Un Moyen-Orient en recomposition politique accélérée

Un Moyen-Orient en recomposition politique accélérée

Tribune
Par Didier Billion – IRIS – publié le 13 janvier 2025

Le Moyen-Orient est traditionnellement une région de forte intensité événementielle, mais les mois écoulés sont singulièrement denses et marqués par une recomposition accélérée des rapports de force géopolitiques. Les conséquences politiques et militaires du 7 octobre constituent en effet une véritable onde de choc qui modifie radicalement la situation régionale.

Génocide à Gaza

Parce qu’elle reste centrale, il faut commencer par la situation des territoires palestiniens. Devant ce qui est qualifié de génocide par des personnalités et des organismes internationaux de plus en plus nombreux, le pudique détournement du regard par une grande partie des États composant ladite communauté internationale restera comme une tache indélébile de l’histoire contemporaine.

Jour après jour, les bombardements continuent à s’abattre massivement sur le territoire gazaoui. De rares images qui nous en parviennent, on est en droit de se demander les raisons d’une telle frénésie destructrice puisque visiblement la grande majorité du bâti a d’ores et déjà été réduit en miettes ou est devenu impropre à toute forme de vie sociale. Alors que près de 50 000 morts sont annoncées, que la famine s’est durablement installée, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) nous apprend, début janvier, que huit nourrissons sont morts de froid au cours du mois de décembre 2024, ce qui donne une idée assez précise de la situation dans laquelle sont réduits les Gazaouis. Aussi, la seule raison de l’acharnement mortifère du gouvernement israélien est de rendre toute vie impossible à Gaza, d’en chasser ses habitants et de recoloniser ce territoire, voire l’annexer purement et simplement. Projet qui constitue aussi le but ultime des plus ultras du gouvernement Netanyahou pour ce qui concerne la Cisjordanie, voire Jérusalem-Est.

Ces faits constituent l’inquiétante confirmation que les instances de régulation internationale sont en situation de déshérence et que le système onusien tel qu’il s’était édifié après 1945 est devenu obsolète justifiant par la même sa complète refondation. Heureusement, dans ce contexte désastreux, la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale sauvent l’honneur en tentant de faire appliquer vaille que vaille ce qui subsiste du droit international et les mobilisations citoyennes à travers le monde sont pour leur part multiples et souvent massives.

Ce n’est au demeurant pas l’apathie qui prévaut, mais en réalité la complicité active des alliés de Tel-Aviv. Ainsi nous apprenons, le 4 janvier, que l’administration Biden a donné son autorisation pour une livraison d’armes à Israël d’un montant de 8 milliards de dollars. La décision doit être approuvée par le Congrès – ce qui ne fait guère de doutes –, ainsi la machine de guerre continuera à être alimentée et le massacre pourra continuer. Dans ce contexte, le sentiment d’impunité du gouvernement israélien ne connait pas de limite ce qui explique son refus obstiné d’envisager une quelconque forme de solution politique dont nous savons qu’elle reste pourtant impérative.

L’émiettement de l’« axe de la résistance »

L’hubris de la victoire des dirigeants israéliens est par ailleurs nourrie par de multiples autres opérations militaires. Benjamin Netanyahou – prétendant pour le coup incarner le « peuple de l’éternité » (sic) – se vante de diriger Israël sur sept fronts simultanés de guerre : Gaza, Cisjordanie, Liban, Iran, groupes chiites en Irak et en Syrie, Yémen. Le danger principal maintes fois évoqué restant pour lui la République islamique d’Iran. On ne peut qu’être interpellé par la manière méthodique dont Israël, s’affranchissant systématiquement du respect du droit international, a organisé le combat contre ses adversaires.

Le Hezbollah en premier lieu : en tuant ou estropiant des centaines de ses cadres par l’activation de bipeurs piégés, puis en éliminant son chef charismatique, Hassan Nasrallah, en septembre 2024. Autant de préludes à l’invasion terrestre du Liban, le 30 du même mois, et à une campagne de bombardements indiscriminés sur les populations civiles libanaises perdurant jusqu’au cessez-le-feu, le 27 novembre. Pour Netanyahou, cette campagne de terreur a pour but de pousser les Libanais à se débarrasser du Hezbollah comme il l’explique doctement dans une allocution télévisée début octobre 2024. Mais comment imaginer une seule seconde que le peuple libanais écrasé par les bombes puisse obtempérer aux désidératas du Premier ministre israélien ? La vision développée par ce dernier confirme néanmoins que pour les dirigeants de Tel-Aviv seule la force brute peut régir les rapports de voisinage et qu’ils n’ont que faire d’hypothétiques solutions politiques.

Posture aussi illustrée en Syrie puisque les dirigeants israéliens profitent de la courte période de flottement du pouvoir au moment de la fuite de Bachar Al-Assad pour opérer plus de 300 bombardements sur des objectifs militaires syriens et pour occuper le versant syrien du mont Hermon, foulant aux pieds l’accord de cessez-le-feu de 1974. À nouveau, il a fallu avoir l’ouïe particulièrement fine pour entendre les timides condamnations de ces agressions à répétition qui n’ont évidemment aucunement dissuadé Netanyahou. Ainsi donc la guerre préventive devient la norme pour les dirigeants israéliens. En d’autres termes, l’affirmation de la loi du plus fort, celle de la jungle.

Pour autant cette politique est plus compliquée à mettre en œuvre contre l’Iran. Comme il a été constaté à deux reprises, en avril puis octobre 2024, les bombardements croisés entre la République islamique et Israël sont restés sous contrôle, chacun des protagonistes sachant jusqu’où ne pas aller et ne franchissant donc pas la ligne rouge tacite. Probablement le cabinet Netanyahou aurait voulu frapper plus fort, mais, c’est à souligner, l’administration Biden a su pour une fois se montrer dissuasive pour empêcher des frappes israéliennes sur les installations nucléaires ou pétrolières iraniennes. Pour autant, ces opérations ont souligné l’asymétrie militaire entre les deux protagonistes ce qui ne manque pas d’inquiéter les dirigeants de Téhéran, d’autant que le retour de Donald Trump au pouvoir risque d’affaiblir encore leur situation.

Le bilan de l’ensemble de ces éléments brièvement rappelés ici montre l’affaiblissement de cet « axe de la résistance » patiemment mis en place depuis plusieurs décennies par la République islamique d’Iran au profit de l’affirmation de la supériorité militaire de l’État hébreu. C’est en ce sens qu’il est possible d’évoquer l’hubris israélienne, ce qui néanmoins risque d’être, à terme, un leurre si des solutions politiques ne sont pas mises en œuvre sur les différents dossiers évoqués. Dans ce contexte régional très dégradé, il est remarquable de constater qu’au-delà des communiqués et des déclarations lénifiantes, la majorité des États arabes fait preuve d’une grande discrétion et ne manifeste aucune volonté de peser véritablement sur la situation.

L’émergence d’une nouvelle Syrie

Le dernier élément marquant des derniers mois de l’année 2024 réside bien sûr dans la chute du régime de Bachar Al-Assad. L’offensive foudroyante de Hayat Tahrir Al-Cham partant de la province d’Idlib et parvenant à Damas en douze jours sans rencontrer guère de résistance a surpris y compris les analystes les plus avertis. Cela révèle la sous-estimation de l’état de déliquescence du régime syrien et son isolement total puisque même ses troupes prétendument d’élite se sont débandées sans opposer la moindre résistance.

