Suite de mon post du 4 juin sur le Bataillon de Renseignement de Réserve Spécialisée (B2RS).
Je rappelle que le 3 juin a vu la création du Bataillon de Renseignement de Réserve Spécialisée (B2RS). Cette unité est dédiée à la recherche du renseignement en sources ouvertes. Elle rassemble des réservistes opérationnels qui sont recrutés comme spécialistes (analystes, linguistes, data scientists et développeurs informatiques).
Une compagnie de ce B2RS est désormais établie à Strasbourg où se trouve le Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement [CAPR].
La première compagnie du B2RS comptera à terme (très bientôt) 150 réservistes dont un quatuor de commandement. Le recrutement est local et vise le vivier des étudiants et jeunes universitaires. Ils rejoignent la réserve avec le grade de sergent et un contrat initial de 2 ans. Selon le commandant du bataillon strasbourgeois (un colonel de réserve), le recrutement a été aisé mais ralenti par des contrôles légitimes effectués par la DRSD. La formation des réservistes du B2RS est express avec deux périodes trois jours, l’une d’acculturation militaire et l’autre de présentation de l’OSINT au sein de l’armée de Terre.
Deux autres compagnies verront le jour en 2025: l’une à Toulouse (avec 150 pax) au profit de la 11e BP et l’autre en région parisienne (avec un effectifs de 250 pax). Ces choix sont dictés par plusieurs paramètres: d’abord les besoins de l’armée de Terre, ensuite la présence d’un vivier de jeunes spécialistes prêts à s’engager dans une réserve un peu particulière et enfin des locaux disponibles.
D’autres créations sont envisagées pour 2026, avec d’éventuels points de chute comme Rennes.
Avec cette signature, l’Armée de terre française disposera bientôt d’un système moderne capable de guider des avions et hélicoptères vers une piste improvisée ou encore un aéroport aux installations détruites. En plus d’être un système moderne, il peut être aérotransporté vers le dit aéroport à l’aide d’un seul avion de transport tactique C-130 ou A400M.
Ce 17 juin, à l’occasion du salon Eurosatory 2024, la Direction Générale de l’Armement a annoncé avoir sélectionné Collins Aerospace, filiale de RTX, pour fournir des tours de contrôle mobiles. Dénommé Air Traffic Navigation Integration and Coordination System (ATNAVICS), ce système se concentre uniquement sur deux véhicules, à savoir HMMWV (Humvee) équipé de plusieurs capteurs et un HUMMWV de commandement et de contrôle. Le premier emporte trois capteurs placés sur une palette :
Un radar de surveillance (en bande S) d’une portée de 111 kilomètres (60 miles nautiques), une altitude de 9,1 kilomètres (soit 30 000 pieds) et avec une couverture à 360° (rotation toutes les 5 secondes). Ce dernier permet d’avoir une situation générale de l’espace aérien.
Un radar secondaire IFF (en bande L), placé au-dessus de l’antenne du radar de surveillance. Il dispose des mêmes capacités que l’antenne de surveillance.
Un radar d’approche de précision (en bande X). Une fois place, il est situé à l’arrière du véhicule et est fixe (15° d’azimut et -1 à 8° d’élévation). Sa portée effective est de 18,5 kilomètres (10 miles nautiques). Après la détection, l’identification amie, ce dernier radar permet de guider les appareils lors de leur approche sur la piste, ou du moins, sur la zone d’atterrissage avancée.
L’autre Humvee permet de rassembler en un seul endroit les différentes données détectées par le véhicule radar. Elles permettent alors à deux opérateurs de gérer la zone aérienne environnante. Les deux véhicules ne doivent pas être spécifiquement l’un à côté de l’autre : ils peuvent être éloignés de 975 mètres (max).
À noter que l’énergie nécessaire à l’utilisation des systèmes emportés sur les véhicules est directement transportée par ces mêmes véhicules. Ceux-ci tirent chacun une remorque équipée d’un groupe électrogène. Le tout, véhicules et remorques, rentre dans un seul avion de transport tactique C-130 Hercules ou A400M Atlas. Cette capacité de projection aérienne était centrale dans le développement de l’ATNAVICS car ce système doit permettre de créer un aéroport a peu près n’importe où : dans le cas d’une crise humanitaire ou d’opérations militaires, un aéroport aux infrastructures détruites ou même une simple prairie pourra recevoir des avions en toute sécurité grâce aux instructions précises venues du sol.
L’US Air Force, le Corps des Marines et l’US Army disposent tous de ce type de « tour de contrôle » mobile tactique (54 systèmes produits). Au sein de l’USMC, l’ATNAVICS a permis la mise à la retraite du Marine Air Traffic Control and Landing Systems (MATCALS). En France, il est plus que probable que les jours sont comptés pour le Système Polyvalent d’Atterrissage de Recueil de Télécommunication et d’Identification de l’Armée de Terre (SPARTIATE).
Courant 2023 et début 2024, plusieurs journaux américains ont révélé l’ampleur de l’aide apportée par la CIA aux services spéciaux ukrainiens. Des opérations qui vont de la formation à la livraison d’armes, et de la fourniture de renseignements au soutien à la conduite d’opérations clandestines en territoire ennemi.
Ces médias attestent ainsi que depuis 2014, l’Agence a dépensé des dizaines de millions de dollars pour réorganiser les services ukrainiens, former de nouvelles unités d’action clandestine, fournir des systèmes de surveillance avancés et construire de nouvelles infrastructures afin d’espionner la Russie. Elle a également livré à son allié – mais aussi reçu de lui – une quantité impressionnante de renseignements.
Parallèlement à cet engagement massif et sans ambigüité aux côtés de Kiev, les médias américains insistent néanmoins sur l’autre préoccupation qui animerait la CIA : limiter les actions trop offensives de Kiev contre la Russie afin d’éviter que le conflit ne s’étende au-delà des frontières de l’Ukraine, ou ne provoquent une escalade pouvant conduire à un affrontement nucléaire. Le défi est donc de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin…
Afin de mieux mesurer l’ampleur de l’engagement de la CIA en Ukraine, il convient d’en rappeler les origines historiques et d’en analyser les opérations à partir des sources disponibles afin d’essayer de déterminer si l’agence essaie de limiter les dérapages du conflit ou s’attache seulement à le faire croire.
Hélico, frégate, char d’assaut, drone… ils connaissent le matériel militaire sur le bout des doigts. Une centaine de passionnés ont participé au défi « identification automatique de navires et d’aéronefs », ce mercredi 5 juin 2024, à Brest (Finistère). L’occasion de tester leurs connaissances, et d’entretenir une compétence tactique indispensable au renseignement.
