Le général Nicolas Casanova, de l’Irak à Rennes, en passant par Abidjan
par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 20 juillet 2022
http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/
Le général de corps d’armée Nicolas Casanova a fait ses adieux aux armes le 16 juillet, à Saumur, en compagnie du CEMAT, le général Schill, et du général Charpy, commandant les écoles de Saumur. Ce cavalier quitte donc son poste rennais d’officier général de zone de défense et de sécurité Ouest et de commandant de la zone terre Nord-ouest (photo Pascal Simon Ouest-France).
Alors qu’il se prépare à rejoindre un grand équipementier militaire français, il revient sur sa carrière d’officier mais aussi d’auteur puisqu’il a écrit deux livres, l’un consacré à la guerre du Golfe et l’autre à la Côte d’Ivoire.
Vous avez commencé votre carrière avec la chute du Mur. Est-ce que la fin de l’URSS a eu un impact sur votre vision de votre mission de soldat ?
Oui et non. Oui, parce que l’ennemi majeur, celui contre lequel nous avons été éduqués comme jeunes officiers, s’est éclipsé et l’émergence d’une certaine multipolarité l’a remplacé. Nous nous sommes alors retrouvés réengagés dans les OPEX. C’était une nouveauté pour les soldats qui veillaient face à l’est.
Non, car ce n’était pas tout à fait le cas pour les troupes déjà professionnalisées, dont le 1er REC. J’en veux pour preuve, mon premier chef de corps à la Légion étrangère, le général Ivanoff, malheureusement décédé il y a quelques semaines. Il avait magnifiquement commandé au feu le 1er escadron de ce régiment durant l’opération Tacaud au Tchad au printemps 1978, en y gagnant la légion d’honneur. Enfin, le jeune soldat n’est pas dans l’analyse stratégique. Pour paraphraser un évangéliste « chaque chef est soumis à des supérieurs. Il a des soldats sous ses ordres ; et il dit à l’un : va ! et il va ». Il va donc où il lui est commandé d’aller. C’est ainsi que j’ai veillé face à l’est, que j’ai combattu au Moyen-Orient et que j’ai pacifié en Afrique ou au Liban. En ce sens ma vision de la mission du soldat n’a pas évolué.
En 1990, vous étiez lieutenant au 1er REC. Comment avez-vous vécu cette guerre ?
Je l’ai vécu comme un lieutenant, c’est-à-dire comme un soldat parmi les siens et dont la tâche est d’être au milieu d’eux pour aller ensemble à la « riflette ». Etant cavalier blindé, je commandais mon peloton à partir d’un blindé et partageais quotidiennement tous les instants de vie de mon équipage. Je faisais du quart la nuit, je dormais sur la plage arrière du char avec mes légionnaires. J’ai aussi commandé le feu de mes hommes, c’est-à-dire que j’ai ordonné de tirer et j’ai aussi ordonné de cesser le feu lorsque ce n’était plus nécessaire. Et croyez-moi, faire cesser le feu, c’est beaucoup plus difficile que de l’ouvrir. Ces souvenirs très forts resteront indélébiles !
Vous en avez tiré un livre. Vous en tirez un autre de votre expérience en RCI. Pourquoi écrire ?
Parce que c’est une occasion de rendre hommage aux soldats qui m’ont été confiés et que j’ai eu sous mon commandement, ici en opération. Une occasion de rendre hommage à ceux qui ont choisi de renoncer à une part de leur liberté pour se mettre aux ordres de l’intérêt supérieur de la nation, de faire passer le collectif avant eux, jusqu’à la mort. Je crois que cela le mérite.
Vous êtes un cavalier. On a souvent annoncé la fin du char de combat. Votre avis ?
Je reprendrais volontiers l’avis de Marc Chassillan dans l’excellent article paru dans les colonnes de Ouest France: « L’Ukraine dévoile nos insuffisances » : « ce genre de questionnement est une constante de l’histoire (…). Les armes valent par l’emploi que l’on en fait, par la doctrine qui dirige leur utilisation et par la formation des soldats qui les utilisent. » C’est ainsi pour le char. C’est un engin de combat qui tire son essence de l’environnement interarmes qu’il a autour de lui ; il est alors très puissant. Tout seul il n’est rien. C’est in fine la philosophie adoptée pour dessiner l’architecture du futur Système Principal de Combat Terrestre (MGSC en anglais) développé par le consortium franco-allemand KNDS, où la lettre N est celle du groupe français Nexter. C’est un ensemble de systèmes articulés autour du char (drones, robots, capteurs divers, etc.) qui valorisent la plateforme pour la rendre plus agile et plus efficace.
Vous avez commandé la 2e BB. Était-ce juste une étape dans votre carrière ?
Je suis resté 18 mois à sa tête. Tout chef vous dira que son commandement a été bien trop court. Je n’y échappe pas ! Mais ce type de mandat ne dépasse que rarement les deux ans. J’ai vécu à la tête de la 2, héritière de la 2e DB du général Leclerc, une aventure extraordinaire avec des colonels absolument remarquables placés à la tête des régiments de la brigade. J’avais pour mission première d’amener toutes les unités à un standard opérationnel qui leur permettent d’être projetées avec succès en opération, ce qui fut le cas. Pour cela, nous avons beaucoup travaillé ! Nous nous sommes beaucoup remis en cause ! Nous avons aussi beaucoup innové ! Finalement, c’est un formidable outil qui est parti combattre les djihadistes. Je me souviens des mots alors élogieux du patron de Barkhane jugeant la brigade particulièrement performante. Elle l’aurait été tout autant en combat de haute intensité, je l’avais préparé dans cette optique. J’en suis fier. Enfin, est-ce juste une étape dans la carrière ? la réponse est bien sûr « non ». Il s’agit d’un commandement qui s’inscrit dans le parcours de commandement d’un officier dont c’est l’ADN : du chef de peloton jusqu’au commandement d’une zone de défense, en passant par celui d’un escadron et d’un régiment.
OGZD ? Le poste est méconnu. Qu’est-ce qui vous y a le plus intéressé ?
Assurément le commandement. Mais j’ai aussi beaucoup aimé travailler des questions qui engagent le moyen et long terme, notamment celles qui portent sur la résilience de l’État au sens large : prévoir l’imprévisible et proposer les réponses militaires adéquates. S’agissant du poste, il est vrai que dans les années 2010-2015, une époque encore bénie de la capitalisation sur les dividendes de la paix, il était non seulement méconnu mais il ne portait plus beaucoup de sens. C’était tellement vrai que l’on avait même envisagé le supprimer, nous avions oublié que l’état de crise est l’état normal du monde. Mais les attentats terroristes de 2015, générant la mission Sentinelle, puis l’engagement des armées dans l’opération Résilience pour concourir à la lutte contre le COVID à partir de 2020 et maintenant la guerre en Ukraine, ces trois crises ont réellement replacé le commandement zonal à sa place, au cœur de la résilience des armées, au cœur de la gestion des crises.
Vous quittez le service actif alors que la guerre bat son plein en Ukraine. Est-ce celle que vous auriez pu imaginer en tant que jeune lieutenant ?
Non seulement nous l’imaginions mais nous nous préparions à affronter le pacte de Varsovie avant la chute du mur de Berlin. Nous avons mené ce combat lors de la guerre du Golfe. Cette dernière avait comme caractéristique d’être une guerre conventionnelle aéroterrestre contre un ennemi iraquien, considéré comme la 4e armée du monde. D’une certaine manière, la victoire militaire contre Saddam était l’aboutissement d’années de préparation opérationnelle contre l’ennemi soviétique. Elle montrait que le « poing blindé » était efficace après que l’aviation et l’artillerie aient façonné le camp adverse : 45 jours de frappes aériennes quotidiennes et massives, des déluges de feux délivrés par les canons de 155 mm et les lance-roquettes multiples de la coalition. Aujourd’hui, les techniques ont évolué, l’infovalorisation du champ de bataille s’est mise en place, le cyber aussi, tout comme les drones et les robots. Mais à la fin, le combattant reste au cœur de la bataille car la guerre demeure un affrontement des volontés, et la volonté est propre à l’homme, non dans sa dimension sensible mais par son intelligence.