Du point de vue géostratégique cette nouvelle situation renforce les remarques formulées précédemment puisque la Syrie de Bachar Al-Assad était la ligne d’approvisionnement principale entre l’Iran et le Hezbollah. Celle-ci est désormais rompue.

La question est désormais l’appréciation de la trajectoire possible des nouveaux responsables de Damas. Leur passé djihadiste est connu, mais leur évolution politique ne l’est pas moins. Incarnant une forme d’islamo-nationalisme, ils ne renieront pas leur appartenance à la mouvance islamiste. Dans le même mouvement, ils sont profondément syriens et leur préoccupation est de reconstruire et de préserver l’unité du pays. Pour ce faire, l’enjeu est de parvenir à mettre en place un régime de type inclusif et de reconstituer de solides relations avec le maximum de pays à l’international. Au vu des défis de toutes sortes – politiques, géopolitiques, sociétaux et socio-économiques – le besoin est impératif de retisser ces liens intérieurs et extérieurs. Nul ne peut écrire l’histoire à l’avance, mais force est d’admettre qu’à ce stade la nouvelle équipe incarnée par Ahmed Al-Charaa n’a guère commis de faux pas. Il lui faudra aussi compter avec le peuple syrien qui, en dépit des quatorze dernières années vécues, est resté debout et manifeste à la fois un énorme soulagement et des espoirs raisonnés.

Parmi bien d’autres, un test crucial concerne la gestion des minorités confessionnelles et/ou ethniques, au premier rang d’entre elles celle constituée par les Kurdes. C’est la question du statut et du degré de décentralisation dont pourrait bénéficier la région où ils se trouvent en grand nombre qui se pose désormais. Pour autant, la reconstitution de l’unité du pays d’une part et la nécessité de ne pas irriter la Turquie – qui s’affirme à ce jour comme une des principales bénéficiaires de la situation au vu des étroits liens tissés avec Hayat Tahrir Al-Cham – particulièrement attentive au traitement du sujet, d’autre part, constituent des défis majeurs pour les nouveaux dirigeants du pays.

Carte commentée. Les intérêts stratégiques de la France en Afrique du Nord et au Moyen-Orient

Carte commentée. Les intérêts stratégiques de la France en Afrique du Nord et au Moyen-Orient

Par Institut FMES, Pascal Orcier -publié le 10 janvier 2025

https://www.diploweb.com/Carte-commentee-Les-interets-strategiques-de-la-France-en-Afrique-du-Nord-et-au-Moyen-Orient.html


L’institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) est un centre de recherches qui décrypte les questions géopolitiques et stratégiques de la zone couvrant le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, de même que les recompositions entre acteurs globaux.
Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

Comment qualifier les relations de la France avec chacun des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ? Quels sont les échanges commerciaux, les foyers d’instabilité, les routes des flux migratoires ? Où se trouvent les soldats français ? Cette carte commentée apporte des réponses.

La France, puissance européenne au bord de la Méditerranée, marquée par une histoire coloniale au Maghreb, abritant une forte population musulmane issue de la région et ayant la singularité d’être également une puissance de l’Océan indien, a des intérêts stratégiques dans le bassin méditerranéen et au Moyen-Orient. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, de l’OTAN et de l’Union européenne, elle cherche à s’ériger en puissance d’équilibre capable de développer une stratégie régionale indépendante visant la stabilisation de la région. La France est aujourd’hui confrontée à l’impact des déstabilisations dans la bande Sahélo-soudanaise sur ses voisins de la rive sud. Le chaos croissant se matérialise aujourd’hui par des flux migratoires, criminels et terroristes mais pourraient également déstabiliser demain les sociétés et les pouvoirs en place. Les conséquences du conflit israélo-palestinien et ses risques d’extension au Liban transformé en Etat quasi failli la concernent fortement, d’autant plus qu’elle abrite la plus grande communauté juive en Europe et qu’elle maintient un important contingent au Sud-Liban dans le cadre de la FINUL II. Elle subit l’instrumentalisation de certaines minorités musulmanes par des acteurs régionaux tels que l’Algérie, la Turquie et le Qatar. La France a choisi de s’opposer aux régimes iraniens et syrien (NDLR de B. Al Assad) et entretient une ambiguïté sur la position marocaine vis-à-vis du Sahara occidental [1].

Carte commentée. Les intérêts stratégiques de la France en Afrique du Nord et au Moyen-Orient
Carte. Les intérêts stratégiques de la France en Afrique du Nord et au Moyen-Orient
Réalisation P. Orcier. Copyright 2024 Institut FMES-Orcier
Orcier/FMES

Pour défendre ses intérêts (notamment en termes économiques) et contribuer aux efforts de stabilisation de la région, la France mise sur des partenariats privilégiés avec l’Egypte, la Jordanie, l’Irak, les Emirats arabes unis et dans une moindre mesure avec l’Arabie saoudite et le Maroc, ancien partenaire privilégié.

Pour faire face à ses obligations internationales et défendre ses intérêts au Moyen-Orient, la France y maintient un dispositif permanent d’environ 4 000 militaires, 30 chars, 18 chasseurs et 5 frégates. Disposant de bases bien situées offrant une profondeur stratégique, elle se tient prête à y engager des renforts et à envoyer sur place son groupe aéronaval si nécessaire. Fortes d’une réelle expérience opérationnelle couplée à une excellente connaissance et compréhension de la région, ses forces armées professionnelles souffrent néanmoins de contraintes logistiques et budgétaires et d’une hostilité latente de certains Etats (Algérie, Turquie, Syrie, Iran) envers la présence française, renforcée par le poids des diasporas sur le territoire national.

Sur les façades maritimes du bassin méditerranéen et de la péninsule Arabique, l’objectif de la France est de défendre la liberté des mers et de maintenir ouvert l’axe maritime reliant la Méditerranée à l’océan Indien, et ainsi permettre la projection de puissance et empêcher un blocage du commerce international. Les forces navales françaises sont engagées dans plusieurs opérations européennes d’envergure dans cette région :

. Aspides (1 frégate) : protection des navires en transit contre les attaques houthies en mer Rouge, depuis février 2024 ;

. Atalanta (1 frégate) : lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden, depuis 2008 ;

. Irini (1 frégate) : surveillance de l’embargo sur les transferts d’armes à la Libye, depuis 2021 ;

. Agenor (1 frégate et patrouilleur maritime, ponctuellement) : surveillance du détroit d’Ormuz, depuis 2019.

Les forces terrestres sont quant à elles déployées dans le cadre de la coopération internationale, notamment pour combattre les groupes armés djihadistes afin d’éviter de nouveaux attentats en Europe :

. Chammal : soutien militaire aux forces irakiennes engagées dans la lutte contre Daech, depuis 2014 ;

. FINUL II : contrôle de la cessation des hostilités au Liban entre Israël et le Hezbollah.

Si la France veut sortir de son isolement en Afrique du Nord, regagner des positions en Afrique et améliorer sa visibilité au Moyen-Orient, elle devra faire des choix car la période actuelle ne favorise pas ceux qui privilégient le statu quo.