Ambiance studieuse et concentration maximale dans la salle d’examen. Assis face à un écran, feuille et stylo en main, une bonne centaine de militaires, venus des trois armées (de terre, de l’air et Marine nationale), scrutent les photos de sous-marins, d’avions de chasse, de missiles ou de frégates qui défilent devant eux.
But du jeu : déterminer de quel équipement il s’agit, en 10 secondes chrono. Ce véhicule blindé est-il un Stryker, un Griffon, un EE-11 Urutu ou un Serval ? Et ce navire de guerre, est-ce un destroyer américain, sud-coréen, ou espagnol ?
Ils ont eu six mois pour plancher sur les 700 équipements susceptibles de tomber à l’examen. «C’est des soirées entières de révision!», lance une participante en uniforme de l’armée de terre.
Environ 500 dans l’armée française
La 27e édition du défi « identification automatique de navires et d’aéronefs » s’est tenue ce mercredi 5 juin 2024, au Foyer du marin de Brest (Finistère). Un challenge qui met à l’épreuve les connaissances des « analystes images » du renseignement miliaire.
La 27e édition du défi « identification automatique de navires et d’aéronefs » s’est tenue à Brest, mercredi 5 juin 2024. Ouest-France
On connaissait les « oreilles d’or », ces marins à l’ouïe fine capables d’identifier n’importe quel bruit sous l’eau, eh bien voici les « yeux d’or ». Ils sont environ 500 en France, et leur connaissance encyclopédique du matériel de guerre participe au renseignement militaire, parfois même aux décisions stratégiques.
« On peut analyser des images de bases aériennes, de zones portuaires, de théâtres de guerre… », liste l’adjudant Thomas, vainqueur de l’édition précédente.
« Il faut être passionné »
Savoir distinguer un canon ennemi sur une photo satellite est une chose, mais l’expertise va plus loin : « Est-ce que sa présence dans cette zone est normale ? Ce canon s’apprête-t-il à tirer ? On doit être multitâches », précise-t-il.
Pour être un bon analyste image, « il faut avoir de bons yeux et être passionné », estime le lieutenant-colonel Raphaël, qui chapote l’exercice.
L’insigne des interprètes d’images de l’armée française. Ouest-France
Repérer les leurres
Y compris à l’heure de l’intelligence artificielle (IA). « La masse d’images à traiter est démentielle, poursuit le lieutenant-colonel. L’IA nous aide pour des tâches répétitives, mais l’intelligence humaine reste indispensable ».
Notamment pour détecter les leurres, un stratagème militaire vieux comme le monde, mais « toujours d’actualité ». En ce 80e anniversaire du D-Day, on ne peut s’empêcher de penser aux chars gonflables déployés par les Alliés pendant l’opération Fortitude, pour tromper les Allemands sur le lieu et la date du débarquement… !
Après relecture des copies, les gagnants sont… Dans la catégorie expert : l’adjudant chef Emmanuel, du centre de formation et d’interprétation interarmées de l’imagerie. Dans la catégorie junior : le second maitre Bryan, de la flottille F24 de Lann-Bihoué.
Le soldat présenté comme français ne porte pas l’uniforme de l’armée française. sdecoret / stock.adobe.com
Une vidéo diffusée par des comptes prorusses sur les réseaux sociaux met en scène la prétendue capture d’un mercenaire français. Les images, pourtant peu convaincantes, ont été relayées par une ambassade russe.
«Ne tirez pas ! Ne tirez pas !» D’emblée, le fort accent du soldat qui tente de se faire passer pour un mercenaire français prête à sourire. Ce mardi 4 juin, l’ambassade de Russie en Afrique du Sud a relayé sur X une vidéo présentée comme la capture d’un mercenaire français par des soldats russes en Ukraine. La séquence, qui a tout de la grossière mise en scène, a été moquée ce jeudi par l’ambassade de France à Pretoria, qui a suggéré aux comédiens de prendre des cours de Français.
Sur ces images partagées par le ministère des Affaires étrangères russe, un homme portant l’uniforme russe somme son adversaire, caché dans une tranchée à quelques mètres, de se rendre avant de tirer plusieurs coups de semonce. «Ne tirez pas, je suis Français !», répond l’intéressé avec un très fort accent des pays de l’Est. Le militaire russe putatif s’approche alors de la tranchée dont l’homme s’extrait avant de s’allonger au sol, dans une pose qui laisse bien visible le drapeau tricolore qu’il porte collé à son uniforme, qui n’est pourtant pas celui de l’armée française. «Ne tirez pas ! Ne tirez pas !», répète-t-il.
«L’armée russe a capturé un mercenaire français dans les environs de Liptsy, dans la région de Kharkov, indique l’ambassade russe, qui veut croire que la séquence dément la position d’Emmanuel Macron «qui souhaite envoyer des instructeurs militaires français en Ukraine [mais qui] affirme sans cesse qu’il n’y en a pas».
Une allégation assez peu convaincante… que l’ambassade de France en Afrique du Sud ne s’est pas privée de brocarder dans un commentaire publié sur X : «Chers collègues, vous diffusez depuis un certain temps de fausses nouvelles et nous sommes désormais habitués à cette pratique peu diplomatique. Cependant, celle-ci est particulièrement ridicule. Nous proposons à vos comédiens de travailler leur accent avec quelques cours de français à l’Alliance française.»
Une série d’actions de déstabilisation
Ces images sont le dernier acte d’une série d’actions de déstabilisation hostiles à la France, derrière lesquelles plane l’ombre du Kremlin. Samedi dernier, cinq cercueils recouverts de drapeaux français étaient découverts au pied de la tour Eiffel avec la mention : «soldats français de l’Ukraine». Lundi après-midi, un russo-ukrainien de 26 ans soupçonné de vouloir commettre un attentat était arrêté à l’aéroport d’Orly.
Ces actions de propagande surviennent alors qu’Emmanuel Macron a annoncé réfléchir à l’envoi d’instructeurs militaires français en Ukraine pour accélérer la formation des soldats ukrainiens, après plus de deux années de guerre. Ces instructeurs auraient notamment pour mission de transmettre leurs compétences dans le domaine du déminage et de la maintenance des équipements militaires.
L’annonce a provoqué une énième passe d’armes diplomatique entre Paris et Moscou. «Ils constitueront naturellement une cible légitime», a déclaré mardi soir le porte-parole de l’Ambassade de Russie en France Alexander Makogonov, provoquant l’ire du Quai d’Orsay. Le lendemain, le président russe Vladimir Poutine a assuré que des instructeurs militaires occidentaux se trouvaient déjà en Ukraine, où ils «subissent des pertes» qu’ils gardent secrètes.
