La France éblouit le reste de l’Europe avec le programme le plus ambitieux du continent pour la modernisation de son armée de Terre
Le programme de transformation de l’armée de Terre française SCORPION fête ses 10 ans.
Dix ans se sont écoulés depuis le lancement du programme SCORPION, un projet qui a radicalement transformé les capacités terrestres de l’armée française. Un événement de deux jours début avril a servi de vitrine pour prouver l’efficacité et à la pertinence des systèmes qui composent ce programme. De nombreuses délégations étrangères y étaient présentes, témoignant de l’intérêt international pour ces innovations françaises.
Le programme SORPION fête ses 10 ans à réinventer l’armée de Terre française
Le programme Scorpion, lancé en 2014, vise à moderniser les capacités de combat de l’armée de Terre française. Son budget est inclus dans la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, qui prévoit des investissements significatifs pour les équipements militaires. Pour la période 2024-2030, le budget total des armées françaises est de 413,3 milliards d’euros, avec une augmentation progressive chaque année, atteignant 68,9 milliards d’euros en 2030. Le programme Scorpion inclut la livraison de 1 872 véhicules blindés Griffon, 300 Jaguar et 103 Serval d’ici 2033. En 2024, des crédits supplémentaires sont alloués pour soutenir les programmes à effet majeur, dont Scorpion.
KNDS suit la cadence
Depuis la mise en service des premiers véhicules en 2019, le site de montage final de KNDS France, situé à Roanne, a vu sa capacité de production tripler, passant de 92 à 300 véhicules par an. Cet accroissement fulgurant vise un objectif encore plus ambitieux : atteindre une production de 450 unités par an pour l’ensemble des modèles du programme. Cette montée en puissance témoigne de l’engagement de la France dans la modernisation de ses forces terrestres.
De 3 à 6 versions du véhicule GRIFFON
Initialement prévues en trois versions, les configurations du véhicule GRIFFON s’élargissent aujourd’hui à six, incluant notamment le GRIFFON MEPAC, doté d’un mortier embarqué pour l’appui rapproché, livré fin 2024. Ces véhicules ne se contentent pas de combler les lacunes des versions précédentes mais introduisent des améliorations substantielles en termes de puissance de feu et de capacités médicales, doublant la capacité d’évacuation des blessés graves.
Une modernisation des capacités de communication
Le programme SCORPION marque une évolution majeure dans les capacités de communication du champ de bataille avec l’intégration de stations compatibles avec le système satellite Syracuse IV. Cette modernisation est le fruit d’un consortium temporaire d’entreprises, soulignant l’importance de la coopération industrielle dans le succès de SCORPION.
En outre, les véhicules SCORPION sont conçus pour intégrer le Système d’Information du Combat SCORPION (SICS), permettant une numérisation en temps réel du champ de bataille et un combat collaboratif. Cette intégration fait de la 6e Brigade Légère Blindée la première brigade interarmes complètement « SCORPIONisée ».
Avancées technologiques et opérationnelles
Les retours d’expérience des déploiements des véhicules GRIFFON dans le Sahel et en Europe de l’Est ont permis des améliorations significatives sous l’Increment 2 du programme. Ces modifications visent à augmenter la robustesse des véhicules et à optimiser leur discrétion et ergonomie, avec des tests de qualification prévus cette année et une intégration des améliorations dès 2026.
Une vitrine internationale de l’excellence française
L’exercice BIA23 a mis en lumière le rôle crucial du consortium GME EBMR dans l’actualisation des capacités de ciblage d’artillerie et de communication par satellite, renforçant la position de la France en tant que leader en matière de technologie de défense terrestre. Les Jours du SCORPION ne sont pas seulement une démonstration de force, mais aussi une plateforme d’échange doctrinal et logistique essentielle pour façonner l’avenir de la guerre terrestre.
Les programmes militaires similaires en Europe
En Europe, plusieurs programmes équivalents au programme SCORPION de l’armée de terre française sont en cours de développement. Par exemple, l’Allemagne travaille sur le programme Puma, qui vise à moderniser ses véhicules de combat d’infanterie. L’Italie a également le programme Freccia, destiné à améliorer ses capacités de combat blindé. En outre, l’Union européenne encourage la coopération entre États membres pour développer des capacités militaires communes via le Fonds européen de défense (EDF). Ces initiatives visent à renforcer l’interopérabilité et la modernisation des forces terrestres européennes.
Programme
Pays
Objectif Principal
Coût Estimé (milliards €)
Nombre de Véhicules
Puma
Allemagne
Modernisation des véhicules de combat d’infanterie
12,5
405
Freccia
Italie
Amélioration des capacités de combat blindé
1,8
250
Ajax
Royaume-Uni
Développement de véhicules de reconnaissance et de combat
3,5
589
CV90
Suède
Modernisation des véhicules de combat d’infanterie
L’économie russe résistera-t-elle à l’arrêt de la guerre en Ukraine ?
8897048 05.04.2025 Sappers of the 539 Separate Engineer Battalion of the 42nd Guards Division with the Dnepr Group of the Russian Armed Forces inspect an area for mines and explosive devices amid Russia’s military operation in Ukraine, in Zaporozhye region territory, that has accessed Russia. Konstantin Mihalchevskiy / Sputnik//SPUTNIK_8897048_67f4ed1c2f863/Credit:Konstantin Mihalchevskiy//SIPA/2504081201
par Eugène Berg – Revue Conflits – publié le 12 avril 2025
L’économie russe est dopée à la dépense publique pour la défense et pour l’armée. Des dépenses qui engendrent certes de la croissance mais aussi de l’inflation. La paix revenue, le réveil risque d’être brutal.
Cette année, Dimitri, modeste colporteur à Kostino, sur les rives de l’Ienisseï, qui coupe la Sibérie en deux, a décidé d’organiser chez lui les cérémonies de la Pâque orthodoxe. Elle tombe cette année le 20 avril, le même jour que la catholique, et il a entendu sur le premier canal de TV, qu’à cette date, Donald Trump, « l’ami de notre président » a promis de mettre fin à la guerre. Il lui faut pour cela acheter une quantité d’œufs, trouver des peintures de toutes les couleurs pour les peindre, tout cela en plus de tous les autres ingrédients indispensables. Des œufs ? Leur prix est passé de 130-150 roubles la douzaine (1,3 à 1,5 euro) à 200 roubles, mais ne renchériront-ils pas devant la forte demande ? Lui faut-il les commander à l’avance ? Bien sûr son salaire l’an dernier a grimpé de 10%, ce qui est le taux officiel d’inflation, mais il le sait, il ne s’agit que d’une statistique moyenne.
L’inflation en Russie est-elle supportable ?
Afin de contenir cette poussée inflationniste, qui s’inscrit bien au-dessus de l’objectif de la Banque centrale de Russie (BCR) de 4 %, son gouverneur Mme Naboioullina, a haussé le taux d’escompte à 21% et l’a maintenu à ce niveau, alors que bien des représentants du secteur industriel, étranglés par ces taux, ont plaidé avec force au Kremlin pour sa diminution. Car les taux des banques sont à 30%. Aucune petite entreprise ne peut emprunter à de tels taux !
Dans tout pays émergent, un tel taux d’inflation rend difficile d’assurer le service de sa dette extérieure, étant donné que sa monnaie se déprécie. Or le niveau de la dette publique russe paraît bien bas au regard de celle de la majorité des pays européens ou du Japon, elle ne se situe qu’aux environs des 17-20% du PIB. Au surplus, la Russie bénéficie d’un large matelas de réserves, qui, si près de la moitié (235 milliards d’euros) ont été gelés et non saisis, restent encore substantielles.
our le moment, cette situation paraît supportable. Mais le dilemme de Dimitri reste entier. Il est celui de millions de Russes, qui ne vivent pas dans les grandes villes, ou qui ne travaillent pas dans les vaches à lait du système, forces armées, forces de maintien de l’ordre, silovikis, secteur énergétique ou industries d’armement.
Le complexe militaro-industriel a été artificiellement gonflé par la guerre ?
C’est la hausse phénoménale des dépenses, liées à l’effort de guerre – elles ont triplé en moins de quatre ans – qui explique la bonne santé de l’économie russe : elles représentent 6,8% du PIB et 40% des dépenses budgétaires, et expliquent 40% de la croissance russe.
Si l’on y ajoute les dépenses de sécurité, cela atteint 8,7% du PIB. Les « mangeurs d’acier » du temps du régime soviétique ont repris du service et n’ont cure du beurre ou des œufs. Près d’un million de Russes ont rejoint les industries de défense où ils bénéficient de beaux salaires, ayant peut-être à l’esprit ce mot du moraliste français Chamfort : « La guerre nourrit son homme, s’il ne le tue pas ». La réalité en Russie est devenue tout autre, car la mort d’un combattant fournit à sa famille des revenus supérieurs à ceux qu’il aurait gagnés durant toute sa vie de labeur.
Pour les Russes, qui vivent dans des régions éloignées, comme Dimitri, s’engager dans la guerre rapporte gros : en moyenne ils touchent 2 300 euros par mois en combattant en première ligne, alors que les revenus mensuels de Dimitri n’atteignent que 700 à 800 euros. Lorsqu’un soldat meurt en Ukraine, ses proches reçoivent la « coffin money », », qui peut s’élever jusqu’à 150 000 euros, somme astronomique par rapport aux moyens de nombre d’engagés. Cette soudaine richesse offre un essor économique à des régions désargentées de Russie. Mais si certains évoquent l’émergence d’une nouvelle classe moyenne, il est probable que ce ne soit que de courte durée, car la paix interviendra un jour ou l’autre, et alors les primes disparaîtront, les salaires stagneront s’ils ne tombent, les économies auront été rongées par l’inflation. Cet enrichissement pourra s’effondrer aussi rapidement qu’il est arrivé. En attendant, l’effet d’aubaine n’a pas échappé aux plus cyniques : le quotidien économique coréen Mail Business Newspaper a noté une explosion de 74 % des prix des cercueils en Russie depuis le début du conflit.
La fin de la guerre pourra conduire à une récession.
Tout ceci explique que la croissance de l’économie a été plus forte en 2024 (4,1%) qu’elle ne l’a été en 2023 (3,6%), pourtant une « bonne » année. On devrait s’orienter vers une croissance limitée de 1,5 % à 2% en 2025, car les dépenses liées à la guerre ont atteint leur plafond. Si la paix devait survenir au début de l’été 2025, l’atterrissage de l’économie russe, dopée par bien des dépenses gonflées, risque de ne pas atterrir en douceur. Elle devra se reconvertir une fois de plus, processus long et coûteux.
Avant l’été, Moscou devra prendre des décisions difficiles : augmenter ou diminuer les dépenses militaires, limiter la croissance, doper l’inflation ou amoindrir le niveau de vie des Russes. Pour le moment, Dimitri pourra célébrer la Pashka avec faste, mais qu’en sera-t-il demain ? Le conflit avec l’Ukraine risque d’avoir des effets durables sur les finances des citoyens et sur les inégalités entre riches et pauvres. Selon le média d’investigation russophone The Insider, les disparités se sont déjà creusées depuis 2022 et cela risque d’aller de mal en pis. Les classes moyennes et populaires sont d’ores et déjà les grandes perdantes de cette guerre. Les plus fortunés, eux, s’enrichissent encore. « Un être qui s’habitue à tout, voilà, je pense, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’homme », a écrit Dostoïevski, se souvient Dimitri.
Ambassadeur Christian Lechervy, Co-auteur de « L’Asie – Pacifique : nouveau centre du monde », Odile Jacob. Secrétaire permanent pour le Pacifique – Ambassadeur de France auprès de la Communauté du Pacifique (CPS ) (2014 -2018). Conseiller pour les affaires stratégiques et l’Asie -Pacifique du Président de la République (2012 – 2014). Directeur adjoint de la Prospective au ministère des affaires étrangères (2010 – 2012). Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée le 8 avril 2025. Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.
Comment l’Asie-Pacifique prend-elle sa part dans la désoccidentalisation du monde ? Mais c’est quoi l’Asie-Pacifique ? L’Asie-Pacifique rassemble 17 pays, du Nord au Sud : de la Mongolie au Timor-Leste, d’Est en Ouest, de la Chine au Japon. Ces 17 pays ont bien sûr des caractéristiques différentes, mais ils sont tous reliés au bloc de civilisation sinisée. L’Inde et l’Australie n’en font pas partie. L’Asie – Pacifique, est-elle vraiment le nouveau centre du monde ? Pour répondre à cette question nous avons l’honneur de recevoir l’Ambassadeur Christian Lechervy, co-auteur de « L’Asie – Pacifique : nouveau centre du monde », aux éditions Odile Jacob. Podcast, vidéo et synthèse rédigée, validée par C. Lechervy.
Cette émission [1], Planisphère, L’Asie – Pacifique, vraiment le nouveau centre du monde ? Avec C. Lechervy, sur RND
Synthèse de cette émission, Planisphère, L’Asie – Pacifique, vraiment le nouveau centre du monde ? Avec C. Lechervy. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com. Relue et validée par C. Lechervy
L’ASIE-PACIFIQUE est aujourd’hui au cœur des dynamiques économiques et stratégiques mondiales. Avec 17 pays allant de la Mongolie au Timor oriental, et de la Chine au Japon, cette région se distingue par une histoire commune marquée par la civilisation sinisée. Mais en quoi cette région peut-elle être qualifiée de « nouveau centre du monde » ? L’ambassadeur Christian Lechervy, co-auteur de « L’Asie-Pacifique, nouveau centre du monde » (éd. Odile Jacob), éclaire cette question.
Une région en pleine structuration
Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les États-Unis domineraient l’Asie-Pacifique, la réalité est plus complexe. La région s’est organisée en particulier à partir de l’Association des nations d’Asie du sud-est (ASEAN), notamment à partir du moment où la Birmanie, le Cambodge, le Laos et le Vietnam se sont joints à elle, donnant ainsi le sentiment à la région d’avoir (re)trouvé son unité. Cette organisation régionale favorise la coopération intra-asiatique entre les pays d’Asie du Sud-Est eux-mêmes mais également avec l’Asie du Nord-Est (Chine, Japon, Corée) mais encore avec le reste du monde : l’Europe, le Proche et Moyen-Orient, les États des Amériques voire l’Afrique et le Pacifique.
La région connaît une forme de régionalisation en propre dans la mondialisation : elle s’intègre progressivement à l’économie mondiale tout en développant des mécanismes de coopération économiques, commerciaux et financiers internes.
La compétition stratégique sino-américaine
L’une des tensions majeures en Asie-Pacifique réside dans la rivalité entre la Chine et les États-Unis. La Chine a considérablement renforcé ses capacités militaires, notamment navales, pour projeter sa puissance bien au-delà de ses frontières, vers l’océan Indien, le Pacifique central et l’Arctique. Toutefois, son accès aux océans reste contraint par des barrières naturelles comme le détroit de Malacca ou le détroit de Taïwan.
Pour les États-Unis, cette expansion représente un défi stratégique majeur. Washington cherche donc à maintenir une présence forte dans la région, en renforçant ses alliances et en développant des stratégies de containment.
Une contestation des règles de la mondialisation
Depuis la fin de la Guerre froide (1990-91), l’Asie-Pacifique a cherché à s’émanciper des cadres occidentaux de la mondialisation pour établir ses propres mécanismes de coopération. Toutefois, dès la Conférence de Bandung en 1955, une volonté d’indépendance vis-à-vis des puissances occidentales s’est manifestée. Aujourd’hui, cette tendance se poursuit à travers des groupements comme les BRICS auxquels l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande viennent de se joindre au Global South, qui visent à redéfinir les règles économiques et politiques mondiales.
L’Asie-Pacifique se positionne ainsi comme un acteur central, demandant à être mieux reconnue, cherchant à négocier avec l’Europe et les Amériques sur un pied d’égalité.
Une montée en puissance pacifique ?
Historiquement, l’essor des puissances européennes a souvent été marqué par des guerres. En Asie-Pacifique, la montée en puissance des nations s’est faite, jusqu’à présent, de manière relativement pacifique. Bien que des tensions interétatiques persistent (notamment en mer de Chine méridionale ou entre les Corées), les conflits armés entre les nations sont devenus rares. L’essor économique et l’intégration régionale semblent jouer un rôle stabilisateur
L’Asie du Sud-Est, pivot de l’Indo-Pacifique
Avec ses façades maritimes sur l’océan Indien et le Pacifique, l’Asie du Sud-Est occupe une position stratégique. L’ASEAN s’est imposée comme un acteur central, facilitant la coopération entre les nations asiatiques et établissant des dialogues institutionalisés réguliers avec tous ses partenaires de par le monde.
L’ASEAN+3 (incluant la Chine, le Japon et la Corée du Sud) renforce cette dynamique et illustre une approche souple de l’intégration régionale, qui diffère du modèle supranational européen.
Le rôle de la France et de l’Union européenne
La France, grâce à sa présence dans l’océan Indien et le Pacifique via ses territoires d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Clipperton), possède une influence directe en Asie-Pacifique. Paris a initié plusieurs forums ministériels pour structurer le dialogue entre l’Union européenne et la région, notamment pour favoriser des partenariats économiques et diplomatiques sur les enjeux globaux (ex. climat, océan).
Toutefois, l’influence européenne reste limitée par un manque d’engagements de ses États et de moyens. Pour peser davantage, l’Union européenne devra renforcer sa présence et sa coopération politique avec toutes les nations de la région et leurs institutions.
Les effets indirects de la guerre en Ukraine
La guerre d’Ukraine a révélé les liens croissants entre la sécurité de l’Asie-Pacifique et de l’Europe. La Corée du Nord fournit par exemple des armes et des soldats à la Russie en échange de soutiens diplomatiques et technologiques conséquents. De même, la Chine est accusée d’aider la Russie à contourner certaines sanctions internationales.
Sur le plan diplomatique, les votes des pays asiatiques aux Nations unies sont scrutés de près, car ils reflètent leur positionnement sur les tensions géopolitiques mondiales.
L’impact du second mandat de Donald Trump
Les partenaires asiatiques ont suivi de près la campagne et la réélection de Donald Trump. Dès son retour à la Maison-Blanche, plusieurs dirigeants, comme le Premier ministre japonais, le Secrétaire général du parti communiste vietnamien et la Première ministre thaïlandaise, ont cherché à établir, par exemples, un dialogue direct avec lui.
Toutefois, des incertitudes demeurent sur la politique économique et commerciale américaine en Asie – Pacifique. D. Trump pourrait adopter une approche protectionniste, impactant les échanges avec les nations émergentes de la région. La réduction des aides publiques au développement américaines et des programmes de coopération pourrait également redéfinir les rapports de force au profit de la Chine.
Ressources recommandées
Pour approfondir ces enjeux, trois lectures sont recommandées :
. Christian Lechervy et Sophie Boisseau du Rocher, « L’Asie-Pacifique, nouveau centre du monde » (éd. Odile Jacob).
. Delphine Alès et Christophe Jaffrelot, « L’Indo-Pacifique » (éd. Presses de Sciences Po). L’ouvrage aborde les dynamiques politiques et économiques de la région.
. Valérie Niquet et Marianne Paix, « Indo-Pacifique, nouveau centre du monde » (éd. Tallandier). Le livre analyse l’évolution géostratégique de l’espace Indo-Pacifique.
Ces ouvrages offrent une vision approfondie des mutations de l’Asie-Pacifique et de son rôle croissant sur la scène mondiale.
Copyright pour la synthèse Avril 2025-Bourgoin/Diploweb.com
Plus
. Christian Lechervy et Sophie Boisseau du Rocher, « L’Asie-Pacifique, nouveau centre du monde » (éd. Odile Jacob)
4e de couverture
L’Asie-Pacifique va-t-elle devenir le nouveau centre du monde ? Aujourd’hui, l’Asie-Pacifique produit 60 % du PIB mondial et 66 % de la croissance mondiale. Cette montée en puissance, loin de se limiter à la Chine, concerne l’ensemble de la région.
Forte de ses atouts – sa position à la charnière des océans Indien et Pacifique, son savoir-faire dans la gestion des flux extérieurs, ses compétences, sa force de travail –, l’Asie-Pacifique teste, ébranle, défie notre positionnement, notre capacité d’influence et nos prétentions universalistes.
