Un potentiel militaire amoindri

Un potentiel militaire amoindri


Olivier Passet
(*) – Esprit Surcouf – publié le 19 avril 2024

Directeur de la recherche, Xerfi

https://espritsurcouf.fr/defense_un-potentiel-militaire-amoindri_par_polivier-passet/


Même si les dirigeants européens semblent vouloir rattraper le temps perdu, il n’en demeure pas moins, selon l’auteur, que la situation globale de l’industrie de Défense, en France comme chez nos partenaires majeurs, relève de retards et de lacunes accumulées au gré des décennies passées.

Le réveil est tardif, révélant au grand jour les failles militaires européennes. En dépit des effets d’annonce, la défense n’est pas qu’affaire de flux de dépenses. Ce sont d’abord des capacités humaines et technologiques qui comportent une forte inertie. Il ne suffit pas d’augmenter les dépenses d’un pourcentage à plus de deux chiffres comme depuis 2022 pour redresser une situation. Des décennies de sous-investissement, en matériel, en R&D, en homme, cela ne se corrige pas en l’espace de quelques trimestres car c’est tout un système qui doit changer d’échelle.

Un passé de désengagement

La déficience européenne est palpable à tous les niveaux de la chaîne militaire :

  1. Du côté des capacités de production de matériel, fragmentées, sous-dimensionnées en cas de conflit de haute intensité, chacun jouant sa partition nationale. L’incapacité de l’Europe à fournir 1 million d’obus à l’Ukraine d’ici le printemps a révélé la difficulté de la zone à produire un effort de guerre. Elle n’a tenu à ce jour que 30% de l’objectif fixé il y a un an et s’en approchera au mieux de 50%.
    2. Du côté des forces matérielles et humaines mobilisables adaptées à chaque type de conflit.
    3. Du côté de la coordination. L’Europe est toujours très loin d’un objectif de mutualisation, aussi bien au plan de la production, du commandement, des standards matériels et des formations.
    4. Du côté enfin de la compétition technologique que se livrent les puissances et qui appellent à de nouvelles solutions offensives et défensives à haute intensité de R&D.

En vérité, l’Europe a baissé la garde depuis la fin de la guerre froide, persuadée qu’elle était définitivement à l’abri des conflits de haute intensité sur son territoire. Les dépenses publiques dédiées à sa défense sont édifiantes. Elles n’ont cessé de décroître tout au long des années post-guerre froide, pour ne plus représenter que 1,3% du PIB au milieu des années 2010. Et les quatre principales puissances de l’UE, France, Allemagne, Italie et Espagne, ont été motrices dans ce reflux, puisque leur part dans le total européen n’a cessé de refluer en représentant moins des deux tiers aujourd’hui.

L’Allemagne démissionnaire

Et parmi ces quatre pays, l’Allemagne est de loin le pays le plus démissionnaire, tirant la moyenne européenne vers le bas, donnant la priorité aux objectifs de rationalisation budgétaire et concevant son industrie d’armement comme un levier d’exportation et de concurrence intra-européenne. La France pour sa part peut revendiquer un effort plus soutenu, proche du seuil des 2%. Mais en vérité, ayant le monopole de la dissuasion nucléaire au sein de l’UE, et ayant développé des moyens de projection à l’étranger son budget est structurellement augmenté par ces deux éléments. Une décomposition plus fine de ses dépenses publiques permet de mettre le doigt sur la grande faille de l’armée française. Ayant abandonné la conscription en 1997 et revendiqué la bascule sur une armée de métier, le pays pivot de la défense européenne aurait dû mettre à profit cette séquence pour équiper son armée. Or les économies opérées en matière de rémunération ou d’autres frais de fonctionnement n’ont pas été converties en équipement.

Le sous-investissement, une faiblesse structurante

Et c’est précisément là où la défaillance européenne est la plus palpable. Son retard n’est pas humain. En effectifs, l’UE tient la comparaison avec les grandes puissances. En revanche, elle a accumulé des années de sous-investissement au nom de la raison financière. Le fossé est flagrant avec les États-Unis. Et ce sous-investissement a eu des conséquences en chaîne sur l’appareil productif européen, doublement pénalisé par le fractionnement et la faiblesse de la commandite publique.

Face à ce déficit de demande domestique, les grands groupes de l’armement européen se sont de plus en plus tournés vers l’exportation. À l’instar de la France, dont la part de production exportée est passée de 8% dans les années 1960, à 15% dans les années 1970, puis à près de 30% en 2021… une dépendance croissante aux exportations du modèle industriel sous-jacent à la défense européenne, problématique en termes de sécurité et des nœuds de contrat qui freinent aujourd’hui l’approvisionnement ukrainien.

Fractionnement, sous-dimensionnement, concurrence, externalisation et extraversion sur les marchés étrangers, c’est le résultat d’une commandite publique dépourvue de stratégie. Une déficience qui se double d’un sous-investissement dans la R&D militaire, avec un rapport de 1 à 4 entre l’Europe et les États-Unis en proportion du PIB. En dépit d’une hausse de 23% de ses dépenses militaires en l’espace de 2 ans, l’UE est encore loin de la cible des 2% du PIB liée à ses engagements auprès de l’Otan, et au-delà, c’est son complexe militaro-industriel qui reste à bâtir.

Article paru sur Xerfi Canal, le 6 mars 2024.


(*) Olivier Passet, titulaire d’un D.E.A « Monnaie, Finance, Banques », est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (option Service Public). Chargé de mission puis chef du service économique et financier international du Commissariat général du Plan (2000-2006), il est ensuite chef du service Économie-Finances du Centre d’analyse stratégique auprès du Premier Ministre (2006-2011) et conseiller au Conseil d’analyse économique. En septembre 2012, il rejoint le Groupe Xerfi comme directeur des synthèses économiques

YEMEN : la revanche des va-nu-pieds

Screenshot

Billet du Lundi 15 avril 2024 rédigé par Patricia Lalonde Vice-Présidente de Geopragma

https://geopragma.fr/yemen-la-revanche-des-va-nu-pieds/


Après l’attaque sur le consulat d’Iran à Damas et la mort de plusieurs Gardiens de la révolution, la tension est montée au Moyen Orient et nous sommes sans doute à l’aube d’une grave escalade. En effet les Iraniens ont répliqué en envoyant une pluie de drones et de missiles sur Israël. Pratiquement tous ont été interceptés par le dôme de fer israélien…

Il est intéressant dans ce contexte de rappeler que le ministre des Affaires étrangères iranien, au cours d’une tournée diplomatique, est allé à Oman rencontrer Mohamed Abdel- Salam, le porte-parole du mouvement yéménite Ansarullah, afin de lui confirmer, lors d’une réunion sur la situation dans la zone, que c’était avec du matériel et des missiles américains que ces attaques menées à Damas avaient été perpétrées… Ce qui explique l’inquiétude de la Maison blanche quant à la riposte iranienne sur Israël.

C’est dans ces circonstances que les rebelles houthis du Yémen vont sans doute faire parler d’eux…

Leur grand retour sur la scène internationale fait penser à une histoire à la Walt Disney…
Ces « rebelles » Houthis, ces « va-nu-pieds », de religion zaïdiste, proche du chiisme iranien, se battent depuis 10 ans face à l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, les Etats-Unis et les européens pour conserver leur territoire, leur accès à la mer du Golfe d’Aden…

 Rappelons que dans la nuit du 25 mars 2015, Mohamed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie Saoudite, lance l’opération « tempête du désert », dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Il s’agit de remettre au pouvoir Abdrabbo Mansour Hadi, qui avait été renversé par ces mêmes « va-nu-pieds » et s’était réfugié à Ryad, ce qui lui avait valu le surnom de « cafetier de Ryad » par ses opposants.

Cette guerre fut une véritable catastrophe humanitaire, passée sous silence par la communauté internationale : plus de 377.000 morts, dont plus de 11 000 enfants mutilés selon l’UNICEF.

Mohamed ben Salmane avait promis que la guerre serait finie rapidement… C’était sans compter sur la résilience des rebelles Houthis…

Le total mépris de la communauté internationale a ainsi contribué à renforcer ces combattants des montagnes qui contrôlent 50% du pays et qui ont réussi à attaquer les sites pétroliers d’ARAMCO dans l’est de l’Arabie, rappelant ainsi leur endurance et contraignant Mohamed ben Salmane à la négociation…

Personne n’avait rien vu venir…

Et pourtant ces mêmes Houthis ont été invités au Parlement européen en 2019, malgré, il est vrai, la résistance de certains groupes parlementaires, qui se refusaient à inviter ces va- nu-pieds des montagnes…

Et quelle ne fut pas la surprise des quelques courageux parlementaires qui avaient accepté de participer à cette réunion de voir arriver une délégation d’élégants Yéménites conduite par le porte- parole d’Ansarullah, Mohamed Abdel Salam.

Tous ont pris la parole expliquant la situation militaire, économique, humanitaire de la région et leur volonté de voir la mise en place des accords de Stockholm qui avaient été signés en 2018 sous l’égide du représentant des Nations-Unies, Martin Griffith… Ils venaient demander de l’aide à l’Europe…

De plus Hisham Sharaf, le ministre des Affaires étrangères avait accepté de faire une conférence en visio avec les membres de Geopragma afin d’expliquer la situation et le rôle que l’Europe pouvait jouer… Occasion manquée !

Tout ceci est resté lettre morte, mais l’aventure de nos va-nu-pieds ne s’arrête pas là.En effet, reboostés par l’horreur de la destruction de Gaza, se sentant solidaires des palestiniens, les voilà qui, à la stupéfaction générale, narguent la communauté internationale en perturbant le trafic maritime en Mer Rouge.

Il s’agit d’empêcher les navires se dirigeant vers Israël de franchir le détroit de Bab-el-Mandeb et de continuer leur route en Mer Rouge… les forçant à contourner par le Cap de Bonne Espérance.

Les forces houthis testent ainsi les capacités de la marine américaine et changent les stratégies de sécurisation des routes maritimes commerciales… En effet l’utilisation de drones et de missiles pour attaquer les navires n’est pas habituelle…

Cette situation a de plus fait bénéficier les routes alternatives comme les voix ferrées russes entre la Chine et l’Europe.

Les Houthis avaient pris le soin de prévenir la Chine, la Russie et l’Iran que leurs bateaux ne seraient pas attaqués, et qu’il s’agissait d’une opération en solidarité avec le peuple de Gaza.

Depuis, une guerre navale sévit, les américains et plus récemment les européens se livrant au jeu de « touché, coulé » !

Le monde commence à être impressionné par ces Houthis et le commandant de « l’Alsace », fleuron de la marine française, le général Jérôme Henry qui a circulé pendant deux mois entre la Mer Rouge et le Golfe d’Aden parle de ces Houthis comme des combattants « désinhibés » , il explique que ces attaques sont en augmentation, que les Houthis utilisent des drones qu’ils fabriquent eux-mêmes, à raz de l’eau. Il assure qu’ils bouleversent le commerce international mondial et que ce n’est pas un feu de paille.

Et rappelons que récemment le « Ruby Mer » a coulé, cassant des câbles sous- marins ce qui a fortement perturbé 25% du trafic internet mondial en Asie et en Afrique.

C’est une société chinoise, basée à Singapour qui a réparé les câbles.

Une véritable guerre asymétrique.

Et ces Houthis viennent de participer à l’offensive contre Israël menée par l’Iran en envoyant une nuée de drones dans le sud du pays.

Ils n’ont sans doute pas dit leur dernier mot et il ne serait pas impossible qu’ils fassent encore parler d’eux.

A suivre…

La stratégie de dissuasion nucléaire (SDN). Un pense-bête

La stratégie de dissuasion nucléaire (SDN). Un pense-bête

Par François Gere  Diploweb – publié le 17 avril 2024    

https://www.diploweb.com/La-strategie-de-dissuasion-nucleaire-SDN-Un-pense-bete.html


Agrégé et docteur habilité en histoire (Paris 3 Sorbonne nouvelle). Président du Cercle des amis du général Lucien Poirier (2019 – ). F. Géré a présenté l’ouvrage posthume du Général Lucien Poirier, « Éléments de stratégique ». , éd. Economica, Ministère des Armées, 2023. François Géré a consigné avec Lars Wedin, L’Homme, la Politique et la Guerre, éd. Nuvis, 2018. François Géré a publié, “La pensée stratégique française contemporaine”, Paris, Economica, 2017.

La menace d’un recours à l’arme nucléaire est un discours récurrent de V. Poutine depuis sa relance de la guerre russe en Ukraine, le 24 février 2022. La France est un des pays dotés de l’arme nucléaire mais la stratégie de la dissuasion nucléaire (SDN) reste relativement peu expliquée sur la place publique. François Géré fait œuvre de pédagogue avec ce document qui en explique les cinq grands principes.

Antécédents

LA DISSUASION est un mode d’action à but négatif aussi ancien que la guerre. Visant à interdire les velléités d’action d’un adversaire, il a été pratiqué avec plus ou moins de succès en raison de son caractère aléatoire. Il repose sur le calcul des probabilités connu dès le XVIIème siècle. En 1800, le mathématicien Pierre-Simon Laplace remarquait : « dans la conduite de la vie…il convient d’égaler au moins le produit du bien que l’on espère par sa probabilité, au produit semblable de la perte. »

Auparavant si un agresseur prenait le risque de transgresser la dissuasion et que son entreprise tournait mal… il se prenait une raclée mais n’en mourait pas. Avec l’atome, la dissuasion revêt désormais une toute autre dimension car la probabilité d’occurrence de la riposte nucléaire comporte le risque d’une perte exorbitante, dite insupportable, dépassant la valeur de l’enjeu.

 

La stratégie de dissuasion nucléaire (SDN). Un pense-bête
François Géré
Professeur agrégé, docteur habilité en Histoire des relations internationales et stratégiques contemporaine, président de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS). Crédit photo : Diploweb.com
Herbert/Diploweb.com

Domaine de validité

La stratégie de dissuasion nucléaire (SDN) n’apporte pas la paix absolue.

Elle ne peut en effet s’exercer que dans le cas d’une attaque massive, quelle qu’en soit la nature, contre les intérêts vitaux du pays agressé.

Le périmètre du « vital » ne doit pas être défini restant à l’appréciation du chef de l’État de manière à placer le candidat agresseur dans l’incertitude.

Ainsi la stratégie de dissuasion nucléaire repose-t-elle sur cinq principes.

. Principe de crédibilité

La dissuasion nucléaire exige la création et la démonstration de capacités techniques. C’était le rôle des essais qui ne sont plus nucléaires depuis leur suspension pour une durée indéterminée en 1994 ou leur interdiction par un traité (TICE).

. Principe de permanence : la SDN est assurée par le chef de l’État, seul décideur, disposant 24h/24 des codes électroniques et des moyens de transmission aux forces stratégiques aériennes en veille et aux sous-marins en patrouille. La robustesse des communications est vitale.

. Principe d’incertitude

« l’effet dissuasif résulte de la combinaison d’une certitude et d’incertitudes dans le champ mental d’un candidat agresseur : certitude quant à l’existence d’un risque inacceptable… incertitudes sur les conditions exactes d’application du modèle en cas d’ouverture des hostilités. »

. Principe de suffisance pour une puissance moyenne comme la France en quantité et en qualité ni trop, ni trop sophistiqué.

C’est ce que l’on nomme parfois « dissuasion du faible au fort » (c’était l’Union Soviétique). Il est inutile et ruineux de se lancer dans une course aux armements, il faut et il suffit :

a) de disposer d’une force nucléaire invulnérable capable de riposter en cas d’agression (les SNLE sous-marin nucléaires lanceurs d’engins sont durablement indétectables). Il est indispensable de prévoir une redondance en cas de défaillance humaine ou technique. En janvier 2024, la Royal Navy a enregistré deux tirs ratés du Trident, missile de conception américaine pourtant éprouvé de longue date.

b) de passer les défenses adverses.

