Iran : Donald Trump fera tout pour empêcher l’accès au nucléaire. Entretien avec Fred Fleitz

Iran : Donald Trump fera tout pour empêcher l’accès au nucléaire. Entretien avec Fred Fleitz

 

In this photo released by the Atomic Energy Organisation of Iran, International Atomic Energy Agency (IAEA) Director General, Rafael Mariano Grossi, left, speaks with deputy chief of Atomic Energy Organisation of Iran, Behrouz Kamalvandi, upon his arrival at Mehrabad airport in Tehran, Iran, Wednesday, Nov. 13, 2024. (Atomic Energy Organisation of Iran via AP)/VAH101/24318585430436//2411131720

par Henrik Werenskiold – Revue Conflits – publié le 28 avril 2025

https://www.revueconflits.com/iran-donald-trump-fera-tout-pour-empecher-lacces-au-nucleaire-entretien-avec-fred-fleitz/


Il a été l’adjoint de Donald Trump lors de son premier mandat. Fred Fleitz dispose d’un œil avisé sur les relations avec l’Iran, le sujet des sanctions et l’avancement du programme nucléaire. Pour Conflits, il expose la vision de l’administration Trump et son plan pour empêcherl’Iran d’accéder à la bombe. Entretien exclusif.

Fred Fleitz est vice-président du Center for American Security à l’America First Policy Institute (AFPI). En 2018, Fred Fleitz a occupé les fonctions d’adjoint au président Donald Trump et de chef de cabinet du Conseil national de sécurité. Il a travaillé pendant 25 ans dans le domaine de la sécurité nationale américaine, notamment à la CIA, à la DIA, au département d’État et au sein du personnel de la commission du renseignement de la Chambre des représentants. Fred Fleitz est un auteur prolifique qui a beaucoup écrit sur le programme nucléaire iranien et nord-coréen, la menace croissante que représente la Chine pour la sécurité des États-Unis, la politisation des services de renseignement américains et de nombreux autres sujets liés à la sécurité nationale. Il est l’auteur ou l’éditeur de sept livres.

Que pensez-vous de la politique de l’administration Trump à l’égard de l’Iran ? Selon vous, quelle direction va-t-elle prendre ? Que nous réserve l’avenir ?

J’ai beaucoup travaillé sur l’analyse du programme nucléaire iranien. Je vais publier l’année prochaine un livre intitulé Nuclear Brinksmanship: Iran and the Oval Office (La politique de la corde raide nucléaire : l’Iran et le Bureau ovale) sur ce sujet, je le connais donc très bien. Je pense que l’approche de Trump consiste à empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, tout en évitant à l’Amérique de s’engager dans une nouvelle guerre.

Son approche « America First » en matière de sécurité nationale implique un président fort et une armée forte, mais aussi une utilisation prudente de la force militaire américaine afin de nous éviter de nouvelles guerres inutiles. Trump prend la diplomatie au sérieux et a donné deux mois aux Iraniens pour parvenir à un accord.

Mais s’ils tentent de faire traîner les choses, comme ils ont tendance à le faire, ou s’ils proposent un accord partiel bidon, je pense que Trump va imposer des sanctions très sévères avant d’envisager une action militaire contre l’Iran.

Alors, à quoi ressembleraient ces sanctions ? L’Iran est déjà un pays fortement sanctionné, le plus sanctionné au monde après la Russie.

L’Iran est aujourd’hui environ 100 milliards de dollars plus riche en termes de recettes publiques qu’il ne l’aurait été si Trump avait été élu en 2020. Cela s’explique par le fait que le président Joe Biden n’a pas appliqué les sanctions contre l’Iran, en particulier dans le secteur pétrolier.

Les ventes de pétrole ont apporté à l’Iran des revenus supplémentaires qui lui ont permis de poursuivre ses activités malveillantes, notamment le financement du Hamas, des rebelles houthis, de son programme d’armement nucléaire, etc. De plus, le pétrole est actuellement vendu à prix réduit en Chine, ce qui crée d’autres problèmes de sécurité.

Donc, en théorie, l’Iran est le deuxième État le plus sanctionné au monde, mais comme les États-Unis n’ont pas appliqué leurs sanctions, ce n’est pas vraiment le cas. Trump va inverser cette politique en imposant non seulement des sanctions très sévères à l’Iran, mais aussi des sanctions secondaires aux pays qui ne respectent pas ces sanctions.

Qu’en est-il des sanctions secondaires ? Qui achète aujourd’hui le pétrole iranien ? Commençons par la Chine : comment les États-Unis pourraient-ils la sanctionner ? Et qu’en est-il d’autres pays comme l’Inde, le Japon et la Corée du Sud ? Les sanctionner ne risquerait-il pas d’aliéner des partenaires clés, en particulier dans le contexte plus large de la rivalité entre les grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine ?

Le président Trump a adressé le même avertissement à la Chine lors de son premier mandat concernant l’achat de pétrole iranien. Je pense qu’il le fera à nouveau. Il n’est dans l’intérêt de personne, y compris de la Chine, de laisser ce régime islamiste fanatique se doter d’armes nucléaires.

La Chine ne sait pas où ces armes finiraient. Les États-Unis doivent donc travailler avec la Chine pour faire clairement comprendre que, même si nous avons des divergences d’opinion sur l’Iran et son programme pour le Moyen-Orient, Pékin et Washington doivent coopérer sur cette question.

Quant à l’Inde, la Corée du Sud et le Japon, je pense qu’ils mettront fin à leurs importations de pétrole iranien. Il est vrai que l’Inde n’a pas mis fin à ses importations de pétrole russe après l’invasion de l’Ukraine, et je m’y oppose, mais c’est un autre sujet.

Pensez-vous que les États-Unis et Trump peuvent réellement contraindre l’Iran à abandonner son programme d’armement nucléaire par le seul biais de sanctions, compte tenu de l’inefficacité dont celles-ci ont souvent fait preuve par le passé pour provoquer des changements politiques ? Est-ce un scénario crédible ?

Eh bien, Trump a presque ruiné l’Iran pendant son premier mandat. Mais je pense que vous soulevez là un point intéressant, à savoir que les sanctions ont leurs limites. Je doute par exemple que les États-Unis parviennent un jour à utiliser les sanctions pour faire changer la politique de Vladimir Poutine et le pousser à se retirer d’Ukraine.

Le problème, c’est que dans les États autoritaires ou dictatoriaux, les dirigeants ne sont pas responsables devant le peuple. Et ils sont prêts à laisser leur peuple souffrir sous le poids des sanctions afin de promouvoir leurs politiques. C’est différent dans une démocratie, où le peuple se rebelle et où les dirigeants sont destitués par les urnes. Je suis donc d’accord avec vous pour dire que les sanctions ont leurs limites.

Que se passera-t-il si les sanctions n’aboutissent à rien et que l’Iran est sur le point de se doter de l’arme nucléaire ? Une action militaire serait-elle alors envisageable ? Et dans le prolongement de cette question, compte tenu de la guerre en cours en Ukraine et de la nécessité de dissuader la Chine en Asie de l’Est au sujet de Taïwan, les États-Unis ne sont-ils pas déjà quelque peu débordés pour mener une telle opération militaire ?

Vous abordez le concept de rareté de la puissance militaire dont certains membres de l’administration Trump ont parlé, à savoir que les États-Unis n’ont pas la capacité ni les forces militaires nécessaires pour faire face à toutes ces crises simultanément. Je ne suis pas d’accord avec cela. En tant que superpuissance, les États-Unis doivent être capables de gérer plusieurs crises dans différentes parties du monde en même temps. Nous disposons d’un budget militaire important, de forces armées très compétentes et de moyens pour gérer ces conflits simultanément.

En ce qui concerne l’Iran, nous nous trouvons actuellement dans une situation intéressante. L’économie iranienne est en difficulté et le pays s’est révélé extrêmement vulnérable aux frappes aériennes. Les deux frappes menées par Israël contre l’Iran l’année dernière ont montré que ses défenses aériennes sont extrêmement faibles et qu’Israël a la capacité de détruire n’importe quelle installation en Iran.

Ainsi, avec le déploiement par les États-Unis de nombreux moyens militaires dans la région, notamment des bombes antibunker pouvant être transportées par des bombardiers B-2 basés à Diego Garcia, l’Iran se trouve dans une situation stratégique différente. Nous espérons que cela l’encouragera à négocier sérieusement avec les États-Unis au cours des prochains mois, afin qu’il n’ait pas à faire face à la possibilité d’une attaque militaire massive que Trump ne souhaite pas mener.

Pensez-vous que Trump prendra des mesures militaires si les sanctions et les négociations n’aboutissent à rien ?

Tout d’abord, je ne suis pas optimiste quant à l’issue des négociations. Je ne pense pas que les Iraniens aient montré la moindre intention de conclure un accord de dénucléarisation sincère. Ils poussent pour un accord partiel. Les Iraniens sont très doués pour cela : ils manipulent les médias. Ils font toutes sortes de déclarations sur leur volonté de coopérer et leur recherche d’investissements économiques américains.

Mais Trump ne se laissera pas berner. J’ai récemment publié un article dans lequel je citais une étude de l’Institute for Science and International Security selon laquelle l’Iran pourrait enrichir suffisamment d’uranium pour fabriquer une arme en moins d’une semaine, et 14 armes en quatre mois. À titre de comparaison, lorsque Trump a quitté ses fonctions, l’Iran pouvait enrichir suffisamment d’uranium pour fabriquer deux armes en 5,5 mois.

C’était déjà dangereux, mais la situation actuelle est très grave, et Trump n’acceptera pas un accord partiel ni ne laissera l’Iran continuer à enrichir de l’uranium. Il y aura un accord sérieux, sinon je pense que Trump imposera des sanctions très sévères. Je ne sais pas s’il recourra à la force militaire, mais je pense que des sanctions très sévères sont très probables à l’heure actuelle.

Il existe des divergences d’opinion entre l’administration Trump et la plupart des pays européens, mais il est dans notre intérêt à tous que l’Iran ne se dote pas de l’arme nucléaire. L’Europe peut-elle jouer un rôle constructif à cet égard et aider les États-Unis à conclure cet accord ?

Je pense qu’il est essentiel que les États-Unis travaillent en étroite collaboration avec leurs alliés européens sur la menace nucléaire iranienne, qui nous menace tous. Les missiles à moyenne et longue portée de l’Iran peuvent déjà atteindre le sud de l’Europe. De plus, l’instabilité au Moyen-Orient aura des répercussions sur l’économie mondiale et l’économie européenne.