Alors que le modèle américain se fissure et que la guerre gronde aux portes de l’Europe, l’Asie-Pacifique tisse un maillage dense et actif qui protège ses membres. C’est d’elle aussi que sont lancées les initiatives les plus réfléchies pour désoccidentaliser l’ordre mondial et créer éventuellement un effet d’entraînement dans le « Sud global ».
Quelles en seront les conséquences pour l’Europe ? L’Asie-Pacifique deviendra-t-elle le nouveau modèle postoccidental ?
8875831 09.03.2025 A Russian serviceman poses for a photo on the American M1 Abrams main battle tank captured amid Russia’s military operation in Ukraine, in Kursk region, Russia. Stanislav Krasilnikov / Sputnik//SPUTNIK_8875831_67cef1d87b0cc/Credit:Stanislav Krasilnikov/SPU/SIPA/2503101536
par John P. Ruehl* – Revue Conflits – publié le 8 avril 2025
Que faire des vétérans de la guerre d’Ukraine ? Du côté russe comme du côté ukrainien, la démobilisation pose la question cruciale du retour à la vie civile de personnes qui sont traumatisées par la guerre.
Deux ans après avoir été condamné à une peine de prison pour un meurtre commis en 2020, Ivan Rossomakhin a été recruté par une société militaire privée (SMP) russe en échange de sa liberté. Il est rentré chez lui depuis l’Ukraine en 2023 et, quelques jours plus tard, a tué une femme de 85 ans dans une ville voisine. Une semaine après le début de sa nouvelle peine en août 2024, il a été redéployé et renvoyé au front.
Son crime est l’un des nombreux commis par des condamnés graciés pour servir dans l’armée et par des soldats russes de retour au pays. « Une étude des archives judiciaires russes menée par le média indépendant Verstka a révélé qu’au moins 190 affaires pénales ont été ouvertes contre des recrues de Wagner graciées en 2023 », a déclaré un article du New York Times en avril 2024.
Le problème de la réintégration
Beaucoup sont devenus toxicomanes et alcooliques, et se sont tournés vers le crime organisé, phénomène amplifié par l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. En outre, les vétérans tchétchènes de la guerre d’Afghanistan ont utilisé leur expérience du combat pour résister farouchement à la Russie lors de la première guerre de Tchétchénie (1994-1996).
La guerre en Ukraine produit une génération de vétérans encore plus nombreuse et aguerrie. Les pertes russes ont dépassé les 15 000 pendant près de cinq mois de guerre, dépassant ainsi une décennie de pertes soviétiques en Afghanistan.
Un article du New York Times de janvier 2025 estime qu’environ 100 000 soldats ukrainiens ont été tués jusqu’en décembre 2024, tandis que 150 000 soldats russes ont perdu la vie jusqu’en novembre de la même année.
Pendant ce temps, des centaines de milliers de personnes ont été blessées et des millions ont été envoyées sur les lignes de front. La plupart des survivants souffriront d’une forme ou d’une autre de SSPT, encore aggravée par la glorification des images de combats brutaux et de torture sur les réseaux sociaux.
Les soldats ukrainiens « ont présenté des symptômes intenses de stress psychologique », selon un article du Washington Post en 2023. Parallèlement, en 2024, Deutsche Welle a rapporté que « selon le ministère russe de la Santé, 11 000 militaires russes ayant participé à la guerre contre l’Ukraine, ainsi que les membres de leur famille, ont demandé une aide psychologique au cours d’une période de six mois en 2023 ».
La réinsertion de ces hommes dans la société sera une bataille difficile pour les gouvernements russe et ukrainien, en raison de la méfiance persistante suscitée par les échecs passés. En décembre 2022, la présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentina Matviyenko, s’est engagée à empêcher une répétition du syndrome afghan et à réintégrer les anciens combattants dans la vie civile.
Cependant, alors que la guerre se poursuit, ses conséquences se font déjà sentir. Moscou et Kiev gèrent les rotations de troupes en cours tout en se préparant au retour massif des soldats et en explorant les moyens de les utiliser à des fins politiques et militaires.
Crime et troubles
Pour les vétérans soviétiques d’Afghanistan, la rhétorique dédaigneuse à l’égard de la guerre et le soutien limité à leur retour ont suscité un profond ressentiment.
Avant d’accéder au pouvoir en 1985, le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev a qualifié la guerre d’erreur, et il a fallu jusqu’en 1994 pour que les vétérans russes de la guerre d’Afghanistan reçoivent le même statut que les vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est qu’en 2010 que la Russie a désigné la fin du conflit comme jour férié.
Le Kremlin a adopté une approche différente avec les vétérans de la guerre en Ukraine, les vénérant comme la « nouvelle élite» de la nation dans une lutte à mort contre l’Occident. Outre les éloges des médias, les soldats ont été rapidement nommés à des postes importants au sein du gouvernement et des entreprises. Malgré des services sociaux sous tension, le gouvernement a fourni des prestations aux familles des militaires rentrés et décédés afin de prévenir les troubles.
La décision du Kremlin de recourir au travail pénitentiaire pour augmenter les effectifs militaires, une approche qu’il avait évitée pendant la guerre en Afghanistan, a déjà eu de graves conséquences. En 2023, plus de 100 000 prisonniers avaient été recrutés, dont beaucoup avaient rejoint Wagner, la société militaire privée la plus tristement célèbre de Russie.
« De nombreuses fusillades ont eu lieu à Moscou, et l’armée est de plus en plus liée au crime organisé », a déclaré un rapport de 2024 dans l’Eurasia Daily Monitor.
Alors que la question attire de plus en plus l’attention du public, les services de sécurité intérieure russes, y compris la Garde nationale (Rosgvardiya), sont déjà à bout de souffle, chargés de patrouiller dans les territoires ukrainiens occupés tout en renforçant les unités de première ligne.
Leur fardeau pourrait s’alourdir si les soldats tchétchènes de retour, que Moscou a largement déployés en Ukraine, choisissent de revenir à leurs ambitions indépendantistes. D’autres mouvements nationalistes et extrémistes, aidés par des soldats endurcis, risquent de refaire surface.
Le recours de la Russie aux réseaux criminels pour son soutien logistique et financier dans sa guerre n’a fait qu’encourager ces groupes. Une fusillade en 2024 à quelques pâtés de maisons du Kremlin, liée à la « violence des entreprises », a évoqué le chaos des années 1990.
« L’économie russe, mise à rude épreuve par les sanctions et la guerre en cours, crée une atmosphère dans laquelle les élites économiques sont de plus en plus disposées à recourir à des mesures drastiques pour survivre. Dans les années 1990, les oligarques, les gangs criminels et les fonctionnaires corrompus prospéraient dans un environnement où le système juridique était impuissant », a déclaré le Moscow Times.
Avec peu de perspectives d’emploi bien rémunéré, les soldats de retour au pays pourraient être tentés de rejoindre des groupes existants ou d’en créer de nouveaux, déstabilisant ainsi les réseaux criminels russes qui sont profondément intégrés à la structure du pouvoir de Poutine.
L’Ukraine est confrontée à des défis similaires. Bien que Kiev ait été plus lente et plus prudente dans le déploiement des bataillons de prisonniers, leur réintégration dans la société ne sera pas facile. Les autorités du pays s’efforcent d’empêcher les puissantes organisations criminelles nationales d’absorber les soldats de retour au pays tout en luttant contre la menace de la résistance armée dans les régions pro-russes.
Le gouvernement ukrainien a veillé à honorer ses soldats, mais a été témoin d’une recrudescence des attaques contre les bureaux de recrutement, dont quatre en cinq jours en février 2025. Bien que les efforts de recrutement de la Russie aient également rencontré une certaine résistance, la Russie a évité la conscription à grande échelle (malgré une certaine coercition).
En revanche, l’Ukraine a largement misé sur l’enrôlement obligatoire, ce qui a suscité un antagonisme croissant à l’égard des mesures de recrutement, des tensions qui continueront à s’accroître et pourraient s’étendre après la guerre.
Les sociétés militaires privées
La guerre donne déjà un coup de fouet massif à une industrie militaire privée mondiale en plein essor, qui devrait se développer après la fin du conflit.
Les recrues des sociétés militaires privées participent depuis longtemps à un marché multinational. Certains vétérans russes d’Afghanistan affirment avoir été engagés pour servir avec les forces américaines en Afghanistan après 2001.
Cependant, le nombre même de vétérans russes et ukrainiens ayant une expérience du combat pourrait révolutionner le secteur, à l’instar de l’effondrement de l’Union soviétique et du surplus de personnel militaire qui en a résulté.
Avant 2015, les SMP russes étaient limitées à l’Ukraine, au Sénégal et à la République démocratique du Congo, mais elles se sont depuis étendues à une trentaine de pays. Contrairement au conflit ukrainien, qui est de grande ampleur et axé sur la technologie, les SMP de plus petite taille peuvent opérer efficacement dans d’autres régions, et leur déploiement a déjà contribué au retrait de l’armée française d’Afrique ces dernières années.
Le secteur militaire privé ukrainien connaît une croissance similaire et pourrait, à l’avenir, trouver grâce auprès des pays européens qui ont soutenu Kiev pendant la guerre. Compte tenu des difficultés persistantes de l’Europe à répondre aux besoins de recrutement militaire, il est probable que les vétérans ukrainiens soient utilisés pour résoudre ce problème.
En Ukraine et en Russie, les hommes démobilisés ont souvent été employés par des oligarques à leurs propres fins, une tendance qui est apparue dans les années 1990. Cette question a refait surface en 2015 lorsque le milliardaire ukrainien Igor Kolomoisky a utilisé des PMC pour combattre les séparatistes soutenus par la Russie, ainsi que pour protéger ses propres intérêts financiers, ce qui a abouti à une confrontation armée dans une compagnie pétrolière d’État.
L’incident a montré comment le pouvoir militaire privatisé peut facilement échapper au contrôle du gouvernement, ce que la Russie a connu plus tard avec la rébellion de Wagner en 2023.
Réintégration
Après l’instabilité causée par les vétérans soviétiques d’Afghanistan tout au long des années 1990, les autorités russes ont commencé à prendre des mesures plus concrètes pour les intégrer, réhabiliter leur image et exploiter leur potentiel.
En 1999, l’Alliance russe des vétérans d’Afghanistan a contribué à la création de ce qui allait devenir le parti Russie unie, soutenu par Poutine (bien qu’il soit désormais indépendant). Les vétérans de la guerre d’Afghanistan et de la guerre de Tchétchénie ont également rejoint l’OMON, la force de police spéciale russe utilisée pour réprimer les manifestations, tandis que d’autres groupes de vétérans paramilitaires ont contribué à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, lorsque la force militaire était limitée.
L’évolution du mouvement, qui est passé de vétérans anti-guerre désabusés à l’un des plus fervents partisans de la guerre en Ukraine, montre l’efficacité de sa remise à neuf et la reconnaissance de leur valeur par le Kremlin.
Il n’est donc pas surprenant que le Kremlin ait activement empêché la formation d’organisations indépendantes de vétérans de la guerre actuelle en Ukraine. Cette action de centralisation des vétérans dans des initiatives formelles garantit qu’aucun groupe ne puisse défier l’autorité gouvernementale, et qu’ils puissent être organisés et utilisés lors de futurs conflits.
L’attitude des militaires de retour des deux côtés sera également influencée par l’issue de la guerre. Les conflits considérés comme futiles et de moins en moins approuvés par l’opinion publique, tels que les conflits américains en Irak et en Afghanistan ou la guerre soviétique en Afghanistan, laissent des séquelles psychologiques durables chez les vétérans, augmentant le risque de suicide et de troubles sociaux.
Au-delà du nombre impressionnant de victimes civiles et combattantes, ces guerres ont engendré du ressentiment chez les soldats de retour au pays, dont beaucoup ont eu le sentiment que leur service faisait partie de guerres d’agression ratées.
Il est donc essentiel que les dirigeants politiques, les médias et la société définissent la victoire. Les soldats qui croient avoir combattu dans une guerre juste et victorieuse sont plus susceptibles de se réinsérer avec un sentiment d’utilité, par rapport à un camp perdant qui se sent abandonné et aigri.
Les vaincus nourriront probablement une plus grande animosité envers leur gouvernement, auront des griefs concernant un soutien inadéquat et seront confrontés à un risque accru d’instabilité sociale, ce qui incitera les deux parties à revendiquer la victoire.
Il peut être dans l’intérêt de Moscou et de Kiev d’éviter de déclarer la fin de la guerre et de poursuivre la démobilisation, de peur d’être perçus comme ayant admis leur défaite et d’entraîner le retour de soldats agités et sans emploi. Les économies russe et ukrainienne étant désormais fortement orientées vers la guerre, une fin rapide provoquerait des chocs économiques.
Cependant, une guerre non concluante qui s’essouffle progressivement pourrait permettre aux vétérans de se réinsérer lentement dans la société, les gouvernements louant leur service pour générer de la bonne volonté. D’autres seront encouragés par Moscou et Kiev à chercher des débouchés dans d’autres conflits, exportant des hommes prêts au combat plutôt que de les ramener chez eux.
*Vice-amiral d’escadre (2S) Arnaud Coustillière. Président du « Pôle d’Excellence Cyber » CEO de Str@t Algo Conseil. Senior Advisor « Cyber & Digital ». Operating Partner “TIKEAU Capital”. Ancien COMCYBER 2011/17 et DGNUM 2017/20 au Ministère des Armées.
La route sera longue, mais l’électrochoc de la prise de pouvoir par le président Trump et de son écosystème a le mérite de nous montrer que le monde d’avant est terminé ; que celui de demain parait surtout marqué par l’incertitude, les rapports de force et les volontés de domination.
L’Europe est seule et doit reprendre en main son destin. Cela passe aussi et de façon très importante par la défense militaire, la puissance économique et le numérique qui irrigue aujourd’hui tous les pans de nos sociétés. Que chacun soit à la hauteur de ses responsabilités.
LA RECOMPOSITION géopolitique majeure qui s’opère actuellement autour du conflit en Ukraine nous démontre que l’autonomie stratégique numérique n’est plus simplement une ambition économique, mais une nécessité absolue pour l’indépendance et l’autonomie de décision de nos nations. Le monde dans lequel nous vivons est marqué par l’intensification des cyberattaques, l’ingérence étrangère et la dépendance technologique.
La France et l’Europe doivent prendre leur destin numérique en main, sous peine de s’installer définitivement dans une forme d’asservissement et de disparition progressive de leurs modèles de société. Imprégné de technologie, le sujet est aujourd’hui beaucoup plus sociétal et politique que technique. Il convient donc de le placer à ce niveau de décision et de gouvernance, celui de l’État et de notre représentation nationale et européenne, mais aussi des entreprises clientes du numérique. Ce n’est plus en premier lieu un sujet d’expert technique.
Depuis 2018 le thème de la souveraineté numérique est devenu « politique » du fait de nos dépendances à nos « partenaires-concurrents » que sont nos alliés américains et des enjeux autour de la captation des données ; chaque pays, chaque bloc, défendant de plus en plus ouvertement ses propres intérêts en utilisant le droit comme forme d’ingérence extraterritoriale.
Arnaud Coustillière
Vice-amiral d’escadre (2S).
2018/2025 a été le temps de la prise de conscience et de la fin de la naïveté…… Mais que faire à présent ?
Nous étions partenaires, alliés mais concurrents, ce n’est pas nouveau, le président François Mitterrand le déclarait déjà ; nous nous retrouvions cependant autour de valeurs communes. La souveraineté numérique semblait davantage une affaire économique que géopolitique, bien que les problématiques des données, notamment personnelles et de santé, posaient question et étaient l’objet de tractations difficiles entre l’Europe et les États-Unis.
Heureusement de nombreuses initiatives nationales et européennes ont été lancées dès cette période, tant dans le cadre de France 2030, des actions de l’ANSSI, des certifications SecnumCloud ou encore EUCS, des clouds souverains et de confiance, de la Loi « SREN » visant à sécuriser et réguler l’espace numérique en France, du combat courageux de plusieurs députés et sénateurs, du réseau des Campus Cyber, des travaux du Cigref …
Elles sont restées dans une logique de coopération, souvent subie, avec les grands acteurs non européens, sans oser en repenser le modèle relationnel, car il y avait plus d’intérêt à utiliser leurs systèmes parfaitement performants, qu’à partir sur d’autres voies très risquées, mais l’évolution vers le cloud, l’IA et le fait de confier ses données à un partenaire « non de confiance » posent de plus en plus question.
Le numérique dans toutes ses composantes est, et sera de plus en plus un terrain de compétition, de contestation et d’affrontement, tant commercial et culturel que stratégique.
Même si les actions offensives restent en deçà d’un certain seuil de violence, elles sont une réalité. De nombreux États en conduisent comme le montre régulièrement l’agence VIGINUM, elles cherchent à saper insidieusement la confiance dans l’État, le fonctionnement de la Nation et sa cohésion. Depuis une dizaine d’années, la désinformation est orchestrée avec des attaques techniques via des campagnes hybrides habilement conduites et planifiées. L’IA est plus récemment devenue un moyen et une arme pour fausser les perceptions des populations, rendant stratégique le sujet de son encadrement et de sa régulation.
La réélection du président Donald Trump en novembre 2024 marque une rupture à plusieurs niveaux
Rupture tout d’abord dans la méthode par rapport à l’administration précédente qui œuvrait avec certaines formes pour conforter sa suprématie d’empire numérique et sa « mainmise » sur l’espace numérique européen. Brutalité, surprise, hyperactivité, incertitude, mais aussi emprise sur les médias américains….
Rupture dans les soutiens : les GAFA [1] se sont ralliés très rapidement et très fortement aux discours et actions du mouvement MAGA [2], mus par l’appât des gains financiers grâce à un monde de l’Internet débridé où les données peuvent être captées sans contrainte, l’IA développée sans contre-pouvoir ou régulation, ou encore par une vision d’un monde futuriste porté par quelques grands patrons de la Silicon Valley. On parle même de « techno droite » comme nouveau courant idéologique mêlant les utopies libertariennes et les valeurs conservatrices.
Rupture majeure dans les alliances où le président Trump casse en quelques jours et quasiment seul le système des relations internationales et des alliances issues du siècle précédent, renvoyant à la politique américaine « Big Stick Policy » du tout début du XXème siècle.
Dans ce contexte, tout peut se produire… L’ennemi d’hier parait être devenu le nouvel ami ou du moins un partenaire comme les autres.
Un agent d’influence russe serait-il à la Maison Blanche comme la presse semble s’en faire l’écho ? L’Amérique est-elle en train de devenir, elle aussi, une autocratie qui tourne le dos à toutes les valeurs qui ont construit la relation transatlantique ? La question impensable il y a encore quelques semaines, est aujourd’hui sur la table.
Nous sommes face à un monde d’incertitudes !
Quid d’un décret présidentiel mettant à disposition de l’administration américaine les données des Européens, des sociétés, ou des organisations hébergées chez les GAFA ?
Quid d’une mise sous séquestre ou prise en otage des données de nos entreprises placées chez ces mêmes GAFA, juridiquement validée en droit américain ?
L’hébergement des données en France ou en Europe chez un GAFA les met de fait sous juridiction des Etats-Unis. C’est également vrai pour les données techniques confiées aux prestataires cyber de service américains issues des capteurs déployés et exploités dans le Cloud, et encore plus pour tout ce qui concerne les métadonnées et les algorithmes.
On le sait ! En l’absence d’infrastructure, de technologie et de services performants européens, il n’y a pas vraiment d’alternatives, et c’est bien cela qu’il faut collectivement bâtir progressivement afin de disposer d’une offre complémentaire, à un juste niveau technologique.
C’est ce point qui doit changer rapidement ; une voie existe, comme le montre les différentes initiatives autour des clouds de confiance/souverain, mais qui doivent passer à l’échelle au travers d’une nouvelle relation avec les grands GAFA. Une sorte de New deal entre une « Europe unie » – États et organisations représentatives des clients, comme CIGREF, NUMEUM, MEDEF, CGPME, Clubs de Directeur des Systèmes d’Information (DSI) [3]… et des sociétés privées de droit américain qui doivent s’adapter et adapter leurs infrastructures. Ce sont, in fine, les entreprises (Comex) et les DSI qui disposent du pouvoir de passer ou pas un contrat, et de peser sur leurs fournisseurs. Il faut donc s’appuyer sur eux et en faire des acteurs clef de ces démarches par de actions collectives.
Parmi les Européens employés par ces sociétés, nombre d’entre-eux se sentent de plus en plus mal à l’aise, mais ils peuvent aussi avoir un rôle en interne pour expliquer qu’un tel comportement de voyou n’est pas créateur de confiance et de stabilité. L’incertitude est mauvaise pour les affaires à moyen terme. Loin de les considérer comme des parias, il vaut mieux échanger avec eux et les associer pour en faire des « passeurs », il existe assez d’associations pour que ce sujet soit mis sur la table sans tabou.
Faire face
Premièrement, il y a aujourd’hui urgence à se préparer face à l’incertitude entretenue par la nouvelle administration américaine !
Déjà à court terme démarrons par le plus sensible qu’est déjà le besoin de se protéger et de se défendre de façon autonome, puis se mettre en sécurité juridique – déjà les sauvegardes – les données les plus importantes, et de sauvegarder sous cadre juridique européen tout ce qui peut l’être ; SECNUMCLOUD [4] bien sûr pour ce qui mérite de l’être et plusieurs initiatives de Clouds souverains sont ou seront bientôt disponibles. En cyber, il y a des solutions européennes performantes qui méritent de pouvoir passer à l’échelle.
Ensuite, un changement de paradigme pour les DSI… A-t-on besoin partout d’innovation ou de facilités de développement, qui font recourir aux « Market Places », très performantes mais non européennes pour avoir un « time to market » le plus rapide possible ? Les outils sont extraordinaires mais en a-t ’on réellement besoin partout ? Pour les domaines sensibles, ne peut-on pas penser à des systèmes plus « à façon » hébergés sur une infrastructure européenne ?
Il faut rester maître des « données sensibles » mais aussi des « algorithmes qui modélisent les savoir- faire et les modes de fonctionnement spécifiques des organisations, là où se trouvent les plus-values et la valeur qui font le « cœur stratégique » des organisations ».
Revisitons déjà tous les contrats en cours dont souvent les tarifs explosent (Broadcom/Vmware par exemple ou encore les différents avis régulièrement émis par le CIGREF).
Certains le font ! Il faut que tous les DSI s’en saisissent. Ce sont eux qui définissent l’architecture et le recours aux prestataires ; ils ont un pouvoir de décision.
Si l’infrastructure n’est pas encore passée à l’échelle ; les initiatives Secnumcloud et EUCS+ sont en cours avec des opérateurs français lancés dans l’aventure : OVH, S3NS, SCALEWAY, NUMSPOT, OUTSCALE, BLEU, OODRIVE et autres…
Des mesures à prendre en urgence, puis un long chemin restera à parcourir pour regagner le terrain informatique abandonné aux acteurs non européens, là où nos intérêts stratégiques et les données de nos citoyens le nécessitent.
Cette rupture est voulue et provoquée par notre partenaire américain. Il renoue avec le début de la Pax America post 1914 ; il tourne le dos à une partie de son histoire et de ses valeurs. Elle ne doit pas être vécue comme un traumatisme uniquement négatif mais comme un formidable défi à relever, une opportunité à saisir, pour lesquels la France a un rôle majeur à jouer, seule et avec ses partenaires les plus proches en Europe.
Un tournant de son histoire à ne pas ou à ne plus rater.
Souvenons-nous de Suez en 1956 ! Les Français et les Britanniques ont été sommés, du fait d’un accord entre les Etats-Unis et l’URSS, de stopper leurs opérations. Cela a été le point de départ de la constitution de la Force de Dissuasion par le général de Gaulle dans l’objectif de « Retrouver notre autonomie stratégique pour défendre nos intérêts nationaux ».
Le rapport « Nora-Minc » sur l’Informatisation de la Société Française datant de 1977 avait déjà anticipé beaucoup de choses, mais que d’échecs et de démissions collectives depuis face à l’émergence de l’hégémonie américaine.
Le général de Gaulle a su mobiliser les forces vives de la Nation et créer la Force de dissuasion en une dizaine d’années.
Les États et industriels ont su s’entendre et s’allier pour créer dans les années 1970 le consortium Airbus.
Plus récemment la Nation s’est retrouvée autour de la reconstruction de la cathédrale Notre Dame. L’État a su agir aux cotés des entreprises privées et d’acteurs nombreux, le tout avec un leadership original confié à un général, domaine bien éloigné de son parcours de carrière.
Des atouts à mobiliser
Si nous avons su créer une dynamique pour restaurer une architecture vielle de 800 ans, ne peut-on imaginer comment initier et entrainer une dynamique européenne pour bâtir une infrastructure numérique autonome avec des partenaires respectueux de la liberté et de la dignité des citoyens ?
Nous disposons de beaucoup d’atouts et d’énergies à libérer. La France a été à l’initiative de l’Appel de Paris en 2019 et plus récemment du Sommet de l’IA où le monde numérique a pu montrer sa diversité et son dynamisme, pas seulement états-uniens…
Il s’agit à présent de prendre son destin numérique en main et de ne plus subir. Ce n’est pas simple, même très compliqué mais la France doit se mettre au cœur de la dynamique européenne pour l’entrainer. Rassembler autour d’elle, l’Allemagne, les pays d’Europe du nord, l’Italie, l’Espagne…. Les acteurs et entrepreneurs de toute nation convaincue de cette évolution pour transformer une faiblesse en force.
L’État ne doit pas vouloir agir seul, ce doit être une action conjointe entre politiques et fonctionnaires, mais aussi et surtout avec les représentants des entreprises consommatrices et leurs DSI (Cigref, Club Décision DSI…).
Une force vive au cœur de la vie économique et politique apte à suivre un leader pour entrainer l’Europe dans cette voie.
La France dispose des atouts qu’il faut pour se positionner en catalyseur, source d’inspiration et leader. Nous avons les écoles et les compétences de haut niveau ; cyber, IA, innovation et recherche très dynamiques, French Tech, Business France, de dispositifs d’accompagnement comme France 2030 et de levées de fond.
Les compétences, la créativité et les entrepreneurs sont également là, mais il manque un marché « domestique », français et européen, d’une taille suffisante pour leur permettre de s’épanouir et de se développer, pour passer à l’échelle…
C’est l’une des étapes les plus importantes et essentielles, voire clef. Au-delà de toutes les aides et accompagnement, il faut créer un marché européen du numérique favorable aux acteurs européens et à des partenaires choisis exclusivement sous droit européen, sur la base de relations équilibrées comme on peut le voir dans les démarches de Cloud de confiance, ou encore lors de l’IA Summit.
Coca Cola est bien une société américaine, mais elle produit en France. McDonald’s est bien américain mais sa matière première est produite en Europe…. Ce sont des images éloignées du numérique, mais il faut aussi que les GAFA comprennent que leur attitude est devenue insupportable et que cela finira par nuire à leurs affaires, tant en Europe que dans le reste du monde
Il ne faut pas oublier non plus que l’espace numérique est l’espace stratégique d’affrontement où les États se confrontent en premier, restant sous le seuil de l’agression armée, combinant des actions d’ingérence, de désinformation, de propagande, ou encore des actions plus techniques pour perturber, saboter voire détruire. Saper la force morale des populations, faire perdre confiance dans l’État et ses institutions, désorganiser la société et les armées avant l’attaque, ou encore gagner sans combattre, le summum de l’Art de la Guerre (Sun Tzu).
Le réarmement européen source de nombreuses déclarations comporte lui aussi tout un champ numérique très dual qui commence chez nos industries, institutions et organisations…
L’autonomie en cybersécurité ne se limite pas à une question technique : c’est enjeu politique, un impératif de souveraineté, de compétitivité et de stabilité sociale.
Dans ce contexte, le Pôle d’Excellence Cyber est pleinement engagé à jouer un rôle clef dans la structuration de l’écosystème français et européen, centré sur le régalien européen et aligné avec les politiques du ministère des Armées, de l’ANSSI, des institutions européennes, et de partenaires européens. Sans attendre davantage, un groupe de travail sera lancé pour débattre de ce sujet avec nos membres.
Cette réflexion rend compte d’un tournant nécessitant une vision affirmée et des actions concrètes pour renforcer notre autonomie stratégique.
Quatre grandes initiatives pourraient être envisagées
Lancer une dynamique nationale « État/Représentation nationale/Entreprises » à effet d’entrainement européen pour coordonner et suivre au plus haut niveau des États l’ensemble des actions concrètes à mener sans plus tarder. Un véritable plan d’action 2025/2027 est à construire, ainsi qu’une dynamique large soumise à une gouvernance globale regroupant l’ensemble du numérique (cyber, data, cloud, IA, quantique…) et associant en premier lieu les entreprises « consommatrices » et pas simplement les grands groupes. La France a su le faire pour les JO 2024 !
Promouvoir à la fois les offres souveraines et de confiance, mais lancer un échange entre les acteurs « français » et les GAFA pour faire comprendre que la situation actuelle est intenable et sera « perdant-perdant « comme semble le montrer les récentes évolutions de la bourse américaine. Faire des affaires ne veut pas dire écraser ou prendre son client en otage….
La Revue Stratégique 2025 lancée par le Président de la République pourrait constituer le premier réceptacle pour ses premiers travaux.
Conduire des États généraux du numérique avec l’ensemble des partenaires pour définir le plan 2027/2032, inspiré des méthodologies utilisées pour les Livres blancs sur la Défense et la Sécurité nationale. La France dispose du SGDSN rodé à ce type d’exercice.
Élargir les travaux de France 2030 en allant au-delà des seuls projets techniques. Favoriser la montée en gamme de marchés « domestiques » accessibles aux offres issues de groupements d’entreprises européennes, faciliter l’accès à des marchés (gouvernement, OIV…) d’une taille importante.
Lancer une sensibilisation et concertations avec les associations de DSI d’entreprises de toutes tailles, les éditeurs et les entreprises de services numériques ESN. Grands groupes mais aussi et surtout ETI/PME qui ont besoin de davantage de conseils et des SI moins complexes, mieux adaptés dans un premier temps à des offres de services européennes.
