Nucléaire : pourquoi tant d’attirance pour les SMR  ?

Nucléaire : pourquoi tant d’attirance pour les SMR  ?

OPINION. Si on parle autant du nucléaire pour résoudre la crise climatique, c’est parce qu’un nouveau paradigme de réacteurs fait son arrivée : les petits réacteurs modulaires ou Small Modular Reactor (SMR). Comment font-ils la différence… Par Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, université de Bruxelles.

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Un artiste a imaginé comment se présenterait un SMR produit par l'entreprise Westinghouse.
Un artiste a imaginé comment se présenterait un SMR produit par l’entreprise Westinghouse. (Crédits : Reuters)

Les Small Modular Reactor (SMR) sont d’abord plus petits, et produisent plus d’énergie thermique (de l’ordre de 10 à 50 % plus élevée). Tout en étant plus efficaces, ils rejettent d’autant moins d’énergie dans l’environnement, ce qui signifie moins de consommation d’eau pour les refroidir. Certains concepts de réacteurs modulaires peuvent même se passer d’eau, ce qui ouvre la porte à des réacteurs dans des zones arides (au prix d’un refroidissement moins efficace et d’un peu moins de performance énergétique mais ce n’est plus le moment de faire des chichis).

Ces réacteurs utiliseront des taux d’enrichissements en uranium supérieurs aux taux des réacteurs d’aujourd’hui (5%) : on évoque jusqu’à 10-20 %. De tels taux permettent des plus longues périodes de production et une meilleure utilisation du combustible sans toutefois causer de problèmes de prolifération. Ces réacteurs pourront même être assemblés par modules en usines, comme des voitures, ne fût-ce que les composants principaux : fini les chantiers pharaoniques sur site, qui ne se ressemblent (et ne finissent) jamais. Ces réacteurs peuvent avoir toutes les échelles, depuis plusieurs centaines de MW jusqu’à quelques MW. Ils sont soit à neutrons rapides (les neutrons de la réaction de fission qui vient d’avoir lieu peut directement initier la réaction suivante) ou à neutrons lents (il faut ralentir le neutron qui vient de la réaction de fission précédente via un modérateur avant qu’il ne soit utilisable pour créer la réaction de fission suivante).

Sécurité passive

Un autre progrès notable des réacteurs modulaires, c’est leur sécurité intrinsèque. Dans les réacteurs actuels, les fonctions de sécurité clés sont accomplies par la combinaison d’équipements en fonctionnement et de systèmes en réserve : des générateurs diesels auxiliaires pour continuer à alimenter les équipements dans la centrale en cas de panne électrique, des sources alternatives d’eau, des moyens additionnels de pompage et de circulation d’eau de refroidissement et des actions requises de la part de l’opérateur et de ses équipes qui ont intérêt à être à la hauteur. La promesse des réacteurs modulaires c’est de prévoir ces mêmes fonctions de manière passive, par l’effet de la gravité pour certains systèmes, par des ressorts mécaniques qui activent des valves qui se relâchent quand le système arrive en zone dangereuse… On y optimise la circulation naturelle des fluides pour évacuer la chaleur résiduelle à long terme du cœur.

Avec certains concepts, on garantit une réactivité qui évolue en sens inverse de la hausse de température. Que demander de mieux qu’une réaction de fission qui ralentit à mesure que le réacteur s’emballe. On essaie d’avoir un milieu monophasique, à l’état liquide, en permanence pour ne jamais avoir, par exemple, d’eau qui bout et dégrade le refroidissement du réacteur, même en situation accidentelle.

Avec les réacteurs à sel fondu ou au gaz, la capacité thermique de ces derniers est plus grande, ce qui permet de capturer plus vite sous forme d’énergie thermique l’énergie provenant de la réaction atomique. L’hélium ou sels fondus réduisent les risques d’interaction chimiques avec les matériaux du réacteur et de ses circuits, ce qui diminue leur dégradation. Même la conception des éléments combustibles est modernisée pour la rendre isotrope, c’est-à-dire de même forme géométrique quel que soit l’angle, ce qui réduit, par cette homogénéité, le risque de rupture du combustible (et le relâchement de radioactivité).

Nouveaux designs

Mais tout n’est pas (encore) rose : ce sont des designs pour lesquels on n’a pas de recul ni d’équipes opérationnelles entrainées. Il y a encore de la marge d’innovation avec les progrès dans le digital, en sciences des données et en intelligence artificielle qui peuvent tellement apporter à la sécurité et à l’efficacité de ces nouveaux concepts… ou les rendre vulnérables (au cyberattaques). On pourrait automatiser la détection des risques qui se matérialisent dans l’installation. On pourrait ne remplacer les composants critiques que quand c’est nécessaire plutôt qu’à intervalles réguliers pour éviter des maintenances inutiles qui, à leur tour, peuvent entraîner des défaillances.

Un fonctionnement fiable et la manière de gérer les accidents hypothétiques restent aussi dépendants du choix du réacteur modulaire. Pour les réacteurs refroidis au gaz, il est, par exemple, essentiel de limiter, en cas d’accident, l’arrivée d’air ou d’eau dans le réacteur pour minimiser l’oxydation du graphite et donc le relâchement de radioactivité dans les bâtiments ou l’environnement. Les réacteurs à sels fondus, eux, exigeront une chimie fine et un contrôle strict de la température pour atténuer la corrosion des métaux ou la solidification du sel pendant les opérations sur les canalisations. Les réacteurs à sodium liquide doivent maintenir une atmosphère inerte pour éviter les réactions chimiques explosives lors de fuites de sodium.

Comme les réacteurs travaillent à plus haute température, dans des conditions différentes d’utilisation d’aujourd’hui pour les réacteurs traditionnels en fonctionnement, on doit encore optimiser les matériaux utilisés pour garantir une meilleure résistance à la corrosion et à l’irradiation. Sans cela, on devra les remplacer plus fréquemment :  la maintenance sera plus difficile et plus fréquente, ce qui rajoute des coûts, de la complexité et des temps d’arrêt pour les réacteurs.

Maturité suffisante?

Toutes les familles de réacteurs modulaires n’ont pas atteint la même maturité. Cette dernière est dépendante de trois facteurs.

Dans l’ordre de maturité croissante de ces nouveaux réacteurs, on trouve les réacteurs rapides au gaz, les réacteurs à sels fondus (faible maturité). Les réacteurs à sodium liquide, au sels fluorés et les microréacteurs à gaz haute tempéreuse (supérieur à 1.100 K) viennent ensuite. Les réacteurs les plus matures sont les réacteurs à eau pressurisé de petite taille qui s’inspirent des réacteurs à eau pressurisée actuels.

Il ne faut pas s’en inquiéter. Les réacteurs d’aujourd’hui à eau pressurisée ont aussi connu des étapes avant d’être commercialisés à grande échelle : recherche et développement pour prouver la faisabilité scientifique et technique des caractéristiques clés de ces réacteurs : combustibles, milieu de refroidissement et caloporteur, le système utilisé pour le réacteur, ses composants, sa configuration. Ensuite, il s’agissait de démontrer via un proof of concept que le système tout intégré est viable. Enfin, vient la démonstration de la performance pour confirmer la possibilité de passer à un plus grande échelle, accumuler de l’expérience opérationnelle et valider le comportement et sa performance. Un démonstrateur commercial termine le cycle…

Les opérations

Exploiter des petits réacteurs modulaires ouvre de nouvelles portes opérationnelles insoupçonnées : c’est par exemple le concept de flotte de réacteurs opérant sur un site. La maintenance se fait par vagues, de sorte qu’il y a toujours des réacteurs en fonctionnement pour fournir de la puissance électrique au réseau. On peut même imaginer le réacteur embarqué vers une usine d’où on fera la maintenance et où on le rechargera en combustible, un peu comme quand on amène sa voiture à l’entretien. Bien sûr, déplacer des réacteurs pleins de combustible radioactif présente d’autre contraintes de sécurité et réglementaires.

On voudrait aussi avec les réacteurs modulaires automatiser les opérations pour réduire le besoin en personnel. Cela va nécessiter plus de gestion par informatique avec les contraintes de plus de sécurité et de fiabilité dans leur développement. On voudrait pouvoir diriger à distance les réacteurs, et cela ne devrait pas déplaire au régulateur qui pourrait aussi inspecter à distance et en continu ce qui se passe.

La sécurité et les plans d’urgence avec du personnel réduit va mettre l’accent sur les équipes locales de secours qui devront monter au front et en compétences. En cas de feu, inondation, tremblements de terre, les premiers à intervenir ne seront plus le personnel sur site mais les pompiers locaux.

On voudrait aussi gérer d’une seule salle de contrôle plusieurs réacteurs à la fois, un concept qui fonctionne déjà pour des porte-avions. L’USS Enterprise avait une salle de contrôle unique qui dirige 8 réacteurs. Enfin, on veut aussi utiliser les réacteurs modulaires pour d’autres usages que l’électricité (production de chaleur industrielle, production d’hydrogène), ce qui signifiera d’autres préoccupations et objectifs pour gérer des opérations. On ne produit pas un électron comme on produit une molécule d’hydrogène.

L’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) recense aujourd’hui plus de 80 modèles de réacteurs : pour ne pas devoir fabriquer 80 types de combustibles différents, pour que le passage à l’échelle soit possible, pour qu’une usine à réacteurs où on les fabrique et les entretiens fasse sens, seuls quelques modèles doivent percer. Il est donc urgent de ne plus se poser de questions existentielles sur le nucléaire (oui/non) mais d’y aller à toute vitesse en soutien du renouvelable pour ne pas se laisser déborder par le climat.

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Pour en savoir plus : Laying the Foundation for New and Advanced Nuclear Reactors in the United States (2023), National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine