comprendrez, Monsieur le député, que je ne puisse décrire précisément nos dispositifs de renseignement. De manière générale, tous les services s’attachent à faire converger les trois moyens de captation que sont le renseignement humain, le renseignement technique et le renseignement partenarial. L’exercice est très complexe, car le renseignement qui remonte peut-être positif ou négatif, il peut être faux, et ce peut être une mauvaise piste. Il faut combiner tout cela et analyser les renseignements recueillis avec un discernement qui n’est pas infaillible pour essayer d’en tirer une ligne directrice. Cela continue et je ne trahis aucun secret en vous disant que nous avons des sources humaines et quelques accès techniques en Afrique, et que la remontée d’informations est permanente. Il n’y a aucune rétention d’informations locales des services de renseignement en Afrique.

J’ai traité du résultat obtenu dans mon propos introductif et je le redis : un service de renseignement est un thermomètre, ce n’est pas lui qui fait monter ou baisser la température. Il observe des choses et en fait part. Il dit : « La température monte » ou : « Le régime semble aller à sa chute » ; ensuite, une étincelle se produit au hasard de l’Histoire. D’autre part, tous ces putschs sans exception ont été anticipés parce que nous avions tous sous les yeux des régimes déliquescents, mais aucun n’a été prévu précisément ni par les services de renseignements locaux qui sont les premiers concernés ni par les services de renseignement américains ni par les services de renseignement russes. L’instabilité en Afrique étant très forte, nous avons encore des inquiétudes sur la stabilité à venir de certains régimes.

La RDC est en effet dans une situation inquiétante. Les élections en RDC ont lieu en ce moment même et je ne sais comment elles évoluent mais ce sont effectivement des élections à fort enjeu. À ce stade, je puis seulement vous dire que la conscience collective est très forte qu’un embrasement est possible, et de grands partenaires locaux, tels l’Angola, et internationaux, la France et les États-Unis, tentent de calmer le jeu. Mme Avril Haines, la directrice du renseignement national américain, a fait une tournée locale et a obtenu une déconflictualisation provisoire avec des engagements respectifs, pour qu’au moins les proxies ne soient pas à l’origine d’une flambée régionale. On espère que cet accord local tiendra, mais comme dans toute situation de tension, le risque est fort.

M. le président Thomas Gassilloud. Iriez-vous jusqu’à assimiler les motivations des Rwandais à celles de Wagner ou cette comparaison vous semble-t-elle hasardeuse ? La prédation économique justifie-t-elle, ici aussi, des approches sécuritaires ?

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Toutes les crises profondes dans des régions compliquées trouvent leur origine dans un mille-feuilles historique, économique, ethnique et sociologique. C’est pourquoi, si l’on s’en tient à une seule grille de lecture, quelle qu’elle soit, on ne répond qu’à une petite partie de la crise. À ne pas traiter le problème dans son ensemble, on en arrive à une paix intermédiaire mais la tension reste sous-jacente.

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros. Vous avez fait allusion à d’éventuelles divergences entre les services. Ce mot n’est pas adapté à la réalité de la situation ou à la façon dont nous travaillons ensemble ; il y a plutôt des complémentarités. Les échanges sont quotidiens entre les services de renseignement politique, de renseignement militaire, de renseignement économique et les experts du continent africain. Ils permettent des visions souvent complémentaires, parfois identiques, parfois pas exactement alignées. D’autre part, le renseignement produit ne nous appartient pas. Il est exploité au niveau politique ou, pour ce qui me concerne, à celui du chef d’état-major des armées.

L’instrumentalisation des crises à des fins électorales est récurrente en Afrique, avec des pics d’intensité avant les élections. On en voit un exemple aujourd’hui dans la région des Grands Lacs où certains acteurs politiques se sont efforcés de faire vibrer la fibre nationaliste pour mobiliser l’électorat. Mais le conflit lui-même, vieux de plusieurs décennies, a de multiples explications : un volet ethnique qu’il ne faut pas sous-estimer, la gestion de la croissance démographique et celle de ressources à très forte valeur ajoutée.

M. le président Thomas Gassilloud. Malheureusement, l’instrumentalisation des crises à des fins électorales n’est ni un monopole africain ni celui des régimes autoritaires.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Au nombre des outils d’influence il y a la diplomatie de l’armement et la fourniture d’armements. On sait que notre base industrielle et technologique de défense (BITD), historiquement très présente en Afrique, n’a plus les succès à l’export qu’elle a eus en d’autres temps. Comment analysez-vous cette évolution ? Est-ce que notre combinaison prix/produit ne correspond plus exactement aux besoins ? Est-ce lié à des choix politiques des gouvernements considérés ? Est-ce dû à une action particulière de nos compétiteurs stratégiques, puisque l’on parle de drones turcs et iraniens ? Quel rôle les services jouent-ils en cette matière ? Sur un autre plan, pourriez-vous faire le point sur la situation, difficilement intelligible, en Libye ?

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros. Ma sphère de compétences n’est pas la BITD à proprement parler mais plutôt ce que nous comprenons des souhaits des États africains en matière d’armement. Je vous répondrai donc de manière indirecte, comme je l’ai fait dans mon propos liminaire : nous constatons que les matériels utilisés sont de plus en plus létaux et montent en gamme et en technicité. Mais il faut être conscient des forces et des faiblesses du soutien que nos compétiteurs fournissent en matière d’armement. Ces matériels sont assez compétitifs ce qui correspond aux ressources budgétaires limitées de certains États africains ; on pense par exemple aux drones TB2 turcs et aux avions L-39 présents au Mali. Néanmoins, certains pays sont déçus par ces équipements. D’une part, ils ne sont pas toujours performants ; c’est notamment le cas d’armements chinois qui ne répondent pas aux espérances initiales de leurs acheteurs. D’autre part, il n’y a pas toujours de maintien en condition opérationnelle, singulièrement pour les équipements russes, la Russie se concentrant actuellement sur ses besoins propres au détriment des matériels vendus aux pays africains. Dans ce domaine, notre rôle est d’évaluer les capacités des matériels détenus par les armées africaines et les performances de nos compétiteurs pour aider notre BITD.

M. le président Thomas Gassilloud. Je rappelle l’argument de vente des Turcs : « La qualité européenne au prix des Chinois » Vu d’Afrique, c’est un argument qui fonctionne en général.

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros. Avec un bémol cependant : le drone TB2 turc était l’alpha et l’oméga au début de la guerre en Ukraine mais au bout de trois mois on n’en a moins parlé car il est brouillé et de ce fait inopérant. Les systèmes de brouillage sont encore peu répandus en Afrique, mais ils apparaîtront un jour.

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Le conflit israélo-palestinien et la dislocation de l’Afrique sahélienne éclipsent la Libye, qui disparaît de l’actualité. La situation, effectivement assez difficile à comprendre, n’évolue pas beaucoup. Le processus de reconstruction politique, très lent, se fait avec la médiation des Émirats arabes unis et de l’Égypte mais il se heurte à la milicianisation du pays. Une multitude de milices locales tiennent des régions plus ou moins vastes dont elles se nourrissent comme de prébendes qu’elles ne lâcheront pas facilement pour se fondre dans une unité nationale retrouvée. Œuvre aussi en Libye une société militaire privée turque, la Sadat.

En gros, le pays est découpé en quatre zones. À l’est, la Cyrénaïque est toujours tenue par le clan Hafter, le maréchal, , essayant de transmettre l’héritage à ses fils et à des proches. La Tripolitaine, très fragilisée, très milicianisée, très morcelée, est tenue par M. Dbeiba qui ne peut guère sortir de Tripoli. Au centre, Misrata, héritage du comptoir turc, essaye de jouer une partition intermédiaire. Enfin, le sud, essentiellement contrôlé par des tribus nomades, n’envisage pas sa géopolitique locale comme nationale mais comme transnationale, sur l’axe migratoire sahélien. Les grandes puissances qui participaient au processus libyen sont désormais occupées à autre chose : la Russie, qui avait une ambition locale, se consacre à l’Ukraine, et l’Égypte regarde soudainement sa frontière Est.