Je pense que si nous voulons réinstaurer des sanctions sévères contre l’Iran, nous devons revenir aux sanctions strictes qui existaient avant le lancement du Plan d’action global conjoint (JCPOA) en 2015, lorsque l’Europe soutenait à 100 % des sanctions vraiment sévères. L’Europe n’a pas réinstauré ces sanctions depuis lors, et nous devons reconsidérer cette question.

Les États-Unis tentent actuellement d’obtenir le soutien des membres européens du JCPOA pour rétablir les sanctions contre l’Iran cet automne, en raison des violations par l’Iran des dispositions du JCPOA et de son refus de coopérer avec l’AIEA sur les sites nucléaires révélés par les Israéliens il y a quelques années.

Je pense que ce serait une bonne chose, mais au-delà du simple rétablissement des sanctions, nous avons besoin que tous nos amis et alliés européens travaillent avec les États-Unis pour faire pression sur l’Iran afin qu’il renonce à son programme d’armement nucléaire.

Missiles nucléaires en mer : la Corée du Nord frappe fort avec son nouveau navire

Missiles nucléaires en mer : la Corée du Nord frappe fort avec son nouveau navire

par Grégoire Hernandez – armees.com – Publié le
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@ REUTERS | Armees.com

Vendredi 25 avril 2025, Kim Jong-un a révélé au monde un bâtiment de guerre inédit : un destroyer de 140 mètres ! Un nouveau monstre d’acier fend les eaux de la Corée du Nord. Derrière ce mastodonte, un message clair : Pyongyang ne compte pas se contenter de menaces en l’air. Mais jusqu’où peut aller cette démonstration de force ?

Corée du Nord : un destroyer aux ambitions nucléaires

Lors d’une cérémonie soigneusement mise en scène au chantier naval de Nampo, la Corée du Nord a dévoilé le « Choe Hyon », un destroyer polyvalent de 5 000 tonnes, censé porter les « armes les plus puissantes » du régime. Ce navire de guerre, érigé en seulement 400 jours selon Pyongyang, vise à devenir un « élément essentiel de la défense nationale et de la dissuasion nucléaire », d’après Kim Jong-un.
Plusieurs analystes, notamment ceux du site spécialisé NK News, estiment qu’il est « probable » que le bâtiment puisse « être équipé de missiles nucléaires tactiques à courte portée« . Sa taille (140 mètres de long) en fait le plus imposant bâtiment de surface jamais construit par le pays, devançant les standards habituels de la marine nord-coréenne.

Ce lancement intervient dans un contexte de forte crispation militaire. Kim Jong-un a profité de la cérémonie pour accuser les États-Unis de « conduire des exercices agressifs qui simulent des frappes nucléaires » en collaboration avec la Corée du Sud. Le nouveau destroyer s’inscrit donc dans une stratégie de modernisation accélérée de la marine nord-coréenne, jugée jusqu’ici obsolète selon un rapport militaire américain.
Fin mars 2025, le leader nord-coréen avait déjà supervisé des essais de drones dotés d’intelligence artificielle, ainsi que le développement de sous-marins nucléaires, démontrant une volonté de diversifier ses capacités militaires. La sortie du « Choe Hyon » vient compléter cette offensive stratégique en mer.

Dissuasion nucléaire : la nouvelle carte de Kim Jong-un

En revendiquant son statut « irréversible » de puissance nucléaire, Pyongyang envoie un signal clair au reste du monde. Avec ce destroyer, la Corée du Nord montre sa capacité à projeter sa force au-delà de ses côtes, compliquant la tâche des stratèges sud-coréens et américains.
Pourtant, malgré l’aspect impressionnant du bâtiment, certains experts nuancent ses capacités. « La marine nord-coréenne reste essentiellement concentrée sur la défense côtière« , rappelle Joseph Bermudez Jr., chercheur au Center for Strategic and International Studies (CSIS). En cas de conflit ouvert, l’avantage technologique et numérique resterait largement du côté de Washington et Séoul.

Au-delà de l’aspect militaire, le « Choe Hyon » incarne une stratégie de communication agressive. Par son gigantisme et ses prétentions nucléaires, il vise à intimider la région et à forcer la communauté internationale à reconnaître la Corée du Nord comme un acteur incontournable.
Ce navire n’est pas simplement un ajout matériel à l’arsenal de Pyongyang. C’est une déclaration politique, un manifeste flottant. La présence de Kim Jong-un et de sa fille Ju Ae à la cérémonie renforce cette dimension symbolique : le pouvoir en Corée du Nord se transmet, et avec lui, la détermination d’affirmer le régime par la force.

Le nucléaire dans l’armée de Terre

Le nucléaire dans l’armée de Terre


 

« Je noterai une chose que les politiciens de tous bords n’aiment pas admettre : une apocalypse nucléaire est non seulement possible, mais aussi tout à fait probable[1] ». 

Depuis que, sous la pression des évènements internationaux, la question du nucléaire militaire national est à nouveau à l’ordre du jour chez les chroniqueurs et éditorialistes de la grande presse, il convient de rappeler brièvement ce que fut le « nucléaire terrestre », sa finalité et les concepts auxquels son hypothétique emploi avait alors donné lieu.

Avant de s’appesantir sur le Pluton, système d’armes national de la guerre froide, il y a lieu d’évoquer son prédécesseur allié, le système Honest John[2], pour s’achever avec le missile Hadès, qui n’est jamais ressorti de sa « mise sous cocon » dès son arrivée en dotation ; puis a été démantelé sans avoir jamais vu le jour. Triste fin pour un système dissuasif.

En mars 1966, le général de Gaulle signifie, par une lettre personnelle[3] dénuée de toute aménité, au Président Johnson l’évolution de la position française à l’égard de l’Alliance Atlantique. Tout en demeurant membre de celle-ci, cette évolution inclut notamment son retrait des instances de commandement intégré de l’OTAN.

Fin juin, les ogives nucléaires américaines destinées aux unités françaises sont évacuées. les États-Unis mettent ainsi fin à l’abonnement de l’artillerie française déployée sur le territoire de l’Allemagne fédérale au système d’armes Honest John et à ses missiles.

Préalablement, le général de Gaulle avait orienté la Direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) vers la constitution d’un système d’armes nucléaire tactique national qui serait mis en œuvre conjointement par l’armée de Terre et l’armée de l’Air. Pour l’armée de Terre, ce sera le système Pluton.

Le système Honest John et la conception américano-OTANienne du nucléaire tactique

Qu’était le système Honest John ?

Il s’agissait d’un système d’armes américain d’artillerie dont la munition, un missile, possédait une tête nucléaire de faible puissance. Sa portée était d’une cinquantaine de kilomètres. Au-delà des capacités techniques du système, il s’agit plutôt de se remémorer la doctrine d’emploi américaine, donc de l’OTAN, de ce système nucléaire tactique, anti-forces.

Le qualificatif de « tactique » qui lui a été accolé était parfaitement justifié, car son emploi était directement lié et même intégré à la manœuvre tactique en cours. Engagées dans un rapport de forces défavorable, en cas d’attaque des forces du Pacte de Varsovie en Europe, les forces de l’OTAN utiliseraient le nucléaire tactique américain dans le cadre de leur manœuvre, pour s’opposer à une percée soviétique de leur dispositif de défense de l’avant.

Cet emploi allait d’ailleurs correspondre, en creux, à la doctrine d’emploi soviétique, qui, lorsque les systèmes Frog et Scud[4] seraient mis en place, se trouveront alors intégrés aux grandes unités du Pacte de Varsovie (PAVA) dans le but de percer le dispositif de défense de l’avant de l’OTAN.

C’est ainsi que la manœuvre aéroterrestre de l’OTAN se déroulait toujours, à compter des années cinquante, « sous menace d’emploi du nucléaire ». En principe, la manœuvre de l’OTAN devait correspondre à une succession, pour chacune de ses grandes unités, de concentrations temporaires des moyens pour pouvoir agir en force, suivis de rapides éparpillements pour éviter de constituer une cible potentielle d’attaque nucléaire adverse (cible dénommée le « pion nucléaire[5] »). Compte tenu de la densité du déploiement allié le long des frontières inter-allemande et germano-tchèque, ces principes demeuraient toutefois assez théoriques.

Il n’a jamais été question, au moins jusqu’au début des années soixante, d’une possibilité de couplage du nucléaire tactique avec les moyens nucléaires stratégiques. Ceci est tellement vrai, que, ce qui parait absolument ahurissant aujourd’hui, lorsque Eisenhower a accédé à la Maison Blanche, il a, en 1956, délégué l’emploi des missiles nucléaires tactiques Honest John au SACEUR[6] !

L’automaticité de l’escalade nucléaire tactique vers le stratégique n’apparaissait pas évidente à l’époque où, dans le domaine stratégique, le principe des représailles massives[7] (massive retaliation) prédominait.

Tout ceci allait être remis en cause dès 1962 par l’adoption par les États Unis de la doctrine de la riposte graduée[8] (Flexible Response) qui allait, de facto, créer un couplage entre les deux niveaux nucléaires. La délégation d’emploi consentie au SACEUR par Eisenhower allait lui être retirée par son successeur, Kennedy, dans la cadre de cette nouvelle doctrine[9].

En ce qui concerne l’OTAN, les forces françaises déployées en Allemagne se trouvaient sous le commandement opérationnel de CENTAG (Central Army Group), un des deux grands commandement d’AFCENT (Allied Forces in Center Europe), toutes les grandes unités alliées se trouvaient dotées, au niveau de la division, d’un groupe Honest John à deux batteries de quatre lanceurs. C’étaient les États-Unis qui les fournissait, ainsi que les têtes actives, le cas échéant, lesquelles demeuraient dans des dépôts américains.

En 1966, la France perd ainsi la possibilité de pouvoir disposer du « parapluie » nucléaire tactique américain au sein de ses forces. Le système destiné à y pallier, le Pluton, allait donc être développé, mais dans un cadre d’emploi radicalement différent. Si le terme tactique allait demeurer et lui être accolé, il ne correspondrait plus à aucune réalité.

C’est dans le hiatus entre la terminologie et la doctrine qu’il convient de rechercher la grave incompréhension qui fut celle de ce système, de la part d’une partie du commandement français. Ce hiatus s’est trouvé aggravé par les données de l’époque : en effet, elle correspondait aux études qui allaient aboutir à la mise sur pied des divisions 67.

Il était prévu, à l’origine, que les éléments organiques de ces futures divisions, engerberaient un régiment d’artillerie nucléaire (RAN). Comme la maquette prévoyait la constitution de cinq divisions, il y eut donc cinq RAN. Mais entre le lancement du programme et la première livraison du système, le niveau de mise en œuvre allait se trouver remonté au niveau des éléments organiques de corps d’armée (EOCA), au sein de l’artillerie des corps d’armée (ACA).