Les services de renseignement français alertent régulièrement sur l’augmentation des tentatives de déstabilisation russes sur le sol français depuis le début de la guerre en Ukraine et à l’approche des Jeux Olympiques de Paris 2024. Ces derniers mois, la responsabilité du Kremlin était très sérieusement envisagée dans l’affaire des étoiles de David qui avaient été taguées sur des murs d’Île-de-France et dans celle des mains rouges retrouvées peintes sur le mémorial de la Shoah. En relayant la vidéo du faux soldat français capturé par les Russes, l’ambassade de Russie affirme qu’elle partagera bientôt une vidéo de l’interrogatoire du prisonnier. Si l’acteur n’a pas effacé son accent, la séquence s’annonce prometteuse.
Le Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement [CAPR], établi à Strasbourg, compte désormais une nouvelle unité.
En effet, le 3 juin a vu la création du Bataillon de Renseignement de Réserve Spécialisée (B2RS). Cette unité est dédiée à la recherche du renseignement en sources ouvertes. Elle rassemble des réservistes opérationnels qui sont recrutés comme spécialistes (analystes, linguistes, data scientists et développeurs informatiques).
Comme l’a rappelé le général Schill, le CEMAT, « cette unité, exclusivement composée de réservistes, préfigure la réserve opérationnelle de l’armée de Terre de demain, qui sera organisée en trois grands ensembles : – une réserve de compétences qui a vocation à agir sur l’ensemble du spectre opérationnel en s’ouvrant, dans un premier temps, aux secteurs du renseignement et du cyber puis, à terme, à ceux de la logistique et de la maintenance. Cet enrichissement de la réserve au-delà des missions de protection – largement mises en avant ces dernières années en raison du primat de la menace terroriste – permettra par ailleurs de diversifier le profil de nos recrues en termes d’âge, de genre et de profil socio-professionnel; – une réserve de combat fondée sur une logique de complémentarité – et non plus d’appui – avec l’armée d’active, via une montée en puissance qualitative et quantitative avec l’objectif de doubler ses effectifs d’ici 2030; – une réserve territoriale, plus dense, qui a pour objet d’offrir une meilleure couverture du territoire national en élargissant l’offre de réserve à des régions qui étaient jusque-là privées d’une présence militaire.
Kais Makhlouf, analyste MENA pour la RiskIntelligence. M. Makhlouf est également consultant pour l’ONU et revient de missions au Yémen et en Somalie. Louis Borer, senior analyst à la RiskIntelligence et officier de réserve dans la Marine nationale (France).
Les auteurs dressent un tableau documenté de la situation en mer Rouge puis dans l’océan Indien. Ils étudient ensuite les possibles liens de causalité entre les attaques Houthis en mer Rouge et le renouveau des attaques pirates dans l’océan Indien. Ce qui illustre, sur fond de guerre à Gaza, dans l’interdépendance terre / mer, le chaos des échelles et l’interconnexion des crises du temps présent. Deux cartes inédites illustrent cet article.
LES IMPLICATIONS maritimes de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 ne se sont manifestées qu’après plusieurs semaines de conflit. Afin d’analyser l’état de la menace selon les zones considérées, un bref point de situation semble nécessaire, la guerre qui oppose le Hamas et Tsahal étant la cause de l’extension du conflit actuel en mer Rouge. Effectivement, d’après leur discours officiel, les Houthis continueront leurs actions à l’encontre des navires qui transitent dans la zone tant que les opérations israéliennes se poursuivent à Gaza. Si l’objectif est de porter atteinte aux intérêts israéliens, Israël et sa façade maritime en Méditerranée orientale sont pourtant restés relativement épargnés sur le plan maritime [1].
Toutefois, avec l’entrée des Houthis dans la guerre, le conflit a changé d’échelle géographique, basculant d’une dimension régionale à une logique mondiale, en menaçant directement les navires transitant en mer Rouge, entre le détroit de Bab el-Mandeb [2] et le canal de Suez, deux seuils stratégiques indispensables à la libre circulation d’une économie mondialisée et maritimisée, et par lesquels transitent 30 % du volume de conteneurs (15 % du commerce mondial). Parmi ces premières victimes collatérales figurent le canal de Suez, qui a annoncé une chute de près de 50 % de ses recettes et 37 % du nombre de passages. La plupart des armateurs, au premier rang desquels figurent MSC, Maersk ou la CMA-CGM, préfèrent contourner la mer Rouge par le cap de Bonne Espérance, soit un détour de 6 000 km impliquant une hausse conséquente des tarifs de fret.
La géopolitique ayant horreur du vide, l’appel d’air opérationnel et médiatique créé par le conflit en mer Rouge a délaissé l’océan Indien, où les pirates sévissent de nouveau depuis fin novembre 2023.
En dressant un tableau général de la situation en mer Rouge (première partie) et dans l’océan Indien (seconde partie), l’objectif de cet article sera, notamment, d’étudier les potentiels liens de causalité entre les attaques Houthis en mer Rouge et les attaques pirates dans l’océan Indien.
Une fois les espaces géographiques délimités, il convient d’identifier le type d’acteurs et de menaces auxquelles les navires civils et bâtiments militaires déployés sur zone sont exposés. Ainsi, il est important de distinguer les attaques Houthis [3], groupe insurgé paramilitaire pro iranien motivé par des objectifs politiques, stratégiques, symboliques et médiatiques visant les intérêts israéliens et leurs alliés, des attaques pirates – dont le mode opératoire diffère grandement – motivés par l’appât du gain, et recherchant le ratio gain/risque le plus favorable possible. Les groupes terroristes jouent dans cette équation un rôle différent. Le groupe qaïdiste Al-Shebbab assure un rôle de soutien indirect aux groupes pirates en Somalie. Alors que le chef des rebelles Houthis, Abdul-Malik al-Houthi avait annoncé mi-mars 2024 son intention d’étendre ses attaques vers l’océan Indien, donc dans une zone proche des zones de piraterie, ces distinctions sont d’autant plus importantes.
Carte. Situation en mer Rouge entre novembre 2023 et mai 2024
Copyright pour la carte RiskIntelligence, mai 2024
Mer Rouge : point de situation
La campagne houthie contre le commerce maritime dans le détroit de Bab el Mandeb entame maintenant son sixième mois, et la situation est au beau fixe pour les Houthis. La pression militaire occidentale n’est pas parvenue à empêcher le quasi-État houthi de mener ses frappes en mer Rouge et dans le golfe d’Aden. La voie diplomatique semble quant à elle inefficace, quand elle n’est pas contre-productive.
En novembre 2023, en réaction à l’offensive israélienne sur Gaza, les Houthis avaient annoncé que les navires ayant une affiliation, réelle ou supposée, avec Israël seraient potentiellement ciblés s’ils traversaient le détroit de Bab el Mandeb ou la mer Rouge, précisant que leur ciblage durerait tant qu’Israël mènerait des opérations terrestres à Gaza. Cela s’est traduit sur le terrain par une succession des frappes de missiles et de drones contre des cibles maritimes, qui commencèrent par la saisie spectaculaire du vaisseau israélien Galaxy leader au large du Yémen dès novembre 2023.
Si la campagne houthie se concentrait initialement sur le commerce israélien, le nombre de cibles « acceptables » pour les Houthis a été progressivement élargi pour inclure la majorité des navires de commerce occidentaux, perçus comme alliés des Israéliens. Après cinq mois de campagne, le trafic maritime à travers le détroit de Bab-el-Mandeb et la mer Rouge a baissé de 50 % par rapport à son niveau de l’année dernière.
En réaction, deux coalitions navales largement menées par les Occidentaux (et en particulier les États-Unis) ont été constituées. La première, l’opération Poseidon Archer (OPA), a été chargée de mener des frappes sur le territoire Houthi alors que l’opération Prosperity Guardian (OPG) se charge d’escorter les navires civils à travers le détroit, à laquelle s’ajoute l’opération européenne Aspides au mandat similaire.
Ces opérations armées limitées n’offrent fin mai 2024 aucune perspective de résolution diplomatique ou militaire. Les Britanniques et Américains frappent le Yémen, sans produire d’effets significatifs sur les capacités de frappe houthies.
Que gagnent les Houthis à attaquer le commerce maritime, et par extension à se mettre à dos une partie de l’Occident ? La réponse se trouve dans la perception de soi des Houthis et leur interprétation du monde. Les Houthis sont un petit clan du Nord du Yémen, originaire de Sa’ada, à la frontière avec l’Arabie Saoudite. Les membres du clan se considèrent comme légitimes à régner sur « leur » Yémen, qui correspond, peu ou prou, au territoire de l’ancienne République du Yémen du Nord, dissoute lors de sa réunification avec le Yémen du Sud en 1990. Ennemis intimes des Saoudiens, les Houthis ont mené, bien avant la guerre de 2015, de nombreuses escarmouches contre les forces Yéménites et Saoudiennes.
Neuf ans après l’insurrection réussie, les Houthis se trouvent dans une posture favorable. Ils dominent le Yémen du Nord, et se considèrent comme les vainqueurs d’une guerre occidentale menée par procuration. Cette perception est appuyée par une longue liste de succès militaires et politiques. Effectivement, les Houthis ont survécu [4] à huit ans de bombardements saoudiens et émiratis, décrits comme les marionnettes arabes d’un Occident impérialiste. L’expérience acquise par les Houthis au long de ces bombardements arabes, leur permet aujourd’hui d’atténuer l’efficacité des frappes occidentales. Cette victoire politique des Houthis les place en position de force non seulement face à l’adversaire saoudien, mais aussi face à l’Occident [5].
L’option militaire ayant échoué, et l’Occident ayant depuis longtemps signifié son refus de reconnaître un « Yémen Houthiste », les Houthis ont profité de l’absence de levier dont disposaient leurs adversaires, démunis de toute volonté de projection plausible.
Dans le contexte de la crise post-7 octobre 2023, les Houthis et les Iraniens ont pu trouver un accord pour lancer une campagne anti-israélienne. Si, fondamentalement, c’est l’animosité entre l’Iran et Israël qui pousse les acteurs dans l’orbite iranienne à frapper les cibles « sionistes », les Houthis y ont certainement vu une occasion d’avancer leurs propres pions.
Tout d’abord, les opérations menées par les Houthis renforcent leur rôle dans leur alliance avec les Iraniens, qui dépendent de leurs proxies pour conduire des actions à travers le Moyen-Orient. Cette campagne devrait garantir aux Houthis un appui continu de la part des Iraniens.
Ensuite, la campagne houthie permet de légitimer leur position et de générer un soutien populaire conséquent chez les populations arabes, le plus souvent sunnites, largement acquises à la cause palestinienne.
De plus, cette campagne contribue à affaiblir la puissance saoudienne, et place les dirigeants arabes face à leurs contradictions. Protectrice autoproclamée des musulmans, l’Arabie Saoudite [6] peut difficilement demander aux Houthis de cesser leur réaction militaire aux opérations israéliennes.
Enfin, engagés dans une lutte avec le Yémen du Sud pour le contrôle des flux commerciaux, cette démonstration de puissance renforce le contrôle houthi sur le commerce maritime [7] autour du Yémen.
Où est le blocage ?
C’est paradoxalement la perspective de paix entre l’Arabie Saoudite et les Houthis qui perpétue les hostilités. Après huit ans de conflit, les Houthis et les Saoudiens ont signé un accord de cessez-le-feu, et de complexes négociations sont encore en cours début mai 2024, compliquées par le maximalisme notoire des Houthis et la réticence saoudienne à négocier en position de faiblesse.
L’Arabie Saoudite, qui considère le Yémen comme sa chasse gardée, souhaite négocier une « paix globale » pour le Yémen, préservant les contours d’un Yémen uni (et divisé). Les Houthis ne négocient qu’une paix entre eux et les Saoudiens, qu’ils savent impatients de terminer une guerre dont ils ne veulent plus. Le cessez-le-feu d’avril 2022, qui a mis fin aux frappes mutuelles, constitue la base de ces négociations. Leur échec signifierait un retour à la violence d’avant 2022, et des conséquences dramatiques pour le projet saoudien d’une diversification de son économie, exigeant un environnement stable afin d’attirer l’investissement étranger.
La politique saoudienne de « stabilisation à tout prix » de son voisinage, inhabituellement court-termiste pour le royaume, la mène à passer leurs excès aux Houthis. Les Saoudiens ne condamnent pas les Houthis lorsqu’ils font voler des missiles au-dessus de leur territoire pour frapper les Israéliens. Cela souligne le dilemme politique de l’Arabie Saoudite quand on connaît l’arsenal de batteries anti-missiles déployés le long de ses 1 800 km de côtes sur la mer Rouge, spécifiquement pour contrer les frappes provenant du Yémen. La presse officielle saoudienne ne considère plus les Houthis comme des terroristes, et ne s’indigne plus des escarmouches à sa frontière avec des forces d’allégeance houthie. Surtout, les Américains, désireux de préserver leurs relations avec le royaume qui ne cesse de s’émanciper du parapluie stratégique américain, n’osent plus presser les Saoudiens sur la question yéménite, de peur d’accélérer le délitement d’une alliance bien moins stratégique qu’avant.