M. le président Thomas Gassilloud. La Libye est en quelque sorte une peau de léopard de groupes semi-privés ou paraétatiques. On en revient quasiment à l’époque coloniale, avec des États qui ont du mal à assurer la souveraineté sur leur territoire et où des pouvoirs locaux se réinstallent.

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Effectivement, et les États voisins, Algérie et Tunisie d’un côté, Égypte de l’autre, craignent évidemment le débordement de l’instabilité.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Quel sera l’impact sécuritaire de la fin de l’opération Barkhane et de la dissolution du G5 Sahel, la force africaine conjointe de lutte contre le terrorisme soutenue par la France ? Quelle coopération sécuritaire pourrait être envisagée avec la Mauritanie et le Tchad ? Comment évaluez-vous le risque djihadiste pour cette région et par répercussion pour notre pays ?

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros. La fin de l’opération Barkhane et du G5 Sahel ont fragilisé les États sahéliens dans le domaine sécuritaire. Cette dégradation a été un élément déclencheur des différents coups d’État. La fragilisation régionale structurelle tient à plusieurs facteurs précédemment décrits. Les conséquences de ces événements sont d’une part, une fragilisation encore accrue en raison de la disparition d’une partie de l’aide dont bénéficiaient ces pays et dont ils ont choisi volontairement de se séparer, d’autre part l’extension de la menace terroriste, à la fois géographique et en intensité. Aujourd’hui, l’action terroriste s’exprime sur l’ensemble du territoire malien, y compris à proximité de la frontière sénégalaise, voire des frontières guinéenne et ivoirienne, et peut s’étendre au-delà, vers les pays du Golfe de Guinée. Cette tendance est donc plutôt négative. Les juntes coopèrent : les trois pays ont créé une association politique et militaire. L’évolution des pays sahéliens inquiète non seulement les pays du Golfe de Guinée mais aussi d’autres pays limitrophes comme le Sénégal et la Mauritanie. Les pays du Maghreb constatent également avoir moins d’influence sur les pays sahéliens, ce qui fragilise leurs frontières, avec des risques de déstabilisation interne, notamment au sud de l’Algérie.

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. J’ai dit dans mon introduction que nous avons des conséquences de l’évolution au Sahel une vision très pessimiste. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al Qaïda, qui a toujours pour objectif de construire un califat local, exerce une pression croissante sur les capitales sahéliennes. En outre se recrée une alliance de proximité avec la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui rallume le feu sécessionniste au Nord Mali avec des jeux troubles entre visions califales et visions sécessionnistes. La tension avec les régimes des capitales est donc croissante. Bamako a réussi à revenir à Kidal, mais il ne faut pas imaginer que cette rentrée très symbolique soit une illustration de la solidité du régime au Nord-Mali, et il sera extrêmement compliqué pour le gouvernement central de se maintenir à Kidal dans les années qui viennent, d’autant que dans le même temps l’État islamique se construit un sanctuaire très fort. Nos inquiétudes sont encore avivées par les liens croissants entre l’État islamique en Afrique centrale, l’État islamique en Afrique de l’Ouest et l’État islamique dans le Grand Sahara. Ces connexions croisées qui se traduisent par des soutiens individuels, logistiques et doctrinaux rendront ces organisations encore plus résilientes.

M. Nicolas Lerner. Si l’on considère le nombre de morts causées, les principales victimes de ces groupes terroristes sont les populations locales des pays considérés. Sont aussi visés les intérêts français dans la région. Je précise à ce sujet que la DGSI est systématiquement saisie en judiciaire des attentats commis à l’étranger. Je l’ai dit, la menace visant le territoire national est aujourd’hui très limitée. Il n’y a aucun combattant français aux côtés des groupes terroristes évoqués qui, à ce jour, n’ont pas pour programme de projeter la menace ni d’ailleurs la capacité de le faire. Néanmoins, des signaux faibles appellent la vigilance sur l’attrait croissant pour ces groupes et sur la double menace que représenterait la création d’un califat territorial structuré : le risque que des populations francophones rejoignent ces groupes combattants, et le risque, par ricochet, que des liens directs s’établissent avec des velléitaires sur le territoire national.

Mme Anna Pic (SOC). Je prends la parole au nom du groupe socialiste pour suppléer ma collègue Isabelle Santiago, empêchée. Le rapport public de la DPR déposé le 29 juin dernier, qui s’appuie sur des entretiens et des auditions conduites avec les services que vous dirigez, détaille les stratégies d’influence et d’ingérence qui menacent les positions stratégiques françaises en Afrique. Il évoque une guerre d’influences, mentionne l’importation massive d’armes russes et chinoises, la mainmise du groupe Wagner sur les mines, l’intensification de la présence de la Chine dans le secteur bancaire et la multiplication des accords de formation militaire. Ces phénomènes se conjuguent au volet plus habituel d’une bataille d’influences par le biais de média de propagande tels que Russia Today et Afrique Media et le soutien de certains partis politiques par des régimes étrangers. Ces manœuvres ont abouti à l’abstention de dix-sept pays africains lors du vote, en mars 2022, de la résolution de condamnation de l’invasion russe de l’Ukraine. Comment ces faits n’ont-ils pas permis d’analyser les risques pour les intérêts stratégiques français de cette guerre d’influence dont nous avons subi ces derniers mois les premières conséquences ? Quels enseignements tirer du retard manifeste de la France à s’adapter aux nouvelles guerres hybrides ?

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros. La stratégie d’influence des compétiteurs est un sujet pris à bras-le-corps au niveau interministériel. Ces manœuvres sont anciennes, mais il existe effectivement des stratégies d’influence structurées chez certains de nos compétiteurs, et les Russes sont de ceux-là. À certains, on prête parfois des capacités supérieures à ce qu’elles sont. Face à cela, nous ne restons pas les bras ballants. La coordination ministérielle et interministérielle monte progressivement en puissance pour porter nos objectifs stratégiques et nos valeurs. Les services de renseignement coopèrent à l’action des structures d’influence en décrivant l’état de la menace et en aidant à porter les messages les plus efficaces possible.

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. En matière d’influence, l’enjeu principal des services de renseignements est de la détecter, dans ses deux registres. Il y a d’une part la manipulation de l’information, et nous nous efforçons de débusquer les usines à trolls et les auteurs de désinformation. Il y a d’autre part la partie influence, et en ce domaine il faut connaître les hommes et les réseaux ; c’est tout l’enjeu du renseignement géopolitique, que nous n’avons jamais perdu et qui consiste à démasquer les acteurs de l’influence de nos compétiteurs locaux. C’est le travail quotidien des services de renseignement, pour savoir comment s’exercent l’influence chinoise dans tel pays, l’influence russe dans tel autre, qui en sont les acteurs et quels sont leurs leviers.

M. Loïc Kervran (HOR). Je remercie, au nom du groupe Horizons, les hommes et les femmes des services de renseignement qui travaillent en Afrique ou sur l’Afrique dans des circonstances difficiles et parfois dangereuses avec un dévouement remarquable. Je remercie aussi le directeur général adjoint de la DGSE de nous avoir donné des exemples du succès de certaines de nos opérations d’entrave en Afrique, car il y a toujours un déséquilibre dans l’évaluation de l’efficacité de nos services, en raison du secret bien sûr, mais aussi parce que ce que l’on a évité est par définition difficilement mesurable.

Dans le passé, certains services ont justifié notre présence militaire en Afrique par la nécessité de maîtriser le risque de menace projetée. Vous avez tous indiqué que, pour les diverses raisons que vous avez exposées, ce risque est faible aujourd’hui ; dans ce contexte, peut-on imaginer maîtriser la menace projetée sans présence militaire française au Sahel, en tout cas sans présence permanente ? D’autre part, que font les services dans la lutte contre les réseaux d’immigration clandestine ? C’est une autre de leurs missions, assez récente et importante, singulièrement quand on entend l’ambassadeur de France au Niger rappeler que la junte nigérienne a dépénalisé le trafic d’êtres humains et libéré beaucoup de ses auteurs.

M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros. En parlant de la menace, on en revient aux conséquences de l’évolution de notre dispositif militaire en Afrique. Ces dernières années, l’action française dans sa globalité – pas uniquement l’action militaire mais aussi l’action diplomatique, économique et culturelle – a permis de contenir la menace terroriste au Sahel, mais elle ne l’a pas éradiquée car elle n’aurait pu le faire seule. Le directeur général adjoint de la DGSE a souligné certains renoncements ou défaillances d’États africains dans la lutte contre le terrorisme et le fait que nous ne pouvions nous substituer à l’action indispensable de ces États dans tous les domaines. Alors que notre action a permis de contenir la menace terroriste depuis une dizaine d’années, ce sera beaucoup moins le cas désormais, comme on le voit déjà, avec l’extension de leurs zones d’actions et du nombre de victimes depuis le départ de la France du Mali, du Niger et du Burkina Faso où la situation a explosé depuis deux ans. Il faut donc distinguer le passé d’un futur certes difficile à écrire mais dont le directeur général adjoint de la DGSE a souligné plusieurs fois que les tendances, toutes très négatives, incitent au pessimisme à la fois pour ces pays et les pays limitrophes. Le concept de menace projetée sera probablement plus prégnant demain en raison de la fin de l’aide que nous apportions.

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Que l’on ne se méprenne pas : la DGSE ne travaille pas à entraver l’immigration en cherchant les migrants. Je vous l’ai dit, notre action consiste à prendre la température pour permettre la prise de décisions par nos autorités. Aussi la DGSE s’efforce-t-elle de cerner la réalité objective du panorama des routes de migration pour disposer de l’image la plus actualisée possible des grands axes migratoires. D’autre part, elle agit sous le prisme de la traite d’êtres humains, en s’efforçant d’identifier les réseaux qui profitent de la misère humaine pour s’enrichir. Nous le faisons, hors nos frontières, avec nos moyens, soit avec des partenaires locaux quand ils le veulent et quand ils le peuvent, soit seuls. Une fois des trafiquants identifiés, nous lançons une coopération avec les services locaux pour essayer de les entraver. C’est à ce niveau que nous agissons, et ce ne peut être plus que cela. C’est aussi à cette fin que nous menons un dialogue avec tous les acteurs du Sud de la Méditerranée.

M. le président Thomas Gassilloud. Considérez-vous que le développement des flux migratoires lié à la désorganisation de cette région peut être un objectif recherché par la Russie dans sa lutte systémique contre l’Europe ?

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. Ce n’est pas caractérisé. Je pense que la Russie profitera de toute opportunité pour nous fragiliser mais aucun renseignement fiable ne me signale qu’elle utilise ce moyen à ce stade.

M. le président Thomas Gassilloud. Cependant, elle a utilisé ce moyen à l’Est de l’Europe.

M. le directeur général adjoint de la sécurité extérieure. La thématique était autre et la difficulté tenait aussi au protocole Cazeneuve conclu avec la Turquie.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Gisèle Lelouis (RN). Combien de Français sont présents dans des zones à risque ou qui peuvent le devenir ? Comment le contact est-il maintenu entre eux et nos ambassades ?

M. le directeur général adjoint de la DGSE. Je n’ai pas en tête tous les chiffres, tant les zones à risque sont nombreuses. Seul fait référence le site de conseils aux voyageurs du ministère des Affaires étrangères. C’est la voix officielle, avec une granularité précise des zones à risque. Notre mission principale, à laquelle nous nous consacrons chaque jour, est de protéger nos compatriotes, mais elle ne consiste pas à assurer la protection individuelle de tous les Français à l’étranger. Notre stratégie, difficile, est de pénétrer les groupes et les organisations de tous types qui nous menacent pour connaître leurs intentions et anticiper leurs attaques avant qu’ils les concrétisent. Notre sport journalier, que nous conduisons avec plus ou moins de réussite, est de pénétrer les groupes terroristes pour savoir quel est leur prochain coup, et les mouvements subversifs pour savoir comment ils vont évoluer, puis de faire remonter les informations sur les menaces vers le ministère des affaires étrangères pour assurer au mieux la protection des Français à l’étranger.

M. le président Thomas Gassilloud. Messieurs, je vous remercie.

Angleton : as du contre-espionnage ou paranoïaque obsessionnel ?

Angleton : as du contre-espionnage ou paranoïaque obsessionnel ?

par Giuseppe Gagliano* – CF2R – publié le 11 mars 2024

https://cf2r.org/historique/angleton-as-du-contre-espionnage-ou-paranoiaque-obsessionnel/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

 

Dès le début de sa carrière au sein de l’Office of Strategic Services (OSS), James Jesus Angleton (1917-1987) s’est consacré à la définition d’une méthodologie spécifique pour le contre-espionnage, basée sur trois concepts fondamentaux : infiltration, désinformation et sécurité. L’objectif était de s’infiltrer dans les services secrets ennemis pour diffuser de fausses informations qui les désorienteraient, tout en assurant la sécurité maximale des secrets des services alliés.

Cet engagement reflétait son attirance innée pour le monde nébuleux de l’espionnage, caractérisé par l’ambiguïté et la nécessité d’une analyse extrêmement rigoureuse des documents recueillis, une approche trouvant des parallèles dans la critique littéraire du New Criticism appliquée à la poésie. Angleton voyait dans le contre-espionnage une pratique nécessitant une rigueur presque ascétique, le décrivant comme un labyrinthe de tromperies et de double jeu, un combat continu dans un univers de fausseté où chaque agent pouvait être double ou triple.

 

De l’OSS à la CIA

Angleton avait une personnalité, une formation et une sensibilité uniques qui le rendaient particulièrement apte à naviguer dans le monde dangereux et complexe du renseignement. Déjà à Londres, pendant la Seconde Guerre mondiale, il se distingua par son engagement inlassable, devenant une référence au sein de l’OSS en termes de dévouement et de capacité de travail. Sa présence dans la capitale britannique donna lieu à un travail incessant qui le vit s’impliquer dans l’analyse d’informations d’importance vitale et dans la constitution d’un fichier recensant tous les espions ennemis potentiels, grâce à l’accès aux renseignements obtenus via les interceptions de l’opération Ultra. Sa vie à Londres se caractérisa par une existence solitaire, dédiée au travail et à la lecture de poésie, interrompue seulement par des sorties sporadiques avec des collègues. Durant cette période, Angleton établit des liens étroits avec divers figures clés du renseignement britannique, comme Kim Philby[1], qu’il retrouvera des années plus tard à Washington.

Grâce à ses compétences linguistiques et à ses contacts sur le terrain, Angleton se vit également attribuer des missions clés concernant l’Italie, lui donnant l’occasion d’établir des relations directes avec des personnalités comme le général Badoglio[2]. Angleton profita de ses liens familiaux et professionnels pour construire un vaste réseau d’informateurs dans ce pays, développant des relations de confiance avec des figures de premier plan comme Giovanni Montini, le futur Pape Paul VI. Son approche discrète et réservée lui permit de bien s’adapter tant au contexte britannique qu’au contexte italien, complexe et plein d’intrigues.

Son expérience en Italie pendant les derniers mois de guerre contribua à forger sa légende au sein du renseignement américain. A partir de 1945, Angleton a commença à anticiper la transition vers la Guerre Froide : il s’attacha à identifier et à cataloguer les individus qui pourraient devenir hostiles aux États-Unis dans un contexte de rivalité Est/Ouest. Son activité en Italie s’orienta alors rapidement vers la lutte contre l’influence soviétique, et il jeta les bases d’une nouvelle organisation du renseignement italien à orientation antisoviétique, incluant d’anciens membres du régime fasciste. À Rome, Angleton consolida sa position influente au sein du renseignement américain, à une période où l’idée d’une structure de renseignement centralisée commençait à s’imposer outre-Atlantique. Entre 1945 et 1947, il collabora étroitement avec Allen Dulles, les deux hommes partageant une vision commune sur l’importance de préserver l’expérience de l’OSS et sur la nécessité d’une structure autonome dédiée au renseignement et au contre-espionnage. Après la création de la CIA (1947), son réseau d’informateurs et ses opérations de désinformation jouèrent un rôle crucial dans la compétition avec l’Union soviétique, surtout en Italie, où il contribua de manière significative à la campagne clandestine qui influença les élections de 1948, menant à la victoire de la Démocratie chrétienne contre le Front populaire pro-soviétique. Durant cette période, Angleton établit également une relation étroite avec Jay Lovestone[3], soutenant activement les forces syndicales non-communistes et antisoviétiques, conformément à la stratégie de la CIA pour contrer l’influence communiste en Europe et en Amérique Latine.

De retour aux États-Unis à la fin de 1947, Angleton fut affecté au contre-espionnage de la CIA, où il s’occupa des relations délicates avec le FBI et des contacts avec les services secrets alliés, notamment ceux d’Italie et d’Allemagne (à travers l’ancien officier de l’Abwehr Reinhard Gehlen), puis d’Israël, avec lequel il développa une relation particulièrement étroite. Angleton montra également un fort intérêt pour la « guerre culturelle », soutenant activement les intellectuels et les mouvements culturels non communistes, en particulier à travers l’International Association for Cultural Freedom (IACF), financé par la CIA pour promouvoir la culture occidentale et le mode de vie américain.

 

L’affaire Nosenko 

En matière de « chasse aux taupes », une affaire fut particulièrement marquante dans la carrière de James Jesus Angleton : le cas de Youri Nosenko, un haut fonctionnaire du KGB soviétique. Nosenko, fils d’un influent dirigeant du Parti communiste d’URSS sous Khrouchtchev, occupait un poste de premier plan dans la division du KGB chargée de la sécurité intérieure, ayant pour responsabilité de surveiller les Américains présents ou de passage en Union soviétique (diplomates, hommes d’affaires et touristes), afin d’identifier d’éventuels espions et de recruter des informateurs. En 1962, lors d’une conférence sur le désarmement à Genève, Nosenko contacta un représentant du département d’État américain et lui livra des informations précises sur les infiltrés soviétiques au sein des services de renseignement britanniques, de l’OTAN et des forces armées des États-Unis, sans demander de contrepartie ; il motiva son geste par des divergences idéologiques et un mépris pour le régime communiste. Nosenko choisit de ne pas faire défection immédiatement, décidant plutôt de retourner à Moscou pour recueillir davantage de renseignements et les transmettre aux Américains.

Initialement, le recrutement de Nosenko par la CIA fut accueilli avec beaucoup d’enthousiasme à Washington. Cependant, Angleton et Anatoli Golitsyn[4] exprimèrent rapidement des doutes, soutenant que le KGB pouvait avoir envoyer un faux défecteur pour tromper la CIA et saper la crédibilité des informations précédemment fournies par Golitsyn. Cette théorie l’emporta car la réputation d’Angleton et le crédit de Golitsyn étent encore très fort à l’époque, bien que des divergences au sujet de de l’affaire Nosenko commencent à se manifester au sein de l’agence.

Après une période de silence, Nosenko réapparut début 1964, livrant plus de détails sur les agents soviétiques et demandant cette fois l’asile aux États-Unis, affirmant être menacé d’arrestation s’il retournait à Moscou – un mensonge qui contribua à accroître les soupçons à son égard, non seulement de la part d’Angleton et de son équipe, mais aussi au sein de la division soviétique de la CIA elle-même. L’Agence décida néanmoins de l’accueillir aux États-Unis, dans l’intention de découvrir la vérité sur sa défection et éventuellement de l’utiliser pour désorienter le renseignement soviétique. Nosenko arriva à Washington en février 1964, peu après l’assassinat de Kennedy, alors que la CIA et le FBI enquêtaient sur les liens potentiels entre l’assassin, Lee Harvey Oswald, et le KGB. Nosenko nia toute connexion entre Oswald et le service soviétique, affirmant que le KGB avait perdu tout intérêt pour Oswald, le considérant comme peu fiable. Pour Angleton et Golitsyn, ces déclarations alimentèrent la théorie selon laquelle Nosenko était un désinformateur envoyé pour obscurcir tout lien entre Oswald et le KGB, et renforcèrent l’hypothèse d’Angleton selon laquelle l’assassinat de Kennedy pourrait avoir été motivé par des raisons plus complexes et être le fruit d’une opération plus vaste orchestrée par le KGB.

Pour Nosenko, ce fut alors le début d’un long calvaire qui allait durer quatre ans, au cours desquels l’asile politique et même un simple permis de séjour furent sont refusés, le laissant dans un état d’incertitude juridique sans précédent. Il fut rigoureusement isolé, sous prétexte de prévenir tout contact avec son ancien service, privé de toute forme de communication extérieure, y compris de la télévision et de la presse. Il fut soumis à des interrogatoires extrêmement musclées selon les directrives du manuel Kubark sur le contre-espionnage approuvé par la CIA en 1963. Ce faisant, l’agence outrepassait indûment ses fonctions, empiétant le domaine réservé au FBI. La détention prolongée de Nosenko combinée aux méthodes brutales d’interrogatoire – sans aveux significatifs – et à la sévérité des conditions de détention sans aveux significatifs, – en particulier son transfert dans une cellule isolée au centre de formation de la CIA en Virginie – suscitèrent un malaise considérable au sein de l’Agence.

La situation devint tellement controversée qu’en 1967, Richard Helms, alors directeur de la CIA, ordonna une révision complète du dossier, qu’il confia à deux figures éminentes de l’agence, qui demandèrent l’aide de Bruce Solie, un expert du bureau de la sécurité ayant de bons rapports avec Angleton. Solie, après une enquête approfondie, critiqua vivement le traitement réservé à Nosenko, soulignant le manque de professionnalisme avec lequel l’affaire avait été gérée, remettant en question les accusations portées contre lui, réaffirmant la crédibilité des informations fournies par le Russe au cours des années précédentes. Le rapport final de Solie provoqua un choc au sein de la CIA, en particulier pour Angleton, qui avait toujours considéré Nosenko comme un agent infiltré par le KGB.

L’affaire Nosenko connut un développement encore plus dramatique au début des années soixante-dix, lorsque William Colby, directeur de la CIA et adversaire notoire d’Angleton, exprima publiquement son horreur face au traitement réservé à Nosenko, le considérant comme un précédent dangereux pour les libertés civiles. Angleton, quant à lui, ne modifia jamais sa position et réaffirma la nécessité d’agir parfois en dehors des limites constitutionnelles pour garantir la sécurité nationale. Il considérait que, pour contrer efficacement les menaces extérieures – notamment pénétration communiste – un service secret devait avoir la capacité d’opérer de manière discrétionnaire, quitte à franchir les limites légales. Son attitude reflétait la tension fondamentale dans la politique de sécurité américaine de l’époque, entre le respect des libertés démocratiques et la nécessité de se défendre contre des menaces perçues comme extrêmes.

 

Sources

– Michael Holzman, James Jesus Angleton, The CIA, and the Craft of Counterintelligence, University of Massachusetts Press, 2008

– Gérald Arboit, James Angleton, le contre-espion de la CIA, Nouveau Monde édition, Paris, 2007.

 


[1] Agent soviétique qui fut recruté par le NKVD avant même son entrée au MI 6, qu’il infiltra à son profit.

[2] Il devint Premier ministre après le départ de Mussolini et organisa le ralliement de l’Italie aux Alliés.

[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Jay_Lovestone.

[4] Officier du KGB ayant fait défection en 1961 et travaillant pour la CIA.

Guerre en Ukraine, missiles Taurus, espionnage russe : l’Allemagne dans l’embarras ?

Guerre en Ukraine, missiles Taurus, espionnage russe : l’Allemagne dans l’embarras ?