Copyright juin 2024-Institut FMES-Orcier


Attaque dans la Pendjari : comment le Bénin résistera à la poussée djihadiste 

Attaque dans la Pendjari : comment le Bénin résistera à la poussée djihadiste

par Pierre d’Herbès – Revue Conflits – publié le 11 janvier 2025

https://www.revueconflits.com/attaque-dans-la-pendjari-comment-le-benin-resistera-a-la-poussee-djihadiste/


Coup de tonnerre dans le Sahel, dans la zone trifrontalière (Burkina Faso, Niger, Bénin), après l’attaque, mercredi 8 janvier, d’un site militaire béninois par des djihadistes. La violence du combat accrédite la persistance de la pression djihadiste importée depuis le Burkina-Faso et le Niger. Si pour de nombreuses raisons, il n’y a pas de risque de déstabilisation du pays, la menace est prise très au sérieux par Porto-Novo.

Difficile de ne pas voir dans cette attaque la conséquence directe de la dégradation sécuritaire totale dans les pays de l’AES (Mali, Niger, Burkina-Faso). Les groupes armés, terroristes ou non, y circulent désormais librement ou presque, au nez et à la barbe des forces de défenses locales et des mercenaires russes. Dorénavant confinés dans les grandes métropoles — par ailleurs de moins en moins sûres – les juntes nigériennes, burkinabés et maliennes font subir l’indigence de leur politique à leurs voisins, dont les pays du golfe de Guinée.

La confrontation entre les Djihadistes et les Forces armées Béninoises (FAB) se situe en effet au cœur du parc de la Pendjari, dans la région trifrontalière avec… le Niger et le Burkina-Faso. Comme toutes les agressions contre le Bénin depuis 2021, les attaques des groupes armés djihadistes sont importés. Ces derniers ne sont pas parvenus à s’ancrer dans les populations locales. À ce stade, pour ces groupes armés, la région joue surtout un rôle de base arrière ou de zone de transit pour leurs trafics (or, armes, stupéfiants, etc). Pour autant, les autorités locales sont bien conscientes du caractère métastatique de leur présence ; d’où une riposte musclée via le redéploiement des FAB dans le nord du territoire et le lancement de l’opération anti-terroriste Mirador.

Réarmement général

Face à la multiplication des attaques depuis 2021, le gouvernement béninois a considérablement renforcé sa stratégie de défense, initiée dès 2017-2018 par une politique de réarmement ambitieuse. Cette montée en puissance s’inscrit dans une réponse globale à la menace djihadiste, devenue pressante dans les zones frontalières avec le Burkina Faso et le Niger. Ainsi, les effectifs des Forces armées béninoises (FAB) ont augmenté de manière significative, passant de 7 500 hommes en 2022 à 12 300 en 2024[1], tandis que le budget de défense a bondi de 60 milliards à 90 milliards de FCFA (environ 130 millions d’euros) sur la même période, avec une projection de hausse supplémentaire de 18 % pour 2025.

Cette montée en puissance s’accompagne d’achats de matériels tels que des véhicules blindés, des drones, des hélicoptères, la modernisation des capacités de renseignement aérien, etc. De nombreux opérateurs français, comme Delair pour les drones, participent à cet effort. En 2023, la France a également fourni au Bénin 26 véhicules blindés de transport de troupe VAB, des protections balistiques et d’autres équipements essentiels. Des contributions similaires de la Chine et des États-Unis permettent de diversifier et d’enrichir les capacités opérationnelles des FAB.

Enfin, le renforcement des capacités des FAB s’accompagne de partenariats internationaux. Des formations assurées par des instructeurs français et américains, ainsi que par des sociétés privées comme Amentum, visent à professionnaliser les nouvelles recrues et à optimiser l’utilisation des matériels sophistiqués récemment acquis. De plus, un contingent rwandais est attendu pour appuyer la Garde nationale, une unité d’élite anti-terroriste récemment créée​. La consolidation de l’appui de la France est appréciée, à tel point que Paris est désormais considéré comme un “partenaire stratégique”.

Mirador veille

L’opération Mirador, lancée en 2021, représente la réponse opérative du Bénin à la menace. Destinée à sécuriser les zones sensibles du nord du pays, elle déploie environ 3 000 soldats dans des zones clefs telles que le parc de la Pendjari et ses environs. Les FAB y ont fortifié des positions stratégiques comme Porga et Koualou, depuis lesquelles elles patrouillent et interceptent et neutralisent les infiltrations djihadistes. Objectif : maintenir une pression sur les groupes armés afin d’empêcher leur implantation durable sur le territoire. Comme le soulignait au Monde le colonel Raoufou Assouma, commandant du groupe tactique interarmées du fuseau ouest : « (…) notre mission n’est pas d’attendre que la menace arrive, il faut aller la débusquer et la neutraliser là où elle se trouve ».

En parallèle, depuis leur arrivée en 2020, les Rangers d’African Parks Network (APN) jouent un rôle déterminant dans la gestion des parcs de la Pendjari et du W. Bien que leur mission première soit la préservation de la biodiversité, les Rangers sont désormais en première ligne face aux incursions terroristes. Armés et formés à intervenir dans des environnements difficiles, ils effectuent des patrouilles de jour comme de nuit et utilisent des moyens technologiques avancés pour surveiller les zones sensibles. Lorsqu’une menace est identifiée, les informations sont immédiatement transmises aux FAB, ce qui permet des interventions rapides et ciblées​.

Tenir la distance

L’attaque du 8 janvier montre que la détermination des GAT n’a pas diminuée. Dans cette optique, le dispositif béninois garde toute sa pertinence et se renforce tous les ans. Le partenariat stratégique avec la France, pour la formation et la modernisation des FAB va donc s’avérer d’autant plus crucial dans la durée.

Quid des risques de contamination “interne” par les GAT ? Les tensions ethno-sociales sont en effet un terreau qu’ils exploitent systématiquement dans tout le Sahel. En 2022, le porte-parole du gouvernement déclarait :“Le Bénin n’a pas attendu le phénomène djihadiste pour moderniser les pratiques agropastorales, même si ce phénomène nous conforte à poursuivre nos efforts”. Le gouvernement a depuis intégré les volets socio-économiques et des relations inter-communautaires à leur stratégie. Le processus sera nécessairement long, mais de facto, on n’observe toujours pas de recrutement des GAT à l’intérieur des frontières du Bénin.

La riposte va s’ancrer dans la durée puisque le chaos régional et l’effondrement en cours des pays de l’AES profite directement aux groupes armés et favorise mécaniquement leur poussée vers le golfe de Guinée. En face, le Bénin est armé pour y riposter.

[1] IISS, Military Balance 2024

Défense : l’Allemagne se réorganise pour contrer la Russie

Défense : l’Allemagne se réorganise pour contrer la Russie

L’Allemagne annonce une nouvelle réorganisation de son armée, une manière de consolider sa défense face aux nouvelles menaces, comme celle de la Russie.

par Cédric Bonnefoy – armees.com – Publié le
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Défense : l’Allemagne se réorganise pour contrer la Russie | Armees.com

Dans un contexte très tendu avec la Russie, l’Allemagne se montre active en matière de défense. L’armée allemande annonce une réorganisation de ses forces pour contrer les attaques russes sur son sol.