L’or noir
Le délitement d’alliances historiques au Moyen-Orient, sur fond d’un réalignement stratégique plus global, a créé un vide sécuritaire qu’exploitent les Houthis.
Le Moyen-Orient et les États-Unis Unis ne sont plus essentiels l’un pour l’autre. Le boom du gaz de schiste américain (qui touche à sa fin) a détourné la première puissance économique du marché moyen-oriental, alors que le « pivot » américain vers l’Asie et la guerre en Ukraine sont les nouvelles priorités de Washington. Parallèlement, le Golfe exporte maintenant plus de 70 % de sa production de gaz et de pétrole vers l’Asie (en particulier en Chine), qui n’est pas associée aux conflits du Moyen-Orient, et qui, à l’exception de Singapour, n’a pas de sympathie particulière pour Israël.
Il n’est donc pas étonnant que ce soit la Chine, principal cliente à la fois de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, qui ait négocié un accord de désescalade entre les deux rivaux régionaux en mars 2023. Les pétromonarchies du Golfe dépendent maintenant de l’Asie [8] pour leurs revenus et sont donc plus sensibles à leurs intérêts. C’est dans ce contexte global qu’il faut comprendre l’annonce houthie que les vaisseaux affiliés aux intérêts chinois ne seraient pas ciblés. Les vaisseaux russes bénéficient eux aussi de la mansuétude houthie grâce à l’alliance russe avec l’Iran et la Chine, premier client du pétrole russe. De plus, le recul américain de la région n’a pas été compensé par l’apparition d’un acteur sécuritaire équivalent, la Chine n’ayant ni les moyens ni la volonté de reprendre le rôle. Quant aux puissances régionales, elles ne présentent aucun dispositif crédible face à la menace houthie.
Les Houthis saisissent l’opportunité créée par cette brèche sécuritaire, aucun acteur étatique n’étant disposé à s’engager dans un nouveau conflit au Moyen-Orient. Une invasion terrestre du Yémen arrêterait momentanément les attaques maritimes, mais n’apporterait pas de solution pérenne, alors que la perspective de l’arrêt des opérations à Gaza ne semble pas se profiler à court terme.
Les Houthis ne semblent pas enclins à marchander les intérêts stratégiques jusqu’ici sanctuarisés par les souverainetés nationales. Dans cette lecture des faits, les attaques houthies rappellent que le statu quo au Moyen-Orient n’est pas une option pérenne.
Sur fond de guerre à Gaza, l’interdépendance terre / mer, le chaos des échelles et l’interconnexion des crises du temps présent.
L’océan Indien
Si tous les regards se tournent, à juste titre, vers les attaques houthies en mer Rouge, le golfe d’Aden et l’océan Indien sont également le lieu d’une recrudescence des attaques de piraterie depuis novembre 2023, une première depuis 4 ans, la précédente attaque confirmée datant d’avril 2019 [9].
Carte. Piraterie en océan Indien entre novembre 2023 et mai 2024
Copyright pour la carte RiskIntelligence, mai 2024.
Là aussi, deux types de piraterie sont à distinguer.
Le premier type de piraterie, situé à proximité des côtes somaliennes, serait certainement lié à des activités de pêche Illégale, Non réglementée, Non déclarée (INN). Un désaccord entre des navires de pêche iraniens et la société basée à Bossasso qui administre les licences de pêche serait la cause des premières attaques observées en novembre 2023, raison pour laquelle de nombreux boutres et navires de pêche piratés sont de pavillon iranien, comme l’Al Kambar ou l’Al Miraj, détournés au large de Bossasso. Les activités de piraterie se seraient alors étendues à d’autres navires, notamment yéménites, considérés en activité de pêche illégale, totalisant une dizaine d’attaques signalées entre novembre 2023 et avril 2024, liées à des contentieux halieutiques. D’autres incidents, comme celui impliquant le navire de pêche Najm le 16 mars 2024, seraient davantage liés à des disputes internes.
Le deuxième type de piraterie est bien plus audacieux et professionnel, et l’attaque du MV Ruen le 14 décembre 2023 est dans ce contexte intéressante à étudier. Premier détournement réussi d’un navire commercial par des pirates somaliens depuis 2017 [10], cette affaire aurait pu marquer le retour de l’âge d’or de la piraterie des années 2008-2012. Pour rappel, le Ruen, vraquier battant pavillon maltais, avait été attaqué par des pirates somaliens depuis une embarcation rapide, avant d’aborder le navire et de le détourner vers son lieu de détention, un mouillage au large de Bander Murcaayo, au Puntland. Avant sa libération le 16 mars 2024 par les forces armées indiennes déployées depuis la frégate INS Kolkata, menant à l’arrestation des 35 pirates et à la libération des 17 membres d’équipage, le Ruen aurait pu servir de curseur afin de déterminer si la piraterie redevenait une entreprise rentable, dans un contexte de fin de période de mousson, et une attention internationale centrée sur la mer Rouge laissant aux pirates un espace permissif et de manœuvre certain. Par le biais de cette attaque, les pirates ont démontré le maintien de leurs compétences et leur appétence pour mener des attaques en haute mer, à plus de 430 nautiques des côtes. Différentes sources suggéraient que le Ruen avait pu servir de bateau-mère pour mener des raids contre d’autres navires dans la région, comme le MV Abdullah [11], détourné le 12 mars 2024 et libéré un mois plus tard, mais cette hypothèse semble peu probable du fait que le MV Ruen était pisté par la marine indienne, qui fut par la suite en mesure de mener son opération de reprise de vive force une fois le navire sorti des eaux territoriales somaliennes.
Dans ce contexte, la situation à terre est également importante à prendre en compte. Dans la région côtière de Bari, au large de laquelle furent retenus au mouillage le MV Ruen, puis le MV Abdullah [12], il est probable que ces opérations aient été rendues possibles à la suite d’un accord avec les Shebbab, qui laisseraient opérer les pirates en contrepartie du versement d’une partie des rançons, estimée à 30 %. Quant à eux, les pirates peuvent mener leurs raids, et profiter de l’armement issu des réseaux d’armes de trafiquants des Shebbab.