Le point de vue de Jacques-Pierre Gougeon – IRIS – publié le 8 mars 2024

Devenu le deuxième soutien militaire de l’Ukraine, l’Allemagne voit sa politique étrangère ébranlée depuis plusieurs entre semaines, entre le rejet du Chancelier Olaf Scholz de livrer des missiles Taurus de longue portée désirés par Kiev et l’espionnage russe d’une conversation confidentielle entre officiers allemands. Comment ces récents épisodes fragilisent-ils la position allemande sur le conflit ? Quelles divergences opposent Paris et Berlin ? Entretien avec Jacques-Pierre Gougeon, directeur de recherche à l’IRIS et auteur de « L’Allemagne, un enjeu pour l’Europe » (Éditions Eyrolles, 2024).

Comment peut-on évaluer l’engagement et l’aide de l’Allemagne pour la défense de l’Ukraine depuis le début de la guerre ?

Si l’Allemagne a pu faire montre d’une certaine hésitation au début de la guerre en Ukraine dans la nature et l’ampleur de son soutien, en dépit d’un discours ferme du Chancelier Olaf Scholz annonçant dès le 27 février 2022 devant le Parlement fédéral « un changement d’époque » et prévoyant la création d’un fonds spécial destiné à équiper l’armée allemande, Berlin est dorénavant le deuxième pays à contribuer à l’aide militaire ukrainienne à hauteur de 17 milliards d’euros, derrière les États-Unis et loin devant la France. Après cette première période où les hésitations étaient largement liées aux débats internes à la coalition et au parti du chancelier, le parti social-démocrate dont une aile était et est toujours marquée par une tradition pacifiste, les choses sont ensuite allées assez vite avec la décision du 26 avril 2022 de livrer des armes lourdes à l’Ukraine, action complétée ensuite par la livraison de plusieurs séries d’armes incluant les puissants chars Leopard 2 et des systèmes de défense antiaérien. Actuellement, l’Allemagne refuse de livrer les missiles Taurus d’une portée de plus de 500 km par crainte que ceux-ci ne puissent atteindre le territoire russe, et même Moscou à partir de la frontière du nord-est de l’Ukraine. Aux yeux des dirigeants allemands, cette situation provoquerait une escalade, voire une cobelligérance. Par ailleurs, selon un récent sondage publié par Der Spiegel du 2 mars 2024, 56 % des Allemands se prononcent contre la livraison de cette dernière catégorie de missiles. Il faut bien mesurer que ces différentes étapes, aussi incomplètes peuvent-elles apparaître aux yeux de certains, marquent la fin de deux tabous en Allemagne. Il s’agit d’abord de la dimension militaire de la politique extérieure, certes parfois acceptée difficilement, comme en 1999 lors de l’engagement de l’Allemagne au Kosovo, toujours avec mauvaise conscience et après des débats violents, mais dorénavant pleinement assumée. Ensuite, la nécessité de livrer des armes lourdes dans un pays en guerre où l’Allemagne avait sévi dans le passé est aussi, selon les circonstances et au cas par cas, reconnue.

Une conversation entre officiers gradés de l’armée allemande, au sujet notamment des missiles Taurus, a été interceptée et diffusée en Russie. Quelles répercussions politiques et géopolitiques peuvent-avoir cette affaire d’espionnage russe en Allemagne ? Pourquoi ces écoutes mettent-elles Olaf Scholz dans une position inconfortable ?

Cette affaire d’espionnage est d’abord grave sur la forme. En effet, elle montre une pratique peu professionnelle de hauts gradés de l’armée fédérale qui utilisent pour leurs conversations ultra-sensibles la plate-forme publique Webex alors que la procédure normale serait au moins d’avoir recours à une ligne cryptée. De la part notamment du commandant en chef de l’armée de l’air, cela peut être même inquiétant et peut laisser présager d’autres « fuites ». Sur le fond ensuite, car l’on peut sous-entendre que contrairement aux affirmations publiques du Chancelier, certains responsables s’interrogent sur une utilisation par les forces ukrainiennes de missiles Taurus, certes en cas de validation politique, et de leur capacité à détruire le pont de Kertch reliant la Russie à la péninsule de Crimée. Dans les deux cas, cela pose un sérieux problème de confiance et de crédibilité, à la fois en interne et auprès des alliés de l’Allemagne.

En quoi la guerre en Ukraine cristallise-t-elle les divergences entre la France et l’Allemagne depuis plusieurs semaines ?

La récente polémique autour de la sortie du président français Emmanuel Macron qui a évoqué une possible augmentation du degré d’ambiguïté stratégique face à la Russie en envisageant – même seulement en réponse à une question de journaliste – une éventuelle utilisation de « troupes au sol » révèle, au-delà du mécontentement du Chancelier qui s’est senti floué alors qu’il avait exprimé son désaccord sur cette approche lors de la réunion des Chefs d’États et de gouvernement, l’absence de consensus stratégique sur la sécurité entre l’Allemagne et la France. De surcroît, Olaf Scholz peut difficilement s’engager sur un tel sujet sans en référer au Parlement fédéral, l’armée fédérale étant « une armée du Parlement ». Une partie de la presse allemande a d’ailleurs vivement réagi aux propos du président français, le Süddeutsche Zeitung lançant le lendemain de la réunion de Paris à l’attention d’Emmanuel Macron qu’il était préférable de « réfléchir avant de parler ». Cette opposition frontale révèle aussi un rejet du côté allemand d’un postulat français. La France, seule puissance nucléaire de l’Union européenne après le départ de la Grande-Bretagne, conçoit du fait de cette situation une forme de leadership sur ce sujet, ce que rejette l’Allemagne. Plus globalement, cette dissonance franco-allemande est le point culminant d’une série de désaccords sur des sujets centraux comme la réforme du marché de l’électricité ou la réforme du pacte de stabilité pour lesquels un compromis a finalement été trouvé, d’ailleurs jugé bancal par les spécialistes des deux sujets. La coopération militaire demeure insatisfaisante, même si le projet d’avion du futur avance lentement, après être resté longtemps enlisé, sort qui plane encore sur le char commun. Quant au libre-échange et plus précisément aux accords signés par la Commission européenne dans ce domaine, comme le Mercosur, le désaccord demeure profond.

La CIA a financé douze bases ukrainiennes à proximité de la frontière russe, révèle le New York Times

La CIA a financé douze bases ukrainiennes à proximité de la frontière russe, révèle le New York Times


William Burns, à la tête de la CIA depuis 2021.

William Burns, à la tête de la CIA depuis 2021. ANNA MONEYMAKER / AFP

 

Le quotidien américain publie un long article très documenté sur le rôle de l’agence d’espionnage américaine en Ukraine depuis 2014.

Depuis dix ans, la Russie mène une guerre en Ukraine. Ses «petits hommes verts» ont d’abord conquis la Crimée, puis financé, armé et entraîné les séparatistes du Donbass. C’est dans la foulée de cette ingérence russe que la CIA – la «Central intelligence agency» américain – a commencé de financer des bases militaires ukrainiennes de renseignement, révèle le New York Times dans une enquête extrêmement fouillée. Ces bases seraient au total au nombre de douze, établies le long de la frontière russe et seraient toujours en activité malgré les bombardements russes.

Le 24 février 2014, quatre jours après l’invasion de la Crimée, Valentyn Nalyvaichenko nommé à la tête du SBU, le renseignement ukrainien, contacte les chefs d’antennes de la CIA et du MI6, l’espionnage britannique. «C’est ainsi que tout a commencé», explique-t-il à nos confrères américains. Les Américains posent des conditions : les Ukrainiens seront aidés et financés, mais ne doivent pas donner des informations qui conduiraient à des morts. Mais le SBU va s’avérer extrêmement efficace. En 2015, le général Valeriy Kondratiuk, alors chef du renseignement militaire ukrainien, le GUR, apporte au chef-adjoint de la CIA une pile de document contenant des informations détaillées sur la conception des sous-marins nucléaires russes.

En 2016, les Ukrainiens lancent une campagne d’assassinats ciblés, malgré les réticences américaines. Ces derniers râlent, mais devant l’efficacité du renseignement ukrainien poursuivent leur soutien. Cette même année, le chef du GUR, Valeriy Kondratiuk, reçoit l’aide américaine pour moderniser ses «antennes», ses capacités d’écoute en échange d’un partage d’informations. La CIA a lancé un programme pour former des agents ukrainiens appelé «opération Goldenfish». Les officiers ainsi entraînés sont déployés dans les bases militaires le long de la frontière russe.

Une collaboration fructueuse

Ce partenariat entre les deux pays comportent un seul défaut : les États-Unis sont formels, ils n’encourageront pas les Ukrainiens à mener des opérations clandestines en Russie. Après avoir essuyé un refus pour une opération sur le territoire russe à Rostov, le général Kondratiuk envoie en Crimée occupée l’unité 2245, une force commando déguisée avec des uniformes russes et entraînée par la CIA. Ils sont repérés, le fiasco est total. «C’est notre guerre et nous devons nous battre», répond le général Kondratiuk après les récriminations de Washington.

Sous la présidence de Donald Trump, et malgré son ambition de renouer avec Vladimir Poutine, les agents ukrainiens passent de 80 à 800 dans les bases financées par la CIA. En 2020, au cours d’une réunion à la Haye, la CIA, le MI6 et les renseignements néerlandais et ukrainiens scellent une entente pour mettre en commun leurs renseignements sur la Russie. Les services britanniques et américains annoncent dès novembre 2021 que la Russie va envahir l’Ukraine. Les dirigeants politiques des deux pays le diront, d’ailleurs, publiquement. Cependant, le gouvernement de Kiev semble ne pas y croire.

Après l’invasion à grande échelle du 24 février 2022, Washington autorise ses agences d’espionnage à aider l’Ukraine dans ses opérations commandos et secrètes. Les localisations de bases militaires russes ou encore des listes de noms sont échangées. La CIA et le GUR ont, preuve de la force des échanges de renseignements, construit deux nouvelles bases.

Espionnage, défections et trahisons au cours de l’Antiquité grecque

Espionnage, défections et trahisons au cours de l’Antiquité grecque

par Giuseppe Gagliano – CF2R – publié le 17 février 2024

Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

https://cf2r.org/historique/espionnage-defections-et-trahisons-au-cours-de-lantiquite-grecque/


Dans l’arène de l’espionnage contemporain, les techniques d’acquisition du renseignement se diversifient en plusieurs catégories principales.

En premier lieu, il y a la collecte active d’informations par l’emploi d’agents spécialisés et d’équipements technologiques avancés. Elle est complétée par les observations effectuées par les personnel militaires et diplomatiques, qui fournissent chacun des évaluations dans leur domaine de spécialité.

Une deuxième méthode repose sur la divulgation intentionnelle de données par des nations, qui, en choisissant de partager certaines informations, ouvertement ou à travers des voies moins transparentes, visent à influencer la perception publique ou la diplomatie internationale. Cela peut se faire par des déclarations officielles, la presse, ou d’autres moyens de diffusion de masse. En effet, la gestion de l’image publique et le soutien populaire sont essentiels pour l’avancement des objectifs nationaux, nécessitant ainsi l’utilisation des médias et de la rhétorique persuasive, comme l’illustre l’exemple de Mein Kampf d’Hitler, dont l’impact s’étendit bien au-delà de la période de sa publication.

– Les interactions commerciales et industrielles constituent un autre canal par lequel les informations peuvent être collectées ou échangées, tout comme les relations personnelles et culturelles entre individus de différents États.

Les opérations clandestines suscitent également un intérêt particulier, non seulement pour la fascination qu’elles exercent sur les passionnés d’espionnage, mais aussi pour leur rôle critique dans des moments clés de l’histoire, comme les périodes de conflit, où les actions des opérateurs secrets peuvent avoir un impact décisif.

Déjà dans l’Antiquité, les techniques d’espionnage étaient bien développées, avec des explorateurs et des sentinelles employés pour surveiller les mouvements et les stratégies ennemis. Cependant, cette pratique était soumise à des limitations et des défis, comme la précision des rapports et la capacité à interpréter correctement les informations collectées. La capture de prisonniers et leur interrogatoire offraient des méthodes alternatives pour obtenir des données précieuses, tandis que les contacts directs entre ennemis, dans des contextes informels ou lors de négociations, pouvaient apporter des renseignements de manière involontaire.

L’utilisation d’espions, tant dans en interne qu’à l’encontre d’adversaires externes, est un thème récurrent dans les récits historiques, avec des exemples allant des ruses d’Ulysse lors du siège de Troie aux opérations de contre-espionnage plus sophistiquées des cités-États grecques. Ces activités n’étaient pas seulement cruciales pour la collecte d’informations mais reflétaient également les tensions et les divisions internes qui pouvaient être exploitées par des puissances extérieures ou par des factions rivales au sein du même État.

Le rôle des traîtres et des exilés est particulièrement significatif, car ces figures, ayant accès direct à des informations secrètes et souvent sensibles, pouvaient fournir aux ennemis des renseignement qui autrement auraient été difficiles à acquérir. L’évaluation de la fiabilité de telles informations, cependant, présentait des défis complexes, étant donné que les informations pouvaient être manipulées ou déformées selon les circonstances ou les intérêts en jeu.

En conséquence, la prévention de la fuite d’informations sensibles et la gestion du renseignement exigeaient une stratégie attentive et mesurée, qui tienne compte des vulnérabilités internes et des menaces potentielles externes. Dans ce contexte, les décisions concernant le partage de plans militaires ou stratégiques ont toujours été prises avec beaucoup de précaution. L’histoire de l’attaque athénien de la Sicile (414 avant J-C) illustre l’importance de garder secrètes les opérations militaires : en cette occasion, les Syracusains optèrent pour un commandement restreint capable d’agir avec discrétion. Ce choix reflète une profonde conscience du risque que des informations cruciales puissent tomber entre les mains ennemies.

La problématique de l’évaluation de la fiabilité des informations obtenues par l’intermédiaire d’espions, de déserteurs ou de traîtres a été une constante dans les stratégies d’intelligence. Les États étaient confrontés au dilemme de déterminer la véracité des informations reçues, cherchant à vérifier si celles-ci étaient le fruit de tromperies ou de manipulations. L’histoire offre de nombreux exemples où la capacité de discerner la qualité du renseignement a eu un impact décisif sur le sort des batailles et des conflits. La bataille de Marathon (490 avant J-C) et le siège de Syracuse (213 avant J-C) sont – deux exemples où les décisions basées sur le renseignement ont eu des résultats significatifs, positifs comme négatifs.

Dans ce jeu complexe d’espionnage, de contre-espionnage et de désinformation, les figures des traîtres et des exilés occupent un rôle de premier plan. Leur connaissance interne des affaires d’un État ou d’une cité pouvait s’avérer extrêmement précieuse pour les ennemis, mais en même temps, les informations fournies par eux devaient être évaluées avec une extrême prudence. La loyauté de ces individus était souvent ambiguë, et leurs motivations pouvaient varier largement, de la vengeance personnelle à la recherche d’avantages politiques ou économiques.

Pour atténuer les risques associés à la fuite d’informations, les cités grecques et d’autres États de l’Antiquité adoptaient des mesures de sécurité, comme la limitation de l’accès aux informations et la conduite d’opérations en secret. Ces précautions étaient essentielles pour protéger les plans stratégiques et maintenir un avantage sur l’ennemi. Cependant, malgré ces mesures, la possibilité que des informations sensibles soient divulguées restait une menace constante, reflétant la nature intrinsèquement vulnérable des sociétés humaines à l’espionnage sous toutes ses formes. L’évolution des techniques de renseignement et de contre-espionnage, ainsi que la complexité des relations internationales, soulignent leur importance dans la conduite des affaires étatiques, avec des implications qui s’étendent bien au-delà du champ de bataille, influençant la politique, l’économie et la société dans leur ensemble.

