Emmanuel Chiva, nouveau Monsieur innovation des armées

Emmanuel Chiva, nouveau Monsieur innovation des armées

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EXCLUSIF. Emmanuel Chiva va être nommé à la tête de la toute nouvelle agence d’innovation de l’armée, dotée d’un budget d’un milliard d’euros par an. Sa mission: muscler la R&D militaire en la rapprochant de l’écosystème d’innovation civil.

 

Emmanuel Chiva, directeur général délégué d’Agueris, va être nommé à la tête de la nouvelle agence d’innovation de défense créée par la ministre des armées Florence Parly. Gicat

Ce fut une compétition intense, avec des dizaines de candidats. On en connaît désormais le vainqueur : selon nos informations, c’est Emmanuel Chiva, directeur général délégué de Agueris, qui va prendre la tête de la toute nouvelle Agence d’innovation de défense créée par la ministre des armées Florence Parly. Ce normalien de 49 ans, docteur en bioinformatique, est un familier de l’innovation militaire. Président du comité innovation du Gicat, le syndicat professionnel de l’armement terrestre, il est également membre du conseil de surveillance de Def’Invest, le fonds d’investissement du ministère des armées dédié aux PME stratégiques. Son entrée en fonction à la tête de l’agence d’innovation de défense, qui a été annoncée en interne le 10 juillet, est prévue en septembre.

Le nouveau Monsieur Innovation des armées hérite d’un agenda chargé. L’agence d’innovation de la défense est un maillon essentiel de la grande réforme de la Direction générale de l’armement (DGA) lancée par Florence Parly le 5 juillet. Dotée d’un budget d’un milliard d’euros par an, l’agence doit, selon le ministère des armées, « favoriser la prise de risque et la vitesse dans les projets d’innovation en apportant de nouvelles méthodes » inspirées de l’écosystème civil (start-up, GAFA…).  « Cette agence va regrouper nos programmes en faveur de l’innovation, offrir une visibilité nouvelle et internationale à notre innovation de défense« , indiquait Florence Parly le 5 juillet lors de la présentation de la réforme de la DGA. La ministre en profitait pour fixer des objectifs élevés à la nouvelle agence et à la DGA : « Les ambitions raisonnables sont les ambitions des médiocres, quand il s’agit d’innover pour nos forces, d’innover pour nos technologies, martelait-elle. Ne soyez pas raisonnables. »

Guichet unique 

Placée sous l’autorité de la DGA, l’agence va servir en quelque sorte de guichet unique pour l’innovation dans les armées, en récupérant une bonne partie de l’arsenal de la DGA sur le sujet. Elle va ainsi gérer les 650 millions d’euros consacrés chaque année aux programmes d’études amont (PEA) du ministère des armées. Elle intégrera aussi le fonds d’investissement Def’Invest (50 millions d’euros), ainsi que deux dispositifs de R&D jusqu’ici rattachés à la DGA : le programme RAPID, destiné à financer l’innovation duale (civil et militaire), qui a déjà financé 430 projets de PME depuis 2009 ; et le programme ASTRID, qui soutient des projets de recherche académique très innovants. L’agence accueillera enfin l’Innovation Défense Lab, une structure chargée de mener des expérimentations avec des start-up.

La création de l’agence ne s’est pas faite sans douleur. Elle a fait l’objet de débats houleux entre le cabinet de la ministre des armées et la DGA. Le cabinet réfléchissait à placer la nouvelle structure hors du périmètre de la DGA, quand cette dernière revendiquait le pilotage de l’agence. Le DGA Joël Barre a finalement obtenu gain de cause. Florence Parly, elle, a engagé une profonde réforme de l’institution, premier investisseur de l’Etat avec 11 milliards d’euros par an et 9.600 agents. Un programme d’armement est actuellement développé en six phases, dont trois en amont, « une méthode rigide qui s’applique aussi bien à un sous-marin nucléaire de troisième génération qu’à un fusil d’assaut », rappelait Florence Parly le 5 juillet. La ministre entend réduire ces phases à trois.

Modèle Skunkworks

Comment Emmanuel Chiva va-t-il gérer la nouvelle structure ? Le compte LinkedIn de cet officier de réserve (dans la Marine) donne quelques pistes. Il y explique que son « modèle » d’innovation est Skunkworks, la structure d’innovation avancée du géant américain Lockheed Martin. Cette cellule a notamment piloté les programmes d’avions espions U2, SR-71 Blackbird, mais aussi ceux de l’avion furtif d’attaque au sol F-117 et du chasseur F-22. Elle bénéficie, explique Emmanuel Chiva, « d’un haut degré d’autonomie« , avec la mission de « travailler sur des projets de rupture en lien avec le besoin des clients finaux« .

Son blog dédié à l’innovation de défense montre aussi une volonté de décloisonner la recherche militaire : les derniers posts évoquent pêle-mêle le biomimétisme, avec l’idée de s’inspirer de la capacité de camouflage des seiches, et les missiles de poches récemment dévoilés par Lockheed Martin. Des missiles de la taille d’un parapluie, que l’industriel a réussi à miniaturiser en s’inspirant de l’industrie médicale et de celle des smartphones.

Emmanuel Chiva a débuté dans les années 90 comme ingénieur de recherches chez MASA, une start-up qui travaillait déjà sur la robotique et l’intelligence artificielle. Il avait ensuite fondé Silkan, spécialiste des simulateurs, qui s’est rapproché en 2015 du groupe belge CMI Défense au sein d’Agueris. Son intervention à une table ronde dédié à l’intelligence artificielle dans les armées au dernier Paris Air Forum avait été particulièrement remarquée.