L’interception à 100% n’existe pas. Le dommage reste tolérable si les charges explosives sont classiques mais si elles sont nucléaires le problème change complètement. Une salve de SNLE envoie 96 charges pouvant « vitrifier » potentiellement autant de cibles. Aucune défense ne parviendrait à les intercepter quels que soient les progrès réalisés. D’autant plus que ces têtes sont environnées de leurres, manoeuvrantes (changement de trajectoire) et furtives (faible signature radar). Cette supériorité durable de l’agression sur la protection fait donc de la SDN l’unique parade.

. Principe de proportionnalité

Le volume des destructions dites « insupportables » est rapporté à la valeur de l’enjeu ; en l’occurrence l’invasion et la conquête de la France valent-elles l’anéantissement d’un ou deux ou trois centres vitaux de l’agresseur ?

Dès lors que cibler ? Anticités ou antiforces ? Les progrès de la précision permettent un ciblage plus fin sur des surfaces réduites. Le discours officiel quelque peu jésuitique affiche que la France ne vise plus les villes mais les centres de commandement des forces nucléaires et les centres décisionnels, en l’occurrence les dirigeants politiques. Toutefois, on relèvera que de telles cibles se situent rarement au cœur des déserts mais ont le mauvais goût de se trouver au beau milieu de zones densément peuplées.*

In Cauda

La création d’une dissuasion stratégique nucléaire européenne (UE) devra souscrire à l’ensemble de ces principes. Toutefois, la valeur de l’enjeu pour l’agresseur changerait de dimension. Des intérêts vitaux de la France seule, on passerait à ceux de l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Le calcul de la proportionnalité s’en trouverait affecté.

Copyright Avril 2024-Géré/Diploweb.com


Plus

Vidéo et résumé de la conférence Eric Danon : La dissuasion nucléaire a-t-elle un avenir ?

Éric Danon, diplomate, spécialiste des questions de sécurité internationale et de prospective stratégique s’interroge dans cette passionnante conférence (2018) : La dissuasion nucléaire a-t-elle un avenir ? Une heure de réflexion partagée pour nourrir le débat citoyen.

Bonus : le résumé par Estelle Ménard pour Diploweb.com

Après l’Ukraine, la Russie peut-elle vraiment envahir la Moldavie?

Après l’Ukraine, la Russie peut-elle vraiment envahir la Moldavie?


Ce petit État d’Europe orientale est en première ligne face aux jeux d’influence de Moscou et au risque d’élargissement de la guerre dans la région.

La présidente moldave Maia Sandu, lors d'une conférence de presse conjointe avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président du Conseil européen Charles Michel, à Kiev (Ukraine), le 21 novembre 2023. | Maxym Marusenko / NurPhoto via AFP
La présidente moldave Maia Sandu, lors d’une conférence de presse conjointe avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président du Conseil européen Charles Michel, à Kiev (Ukraine), le 21 novembre 2023. | Maxym Marusenko / NurPhoto via AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Voilà plus de deux ans que la guerre en Ukraine s’est généralisée à l’ensemble du territoire ukrainien. En Europe, l’action militaire de la Russie a fait l’effet d’une onde de choc. À Kiev, la sidération était totale. En Pologne, dans les États baltes et ailleurs en Europe orientale, le choc de voir le Kremlin mettre en œuvre ce qu’il annonçait depuis plus de quinze ans fut immense. Mais un pays a dû connaître l’éveil de ces sentiments avec encore davantage d’intensité: la Moldavie.

À l’inverse de quelques-uns de ses voisins en Europe de l’Est (comme le plus proche, la Roumanie), la Moldavie n’est pas membre de l’Union européenne (UE). L’existence d’une région prorusse et sécessionniste de la Moldavie sur son flanc est, la Transnistrie, a rendu les négociations difficiles pendant près de quarante ans, alors que la République moldave s’engage à respecter une certaine neutralité entre l’Occident et la Russie.

Avec une présence militaire russe depuis 1992 en Transnistrie –État autoproclamé, mais pas reconnu par une large majorité des pays de l’ONU, dont la Russie–, la guerre en Ukraine a agité l’idée d’un envahissement du territoire moldave. À Chișinău, la capitale, la peur est bien là. Mais qu’en est-il vraiment?

Depuis février 2022, une question revient régulièrement: après l’Ukraine, la Russie peut-elle vraiment envahir la Moldavie? En a-t-elle les moyens? Moscou a-t-il un intérêt réel à ouvrir un nouveau front, alors que la situation en Ukraine est déjà largement endiguée? Il est difficile de le prédire. Mais des éléments de réponse existent. Alors, l’Ukraine aujourd’hui, la Moldavie demain?

Carte de la Moldavie et de la Transnistrie (en rouge). | Celeron via Wikimedia Commons

Entre la Russie et la Moldavie, des relations tumultueuses

Entre 1940 et 1991, la Moldavie, connue sous le nom de République socialiste soviétique moldave, a été placée sous le giron de Moscou et de l’URSS. Lorsque les pays d’Europe de l’Est concernés déclarent leur indépendance vis-à-vis de l’Union soviétique, certaines régions autonomes de ces États ne souhaitent pas voir leurs relations avec la Russie détériorées. En ce sens, une partie des populations russophones refuse l’indépendance de la nouvelle République moldave.

Ainsi, la République moldave du Dniestr (RMD), communément appelée Transnistrie (ou Transdniestrie), déclare unilatéralement son indépendance. Avec pour capitale Tiraspol (est de la Moldavie, près de la frontière avec l’Ukraine), la RMD demande son rattachement à la Russie. Ce que refusent l’administration de Chișinău et son président de l’époque, Mircea Snegur, déjà à la tête de la République socialiste soviétique moldave avant l’éclatement de l’URSS.

Pour Mircea Snegur, il était difficilement concevable de voir la Transnistrie devenir indépendante. Moteur économique de la Moldavie, avec des ressources industrielles fortes, cette région a été la cible des principaux investissements de la RSS moldave au cours de la période soviétique.

Les populations slavophones et russophones, quant à elles, ont eu peur que soient supprimés leurs avantages hérités de l’URSS et de sa politique à l’égard des minorités. Une guerre éclate entre Chișinău et Tiraspol. Boris Eltsine, président russe (1991-1999), intervient en tant qu’arbitre dans ce conflit armé, appelé «guerre du Dniestr» (mars à juillet 1992). Il fait suspendre les combats par un cessez-le-feu signé le 21 juillet 1992, sans qu’une solution durable ne soit trouvée.

La Transnistrie continue d’exister et présente ses propres institutions, sa propre monnaie et une constitution. La Transnistrie reste toutefois, de facto, une région autonome de Moldavie, alors que seuls l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et le Haut-Karabakh reconnaissent son existence (elles-mêmes n’étant pas reconnues par la communauté internationale). Cette région séparatiste prorusse reste aujourd’hui une source de tension entre Moscou et Chișinău. La Russie y stationne encore 1.500 militaires, ce que la Moldavie déplore et perçoit comme un moyen pour Moscou d’exercer une pression sur l’ensemble du pays.

Après son arrivée au pouvoir en Russie en 2000, Vladimir Poutine a donc hérité de cette situation en Transnistrie, dans ce que l’on peut qualifier de conflit gelé. La Russie continue de soutenir cette région par des investissements importants, aussi bien dans l’industrie que dans le secteur de la défense.

Pourtant, la région est encore dépendante de la Moldavie dans l’exportation d’une partie de ses marchandises. Tout comme avec l’UE, qui est l’un de ses principaux partenaires commerciaux. Seulement, les produits manufacturés comportent la mention «Made in Moldova» ce qui a pour conséquence d’invisibiliser cette réalité. Outre une présence militaire russe sur le sol de Transnistrie, la Russie est donc un acteur incontournable de cette région, bien que ce ne soit pas le seul, on l’aura compris.

De la difficulté sur le front ukrainien

Pour sa part, le pouvoir central de Chișinău a amorcé, au fil des années, un rapprochement avec les institutions européennes. Maia Sandu, présidente de la République moldave depuis décembre 2020, illustre cette tendance. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a eu pour effet de mettre en place une demande d’adhésion à l’UE. La Moldavie a déposé cette requête pour la rejoindre dès le 3 mars 2022, avant d’avoir droit au statut de pays candidat à l’Union européenne le 23 juin 2022 (en même temps que l’Ukraine).