Les pirates ont également conservé leur savoir-faire pour mener des attaques à long rayon d’action, démontré lors de l’attaque du vraquier Waimea à 764 nautiques des côtes somaliennes le 27 janvier 2024. Les raids au-delà des 200 miles marins sont menés à partir d’un bateau-mère, certainement depuis des boutres détournés quelques jours plus tôt. En haute mer, le scénario le plus probable est donc celui de pirates qui opèrent à partir de bateaux-mères à la recherche de cibles, en attendant des conditions de mer favorables, et dans des zones éloignées des patrouilles navales potentielles. D’après les estimations de la RiskIntelligence et du MSCHOA, et compte tenu de la distance séparant les zones d’attaques, il est probable que deux à trois groupes pirates opèrent en haute mer. Ce fut par exemple le cas lors de l’attaque du chalutier Lorenzo Putha 4 le 27 janvier 2024, détourné à environ 840 miles à l’Est de la Somalie par un groupe pirate qui opérait plus au Sud, quand un autre groupe attaquait plus au Nord, nécessitant l’intervention par la marine indienne du Lila Norfolk à 460 miles nautiques de la Somalie.
S’il n’y pas de causalité directe entre la recrudescence des attaques pirates et la crise en mer Rouge, il est toutefois possible que certains réseaux pirates aient été réactivés pour profiter de l’attention portée à la mer Rouge, délaissant ainsi l’océan Indien, dont les moyens déployés par l’EUNAVFOR Atlanta [13] – qui fêtait en novembre 2023 ses 15 ans – et la CTF 151 étaient déjà réduits.
D’autres facteurs sont susceptibles d’entrer en jeu dans cette recrudescence d’attaques. Si l’industrie maritime continue de jouer un rôle central en suivant les Best Management Practise (BMP5), la vigilance des équipages a pu s’atténuer avec plusieurs années sans attaque pirate réussie, puis le retrait du statut de High Risk Area (HRA) de la zone par l’Organisation maritime internationale. De plus, dans une logique d’économie, le déploiement des Private Contracted Armed Security Personnel (PCASP) était moins systématique.
Compte tenu de l’appel d’air en mer Rouge et la mise en place des opérations énergivores en moyens Prosperity Guardian, lancée en décembre 2023, et la mission européenne Aspides, lancée le 19 février 2024, l’Inde [14] a saisi l’opportunité de s’imposer comme un acteur sécuritaire régional majeur et à jouer le rôle de gendarme de l’océan [15] qui porte son nom. Outre l’occasion opportunément saisie d’affirmer sa présence, ces opérations antipirateries ont également permis à New Dehli de faire une démonstration, à grands renforts de communication [16], de ses savoir-faire opérationnels et juridiques. Effectivement, l’Inde a déployé sur zone un important dispositif dans le cadre de l’opération Sankalp, ayant permis de mener dans de courts laps de temps des opérations de libération d’otages complexes, impliquant des Tarpons (parachutage en mer de forces spéciales) à 1 400 nautiques des côtes indiennes.
À ce stade, il est encore tôt pour affirmer un retour de l’âge d’or de la piraterie en océan Indien. L’industrie maritime est déjà préparée, les Combined maritime force (CMF) structurées et déployées, comme les structures participant au partage de l’information maritime [17]. L’océan Indien demeure toutefois une zone de vigilance majeure, dont le sort reste lié à l’évolution de la situation en mer Rouge.
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[1] Le Hamas a démontré lors de son offensive une capacité d’incursion par voie maritime avec de petites embarcations, toutes interceptées par la marine israélienne, affichant un bilan plutôt mitigé sur le plan opérationnel. Ce fut toutefois l’occasion pour le Hamas de démontrer son savoir-faire dans ce domaine, et d’alimenter sa propagande via l’utilisation habile de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. En revanche, l’étroite façade israélienne en mer Rouge, ainsi que le port d’Eilat, furent davantage pris pour cible par divers tirs de missiles. Le 8 avril 2024, la marine israélienne a pour la première fois mis en œuvre son système anti-missile C-Dome embarqué sur les corvettes Sa’ar-6.
[3] Qui s’inscrivent ici dans le cadre d’une extension de conflit, usant de modes d’action considérés hybrides et asymétriques.
[4] Les Houthis ont battu l’adversaire saoudien, qui à leurs yeux, négocie les termes de sa reddition, même si entre 2015 et 2022, seuls les pilotes étaient Saoudiens. Le renseignement et toute la chaîne logistique nécessaire pour mener des opérations aériennes étant largement américain ou occidental.
[5] En effet, les Houthis ont su déceler l’essoufflement interventionniste américain, en particulier après la retraite d’Afghanistan.
[6] Même l’Egypte, d’ordinaire si prompte à brandir le bâton, n’ose pas réagir à une action militaire qui la prive pourtant des cruciaux revenus du canal de Suez.
[7] Les Houthis avaient déjà attaqué des navires de commerce dans les ports au Sud, exigeant d’eux qu’ils se plient aux ordres houthis, même dans les ports situés hors de leur zone de contrôle. Plusieurs navires rapportent régulièrement être contraint par radio de se rendre à Houdayda, l’unique port houthi sur la Mer Rouge.
[8] À la différence de l’Occident, l’Asie n’a aucun passif colonial ou militaire dans la région, permettant une liberté de manœuvre politique que l’Occident n’a pas.
[10] En mars 2017, Les pirates somaliens s’étaient emparés du pétrolier Aris 13 à partie de deux skiffs, et avait été retenu au mouillage au large de Caluula, au Puntland somalien.
[11] Le MV Ruen a été libéré après avoir été détenu plus longtemps que le vraquier MV Abdullah, libéré le 14 avril 2024 après avoir payé une rançon de 5 millions de dollars, après avoir été détourné par une vingtaine de pirates à 580 nautiques de Mogadiscio, prenant en otage 23 membres d’équipage. Le navire fut retenu au mouillage au large des côtes somaliennes, à proximité du lieu où le MV Ruen était également retenu.
[12] RiskIntelligence, Monthly Intelligence Report April 2024.
[14] Et dans une moindre mesure les autres marines impliqués dans la régions appelées Independant deployers (Chine, Inde, Pakistan…) Approfondir : Khyati Singh et Gaurav Sen, “India’s Anti-Piracy Missions Were Years in the Making”, The Diplomat, 29 février 2024. https://thediplomat.com/2024/02/indias-anti-piracy-missions-were-years-in-the-making/
[15] Cette activité indienne est notamment un rappel à la Chine qui place ses pions en océan Indien par le biais de déploiements réguliers de bâtiments militaires dans la zone, et l’implantation de la base de Doraleh à Djibouti, première et imposante base militaire chinoise à l’étranger.
En 2022, la décision de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] d’accélérer le retrait de sa flotte d’avions de transport tactique Transall C-160 a eu pour effet de priver l’Escadron électronique aéroporté 01.054 Dunkerque de ses deux C-160 « Gabriel », qu’il a exploités jusqu’au dernier moment pour collecter du renseignement d’origine électro-magnétique [ROEM] en mer Noire et en mer Baltique. Et cela, sans attendre l’arrivée de leurs successeurs, à savoir trois Falcon « Archange » [Avion de renseignement à charge utile de nouvelle génération].