L’Allemagne réorganise sa défense intérieure

Dans un contexte de tensions géopolitiques exacerbées en Europe, l’Allemagne s’engage dans une réorganisation majeure de ses forces armées. Cela marque un tournant stratégique vers la défense territoriale. Cette initiative répond à des défis sécuritaires importants, notamment face à la menace potentielle de la Russie.Le gouvernement allemand vient d’annoncer la création d’une division entièrement dédiée à la défense territoriale. Cette réforme prévoit l’intégration des unités de réserve existantes sous le commandement direct de l’armée. Cette structure vise à renforcer la coordination et l’efficacité en cas de crise. Selon le ministre de la Défense, Boris Pistorius, cette décision s’inscrit dans une stratégie à long terme, cherchant à anticiper les scénarios les plus critiques pour garantir la sécurité du territoire.

D’ici avril 2025, le nombre de divisions opérationnelles passera de trois à quatre, tandis que les effectifs totaux resteront stables à 180 000 soldats. Cette nouvelle configuration met l’accent sur la protection des infrastructures essentielles, notamment les ports, les voies ferroviaires et les routes d’approvisionnement, des cibles potentielles en cas de conflit. Selon le gouvernement, cette réorganisation est considérée comme un « élément clé de la posture de défense allemande et européenne« .

Une réponse aux tensions régionales et au renforcement de l’OTAN

L’escalade des tensions avec la Russie remet au premier plan les questions de défense territoriale au sein des pays européens. L’Allemagne, en tant que plaque tournante logistique pour l’OTAN, joue un rôle critique dans l’architecture de sécurité collective du continent. La réorganisation des forces armées allemandes intervient dans un contexte d’alerte élevé, rappelant des pratiques de la guerre froide.La nouvelle division militaire, composée initialement de 6 000 soldats dès l’été prochain, se concentrera sur la protection intérieure. Sa mission inclut la défense des infrastructures critiques contre d’éventuels sabotages et attaques hybrides, un danger de plus en plus évoqué par les analystes de la sécurité. Ce renforcement des capacités nationales complète les efforts déployés par l’OTAN pour dissuader toute agression dans la région.

La restructuration des forces armées allemandes ne s’arrête pas à la création d’une nouvelle division. Elle implique également une rationalisation des structures de commandement pour améliorer la réactivité et la coordination. Cette centralisation de la défense territoriale sous l’autorité directe de l’armée vise à répondre de manière plus ciblée aux menaces, notamment celles posées par des acteurs étatiques et non étatiques.

L’un des objectifs de l’armée de Terre est d’avoir une brigade « bonne de guerre » en 2025

L’un des objectifs de l’armée de Terre est d’avoir une brigade « bonne de guerre » en 2025


L’an passé, dans le cadre de son nouveau plan stratégique, intitulé « armée de Terre de combat », l’armée de Terre s’est concentrée sur la réorganisation de ses grands commandements, désormais au nombre de quatre, avec le commandement de la force opérationnelle terrestre [CFOT], la Direction des ressources humaines de l’armée de Terre [DRHAT], la Direction centrale de la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres [DCSIMMT] et le Commandement du combat futur [CCF].

En outre, elle a créé quatre nouveaux commandements dits « Alpha » [CAPR, CALT, CAST, CATNC] lesquels sont chargés de « mettre en synergie et de préparer les forces placées sous leurs ordres ».

Désormais, il est question de décliner ce plan stratégique au niveau des brigades. Pour rappel, ce dernier fait du principe de subsidiarité une « ligne directrice forte de la transformation de l’armée de Terre », l’idée étant de passer de la « culture de la norme à celle de l’intention, de la responsabilité et du résultat ».

En clair, il s’agit de donner plus d’autonomie aux « brigadiers » [c’est-à-dire les généraux commandant ces brigades] dans plusieurs domaines définis [gestion du personnel, soutien, infrastructures, etc.], dans la limite des « directives et du cadre fixé par les contrats opérationnels ». Ce qui suppose qu’ils aient la main sur les moyens financiers nécessaires.

Dans la dernière Lettre du CEMAT, qui vient d’être diffusée, l’armée de Terre indique ainsi que 2025 sera « l’année des brigades ». Concrètement, celles-ci auront plus de latitude dans quatre domaines.

Ainsi, détaille le document, la « subsidiarité » sera « renforcée en matière RH [ressources humaines], dans l’attribution de primes individuelles [prime de lien en service, prime du combattant terrestre, prime de commandement et de responsabilité militaire] et l’adaptation de la dotation ‘habillement’ des soldats au moyen d’une enveloppe financière ». En outre, le « plan de subsidiarité budgétaire permettant de marquer les efforts vers les unités » sera reconduit, que ce soit pour l’entretien des infrastructures, la condition du personnel, la préparation opérationnelle ou encore la communication.

Ainsi, précise la Lettre du CEMAT, la « mise en place d’enveloppes de ressources liées à l’activité et à l’entraînement permettront au brigadier de définir la meilleure ambition opérationnelle » en fonction des moyens qui lui auront été alloués.Par ailleurs, l’objectif de l’armée de Terre est de confier, là où c’est possible, les « prérogatives du soutien local », qui relèvent de Bases de défense, à ses commandants de brigades.

« Ce double casquettage doit fournir les leviers favorables à la coordination des effets des soutiens, sans remise en cause des prérogatives des chaînes de soutien. Cette évolution s’accompagne d’un regroupement des Bases de défense pour atteindre une taille critique d’environ 10 000 personnes » [soutenues], explique-t-elle.

Enfin, les brigades interarmes verront leurs « capacités de soutien propre accrues » avec la montée en puissance des « compagnies de commandement de transmission et de soutien » [CCTS].

Quoi qu’il en soit, ces mesures doivent permettre d’atteindre l’un des objectifs de l’armée de Terre pour 2025 : celui de disposer d’une brigade « bonne de guerre ». C’est le « premier jalon opérationnel de la remontée en puissance vers une composante terrestre réactive, puissante et endurante », souligne la Lettre du CEMAT.

Et d’ajouter : « Véritable échelon de cohérence, la brigade doit concilier l’exigence d’une réactivité accrue et la nécessaire amélioration du fonctionnement au quotidien de l’armée de Terre en opération permanente ».

L’axe stratégique Russie-Corée du Nord : une évaluation

L’axe stratégique Russie-Corée du Nord : une évaluation

Publication générique pour un programme/observatoire n°00/2025
par Valérie Niquet – Fondation pour la recherche stratégique – publié le 7  janvier 2025

Le 23 octobre 2024, lors du premier sommet des ministres de la Défense des pays du G7, le Secrétaire d’État à la Défense, Lloyd Austin, a confirmé que la Corée du Nord se préparait à envoyer plusieurs milliers de soldats en Russie

. D’après le ministère sud-coréen de la Défense, 3 000 soldats nord-coréens seraient déjà présents sur le territoire russe

. Cet envoi de troupes représente une étape supplémentaire dans la coopération militaire entre Moscou et Pyongyang, laquelle a été officialisée par la signature d’un partenariat stratégique au cours de la visite de Vladimir Poutine en Corée du Nord en juin 2024. Ce tournant dans les relations bilatérales s’accompagne d’une intensification des tirs de missiles par la Corée du Nord à l’approche des élections présidentielles aux États-Unis. En particulier, le 30 octobre 2024, la Corée du Nord a procédé à l’essai d’un missile intercontinental, le premier depuis décembre 2023

. Ce missile à carburant solide, qui a parcouru une distance de 7 000 kilomètres – supérieure à celle des tirs précédents –, pourrait indiquer un renforcement de la coopération technologique avec la Russie, impliquant un progrès significatif en matière de motorisation

Un partenariat stratégique en action…

Depuis 2022, la Corée du Nord a fourni une aide matérielle importante à la Russie, lui permettant dans un premier temps de combler les manques de l’industrie russe de défense. Pyongyang aurait fourni près de trois millions d’obus et plusieurs dizaines de missiles balistiques à la Russie transportés depuis le port de Rason en Corée du Nord

. La France, comme le Japon, a dénoncé l’utilisation de ces missiles contre l’Ukraine aux côtés de 47 autres pays. Au mois de juin 2024, Vladimir Poutine s’est rendu en Corée du Nord où un partenariat stratégique comportant une clause d’assistance mutuelle a été signé

. Le traité prévoit que « en cas de guerre résultant d’une invasion armée, les deux parties offriront une assistance mutuelle militaire ou d’autre type »

. Ce cadre pourrait justifier l’envoi de forces coréennes d’appoint dans la région de Koursk ou dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie. 