La doctrine d’emploi française du nucléaire tactique. L’apport de la pensée du général Lucien Poirier[10]

Depuis 1960, date du succès du premier tir d’essai nucléaire français, la doctrine de défense française repose sur le concept de dissuasion du faible au fort. Dans ce contexte, l’engagement du corps de bataille blindé mécanisé en Centre Europe, ne consistait pas à gagner la bataille, mais à gagner des délais pour permettre au Président d’estimer si les intérêts vitaux du Pays étaient menacés et s’il devait prendre la décision ultime d’engagement des moyens nucléaires.

C’est le général Lucien Poirier, un des quatre « théoriciens de l’Apocalypse » comme ont été surnommés les généraux André Beaufre, Charles Ailleret, Pierre-Marie Gallois et lui-même, qui a théorisé l’idée du « test ». Pour éviter de tomber dans la logique suicidaire du « tout ou rien ». Il convenait que le décideur politique en ultime recours, le Président de la République, pût disposer de moyens pour tester les intentions réelles de l’ennemi. Ces moyens correspondaient au corps de bataille aéroterrestre, composé de l’ensemble « Première Armée – FATAC (Forces aériennes tactiques) ».

Concrètement, cette fonction de « test » devait aboutir à donner à l’ennemi un « ultime avertissement », terme choisi par Poirier, sous la forme d’une frappe nucléaire anti-forces conjointe de missiles terrestres et aériens, frappe massive, unique et non répétitive.

Pour que cette fonction de test fût probante, il convenait que le volume de forces qui lui était adapté soit suffisamment significative (220 000 hommes, 1 500 chars – 400 pièces d’artillerie et 450 avions de combat) pour être crédible. De la sorte, l’ennemi se trouvait confronté à un dilemme existentiel : soit, il poursuivait son attaque et il savait qu’il encourait, à fort brève échéance une frappe stratégique française anti-cités, soit, pour éviter ce recours aux extrêmes, il stoppait son attaque, et la dissuasion se trouvait alors rétablie.

Il existait de la sorte un couplage permanent des moyens conventionnels et nucléaires tout au long de la chaîne : corps de bataille — forces nucléaires tactiques — forces nucléaires stratégiques. C’est pour répondre à ce couplage, qu’en organisation, les moyens nucléaires nationaux se trouvaient intégrés à leurs armées d’appartenance et qu’il n’a jamais existé de grand commandement stratégique des moyens nucléaires, comme c’était le cas en Union soviétique et que la Russie a conservé.

Outre l’impératif de crédibilité qui justifiait le volume de forces de la Première Armée, il lui fallait également disposer de la capacité de conduire une manœuvre autonome, à son niveau, cette fois-ci, dans le cadre de l’Alliance, puisqu’elle constituait la seule et unique réserve de l’OTAN sur le théâtre Centre Europe.

C’est cette double mission, dissuasive dans un contexte national et active dans un cadre interallié, qui a fait dire à un de ses anciens commandants, le général Jacques Antoine de Barry[11], que, pour commander la Première Armée, il fallait être un peu schizophrène. Ce n’était bien sûr qu’une boutade, mais l’image est suffisamment forte pour bien faire saisir qu’une même manœuvre répondait en fait à deux impératifs radicalement différents.

Ceci écrit, la manœuvre de « test » dissuasif devant aboutir — ou non — à la décision de l’ultime avertissement, se trouvait absolument découplée de la manœuvre tactique en cours, puisque le seul critère de choix de la décision présidentielle ne résidait pas dans la situation tactique du moment mais dans l’appréciation par le Président lui-même qu’il se faisait de savoir si les intérêts vitaux du pays étaient menacés, voire déjà battus en brèche ou non.

Cette notion de césure avec la manœuvre a mis un certain temps à voir le jour et ce n’est qu’à partir de l’alternance politique de 1981 qu’elle s’est imposée. Ce n’est pas le moindre des paradoxes, d’ailleurs que ce soit François Mitterrand, le dirigeant politique qui dans l’opposition n’avait pas eu de mots assez durs pour condamner la force nucléaire de dissuasion et sa logique propre, qui se soit le mieux coulé dans ses concepts, une fois aux affaires. « La dissuasion… c’est moi ![12] » affirmait il, à fort juste titre. Il a d’emblée saisi le couplage existant entre les forces nucléaires, tactique et stratégique.

Aussi, pour bien marquer que la décision d’emploi ne relevait aucunement d’une quelconque appréciation de la situation militaire du moment, mais uniquement de celle qu’il se faisait des intérêts vitaux de la nation, François Mitterrand a débaptisé le nucléaire tactique, en lui faisant prendre le qualificatif de « préstratégique », ce qui correspondait beaucoup mieux à la réalité.

Enfin, par rapport aux forces conventionnelles, pour ne pas subordonner sa décision aux délais inhérents à la mise sur pied et aux mouvements initiaux du corps de bataille qui ne s’engageait qu’en deuxième échelon de l’Alliance, comme réserve de théâtre, le même François Mitterrand a donné son aval et a encouragé la mise sur pied de la FAR (Force d’action rapide), destinée, officiellement, à s’opposer à un groupement de manœuvre soviétique (GMO).

En réalité, il s’agissait de disposer d’un outil en mesure de prendre le contact au plus loin et surtout au plus tôt, avec l’ennemi, de façon à ne pas obérer la décision du Président par des délais, durant lesquels les forces françaises ne se trouveraient pas au contact de l’ennemi. Ce rôle dissuasif de la FAR a peu été rappelé. C’était tout le fond en réalité de l’exercice « Moineau hardi » joué en septembre 1987 et qui a constitué à déployer et à faire manœuvrer les cinq divisions de la FAR, en totalité, dans le Jura souabe.

La poignée de main symbolique entre le président de la République française et le Bundeskanzler allemand sur un pont flottant lancé sur le Neckar était hautement symbolique de la portée politique de cet exercice, et donc du grand commandement qui le jouait.

Le général Poirier, à l’origine du concept d’« ultime avertissement » a d’ailleurs publié un article très éclairant dans la Revue de Défense nationale, au moment de la constitution de la FAR, article intitulé La greffe.

L’armée de Terre et le nucléaire préstratégique

Indubitablement, même si quelques-uns de ses commandeurs n’en étaient pas encore tout à fait convaincus, l’armée de Terre n’a tiré que des avantages de pouvoir disposer en interne d’un outil de mise en œuvre de la dissuasion, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agissait de celui dont la décision d’emploi devait être prise en premier lieu.

C’est d’ailleurs loin d’être un hasard si le commandement de l’armée de Terre par le général Jean Lagarde, entre 1975 et 1980, unanimement regardé comme celui qui avait permis à l’armée de Terre de prendre toute sa place au sein du dispositif global de la Défense a coïncidé, en 1975, avec la mise sur pied, à Mailly, du premier des cinq régiments d’artillerie nucléaire.

Système Hadès. Crédit : DR.

L’armée de Terre était, au sens premier du terme, une armée stratégique, puisqu’elle mettait en œuvre, au même titre que la Marine et l’armée de l’Air, partie de la panoplie nucléaire française. À ce titre, force est de reconnaître que la mise sous cocon, dont elle n’est jamais sortie, car démantelée en 1997, de la division Hadès, a porté un coup réel à la représentativité de l’armée de Terre au sein des armées.

Ses chefs y ont légitimement fait face en mettant en avant les capacités, réelles et largement démontrées, de l’armée de Terre en tant qu’armée d’emploi. Mais, il n’en demeure pas moins, qu’au niveau de la Défense, la dissuasion est et demeurera toujours supérieure à l’emploi !

Au-delà, au niveau global de la dissuasion, la perte de cette capacité d’ultime avertissement a certainement pu, en partie, nuire à la dissuasion elle-même, car, s’il est vrai que le nucléaire ne dissuade que le nucléaire, la possession par un État d’une panoplie complète dissuasive demeure un gage de crédibilité.

Celle-ci a pu être vérifiée lorsque, après l’effondrement de l’Union soviétique, les archives du haut-commandent soviétique ont été déclassifiées, tout un chacun a pu s’apercevoir que la planification opérationnelle soviétique s’arrêtait toujours au Rhin et ne se poursuivait jamais en direction de Brest. Le Kremlin avait-il imaginé que les intérêts vitaux français destinés à sanctuariser le territoire national commençaient au Rhin ? Peut-être, en tous cas, le fait est là.

Aujourd’hui, alors que nos voisins allemands ont toujours, par le passé, émis les plus extrêmes réserves à l’égard du système préstratégique français, car, de nature, selon eux, à contribuer à transformer l’Allemagne ou une partie de son territoire en un champ de ruines radioactives, ont brusquement, aujourd’hui, les yeux de Chimène pour la dissuasion française, compte tenu des derniers rebondissements de la situation internationale.

Il convient de se préparer, sans attendre les oukases politiques, à cette nouvelle donne stratégique. Comment mieux s’y préparer qu’en relisant Poirier et en réfléchissant comment adapter sa notion d’ultime avertissement — toujours pertinente – à la situation actuelle, qui n’est sûrement pas qu’un simple remake de la guerre froide, mais une nouvelle situation de crise potentielle.


NOTES : 

  1. Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité de la fédération de Russie, le 3 juillet 2023
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/MGR-1_Honest_John
  3. https://otan.delegfrance.org/Archive-Lettre-du-President-de-la-Republique-Charles-de-Gaulle-au-President
  4. Selon la terminologie otanienne, Frog pour Free Rocket Over Ground, Scud n’est pas un acronyme mais un verbe familier signifiant se mouvoir rapidement.
  5. L’OTAN estimait alors que le « pion nucléaire » était constitué par un bataillon.
  6. C’est cette délégation d’emploi du nucléaire tactique américain qui a justifié la nationalité américaine du SACEUR. Eisenhower a d’ailleurs été le premier SACEUR lors de la mise sur pied de l’OTAN en 1950.
  7. https://fr.wikipedia.org/wiki/Doctrine_Dulles
  8. https://fr.wikipedia.org/wiki/Doctrine_McNamara
  9. Ce qui allait provoquer la démission immédiate du général Lauris Norstad, SACEUR.
  10. https://www.diploweb.com/General-Lucien-Poirier-une-oeuvre.html
  11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Antoine_de_Barry
  12. https://www.mitterrand.org/francois-mitterrand-et-la-618.html

Colonel (ER) Claude FRANC

Colonel (ER) Claude Franc

Saint-cyrien de la promotion maréchal de Turenne (1973-1975) et breveté de la 102e promotion de l’École Supérieure de Guerre, le colonel Franc a publié une dizaine d’ouvrages depuis 2012 portant sur les analyses stratégiques des conflits modernes, ainsi que nombre d’articles dans différents médias. Il est référent « Histoire » du Cercle Maréchal Foch (l’ancien « G2S », association des officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre) et membre du comité de rédaction de la Revue Défense Nationale (RDN). Il a rejoint la rédaction de THEATRUM BELLI en février 2023.

Deux dates importantes pour l’Armée de l’Air et de l’Espace

Deux dates importantes pour l’Armée de l’Air et de l’Espace


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 18 mars dernier, le président de la République était sur la base aérienne 116 de Luxeuil-saint-Sauveur, en Haute-Saône pour annoncer un investissement de 1,5 milliard d’euro en vue de préparer le déploiement du futur missile nucléaire hypersonique français ASN4G en 2035

Le 25  mars, l’AAE  lançait sa première opération Poker de l’année 2025. L’opération a pour objectif de recréer, de jour ou de nuit, un raid nucléaire complet (ravitailleurs, Rafale B porteurs de maquettes d’ASMP-A, Rafale et Mirage d’escorte,…), devant pénétrer un espace aérien défendu par une force aérienne ennemie et des batteries antiaériennes ennemies

L’ASN4NG

Le missile nucléaire ASN4G sera déployé à Luxeuil sur Rafale B F5.

C’est d’abord le sauvetage de cette base et un soutien économique majeur pour ce bout de Haute-Saône. La base aérienne 116 de Luxeuil, régulièrement menacée de fermeture depuis 2011 va retrouver un rôle de premier plan  avec la mise en service du missile air-sol nucléaire de 4e génération (ASN4G) à compter de 2035.

L’ASN4G est développé par MBDA et l’ONERA depuis 2014. Il doit devenir la « figure du renouvellement entamé de la modernisation de notre dissuasion nucléaire », a assuré mardi le chef de l’Etat .

Ce missile, porté par la version F5 du Rafale, embarquera une tête nucléaire aéroportée. Il sera capable d’évoluer à une vitesse supérieure à Mach 5 et serait doté d’une très grande manœuvrabilité.

Les missiles hypersoniques

L’objectif de ces armes,  à ce jour très peu répandues dans le monde, est de « déjouer les défenses antimissiles adverses, de plus en plus sophistiquées », explique Etienne Marcuz, spécialiste des questions nucléaires

Un missile hypersonique, « c’est un missile ayant la capacité à la fois de voler à vitesse hypersonique [Mach 5 et plus, c’est-à-dire au moins 6.100 km/h] et de manœuvrer à cette vitesse », insiste -t-il. «Toutes les armes balistiques, comme le M51 [missile mer-sol balistique équipant les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, l’autre composante de la dissuasion nucléaire française], se déplacent à vitesse hypersonique, mais elles ne manœuvrent pas à cette vitesse. C’est là que se situe toute la différence. »

La manœuvrabilité de l’arme hypersonique permet de lui faire effectuer des mouvements, notamment des virages à très grande vitesse pour le rendre ininterceptable.  » il faut déjouer les défenses adverses antimissiles, de plus en plus sophistiquées« .

L‘ASN4NG

Il est a priori acquis que le missile ASN4G dépassera la vitesse Mach 5; il pourrait même selon certains spécialistes atteindre Mach 6 ou 7, soit entre 7.400 et 8.600 km/h. Il sera également doté d’une grande manœuvrabilité. Sa portée devrait être de plus de 1.000 kilomètres. Il doublerait ainsi celle de l’ASMPA, ce qui permettra de le tirer de plus loin, et de moins exposer l’appareil et l’équipage qui le portent.

Les pays maitrisant cette technologie

Le Kinjal russe  a une vitesse  hypersonique, mais sa capacité de manœuvre reste limitée. Les Russes entretiennent le flou sur cette question

Les Iraniens ont annoncé avoir tiré des missiles hypersoniques « Fattah »contre Israël, le 1er octobre 2024. La plupart ont été interceptés par les systèmes de défense israéliens car ces missiles n’effectuent que de légères manœuvres, insuffisantes pour les qualifier d’hypersoniques.

Selon Etienne Marcuz, les USA « n’ont pas encore démontré qu’ils arrivaient à faire quelque chose de véritablement concluant avec leurs armes hypersoniques. »

La Chine  avec le DF-17, qui pourrait voler à Mach 10, serait le seul pays assurément en possession d’une arme hypersonique. Selon le spécialiste, «…les Chinois sont véritablement les seuls à pouvoir prétendre détenir une arme hypersonique, sachant qu’ils travaillent dessus depuis très longtemps.» Avant d’ajouter «…en réalité, il n’existe aucune information, non classifiée.... »

La France : le rappel ci-dessus permet de comprendre l’importance stratégique que représentera le missile hypersonique. « la France est excellente dans la conception de missiles, soutient Etienne Marcuz. Le missile de croisière ASMPA, qui va à des vitesses de Mach 3, Mach 4, est déjà un bijou de technologie. C’est donc tout à fait crédible pour la France d’arriver à mettre au point un système hypersonique, même si la technologie est très différente de celle de l’ASMPA, puisque vous passez d’un statoréacteur à un superstatoréacteur [ou statoréacteur mixte, c’est-à-dire un moteur effectuant successivement une combustion subsonique et supersonique], ce qui est beaucoup plus complexe. »

Les défis

  • Le Rafale F5 attendu pour 2030-2035 embarquera le missile dont la masse et le poids sont bien supérieurs à l’ASMP actuel. LeRafale F5 Marine, armé de l’ASN4NG devra aussi être catapultable par un porte-avions.

Il pourra aussi être embarqué par le Scaf [Système de combat aérien du futur, qui prévoit la conception d’un nouvel avion de chasse entre la France, l’Allemagne, et l’Espagne], qui sera beaucoup plus gros.

  • Il reste à étudier l’adaptation de la TNA (tête nucléaire aéroportée) actuellement emportée par la cinquantaine de missiles ASMPA sur les missiles ASN4G. Les TNA sont des armes stratégiques d’une puissance maximale estimée à 300KT mais inférieure à une bordée de missiles M51 des SNLE. «L’ASN4G devrait rester l’armement privilégié  pour le tir d’ultime avertissement» explique Etienne Marcuz.
  • La base de Luxeuil devra être équipée de soutes à munitions spécifiques pour accueillir ces missiles nucléaires. « Il faudra par exemple très certainement y déployer des batteries de systèmes antiaériens et antimissiles » rappelle Etienne Marcuz.

POKER 2025

L’opération

Ce 25 mars, la première opération Poker de l’année 2025 était lancée par les Forces Aériennes Stratégiques françaises (FAS).

L’opération Poker demande à l’Armée de l’Air et de l’Espace le déploiement d’un nombre important d’appareils : avions de combat, avions porteurs du missile nucléaire ASMP-A (maquette), ravitailleurs,

Elle  a pour objectif de recréer un raid nucléaire complet (ravitailleurs, Rafale B porteurs de maquettes d’ASMP-A, Rafale et Mirage d’escorte,…), devant pénétrer un espace aérien défendu par une force aérienne ennemie et des batteries antiaériennes ennemies. L’exercice engage de nombreux personnels, moyens et ressources de l’AAE  pour à la fois créer le raid en tant que tel mais aussi des avions de combat pour la force aérienne adverse ainsi qu’une batterie antiaérienne longue portée SAMP/T.

Sauf exception, c’est une opération totalement française.

L’hypothèse d’une participation européenne ?

Étienne Marcuz, chercheur auprès du FRS, émet une hypothèse intéressante : pourquoi ne pas inclure, lors de certaines opérations Poker, des avions de combat européens ?

Alors qu’un réel raid aérien stratégique français devrait réussir sans aide externe, ajouter des appareils alliés permettrait d’encore augmenter l’efficacité de cette opération. Cet argument prend de la consistance depuis l’arrivée de Donald Trump.

Pratiquement, ces appareils étrangers ne seraient bien évidemment pas porteurs d’ASMP-A mais pourraient en revanche ouvrir la voie au raid, donnant plus de poids aux avions d’escorte français ou encore créer une bulle de défense aérienne autour du raid.

Ces configurations ouvriraient une participation européenne à dissuasion française européenne tout en garantissant l’indépendance de la dissuasion nucléaire française.

GCA (2S) Robert MEILLE
Vice-président de l’ASAF
31/03/2025

Point de vue. Quelle Europe nucléaire ?

Point de vue. Quelle Europe nucléaire ?

Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances, souligne François Heisbourg, auteur d’« Un monde sans l’Amérique » paru chez Odile Jacob.

La classe Suffren, issue du programme Barracuda, est la deuxième génération de sous-marins nucléaires d’attaque de la Marine nationale française. Ici, le 6 novembre 2020, dans la rade de Toulon.
La classe Suffren, issue du programme Barracuda, est la deuxième génération de sous-marins nucléaires d’attaque de la Marine nationale française. Ici, le 6 novembre 2020, dans la rade de Toulon. | ARCHIVES NICOLAS TUCAT, AFP

Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances.

Avec la guerre contre l’Ukraine, les menaces atomiques d’une Russie néo-impériale en marche et le départ désormais inéluctable des États-Unis, cet édifice a vécu. Les pays membres de l’Union Européenne, tels la Pologne, les États baltes et la Scandinavie, qui ressentent le plus vivement la menace du grand voisin russe, cherchent désormais, parfois avec fébrilité, une dissuasion qui puisse prendre le relais.

Plusieurs voies d’inégales valeurs se présentent. Devant son Parlement, le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a esquissé il y a quelques jours l’hypothèse d’une force de dissuasion nationale. En Suède, pays qui avait engagé des travaux en ce sens pendant la Guerre froide, des chercheurs y songent, tout comme leurs collègues dans une Finlande qui partage une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie de Vladimir Poutine. Au nom de quoi la France héritière de la « force de frappe » du général de Gaulle s’y opposerait-elle ? Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais.

Pourtant, ce serait une catastrophe annoncée. Depuis plus d’un demi-siècle, l’accord quasi universel qu’est le Traité de non-prolifération l’interdit expressément. Violer l’un des derniers et peut-être le plus important élément de ce qui reste d’un ordre international ouvrirait la voie à un chaos nucléaire mondial, de l’Arabie saoudite et du Japon à la Turquie ou à la Corée du Sud. Dans une telle anarchie, le nucléaire passerait trop aisément de la dissuasion mutuelle à l’emploi mortifère d’armes à la puissance de destruction infinie. À éviter donc…

Jouer la dissuasion française

Le président polonais demande pour sa part que les États-Unis déploient dans son pays des armes nucléaires américaines, à la manière de ce qui existe déjà de longue date en Allemagne, Italie, Belgique et aux Pays-Bas. Pourquoi pas ? Mais l’Amérique de Donald Trump le voudrait-elle ? Et qui prendrait au sérieux la garantie d’un pays qui paraît désormais plus proche de l’envahisseur russe que de ses partenaires de naguère, plus prompt aussi à annexer le Canada ou le Groenland qu’à épauler ses alliés ?

Les Jeux olympiques de Paris 2024 ont-ils amélioré l’image de la France à l’international ?

Mieux vaut tenter de faire jouer la dissuasion française de façon explicite et organisée, le cas échéant aux côtés de l’allié britannique. Il est en effet clair que l’invasion de pays membres de l’Union mettrait en jeu nos intérêts vitaux. Au premier chef, la Pologne, mais aussi l’Allemagne et les États baltes qui ont tout récemment manifesté leur intérêt. D’autres, des Pays-Bas à l’Italie, y réfléchissent. Le champ de la discussion pourra être large en termes d’appréciation des moyens qu’il faudrait mobiliser, de réflexion sur leurs lieux de déploiement, de participation à des exercices, d’évaluation commune des menaces, de doctrines partagées. La décision d’emploi devrait, elle, rester nationale pour la bonne et simple raison que la meilleure façon d’apporter une garantie crédible serait d’éviter qu’elle ne soit engluée dans des procédures improbables.

Les dénonciations des initiatives françaises par les responsables russes montrent que Moscou y croit, à sa façon. C’est paradoxalement encourageant…

Nucléaire : Où en est aujourd’hui la filière nucléaire française ?

AASSDN par Charles de BLONDIN – Revue Conflits publié le 21 janvier 2025

https://aassdn.org/amicale/nucleaire-_ou-en-est-aujourd-hui-la-filiere-nucleaire-francaise/


AASSDN Commentaire : Cet article sur la filière nucléaire fait le point sur l’état de notre filière nucléaire et rappelle les les décisions politiques désastreuses prises essentiellement sous la pression des partis écologistes soutenus par des ONG anti-nuclaires soutenues par certains pays européens.

Pour renforcer sa souveraineté et sa puissance économique, la France doit retrouver et développer une fière complète et cohérente capable de fournir de manière continue, une énergie nationale, en quantité, bon marché et la moins polluante possible.
C’est la condition première pour conduire une politique de réindustrialisation et permettre notamment l’installation de data center, gros consommateurs d’énergie électrique, mais indispensables au développement de l’intelligence artificielle, secteur hautement stratégique dans lequel la France a un important potentiel de Recherche et développement.

Le 30 mars 2023 était clôturée la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. Après six mois de travail et l’audition sous serment de 88 personnes (experts et scientifiques, dirigeants du secteur énergétique et des organismes de régulation, hauts fonctionnaires en charge des dossiers énergétiques, anciens ministres, anciens Premier ministres et même – fait inédit dans l’histoire des commissions d’enquêtes parlementaires – deux anciens présidents de la République), la trentaine de députés placés sous la présidence de M. Raphaël Schellenberger concluait à la nécessité de « refaire de la filière nucléaire la grande force française » et soulignaient la nécessité d’un « renforcement du cycle du combustible ».

Le cycle français du combustible

Pourquoi insister sur cette question du cycle du combustible ? Quels en sont les enjeux exacts ? Selon le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), « le cycle du combustible correspond aux différentes étapes d’extraction, fabrication, retraitement puis recyclage du combustible des centrales nucléaires. Son retraitement permet de récupérer l’ensemble des matières réutilisables et de réduire en parallèle le volume et la toxicité des déchets. »

Après avoir été extrait de la roche, l’uranium doit être converti, enrichi et conditionné sous forme de « crayons de combustible » avant d’être introduit dans un réacteur nucléaire. Après 4 années d’utilisation, ce combustible, dit « usé », doit être retiré du réacteur. Il se compose alors de 4% de déchets ultimes, c’est-à-dire d’éléments non réutilisables issus de la fission de l’uranium, et de 96 % de matières réutilisables possédant encore un potentiel énergétique. D’un côté, l’uranium extrait du combustible usé peut être ré-enrichi. C’est ce qu’on appelle l’uranium de retraitement (URT). D’un autre côté, une nouvelle matière qui s’est formée dans le réacteur, appelée plutonium, peut être recyclée sous la forme d’un nouveau combustible, le MOX, à partir duquel 10% de l’électricité française sont produits. Ce constat a amené la France à mettre en place une stratégie de cycle « fermé » qui prévoit le recyclage des combustibles usés en récupérant toute la matière réutilisable. L’objectif visé est triple : économiser la ressource en uranium ; diminuer les quantités de déchets radioactifs ; réduire leur toxicité.

Consolider la filière

Aujourd’hui, le recyclage de l’uranium de retraitement (URT) a lieu en Russie dans l’usine sibérienne de Seversk (anciennement Tomsk-7). Grâce à ce partenariat noué par EDF avec l’entreprise publique russe Rosatom, le combustible usé est recyclé pour servir de nouveau de combustible – sous le nom d’uranium de retraitement enrichi (URE) – dans les centrales nucléaires françaises à eau pressurisée.

L’intérêt est également économique, le prix de l’uranium ayant été multiplié par 5 en moins de 10 ans (le prix spot est aujourd’hui à plus de 100 dollars la livre. Enfin, la valorisation de l’uranium de retraitement (URT) a l’avantage d’éviter son stockage. En effet, avant qu’EDF ait passé cet accord avec Rosatom, des dizaines de milliers de tonnes d’URT étaient stockées sur le site de Tricastin, faute de mieux. Selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ce stock pourrait être résorbé « à l’horizon 2050 ».

À l’issue du processus de ré-enrichissement, le nouveau combustible (URE) repart en France tandis que la matière appauvrie reste en Russie, chez l’enrichisseur. Cet uranium qui a été appauvri deux fois reste pourtant une matière valorisable. Il peut en effet être réutilisé dans des réacteurs nucléaires à neutrons rapides, dits « de 4e génération ». La Russie en compte actuellement trois et elle en construit de nouveaux. La France qui a eu trois prototypes – Phénix (arrêté en 2010), son évolution Superphénix (abandonné dès 1997 suite à une décision de Lionel Jospin), Astrid (abandonné en 2019 suite à une décision d’Emmanuel Macron) – n’en a plus aucun.

D’où la proposition 26 faite par la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale d’« accentuer le soutien aux technologies liées à la 4e génération nucléaire ». De tels réacteurs, équivalents à ceux que possèdent la Russie (et l’Inde), permettraient de « multi-recycler » le combustible usé et même d’utiliser presque tout l’uranium appauvri (résidu de la fabrication du combustible) présents sur notre territoire, avec à la clé plusieurs milliers d’années de ressource énergétique. Cette technologie, qui permettrait de fermer complétement le cycle de l’uranium, est la brique manquante du nucléaire français.

Une autres faiblesses sont ses capacités insuffisantes pour réenrichir l’uranium de retraitement (URT) sans l’aide de la Russie… Si Orano dispose en théorie de cette capacité de ré-enrichissement dans son usine Georges-Besse II, l’entreprise successeur d’Areva n’a pas l’équipement nécessaire pour assurer la phase préliminaire de conversion : principalement pour des raisons économiques et industrielles et non technologiques. C’est ce qui explique qu’EDF ait dû se tourner vers Rosatom qui fait partie du club restreint d’acteur à fournir cette capacité.

Risques géopolitiques 

Est-il besoin de souligner qu’il s’agit dans le contexte géopolitique actuel de deux dangereuses vulnérabilités ? Certes, le domaine du nucléaire civil est pour l’instant exclu des sanctions. Et pour cause ! Il y a sur le sol européen 18 réacteurs de conception russe, tandis que 20% de l’uranium importé par l’Union européenne vient de Russie. Mais parier qu’il en sera toujours ainsi est risqué, car qui peut dire comment évoluera la guerre ? Les rapports économiques entre l’Occident et la Russie font-ils autres choses que se dégrader au fil des mois et de la multiplication des sanctions ? Le Sénat américain n’a-t-il pas voté l’année dernière une loi à l’unanimité interdisant les importations d’uranium enrichi en provenance de Russie ? Certes EDF est robuste et Orano – acteur français du combustible nucléaire parmi, classé au 3e rang mondial du secteur- lui assure la plus grande partie de ses besoins. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une vulnérabilité à combler.

En admettant même que le nucléaire civil européen soit préservé, la coopération entre EDF et Rosatom autour du ré-enrichissement de l’URT pour créer un nouveau combustible pourrait tomber sous le coup de sanctions indirectes. C’est du moins ce que laissent présager les récentes sanctions prises par les États-Unis et le Royaume-Unis contre les principaux assureurs maritimes russes dans le cadre de leur lutte contre la « flotte fantôme ». Le convoiement de l’uranium de retraitement (URT) vers la Russie, puis de l’uranium de retraitement enrichi (URE) vers la France, se fait en effet sur des navires russes spécialisés disposant d’assurances sur-mesure. Si, à cause d’une mauvaise évaluation de l’« effet boomerang » de ses décisions, l’Union européenne en venait à sanctionner elle aussi ces assureurs russes toute cette chaîne logistique serait compromise. Comment imaginer en effet que des navires transportant des tonnes de combustible nucléaire puissent naviguer sans assurance ?

Devant de telles incertitudes, la France doit réagir. Elle a commencé à le faire. Orano investit 1,7 milliard d’euros pour augmenter de 30% les capacités d’enrichissement de son usine de Tricastin à Pierrelatte dans la Drôme. Même s’il faudra attendre au moins 2028 pour que cette nouvelle usine entre en fonctionnement, l’initiative doit être saluée. Des mesures comparables devraient être prises pour développer une capacité propre de ré-enrichissement de l’uranium de retraitement (URT). Cet objectif n’est pas inatteignable à moyen terme. Enfin, il vaut voir plus loin et, comme la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale le demande, il faut relancer la construction d’un prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapides, dit « de 4e génération ». Ce n’est qu’en bouclant le cycle du combustible que la France assurera sur le long terme son indépendance énergétique et donc son indépendance, tout court.

La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires

La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires


La France rebondit dans ce pays d'Asie après ses déboires en Afrique et s'ouvre une nouvelle source d'approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires
La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires

 

Orano et la Mongolie scellent un accord d’investissement pour exploiter un gisement d’uranium majeur.

Comme nous l’avons vu dans un précédent article, après des années de purgatoire, la filière du nucléaire se porte très bien en France en 2025. Pour sécuriser encore un peu plus cette filière qui assure la souveraineté de la France ainsi qu’une énergie décarbonée, le groupe Orano vient formaliser un accord d’investissement avec l’État Mongol pour développer et exploiter le gisement d’uranium de Zuuvch-Ovoo, marquant un tournant majeur dans les relations franco-mongoles, en même temps qu’il vient offrir une ouverture potentielle pour la France sur une nouvelle source d’approvisionnement en uranium plus pérenne que l’Afrique, dans laquelle l’Hexagone ne semble plus le bienvenu en ce moment.

Orano prend un engagement long terme en Mongolie

L’accord, qui couronne 27 ans de présence et de collaboration entre Orano et la Mongolie, a été ratifié suite à son approbation par le parlement mongol. La cérémonie de signature s’est déroulée à Oulan-Bator, symbolisant le début d’un projet minier de grande envergure qui durera 30 ans avec un investissement initial estimé à 500 millions de dollars.

Développement du gisement et impact économique

Le projet Zuuvch-Ovoo, situé dans la province de Dornogovi, envisage une production annuelle de 2 500 tonnes d’uranium. Avec un investissement total de 1,6 milliard de dollars sur la durée du projet, cette initiative devrait générer 1 600 emplois, stimulant ainsi l’économie locale et régionale.

Standards internationaux et formation locale

Orano s’engage à respecter les standards internationaux de sécurité, de sûreté et d’environnement, et prévoit des investissements significatifs dans la formation de la main-d’œuvre locale. Cet aspect du projet vise à développer des compétences durables au sein des communautés locales et à positionner la Mongolie comme un leader dans l’industrie uranifère.

Implications stratégiques et environnementales

L’exploitation du gisement d’uranium à Zuuvch-Ovoo positionne la Mongolie comme un acteur clé dans le marché global de l’uranium, essentiel pour soutenir les besoins croissants en énergie bas carbone. Cela renforce également les efforts de la Mongolie pour contribuer à l’effort climatique mondial et à la diversification de son économie.

Les sources d’approvisionnement actuelles de la France en Uranium en 2025

La France, qui consomme environ 7 000 à 9 000 tonnes d’uranium par an pour ses 57 réacteurs nucléaires, dépend entièrement des importations pour son approvisionnement. Ses principales sources d’uranium sont diversifiées géographiquement, incluant le Kazakhstan, le Niger, le Canada, l’Australie, la Namibie et l’Ouzbékistan. Cette diversification vise à réduire les risques géopolitiques et économiques. Cependant, la dépendance à l’uranium enrichi russe reste significative, représentant environ un tiers des besoins français en 2022. EDF, le principal exploitant nucléaire français, s’approvisionne auprès de fournisseurs comme Orano (français donc) et Urenco (anglo-saxon). Le top 3 des plus gros exportateurs d’uranium vers la France est :

  1. Kazakhstan (environ 27% des importations)
  2. Niger (environ 20% des importations)
  3. Ouzbékistan (environ 19% des importations)

Cet article explore le partenariat stratégique entre Orano et la Mongolie pour l’exploitation d’un gisement d’uranium de classe mondiale, soulignant l’impact économique, environnemental et social du projet. Avec des investissements substantiels et un engagement à long terme envers les normes internationales et le développement local, ce projet promet de renforcer les capacités industrielles de la Mongolie et de soutenir les objectifs mondiaux de production d’énergie propre.

Source : Orano

L’EPR de Flamanville, le plus puissant des réacteurs nucléaires français, est enfin raccordé au réseau électrique

L’EPR de Flamanville, le plus puissant des réacteurs nucléaires français, est enfin raccordé au réseau électrique


L’EPR de Flamanville. Stephanie Lecocq / REUTERS

 

Le dernier né des réacteurs français commence un cycle de dix-huit mois, jusqu’à sa première maintenance. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.

Jusqu’au bout du suspens, mais cette fois ça y est. «L’EPR de Flamanville produit ses premiers électrons ! Samedi 21 décembre 2024 à 11h48, l’EPR de Flamanville a été connecté au réseau électrique français et a commencé à produire ses premiers électrons», a annoncé Luc Rémont, le PDG d’EDF ce samedi sur la plateforme LinkedIn. «C’est un évènement historique pour toute la filière nucléaire française.» «Grand moment pour le pays. L’un des réacteurs nucléaires les plus puissants du monde, l’EPR de Flamanville, vient d’être raccordé au réseau électrique. Réindustrialiser pour produire une énergie bas carbone, c’est l’écologie à la française. Elle renforce notre compétitivité et protège le climat», a salué Emmanuel Macron, lui aussi sur Linkedin.

Fierté et soulagement pour les équipes de l’EPR de Flamanville alors que ce premier raccordement au réseau électrique avait été promis par EDF « avant la fin de l’automne », enclenchant un compte à rebours oppressant dans la dernière ligne droite.

D’abord promise pour ce vendredi matin 10 heures, l’opération, dite « couplage » a été repoussée d’abord à 23 heures ce même vendredi, puis à 10h du matin, ce samedi. Finalement l’heure à retenir sera 11h48. Avec un dernier retard de près de vingt-six heures, sur un chantier qui arrive à son terme avec douze années de retard et un coût trois fois plus élevé que prévu, à plus de 13 milliards. Mais qui est parti pour fonctionner 60 ans, au moins, et alimenter en électricité quelque deux millions de foyers chaque année. Une odyssée des temps modernes, avec un long voyage semé d’embûches. «Ce matin, c’est l’accomplissement d’un effort titanesque qui a fini par payer. Un long chemin, qui n’a été ni facile, ni parfait, mais qui aboutit au bénéfice des Français. Nous en tirons tous les enseignements pour réussir la relance du nucléaire que nous avons décidée avec le Président de la République. 
Bravo et merci à toutes les équipes d’EDF mobilisées sur place. Le cœur du réacteur, c’est eux !», salue Agnès Pannier-Runacher la ministre démissionnaire de la transition écologique. 

Des centaines de personnes restent mobilisées sur le site pour jouer cette partition au millimètre. Paradoxalement, ce n’est pas le cœur du réacteur nucléaire, là où le combustible produit de la chaleur, qui a fait l’objet du plus d’attention, mais la turbine. Cette immense machine dont les pales vont tourner à 1500 tours minutes, propulsées par la vapeur produite par le réacteur. Cette vapeur doit être parfaite, car à cette vitesse la moindre goutte d’eau a la puissance d’une balle de pistolet. Les capteurs scrutent les vibrations, la chaleur, l’environnement… Une fois toutes les conditions réunies, l’alternateur, qui produit l’électricité à proprement parler, a été lancé. « Il doit être synchronisé pour produire à 50 hertz, la fréquence du réseau électrique français », explique Régis Clément, directeur adjoint de la production nucléaire chez EDF. Dans un premier temps, cette énorme installation ne produira que quelques mégawatts (MW) d’électricité. Il n’atteindra sa pleine puissance qu’à l’été 2025. 

D’ici là, il reste encore quelques étapes techniques et réglementaires à franchir, avant la mise en service industrielle de l’EPR. Fla3, selon sa dénomination EDF, est couplé au réseau à environ 20% de ses capacités. Pour passer le seuil de 25%, EDF doit obtenir le feu vert de l’autorité de sûreté nucléaire, (ASN), de même pour 60%, puis 80%. Le couplage marque certes l’entrée en production du géant de 1600 MW, le plus puissant des réacteurs du parc français, il marque aussi le début d’une nouvelle phase de tests, faits de variations de puissance, d’arrêts en moins de deux secondes, d’îlotage (test du réacteur quand le réseau électrique a un problème). Tous ces scénarios sont faits pour éprouver l’installation et réduire au minimum tout risque d’incident. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.

Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire

Olivier Bard, délégué général du Gifen

Ensuite, la production pourra encore varier, jusqu’à la première visite de contrôle (V1) de l’EPR prévue en 2026, soit environ dans 18 mois. Toutefois, la donnée prise en compte pour cette V1 n’est pas la durée de fonctionnement, mais le volume d’électricité produit, soit 14 TWh. Cela correspond à la consommation d’environ deux millions de foyers pendant un an. Et surtout, cela revient à user le combustible, comme on viderait le réservoir d’une voiture. À 14 TWh, il faudra refaire le plein : décharger et recharger en combustible le cœur du réacteur. À bien des égards, cette première visite complète est similaire à celles effectuées tous les dix ans dans les autres réacteurs du parc, une sorte de contrôle technique en beaucoup plus poussé, version monde du nucléaire.

Le changement du couvercle dans dix-huit mois

Il y a cependant une différence de taille : le couvercle de la cuve contenant les éléments radioactifs sera changé à cette occasion, pour répondre à un engagement pris auprès de l’ASN. « Ce n’est pas un sujet de sûreté, mais de durée de vie », résume Régis Clément. Le métal du couvercle actuel se fragilisera dans le temps au contact des neutrons, « il sera changé avant de présenter un risque », rassure Régis Clément. Dans les faits, de nombreux équipements dédiés au contrôle et au fonctionnement du réacteur sont installés sur le couvercle. Ils seront « retirés pour être installés sur le nouveau», ce qui devrait prendre « un peu plus d’un mois », ajoute Régis Clément. La donnée est connue de longue date. Fin 2014, Areva NP a «découvert une anomalie de fabrication de l’acier du couvercle », explique l’IRSN. En 2017, l’ASN et l’IRSN ont considéré que le remplacement de ce couvercle devrait être réalisé au premier arrêt pour rechargement du réacteur (VC1). Qui aurait dû survenir bien avant 2026…

Le changement du couvercle est un des innombrables déboires rencontrés sur le chantier. Et malgré tout, la mise en service de l’EPR est un sujet de fierté, chez EDF d’abord, mais aussi pour toute une filière industrielle. «Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire », souligne Olivier Bard, délégué général du Gifen, le groupement des industriels français de l’énergie nucléaire.

Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine

Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine

Le B-21 Raider, bombardier nucléaire furtif américain à 776 millions de dollars, a effectué ses premiers essais en vol en Californie. Cet appareil, capable de transporter des armes conventionnelles et nucléaires, sera produit à plus de 100 exemplaires. Ces tests envoient un message stratégique face aux menaces globales, notamment de la Russie.

Par Laurène Meghe – armees.com – Publié le 20 septembre 2024

Bombardier Americain Decolle La Reponse Washington Poutine
Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine – © Armees.com

Les États-Unis dévoilent une nouvelle fois leur B-21 Raider, un bombardier furtif de nouvelle génération capable de frapper à tout moment avec une précision redoutable. Cet appareil, dont le coût unitaire s’élève à 776 millions de dollars, représente un tournant dans la dissuasion militaire américaine. Alors que la tension monte sur la scène internationale, notamment face à la Russie, ce bombardier joue un rôle stratégique crucial pour Washington.

Une discrétion maîtrisée autour du B-21

Bien que le B-21 Raider ait été révélé au public en décembre 2022, le gouvernement américain a jusqu’à présent été extrêmement prudent quant à la communication sur cet appareil. Il aura fallu attendre les premiers essais en vol, diffusés récemment, pour que le monde puisse enfin apercevoir cet avion furtif dans les airs. Le 18 septembre 2024, des images de l’appareil décollant de la base aérienne d’Edwards en Californie ont été partagées, marquant une étape clé dans le développement du bombardier.

Le B-21 Raider, conçu par Northrop Grumman, doit encore passer par plusieurs phases de tests avant sa mise en service officielle. Selon l’US Air Force, au moins 100 exemplaires seront construits à l’issue de ces essais, consolidant la place du B-21 comme fer de lance de la force de bombardement américaine.

Un message fort envoyé à la Russie

Face aux tensions croissantes avec la Russie, notamment après les récentes escalades dans la guerre en Ukraine, ce développement prend un sens tout particulier. Le B-21 Raider n’est pas un simple bombardier conventionnel : il est équipé d’une double capacité, pouvant embarquer des munitions conventionnelles ainsi que des armes nucléaires.

Ces essais en vol, largement médiatisés, envoient un message direct à Vladimir Poutine et au Kremlin. Alors que la Russie continue d’intensifier ses menaces nucléaires, les États-Unis répondent par la démonstration de cette capacité de frappe stratégique, capable de traverser les défenses les plus robustes. Comme l’indique l’USAF, ce bombardier est conçu pour pénétrer les environnements de menace les plus contestés et pour frapper n’importe quelle cible à travers le monde, même dans les zones les plus défendues.

Un bombardier furtif aux capacités impressionnantes

Le B-21 Raider représente un bond technologique majeur pour les forces aériennes américaines. Non seulement il est conçu pour éviter les radars adverses, mais il est également modulaire, ce qui permet d’y intégrer rapidement de nouvelles technologies à mesure que les menaces évoluent. Ce système d’arme répond à une stratégie à long terme, garantissant aux États-Unis une supériorité aérienne durable.

Selon l’USAF, les essais en vol actuellement en cours incluent des tests au sol, des roulages et diverses opérations aériennes. Chaque vol est une étape critique pour garantir que cet avion de pointe soit prêt à intervenir en cas de besoin, face aux menaces croissantes qui pèsent sur les alliés et partenaires des États-Unis.

Un futur incertain pour la sécurité internationale

Alors que le B-21 Raider continue de monter en puissance, l’équilibre des forces mondiales semble de plus en plus instable. L’introduction de cet appareil dans l’arsenal américain marque un tournant, non seulement dans la capacité des États-Unis à mener des opérations de dissuasion, mais aussi dans leur manière de communiquer face à des régimes agressifs comme celui de la Russie.

Le message envoyé par ces essais en vol est clair : les États-Unis sont prêts à répondre à toute menace, et avec des armes de cette envergure, ils se positionnent plus que jamais comme un rempart contre les attaques potentielles. L’avènement du B-21 Raider symbolise ainsi une nouvelle étape dans la course aux armements, où la furtivité et la polyvalence nucléaire seront des atouts décisifs.

Avec le B-21, l’Amérique montre qu’elle reste un acteur incontournable dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, même si cela implique de rappeler à ses adversaires qu’elle détient une force de frappe redoutable.


Laurène Meghe

Rédactrice spécialisée en économie et défense armées. Je couvre également les domaines des enjeux industriels et politique, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

 

Par Fabrice Wolf – Méta Défense – publié le

La dissuasion française constitue, aujourd’hui, l’un des piliers de la posture de défense du pays, tout en conférant à Paris son autonomie stratégique lui garantissant une liberté de position et de ton rare, y compris dans le camp occidental.

Son incontestable efficacité, depuis 1964, sera préservée, pour les quatre décennies à venir, par la modernisation de ses deux composantes stratégiques, avec l’arrivée du nouveau missile de croisière supersonique aéroporté ASN4G, dès 2035, et l’entrée en service des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE 3G, à cette même échéance.

C’est, tout du moins, ainsi que la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, présente le sujet, qui va consacrer plus de 50 Md€ à cette mission sur son exécution, avec l’objectif de remplacer, presque à l’identique et à partir de 2035, les moyens actuels, par des capacités largement modernisées, donc plus efficaces.

Toutefois, ces dernières années, les menaces pouvant viser, potentiellement, la France, comme ses intérêts vitaux, censées protéger par la dissuasion nationale, ont considérablement évoluer, dans leur nature, leur origine et leur volume.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent, outre-Manche comme outre-Atlantique, appelant à une révision profonde et rapide des postures de dissuasion britanniques et américaines, pour répondre à ces évolutions, il est, peut-être, nécessaire de faire de même en France, sans attendre la fin de la LPM en cours, pour transformer l’outil au cœur de la sécurité stratégique du pays, et de ses intérêts vitaux.

Sommaire

  1. La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité
  2. L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française
  3. L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée
  4. De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine
  5. La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?
  6. Conclusion

La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité

Bâtie sur le principe de stricte nécessité, la dissuasion française a pour fonction de donner aux autorités du pays, les moyens nécessaires et suffisants, pour s’intégrer efficacement dans le discours stratégique mondial, et ce, de manière strictement autonome, tout en assurant la sécurité et l’intégrité du pays.

 

Rafale M armé d'un missile ASMPA nucléaire au catapultage
La FaNu permet à la France de déployer des missiles nucléaires ASMPA à partir de Rafale M embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle. Toutefois, avec un unique porte-avions, la Marine nationale ne peut deployer cette capacité que 50 % du temps, au mieux.

Celle-ci se décompose, aujourd’hui, en deux forces aux capacités complémentaires. La première est la Force aérienne stratégique, forte de deux escadrons de chasse équipés de chasseurs Rafale et d’une cinquantaine de missiles nucléaires supersoniques ASMPA-R, d’une portée de plus de 500 km, et transportant une tête nucléaire TNA de 100 à 300 kilotonnes.

À cette capacité mise en œuvre par l’Armée de l’air, s’ajoute, ponctuellement, la Force Aéronavale Nucléaire, ou FaNu, permettant à des Rafale M de la flottille 12F, de mettre en œuvre ce même missile ASMPA-R, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

La seconde est la Force Océanique Stratégique, disposant de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SNLE, de la classe le Triomphant. Celle-ci conserve, à chaque instant, un de ces navires à la mer, pour évoluer caché dans les profondeurs océaniques, et lancer, à la demande présidentielle, ses 16 missiles balistiques M51.3, d’une portée de 10.000 km, et transportant chacun 6 à 10 têtes nucléaires à trajectoire indépendante TNO de 100 kt.

Ensemble, ces deux capacités confèrent aux autorités françaises en vaste champ opérationnel et lexical stratégique, la composante aérienne formant la force visible pour répondre aux déploiements de forces ou à la menace d’un adversaire potentiel, et la composante sous-marine, en assurant l’adversaire d’une destruction presque complète, s’il venait à frapper la France ou ses intérêts vitaux, et ce, même si la France était elle-même frappée massivement par des armes nucléaires.

FOST SNLE Le terrible classe Le triomphant
Avec quatre SNLE classe Le Triomphant, la France dispose en permance d’un navire en patrouille, susceptible de déclencher un tir nucléaire stratégique de riposte contre un pays ayant attaqué le Pays, y compris avec des armes nucléaires stratégiques.

Contrairement à ce qui est parfois avancé, la dissuasion française est aujourd’hui correctement dimensionnée, et certainement efficace, pour contenir la menace d’un pays comme la Russie, et ce, en dépit d’un nombre beaucoup plus important de vecteurs et de têtes nucléaires pour Moscou.

En outre, cette dissuasion, face à la Russie, toujours, est également suffisante pour être étendue à d’autres pays européens alliés, le cas échéant. Son efficacité est, en effet, liée à sa capacité de destruction chez l’adversaire, et non au périmètre qu’elle protège, même si, dans ce domaine, la perception de la détermination française pour protéger ses alliés, y compris en assumant le risque nucléaire, joue également un rôle déterminant.

De fait, aujourd’hui, la dissuasion française remplie pleinement, et parfaitement sa mission, et peut même, le cas échéant, le faire sur un périmètre plus étendu. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la LPM 2024-2030, sa modernisation, avec l’arrivée du missile ASN4G pour remplacer l’ASMPA-R, et du SNLE 3G pour remplacer les SNLE classe Triomphant, est prévue à partir de 2035, avec un périmètre strictement identique.

L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française

Toutefois, ces dernières années, sont apparues de nouvelles menaces, susceptibles de profondément bouleverser l’équilibre stratégique sur lequel est aujourd’hui bâtie la dissuasion française, et qui est transposé, au travers de la LPM 2024-2030, dans la dissuasion NG française, à partir de 2035.

ICBM KN-22 Pyonguang
première présentation publique du missile ICBM KN-22 à Pyongyang en 2020

Ainsi, alors que la menace stratégique pouvant viser la France et ses intérêts vitaux, jusqu’à présent, était avant tout constituée par l’arsenal stratégique russe, d’autres pays, aujourd’hui, se sont dotés de moyens comparables, susceptibles d’atteindre la France, ses territoires ultramarins ou ses intérêts.

C’est en particulier le cas de la Corée du Nord, qui a développé un missile ICBM pouvant atteindre l’Europe, le Hwasong-15, d’une portée de 13.000 km, et qui pourrait, prochainement, être doté de têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV.

L’Iran, pour sa part, dispose déjà de missiles balistiques susceptibles d’atteindre le sol européen, avec le Shahab-5 d’une portée estimée au-delà de 4500 km. Si le pays ne dispose pas, pour l’heure, d’un arsenal nucléaire, plusieurs services de renseignement, y compris le Mossad israélien, estiment que Téhéran ne serait plus qu’à quelques mois de pouvoir s’en doter.

Dans les deux cas, ces pays pourraient enregistrer, dans les mois et années à venir, des progrès substantiels dans leurs programmes nucléaires et balistiques, avec une aide technologique possible venue de Russie, en échange du soutien de Téhéran et Pyongyang à l’effort militaire russe contre l’Ukraine.

Bombardier Tu-160M
Les forces aériennes stratégiques russes disposeront d’une cinquantaine de bombardiers supersoniques à très long rayon d’action Tu-160M et M2 d’ici à 2040.

La Russie, justement, développe et modernise rapidement son arsenal nucléaire, avec l’entrée en service de nouveaux vecteurs, comme les SNLE de la classe Boreï, les bombardiers stratégiques Tu-160M et les ICBM RS-28 Sarmat, équipés du planeur hypersonique Avangard.

Surtout, les armées russes se dotent très rapidement de nouvelles capacités nucléaires non stratégiques, qu’il s’agisse de missiles balistiques à courte et moyenne portée, ou de missiles de croisières super ou hypersoniques, tous pouvant alternativement être équipés de charges militaires conventionnelles ou nucléaires.

Enfin, la Chine produit un effort sans équivalent, pour accroitre et étendre ses capacités de frappe nucléaire, son arsenal devant être triplé d’ici à 2035, pour atteindre 1000 vecteurs opérationnels.

DF41 ICBM Chine
le missile balsitique ICBM DF41 chinois représente un immense progrès vis-à-vis des DF-5 à carburant liquide en silo, employés jusqu’à présent.

Pékin se dote, notamment, de capacités stratégiques renouvelées, avec le nouveau missile ICBM à carburant solide DF-41, qui existe en version mobile et en silos, et le missile SLBM JL-3 qui arme les nouveaux SNLE Type 09IV chinois. Comme Moscou, toutefois, les forces chinoises s’équipent aussi d’un nombre croissant de vecteurs à plus courte portée, et d’une puissance de destruction non stratégique, à vocation conventionnelle ou nucléaire.

L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée

À ces nouvelles menaces stratégiques nucléaires, pouvant directement menacer la France et ses intérêts vitaux, s’ajoutent, également, de nouvelles capacités au potentiel de destruction stratégique, mais armées de charges conventionnelles et/ou faiblement létales.

L’exemple le plus célèbre, pour illustrer ces nouvelles menaces, est l’arrivée des drones d’attaque à longue portée, mis en évidence avec les drones Shahed-136 iraniens et Geran-2 russes, employés par les forces de Moscou pour frapper les installations civiles clés en Ukraine.

Drone d'attaque Shahed 136 en Ukraine
Les drones d’attaque, comme le Shahed 136 iraniens, se sont montrés très efficaces pour frapper les infrastructures civiles ukrainiennes.

Bien que vulnérables et transportant une charge militaire relativement réduite, ces drones disposent de deux atouts les transformants en menace potentiellement stratégique, pour un pays comme la France.

D’abord, leur portée, pouvant dépasser les 2000 km aujourd’hui, probablement davantage demain, leur permet d’atteindre des cibles très distantes, pour mener des frappes destructrices contre les infrastructures civiles d’un pays, comme le réseau de communication, le réseau de transport, les réserves de carburant, les capacités industrielles et énergétiques, voire les centres de commandement et de coordination militaires et civils, y compris politiques.

Or, au-delà de la possibilité d’atteindre dans la profondeur des infrastructures clés, cette portée augmente, au carré, le nombre d’infrastructures potentiellement ciblées, rendant leur protection presque impossible par des moyens antidrones classiques. Ainsi, si un drone d’une portée de 500 km peut atteindre, potentiellement, les cibles présentes sur 200.000 km² du territoire adverse, une portée de 1000 km, porte cette surface à 800.000 km².

Surtout, ces drones sont relativement simples et rapides à concevoir et à construire, et ils sont peu onéreux. Ainsi, un drone de la famille Geran-2, serait produit pour 2 à 3 millions de roubles en Russie, soit 20 à 30 k$. Ce faisant, une flotte de 5000 de ces drones, susceptibles de saturer, endommager ou détruire la plupart des grandes infrastructures d’un pays comme la France, peut-être construire en une année, et pour à peine 150 m$.

Usine drones d'attaque Geranium-2
La Russie prévoit de construire plus de 8000 Geran-2, version russe modifiée du Shahed 136, sur la seule année 2024.

Ainsi, certains pays hostiles ou sous influence, peuvent se doter, à moindres frais, et sur des courts délais, de capacités de frappes au potentiel de destruction quasi stratégique, contre un pays très développé, qu’il serait presque impossible de contrer, et ce, sans même devoir franchir le seuil nucléaire.

Cette capacité, et d’autres comme les armes à impulsion électromagnétique, les attaques cyber, voire les moyens chimiques ou biologiques, peuvent engendrer, à relativement court terme, un profond bouleversement de la menace stratégique susceptible de viser, potentiellement, la France, contre laquelle la dissuasion, dans son format actuel, et tel que prévu dans les décennies à venir, pourrait ne pas suffire.

De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine

Si les questions portant sur la dissuasion, sont très rarement débattues sur la scène publique en France, en particulier par les militaires et les Think Tank qui travaillent pour le ministère des Armées, ce n’est pas le cas, bien au contraire, aux États-Unis.

SSBN CLasse Columbia US Navy
L’US Navy prévoit de n’acquerir que 12 SSBN de la classe Columbia. Un nombre jugé très insuffisant par la Heritage Foundation, qui préconise un retour à 16 navires, comme pendant la guerre froide.

Ainsi, le think tank conservateur américain Heritage Foundation, vient de publier une analyse stratégique pour anticiper la nouvelle Nuclear Posture Review (NPR), qui doit être rédigée et débattue en 2025, par la nouvelle administration américaine, qui sortira des urnes en novembre 2024.

Comme évoqué ici, la Heritage Foundation porte un regard critique sur le renouvellement, entamé aujourd’hui presque à l’identique des moyens de la dissuasion américaine, avec le développement de l’ICBM Sentinel, du bombardier stratégique B-21 Raider, ainsi que du nouveau SSBN classe Columbia, alors même que la menace, elle, a considérablement évoluée, en volume comme en nature, ces dix dernières années.

Sans surprise, la principale préoccupation du think tank américain, concerne la montée en puissance très rapide des moyens de frappe nucléaire chinois, venant déstabiliser le statu quo russo-américain hérité de la guerre froide.

Toutefois, là aussi, les analystes américains pointent la transformation des moyens stratégiques et nucléaires non stratégiques russes, et l’émergence de nouvelles menaces avérées (ICBM nord coréens), ou en devenir (programme nucléaire iranien), avec le risque d’une propagation rapide des armes nucléaires dans les décennies à venir.

silos missiles chine
La construction de plusieurs centaines de silos pour missiles ICBM a été observée en Chine

Pour répondre à ces menaces, et bien que d’obédience républicaine, donc proche de Donald Trump, dont le programme Défense demeure très incertain, la Heritage Foundation préconise l’augmentation rapide des moyens de dissuasion américains, avec le retour à une flotte de SNLE à 16 navires, le développement d’une version mobile de l’ICBM Sentinel, et l’augmentation du nombre de B-21 Raider.

Surtout, elle préconise le développement et le déploiement rapide de capacités nucléaires non stratégiques, notamment en Europe, pour contenir l’émergence de ce type de menaces sur les théâtres européens, Pacifiques et, potentiellement, moyen-oriental.

La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?

Les arguments avancés par le Think Tank américain, pour appeler à une révision de la dissuasion américaine, dans son format comme dans sa composition, se transposent, évidemment, à la dissuasion française, elle aussi visant une modernisation itérative, des moyens dont elle dispose aujourd’hui.

Ainsi, même si elle intégrera probablement, à l’avenir, des drones de combat de type Loyal Wingmen furtifs pour accompagner les missions Poker, la composante aérienne de la dissuasion française demeurera armée d’un missile sol-air à moyenne portée et forte puissance, comme l’ASMPA-R aujourd’hui, mis en œuvre par des avions de combat tactiques Rafale, comme aujourd’hui, et soutenus par des avions de chasse d’escorte et des appareils de soutien, tanker et Awacs, comme aujourd’hui.

Rafale B missile ASMPA
Le missile nucléaire supersonique ASMPA-R (Rénové) sera remplacé, à partir de 2035, par le missile ASN4G, qui pourrait être doté d’un planeur hypersonique.

En outre, si les équipements seront beaucoup plus modernes, et performants, le nombre d’appareils, de missiles, et de têtes nucléaires, ne semble pas destiner à évoluer, alors que la répartition de la menace, elle, est appelée à sensiblement s’étendre.

De même, la force océanique stratégique à venir, prévoit toujours de s’appuyer sur 4 SNLE, permettant de disposer d’un navire en patrouille à tout instant, d’un navire en alerte à 24 heures, d’un navire à l’entrainement, mobilisable en quelques semaines, et d’un navire en maintenance.

Pourtant, l’arrivée de la Chine dans l’équation stratégique mondiale, et, dans une moindre mesure, de la Corée du Nord, obligera la FOST à diviser ses moyens, pour contenir simultanément ces menaces à la limite de la portée de ses missiles, notamment en déployant, au besoin, un SNLE dans une zone de patrouille mieux adaptée.

En outre, la montée en puissance des flottes sous-marines russes et chinoises, en particulièrement des flottes de sous-marins nucléaires d’attaque ou lance-missiles, SSN et SSGN, viendra accroitre le risque de compromission de l’unique navire en patrouille français, ce d’autant que le nombre de drones de patrouille sous-marine, conçus précisément pour accroitre les opportunités de détection, va nécessairement bondir dans les années à venir.

SNLE 3G Naval Group
Le conception et la construction des 4 SNLE 3G, destinés à remplacer, à partir de 2035, les SNLE classe le Triomphant, sera le chantier industriel et technologique le plus complexe réalisé en France dans les dix années à venir.

Enfin, l’absence de capacités de frappes de basse intensité, dites « Low Yield » en anglais, et de « de frappe nucléaire non stratégique », dans la nomenclature russe et en chinois, pourrait considérablement affaiblir la posture dissuasive française dans les années à venir, qu’il s’agisse de répondre à ce type de déploiement visible, de la part d’un adversaire potentiel, voire de contenir, au besoin, la menace de frappes stratégiques non nucléaires, par l’intermédiaire d’une flotte massive de drones d’attaque, à la portée budgétaire et technologique d’un grand nombre de pays.

Conclusion

On le voit, si la dissuasion française a rempli parfaitement son rôle, jusqu’à aujourd’hui, la trajectoire retenue, pour son évolution, dans les décennies à venir, bénéficierait, très certainement, d’une nouvelle analyse, prenant en considération, non pas le simple remplacement des moyens existants par des équipements plus modernes et performants, mais aussi la transformation qui est à l’œuvre, concernant la menace stratégique dans le monde.

Cet exercice permettrait, sans le moindre doute, de bâtir une vision plus actuelle sur la réalité des menaces, et leur évolution prévisible dans les années et décennies à venir, et ferait émerger une dissuasion française plus homogène, plus résiliente, et donc plus efficace, pour y faire face.

Enfin, cette démarche bénéficierait certainement d’une exposition publique, certes maitrisée pour préserver la nécessaire confidentialité là où elle est requise, mais qui permettrait de mieux cerner la construction de cette dissuasion, les moyens qui lui sont alloués, et donc, l’effort budgétaire et technologique demandé aux concitoyens, pour s’en doter, et pour assurer la sécurité du pays, comme de ses intérêts vitaux.

Faute de quoi, la France pourrait se voir doter, à l’avenir, d’une dissuasion, certes technologiquement très performante, mais incapable d’assurer efficacement sa mission dans sa globalité, avec, à la clé, des risques existentiels non maitrisés sur le pays, lui-même.

Article du 31 juillet, en version intégrale jusqu’au 6 septembre 2024