Suite à la révolte de 445 avant J.-C., les mesures prises pour contrer la menace de rébellions comprenaient l’obligation pour les citoyens de Chalcidique de prêter serment, les obligeant à dénoncer toute conspiration révolutionnaire. C’est un exemple de la manière dont les sociétés antiques cherchaient à se protéger des insurrections internes par la vigilance collective et la responsabilité partagée.

Par ailleurs, la sécurité des sites stratégiques, tels que les arsenaux et les chantiers navals, était une priorité absolue. Pendant l’ère hellénistique, Rhodes adopta des mesures particulières pour protéger ses chantiers navals, illustrant le risque que représentaient espions et saboteurs. Il est également probable que la base navale athénienne sur le promontoire du Pirée était étroitement surveillée, avec des accès strictement contrôlés. La vigilance de Démosthène, gardien de la démocratie athénienne, est mise en évidence par l’épisode où il captura un homme qui avait promis à Philippe de Macédoine d’incendier les chantiers navals, ce qui aurait pu compromettre la capacité navale d’Athènes.

La censure des communications était un autre outil utilisé pour prévenir la diffusion d’informations. Énée le Tacticien recommandait qu’aucune lettre émise ou destinée aux exilés ne soit envoyée sans être examinée par des censeurs, démontrant une tentative de contrôler les informations pouvant alimenter le mécontentement ou la révolte. Les villes fermaient leurs portes la nuit afin de garantir leur sécurité, et même pendant la journée, des contrôles étaient effectués. L’exemple de la censure perse le long des grandes routes de l’empire – si précise qu’elle poussa Histiée[1] à recourir à l’expédient de tatouer un message sur la tête d’un esclave – illustre les extrêmes auxquels on pouvait aller pour s’assurer que les communications critiques restent secrètes.

La présence de gardes sur les routes et l’utilisation de passeports ou de permis de voyage indiquent aussi que les mouvements de personnes pouvaient être étroitement surveillés, dans le but de limiter la diffusion d’informations entre différentes régions ou cités-états.

Bien que certains espions, déserteurs, ou exilés aient pu être mus par des motivations patriotiques ou idéologiques, les communautés de l’Antiquité ne reconnaissaient pas ces actes comme dignes de louange, mais bien comme des trahisons.

Comme l’a souligné H. Wilensky[2], une trop grande importance accordée à la protection du secret peut nuire à la capacité d’élaborer des stratégies et d’interpréter correctement les informations. Paradoxalement, les sources d’information les plus fiables pour les organisations en compétition sont souvent celles non secrètes, qu’il est possible de recouper et qui renforce l’idée que les actions « ouvertes » de l’adversaire peuvent offrir les indices les plus précieux et fiables.

La leçon tirée de l’Antiquité par des experts modernes comme Wilensky, est que la qualité des informations et la capacité à les interpréter correctement sont plus importantes que la simple accumulation de données secrètes. La transparence des actions et la visibilité des politiques publiques peuvent servir non seulement à renforcer la confiance au sein d’une communauté ou entre alliés mais aussi à fournir une base plus solide pour l’évaluation des intentions et des capacités ennemies.

Ainsi, dès l’Antiquité, l’analyse du renseignement et la protection du secret étaient déjà des exercices complexes et multifacettes. L’efficacité des mesures prises afin d’y faire face ces stratégies était inévitablement limitée par la nature humaine et la complexité des relations sociales et politiques. La confiance et la loyauté pouvaient être compromises, et des traîtres ou des déserteurs pouvaient agir contre leurs propres États ou communautés, ce qui nécessitait une vigilance et une précaution continues.

L’histoire de l’espionnage et du contre-espionnage dans l’Antiquité grecque, ainsi que dans les époques suivantes, montre que la lutte pour l’information est une constante dans les relations humaines, influençant le cours des événements autant que les forces armées ou la diplomatie. Les stratégies adoptées pour protéger les secrets et acquérir des informations sur les ennemis reflètent un équilibre délicat entre le besoin de sécurité et la promotion d’une société ouverte et informée.

Ainsi, l’histoire offre des leçons précieuses pour le présent. Bien que la technologie et le contexte géopolitique aient changé, les principes fondamentaux de la gestion du renseignement, la valeur des informations ouvertes et la compréhension des motivations humaines restent pertinents.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Histiée

[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Harold_Wilensky

Dossier géopolitique : La désinformation

Dossier géopolitique : La désinformation

Par Pierre Verluise – Diploweb – publié le 4 février 2024 

https://www.diploweb.com/Dossier-geopolitique-La-desinformation.html


Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne. Fondateur associé de Diploweb. Chercheur associé à la FRS. Il enseigne la Géopolitique de l’Europe en Master 2 à l’Université catholique de Lille. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

La désinformation est peut-être vieille comme le monde, mais elle ne cesse de se réinventer, notamment avec Internet et l’Intelligence Artificielle. L’usage de relais lui permet de gagner en furtivité, voire en efficacité. Pour cliver, rendre hystériques et fragiliser les institutions démocratiques.

Depuis sa création, en l’an 2000, le Diploweb a consacré nombre de publications à la désinformation. En voici une sélection. Aujourd’hui, le contexte rend plus que jamais nécessaire de contextualiser et d’apprendre à se préoccuper de la source pour comprendre comment cette information est arrivée sous nos yeux.

Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. La page de chaque document en lien porte en haut et en bas sa date de publication, afin de vous permettre contextualiser.

. David Colon, Pierre Verluise, La guerre de l’information cherche à accélérer la décomposition des sociétés démocratiques. Entretien avec D. Colon

Comment définir la guerre de l’information ? Comment les adversaires des Etats-Unis, notamment l’Iran, la Chine, la Russie ont-ils réagi à la guerre de l’information conduite par les Etats-Unis ? Quelles sont les fonctions des agences de presse et des médias sociaux dans la guerre de l’information contemporaine ? Que font les Etats-Unis mais aussi les États membres de l’UE pour se prémunir de la guerre de l’information conduite par la Russie mais aussi la Chine ?

Voici un entretien majeur avec l’auteur d’un des meilleurs ouvrages publiés depuis trente ans sur la désinformation, enjeu majeur des temps présents et futurs. Vous allez connaitre les grands moments et les principaux acteurs d’une guerre à laquelle nous n’étions pas préparés, devenue menace mortelle pour nos démocraties.

. Estelle Hoorickx, Les menaces hybrides : quels enjeux pour nos démocraties ?

Les menaces hybrides : de quoi parle-t-on ? Quels sont les outils hybrides de plus en plus nombreux et diversifiés qui nous menacent ? Quels sont les principaux acteurs des attaques hybrides ? Estelle Hoorickx fait œuvre utile en précisant les concepts, les stratégies et les moyens utilisés pour nuire aux démocraties en les polarisant à outrance. Les défis sont considérables. Seul un effort durable et conjugué de l’UE et des autres démocraties, impliquant l’ensemble des sociétés civiles, peut produire des effets bénéfiques sur le long terme.

Pierre Verluise
Docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com
Verluise

. Arthur Robin, David Colon, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? D. Colon

Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre. Avec une synthèse rédigée par M-C Reynier, validée par D. Colon.

. Estelle Ménard, Jean-Robert Raviot, Kevin Limonier, Louis Petiniaud, Marlène Laruelle, Selma Mihoubi, Radio Diploweb. Russie : la reconstruction du « hard power » et du « soft power »

Émission sur la Russie réalisée par Selma Mihoubi et Estelle Ménard. Le Diploweb.com croise les regards sur le « soft power », l’idéologie, le « hard power » et le cyberespace pour comprendre la reconstruction du pouvoir en Russie. Cette émission a été réalisée en collaboration avec quatre des auteurs du numéro double de la revue « Hérodote » (N° 166-167) : « Géopolitique de la Russie ». Il s’agit de Marlène Laruelle, Jean-Robert Raviot, Louis Pétiniaud et Kévin Limonier.

. Eléonore Lebon Schindler, Quelle désinformation russe ? EUvsdisinfo.eu la réponse d’East Stratcom pour la Commission européenne

EUvsdisinfo.eu déconstruit la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental, dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale et sensibilise au danger de la désinformation en général. Une ressource à connaître.

. Ukraine Crisis Media Center (UCMC), Vidéo. Comment les télévisions russes présentent-elles l’Union européenne ?

Passez de l’autre côté du miroir : on a peu l’occasion de se faire une idée par soi-même de l’image que donne la télévision russe de l’Union européenne. L’équipe de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC) a analysé pour vous 8 émissions des 3 chaînes principales sur une durée de 3 ans. Cette vidéo sous-titrée en français vous permet de voir les télévisions russes comme si vous étiez en Russie. La vidéo est accompagnée d’une présentation de l’étude et de ses enseignements.

. Laurent Chamontin, La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre

À l’occasion de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass, la Russie a donné l’impression d’avoir passé un cap en matière de guerre de l’information. L’art de la désinformation ne date pas d’hier, néanmoins le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux a mis en lumière une tradition de la manipulation spécifiquement russe, liée à l’irresponsabilité traditionnelle de l’État et à l’omniprésence des services secrets. L’Internet russe étant de plus lourdement contrôlé, il s’agit d’une forme de conflit asymétrique, contre laquelle les démocraties doivent apprendre à mieux se défendre.

. Anna Monti, James Lebreton, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. P. Verluise. La « Glasnost » de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ?

La désinformation est vieille comme le monde et elle ne cesse de se réinventer, notamment via de nouvelles technologies, mais il existe des fondamentaux, des régularités. Que nous apprend M. Gorbatchev, Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique à propos de la désinformation ? Tout en présentant l’histoire des dernières années de la Guerre froide, P. Verluise apporte une réponse stimulante. Avec en bonus une synthèse rédigée par A. Monti.

. Colin Gérard, « Sputnik » : un instrument d’influence russe en France ?

Plus de vingt-cinq ans après la fin de la Guerre froide, peut-on vraiment inscrire Sputnik, financé à 100% par le Kremlin, dans la continuité d’une stratégie d’influence issue de l’héritage soviétique ? Colin Gérard répond en présentant les origines de la création de Sputnik et sa stratégie de développement axée sur les réseaux sociaux. Deux ans après la mise en service de la version française de Sputnik, le Diploweb publie un document de référence pour un bilan d’étape.

. Laurent Chamontin, Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.

. Manon-Nour Tannous, Que vaut l’idée reçue : « La guerre en Syrie est un complot » ?

L’auteure démontre à travers des exemples que les théories du complot prônent une vision déterministe des événements, dans laquelle le postulat de départ (il existe un plan caché) prime sur l’analyse des faits. Elles reposent sur une surévaluation des calculs politiques pratiqués en coulisse et de leurs succès. Cette stratégie discursive a une fonction claire : établir qu’il n’y a pas eu de révolution en Syrie.

. Anne Deysine, Antonin Dacos, Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l’assaut de la démocratie américaine ?

Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu’entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. A. Deysine présente successivement Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats ; La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis ; La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ? Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.

. Raphaël Mineau Quels sont les effets boomerang du « sharp power » chinois en Australie ?

L’objectif du sharp power chinois est de neutraliser toutes les remises en cause de la représentation que le régime chinois se fait de lui-même. Il s’agit d’obtenir une cooptation d’étrangers pour façonner les processus décisionnels et soutenir les objectifs stratégiques de Pékin. Ce faisant, le régime chinois manipule le paysage politique des Etats démocratiques afin de légitimer son comportement, dicter des conditions favorables, et façonner l’ordre international à son image. Suite à ces manœuvres notamment appuyées sur les médias en langue chinoise et les associations de Chinois d’outre-mer Pékin représente aujourd’hui aux yeux des autorités australiennes une menace pour la démocratie et la souveraineté nationale de l’Australie. Dans un contexte de rapprochement avec les Etats-Unis, l’île-continent est ainsi passée d’une coopération à une compétition stratégique avec la Chine. Avec deux cartes et une frise chronologique.

. François Géré, Pierre Verluise, Communication et désinformation à l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des théories du complot. Entretien avec F. Géré

L’information à l’heure d’Internet ouvre de nouvelles possibilités, y compris de manipulation. Il importe de saisir comment les progrès techniques ont renforcé la place de l’information dans notre quotidien et ses enjeux, désinformation comprise. Dans le contexte des élections à venir, tous les citoyens attachés à la démocratie y trouveront matière à réflexion.

ECFR, Charlotte Bezamat-Mantes, Carte. La désinformation sur Facebook. Comment les États transforment les réseaux sociaux en armes

L’ECFR a publié en anglais une somme considérable « The Power Atlas. Seven battlegrounds of a networked world », sur ecfr.eu. Un membre du Conseil scientifique du Diploweb a attiré notre attention sur cette publication. Nous avons demandé à l’ECFR l’autorisation de traduire quelques cartes en français afin de contribuer au débat. Traduite et réalisée en français par C. Bezamat-Mantes, la carte grand format se trouve en pied de page.

. Pierre-Antoine Donnet, Pierre Verluise, Chine, le grand prédateur. Un défi pour la planète. Pourquoi ? Entretien avec P-A Donnet

Pourquoi la RPC est-elle sur le banc des accusés en matière d’espionnage industriel ? Comment la Chine construit-elle ses relations avec les pays partenaires des Nouvelles routes de la soie ? Que penser du rapport de l’IRSEM qui fait grand bruit « Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien » ?
Voici quelques-unes des questions posées à Pierre-Antoine Donnet par Pierre Verluise pour Diploweb.com.

. Anastasia Kryvetska, Comment l’écosystème cyber ukrainien s’est-il adapté à la guerre ?

Depuis 2014, le moteur du développement du cyberespace ukrainien est la guerre avec la Russie. Même si les autorités ne sont pas parvenues à agir efficacement dans le cyberespace dès le début du conflit, ce dernier a fait émerger un écosystème cyber qui a su s’adapter au contexte de guerre. Cet écosystème a contribué à la défense du pays à toutes les échelles, tant au niveau des citoyens que des acteurs étatiques et privés. Bien que de très nombreux objectifs doivent encore être atteints, l’invasion de l’Ukraine est un catalyseur pour le développement du cyber, qui est devenu un acteur essentiel du ministère de la Défense. Illustré de trois graphes.

. Catherine Durandin, Guy Hoedts, Roumanie, vingt ans après : la « révolution revisitée »

Voici un livre au format pdf, téléchargeable gratuitement. Ce recueil rassemble des communications présentées au colloque 1989 en Europe médiane : vingt ans après organisé à Paris, en l’Hôtel National des Invalides.

. Galia Ackerman, Laurent Chamontin, Les manipulations historiques dans la Russie de V. Poutine, un sujet géopolitique

Après avoir été alliée de l’Allemagne nazie d’août 1939 à juin 1941, l’Union soviétique est attaquée par Hitler. Contrainte et forcée, l’URSS change alors de camp. Quelle relation le pouvoir russe entretient-il avec la Seconde Guerre mondiale et ses zones d’ombres ? Comment expliquer la résurgence actuelle du culte de la « Grande Guerre Patriotique » (1941-1945) et de ses héros ? Galia Ackerman, auteur de « Le régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine », éd. Premier Parallèle (2019), répond aux questions de Laurent Chamontin pour Diploweb.com

. Dans les archives du Diploweb, en 2002 Alexandra Viatteau, Bibliographie pour l’étude de l’information et la désinformation


Toujours plus sur Diploweb

Ce dossier présente une sélection non exhaustive des ressources du Diploweb disponibles sur la désinformation. Plusieurs dizaines de documents s’y rapportent. Aussi nous vous invitons à poursuivre et affiner votre exploration de deux façons :
. par l’utilisation du moteur de recherche interne (en haut à gauche), par exemple avec le mot « désinformation » ;
. par l’usage des rubriques géographiques du menu, en fonction de votre zone d’intérêt.

Publication initiale de ce dossier février 2024.