En décembre 2023, après une précédente recommandation de la Commission européenne allant dans ce sens, une négociation officielle d’adhésion a été ouverte par le Conseil européen. Mais la Moldavie doit encore se plier à certains devoirs, notamment en matière de droit et de transparence dans la vie politique. Manifestant un soutien diplomatique indéfectible à l’Ukraine face à la Russie, les deux pays affichent leur proximité, y compris face à ce long processus d’adhésion à l’UE.

Le 28 février 2024, un événement est venu rappeler le degré de tension dans cette région. Les dirigeants de la Transnistrie ont appelé la Russie à les «protéger» d’un possible massacre, perpétré par la Moldavie. De son côté, Moscou a répondu que protéger les intérêts des habitants de la région était «une priorité».

Face à ces déclarations, la crainte d’une invasion russe a refait surface, alors que ces propos rappellent ceux tenus par Vladimir Poutine sur les populations russophones dans le Donbass, quelques jours avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. De plus, la Transnistrie, qui abrite des soldats russes, ne se trouve qu’à quelques centaines de kilomètres du port d’Odessa en Ukraine, l’un des principaux objectifs militaires de l’armée russe. Un mois plus tard, l’armée russe n’a pas bougé en Transnistrie.

La situation en Ukraine, avec les zones contrôlées par les forces ukrainiennes et russes au 9 avril 2024. | Infographie AFP / Valentin Rakovsky, Sophie Ramis et Cléa Péculier

Si la crainte d’une escalade est réelle, il est néanmoins difficile d’imaginer la Russie ouvrir un nouveau front en Moldavie. Sa présence en Transnistrie lui apporte déjà un avantage stratégique important. Et la Moldavie ne présente pas de caractéristiques économiques intéressantes pour la Russie, à l’inverse de l’Ukraine et ses ressources en blé absolument inestimables.

Les dirigeants moldaves, qui accusent Moscou de mener une guerre hybride contre Chișinău, comme le rappelait Maia Sandu dans les colonnes du Monde le 7 mars, se sont toutefois bien gardés de porter une candidature à l’OTAN, comme conscients des limites à ne pas franchir. La Moldavie s’est aussi historiquement engagée à rester neutre, cette neutralité étant directement mentionnée dans sa Constitution.

Une invasion de la Moldavie reste aujourd’hui difficilement imaginable. La Russie n’a pas atteint ses objectifs militaires en Ukraine et la guerre continue de s’enliser, avec un blocage tactique observé ces derniers mois. Mais Moscou pourrait être tenté de favoriser l’émergence d’une figure prorusse. Selon plusieurs sources citées par le New York Times, la Russie s’efforcerait depuis plusieurs années de déstabiliser le gouvernement pro-occidental en faisant la promotion d’Ilan Shor, oligarque moldave connu pour être favorable aux intérêts du Kremlin en Moldavie.

Il serait actuellement en Israël afin d’éviter une peine de prison pour fraude et blanchiment d’argent. Sur les réseaux sociaux ou dans la rue, la présence prorusse en Moldavie se fait entendre. Ilan Shor serait l’homme derrière ces manigances, avec l’appui de Moscou. C’est probablement davantage par ce biais, plutôt que par une intervention militaire, que la Russie souhaite influer sur les orientations politiques moldaves.

Où en est la souveraineté européenne ? par Y. Doutriaux, M. Lefebvre, J-L Bourlanges

Où en est la souveraineté européenne ? Y. Doutriaux, M. Lefebvre, J-L Bourlanges

 

Par Arthur DESCAZAUD , Jean-Louis BOURLANGES, Justine PERIES , Mario MARONATI, Maxime LEFEBVRE, Yves DOUTRIAUX  – Diploweb – publié le 10 avril 2024 

https://www.diploweb.com/Video-Ou-en-est-la-souverainete-europeenne-Y-Doutriaux-M-Lefebvre-J-L-Bourlanges.html


Avec Yves Doutriaux, Conseiller d’État honoraire ; Maxime Lefebvre, professeur à l’ESCP Business School ; et Jean-Louis Bourlanges, Président de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale.
Yves Doutriaux et Maxime Lefebvre sont co-auteurs avec Florence Chaltiel de « Propos sur la souveraineté européenne. Défis sanitaires, sécuritaires, démocratiques », éd. Dalloz, 2024. Jean-Louis Bourlanges en a rédigé la préface.
Présentation de la conférence par l’étudiant et directeur des partenariats de l’ESCP International Politics Society, Mario Maronati. Synthèse rédigée par Mario Maronati, Justine Peries et Arthur Descazeaud, étudiants à l’ESCP Business School, membres de l’ESCP International Politics Society.

D’où provient le terme de souveraineté européenne ? Quelle impulsion a-t-il connu à partir de 2017, sous la première présidence d’Emmanuel Macron en France ? Comment les multiples crises que l’Union européenne a traversées ont progressivement donné vie à ce concept initialement peu accepté parmi les États membres ? En quoi s’agit-il d’un enjeu majeur des élections européennes de juin 2024 ? Yves Doutriaux, Maxime Lefebvre et Jean-Louis Bourlanges en débattent. Avec une synthèse rédigée, validée par M. Lefebvre.

Voir la vidéo sur youtube

Synthèse rédigée par Mario Maronati, Justine Peries et Arthur Descazeaud, étudiants à l’ESCP Business School, membres de l’ESCP International Politics Society

ALORS QUE que les élections européennes approchent, la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont relancé les débats autour de la souveraineté européenne. C’est dans ce contexte que l’ESCP Business School a accueilli le 29 février 2024 une conférence pour faire le point sur ce concept encore peu clair et objet de nombreuses controverses : la souveraineté européenne. À l’occasion de la parution du livre « Propos sur la souveraineté européenne » (Dalloz, 2024), deux des trois auteurs ainsi que le préfacier sont venus apporter leur point de vue sur la situation dans cet événement co-organisé par l’ESCP International Politics Society, association étudiante visant à promouvoir les enjeux de politique internationale au sein de cette institution.

D’où provient ce terme de souveraineté européenne ? Quelle impulsion a-t-il connu à partir de 2017, sous la première présidence d’Emmanuel Macron en France ? Comment les multiples crises que l’Union européenne a traversées ont progressivement donné vie à ce concept initialement peu accepté parmi les États membres ? En quoi s’agit-il d’un enjeu majeur des élections européennes prochaines, en juin 2024 ? Ce sont ces questions qui ont rythmé les quelque deux heures et demie d’échanges menés par Yves Doutriaux, Maxime Lefebvre et Jean-Louis Bourlanges, respectivement conseiller d’État honoraire, professeur à l’ESCP Business School et Président de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale.

Le ton fut rapidement donné au terme d’une introduction effectuée par l’étudiant et directeur des partenariats de l’ESCP International Politics Society, Mario Maronati. Les États membres sont peut-être traversés par des sentiments contraires quant à leur conception de l’Union européenne, mais un impératif subsiste en ce moment si particulier de crise militaire à nos frontières : il ne faut pas s’abandonner à l’immobilisme.

Là réside la marque de fabrique de l’Union. Maxime Lefebvre nous le rappelle en s’intéressant à l’origine et au développement du concept de souveraineté européenne au fil des années. Il revient sur ce terme qui fait directement écho à celui d’autonomie stratégique, lui-même issu de la politique de défense française et qui a trouvé une déclinaison économique dans l’UE depuis 2020 (énergie, santé, électronique, matières premières, etc.). Ainsi, lorsque le président Emmanuel Macron lance le slogan de la souveraineté européenne au cours de son discours de la Sorbonne en 2017, l’ambition est tout sauf neutre. C’est bien de quelque chose de plus important que les domaines aujourd’hui de compétence exclusive de l’union (commerce, concurrence, monnaie, pêche), qu’il s’agit.

Vidéo – Yves Doutriaux, Mario Maronati, Maxime Lefebvre
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Si le contenu de ce discours fut loin de faire l’unanimité au sein des pays membres à l’époque, Yves Doutriaux souligne l’importance de l’agression de l’Ukraine par la Russie en février 2022 dans le processus de prise de conscience d’une souveraineté européenne. En effet, si les crises précédentes telles que la guerre en Géorgie en 2008 ou l’annexion de la Crimée et la sécession d’une partie du Donbass en 2014, n’avaient pas toujours engendré des prises de position unanimes de la part des membres de l’Union européenne, la guerre en Ukraine marque un tournant majeur. C’est la première fois que les 27 membres vont mettre à profit tous leurs instruments disponibles, de concert. Sanctions, politique d’accueil massive de réfugiés ukrainiens, soutien humanitaire et macroéconomique, et mobilisation d’un budget pour financer l’envoi d’armes et former les soldats ukrainiens : jamais l’Union européenne n’avait réagi aussi fermement et avec un éventail aussi vaste de mesures face à un conflit international.

Yves Doutriaux rappelle aussi que tout ceci doit être remis dans le contexte de membres de l’Union réticents à l’idée de mettre en avant une Défense européenne différente du bouclier apporté par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). En effet, s’il existe bien quelques opérations menées par des troupes européennes dans le monde, la défense des pays membres repose essentiellement sur cette organisation de 32 Etats. Cependant, le blocage aux États-Unis par les républicains d’une aide supplémentaire de 60 milliards de dollars à l’Ukraine ainsi que les multiples déclarations de l’ancien président et désormais candidat Donald Trump, ne permettent guère de rassurer les Européens. Dans ce cadre, il est évident que le concept de souveraineté européenne a pris une nouvelle dimension. D’ailleurs, Maxime Lefebvre liste une potentielle nouvelle élection de Donald Trump parmi les grands défis auxquels risque de faire face l’Union européenne pendant la période législative 2024-2029. Selon lui, cette éventualité conjuguée à d’autres enjeux tels qu’une relation complexe entre l’Union et ce que l’on appelle le “Sud Global”, ou la question d’un élargissement de l’UE à 36 membres, invitent les pays membres à mieux réfléchir à ce qu’ils entendent par souveraineté et à aller au-delà de la forme, en avançant sur le fond.

Sur cette problématique de définition, Jean-Louis Bourlanges ne peut qu’être d’accord. De fait, il considère qu’il y a une contradiction originelle à parler de “souveraineté” dans un cadre européen. Comment cela pourrait-il être alors que Jean Bodin définit classiquement ce terme comme caractérisant un pouvoir qui n’est lié que par lui-même ? Cela est impossible dans la mesure où l’intégralité de la construction européenne repose sur la délégation de pouvoirs de la part d’États souverains à une autorité commune. Cependant, Jean-Louis Bourlanges explicite une condition à laquelle les mots prononcés par le président Emmanuel Macron en 2017 peuvent être acceptables : s’il ne se réfère pas à un concept juridique, mais plutôt à une notion proche de l’indépendance européenne prônée par le Général de Gaulle en son temps. Si l’idée n’est pas forcément de promouvoir un projet fédéral, mais davantage d’appeler l’Union à organiser son indépendance sur tous les plans afin de constituer une entité politique capable de ne pas subir la loi d’autrui, alors le terme de “souveraineté” est justifié.

La souveraineté européenne doit être au cœur des débats compte tenu de la situation géopolitique mondiale, et tout candidat devrait d’abord commencer par expliciter son positionnement sur ce sujet.

Pourtant, Maxime Lefebvre comme Jean-Louis Bourlanges déplorent le manque de clarté des décideurs politiques et l’absence de réflexion profonde sur la réalité que nous souhaitons attacher au terme de souveraineté européenne. D’abord parce que sans cela, l’Union européenne ne pourra répondre efficacement aux défis géopolitiques prochains, mais aussi parce qu’il s’agit d’un des enjeux les plus importants des élections européennes de juin 2024. En effet, Jean-Louis Bourlanges estime qu’il est impératif de consacrer une partie prépondérante des débats à cette notion, et qu’il est urgent que les différents pays membres répondent à trois questions au sujet de l’union : qui, quoi et comment ? Qu’est-ce qui fait que l’on peut devenir membre de l’Union européenne et qu’est-ce qui ne fait que cela peut nous être refusé ? Qu’est-ce que les pays veulent mettre en commun et qu’est-ce qu’ils souhaitent réaliser individuellement ? Et enfin, comment organiser une vie démocratique entre plusieurs États souverains ?

En fin de compte, toute l’Union européenne découle des réponses à ces trois questions. Il faut arrêter de se dissimuler derrière des idées floues et clarifier le propos. Sans quoi, il est impossible de prétendre vouloir mobiliser plus de 400 millions d’électeurs en juin 2024. La souveraineté européenne doit être au cœur des débats compte tenu de la situation géopolitique mondiale, et tout candidat devrait d’abord commencer par expliciter son positionnement sur ce sujet. Il en va du succès de ces élections et de la légitimité des futurs élus.

Copyright pour la synthèse Avril 2024-Descazeaud-Maronati-Périès/Diploweb.com


Plus

. Florence Chaltiel, Yves Doutriaux et Maxime Lefebvre, « Propos sur la souveraineté européenne. Défis sanitaires, sécuritaires, démocratiques », préface de Jean-Louis Bourlanges, éd. Dalloz, 2024.

4e de couverture

À la veille d’élections décisives, l’Union européenne apparaît comme une puissance en devenir. L’affirmation progressive de sa souveraineté ne saurait faire abstraction ni des souverainetés nationales ni des défis qu’elle doit encore relever. Face aux crises nombreuses de ces dix dernières années, sanitaire, géopolitique, financière, les États-membres et les institutions européennes ont chaque fois tenté de réagir avec unité et fermeté. Cependant les divergences d’intérêts et de vue sont autant d’obstacles sur le chemin de l’Union politique européenne. Cet essai propose une réflexion sur le chemin parcouru et dessine des perspectives pour l’Europe du XXIe siècle.

L’Union européenne et Poutine : 24 ans de montagnes russes

L’Union européenne et Poutine : 24 ans de montagnes russes

Screenshot

par Maxime Lefebvre, ESCP Business School – Revue Conflits – publié le 8 avril 2024

https://www.revueconflits.com/lunion-europeenne-et-poutine-24-ans-de-montagnes-russes/


Qui aurait pu imaginer, au début des années 2000, que l’Union européenne et la Russie de Vladimir Poutine se retrouveraient un jour au bord de la guerre à propos de l’Ukraine ? À l’époque, la Russie était un partenaire de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme. Elle avait accepté l’installation par les États-Unis de bases militaires en Asie centrale pour soutenir leurs opérations en Afghanistan. Des sommets se tenaient régulièrement (deux fois par an) entre l’UE et la Russie – plus souvent qu’avec les États-Unis – et l’Union envisageait de conclure un « partenariat stratégique » avec ce pays…

 

Au moment où Vladimir Poutine s’apprête à remporter un nouveau scrutin totalement contrôlé, retour sur ce presque quart de siècle d’une relation qui a connu quelques hauts et, surtout, beaucoup de bas.

Dans les années 2000, à la recherche de partenariats…

Malgré l’élargissement de l’UE et de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale, Moscou acceptait en 2002 la mise en place d’un Conseil OTAN-Russie et bouclait entre 2003 et 2005 les négociations de « quatre espaces » de coopération UE-Russie, sur proposition de la France et de l’Allemagne : un espace économique ; un espace de liberté, de sécurité et de justice ; un espace de recherche, d’éducation et de culture ; un espace de sécurité extérieure.

Alors que la Russie avait refusé d’être englobée dans la « politique de voisinage » de l’UE, la feuille de route sur la sécurité extérieure, la plus difficile à conclure, envisageait une entente sur la gestion de l’espace postsoviétique, évoquant une coopération pour la stabilité des territoires adjacents aux deux ensembles.

L’UE se lançait en 2006 dans la négociation de deux nouveaux accords en parallèle avec l’Ukraine comme avec la Russie. Le démarrage de la négociation avec la Russie fut retardé par la Pologne et la Lituanie, mais il eut lieu en 2008. Malgré la guerre en Géorgie à l’été 2008, les discussions sur ce nouvel accord redémarraient dès le sommet de Nice en novembre, comme le souhaitait le président français Nicolas Sarkozy, qui exerçait alors la présidence tournante de l’Union.

Nicolas Sarkozy et Dmitri Medvedev, alors président de la Fédération de Russie, se saluent au sommet de Nice, le 14 novembre 2008, devant le maire de Nice Christian Estrosi et le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana.
Sergey Guneyev/Kremlin.ru

En dépit du faux retrait de Vladimir Poutine, permutant avec Dimitri Medvedev les fonctions de président et de premier ministre en mai 2008, un partenariat de modernisation UE-Russie était même conclu en 2010 au sommet de Rostov, et la Russie faisait son entrée dans l’OMC en 2011.

… mais déjà des frictions de plus en plus sensibles

Ce n’est pas que les problèmes n’apparaissaient pas déjà. Le dialogue sur les droits de l’homme, initié en 2005, tournait régulièrement au dialogue de sourds. Les Occidentaux, qui avaient obtenu de la Russie (sommet d’Istanbul de l’OSCE, 1999) l’engagement de retirer ses troupes des « conflits gelés » de l’ex-Union soviétique (Géorgie, Moldavie), considéraient que la Russie était en violation de ses engagements et refusaient systématiquement, à partir de 2002, d’agréer une déclaration politique aux rencontres annuelles de l’OSCE.

De son côté, Poutine durcissait ses positions. En 2005, il qualifiait la disparition de l’Union soviétique de « plus grande catastrophe géopolitique du XXᵉ siècle ». En 2006, il menaçait les Occidentaux, tentés de reconnaître l’indépendance du Kosovo de la Serbie, d’appliquer la même solution aux conflits gelés de l’ex-URSS. En 2007, il prononçait un discours menaçant contre les Occidentaux et l’unilatéralisme américain à la Conférence de sécurité de Munich. Parallèlement, la répression impitoyable visant les détracteurs russes du régime s’intensifiait comme le montraient, entre autres, les assassinats spectaculaires d’Anna Politkovskaïa et d’Alexandre Litvinenko en 2006.

Début des années 2010, la montée des tensions

Si Vladimir Poutine s’est plié en 2008 aux demandes occidentales, surtout américaines, de ne pas effectuer plus de deux mandats à la présidence de la Russie, comme le stipulait la Constitution russe, c’était en réalité pour mieux conserver la réalité du pouvoir à travers le contrôle des « structures de force », notamment les services de renseignement et de sécurité (Poutine avait été officier du KGB avant de devenir directeur de la structure qui en avait pris la suite après la fin de l’URSS, le FSB). S’est dès lors nouée une évolution fatale, le leader russe légitimant son pouvoir par le durcissement face aux Occidentaux.

On l’a vu au moment de la guerre en Géorgie, lorsque le premier ministre Poutine tirait vers des positions dures pendant que le président Medvedev négociait une solution avec Sarkozy. Et à nouveau au moment de la crise libyenne en 2011, quand Poutine reprocha à Medvedev d’avoir laissé passer la résolution 1973 du Conseil de sécurité autorisant l’intervention de l’OTAN, cette dernière outrepassant le mandat qui lui était donné (la protection des civils à Benghazi) en poursuivant les opérations jusqu’à la chute de Kadhafi.

L’Ukraine au cœur des contentieux

Le retour à la présidence de Poutine en 2012, à la suite d’un changement constitutionnel (permettant désormais deux mandats présidentiels consécutifs de six ans chacun), ouvrait dès lors la voie à la confrontation. Elle se noua sur l’Ukraine. En 2004, déjà, la « Révolution orange » à Kiev avait causé une première crise. Mais l’action combinée de Jacques Chirac et Gerhard Schroeder, usant de leur influence pour apaiser le président russe, et de l’Union européenne, poussant à de nouvelles élections qui portèrent au pouvoir un président « pro-occidental », Viktor Iouchtchenko, permit de l’éviter. Et en 2010, l’Ukraine élut même un président « pro-russe », Viktor Ianoukovitch.

À l’époque, les États-Unis, dirigés depuis 2008 par Barack Obama, n’étaient plus sur une ligne aussi hostile à Moscou que l’Administration Bush, qui avait largement encouragé les « révolutions de couleur » en Géorgie et en Ukraine et avait ouvert à ces pays une perspective d’adhésion à l’OTAN au sommet de Bucarest (2008). Barack Obama, lui, proposa un « reset » à la Russie en 2009. Mais l’UE, tout en poursuivant la négociation d’un nouvel accord avec la Russie, visait un accord d’association ambitieux avec l’Ukraine, incluant une zone de libre-échange très poussée, et c’est le refus de cet accord par Ianoukovitch, poussé par Poutine, qui déclencha la révolution de Maïdan à la fin 2013, précipitant la chute du président ukrainien.

La Russie réagit brutalement en annexant la Crimée et en soutenant à bout de bras une insurrection dans le Donbass. Résultat : une vraie rupture entre l’UE et la Russie, la fin des sommets et des négociations de partenariat, et les premières sanctions incluant un embargo sur les armes, des sanctions financières et la restriction des investissements dans l’énergie. La France et l’Allemagne (Hollande et Merkel) jouèrent à nouveau un rôle médiateur en facilitant les accords de Minsk (2014-2015), qui gelèrent le conflit du Donbass sans parvenir à le résoudre.

L’Allemagne, à travers sa présidence de l’OSCE (2016), puis la France, avec les tentatives du président Emmanuel Macron de renouer avec la Russie, ont essayé, sans succès, de débloquer la situation, bloquée par la non-mise en œuvre des accords de Minsk, lesquels prévoyaient la réintégration du Donbass dans l’Ukraine.

La fracture du 24 février 2022

Il demeure une part d’énigme quant à la motivation exacte qui a poussé Vladimir Poutine à attaquer l’Ukraine le 24 février 2022. Voyait-il le pays basculer de plus en plus dans le camp occidental ? Redoutait-il une attaque ukrainienne sur la Crimée et sur les pseudo-républiques de Donetsk et de Lougansk, contrôlées par Moscou ? Ou pensait-il qu’il avait un coup à jouer en surinterprétant l’affaiblissement des États-Unis après leur retrait d’Afghanistan ? Isolé par la pandémie de Covid, s’était-il laissé intoxiquer par ses services sur la facilité à remplacer le pouvoir à Kiev par un pouvoir prorusse ?

Toujours est-il qu’il a commis l’irréparable en endossant le rôle de l’agresseur (beaucoup plus clairement que dans la guerre en Géorgie, où c’est le président géorgien qui avait pris l’initiative des hostilités) et qu’il a échoué à prendre le contrôle de l’Ukraine. Les Occidentaux ont rapidement adopté des sanctions économiques très lourdes contre la Russie et fourni une assistance massive à l’Ukraine, sans que cela ait permis jusqu’à présent à celle-ci de reconquérir les territoires perdus.

Cet aboutissement tragique était-il inévitable ? Est-il attribuable à la seule personne de Poutine, despote assoiffé de pouvoir et de puissance, aux ambitions illimitées ? Est-il la conséquence du système russe, incapable de prendre le tournant de la modernité démocratique et faisant renaître de ses entrailles un impérialisme atavique ?

Une autre trajectoire aurait-elle été possible ? Elle aurait supposé que les Européens et les États-Unis s’accommodent de la dictature russe et traitent la Russie en grande puissance, en lui reconnaissant des intérêts privilégiés dans l’espace postsoviétique. Sur le premier point, malgré les critiques sur le renforcement de la répression interne, les Occidentaux ont accepté de traiter avec le maître du Kremlin jusqu’à la guerre en Ukraine. Sur le second en revanche, ils n’ont pas démordu du droit de l’Ukraine à sa liberté et à sa souveraineté.

Aujourd’hui, il est difficile d’envisager un arrêt de la guerre en Ukraine tant que Poutine sera au pouvoir ; or il sera sans l’ombre d’un doute réélu avec un score écrasant ce 17 mars pour six ans et pourra, s’il le souhaite, se présenter de nouveau pour six années supplémentaires en 2030 (cette année-là, il aura 78 ans). Pour les Européens, une épreuve redoutable s’annonce à l’heure où les États-Unis envisagent de réduire voire cesser leur soutien à l’Ukraine, surtout dans l’hypothèse d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Slobodan Milosevic, le leader nationaliste serbe des années 1990, avait été arrêté par la force dans sa politique de répression ethnique, et avait fini par perdre le pouvoir. Un tel scénario n’apparaît pas en vue aujourd’hui face à la Russie de Poutine.

Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

L’armée de Terre se déploie de nouveau en Bosnie-Herzégovine

L’armée de Terre se déploie de nouveau en Bosnie-Herzégovine

https://www.opex360.com/2024/04/08/larmee-de-terre-se-deploie-a-nouveau-en-bosnie-herzegovine/


Nommé par le Conseil de mise en œuvre des accords de paix et devant rendre compte de la situation devant le Conseil de sécurité des Nations unies, un haut représentant international est chargé de s’assurer du bon fonctionnement des institutions bosniennes.

Enfin, le volet militaire relève de la force de l’Union européenne [EUFOR] Althea, laquelle a pris la suite de la SFOR, la force de stabilisation de l’Otan, en 2004. Son mandat autorisant sa présence en Bosnie-Herzégovine a été renouvelé par le Conseil de sécurité en novembre dernier.

Cependant, ce dispositif n’a pas mis un terme aux tensions entre les trois communautés. Tensions pouvant par ailleurs être attisées par des ingérences extérieures. Ces dernières années, dirigée par Milorad Dodik, dont les sentiments pro-russes ne sont pas un mystère, la Republika Srpska tend à prendre de plus en plus de distance à l’égard de Sarajevo. Ira-t-elle jusqu’à proclamer son indépendance et à souffler sur les braises d’un conflit mal éteint ?

Un tel scénario ne pourrait que déstabiliser les Balkans occidentaux, qui, selon la Revue stratégique française, représente un « enjeu majeur pour l’Europe et pour la sécurité de l’ensemble du continent », notamment à cause de leurs faiblesses, susceptibles d’être exploitées par des « État tiers » ainsi que par les groupes criminels et terroristes.

Aussi, peu après le début de la guerre en Ukraine, l’effectif d’EUFOR Althea fut significativement renforcé, passant de 600 à 1100 militaires. Et le groupe aérien [Gaé] du porte-avions Charles de Gaulle effectua plusieurs patrouilles dans l’espace aérien bosnien.

Actuellement, la situation en Bosnie-Herzégovine est toujours tendue. Fin mars, le chef des Serbes de Bosnie a menacé de bloquer les institutions centrales du pays si le haut représentant international – l’allemand Christian Schmidt – ne retirait pas sa réforme de la loi électorale, censée empêcher les irrégularités.

Quoi qu’il en soit, les forces françaises n’ont que très peu été présentes dans les Balkans, notamment depuis la fin de leur mission au Kosovo, en 2014. Mais cette année, l’armée de Terre arme une « force de réserve stratégique » européenne, susceptible de renforcer à tout moment le Bataillon multinational sur lequel repose EUFOR Althea. Or, celle-ci vient d’être déployée en Bosnie-Herzégovine pour une période d’un mois, dans le cadre de l’exercice « Méléagre » [le fils d’Althée, selon la mythologie].

Cette « force de réserve stratégique » se compose d’un état-major tactique, d’un escadron de reconnaissance et d’intervention, d’un groupe d’infanterie et d’un groupe du génie fournis par le 5e Régiment de Dragons, implanté à Mailly le Camp. Elle est complétée par des pelotons roumains et italiens.

« Environ 250 soldats et leur équipement seront déployés par voie aérienne, ferroviaire et routière. Le processus de déploiement [ROMSI – Receiving, Staging, Onward Movement and Integration] fera également partie de l’exercice », explique le commandement d’EUFOR Althea, pour qui l’arrivée de cette force de réserve stratégique témoigne de l’engagement de l’UE envers la Bosnie-Herzégovine à maintenir un « environnement sûr et sécurisé ».

Et d’ajouter que l’unité française effectuera des patrouilles et s’entraînera avec les forces de l’EUFOR et les éléments des forces armées de Bosnie-Herzégovine « afin d’accroître la coopération et l’interopérabilité. »

Carte. L’espace Schengen en 2024

Carte. L’espace Schengen en 2024

Par AB PICTORIS – Diploweb – publié le 8 avril 2024

https://www.diploweb.com/Carte-L-espace-Schengen-en-2024.html


Conception et réalisation de la carte : AB Pictoris. AB Pictoris est une jeune entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Passionnée de cartographie et de géopolitique, elle a obtenu un Master en Géopolitique (parcours cyber, IFG, Paris VIII) et en Géostratégie (Sciences Po Aix) après une licence de Géographie et Aménagement du Territoire (Paris I).

Chaque jour, des centaines de milliers de personnes bénéficient de la libre circulation transfrontalière permise entre des états signataires de la Convention Schengen. Pourtant, l’espace Schengen reste peu connu et souvent mal compris. Dans la foulée d’un nouvel élargissement, voici une carte inédite copubliée sur le Diploweb.com et AB Pictoris, conçue, réalisée et commentée par Blanche Lambert.
Carte grand format en pied de page, JPG et PDF.

LE 31 mars 2024, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent les 25 membres de l’espace Schengen et l’intègrent partiellement, 17 ans après leur adhésion à l’Union européenne [1].

Après de longues négociations, les États-membres de l’UE donnent enfin leur accord en décembre 2023 pour la levée des contrôles des personnes aux frontières aériennes et maritimes de ces deux pays. La longueur de ce processus [2] et cette intégration partielle sont notamment liées aux blocages de certains pays, dont l’Autriche, qui jugeaient que les frontières bulgares et roumaines n’étaient pas assez sécurisées face à l’immigration clandestine. Un compromis a donc été trouvé, que l’Autriche nomme le « Schengen aérien » : la Bulgarie et la Roumanie rejoignent l’espace Schengen en levant les contrôles des personnes à leurs frontières aériennes et maritimes, mais les maintiennent aux frontières terrestres jusqu’à ce que les pays membres trouvent un nouvel accord.

Cette intégration – même partielle – marque un tournant pour l’espace de libre-circulation des personnes que représente l’espace Schengen, mais aussi pour l’Union européenne. Cette évolution reflète les mouvements d’intégration et de coopération qui caractérisent si bien l’UE.

Carte. L'espace Schengen en 2024
Carte. L’espace Schengen en 2024
Le 31 mars 2024, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent les 25 membres de l’espace Schengen et l’intègrent partiellement, 17 ans après leur adhésion à l’Union européenne (2007). Conception, réalisation et commentaire de la carte : AB Pictoris, B. Lambert, 2024. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression
Lambert/AB Pictoris

L’espace Schengen puise son origine dans l’Accord Schengen, signé en juin 1985 par cinq États de la Communauté européenne [3] – la RFA [4], la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg – qui entre en vigueur dix ans plus tard, en 1995 [5]. Cet accord et sa convention d’application sont par la suite intégrés dans le droit de l’Union européenne lors des négociations du Traité d’Amsterdam, qui entre en vigueur en 1999. Tous les États membres de l’UE doivent, à terme, intégrer cet espace, à l’exception de l’Irlande [6]. La République de Chypre, malgré son adhésion à l’Union, n’est pas membre de Schengen à cause de la partition de l’île due à l’intervention turque de 1974 dont a découlé la proclamation de l’indépendance de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) en 1983 [7].

L’espace Schengen ne rassemble pas seulement des États-membres de l’UE : en effet, l’Islande, la Norvège, la Suisse, le Liechtenstein et le territoire britannique de Gibraltar font partie prenante de cet espace de libre-circulation. Des micro-États, soit Monaco, la cité du Vatican et Saint-Marin, dont les frontières sont ouvertes, sont associés à l’espace Schengen.

Cette carte de l’espace Schengen, actualisée à l’occasion de l’intégration partielle de la Bulgarie et de la Roumanie, représente également les adhésions et les candidatures à l’UE, afin de donner une vue d’ensemble d’un espace dont la compréhension est souvent confuse.

Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression

Carte au format JPG ci-dessous.

Copyright pour le texte et la carte 2024-4 B. Lambert-AB Pictoris / Diploweb.com

Publication initiale sur le Diploweb.com le 8 avril 2024

Titre du document :
Carte. L’espace Schengen en 2024
Le 31 mars 2024, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent les 25 membres de l’espace Schengen et l’intègrent partiellement, 17 ans après leur adhésion à l’Union européenne (2007). Conception, réalisation et commentaire de la carte : AB Pictoris, B. Lambert, 2024. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impressionDocument ajouté le 8 avril 2024
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L’espace Schengen reste souvent mal compris. Dans la foulée d’un nouvel élargissement, voici une carte inédite copubliée sur le Diploweb.com et AB Pictoris, conçue, réalisée et commentée par Blanche Lambert.

Les nouvelles ambitions spatiales de l’OTAN Briefings de l’Ifri, 4 avril 2024

Les nouvelles ambitions spatiales de l’OTAN Briefings de l’Ifri, 4 avril 2024

 

Emblème de l’OTAN – Credits: TSV-art/shutterstock

par Brigitte Hainaut – IFRI – publié le 5 avril 2024

https://www.ifri.org/fr/publications/briefings-de-lifri/nouvelles-ambitions-spatiales-de-lotan


Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une cyberattaque dévastatrice cible les communications de l’armée ukrainienne, exposant la dépendance et la vulnérabilité occidentales aux technologies spatiales, et remettant en question la posture défensive de l’OTAN.

La pérennité de l’organisation, qui célèbre en 2024 ses 75 années d’existence, tient en partie de sa capacité à s’adapter au contexte international. La guerre en Ukraine a sans aucun doute renforcé sa légitimité et son attractivité.

L’utilisation massive des applications spatiales en Ukraine pose la question du rôle de l’Alliance atlantique dans la mise à disposition de données et de services spatiaux à ses États membres : elle ne dispose pas de capacités spatiales en propre, mais sa posture de dissuasion inclut l’espace.

En se dotant d’un solide corpus documentaire, de centres dédiés à l’espace et d’un accès à des capacités nationales, l’Alliance cherche à mettre en œuvre sa vision de l’espace comme milieu d’opérations.

Le milieu d’opérations vise l’intégration et l’interopérabilité des moyens spatiaux des différents États membres. Pour le moment, il s’agit essentiellement de capacités américaines.

L’ambition spatiale otanienne pose alors aux États la question de la mobilisation de moyens financiers et humains. Par ailleurs, une coopération plus approfondie entre l’OTAN et l’UE permettrait a priori de mutualiser les efforts.

Lier et télécharger – Les nouvelles ambitions spatiales de l’OTAN : IFRI_Hainaut_ambitions_spatiales_otan_2024

75e anniversaire de l’OTAN : discussions sur le choix du prochain secrétaire général

75e anniversaire de l’OTAN : discussions sur le choix du prochain secrétaire général

AP Photo/Peter Dejong

 

par Alban de Soos – Revue Conflits – publié le 4 avril 2024

https://www.revueconflits.com/75e-anniversaire-de-lotan-discussions-sur-le-choix-du-prochain-secretaire-general/


Au cœur du conflit en Ukraine et des élections américaines, notamment avec un éventuel retour de Donald Trump, le choix du prochain secrétaire général de l’OTAN apparaît comme crucial pour l’avenir de l’Alliance.

Traditionnellement menées à huis clos, les élections pour le nouveau secrétaire se dérouleront publiquement, avec une transparence totale. Officiellement, les alliés ont jusqu’à juillet pour élire celui qui prendra les rênes de l’OTAN le 1er octobre 2024, succédant ainsi à Jens Stoltenberg.

Cependant, le processus électoral est complexe et hautement diplomatique, impliquant notamment des consultations informelles entre les pays membres, qui proposent des candidats pour le poste. La décision n’est ensuite confirmée que lorsqu’un consensus est atteint sur un candidat.

De coutume, ce poste prestigieux a été occupé par des figures politiques européennes d’envergure, et deux candidats en lice, tous les deux crédibles, perpétuent cette tradition. D’un côté, Klaus Iohannis, président de la Roumanie, et de l’autre, Mark Rutte, Premier ministre par intérim des Pays-Bas.

Le choix du prochain secrétaire général façonnera significativement la trajectoire de l’Alliance

Dans cette élection, deux questions sont centrales : le niveau de soutien à l’Ukraine, et l’implication des pays d’Europe de l’Est dans les relations OTAN-Russie.

Les deux candidats partagent plusieurs points communs dans leur vision de l’OTAN. En ce qui concerne le conflit en Ukraine, le Premier ministre Rutte et le président Iohannis envisagent d’accentuer le soutien à l’Ukraine, et d’affirmer le respect du droit international et la recherche de solutions diplomatiques pour résoudre le conflit. Les deux leaders ont d’ailleurs exprimé leur solidarité à l’Ukraine et ont appelé à des mesures pour contrer l’attaque russe.

Concernant l’Europe de l’Est, ils souscrivent tous deux au principe d’ « équité historique », qui reconnaît les injustices passées, notamment celles subies par les nations longtemps dominées par l’Union soviétique, et qui promeut la recherche d’un « avenir plus juste ». Ce principe se manifeste dans les aspirations communes de l’Europe de l’Est et de l’Occident à rejoindre l’OTAN. À ce titre, Iohannis, président de la Roumanie, incarne parfaitement ce cheminement.

Néanmoins, le président Iohannis et le Premier ministre Rutte présentent des perspectives et des approches distinctes qui mettent en avant les divergences d’opinions au sein de l’OTAN.

La vision de Klaus Iohannis

La perspective du président Iohannis adopte une approche plus offensive comme il l’explique dans un manifeste publié sur POLITICO, en raison de l’emplacement géographique de la Roumanie par rapport aux Pays-Bas. En effet, étant donné la position stratégique de la Roumanie le long de la mer Noire et de sa frontière avec l’Ukraine, le pays est au premier plan des préoccupations en matière de sécurité régionale. À cet égard, il est probable que le président roumain plaide en faveur d’un renforcement de la présence de l’OTAN et de ses capacités de défense en Europe de l’Est. Cela pourrait impliquer des exercices militaires accrus et une augmentation de la présence avancée pour dissuader les agresseurs potentiels et rassurer les alliés vulnérables.

Iohannis a également mis en avant la contribution précieuse de l’Europe de l’Est aux discussions et décisions de l’OTAN, en insistant sur le soutien indéfectible apporté à l’Ukraine dans sa lutte contre la Russie. Il a d’ailleurs appelé les pays de l’OTAN à remplir leurs obligations en aidant Kiev dans ses aspirations à rejoindre l’alliance et l’UE. De plus, il préconise le renforcement de la coopération par le développement de partenariats plus ambitieux, tout en consolidant la base industrielle de défense de l’Alliance.

La vision de Mark Rutte

Bien que le Premier ministre Rutte n’a pas encore publié de document complet exposant sa vision stratégique de l’OTAN, il a déjà souligné l’importance de renforcer la coordination entre les nations européennes, mettant en avant la nécessité de maintenir l’ouverture à la communauté mondiale. Il semble que le Premier ministre Rutte accorderait une priorité à l’unité de l’UE dans la réponse au conflit, favorisant les efforts diplomatiques au sein de l’Union européenne, ainsi qu’un renforcement des sanctions contre la Russie et un soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Toutefois, les positions de Mark Rutte privilégieraient probablement les efforts diplomatiques pour résoudre le conflit. À cet égard, il a souligné le rôle central de V. Zelensky dans le lancement des négociations de paix. En établissant un parallèle avec les dialogues sur la sécurité lors de l’unification allemande en 1990, il souhaite aussi un engagement collectif des États-Unis, de l’OTAN et de la Russie pour discuter des arrangements futurs en matière de sécurité. M. Rutte a suggéré que ces discussions seraient cruciales pour garantir la stabilité en Europe.

La dynamique semble être propice à Mark Rutte qui a obtenu le 22 février dernier le soutien des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Allemagne, trois des plus importants pays de l’Alliance. Tous trois ont l’espoir qu’il saura tenir tête à la diplomatie trumpiste en cas de victoire républicaine à l’automne prochain, scénario qui hante les couloirs de l’Alliance.