Avec la guerre en Ukraine, d’aucuns ont estimé que le retrait de ces deux appareils n’était pas opportun. Alors major-général de l’AAE, le général Frédéric Parisot s’en était expliqué, lors d’une audition parlementaire. « Je suis le responsable de l’arrêt des Transall ‘Gabriel’ et je l’assume : dix Transall nous coûtaient plus de 80 millions d’euros par an, pour une disponibilité de 20 %. Plutôt que de faire des coupes ailleurs, j’ai choisi de les retirer du service », avait-il dit. Et d’assurer que des mesures avaient été prises pour maintenir les compétences dans le domaine de la guerre électronique.
Pour autant, même si elle n’était pas totalement démunie en matière de ROEM, avec les satellites CERES [Capacité d’écoute et de renseignement électromagnétique spatiale], les capacités dédiées de l’Avion légers de surveillance et de renseignement [ALSR] « Vador », la suite MSE [Mesures de soutien électronique] de ses quatre E-3F AWACS, les nacelles ASTAC [Analyseur de Signaux TACtiques] de ses Mirage 2000D ou encore ses drones MQ-9A Reaper, l’AAE se mit en quête d’une solution « intérimaire » pour palier le retrait des deux C-160G Gabriel.
D’où le contrat SOLAR, censé permettre de disposer d’une capacité ROEM aéroportée dans l’attente de la mise en service des trois Falcon Archange, prévue entre 2028 et 2030. Celui-ci n’a fait l’objet de beaucoup de publicité… Si ce n’est que l’intention de l’AAE était de louer un avion de type Saab 340, équipé de « capteurs de nouvelle génération ».
Le contrat SOLAR a été attribué à CAE Aviation, partenaire de « confiance » du ministère des Armées [et en particulier de la Direction générale de la sécurité extérieure].
Quoi qu’il en soit, depuis quelques temps, un Saab 340, à la livrée blanche et rouge, peut être aperçu aux abords de la base aérienne 105 d’Évreux, où est implanté l’escadron 01.054 Dunkerque. Via sa boutique en ligne, l’unité commercialise même un « patch » représentant cet appareil.
Pouvant emporter jusqu’à 34 passagers, le Saab 340 est doté de deux turbopropulseurs General Electric CT7 lui permettant de voler à une vitesse de croisière de 270 nœuds [500 km/h]. Son autonomie est de 1730 km. Quant aux capteurs qu’il est censé mettre en œuvre, ils font probablement partie – du moins pour certains – de la suite AGOMS [Air Ground Operational Management System] développée par CAE Aviation
« AGOMS est le seul système de mission qui permet de piloter et fusionner la totalité des capteurs embarqués sur nos avions ISR : radars de surveillance terrestre ou maritime, systèmes ROEM, boules gyro-stabilisées EO/IR, AIS, etc. », explique en effet l’entreprise.
Fondée en 2016 sous le nom de « Earthcube », la société Preligens propose des solutions permettant d’identifier automatiquement des matériels militaires et/ou de repérer tout mouvement inhabituel sur des sites d’intérêts grâce à des photographies prises par satellite soumises à des algorithmes d’intelligence artificielle [IA]. Ayant très vite suscité l’intérêt de la Direction du renseignement militaire [DRM], elle a été soutenue par le ministère des Armées, via notamment son fonds Definvest, géré par Bpifrance, alors qu’elle était convoitée par In-Q-tel, le fonds d’investissement de la CIA.
En 2022, la Direction générale de l’armement [DGA] notifia à Preligens un contrat-cadre d’une valeur maximale de 240 millions d’euros sur sept ans, au titre du programme TORNADE [Traitement Optique et Radar par Neurones Artificiels via Détecteur], mené au profit de la DRM ainsi qu’à celui d’autres unités « tournées vers les opérations », comme le Commandement des opérations spéciales [COS] et le Commandement de la cyberdéfense [COMCYBER].
On aurait pu penser que l’avenir financier de l’entreprise allait être assuré. Seulement, selon le quotidien Les Échos [édition du 18 mars], le ministère des Armées n’a pas reconduit deux « contrats clés » dans l’imagerie radar et optique, « faute de moyens ou d’intérêt d’emploi». Or, ils représentaient près de la moitié du chiffre d’affaires de Preligens. Afin de disposer des moyens nécessaires à son développement [et à sa pérennité], cette « pépite technologique » s’est mise en quête d’un repreneur, qui pourrait être Safran [Thales s’est mis en retrait et il est exclu de recourir à un investisseur non européen].
En attendant, Preligens continue à élargir sa gamme de solutions afin de trouver de nouveaux clients. Ainsi, ce 7 mai, l’entreprise a annoncé le lancement de « nouveaux détecteurs d’intelligence artificielle optimisés pour détecter et classer tout objet d’intérêt militaire sur imagerie satellite SAR [Synthetic Aperture Radar] ».
Et d’ajouter : « Ces détecteurs innovants combinent le savoir-faire de pointe de Preligens en matière d’analyse d’images optiques à de nouvelles capacités d’analyse SAR. Est ainsi redéfini l’état de l’art du traitement multispectral par IA pour la communauté de la défense et du renseignement ».
Combinée aux satellites de reconnaissance optique, comme ceux de la constellation française CSO, cette capacité permettra d’assurer une couverture permanente des sites intéressant le renseignement militaire, les engins en orbite dotés d’un radar à synthèse d’ouverture [RSO] collectant des données quelles que soient les conditions météorologiques.
« Nos clients, qui apprécient déjà les performances de nos détecteurs en opération, ont exprimé le besoin de capacités complémentaires de surveillance par toutes conditions météorologiques 24h sur 24, qu’offre l’imagerie SAR. Nous savons que les images optiques sont plus intuitives, elles sont aussi utilisées comme référence par les analystes, nous avons donc décidé d’aborder l’analyse SAR en combinant, de manière innovante, les informations contenues dans les images optiques et de SAR », a expliqué Jean-Yves Courtois, le PDG de Preligens.
« Cette annonce souligne notre volonté de repousser les limites de l’innovation dans le domaine de l’intelligence artificielle géospatiale et notre engagement à offrir à nos clients les solutions les plus performantes qui correspondent à leurs besoins », a-t-il ajouté.
Pour mettre au point cette nouvelle solution, Preligens a noué un partenariat avec la société Capella, ce qui lui a permis d’accéder à un important volume d’images SAR de haute qualité. Cela lui ainsi permis de développer un « détecteur d’aéronefs » ayant « déjà démontré d’excellentes performances », a-t-elle indiqué. « D’ici la fin de l’année, sera également engagé le développement d’un détecteur de navires », a-t-elle précisé.