La route sera longue, mais l’électrochoc de la prise de pouvoir par le président Trump et de son écosystème, a le mérite de nous montrer que le monde d’avant est terminé ; que celui de demain parait surtout marqué par l’incertitude, les rapports de force et les volontés de domination.
L’Europe est seule et doit reprendre en main son destin. Cela passe aussi et de façon très importante par la défense militaire, la puissance économique et le numérique qui irrigue aujourd’hui tous les pans de nos sociétés.
Là où il y a une volonté, il y a un chemin…
Copyright Mars 2025-Coustillière/Pôle d’Excellence Cyber
[2] NDLR. MAGA : Make America Great Again. Littéralement « Rendre l’Amérique à nouveau grande », soit : « Rendre sa grandeur à l’Amérique », abrégé MAGA, est un slogan de campagne utilisé par des personnalités politiques des États-Unis, dont D. Trump.
[3] NDLR. Un Directeur des Systèmes d’Information (DSI) a pour missions de définir la stratégie informatique. Le DSI est chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie informatique de l’entreprise, alignée sur les objectifs commerciaux. Cela inclut la planification des investissements technologiques et l’identification des opportunités d’innovation.
[4] NDLR. SECNUMCLOUD :« En tant qu’autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information, l’ANSSI accorde des Visas de sécurité ANSSI à des solutions, produits ou services qui démontrent un niveau élevé de sécurité et de confiance. Dans le cadre de cette démarche, l’agence a élaboré en 2016 le référentiel SecNumCloud pour permettre la qualification de prestataires de services d’informatique en nuage, dit cloud. Son objectif : promouvoir, enrichir et améliorer l’offre de prestataires de cloud à destination des entités publiques et privées souhaitant externaliser, auprès de prestataires de confiance, l’hébergement de leurs données, applications ou systèmes d’information. » Source : https://cyber.gouv.fr/
SpaceX obtient un gigantesque contrat avec le Pentagone
Pour envoyer les satellites militaires américains dans l’Espace, le Pentagone vient de choisir l’entreprise Space X. Un juteux contrat, un de plus pour son patron Elon Musk.
SpaceX obtient un gigantesque contrat avec le Pentagone | Armees.com
Depuis le début de son histoire, l’entreprise SpaceX d’Elon Musk cherche à s’implanter dans le domaine militaire. Elle vient de décrocher un juteux contrat avec le Pentagone.
SpaceX remporte un contrat important avec le Pentagone
SpaceX, l’entreprise fondée par Elon Musk, vient de décrocher un contrat de plusieurs milliards de dollars avec le Pentagone, au même titre qu’United Launch Alliance (ULA). Si les termes restent partiellement confidentiels, l’ampleur du projet, elle, ne fait aucun doute : le programme National Security Space Launch (NSSL) prévoit une cinquantaine de missions spatiales d’ici à 2029, impliquant le déploiement de satellites sensibles à des fins de sécurité nationale.
C’est l’agence Reuters qui a levé le voile : SpaceX, ULA et Blue Origin viennent d’être sélectionnées pour un méga-contrat estimé à 13,5 milliards de dollars. Le projet est piloté par l’U.S. Space Force, branche des forces armées des États-Unis dédiée aux opérations militaires dans l’espace. L’objectif ? Garantir la suprématie orbitale américaine en assurant le lancement de satellites jugés critiques par le Pentagone. Le programme NSSL représente une stratégie de long terme : 50 missions doivent être réparties sur les cinq prochaines années.
Elon Musk, bientôt le patron du spatial militaire ?
Difficile de ne pas pointer la concentration des pouvoirs entre les mains du magnat sud-africain. Avec ce contrat, Elon Musk confirme son emprise sur le domaine spatial, déjà solidement ancrée via Starlink et les succès de Falcon 9. Désormais, il ne s’agit plus seulement d’envoyer des satellites civils pour connecter des zones rurales : il est question de mettre en orbite les yeux du Pentagone.
Les critiques ne tardent pas. Sur les forums américains, certains internautes dénoncent des conflits d’intérêts de plus en plus visibles. Et ils ne sont pas les seuls à s’interroger : dans les couloirs du Congrès, la question d’une position dominante abusive commence à émerger, surtout lorsqu’il est question du domaine militaire.Mais le Pentagone, pragmatique, ne peut ignorer la supériorité technologique de SpaceX. Aucun concurrent ne maîtrise aussi bien les lancements orbitaux à bas coût et les technologies de récupération. Résultat : le monopole devient la norme. ULA, pourtant soutenue par Boeing et Lockheed Martin, se voit réduite à partager les miettes d’un gâteau qu’Elon Musk semble avoir complètement acquis.
Si l’on s’en tient à la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, la Marine nationale disposera, à l’horizon 2035, de quinze frégates dites de premier rang, à savoir huit frégates multimissions [FREMM et FREMM-DA], deux frégates de défense aérienne [FDA] et cinq frégates de défense et d’intervention [FDI], auxquelles s’ajouteront six sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de type Suffren, six patrouilleurs outre-mer [POM], dix patrouilleurs hauturiers [sept ont été commandés] et six corvettes aux capacités militaires accrues par rapport aux actuelles frégates de surveillance.
Lors de ses dernières interventions médiatiques, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a déclaré que ce format était insuffisant au regard de la situation sécuritaire actuelle et à venir. Aussi a-t-il a évoqué l’ajout possible de trois navires de premier rang supplémentaires.
Par ailleurs, dans une réponse à une question écrite posée par la députée Nathalie Da Conceicao Carvalho, le ministère des Armées a confirmé que l’armement des frégates de défense et d’intervention, insuffisant car résultant de choix faits « en adéquation avec les besoins militaires et les ressources financières allouées », allait être renforcé.
« Des mesures conservatoires ont été prises pour faire évoluer les frégates dans le temps et s’adapter à l’évolution des menaces et du contexte opérationnel. Les missions récentes confirment ce besoin et les évolutions visées pour renforcer l’armement des frégates », a-t-il en effet avancé.
Pour rappel, les FDI commandées auprès de Naval Group ne disposent que de seize cellules Sylver A50 pour tirer des missiles surface-air ASTER 30, de huit missiles antinavires Exocet MM40 Block 3C, d’une tourelle de 76 mm, de deux canons téléopérés de 20 mm et de deux doubles tubes lance-torpilles.
Quoi qu’il en soit, dans sa question, Mme Da Conceicao Carvalho a demandé au ministère des Armées s’il envisageait de nouer une coopération avec l’Italie en vue de se procurer deux, voire quatre, exemplaires du « super-destroyer DDX », un navire actuellement en phase de conception chez Fincantieri.
Selon les derniers développements de ce programme, le DDX doit afficher un déplacement de 14 500 tonnes [ce qui le rapproche d’un « croiseur lourd »]. Doté d’un radar puissant de type bi-bande à faces fixes fonctionnant en bande X et S, il disposera de 80 cellules de lancement vertical [48 Sylver A50 et 32 A70] lui permettant notamment d’emporter des missiles intercepteurs Aster 15 et 30B1 NT ainsi que des missiles de croisière.
A priori, l’éventualité d’une coopération avec l’Italie autour de ce nouveau type de navire n’est pas totalement écartée par le ministère des Armées, alors qu’elle avait été catégoriquement exclue selon des informations de Mer & Marine publiées en 2020. « Les marins, qui vont déjà devoir ferrailler pour obtenir les crédits nécessaires aux projets déjà initiés, ne voient quant à eux aucun intérêt à se lancer dans le projet DDX », avait avancé le site spécialisé, à l’époque. Mais les temps ont changé… et la conception du futur « cacciatorpediniere » de la marine italienne aussi.
« Pour la majorité des programmes d’armement, les coopérations européennes sont recherchées et encouragées. Dans le domaine naval, l’Italie et la France entretiennent un partenariat étroit, notamment au sein de la société Naviris [la coentreprise de Naval Group et de Fincantieri, ndlr] », a-t-il d’abord rappelé, en citant les programme FREMM, FDA, BRF [Bâtiment ravitailleurs de force] ainsi que le développement des missiles Aster.
« Cette coopération trouve son prolongement et sa finalité en opérations comme lors d’entraînements de haut niveau permettant d’approfondir l’interopérabilité, faire progresser les capacités d’engagement conjoint et renforcer l’autonomie stratégique européenne. Le traité du Quirinal offre ainsi des perspectives pour renforcer davantage ce partenariat », a poursuivi le ministère, avant de souligner qu’il était en train de conduire « un travail d’évaluation et de chiffrage de l’accélération de notre réarmement et du renforcement de nos capacités » et que la « trame des frégates en fait évidemment partie ».
En matière de défense, le Traité du Quirinal indique que la France et l’Italie « développent leur coopération dans le domaine du renforcement des capacités d’intérêt mutuel, en particulier en ce qui concerne la conception, le développement, la production et le soutien en service, afin d’améliorer l’efficacité et la compétitivité de leurs systèmes industriels respectifs et de contribuer au développement et à l’approfondissement de la base industrielle et technologique de défense européenne ».
Et la feuille de route qui l’accompagne parle « d’intensifier la collaboration déjà existante dans le secteur naval, des systèmes de missiles et des munitions de nouvelle technologie ».
Coopération militaire nordique dans l’Arctique à l’époque de Trump
Greenland national flag and coastal landscape with snow, winter, Greenland, Denmark, North America/ibxrpa07151937/imageBROKER.com/Reinhard Pantke/SIPA/2110191510
par Henrik Werenskiold – Revue Conflits – publié le 7 avril 2025
La période où l’Arctique était une zone de faible tension géopolitique est révolue. Les pays nordiques doivent unir leurs forces pour protéger au mieux leurs intérêts dans une région de plus en plus importante sur le plan géostratégique.
Maintenant que la realpolitik et la politique de puissance font leur grand retour dans la politique internationale, l’importance géostratégique des régions nordiques – à mesure que la glace fond – est plus cruciale que jamais. Avec les récentes déclarations de Trump sur le Groenland, la vulnérabilité potentielle de l’Islande et la position géographique délicate du Svalbard, l’enjeu pourrait potentiellement se révéler immense pour les pays nordiques.
En tant que puissances arctiques naturelles à une époque marquée par une incertitude géopolitique croissante, les pays nordiques ne peuvent plus se fier aux solutions de sécurité d’hier pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Le moment est donc venu de repenser – et d’agir – pour protéger au mieux les intérêts des pays nordiques dans une période de plus en plus troublée.
Il existe désormais un large consensus politique en Scandinavie sur la nécessité d’augmenter les investissements dans les capacités militaires maritimes, mais cela doit se faire dans un cadre nordique plus large et en tenant compte du contexte géopolitique plus vaste : il est donc temps de mettre en place une flotte pan-nordique permanente dans l’Atlantique Nord et les eaux arctiques.
Une flotte pan-nordique permanente, opérant régulièrement dans la mer du Groenland, la mer de Norvège, la mer de Barents et l’océan Arctique, pourrait servir plusieurs objectifs géopolitiques. Elle enverrait un message clair aux grandes puissances mondiales que les pays nordiques prennent la sécurité militaire au sérieux et qu’ils sont prêts à défendre leur souveraineté ainsi que leurs intérêts dans les régions nordiques – y compris par la force militaire si nécessaire.
Une position commune nordique dans l’Arctique
Les marines nationales nordiques ont diverses limites en ce qui concerne leur capacité de frappe si elles agissent seules, mais, ensemble, elles pourraient potentiellement former une force que personne ne pourrait ignorer – même pas les États les plus puissants. Un renforcement de l’intégration entre les marines nordiques améliorerait également l’efficacité, en évitant le chevauchement des capacités militaires et en garantissant la puissance de frappe la plus élevée possible pour chaque couronne investie.
En tant que pays nordiques détenant le plus grand contrôle sur des territoires arctiques – et ayant par conséquent le plus à perdre dans les régions nordiques –, les marines du Danemark et de la Norvège devraient former l’ossature d’une flotte pan-nordique intégrée. La Norvège, qui a à la fois le plus à défendre et les ressources financières les plus importantes, devrait assumer la responsabilité principale des investissements nécessaires pour rendre la flotte opérationnelle et efficace.
Même si la principale préoccupation sécuritaire de la Suède et de la Finlande se situe dans la mer Baltique, elles ont tout intérêt à soutenir la création d’une telle flotte pan-nordique de l’Atlantique et devraient contribuer avec du matériel militaire naval pertinent. Même les micro-États nordiques – l’Islande, les îles Féroé et le Groenland – devraient trouver leur place : l’Islande, qui n’a pas de marine militaire, peut fournir des navires de garde-côtes ou tout autre équipement pertinent, tandis que les îles Féroé et le Groenland peuvent apporter du personnel.
Utilité géopolitique
Outre l’effet symbolique considérable de l’unité nordique, tant pour les amis que pour les rivaux, une telle flotte commune pourrait atteindre plusieurs objectifs géopolitiques cruciaux. De manière générale, elle contribuerait à persuader les Américains que les pays nordiques prennent au sérieux leurs préoccupations quant à la volonté et la capacité de protéger le flanc nord de l’OTAN.
Plus précisément, elle permettrait de renforcer la surveillance des eaux groenlandaises afin de contrer l’augmentation de la présence militaro-navale russe et chinoise dans la région – affaiblissant ainsi l’argument principal de Trump pour revendiquer le contrôle de l’île. La flotte exercerait également un effet dissuasif contre une éventuelle agression russe – non seulement à l’encontre du Svalbard, qui pourrait potentiellement être la Crimée arctique de la Norvège, mais aussi dans les zones frontalières avec la Russie en Finnmark oriental et en Finlande du Nord.
La valeur géopolitique d’une flotte nordique commune est évidente. Néanmoins, il reste à voir si nos dirigeants politiques sont prêts à prendre une mesure aussi ambitieuse et tournée vers l’avenir. Si les pays nordiques veulent vraiment défendre leurs intérêts dans l’Arctique – avant que d’autres acteurs ne prennent l’initiative et, dans le pire des cas, ne nous évincent d’une partie du monde de plus en plus stratégique –, il faut agir dès maintenant.
« L’avenir n’appartient à personne. Il n’y a pas de précurseurs, il n’existe que des retardataires » (Jean Cocteau).
On ne saurait mieux dire de la sidération de l’élite française face aux bouleversements actuels du monde depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump. Pourtant, il fait ce qu’il dit depuis des mois et entend bien continuer sur cette voie ! En quelques semaines, il met à mal tous les paramètres de la gouvernance internationale d’un monde révolu. Il prend de court tous ceux qui avaient le tort de ne pas le prendre au sérieux sur des sujets comme le conflit russo-ukrainien, celui du Proche-Orient ou de la sécurité européenne. Pour avoir fait preuve d’une imprévoyance coupable, ils sont contraints, dans l’urgence absolue et dans l’agitation permanente, d’improviser d’improbables scénarios déconnectés du réel. Le temps des rêves des dividendes de la paix fait place au temps des cauchemars des dividendes de la guerre.
Le temps des rêves : les dividendes de la paix
Les accents joyeux de la symphonie d’un nouveau monde aux innombrables promesses conduisent à l’anesthésie d’une politique étrangère insouciante.
La symphonie d’un nouveau monde
Les trois décennies écoulées resteront dans l’Histoire comme celles d’un optimisme béat et d’une insouciance assumée. Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, le monde entrerait dans une période de paix, de stabilité et de prospérité sans équivalent depuis des siècles. Le monde des bisounours où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Le monde des fins (histoire, géographie, nations, frontières, protectionnisme, recours à la force, coercition, guerre…) et des commencements (universalisme, sécurité, liberté, doux commerce, recours au droit, coopération, paix éternelle…). Le monde allant vers la paix perpétuelle chère à Emmanuel Kant. En un mot, un monde qui récolterait, intérêt et principal, les dividendes de la paix. Un remake des mots du ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand devant la Société des nations (SDN) à Genève en 1926 : « Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l’arbitrage à la paix ! ». Dans cet environnement euphorique, tout questionnement sur l’imprévisibilité du monde de demain est incongru, pour ne pas dire saugrenu. Les empêcheurs de tourner en rond sont stigmatisés pour leur pessimisme de mauvais aloi alors que les marchands d’illusion tiennent le haut du pavé médiatique. Le fameux « gouverner, c’est prévoir » est oublié, balayé pour faire place au « gouverner, c’est communiquer » à longueur de journée, c’est-à-dire être actif sur les réseaux sociaux.
L’anesthésie de la politique étrangère
Il va sans dire, mais cela va mieux en le disant, que toute réflexion salutaire sur les linéaments de la politique étrangère du futur est proscrite tant l’avenir est radieux. Multilatéralisme à tout-va et Europe à tout bout de champ sont les marqueurs d’une action extérieure assoupie. A-t-on encore besoin de tous ces inutiles que sont les diplomates dont on ne devine guère la réelle valeur ajoutée ? Laissons-nous porter par l’air du temps qui passe ! Cessons de suivre les conseils de certains esprits retors qui nous incitent à nous interroger sur les adaptations requises par un monde nouveau ! Or, ce dernier n’est pas exempt de spasmes, de défis, de menaces telles que le terrorisme islamiste, l’accession à l’arme nucléaire de la Corée du Nord ou de l’Iran, le retour des conflits, l’affaissement du multilatéralisme… Le temps est à la paresse intellectuelle. Nos femmes et hommes politiques sont trop affairés à se quereller sur des questions intérieures pour perdre inutilement du temps à réfléchir aux surprises que pourrait nous réserver un avenir incertain, un ensauvagement inattendu d’un monde sans maître ni règles. Le temps est aux rêveries d’un voyageur solitaire aux quatre coins de la planète. Qu’il est doux de ne rien faire lorsque tout s’agite autour de vous ! Laissons-nous porter par les bienfaits éternels d’un monde merveilleux à perte de vue et d’un avenir réconfortant par toutes les promesses mirifiques qu’il laisse entrevoir à celui qui sait les attendre.
Or, il n’en est rien. Le rêve merveilleux tourne au cauchemar éveillé des dirigeants politiques français, des experts et des médias face à un changement d’ère qui était largement prévisible.
Le temps des cauchemars : les dividendes de la guerre
Face à la cacophonie croissante d’un nouveau monde en éruption constante, la politique étrangère de la France est marquée au sceau d’une vacuité certaine.
La cacophonie du nouveau monde
Plus les années passent, plus le monde apparaît chaotique : attentats du 11 septembre 2001, guerre en Afghanistan, en Irak, conflit en Crimée, crise économique et financière, crise du Covid 19, guerre en Ukraine, éruption au Proche-Orient (Palestine, Iran, Israël, Liban), opposition Nord-Sud, retour des Empires, poussée des régimes autoritaires et des phénomènes migratoires, dégradation du système de sécurité collective, multiples obstacles à la liberté du commerce… Rien à voir avec la promesse de l’aube d’un monde pacifié. Mais, nous n’avions encore rien vu. Le second mandat présidentiel de Donald Trump achève de secouer l’édifice patiemment mis en place successivement après la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement de l’URSS. En quelques semaines, l’homme à la mèche blonde provoque incompréhension et sidération chez ses alliés. Le monde ne parvient pas à se réveiller d’un cauchemar qui a pour nom États-Unis. L’Union européenne érige le fameux mur du déni pour conjurer le mauvais sort. Or, cette posture du chien crevé au fil de l’eau est de moins en moins tenable au fil des annonces du locataire malappris à crinière jaune de la Maison Blanche : l’OTAN n’est plus une assurance tous risques pour les mauvais payeurs ; l’article 5 du traité de Washington n’est plus d’application automatique ; la sécurité européenne doit être du ressort des Européens ; les problèmes sérieux se négocient entre les trois Grands (Chine, États-Unis, Russie), les va-nu-pieds n’ayant qu’à s’exécuter comme de vulgaires laquais. L’Europe devient un acteur mineur aux yeux de ses partenaires, alliés et concurrents, spectateur d’un monde en pleine recomposition. Elle ne fait qu’étaler son actuelle faiblesse. Notre pays ne fait pas exception[1].
La vacuité de la politique étrangère
Quels constats objectifs peut-on dresser de l’action internationale de la France conduite sous la férule exigeante de Foutriquet à une époque de relations internationales chaotiques et de l’émergence d’un monde nouveau ? L’élite française fait table rase de l‘un des enseignements du général de Gaulle pour qui la « France doit tenir compte de ce que l’avenir comporte d’inconnu et le passé d’expérience »[2]. Qui plus est, « Jamais le contraste n’a été aussi saisissant entre un ordre mondial et chancelant et l’impréparation des principales formations politiques hexagonales. Concentrées depuis des années sur des enjeux strictement nationaux (…) ils paraissent s’être isolés « dans une bulle »[3]. Certains y voient la conséquence d’un « sous-investissement politique et bureaucratique » dans la sphère internationale. Après avoir pensé que Donald Trump ne serait pas élu 47e président des États-Unis et avoir refusé de prendre ses propos au sérieux et au pied de la lettre, la nomenklatura germanopratine peine à prendre toute la mesure du changement de paradigme et à en tirer les conséquences qui s’imposent. Dans ce contexte, on imagine aisément que la politique étrangère (stratégie du long terme) – trop souvent confondue avec la diplomatie (tactique du court terme) – sous le second mandat empli de munificence de Jupiter 1er s’apparente à un ensemble vide, à une succession de gadgets comme celui de la dissuasion nucléaire partagée. Et cela au moment où la réalité – celle du rapport de force, du primat de la puissance – reprend ses droits. Heureusement, tout va changer avec la nomination d’un « Macronboy », l’illustrissime Clément Beaune au poste de « haut-commissaire au plan, commissaire général à la stratégie et à la prospective »en remplacement de François Bayrou[4]. Il annonce, aussitôt après avoir été choisi par Emmanuel Macron, disposer de pistes de réflexion pour donner consistance à sa fonction de stratège et de prévisionniste du XXIe siècle. Alléluia !
Chaos mondial et heure de vérité
« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ! » (Sénèque).
Les pays du « Nord global » n’ont toujours pas digéré la grande désillusion du « monde d’après ». Qui plus est, il y a de fortes chances que la « cicatrice diplomatique » du tsunami Donald Trump ne se referme pas de sitôt. Face à un monde qui vacille sur ses assises anciennes, un sursaut salutaire est indispensable. Il passe avant tout par l’adoption d’une stratégie cohérente dans le temps et dans l’espace. Or, nous en sommes encore loin tant le temps est à l’agitation et à la communication débridées. Entre le dire et le faire, il y a la page blanche qu’il faut commencer par noircir de réflexions. Face aux menaces, la France éternelle doit choisir entre puissance et effacement. La France doit effectuer un choix crucial pour espérer conserver sa place dans le monde de demain : définir une véritable politique étrangère ou bien se contenter d’une étrange politique (étrangère) ?
[1] B. D., « Macron enfin populaire … », Le Canard enchaîné, 2 avril 2025, p. 1.
[2] Maurice Vaïsse, « Les propos gaulliens de 1959 collent à l’actualité », Le Monde, 7 mars 2025, p. 26.
[3] Claire Gatinois/Gilles Paris/Philippe Ricard, « Politique étrangère. Torpeur et tremblements dans les partis français », Le Monde, 9-10 mars 2025, pp. 20-21.
Analyse – L’Union européenne face à la guerre en Ukraine : Conflit géopolitique ou prétexte à une intégration fédérale européenne ?
Par Alexandre Raoult – Le Diplomate média – publié le 25 mars 2025
Réalisation Le Lab Le Diplo
Depuis février 2022, le conflit en Ukraine a profondément bouleversé l’équilibre géopolitique du continent européen. Officiellement, l’Union européenne s’est positionnée comme un seul bloc, solidaire aux côtés de Kyiv, au nom de la défense du droit international, de la souveraineté des peuples et de la sécurité collective. Mais derrière cette posture qui se veut le plus consensuelle, certains observateurs perçoivent un autre enjeu, moins visible : l’exploitation du contexte de guerre afin de faire avancer un projet d’intégration politique plus ambitieux, porté notamment par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et par notre président de la république, Emmanuel Macron.
Analyse – L’Union européenne face à la guerre en Ukraine : Conflit géopolitique ou prétexte à une intégration fédérale européenne ?
Par Alexandre Raoult – Le Diplomate média – publié le 25 mars 2025
La guerre russo-ukrainienne, dans sa forme actuelle, a éclaté en février 2022 avec l’offensive militaire de la Russie contre l’Ukraine, après huit années de tensions persistantes depuis les événements de l’EuroMaïdan, suivi de l’annexion de la Crimée en 2014. Moscou justifie son intervention par la nécessité de “dénazifier” l’Ukraine et de protéger les populations russophones du Donbass. Kyiv, de son côté, soutenu massivement par l’Occident, y voit une invasion impérialiste de la Russie. Visant à remettre en cause son intégrité territoriale et sa légitimité souveraine sur la région.
Le conflit oppose donc deux blocs : la Russie de Vladimir Poutine, soutenue plus ou moins discrètement par plusieurs puissances émergentes dans une logique de reconfiguration multipolaire ; et l’Ukraine, adossée au soutien militaire, financier et diplomatique de l’OTAN, des États-Unis et de l’Union européenne.
Trump, OTAN, UE : Une fracture transatlantique révélatrice
L’attitude de l’ancien président américain Donald Trump vis-à-vis de l’OTAN et de l’Union européenne a amplifié les doutes sur la solidité du lien transatlantique. En qualifiant l’OTAN d’organisation “obsolète” et l’Union européenne de “véhicule pour les intérêts allemands”, Trump a ouvertement remis en cause les fondements du système de sécurité européen. Plus récemment, ses déclarations évoquant l’éventualité de ne pas défendre un pays européen ne respectant pas les engagements budgétaires de l’Alliance (2 % du PIB annuel) ont renforcé un sentiment d’incertitude.
Dans ce climat de doute, certains dirigeants européens ont vu une opportunité : celle d’accélérer une intégration fédérale de l’Union, au nom de “l’autonomie stratégique”.
Des signaux clairs d’une bascule fédérale
Sous couvert de répondre aux urgences du moment, l’Union européenne a multiplié les initiatives qui dépassent largement son mandat initial. En voici quelques exemples :
Un prêt commun de 806,9 milliards d’euros, lancé via le plan de relance post-Covid “Next Generation EU”, a ouvert la voie à une mutualisation de la dette à l’échelle européenne – sans consultation directe des citoyens ;
L’euro, déjà en circulation dans 20 pays, est désormais envisagé comme levier de stabilisation politique, au-delà de son rôle économique initial ;
Le projet d’euro numérique, porté par la BCE, est censé moderniser les paiements dans la zone euro. Mais il suscite de vives inquiétudes : traçabilité des transactions, restrictions potentielles à l’usage, affaiblissement du rôle des banques commerciales et recentralisation du pouvoir monétaire à Francfort ;
Le marché unique continue de s’étendre, imposant progressivement ses normes aux États membres, au détriment de certaines prérogatives nationales ;
La coopération militaire s’intensifie avec le projet d’armée européenne et les discussions autour d’un parapluie nucléaire européen, potentiellement adossé à la dissuasion française ;
Des fonds dédiés à la Défense, comme la Facilité européenne pour la paix (FEP) ou le Fonds européen de défense (FED), permettent à l’Union de financer directement la livraison d’armes à des pays tiers – une première historique.
Pris dans leur ensemble, ces éléments dessinent les contours d’une structure quasi-étatique. Or, cette mutation politique majeure s’opère sans mandat explicite des peuples européens.
Vers une Europe technocratique et hors sol ?
La critique principale formulée par les opposants à cette dynamique fédérale tient dans l’absence de légitimation démocratique. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, n’a pas été élue au suffrage universel des populations. Pourtant, elle a négocié et validé un prêt commun de 800 milliards d’euros engageant les générations futures, sans avoir consulté les citoyens européens.
Sur le plan militaire, domaine historiquement réservé aux souverainetés nationales, l’Union avance désormais vers une intégration doctrinale, stratégique et budgétaire. Ce glissement remet en cause le principe même de subsidiarité des États membres.
La France, quant à elle, semble opérer un recentrage stratégique. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, elle accepte de plus en plus de partager, voire de diluer, ses leviers de puissance (diplomatie autonome, industrie de défense, dissuasion nucléaire) dans une architecture européenne technocratique peu soumise au contrôle des urnes.
Un fossé grandissant entre les institutions et les peuples
Cette fracture n’est plus théorique. Lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, en février 2025, la venue du vice-président américain James David Vance a illustré le décalage croissant entre les élites européennes et leurs opinions publiques. Alors que Bruxelles et certaines capitales, Paris en tête, plaident pour une intégration stratégique plus poussée – y compris sur le nucléaire –, Washington a rappelé l’importance d’une Europe “alignée sur la volonté de ses peuples”.
Des sondages récents, évoqués en marge de la conférence, confirment cette tendance : de nombreux citoyens européens expriment leur méfiance vis-à-vis des choix opérés à Bruxelles, notamment en matière militaire, budgétaire ou énergétique. Le manque de transparence, le contournement des parlements nationaux et l’absence de référendums alimentent une crise de légitimité démocratique qui ne cesse de s’aggraver.
Une Union européenne à la croisée des chemins
L’idée d’une Europe unie reste porteuse d’espoir, comme en témoignent déjà les ambitions des traités de Maastricht. Mais l’instrumentalisation d’une crise majeure – en l’occurrence la guerre en Ukraine – pour faire progresser un projet fédéraliste sans le consentement des citoyens constitue un précédent lourd de conséquences.
L’Union européenne peut-elle encore se réclamer démocratique lorsque ses choix les plus structurants sont élaborés à huis clos, dans les couloirs de la Commission, loin des regards et des urnes ? Les idéaux d’union, de paix et de coopération sont nobles. Mais ils ne doivent pas servir de prétexte à une confiscation silencieuse des souverainetés nationales au profit d’un projet technocratique qui remet en question l’essence même de la démocratie : la libre souveraineté des peuples.
Alexandre Raoult
Alexandre Raoult est étudiant en master dans une grande école de commerce à La Rochelle. Photographe indépendant et jeune passionné de géopolitique, il s’intéresse également à l’histoire et à la satire politique. Il a intégré l’équipe du Diplomate média en tant que rédacteur en mars 2025.