La coopération pourrait également s’étendre au domaine spatial. Le directeur de l’agence spatiale russe faisait partie de la délégation accompagnant Vladimir Poutine en Corée et Pyongyang pourrait être intéressé par le développement d’un système de surveillance spatial sous l’égide de la Russie.

… répondant à divers objectifs

Une aide économique cruciale

Plusieurs ministres en charge de l’économie faisaient partie de la délégation russe en visite à Pyongyang en juin 2024. Pour la Corée du Nord, le soutien à la Russie revêt un intérêt économique crucial, surtout pour un pays toujours soumis aux sanctions internationales. Cette assistance comprendrait l’approvisionnement en énergie, notamment en charbon – essentiel à l’approche de l’hiver –, en pétrole, indispensable au bon fonctionnement des forces armées, ainsi qu’en produits alimentaires, qui continuent de manquer. La Russie aurait également accepté de transférer à la Corée du Nord 9 millions de dollars en devises, sur un total de 30 millions de dollars gelés dans les banques russes

. Ces éléments – énergie, nourriture et devises étrangères – sont vitaux pour la survie du régime nord-coréen.

Un soutien militaire renforcé

Un soutien militaire accru à la Corée du Nord constitue également un volet important des échanges entre Moscou et Pyongyang. Cette coopération permet à la Corée du Nord de tester ses capacités militaires en situation de guerre, en particulier dans le domaine balistique, et d’améliorer les performances de ses missiles, qui semblent encore limités en termes de précision. En apportant un soutien militaire à la Corée du Nord, la Russie renforce sa capacité à mener et potentiellement remporter un conflit dans l’éventualité d’une offensive contre la Corée du Sud. La participation de soldats et d’officiers nord-coréens aux combats en Ukraine offre également au régime l’opportunité d’évaluer les compétences opérationnelles de ses troupes, qui n’ont plus combattu depuis la fin de la guerre de Corée en 1953.

Les informations restent cependant divergentes concernant le degré d’intégration des troupes et officiers nord-coréens et leur niveau d’autonomie opérationnelle. D’après certaines sources nord-coréennes, six officiers auraient été tués dans une zone sous contrôle russe, à l’est de l’Ukraine.

Pour le Japon et ses partenaires, une question essentielle réside dans l’ampleur et la nature de l’aide que la Russie pourrait fournir à la Corée du Nord sur le développement de son programme balistique et nucléaire, ce qui pourrait l’accélérer et renforcer sa crédibilité. Contrairement à la Russie, la Corée du Nord n’a jamais effectué d’essai nucléaire atmosphérique, et Moscou pourrait transmettre à Pyongyang des informations précieuses à ce sujet. Cette assistance pourrait également concerner les capacités de ciblage des missiles, voire la production d’armes nucléaires tactiques et de torpilles dotées d’une charge nucléaire.

La position de la Russie sur la question nucléaire nord-coréenne a en effet connu une évolution significative. Après avoir longtemps soutenu, au Conseil de sécurité, les résolutions visant à sanctionner la Corée du Nord, Moscou a opposé, en mars 2024, son veto au renouvellement du mandat du groupe d’experts chargé de surveiller l’application des sanctions prévues par la résolution 1718. En juin 2024, lors de sa visite à Pyongyang, Vladimir Poutine a également plaidé en faveur d’une révision du régime de sanctions imposé par le Conseil de sécurité, y compris celles visant la Corée du Nord.

L’impact diplomatique de l’engagement nord-coréen aux côtés de la Russie

L’implication de la Corée du Nord aux côtés de la Russie dans le conflit en Ukraine consolide sa position diplomatique sur la scène internationale. Le rapprochement entre Moscou et Pyongyang accroît également la marge de manœuvre et le potentiel de pression de la Corée du Nord vis-à-vis de la Russie, du Japon, ainsi que de la Chine. Pyongyang cherche ainsi à retrouver une position stratégique comparable à celle qu’elle occupait avant la chute de l’URSS, lorsque le conflit sino-soviétique permettait un jeu triangulaire plus favorable aux intérêts nord-coréens.

Ainsi, le déplacement de Vladimir Poutine à Pyongyang, ainsi que sa visite au Vietnam, n’ont probablement pas satisfait Pékin, qui privilégie des relations massivement asymétriques, où la République populaire de Chine occupe une position dominante. Il est par ailleurs douteux que la Russie ou la Corée du Nord aient informé le Parti communiste chinois de l’envoi de troupes nord-coréennes en Russie. Bien que la Chine entretienne un « partenariat sans limites » avec la Russie et soit liée à la Corée du Nord par un traité militaire, les intérêts de ces trois acteurs divergent, notamment en ce qui concerne la péninsule coréenne. Si la RPC n’est pas prête à abandonner son allié nord-coréen, qui constitue un État-tampon face à la Corée du Sud et à la présence américaine, Pékin est défavorable à tout ce qui pourrait encourager les dirigeants nord-coréens à l’escalade dans la péninsule. Confrontée à des difficultés économiques croissantes, et à l’élection d’un président américain imprévisible, la RPC recherche avant tout l’absence de tensions non maîtrisées dans son environnement immédiat.

Les bénéfices stratégiques pour la Chine

Dans le même temps, la Chine pourrait voir d’un bon œil la prolongation du conflit en Ukraine, que la participation accrue des forces nord-coréennes pourrait favoriser si celles-ci devenaient plus nombreuses. Cette guerre accentue la pression sur l’Europe et contribue à diviser les alliés, surtout avec le retour au pouvoir de Donald Trump. Elle pourrait également détourner l’attention des Européens de la question de Taïwan et de la stabilité dans le détroit, bien que le Japon insiste régulièrement sur l’existence d’un lien direct, en raison de cette coopération renforcée avec Moscou, entre la guerre en Ukraine et un risque potentiel de conflit en Asie. 

Un autre avantage de la continuation de la guerre en Ukraine pour Pékin réside dans l’affaiblissement de la Russie à mesure que le conflit se prolonge, rendant ainsi le partenariat sino-russe sans limites toujours plus asymétrique en faveur de la Chine.

Les limites de la coopération russo-nord-coréenne

Plusieurs facteurs pourraient toutefois peser sur la poursuite de l’engagement de la Corée du Nord aux côtés de la Russie. L’envoi de troupes, dont la supposée qualité d’élite reste à prouver, pourrait au contraire révéler des faiblesses dans la préparation au combat des forces nord-coréennes. Si cet engagement implique une réelle participation aux combats, il offrirait à la Corée du Sud l’occasion d’analyser et de mieux comprendre les modes d’action des forces nord-coréennes, notamment le rôle des commissaires politiques et des officiers, surtout si ces troupes bénéficient d’une autonomie opérationnelle — ce qui reste incertain.

Par ailleurs, la Corée du Sud pourrait saisir cette occasion pour mener des opérations de guerre psychologique à l’encontre des soldats nord-coréens, dont la plupart n’ont aucune expérience du combat. Leur motivation pourrait être sujette à caution, et l’épreuve du feu pourrait engendrer un choc psychologique, favorisant ainsi des défections.

Des risques accrus pour la stabilité stratégique régionale

Si l’entrée de troupes nord-coréennes ne signe sans doute pas une internationalisation massive de la guerre en Ukraine, cette escalade peut avoir des conséquences sur la stabilité stratégique en Asie, dont le maintien constitue une préoccupation commune pour le Japon et la France. 

Forte de sa nouvelle expérience du combat, la Corée du Nord pourrait se montrer plus agressive, multipliant les provocations contre la Corée du Sud, au risque d’un dérapage

La question de la prolifération des armes de destructions massive est également posée. Selon des sources sud-coréennes, la Corée du nord aurait achevé les préparatifs pour procéder à un nouvel essai nucléaire, qui pourrait toutefois attendre l’« intronisation » du nouveau président américain Donald Trump et une évaluation de l’évolution des relations entre Pyongyang et Washington sous la nouvelle administration, la Corée du Nord n’étant en tout état de cause pas prête à abandonner sa capacité nucléaire acquise

Une inquiétude immédiate pour le Japon

Le renforcement des capacités nord-coréennes et la menace potentielle d’un conflit dans la péninsule réveille au Japon la crainte d’un conflit sur deux fronts, l’autre front étant le détroit de Taïwan, auquel l’alliance nippo-américaine devrait faire face. Face à cette possibilité de deux théâtres d’opérations intégrés en Asie, la réponse pour Tokyo ne peut être que le renforcement de cette alliance, ainsi que celui de ses propres capacités de défense, avec notamment l’acquisition de capacités de frappe à longue portée censées avoir un effet dissuasif. Au lendemain de l’élection de Donald Trump, le Premier ministre japonais Ishiba a immédiatement réaffirmé le caractère central de l’alliance nippo-américaine, pierre angulaire de la sécurité en Asie. A l’occasion du sommet de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) qui s’est tenu à Lima au mois de novembre 2024, le Premier ministre Ishiba, le Président Yoon et le président Biden ont réaffirmé l’importance stratégique, dans la durée, de la coopération trilatérale entre le Japon, la Corée du sud et les États-Unis. Les trois alliés ont rappelé que les enjeux de sécurité européens et asiatiques, avec l’envoi de troupes nord-coréennes en Russie, étaient de plus en plus indissociables. 

Toutefois, en Asie comme en Europe, sur la péninsule coréenne comme en Ukraine, la principale interrogation porte – pour le moment sans réponse – sur les choix qu’effectuera la nouvelle administration Trump en matière de défense et de sécurité. La Corée du Nord, contrairement aux attentes, pourrait se satisfaire de l’élection d’un président qui avait accepté de rencontrer le leader nord-coréen, même si la rencontre n’avait débouché sur aucune avancée en matière de prolifération nucléaire

Par ailleurs, en soutenant éventuellement un accord  sur l’Ukraine prenant en compte les exigences de Moscou, les États-Unis pourraient offrir de nouvelles marges de manœuvre à la Russie, qui serait alors moins dépendante de la Chine et – dans une moindre mesure – du « Sud global ». On peut alors s’interroger sur un éventuel retour à une relation moins tendue avec le Japon, également préoccupé par la montée en puissance de la Chine et par la volonté de gérer au mieux la question des territoires du nord (Kouriles).

Dispositif français en Afrique: comme si l’Elysée avait externalisé sa com’ africano-militaire

Dispositif français en Afrique: comme si l’Elysée avait externalisé sa com’ africano-militaire

Photo P. Chapleau

On se souvient qu’en février 2023, le président français Emmanuel Macron avait annoncé une prochaine « diminution visible » des effectifs militaires français en Afrique. Des effectifs déjà largement réduits par les décision du Mali, du Burkina Faso et du Niger de cesser leur coopération militaire avec la France.

Un an plus tard (voir mon post du 6 février 2024), on apprenait que Jean-Marie Bockel, éphémère ministre de la Coopération de l’ancien président Nicolas Sarkozy en 2007, était chargé d’une mission sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique.

Il était alors prévu qu’un rapport serait remis au Président à la mi-juillet 2024.

Las, on n’a rien vu venir. Juste entendu des bruits dont on s’est satisfait puisqu’ils confortaient dans la crainte de coupes très claires dans les moyens humains tricolores et les ambitions françaises en Afrique.

De clarifications chiffrées, aucune.

L’Elysée a donc fait l’économie d’une annonce présidentielle, d’une conférence de presse précédée d’un briefing, d’un débat parlementaire… La Présidence a tout bonnement attendu que les pouvoirs africains concernés par une présence effective de troupes françaises n’annoncent eux-mêmes l’ampleur des réductions et le calendrier. Bel exemple de sous-traitance (que même Jean-Marie Bockel n’avait pas vu venir) à peu de frais.

On attendait des chiffres pour le Tchad, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon; on les connait désormais pour les trois premiers pays:
– 0 au Tchad où le désengagement est en cours,
– 0 en Côte d’Ivoire où le président Alassane Ouattara a annoncé le 31 décembre qu’il avait « décidé du retrait coordonné et organisé des forces françaises »,
– et autant au Sénégal où, le 31 décembre également, le président Bassirou Diomaye Faye a annoncé « la fin de toutes les présences militaires de pays étrangers au Sénégal, dès 2025 », dans un discours à l’occasion du Nouvel an.

Pour le Gabon, on avance le chiffre d’une centaine de formateurs qui pourraient rester sur place, à l’Académie du camp de Gaulle où sont installées l’Ecole d’administration des forces de défense de Libreville (EAFDL) et l’Académie de protection de l’environnement et des ressources naturelles (APERN). Mais Paris n’est pas à l’abri que le redéploiement et la réorganisation des EFG (éléments français au Gabon) ne soient prolongés par un désaveu du régime local et une demande de départ.

Reste Djibouti, où s’est rendu le président de la République le 20 décembre. Paris y conserve une base militaire avec 1500 soldats, la plus importante et certainement la dernière de ces bases d’Afrique « pléthoriques, permanentes, qui nourrissaient des ambiguïtés », selon Emmanuel Macron qui n’a même pas eu à sonner le glas de la présence militaire française en Afrique. La messe était dite.

L’armée russe est en train de prendre Kurakhove : quelles conséquences sur le front ukrainien ?

Après plus de deux mois de combats urbains, la ville de Kurakhove, dans l’oblast de Donetsk, est sur le point de tomber. La perte d’un quatrième bastion du Donbass en un an ouvre la voie à une poussée russe en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk et pourrait conduire à une pression accrue autour de Pokrovsk.

Il aura fallu environ deux mois, depuis la fin du mois d’octobre jusqu’à la fin du mois de décembre, pour que l’armée russe prenne le contrôle de la quasi-totalité de la ville de Kourakhove, dans l’oblast de Donetsk. Seuls les bâtiments industriels, à l’ouest, font encore l’objet de combats aujourd’hui.

  • Kourakhove, qui comptait 18 000 habitants avant la guerre, fait partie des quatre villes moyennes de l’Est du pays capturées par l’armée russe en 2024, aux côtés d’Avdiivka, Selydove et Vuhledar.
  • La chute de la ville ne faisait plus de doutes depuis quelques semaines, alors que les troupes russes progressaient au nord, à l’est et au sud de la ville, menaçant d’encerclement les positions ukrainiennes.
  • Les assaillants russes ont tenté d’éviter autant que possible de se lancer dans des combats urbains lors d’affrontements frontaux qui s’accompagnent souvent d’importantes pertes.

La chute à venir de Kurakhove devrait laisser le champ libre à l’armée russe pour avancer en direction du sud-ouest de Pokrovsk et pour pousser en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk, qui concentre d’importantes industries (notamment l’usine de production de missiles et fusées de Pavlohrad et l’usine Pivdenmash de Dnipro, qui produit les missiles de croisière Neptune) 1. Les troupes russes se situent pour le moment à environ 100 kilomètres du centre de l’oblast.

Le risque le plus imminent pour le front ukrainien est Pokrovsk, à 30 kilomètres au nord.

  • Les forces russes tentent depuis plusieurs mois d’encercler la ville par le sud et le nord-est, sans toutefois parvenir à réaliser des percées significatives.
  • Ce manque de réussite pourrait conduire le commandement russe à tenter de réaliser des percées « opportunistes » en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk.
  • Pokrovsk constitue, avec Velyka Novossilka, le principal objectif militaire russe en Ukraine suite à la chute de Kurakhove. Le Kremlin poursuit par ailleurs son objectif de capture de la totalité de l’oblast de Donetsk avant d’entamer des négociations de cessez-le-feu avec Kiev.

L’Institute for the Study of War estime que Moscou a capturé 4 168 km2 de territoire au cours de l’année 2024 pour un total de plus de 420 000 pertes — soit environ 102 morts ou blessés par kilomètre carré saisi 2. Le rythme de la progression russe s’est cependant accéléré au second semestre : 56,5 % des gains de l’année ont été recensés au cours de la période septembre-novembre.


Sources
  1. « NYT увидела угрозу « промышленному сердцу » Украины из-за потери Курахово », РБК, 1er janvier 2025.
  2. Angelica Evans, Nicole Wolkov, Kateryna Stepanenko, Nate Trotter, William Runkel et Fredrick W. Kagan, Russian Offensive Campaign Assessment, December 31, 2024, Institute for the Study of War.

Elbridge Colby, le vrai visage de la stratégie Trump ?

Elbridge Colby, le vrai visage de la stratégie Trump ?

par Olivier Chantriaux – Revue Conflits- publié le 2 janvier 2025


Le 22 décembre dernier, Donald Trump a annoncé son intention de nommer Elbridge Colby sous-secrétaire à la Défense chargé des questions politiques. La nouvelle n’a pas retenu outre mesure l’attention des grands médias. Pourtant, la nomination de ce réaliste révèle peut-être la ligne stratégique de Donald Trump lors de son prochain mandat.

Elbridge Colby n’est pas un inconnu. Au cours du premier mandat de Donald Trump, il avait présidé à l’élaboration de la Stratégie de défense nationale de 2018. Constatant l’accroissement du désordre mondial et l’impossibilité d’établir en définitive un ordre international libéral, ce document procédait à un recentrage, reconnaissant que « la compétition stratégique entre États, non le terrorisme [était] désormais la préoccupation première de la sécurité nationale des États-Unis » et désignant la Chine comme principale concurrente. Dans ce contexte, la modernisation de la défense devait assurer aux États-Unis les capacités nécessaires pour assurer sa prépondérance et « maintenir la paix par la force« , « to preserve peace through strength« , formule que Donald Trump se plaît actuellement à répéter, lorsqu’il évoque, par anticipation, la stratégie internationale qu’il compte mettre en œuvre.

 

Elbridge Coby, Deputy Assistant Secretary of Defense, (U.S. Army photo by Monica King/Released)

 

Un réaliste à la Défense

Formé à Harvard et à l’École de droit de Yale, Elbride Colby est avant tout un intellectuel et un penseur réaliste des relations internationales. Après avoir travaillé comme analyste au Center for Naval Analyses (CNA) et au Center for a New American Security (CNAS), Colby avait été pressenti pour jouer un rôle éminent dans la campagne de Jeb Bush, candidat à la primaire présidentielle de 2016, avant d’être finalement éconduit par l’entourage néoconservateur de ce dernier.

Aujourd’hui, si sa désignation comme sous-secrétaire à la Défense peut sembler éclipsée par la nomination à des postes de premier plan de personnalités politiques notoires, comme Michael Waltz ou Marco Rubio, l’influence intellectuelle qu’il exercera pourrait se révéler plus déterminante au fond pour définir le positionnement stratégique des États-Unis, conduisant certains observateurs à considérer, par anticipation, que Colby pourrait être le « cerveau » de la doctrine Trump.

Le cerveau de la doctrine Trump

Cofondateur de L’Initiative de Marathon, association visant à sensibiliser ses compatriotes à la nécessité de repenser la politique internationale des États-Unis dans le contexte d’un retour à la compétition des grandes puissances, Elbridge Colby a pu exposer ses vues les plus constantes dans The Strategy of Denial, publié en 2021. Opposé à la guerre en Irak comme à la multiplication des engagements extérieurs des États-Unis, qui ne peuvent conduire, selon lui, qu’à une déperdition d’énergie et à un surinvestissement vain, il croit primordial de concentrer les efforts américains sur un théâtre central, l’Asie, qui rassemble la moitié de la population mondiale et génère l’essentiel de la croissance globale, en vue d’un objectif principal, empêcher la Chine de bâtir une sphère de prospérité sous son contrôle et de faire ainsi prévaloir son hégémonie.

Faisant sienne, en quelque sorte, la stratégie d’offshore balancing conçue par le réaliste offensif John Mearsheimer, il estime que, pour faire pièce aux ambitions chinoises, qui ne se jouent décisivement ni en Ukraine ni au Proche-Orient, les États-Unis doivent être en mesure de coordonner leur action avec les puissances géographiquement proches de la Chine et peu enclines à accepter son ascension, en l’occurrence l’Inde, le Japon, l’Australie et même le Vietnam.

Tandis que, dans l’espace Indo-Pacifique, l’Amérique se chargerait de dissuader la Chine d’imposer son hégémonie économique, les États européens se trouveraient mécaniquement conduits à prendre davantage de responsabilités au sein de l’Alliance atlantique.

La Chine est le véritable adversaire des États-Unis

Elbridge Colby se démarque enfin d’autres stratèges américains en ce qu’il ne conçoit pas comme inévitable la perspective d’une guerre avec la Chine. Sa lecture de la compétition des grandes puissances n’est pas simplement militaire, comme tendrait à l’affirmer un John Mearsheimer, mais accorde une place primordiale aux enjeux géoéconomiques, dans le sillage du théoricien du changement hégémonique qu’était Robert Gilpin.

Soucieux de préserver la paix et la capacité des États-Unis à négocier avec son compétiteur sans provoquer de guerre majeure, Elbridge Colby affirme que « le moralisme » est, en fait, inférieur à « la moralité d’une politique étrangère réaliste« .

La vente du réseau TIM : un chaos stratégique pour l’Italie

La vente du réseau TIM : un chaos stratégique pour l’Italie

par Giuseppe GAGLIANO – CF2R – Note d’actualité N°667 / décembre 2024

https://cf2r.org/actualite/la-vente-du-reseau-tim-un-chaos-strategique-pour-litalie/


Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Le 1er juillet 2024, TIM a finalisé la vente de son infrastructure réseau au géant américain KKR, qui l’a intégrée dans la société FiberCop. Un mois plus tard, TIM, privée de son réseau, a demandé à FiberCop de lui louer environ 600 000 lignes en fibre optique dans les « zones noires », c’est-à-dire dans les zones à forte densité de clientèle. FiberCop, n’ayant pas ces lignes, s’est tournée vers Open Fiber, le concurrent créé en 2015 par le gouvernement Renzi pour concurrencer TIM sur le marché de la fibre optique. Open Fiber, dans un paradoxe typiquement italien, a proposé ces lignes directement à TIM à un prix réduit. Cependant, TIM est contractuellement obligée de passer par FiberCop pour ce type de service. FiberCop, ayant 90 jours pour répondre à la demande, a déclaré avoir trouvé une solution : louer les lignes d’un autre opérateur, qui les a lui-même obtenues en location auprès d’Open Fiber. Chaque étape ajoute une surcharge de coûts, qui pourrait finalement être supportée par les utilisateurs. Fait notable, l’État italien est actionnaire minoritaire de TIM et de FiberCop et contrôle Open Fiber via la Caisse des Dépôts et Consignations (CDP).

Le gouvernement, dirigé par la Première ministre Giorgia Meloni et le ministre de l’Économie Giancarlo Giorgetti, a approuvé la vente à KKR dans l’espoir de redresser les dettes de TIM et de renforcer les relations avec les États-Unis. L’opération, orchestrée au Palazzo Chigi par le chef de cabinet Gaetano Caputi et Vittorio Grilli de JPMorgan Italie, montre déjà des faiblesses. Actuellement, les relations entre KKR et le gouvernement sont tendues, principalement en raison des attentes élevées de rentabilité du fonds américain, qui a investi environ 4 milliards d’euros pour acquérir 37% de la nouvelle société réseau (le Trésor italien détient 16%). KKR vise une revente rapide de l’actif.

Lors de la cession, TIM et FiberCop ont signé un Master Service Agreement – un contrat de 15 ans reconductible une fois – qui régit les services offerts par TIM, désormais sans réseau. Selon les prévisions, TIM paiera 2 milliards d’euros par an pour l’accès au réseau jusqu’en 2029 ; en 2030, le chiffre passera à 2,1 milliards pour atteindre 2,5 milliards d’euros en 2039. Ce schéma garantit à FiberCop, et donc à KKR, des profits annuels croissants, allant de 2 milliards en 2027 à 2,7 milliards en 2039. TIM est obligée d’acheter les services de FiberCop s’ils sont disponibles et doit résilier les contrats avec d’autres opérateurs si FiberCop propose des services similaires.

L’Autorité italienne de la concurrence a lancé une enquête sur le Master Service Agreement pour une possible violation de la concurrence. Certaines clauses du contrat, telles que sa durée de 30 ans et l’exclusivité et les mécanismes de remise, pourraient nuire aux concurrents. Des correctifs éventuels pourraient réduire la rentabilité de FiberCop.

Open Fiber, pour sa part, a récemment bénéficié d’une augmentation de capital de ses actionnaires, dont le fonds australien Macquarie (qui en détient 40%). La fusion avec FiberCop pour créer un « réseau unique » semble être une solution logique pour éviter les conflits dans le secteur et protéger les investissements de la CDP, qui a déjà dépensé 1,5 milliard d’euros. Cependant, KKR n’est pas favorable à cette fusion, car elle entraînerait des dépenses supplémentaires, telles qu’un Earn-Out de 2,5 milliards d’euros à verser à TIM en cas de fusion avant 2027. De plus, la détermination des parts sociales après la fusion dépendrait de la valorisation des deux sociétés, et KKR pourrait avoir intérêt à dévaloriser Open Fiber, ce qui aurait des répercussions négatives pour la CDP et aggraverait les tensions avec le gouvernement italien.

Dans ce contexte, FiberCop a choisi de payer l’intermédiation d’un autre opérateur pour garantir les services demandés par TIM, risquant d’opérer à perte ou de transférer les coûts supplémentaires à TIM elle-même. Open Fiber, de son côté, a proposé des conditions avantageuses pour attirer TIM, illustrant la concurrence intense dans le secteur. Au final, il est probable que les coûts supplémentaires résultant de cette chaîne d’intermédiation complexe soient supportés par les utilisateurs finaux.

Le cas de TIM et la vente du réseau à KKR ne sont pas une exception isolée, mais plutôt un élément d’un cadre plus large où les fonds souverains et les fonds de Private Equity jouent un rôle de plus en plus central dans la transformation de l’économie mondiale. Ces outils financiers se sont transformés, passant de simples véhicules d’investissement à des instruments de contrôle stratégique, capables d’influencer des secteurs économiques entiers et les choix de politique industrielle de nombreux pays.

Les fonds souverains, en particulier, se sont imposés comme des acteurs clés, gérant d’immenses ressources issues des excédents commerciaux des nations exportatrices d’énergie ou de produits industriels. Les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Norvège et la Chine sont parmi les États qui ont utilisé leurs fonds souverains pour acquérir des participations dans des entreprises stratégiques de secteurs tels que l’énergie, les infrastructures, la technologie et les télécommunications. Ces investissements ne sont pas seulement une question de profit, mais reflètent souvent des objectifs géopolitiques et de Soft Power.

De manière similaire, les fonds de Private Equity tels que KKR, Blackstone et Carlyle, bien que formellement privés, agissent souvent en synergie avec les intérêts des gouvernements de leur pays d’origine. Leur force réside dans leur capacité à mobiliser rapidement des capitaux et à acquérir des actifs stratégiques dans des domaines clés, allant des transports à l’énergie, jusqu’aux télécommunications, comme le montre le cas de TIM. Cependant, ces fonds privilégient généralement une rentabilité à court terme, souvent au détriment des investissements à long terme nécessaires pour la croissance et la stabilité des actifs acquis.

Ce qui émerge, c’est un mécanisme global de contrôle économique. La propriété d’infrastructures critiques comme les réseaux de télécommunications, les ports, les centrales énergétiques et les réseaux de distribution, concentrée entre des mains étrangères, prive les gouvernements nationaux des outils fondamentaux pour planifier et protéger leur développement. Dans de nombreux cas, l’accès aux capitaux étrangers devient une nécessité pour des entreprises lourdement endettées, mais le prix à payer est élevé : la perte de souveraineté économique et décisionnelle.

L’Italie, comme de nombreuses autres nations européennes, doit réfléchir à l’avenir de ce modèle. Continuer à céder des actifs stratégiques au nom d’une logique à court terme risque de compromettre non seulement l’économie, mais aussi la capacité à relever les défis mondiaux avec des outils adaptés et une autonomie décisionnelle.