Justement, dans le domaine naval, plus précisément dans celui de la guerre sous-marine, Preligens a d’autres projets en cours, comme celui consistant à analyser les signaux acoustiques grâce à l’IA.
Au moment de la création de l’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de Défense [AMIAD], le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait évoqué des « premiers essais en matière d’IA appliquée à l’acoustique sous-marine […] bouleversants».
Le terrible attentat qui a frappé Moscou le 22 mars dernier (150 morts et plus de 450 blessés )est l’occasion pour l’auteur, spécialiste du terrorisme) de se poser quelques questions sur l’origine des acteurs de cet attentat. Certainement pas l’Ukraine , comme a voulu le faire croire la propagande russe. Mais sans doute « l’État islamique du Khorasan ». L’auteur explique les racines et les modes d’action de cette organisation terroriste méconnue en occident mais inquiétante.
QUE sait-on à ce jour des terroristes ayant frappé Moscou (désormais, quelque 150 morts) ? Tous quatre sont arrivés d’Istanbul peu avant l’attentat. La « spécialité » de l’État islamique – ci-après ISIS-K – au Khorasan (Aire historique entre Iran oriental et Asie centrale) étant l’attaque de mosquées en mode « stratégie de la tension », la trouvaille (outre des photos du complexe culturel moscovite) de celles de mosquées d’Istanbul dans le smartphone d’un des terroristes a précipité la coopération entre le renseignement russe (FSB) et son homologue turc, le MIT.
Peu après, le MIT découvrait près d’Istanbul deux bases secrètes d’ISIS-K et y arrêt- tait 32 Tadjiks et 9 Kirghizes. Après interrogatoire des plutôt rugueux services turcs, les aveux ont afflué. Selon nos sources, ils ont permis d’identifier en Russie cinq réseaux dormants, entre Moscou et Toula ; et des métastases de l’appareil d’ISIS-K, jusqu’en Afghanistan et en Syrie.
Des prises de sang ont révélé qu’avant l’assaut, ces quatre terroristes Tadjiks de 19 à 32 ans se sont dopés au Capta gon, la « Drogue du courage » des milices du Moyen-Orient, amphétamine violemment stimulante, permettant de veiller des nuits entières. Ici, première incohérence : la guerre « sainte », Djihad, diffère de la « mission de sacrifice » (Shahadat) dont on ne revient pas et où des « martyrs » sacrifient leur vie pour l’Oumma (communauté des croyants). On a pu autopsier de ces « martyrs » après de telles missions : nul d’entre eux, jamais, n’avait absorbé d’alcool ou d’excitants.
Ceux de Moscou, oui. Étrange.
Mais l’enquête des services russes, turcs et tadjiks ne saura se borner aux constatations humaines ou matérielles : une tâche autrement plus ardue les attend : découvrir ce que camoufle l’appellation (tout sauf claire) d’ »État islamique au Khorasan ». De fait, poser un diagnostic juste suppose l’usage de termes appropriés mais d’abord, de savoir de quoi on parle. Or après le terrible attentat de Moscou, les médias dépeignent l’ »État islamique », Daesh de son acronyme arabe, comme une entité terroriste banale et bien connue, genre al-Qaïda, pour garder le registre islamiste.
Alors que Daesh est tout sauf ça – et traîne même dès son émergence, voici près de vingt ans, une persistante réputation d’agent provocateur.
Son fondateur – Abu Musab al-Zarkawi (kuniya, nom de guerre, de Ahmed Fadel Nazar al-Khalaylah), voyou toxicomane issu de la ville de \arka, proche d’Amman en Jordanie, islamisé en prison. Lourdement condamné puis bizarrement libéré, Oussama ben Laden le soupçonne d’avoir été recruté par les services spéciaux jordaniens et le tient à distance. Ensuite, Karkawi multiplie les attentats-provoc’ contre des mosquées chi’ites irakiennes, déclenchant une guerre sectaire bien utile à l’armée américaine, en mode « diviser pour régner ». Et quand Karkawi quitte Al-Qaïda en Irak, première étape de la fondation de « l’État islamique », on ne voit pas al-Qaïda s’en désoler beaucoup.
Son architecte – Plus bizarre encore : toute l’architecture de l’appareil politico-militaire de Daesh – son « code-source » dit un expert irakien de l’islamisme – revient à Samir abd Muhammad al-Khlifawi dit « Hajj Bakr ». Un fanatique moudjahid ? Non : un colonel du renseignement de l’armée de l’air de Saddam Hussein. Retrouvé aux archives de l’état-major irakien, son dossier contient des photos d’un bon vivant trin- quant, verre de whisky en main, près de son épouse en robe légère et cheveux au vent. Pas très salafiste, tout ça…
Son encadrement – Fin 2017, des « Sources informées israéliennes » – difficile d’être plus clair… – produisent une remarquable étude sur l’encadrement de l’État islamique, partant des dossiers de 129 de ses dirigeants, dûment identifiés : à 73% irakiens et TOUS issus de l’armée, des services spéciaux ou de la police de Saddam… Pas vraiment la sociologie d’un groupe islamiste… À Bagdad, un dignitaire chi’ite ironise : « l’État islamique, c’est l’appareil régalien de Saddam, plus les barbes et les siwak » (Bâtonnets en bois odorant servant de brosse à dents ; populaires chez les islamistes, car le Prophète en usait souvent).
Dans la galaxie État islamique, ISIS-K n’est qu’une lointaine filiale, issue en 2014 d’une scission des Taliban du Pakistan différents de ceux de Kaboul. Depuis, ISIS- K survit à l’est du pays, commettant parfois un attentat meurtrier : 13 soldats américains tués lors de l’évacuation de Kaboul à l’été 2021, un attentat-suicide à l’ambassade russe locale, en septembre 2022.
Autre mystère : au pouvoir à Kaboul, les Taliban afghans surveillent les bases d’ISIS-K à l’est du pays et affirment aux services russes qu’aucun téléphone des terroristes ayant frappé Moscou ne les a contactées. Mais qui donc finance ISIS-K ? Qui déclenche ses attentats ? On l’ignorera jusqu’à ce que l’enquête Russo-turco-tadjike ait abouti si ses résultats sont un jour dévoilés.
(*) Xavier Raufer, criminologue, est directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est Professeur associé à l’institut de recherche sur le terrorisme de l’université Fu Dan à Shanghaï, en Chine, et au centre de lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la corruption de l’Université Georges Mason (Washington DC). Directeur de collection au CNRS-Editions, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme.