Passer à la vitesse supérieure : pour une Agence européenne de mobilité stratégique

Passer à la vitesse supérieure : pour une Agence européenne de mobilité stratégique

par Maxime Cordet* – IRIS- publié le 6 mai 2025

https://www.iris-france.org/passer-a-la-vitesse-superieure-pour-une-agence-europeenne-de-mobilite-strategique/


*directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé sur les questions de défense européenne. Il est responsable du Programme Industrie de défense et de haute technologie. Il est également conseiller scientifique d’ARES Group.

Ses travaux de recherche portent sur la défense européenne, l’Europe de la Défense, la coopération en matière de défense et d’armement, la stratégie de défense et le changement dans les appareils de défense.

Avant de rejoindre l’IRIS, Maxime Cordet a travaillé à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées, en tant que chargé de mission du Département Union européenne. Il a coordonné et participé à la politique française dans la Coopération structurée permanente, le Fonds européen de Défense, la mobilité militaire et la mise en œuvre de l’assistance mutuelle au sein de l’Union européenne.

Maxime Cordet est diplômé de l’École d’affaires publiques de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po).


Le terme de mobilité militaire a émergé depuis déjà longtemps, tant au sein de l’Union européenne (UE) que de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN)[1], comme le domaine d’action devant permettre le mouvement à la fois rapide et en masse des forces armées. Les politiques menées dans le domaine se concentrent sur le continent européen, mais nous pouvons également considérer, comme c’est le cas à l’UE, qu’il s’agit de permettre les mouvements dans le cadre d’une opération de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et ainsi, partout où les intérêts de sécurité de l’Union sont en jeu.

Beaucoup d’initiatives ont déjà été lancées dans ces cadres, mais des difficultés majeures sont encore relevées par les militaires se déplaçant en Europe. En matière de développement capacitaire, elles sont structurelles et affectent gravement la crédibilité des Européens à se défendre ou à s’engager militairement pour défendre leurs intérêts. Le livre blanc européen tout juste publié souligne bien cet enjeu et place la mobilité militaire comme priorité capacitaire pour que les Européens soient prêts à se défendre à l’horizon 2030. Pour le mettre en œuvre, une nouvelle communication conjointe de la Commission européenne et du Service européen de l’Action extérieure (SEAE) devrait être publiée en juin afin de proposer des mesures.

La création d’une Agence européenne de mobilité stratégique, elle-même propriétaire de moyens de transport et d’équipements logistiques, doit faire partie des propositions pour que l’UE facilite de manière concrète les déplacements des forces en Europe.

À l’UE, les politiques se mettent en place tant dans le champ communautaire qu’intergouvernemental :

  • La Commission européenne dispose depuis 2021 d’une enveloppe budgétaire dédiée au financement des infrastructures de transport à usage dual (tant civil que militaire) de 1,5 milliard d’euros. Ce fonds fait partie du Mécanisme d’interconnexion en Europe (MIE), une politique pilotée par la DG MOVE, en lien avec l’État-major de l’UE (EMUE) pour assurer que les projets répondent bien à des besoins militaires (par exemple, la rénovation du terminal ferroviaire connecté au port de La Rochelle, ou encore des portions du Rail Baltica dans les États baltes). Les trois appels à projets qui ont été lancés à ce jour ont utilisé la totalité de l’enveloppe. Certaines limites de ce fonds sont connues, notamment le fait qu’il ne finance que des infrastructures à usage dual et non purement militaire, ce qui serait nécessaire. Mais une majorité d’États demandent une augmentation de l’enveloppe dédiée pour le prochain Cadre financier pluriannuel (CFP).
  • Dans le champ intergouvernemental, deux projets de la Coopération structurée permanente (CSP) traitent du sujet. Le premier, intitulé simplement Military Mobility, est piloté par les Pays-Bas et constitue un forum de coordination de toutes les politiques européennes en la matière, avec la présence de la Commission, l’Agence européenne de défense (AED), le SEAE et même l’OTAN et plusieurs États alliés (États-Unis, Canada, Norvège, Royaume-Uni). Le second est Network of Logistic Hubs in Support of Operations (NetLogHubs), et a pour objectif la consolidation d’un réseau de centres logistiques militaires en Europe, grâce à la déclaration des services logistiques (carburant, pièces détachées, logements, ravitaillement divers, etc.) des bases européennes sur une même plateforme, pour que les armées connaissent les moyens et les stocks présents et ainsi leur faciliter les déplacements à travers le continent.
  • Des projets capacitaires sont également en cours dans la CSP et participeront directement à la mobilité militaire dans les décennies à venir. Le Future Mid-size Tactical Cargo (FMTC) coordonné par la France a pour objectif de définir la future capacité européenne de transport tactique en replacement des CASA et des C-130. Le second, Strategic Air Transport for OutsizedCargo (SATOC), coordonné par l’Allemagne, vise l’étude d’une solution européenne pour le transport stratégique hors-gabarit pour remplacer à terme les appareils vieillissants de l’entreprise ukrainienne Antonov utilisés par plusieurs Alliés. Les deux projets bénéficient du Fonds européen de défense (FEDef) pour leur étude amont.
  • De plus, l’AED appuie les États membres en matière capacitaire, mais également en matière d’harmonisation des procédures de passage de frontières, point-clé de la mobilité militaire. Par exemple, les États européens rencontrent encore des difficultés à délivrer rapidement les autorisations de transit terrestre d’une autre armée sur leur sol ou même de survol. D’autres blocages concernent les réglementations différentes concernant le transport de matières dangereuses. Des arrangements techniques ont été signés en ce sens par la plupart des États membres afin d’harmoniser toutes ces procédures, mais la mise en œuvre de ces arrangements n’est pas encore effective dans la plupart des États.
  • De manière globale, la Commission et les États coopèrent bien en la matière. Couvrant tant le champ intergouvernemental que communautaire, un plan d’action pour la mobilité militaire a couvert la période 2018-2022 et un second a été rédigé pour 2022-2026. Ces deux plans ont été accompagnés de pledges politiques, l’un en 2018 et l’autre en 2024. Ils énoncent tous la nécessité de progresser en la matière, et plus précisément dans les domaines suivants : les infrastructures de transport (dont de l’énergie, et y compris leur cybersécurité) et de stockage, les matériels et moyens de mobilité, les procédures de franchissement des frontières intérieures (dans les trois milieux) et la coordination et la mutualisation des moyens (notamment avec l’OTAN).

Les armées européennes font partie des forces les plus déployées dans le monde et ont acquis une expérience significative en matière de mobilité et de logistique, tant dans la phase de déploiement rapide que de soutien sur la durée. Elles font ainsi le constat de freins persistants pour leur mobilité, notamment sur le territoire européen.

Dans les premières phases d’un déploiement rapide, les moyens de transport aérien stratégique sont indispensables, mais sont lacunaires. Le contrat de la « Solution internationale pour le transport aérien stratégique » (SALIS) permet à certains pays de bénéficier de 5 appareils An-124 Antonov, basés à Leipzig, et vieillissants – d’autant plus qu’Antonov est une entreprise ukrainienne, sous forte pression. Ce type d’appareil est également particulièrement utile pour transporter de grandes quantités de matériel, ou encore des véhicules et même des hélicoptères, beaucoup plus rapidement que par voie terrestre ou maritime. Cependant, ces appareils ne sont pas utiles aux forces européennes en permanence, ce qui rend peu soutenables le développement, la production et l’acquisition d’une telle capacité seulement pour des besoins militaires et en faible quantité au niveau national.

Dans les phases suivantes, lorsqu’il faut apporter du soutien et l’approvisionnement des forces déployées sur le théâtre, un manque capacitaire en matière de transport de matériel est aussi à déplorer. Cela concerne principalement les trains et les navires de gros tonnage (rouliers). Les armées recourent aujourd’hui largement à l’externalisation, mais reposer sur des opérateurs privés peut s’avérer plus difficile en cas de conflit. En effet, les moyens civils seraient aussi la cible d’attaques, d’autant plus quand ils transportent des forces ou du matériel de guerre, et les entreprises pourraient légitimement limiter leurs activités à cette fin au vu des risques (freinant également l’implication des assurances et des banques ou du moins augmentant leurs prix). La concurrence des livraisons avec le secteur civil se ferait également sentir en temps de guerre, hors moyens légaux étatiques pour les contraindre (priorisation de la commande ou réquisition) – ce qui ne renforce pas l’attractivité des commandes militaires pour ces entreprises.

Mais assurer une meilleure mobilité militaire est également une question de crédibilité opérationnelle et donc, participerait à l’idée d’une dissuasion conventionnelle : les capacités européennes actuelles (sans parler des infrastructures de transport et de stockage, y compris énergétique) ne constituent pas un élément de crédibilité d’un engagement militaire sur le sol européen. Par ailleurs, l’un des principaux retours d’expérience du conflit en Ukraine rappelle aux Européens le caractère vital des capacités de logistique et d’approvisionnement[2]. Cela pourrait être la principale source de faiblesse des Européens en cas d’engagement majeur.

Le Livre blanc commun de la Commission européenne et du SEAE, publié le 19 mars 2025, place la mobilité militaire comme l’une des quatre missions pour lesquelles l’UE apporte sa valeur ajoutée en cas d’affrontement majeur en 2030. Le sujet est compris dans deux des sept priorités de financement capacitaire identifiées dans le document : dans sa dimension infrastructurelle d’abord, et dans la priorité « Facilitateurs stratégiques et protection des infrastructures critiques, » avec le transport stratégique, le ravitaillement aérien et les infrastructures pour l’énergie opérationnelle. Quelques éléments supplémentaires peuvent être énoncés ici :

  • Le livre blanc mentionne que la mobilité militaire participe à notre préparation, mais aussi à notre dissuasion.
  • C’est un axe d’effort qui sera également bénéfique au secteur civil (usage dual des infrastructures).
  • Quatre corridors prioritaires sont identifiés par la Commission, dans les trois milieux, ainsi que 500 hot-spotsà améliorer. En matière de transport de l’énergie, le livre blanc en appelle aux États membres et à l’OTAN pour compléter la cartographie des besoins.
  • De plus, les corridors seraient étendus à l’Ukraine, tant pour faciliter l’assistance militaire qu’en tant que garantie de sécurité durable.
  • La Commission devrait lister toutes les législations européennes ayant un impact sur la mobilité militaire (par exemple, sur le sujet de la prise de participation d’acteurs potentiellement malveillants dans des infrastructures critiques) et proposer des modifications.
  • La disponibilité de moyens spécialisés et à usage dual est aussi mentionnée.
  • Les projets infrastructurels bénéficieraient aussi d’une meilleure prévisibilité des financements européens.
  • Enfin, la mobilité militaire est ciblée dans l’instrument de prêt SAFE[3].

La Commission et le SEAE devraient enfin proposer une communication conjointe d’ici la fin de l’année sur la mobilité militaire pour proposer la mise en œuvre de nouvelles actions.

L’agence disposerait de moyens et matériels propres pour fournir des services ou bien les louer aux armées. Ces moyens et matériels seraient des véhicules terrestres plus ou moins lourds, des trains, des wagons et des containers pour le transport terrestre, des avions de transport de différentes tailles (notamment hors-gabarit) pour la voie aérienne, et des rouliers notamment pour la voie maritime.

Les moyens et services seraient à usage dual : le secteur commercial civil pourrait également demander de louer les moyens et bénéficier des services. Cet usage dual permettrait d’assurer la soutenabilité économique de l’agence. Les activités militaires seraient néanmoins prioritaires, en particulier en cas de crise. Par ailleurs, la gestion de crise civile pourrait également être un motif de priorisation et la protection civile un domaine dans lequel les moyens de l’agence pourraient être utilisés.

Son statut juridique serait un défi à relever :

  • Dans le cas d’une agence de l’UE (comme Frontex par exemple), celle-ci peut déjà disposer (acquérir et louer) de moyens propres. La difficulté juridique résiderait donc plutôt dans l’activité commerciale en parallèle des services rendus aux armées.
  • Une organisation internationale publique indépendante juridiquement de l’UE, bien que fortement liée, serait donc peut-être préférable. Cela faciliterait également l’utilisation de l’agence par des États non-membres qui s’associeraient au projet. Néanmoins, le format juridique pour permettre une telle activité serait innovant.
  • Une solution pourrait être le partenariat public-privé : les États et la Commission créeraient avec des entreprises privées une entité permettant la fourniture des services aux armées d’une part et l’activité commerciale d’autre part (modèle proche d’HeliDax en France par exemple, mais largement innovant à l’échelle européenne).
  • D’autres formes juridiques innovantes sont probablement à envisager, sans changer les traités de l’UE.

Sa gouvernance serait hybride, avec un comité exécutif composé de représentants des États membres participants, de la Commission, de l’EMUE et de l’AED, ainsi que des entreprises participantes.

Son budget serait composé de contributions nationales minimales au prorata du PIB afin d’atteindre le minimum viable pour le fonctionnement de l’agence (hors pays qui refuseraient de participer), et une contribution nationale supplémentaire serait laissée libre aux États pour bénéficier de davantage de services (davantage d’heures de vol, le service de carburant, mais aussi une priorité sur la location par exemple).

Le périmètre des actions réalisées par les armées avec les moyens de l’agence serait le territoire européen, mais aussi les mouvements nécessaires dans les opérations et missions de la PSDC depuis ou vers l’Europe.

L’agence disposerait également de son propre personnel capable d’opérer les moyens. Néanmoins, les armées pourraient aussi les utiliser avec leurs militaires.

Dans le cadre de missions militaires, et en fonction du type de mission, les armées devraient assurer la protection des moyens et matériels, en les remettant à l’agence dans l’état d’origine, et compensant financièrement l’agence sinon.

L’entretien et le maintien en condition opérationnelle seraient à la charge de l’agence. La fourniture de carburant pourrait également faire partie des services, y compris le ravitaillement en vol.

Les mouvements militaires avec des moyens de l’agence disposeraient d’une liberté de transit et de survol sur le territoire des États membres reconnaissant et participant au fonctionnement de l’agence.

L’agence nécessiterait un investissement de départ conséquent de la part des États membres, avec plusieurs années de montée en puissance. Il faudrait que les moyens aériens soient localisés sur des aéroports, les moyens terrestres le long d’axes logistiques majeurs, et les rouliers dans les principaux ports européens.

Par ailleurs, le matériel acquis par l’entité ne peut être considéré comme du matériel de guerre et soumis aux contrôles export nationaux. La question se pose surtout pour les aéronefs, en prenant l’exemple susmentionné : SATOC (ou A800M) doit absolument être un appareil utilisé dans le secteur commercial, et doit faire partie des moyens acquis par l’agence.

Il est grand temps que la mobilité militaire et la logistique soient érigées en priorité de la défense européenne. Le livre blanc est à la hauteur de cet enjeu. Mais il faut réussir à le mettre en œuvre.

La création d’une Agence européenne de mobilité stratégique pourrait répondre au besoin des armées en leur permettant une plus grande agilité et rapidité de mouvements, et en bénéficiant d’investissements communs dans des moyens mutualisés. De surcroit, elle faciliterait l’opérationnalisation de la Capacité de Déploiement rapide, ainsi que l’efficacité de toutes les missions et opérations de la PSDC. Elle montrerait surtout la force et la plus-value de l’échelon européen dans la défense sans remettre en cause les prérogatives nationales en la matière. Enfin, elle renforcerait la défense de l’Europe dans la nouvelle ère de contestation des intérêts européens dans laquelle nous venons d’entrer.

Le statut juridique d’une telle entité représente un défi. Néanmoins, si elle voit le jour, elle démontrera toute la pertinence et la nécessité d’une plus grande interpénétration entre monde militaire et monde civil d’une part, et entre le secteur public et privé d’autre part, afin de décupler notre puissance collective en Europe.


[1] Les États membres et alliés s’accordent très largement sur la coopération entre l’UE et l’OTAN dans le domaine, avec des États non-membres qui participent des projets UE (CSP) par exemple.

[2] Lire par exemple : Ti, Ronald, and Christopher Kinsey. 2023. “Lessons from the Russo-Ukrainian Conflict: The Primacy of Logistics over Strategy.Defence Studies 23 (3): 381–98. doi:10.1080/14702436.2023.2238613.

[3] « Security Action for Europe (SAFE) through the reinforcement of European defence industry Instrument » qui fait l’objet d’une proposition de règlement. 

La brigade franco-allemande et la relance de la défense européenne

La brigade franco-allemande et la relance de la défense européenne

par Jacob ROSS et Nicolas TÉTERCHEN – IFRI – Date de publication :

Couv_Brigade franco-allemande_Ross-Téterchen_04.2025

Une chose est claire depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche : le projet d’unification européenne est menacé dans son existence même. À moins d’élaborer une politique de défense souveraine pour parer à la guerre en Ukraine et à l’affaiblissement des garanties de sécurité américaines, l’Union européenne verra se poursuivre l’érosion de sa dynamique de cohésion interne et de son attractivité externe.

Jägerbataillon 291 lors du défilé du 14 juillet, place de la République à Strasbourg, 2013
Jägerbataillon 291 lors du défilé du 14 juillet, place de la République à Strasbourg, 2013. © Claude TRUONG-NGOC/Wikimedia Commons (sous licence Creative Commons Attribution – ShareAlike 3.0 Unported – CC BY-SA 3.0).
Wikimedia Commons

La France et l’Allemagne sont en mesure de prévenir ce scénario. Feront-elles preuve d’une volonté politique suffisante ? L’évolution de la brigade franco-allemande représentera un bon indicateur pour évaluer leurs véritables dispositions.

•    Le contexte de création de la brigade, à la fin de la guerre froide, présente des analogies avec la conjoncture actuelle et témoigne du fait que les Européens ont perdu plus de trente ans pour renforcer leur sécurité
•    Il est urgent que le gouvernement allemand engage un dialogue stratégique sur la sécurité de l’Europe – en premier lieu avec la France, puis avec d’autres partenaires européens
•    La victoire électorale de Donald Trump a relancé l’idée d’une « armée européenne ». Or celle-ci est, dans la situation actuelle, absolument irréaliste. La brigade franco-allemande témoignera de la possibilité d’une intégration à long terme de la défense européenne, et d’une européanisation de l’OTAN
•    La formation a vocation à démontrer la capacité d’impulsion franco-allemande en Europe de l’Est – intégrée dans les structures de l’OTAN et en étroite coordination avec les États partenaires sur le terrain

Jacob Ross est chercheur à l’Institut allemand de politique étrangère (Deutsche Gesellschaft fur Auswärtige Politik, DGAP), où il se concentre notamment sur la France et les relations franco-allemandes. Auparavant, il a travaillé en tant qu’assistant à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et à l’Assemblée nationale, ainsi que dans deux directions du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à Paris.

Nicolas Téterchen est doctorant à l’Université de Cergy ; sa thèse porte sur les perceptions de la politique de défense en Allemagne de 1990 à 2022. Il est assistant de recherche au programme France et relations franco-allemandes à l’Institut allemand de politique étrangère (Deutsche Gesellschaft fur Auswärtige Politik, DGAP) à Berlin. Il était auparavant en poste à la Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie (CFACI) à Paris.

 

Ce Briefing reprend en partie les éléments d’un colloque qui s’est tenu à Strasbourg en mai 2024 sous l’égide conjointe du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Institut français des relations internationales (Ifri), et de la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP).


Cette publication est disponible en allemand sur le site de la DGAP : « Deutsch-französische Führung für ein souveränes Europa. Die Deutsch-Französische Brigade kann zeigen, ob der politische Willen dafür reicht » (pdf).

Téléchargez l’analyse complète

Cette page ne contient qu’un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.

La brigade franco-allemande et la relance de la défense européenne

La défense de l’Europe face à la Russie : cherchez la faille !

La défense de l’Europe face à la Russie : cherchez la faille !

Par Institut FMES, Pascal Orcier – Diploweb – publié le 18 avril 2025

https://www.diploweb.com/Carte-La-defense-de-l-Europe-face-a-la-Russie-cherchez-la-faille.html


L’institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) est un centre de recherches qui décrypte les questions géopolitiques et stratégiques de la zone couvrant le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, de même que les recompositions entre acteurs globaux.
Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

En décembre 2024, l’Institut FMES fait un exercice de réflexion pour identifier un point de faiblesse de la défense de l’Europe face à la Russie. Si la ligne de défense courant de la Baltique à la Pologne lui semble solide, celle couvrant le flanc sud-est de l’Europe paraît beaucoup plus fragile. Même si le mois de décembre 2024 semble aujourd’hui bien loin – parce que d’autres fragilités sont apparues dans la relation UE / États-Unis, voire dans l’OTAN – cet exercice de réflexion reste pertinent par l’identification d’une zone de faiblesse. D’autres sont apparues.

En décembre 2024, l’équipe de direction de l’Institut FMES faisait le commentaire suivant de cette carte.

A L’APPROCHE de la prise de fonction de Donald Trump le 20 janvier 2025, les Européens et l’administration Biden finissante tentent de s’opposer aux ingérences de la Russie en Europe orientale, tout en livrant des armes à l’Ukraine pour rassurer le président Zelensky et l’encourager à composer avec le Kremlin. Les Occidentaux cherchent en effet à s’assurer qu’il ait suffisamment de cartes en main pour négocier avec le Kremlin au moment où l’aviation russe accroît les frappes contre les infrastructures électriques ukrainiennes.

La défense de l'Europe face à la Russie : cherchez la faille !
La défense de l’Europe face à la Russie : cherchez la faille !
Conception FMES, réalisation Pascal Orcier 2024.

Le président russe, rasséréné par l’élection de Donald Trump qu’il sait favorable à un arrêt des hostilités en Ukraine, pousse ses pions en Baltique (face aux pays baltes, à la Finlande et à la Suède) et en Europe orientale, profitant de l’incertitude engendrée par l’arrivée aux affaires d’un président américain transactionnel et pacifiste, mais aussi de la posture favorable à la Russie des pouvoirs en place en Hongrie et en Slovaquie. Ces deux pays, à la charnière des flancs nord et sud-est de l’OTAN comme de l’Union européenne, sont cruciaux pour la cohérence du dispositif de défense de l’Europe, comme le souligne notre carte.

En Moldavie, les services secrets ont démontré l’implication des services russes pour influencer le résultat du référendum sur l’adhésion à terme de ce pays à l’Union européenne (validé avec seulement 51 % des suffrages). En Roumanie, après avoir prouvé une ingérence massive du Kremlin dans le processus électoral, la Cour constitutionnelle a annulé le premier tour de l’élection présidentielle qui menaçait d’être remportée par le candidat prorusse Câlin Georgescu. En Bulgarie, la Russie dispose également de relais d’influence bien établis. En Géorgie, la présidente Salomé Zourabichvili (dont le mandat expire fin décembre 2024) a dénoncé l’élection de l’ancien footballeur populiste pro-russe Mikheïl Kavelachvili par un parlement sous influence russe, comme nombre de Géorgiens qui manifestent quotidiennement dans la rue. Soutenue par des intellectuels et des hommes d’affaires pro-européens, elle a annoncé qu’elle refuserait de céder sa place, laissant présager une grave crise institutionnelle. Face à l’activisme russe dans le champ de l’influence dans l’est du continent et en attente d’une administration américaine qui ne la ménagera pas, l’Union européenne doit plus que jamais se préparer à prendre ses responsabilités pour assurer sa défense, seule si nécessaire. Si la ligne de défense courant de la Baltique à la Pologne semble solide, celle couvrant le flanc sud-est de l’Europe paraît beaucoup plus fragile. C’est sans doute là que le Kremlin fera porter ses efforts.

Manuscrit clos en décembre 2024

Copyright pour la carte et le texte : décembre 2024/FMES


Découvrez le site de l’Institut FMES

Titre du document :
La défense de l’Europe face à la Russie : cherchez la faille !
Conception FMES, réalisation Pascal Orcier 2024.Document ajouté le 17 avril 2025
Document JPEG ; 531851 ko
Taille : 895 x 732 pxVisualiser le document

L’Institut FMES a fait un exercice de réflexion pour identifier un point de faiblesse de la défense de l’Europe face à la Russie. Si la ligne de défense courant de la Baltique à la Pologne lui semble solide, celle couvrant le flanc sud-est de l’Europe paraît beaucoup plus fragile.

Économie : L’Europe face à la réalité de la prédation économique

par Bernard Carayon – AASSDN – publié le 17 avril 2025

https://aassdn.org/amicale/economie-leurope-face-a-la-realite-de-la-predation-economique/


Information AASSDN

L’Europe est aujourd’hui la proie d’États prédateurs en quête d’autonomie stratégique, de domination géopolitique et de suprématie économique. Cette prédation se manifeste notamment par la prise de contrôle d’infrastructures critiques ou de fleurons industriels ou technologiques. Depuis quand assiste-t-on à ce type de prédation en Europe ?

F.-X. Carayon  : La prédation économique est un phénomène ancien qui est intimement lié au mouvement de la mondialisation. Cela s’est accéléré en parallèle de l’augmentation des échanges économiques au cours des années 1980-1990. La particularité de la dernière vague d’investissements internationaux que j’analyse dans mon ouvrage est que ces investissements sont effectués par des acteurs publics. Il ne s’agit plus d’achats d’entreprises privées par des entreprises privées mais de rachats d’actifs ou d’entreprises européennes privées par des investisseurs publics étrangers, à savoir des fonds souverains et des entreprises publiques. Or, l’origine publique de ces investissements peut entrainer les conséquences politiques que vous avez mentionnées.

Vous expliquez que les entreprises publiques et les fonds souverains sont donc les deux principaux outils de cette prédation. Pourquoi et comment cela se traduit-il ?

Auparavant, les fonds souverains constituaient les outils classiques des pays bénéficiant d’une rente énergétique, notamment au Moyen-Orient. C’était un moyen de créer une épargne intergénérationnelle ou de lisser les fluctuations de revenus lors de l’évolution du cours des matières premières. En parallèle, les entreprises publiques ont longtemps joué leur rôle qui était simplement d’opérer des services publics. Puis, peu à peu, ces deux acteurs ont été perçus par les puissances émergentes du monde en développement — la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, Singapour, les pays du Moyen-Orient, etc. — comme des vecteurs au service des objectifs industriels et géostratégiques de leur pays. La proximité de ces deux acteurs avec le gouvernement favorisait un alignement naturel avec les intérêts publics. Le gouvernement avait donc le moyen de s’assurer que ces investissements étaient en capacité de satisfaire leurs intérêts.

Pour prendre un exemple, la Chine — que l’on peut considérer comme l’État prédateur par excellence — a déployé une stratégie d’investissement massif dans les semi-conducteurs dans les années 2010. En 2014, Pékin a créé un fonds souverain dédié juste après avoir établi une feuille de route. Puis la Chine s’est lancée dans le rachat d’entreprises de tailles significatives aux États-Unis en 2016 et 2017, jusqu’à ce que le dispositif américain du CFIUS (Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis) commence à s’alerter. Ce fut le cas également en France lorsque l’entreprise d’État chinoise Tsinghua Unigroup a racheté en 2018 l’entreprise Linxens, fabricant de composants pour cartes à puces, pour 2,2 milliards d’euros (1). Cet exemple se situe à mi-chemin entre les prédations de nature géostratégique et celles plus économiques qui contribuent à la prospérité nationale.

Les prédations géostratégiques ciblent tout particulièrement les infrastructures critiques. On pensera notamment aux 14 ports européens qui sont passés sous contrôle chinois et qui ne constituent pas des investissements seulement financiers mais aussi stratégiques et opérationnels. On peut aussi mentionner le cas des réseaux électriques et gaziers européens qui sont passés en partie sous contrôle chinois (2), notamment en Italie, au Portugal, en Grèce et au Royaume-Uni. Outre le cas chinois, celui de Singapour est également intéressant car, dans le domaine maritime, la cité-État s’est emparée d’un certain nombre d’actifs à travers le monde, y compris en Europe, comme en Belgique, aux Pays-Bas ou en Italie.

Cette menace géostratégique peut aussi se développer lorsqu’un État prédateur a pris trop d’importance dans un secteur donné. Ainsi, par le jeu des investissements, il acquiert une capacité de menace, qui n’est pas un outil sans faille, mais qui contribue à peser dans les rapports stratégiques entre États.

Outre la Chine, quels sont les autres principaux États prédateurs vis-à-vis de l’Europe ?

On peut avoir tendance à regarder surtout du côté américain ou chinois et à isoler ce phénomène de capitalisme d’État conquérant. Mais le modèle chinois est en train d’essaimer à travers le monde, d’autres États le pratiquent également. On peut revenir sur le cas de Singapour, considéré comme l’un des États les plus libéraux au monde, qui réplique la stratégie de Pékin grâce à ses deux grands fonds souverains, GIC et Temasek (3), qui investissent de façon tout à fait traditionnelle en prenant des participations financières minoritaires dans un grand nombre d’entreprises mais qui, en parallèle, commencent à multiplier les investissements stratégiques dans les secteurs les plus importants pour Singapour, à savoir le maritime, la logistique et les nouvelles énergies. Ce modèle se diffuse également en Corée du Sud, un peu moins en Inde, et bien évidemment dans les pays du golfe Arabo-Persique.

Est-ce que des États européens sont plus ciblés que d’autres ?

C’est assez triste à dire, mais la France ne fait pas nécessairement partie des pays les plus ciblés en raison du fait que son industrie est déjà fortement affaiblie. L’Allemagne est donc au contraire une cible de choix pour nombre d’investisseurs étrangers qui convoitent sa puissance industrielle. Le rachat du constructeur de robots industriels Kuka par le chinois Midea en 2016 a sonné comme un réveil pour l’Allemagne (4). Mais cette dernière continue néanmoins à avoir du mal à protéger ses fleurons industriels avec la perte de nombreuses ETI (entreprises de taille intermédiaire) régionales. À la fin des années 2000 et début 2010, l’Allemagne a d’ailleurs perdu la plupart de ses technologies de pointe dans le secteur des énergies renouvelables qui ont été ravies par des concurrents essentiellement chinois.

Quels sont les secteurs les plus ciblés et quels en sont les risques ?

Ce sont bien évidemment les secteurs stratégiques qui sont les plus ciblés, sachant que la liste de ces secteurs ne fait que s’allonger : robotique, numérique, technologies de l’information, biotechnologies… Paradoxalement, depuis la Covid-19, alors que ces derniers devraient être mieux protégés, de nombreux investissements ont continué d’être réalisés dans le domaine des biotechnologies par des Chinois, des Sud-Coréens, des Taïwanais ou des Japonais. Malgré l’importance de ce secteur, les entreprises de biotechnologie européenne ont un accès difficile aux financements issus des fonds capitalistiques européens (5).

On peut constater que le phénomène ne s’enraie pas, même après un choc aussi important que celui de la pandémie qui nous a pourtant démontré que notre dépendance à l’égard de l’étranger constituait une réelle fragilité.

Un rapport intéressant de la Commission européenne avait été commandé (6), sous la pression des États membres. Il devait faire le point sur l’influence des investisseurs étrangers au sein des économies européennes. Ce rapport a été plus ou moins mis sous le tapis en raison du constat inquiétant qu’il dressait. Il montrait notamment qu’une partie importante des secteurs stratégiques était détenue par des investisseurs étrangers. Ce rapport montrait ainsi que les secteurs stratégiques étaient deux à trois fois plus ciblés que les secteurs classiques. Il dessinait une trajectoire inquiétante montrant qu’entre 2013 et 2017, le nombre d’entreprises passées sous actionnariat étranger, notamment dans les secteurs stratégiques, était en croissance extrêmement forte. La question était de savoir si cette tendance continuait ou si le renforcement de nos dispositifs de protection avait pu infléchir cette trajectoire. Mais il n’y a pas eu de suite à ce rapport qui constitue un aveu d’échec de la Commission européenne sur ce sujet.

Quelle est concrètement l’ampleur de la désindustrialisation ou l’état de l’influence sur les pouvoirs publics européens générées par cette prédation ?

Il est important de réaliser que les investissements étrangers ne sont pas la raison de notre désindustrialisation. Ils viennent d’abord profiter d’un affaiblissement structurel de notre industrie et de notre tissu économique au sens large. C’est parce qu’un grand nombre d’acteurs économiques sont en difficulté que ces investisseurs étrangers sont en capacité de les acquérir. Et c’est parce que notre écosystème financier n’est pas suffisamment développé et robuste qu’il ne peut pas non plus venir en contrepoids pour proposer des alternatives d’investissement.

En France, le cadre fiscal et administratif a généré un désavantage compétitif certain. Mais avec un peu de recul, on réalise que dans le reste de l’Europe occidentale la désindustrialisation va moins vite mais progresse néanmoins. Il y a donc un problème structurel européen qui a trait à notre capacité d’innovation, notre capacité d’éducation et de formation et qui ne semble plus suffisant (7) pour préparer l’avenir et lutter à armes égales face à des nations comme l’Inde (8).

Est-ce que l’Europe a pris conscience de ce danger ?

L’Union européenne (UE) en a pris conscience en partie et s’est dotée d’un dispositif de filtrage (9), qui n’en est pas vraiment un, mais plutôt un outil de coopération entre les États membres et qui permet de partager l’information. Pour l’essentiel, il n’est pas en capacité de bloquer des investissements étrangers en Europe. À ce stade, il s’agit plutôt d’un dispositif cosmétique que d’un outil véritablement efficace.

Du côté des États européens, ces derniers commencent à réagir et les dispositifs de filtrage se musclent dans chaque pays. Il y a cinq ans, seul un quart des pays européens avait un tel dispositif, alors qu’aujourd’hui cela concerne les deux tiers des États membres. Malheureusement, les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur. À titre de comparaison, le budget du CFIUS américain est environ trente fois supérieur à son équivalent français. Si l’on compare le nombre de dossiers filtrés par les pouvoirs publics allemands, italiens ou espagnols, ils sont environ cinq à sept fois inférieurs au nombre de dossiers traités par les Canadiens ou les Australiens.

Alors que les problèmes de souveraineté ne se vivent pas de la même façon d’un État à l’autre et qu’il faut bien accepter que nous sommes dans un contexte de guerre économique permanente, y compris au sein même de l’Europe, que peut faire l’UE ou chacun des États membres pour se prémunir face à cette prédation économique ?

Instinctivement, on aimerait que les dispositifs de filtrage se concentrent sur les pays qui nous apparaissent les plus menaçants, comme la Chine ou les États-Unis. Mais effectivement, un certain nombre de menaces émanent de nos voisins les plus proches, comme l’Allemagne. Il s’agit donc de faire un véritable choix politique. Est-ce qu’il faut pousser le fédéralisme à un niveau plus avancé pour permettre de transférer la capacité de filtrage au niveau communautaire ? Mais si nous considérons que les intérêts continuent d’être divergents, ce qui est le cas en pratique, il faut peut-être en tirer des leçons pragmatiques et savoir se protéger de la même manière contre les investissements allemands ou chinois. Sur cette question, il faut avant tout faire preuve de pragmatisme et se dire que tant que nos partenaires se positionneront en concurrents agressifs — comme a notamment pu se comporter l’Allemagne à l’égard de la France ces dernières années dans le nucléaire (10) —, alors il va falloir les traiter à la fois comme des partenaires et des menaces.

Bernard CARAYON
Propos recueillis par Thomas DELAGE

le 8 octobre 2024
dans le cadre des Rencontres stratégiques de la Méditerranée


(1) Frédéric Schaeffer, Raphaël Balenieri, « Semi-conducteurs : un groupe chinois rachète Linxens », Les Échos, 26 juillet 2018 (https://​rebrand​.ly/​j​d​u​q​mpk).

(2) Clémence Pèlegrin, Hugo Marciot, « La Chine aux portes du réseau électrique européen », Groupe d’études géopolitiques, septembre 2021 (https://​rebrand​.ly/​o​0​o​p​t6r).

(3) Nessim Aït-Kacimi, « Proche des 300 milliards d’euros, le fonds singapourien Temasek renoue avec la croissance », Les Echos, 10 juillet 2024 (https://​rebrand​.ly/​n​0​h​u​n5o).

(4) Alexandre Souchet, « Guerre de l’information autour de la prise de contrôle de l’entreprise allemande Kuka Robotique », École de guerre économique, 24 février 2020 (https://​rebrand​.ly/​a​l​r​5​gzi).

(5) Coface, « Biotechnologies : une Europe à la peine face au duel sino-américain », 27 mai 2024 (https://​rebrand​.ly/​e​2​r​e​m8m).

(6) Commission européenne, « Rapport sur les investissements directs étrangers : augmentation continue de la propriété étrangère d’entreprises européennes dans des secteurs clés », 13 mars 2019 (https://​rebrand​.ly/​2​y​f​r​283).

(7) En 2024, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) affiche 46 500 nouveaux diplômés en 2022-2023, alors que les entreprises en réclament 20 000 de plus : Jeanne Bigot, « Le nombre d’ingénieurs diplômés en France reste insuffisant face aux besoins des entreprises », L’Usine Nouvelle, 17 juin 2024 (https://​rebrand​.ly/​5​3​u​9​bkn).

(8) Geetha Ganapathy-Doré, « L’Inde, une puissance scientifique et technologique depuis plus longtemps qu’on le croit », Université Sorbonne Paris Nord, article republié à partir de The Conversation, 5 juin 2024 (https://​rebrand​.ly/​l​l​a​q​9cm).

(9) Marie Guitton, « Filtrage des investissements étrangers : à quoi sert le “système d’alerte” de l’UE ? », Toute l’Europe, 11 février 2022 (https://​rebrand​.ly/​s​u​b​1​vrn).

(10) École de guerre économique, « Ingérence des fondations politiques allemandes & sabotage de la filière nucléaire française », rapport d’alerte, juin 2023 (https://​rebrand​.ly/​o​y​u​7​e3n).

La France éblouit le reste de l’Europe avec le programme le plus ambitieux du continent pour la modernisation de son armée de Terre

La France éblouit le reste de l’Europe avec le programme le plus ambitieux du continent pour la modernisation de son armée de Terre

La France éblouit le reste de l'Europe avec le programme le plus ambitieux du continent pour la modernisation de son armée de Terre
La France éblouit le reste de l’Europe avec le programme le plus ambitieux du continent pour la modernisation de son armée de Terre

Le programme de transformation de l’armée de Terre française SCORPION fête ses 10 ans.

Dix ans se sont écoulés depuis le lancement du programme SCORPION, un projet qui a radicalement transformé les capacités terrestres de l’armée française. Un événement de deux jours début avril a servi de vitrine pour prouver l’efficacité et à la pertinence des systèmes qui composent ce programme. De nombreuses délégations étrangères y étaient présentes, témoignant de l’intérêt international pour ces innovations françaises.

Le programme SCORPION fête ses 10 ans à réinventer l’armée de Terre française

Le programme Scorpion, lancé en 2014, vise à moderniser les capacités de combat de l’armée de Terre française. Son budget est inclus dans la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, qui prévoit des investissements significatifs pour les équipements militaires. Pour la période 2024-2030, le budget total des armées françaises est de 413,3 milliards d’euros, avec une augmentation progressive chaque année, atteignant 68,9 milliards d’euros en 2030. Le programme Scorpion inclut la livraison de 1 872 véhicules blindés Griffon, 300 Jaguar et 103 Serval d’ici 2033. En 2024, des crédits supplémentaires sont alloués pour soutenir les programmes à effet majeur, dont Scorpion.

KNDS suit la cadence

Depuis la mise en service des premiers véhicules en 2019, le site de montage final de KNDS France, situé à Roanne, a vu sa capacité de production tripler, passant de 92 à 300 véhicules par an. Cet accroissement fulgurant vise un objectif encore plus ambitieux : atteindre une production de 450 unités par an pour l’ensemble des modèles du programme. Cette montée en puissance témoigne de l’engagement de la France dans la modernisation de ses forces terrestres.

De 3 à 6 versions du véhicule GRIFFON

Initialement prévues en trois versions, les configurations du véhicule GRIFFON s’élargissent aujourd’hui à six, incluant notamment le GRIFFON MEPAC, doté d’un mortier embarqué pour l’appui rapproché, livré fin 2024. Ces véhicules ne se contentent pas de combler les lacunes des versions précédentes mais introduisent des améliorations substantielles en termes de puissance de feu et de capacités médicales, doublant la capacité d’évacuation des blessés graves.

Une modernisation des capacités de communication

Le programme SCORPION marque une évolution majeure dans les capacités de communication du champ de bataille avec l’intégration de stations compatibles avec le système satellite Syracuse IV. Cette modernisation est le fruit d’un consortium temporaire d’entreprises, soulignant l’importance de la coopération industrielle dans le succès de SCORPION.

En outre, les véhicules SCORPION sont conçus pour intégrer le Système d’Information du Combat SCORPION (SICS), permettant une numérisation en temps réel du champ de bataille et un combat collaboratif. Cette intégration fait de la 6e Brigade Légère Blindée la première brigade interarmes complètement « SCORPIONisée ».

Avancées technologiques et opérationnelles

Les retours d’expérience des déploiements des véhicules GRIFFON dans le Sahel et en Europe de l’Est ont permis des améliorations significatives sous l’Increment 2 du programme. Ces modifications visent à augmenter la robustesse des véhicules et à optimiser leur discrétion et ergonomie, avec des tests de qualification prévus cette année et une intégration des améliorations dès 2026.

Une vitrine internationale de l’excellence française

L’exercice BIA23 a mis en lumière le rôle crucial du consortium GME EBMR dans l’actualisation des capacités de ciblage d’artillerie et de communication par satellite, renforçant la position de la France en tant que leader en matière de technologie de défense terrestre. Les Jours du SCORPION ne sont pas seulement une démonstration de force, mais aussi une plateforme d’échange doctrinal et logistique essentielle pour façonner l’avenir de la guerre terrestre.

Les programmes militaires similaires en Europe

En Europe, plusieurs programmes équivalents au programme SCORPION de l’armée de terre française sont en cours de développement. Par exemple, l’Allemagne travaille sur le programme Puma, qui vise à moderniser ses véhicules de combat d’infanterie. L’Italie a également le programme Freccia, destiné à améliorer ses capacités de combat blindé. En outre, l’Union européenne encourage la coopération entre États membres pour développer des capacités militaires communes via le Fonds européen de défense (EDF). Ces initiatives visent à renforcer l’interopérabilité et la modernisation des forces terrestres européennes.

Programme Pays Objectif Principal Coût Estimé (milliards €) Nombre de Véhicules
Puma Allemagne Modernisation des véhicules de combat d’infanterie 12,5 405
Freccia Italie Amélioration des capacités de combat blindé 1,8 250
Ajax Royaume-Uni Développement de véhicules de reconnaissance et de combat 3,5 589
CV90 Suède Modernisation des véhicules de combat d’infanterie 1,2 500

Source : KNDS

Image : Griffon (source : Etat major des armées)

Le programme européen Military Mobility

Le programme européen Military Mobility

https://www.asafrance.fr/le-programme-europeen-military-mobility/


convoi européen

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une colonne de chars Abrams américains a traversé le territoire national à l’automne dernier à titre d’expérimentation. Cette relève s’inscrit en tant que test dans le programme M M.

 

La montée en puissance d’une défense européenne soulève la question du déplacement rapide des troupes européennes et/ou alliées. Dans ce cadre, la Commission européenne par la voix du service d’action extérieure, a initié un inventaire des capacités de mobilité en Europe. Le programme se poursuit sous le pilotage de l’Agence européenne de défense (AED). 

 

I- Le projet « Military Mobility »

Les États membres de l’Union européenne (UE) ont décidé le projet « Military Mobility » adopté en 2018 conjointement par la Commission européenne et le Haut Représentant. Il vise à assurer la fluidité des mouvements des armées et des équipements de défense en Europe et à réduire les délais de déplacement en facilitant le mouvement des troupes et des équipements de défense entre les pays.

Le financement de l’UE permet de moderniser des infrastructures, telles que des ports, des routes et des chemins de fer à travers l’Europe, afin de répondre à des normes militaires spécifiques, d’identifier des itinéraires pour le déplacement des armées et de réduire certaines formalités administratives.

A terme le projet permettra aux armées de déplacer des chars, de savoir quelles autoroutes sont sûres pour l’atterrissage des avions de chasse et de connaître la limite de poids d’un pont.

II- Extension du projet

La nécessité d’une mobilité efficace des forces armées sur le continent européen n’a cessé de croître depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022.

 En novembre de cette année-là, l’UE a inclus dans ce projet des routes et d’autres infrastructures de transport vers l’Ukraine, la Moldavie et les Balkans occidentaux, en prévision d’éventuels conflits sur le continent.

La Suisse a décidé d’adhérer au projet financé par l’UE, auquel participent des pays non membres de l’UE comme le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada et la Norvège.

La Suisse était intéressée  par ce projet  depuis longtemps, mais Berne doit encore obtenir l’approbation des États de l’UE — attendue jeudi 9 janvier — et des autres membres du projet pour rejoindre officiellement le club, selon l’ordre du jour de la réunion.

Les États membres sont maintenant sur le point d’approuver l’adhésion de la Suisse au projet « Military Mobility »,

Avec l’adhésion de la Suisse, les Européens entendent combler le trou noir qui persistait au centre du continent, que les armées des différents pays de l’Union auraient été obligé de contourner en cas de conflit, ou de franchir au cas par cas.

« La participation de la Suisse au projet Military Mobility vise principalement à améliorer les processus administratifs grâce à une standardisation accrue », a annoncé le ministère suisse de la Défense.

III- Limites

Malgré son adhésion prochaine au projet, la Suisse reste neutre militairement. « Une participation financière [au projet] n’est pas prévue pour l’instant », a également indiqué le porte-parole du ministère suisse à Euractiv.

La Turquie a été également candidate mais a été exclue du projet en raison de son conflit avec Chypre.

IV le projet « Cyber Ranges Federation ».

La Suisse souhaite également rejoindre le projet « Cyber Ranges Federation ». Piloté par l’Estonie depuis 2021, il vise à réunir les cyber-champs de tir nationaux afin d’améliorer les exercices de cyberdéfense, le partage des connaissances, l’analyse des risques, l’éducation et la formation, ainsi que les tests d’équipement.

 

GCA (2S) Robert MEILLE
Vice-président de l’ASAF
08/04/2025

Cyberguerre et IA : l’armée française est-elle prête pour les conflits du futur ?

Cyberguerre et IA : l’armée française est-elle prête pour les conflits du futur ?

Armées brouillées, infrastructures paralysées, communications falsifiées : l’intelligence artificielle redéfinit la guerre. L’armée française est-elle capable de suivre le rythme ?

par Jean-Baptiste Giraud – armees.com – publié le

cyberguerre
Cyberguerre et IA : l’armée française est-elle prête pour les conflits du futur ? | Armees.com

Depuis décembre 2024, avec la publication du 2025 Armis Cyberwarfare Report, la guerre numérique, ou cyberguerre, s’est imposée comme une réalité opérationnelle. Les chiffres sont sans appel : 87 % des responsables IT dans le monde considèrent que leur organisation est exposée à des cyberattaques d’ampleur, souvent d’origine étatique. En France, les militaires font face à un défi inédit : basculer dans une doctrine de cyberguerre alimentée par l’intelligence artificielle, tout en composant avec des infrastructures fragmentées, un déficit de talents spécialisés et une course technologique déjà lancée ailleurs.

L’IA, catalyseur des nouvelles doctrines d’engagement militaire

L’intelligence artificielle transforme en profondeur les opérations militaires. Dans le rapport Armis, les capacités d’attaque recensées font froid dans le dos : « logiciels malveillants autonomes, ingénierie sociale par IA, recommandations d’objectifs exploitables, reconnaissance automatisée de failles, désinformation massive par deepfakes ». Désormais, une IA peut identifier une vulnérabilité dans un système de défense, la transmettre à un module de frappe, neutraliser la cible en quelques secondes — sans action humaine.

L’offensive se fait invisible, rapide, globale. Des groupes affiliés à des États comme la Russie, la Chine ou la Corée du Nord exploitent déjà des IA pour attaquer les réseaux électriques, perturber les chaînes logistiques militaires ou espionner les communications chiffrées. La menace n’est pas future.

Les forces armées françaises face à la cyberguerre

L’armée française a entamé sa transition vers le combat numérique. Le Commandement de la cyberdéfense (Comcyber), créé en 2017, monte en puissance. Des partenariats ont été noués avec l’Agence de l’innovation de défense (AID) pour développer des outils d’anticipation algorithmique, des contre-mesures autonomes et des systèmes de guerre cognitive.

Mais cette mutation est entravée par plusieurs obstacles :

  • Déficit de spécialistes : la France manque d’ingénieurs en cybersécurité et IA capables d’intégrer des systèmes complexes dans un cadre militaire. En 2025, moins de 2 000 personnels sont mobilisés dans la cyberdéfense militaire, un chiffre jugé « insuffisant » par le Sénat (rapport n° 626, juillet 2024).
  • Infrastructures vieillissantes : nombre de systèmes de commandement reposent encore sur des architectures non sécurisées ou non conçues pour l’IA.
  • Budget contraint : sur les 413 milliards d’euros prévus par la Loi de programmation militaire 2024-2030, seuls 4 milliards sont fléchés vers la cyberdéfense, IA comprise. Le rapport Armis note que « 49 % des organisations ne disposent pas des moyens nécessaires pour investir dans des solutions d’IA défensives ».

Pendant ce temps, les adversaires s’organisent. La Chine déploie déjà des systèmes d’analyse en temps réel alimentés par de l’IA pour suivre les mouvements logistiques adverses. La Russie expérimente des brouilleurs autonomes qui désactivent les communications radio dès qu’un signal militaire est détecté.

Des armes nouvelles, des menaces hybrides

La guerre de demain ne se joue pas uniquement dans le cyberespace. L’IA est désormais intégrée dans les systèmes d’armes classiques :

  • Drones autonomes tactiques : ils sont capables d’évaluer un terrain, d’identifier une cible et de frapper sans validation humaine immédiate. L’armée de terre française expérimente ce type de système via le programme COLIBRI.
  • Systèmes anti-drone automatisés : ils mobilisent l’IA pour identifier des menaces dans le spectre électromagnétique et les neutraliser. Le dispositif PARADE, développé avec Thales, en est un exemple.
  • Simulation et guerre cognitive : l’IA est utilisée pour simuler des comportements adverses, manipuler l’information, créer de faux ordres de mission ou de fausses voix de commandement. Les militaires français s’y préparent, mais les capacités restent limitées.

Selon Armis, « 75 % des responsables estiment que les institutions symboles de la pensée libre, comme la presse ou l’armée, seront de plus en plus ciblées par les cyberattaques à visée de déstabilisation ». Le risque est bien là : paralyser les systèmes, semer la confusion, provoquer l’erreur humaine. Et cela, sans tirer un seul coup de feu.

L’impératif stratégique : anticiper, mutualiser, dominer

Pour que la France reste souveraine sur le théâtre cyber-militaire, trois leviers apparaissent :

1. Structurer une doctrine de cyberguerre à part entière
Il est urgent d’intégrer la cyberguerre comme composante à part entière des engagements extérieurs, au même titre que l’aérien, le terrestre ou le naval. Aujourd’hui, cette doctrine est en gestation mais encore floue.

2. Créer une filière IA de défense stratégique
Cela suppose de recruter, former, fidéliser des experts en IA appliquée à la défense. Mais aussi de sécuriser les données d’entraînement, les modèles, les infrastructures de calcul. Une IA militaire n’est efficace que si elle repose sur un écosystème souverain.

3. Intensifier la coopération interalliée
À l’échelle européenne, le partage d’outils d’IA, de systèmes de veille et de protocoles d’intervention est encore embryonnaire. Pourtant, la menace est commune, et les systèmes sont souvent interconnectés. Un pacte cyber-défensif doit être pensé, au sein de l’UE comme de l’OTAN.

Dans le domaine militaire, l’inaction coûte cher. L’intelligence artificielle ne fait qu’accélérer un processus déjà en cours : la guerre moderne se numérise, se décentralise, s’automatise. L’armée française dispose de talents, d’une doctrine adaptable et d’une expérience opérationnelle reconnue. Mais elle affronte une course contre la montre.

L’ennemi, lui, n’attend pas. Il infiltre déjà nos réseaux, cartographie nos faiblesses, programme ses frappes. Dans cette guerre, la victoire ne dépend plus seulement du courage ou de la stratégie. Elle dépend aussi… de lignes de code.

UE. Quel chemin pour conquérir notre autonomie stratégique numérique ? Trump un électrochoc salutaire !

UE. Quel chemin pour conquérir notre autonomie stratégique numérique ? Trump un électrochoc salutaire !

Par Arnaud Coustillere* – Diploweb – publié le 5 avril 2025 

https://www.diploweb.com/UE-Quel-chemin-pour-conquerir-notre-autonomie-strategique-numerique.html


*Vice-amiral d’escadre (2S) Arnaud Coustillière. Président du « Pôle d’Excellence Cyber »
CEO de Str@t Algo Conseil. Senior Advisor « Cyber & Digital ». Operating Partner “TIKEAU Capital”. Ancien COMCYBER 2011/17 et DGNUM 2017/20 au Ministère des Armées.

La route sera longue, mais l’électrochoc de la prise de pouvoir par le président Trump et de son écosystème a le mérite de nous montrer que le monde d’avant est terminé ; que celui de demain parait surtout marqué par l’incertitude, les rapports de force et les volontés de domination.

L’Europe est seule et doit reprendre en main son destin. Cela passe aussi et de façon très importante par la défense militaire, la puissance économique et le numérique qui irrigue aujourd’hui tous les pans de nos sociétés. Que chacun soit à la hauteur de ses responsabilités.

LA RECOMPOSITION géopolitique majeure qui s’opère actuellement autour du conflit en Ukraine nous démontre que l’autonomie stratégique numérique n’est plus simplement une ambition économique, mais une nécessité absolue pour l’indépendance et l’autonomie de décision de nos nations. Le monde dans lequel nous vivons est marqué par l’intensification des cyberattaques, l’ingérence étrangère et la dépendance technologique.

La France et l’Europe doivent prendre leur destin numérique en main, sous peine de s’installer définitivement dans une forme d’asservissement et de disparition progressive de leurs modèles de société. Imprégné de technologie, le sujet est aujourd’hui beaucoup plus sociétal et politique que technique. Il convient donc de le placer à ce niveau de décision et de gouvernance, celui de l’État et de notre représentation nationale et européenne, mais aussi des entreprises clientes du numérique. Ce n’est plus en premier lieu un sujet d’expert technique.

Depuis 2018 le thème de la souveraineté numérique est devenu « politique » du fait de nos dépendances à nos « partenaires-concurrents » que sont nos alliés américains et des enjeux autour de la captation des données ; chaque pays, chaque bloc, défendant de plus en plus ouvertement ses propres intérêts en utilisant le droit comme forme d’ingérence extraterritoriale.

UE. Quel chemin pour conquérir notre autonomie stratégique numérique ? Trump un électrochoc salutaire !
Arnaud Coustillière
Vice-amiral d’escadre (2S).

2018/2025 a été le temps de la prise de conscience et de la fin de la naïveté…… Mais que faire à présent ?

Nous étions partenaires, alliés mais concurrents, ce n’est pas nouveau, le président François Mitterrand le déclarait déjà ; nous nous retrouvions cependant autour de valeurs communes. La souveraineté numérique semblait davantage une affaire économique que géopolitique, bien que les problématiques des données, notamment personnelles et de santé, posaient question et étaient l’objet de tractations difficiles entre l’Europe et les États-Unis.

Heureusement de nombreuses initiatives nationales et européennes ont été lancées dès cette période, tant dans le cadre de France 2030, des actions de l’ANSSI, des certifications SecnumCloud ou encore EUCS, des clouds souverains et de confiance, de la Loi « SREN » visant à sécuriser et réguler l’espace numérique en France, du combat courageux de plusieurs députés et sénateurs, du réseau des Campus Cyber, des travaux du Cigref …

Elles sont restées dans une logique de coopération, souvent subie, avec les grands acteurs non européens, sans oser en repenser le modèle relationnel, car il y avait plus d’intérêt à utiliser leurs systèmes parfaitement performants, qu’à partir sur d’autres voies très risquées, mais l’évolution vers le cloud, l’IA et le fait de confier ses données à un partenaire « non de confiance » posent de plus en plus question.

Le numérique dans toutes ses composantes est, et sera de plus en plus un terrain de compétition, de contestation et d’affrontement, tant commercial et culturel que stratégique.

Même si les actions offensives restent en deçà d’un certain seuil de violence, elles sont une réalité. De nombreux États en conduisent comme le montre régulièrement l’agence VIGINUM, elles cherchent à saper insidieusement la confiance dans l’État, le fonctionnement de la Nation et sa cohésion. Depuis une dizaine d’années, la désinformation est orchestrée avec des attaques techniques via des campagnes hybrides habilement conduites et planifiées. L’IA est plus récemment devenue un moyen et une arme pour fausser les perceptions des populations, rendant stratégique le sujet de son encadrement et de sa régulation.

La réélection du président Donald Trump en novembre 2024 marque une rupture à plusieurs niveaux

Rupture tout d’abord dans la méthode par rapport à l’administration précédente qui œuvrait avec certaines formes pour conforter sa suprématie d’empire numérique et sa « mainmise » sur l’espace numérique européen. Brutalité, surprise, hyperactivité, incertitude, mais aussi emprise sur les médias américains….

Rupture dans les soutiens : les GAFA [1] se sont ralliés très rapidement et très fortement aux discours et actions du mouvement MAGA [2], mus par l’appât des gains financiers grâce à un monde de l’Internet débridé où les données peuvent être captées sans contrainte, l’IA développée sans contre-pouvoir ou régulation, ou encore par une vision d’un monde futuriste porté par quelques grands patrons de la Silicon Valley. On parle même de « techno droite » comme nouveau courant idéologique mêlant les utopies libertariennes et les valeurs conservatrices.

Rupture majeure dans les alliances où le président Trump casse en quelques jours et quasiment seul le système des relations internationales et des alliances issues du siècle précédent, renvoyant à la politique américaine « Big Stick Policy » du tout début du XXème siècle.

Dans ce contexte, tout peut se produire… L’ennemi d’hier parait être devenu le nouvel ami ou du moins un partenaire comme les autres.

Un agent d’influence russe serait-il à la Maison Blanche comme la presse semble s’en faire l’écho ? L’Amérique est-elle en train de devenir, elle aussi, une autocratie qui tourne le dos à toutes les valeurs qui ont construit la relation transatlantique ? La question impensable il y a encore quelques semaines, est aujourd’hui sur la table.

Nous sommes face à un monde d’incertitudes !

Quid d’un décret présidentiel mettant à disposition de l’administration américaine les données des Européens, des sociétés, ou des organisations hébergées chez les GAFA ?

Quid d’une mise sous séquestre ou prise en otage des données de nos entreprises placées chez ces mêmes GAFA, juridiquement validée en droit américain ?

L’hébergement des données en France ou en Europe chez un GAFA les met de fait sous juridiction des Etats-Unis. C’est également vrai pour les données techniques confiées aux prestataires cyber de service américains issues des capteurs déployés et exploités dans le Cloud, et encore plus pour tout ce qui concerne les métadonnées et les algorithmes.

On le sait ! En l’absence d’infrastructure, de technologie et de services performants européens, il n’y a pas vraiment d’alternatives, et c’est bien cela qu’il faut collectivement bâtir progressivement afin de disposer d’une offre complémentaire, à un juste niveau technologique.

C’est ce point qui doit changer rapidement ; une voie existe, comme le montre les différentes initiatives autour des clouds de confiance/souverain, mais qui doivent passer à l’échelle au travers d’une nouvelle relation avec les grands GAFA. Une sorte de New deal entre une « Europe unie » – États et organisations représentatives des clients, comme CIGREF, NUMEUM, MEDEF, CGPME, Clubs de Directeur des Systèmes d’Information (DSI) [3]… et des sociétés privées de droit américain qui doivent s’adapter et adapter leurs infrastructures. Ce sont, in fine, les entreprises (Comex) et les DSI qui disposent du pouvoir de passer ou pas un contrat, et de peser sur leurs fournisseurs. Il faut donc s’appuyer sur eux et en faire des acteurs clef de ces démarches par de actions collectives.

Parmi les Européens employés par ces sociétés, nombre d’entre-eux se sentent de plus en plus mal à l’aise, mais ils peuvent aussi avoir un rôle en interne pour expliquer qu’un tel comportement de voyou n’est pas créateur de confiance et de stabilité. L’incertitude est mauvaise pour les affaires à moyen terme. Loin de les considérer comme des parias, il vaut mieux échanger avec eux et les associer pour en faire des « passeurs », il existe assez d’associations pour que ce sujet soit mis sur la table sans tabou.

Faire face

Premièrement, il y a aujourd’hui urgence à se préparer face à l’incertitude entretenue par la nouvelle administration américaine !

Déjà à court terme démarrons par le plus sensible qu’est déjà le besoin de se protéger et de se défendre de façon autonome, puis se mettre en sécurité juridique – déjà les sauvegardes – les données les plus importantes, et de sauvegarder sous cadre juridique européen tout ce qui peut l’être ; SECNUMCLOUD [4] bien sûr pour ce qui mérite de l’être et plusieurs initiatives de Clouds souverains sont ou seront bientôt disponibles. En cyber, il y a des solutions européennes performantes qui méritent de pouvoir passer à l’échelle.

Ensuite, un changement de paradigme pour les DSI… A-t-on besoin partout d’innovation ou de facilités de développement, qui font recourir aux « Market Places », très performantes mais non européennes pour avoir un « time to market » le plus rapide possible ? Les outils sont extraordinaires mais en a-t ’on réellement besoin partout ? Pour les domaines sensibles, ne peut-on pas penser à des systèmes plus « à façon » hébergés sur une infrastructure européenne ?

Il faut rester maître des « données sensibles » mais aussi des « algorithmes qui modélisent les savoir- faire et les modes de fonctionnement spécifiques des organisations, là où se trouvent les plus-values et la valeur qui font le « cœur stratégique » des organisations ».

Revisitons déjà tous les contrats en cours dont souvent les tarifs explosent (Broadcom/Vmware par exemple ou encore les différents avis régulièrement émis par le CIGREF).

Certains le font ! Il faut que tous les DSI s’en saisissent. Ce sont eux qui définissent l’architecture et le recours aux prestataires ; ils ont un pouvoir de décision.

Si l’infrastructure n’est pas encore passée à l’échelle ; les initiatives Secnumcloud et EUCS+ sont en cours avec des opérateurs français lancés dans l’aventure : OVH, S3NS, SCALEWAY, NUMSPOT, OUTSCALE, BLEU, OODRIVE et autres…

Des mesures à prendre en urgence, puis un long chemin restera à parcourir pour regagner le terrain informatique abandonné aux acteurs non européens, là où nos intérêts stratégiques et les données de nos citoyens le nécessitent.

Cette rupture est voulue et provoquée par notre partenaire américain. Il renoue avec le début de la Pax America post 1914 ; il tourne le dos à une partie de son histoire et de ses valeurs. Elle ne doit pas être vécue comme un traumatisme uniquement négatif mais comme un formidable défi à relever, une opportunité à saisir, pour lesquels la France a un rôle majeur à jouer, seule et avec ses partenaires les plus proches en Europe.

Un tournant de son histoire à ne pas ou à ne plus rater.

Souvenons-nous de Suez en 1956 ! Les Français et les Britanniques ont été sommés, du fait d’un accord entre les Etats-Unis et l’URSS, de stopper leurs opérations. Cela a été le point de départ de la constitution de la Force de Dissuasion par le général de Gaulle dans l’objectif de « Retrouver notre autonomie stratégique pour défendre nos intérêts nationaux ».

Le rapport « Nora-Minc » sur l’Informatisation de la Société Française datant de 1977 avait déjà anticipé beaucoup de choses, mais que d’échecs et de démissions collectives depuis face à l’émergence de l’hégémonie américaine.

Le général de Gaulle a su mobiliser les forces vives de la Nation et créer la Force de dissuasion en une dizaine d’années.

Les États et industriels ont su s’entendre et s’allier pour créer dans les années 1970 le consortium Airbus.

Plus récemment la Nation s’est retrouvée autour de la reconstruction de la cathédrale Notre Dame. L’État a su agir aux cotés des entreprises privées et d’acteurs nombreux, le tout avec un leadership original confié à un général, domaine bien éloigné de son parcours de carrière.

Des atouts à mobiliser

Si nous avons su créer une dynamique pour restaurer une architecture vielle de 800 ans, ne peut-on imaginer comment initier et entrainer une dynamique européenne pour bâtir une infrastructure numérique autonome avec des partenaires respectueux de la liberté et de la dignité des citoyens ?

Nous disposons de beaucoup d’atouts et d’énergies à libérer. La France a été à l’initiative de l’Appel de Paris en 2019 et plus récemment du Sommet de l’IA où le monde numérique a pu montrer sa diversité et son dynamisme, pas seulement états-uniens…

Il s’agit à présent de prendre son destin numérique en main et de ne plus subir. Ce n’est pas simple, même très compliqué mais la France doit se mettre au cœur de la dynamique européenne pour l’entrainer. Rassembler autour d’elle, l’Allemagne, les pays d’Europe du nord, l’Italie, l’Espagne…. Les acteurs et entrepreneurs de toute nation convaincue de cette évolution pour transformer une faiblesse en force.

L’État ne doit pas vouloir agir seul, ce doit être une action conjointe entre politiques et fonctionnaires, mais aussi et surtout avec les représentants des entreprises consommatrices et leurs DSI (Cigref, Club Décision DSI…).

Une force vive au cœur de la vie économique et politique apte à suivre un leader pour entrainer l’Europe dans cette voie.

La France dispose des atouts qu’il faut pour se positionner en catalyseur, source d’inspiration et leader. Nous avons les écoles et les compétences de haut niveau ; cyber, IA, innovation et recherche très dynamiques, French Tech, Business France, de dispositifs d’accompagnement comme France 2030 et de levées de fond.

Les compétences, la créativité et les entrepreneurs sont également là, mais il manque un marché « domestique », français et européen, d’une taille suffisante pour leur permettre de s’épanouir et de se développer, pour passer à l’échelle…

C’est l’une des étapes les plus importantes et essentielles, voire clef. Au-delà de toutes les aides et accompagnement, il faut créer un marché européen du numérique favorable aux acteurs européens et à des partenaires choisis exclusivement sous droit européen, sur la base de relations équilibrées comme on peut le voir dans les démarches de Cloud de confiance, ou encore lors de l’IA Summit.

Coca Cola est bien une société américaine, mais elle produit en France. McDonald’s est bien américain mais sa matière première est produite en Europe…. Ce sont des images éloignées du numérique, mais il faut aussi que les GAFA comprennent que leur attitude est devenue insupportable et que cela finira par nuire à leurs affaires, tant en Europe que dans le reste du monde

Il ne faut pas oublier non plus que l’espace numérique est l’espace stratégique d’affrontement où les États se confrontent en premier, restant sous le seuil de l’agression armée, combinant des actions d’ingérence, de désinformation, de propagande, ou encore des actions plus techniques pour perturber, saboter voire détruire. Saper la force morale des populations, faire perdre confiance dans l’État et ses institutions, désorganiser la société et les armées avant l’attaque, ou encore gagner sans combattre, le summum de l’Art de la Guerre (Sun Tzu).

Le réarmement européen source de nombreuses déclarations comporte lui aussi tout un champ numérique très dual qui commence chez nos industries, institutions et organisations…

L’autonomie en cybersécurité ne se limite pas à une question technique : c’est enjeu politique, un impératif de souveraineté, de compétitivité et de stabilité sociale.

Dans ce contexte, le Pôle d’Excellence Cyber est pleinement engagé à jouer un rôle clef dans la structuration de l’écosystème français et européen, centré sur le régalien européen et aligné avec les politiques du ministère des Armées, de l’ANSSI, des institutions européennes, et de partenaires européens. Sans attendre davantage, un groupe de travail sera lancé pour débattre de ce sujet avec nos membres.

Cette réflexion rend compte d’un tournant nécessitant une vision affirmée et des actions concrètes pour renforcer notre autonomie stratégique.

Quatre grandes initiatives pourraient être envisagées

Lancer une dynamique nationale « État/Représentation nationale/Entreprises » à effet d’entrainement européen pour coordonner et suivre au plus haut niveau des États l’ensemble des actions concrètes à mener sans plus tarder. Un véritable plan d’action 2025/2027 est à construire, ainsi qu’une dynamique large soumise à une gouvernance globale regroupant l’ensemble du numérique (cyber, data, cloud, IA, quantique…) et associant en premier lieu les entreprises « consommatrices » et pas simplement les grands groupes. La France a su le faire pour les JO 2024 !

Promouvoir à la fois les offres souveraines et de confiance, mais lancer un échange entre les acteurs « français » et les GAFA pour faire comprendre que la situation actuelle est intenable et sera « perdant-perdant « comme semble le montrer les récentes évolutions de la bourse américaine. Faire des affaires ne veut pas dire écraser ou prendre son client en otage….

La Revue Stratégique 2025 lancée par le Président de la République pourrait constituer le premier réceptacle pour ses premiers travaux.

Conduire des États généraux du numérique avec l’ensemble des partenaires pour définir le plan 2027/2032, inspiré des méthodologies utilisées pour les Livres blancs sur la Défense et la Sécurité nationale. La France dispose du SGDSN rodé à ce type d’exercice.

Élargir les travaux de France 2030 en allant au-delà des seuls projets techniques. Favoriser la montée en gamme de marchés « domestiques » accessibles aux offres issues de groupements d’entreprises européennes, faciliter l’accès à des marchés (gouvernement, OIV…) d’une taille importante.

Lancer une sensibilisation et concertations avec les associations de DSI d’entreprises de toutes tailles, les éditeurs et les entreprises de services numériques ESN. Grands groupes mais aussi et surtout ETI/PME qui ont besoin de davantage de conseils et des SI moins complexes, mieux adaptés dans un premier temps à des offres de services européennes.

La route sera longue, mais l’électrochoc de la prise de pouvoir par le président Trump et de son écosystème, a le mérite de nous montrer que le monde d’avant est terminé ; que celui de demain parait surtout marqué par l’incertitude, les rapports de force et les volontés de domination.

L’Europe est seule et doit reprendre en main son destin. Cela passe aussi et de façon très importante par la défense militaire, la puissance économique et le numérique qui irrigue aujourd’hui tous les pans de nos sociétés.

Là où il y a une volonté, il y a un chemin…

Copyright Mars 2025-Coustillière/Pôle d’Excellence Cyber


Plus

Le site du Pôle d’Excellence Cyber

[1] NDLR. GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon

[2] NDLR. MAGA : Make America Great Again. Littéralement « Rendre l’Amérique à nouveau grande », soit : « Rendre sa grandeur à l’Amérique », abrégé MAGA, est un slogan de campagne utilisé par des personnalités politiques des États-Unis, dont D. Trump.

[3] NDLR. Un Directeur des Systèmes d’Information (DSI) a pour missions de définir la stratégie informatique. Le DSI est chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie informatique de l’entreprise, alignée sur les objectifs commerciaux. Cela inclut la planification des investissements technologiques et l’identification des opportunités d’innovation.

[4] NDLR. SECNUMCLOUD :« En tant qu’autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information, l’ANSSI accorde des Visas de sécurité ANSSI à des solutions, produits ou services qui démontrent un niveau élevé de sécurité et de confiance. Dans le cadre de cette démarche, l’agence a élaboré en 2016 le référentiel SecNumCloud pour permettre la qualification de prestataires de services d’informatique en nuage, dit cloud. Son objectif : promouvoir, enrichir et améliorer l’offre de prestataires de cloud à destination des entités publiques et privées souhaitant externaliser, auprès de prestataires de confiance, l’hébergement de leurs données, applications ou systèmes d’information. » Source : https://cyber.gouv.fr/

Analyse – L’Union européenne face à la guerre en Ukraine : Conflit géopolitique ou prétexte à une intégration fédérale européenne ?

Analyse – L’Union européenne face à la guerre en Ukraine : Conflit géopolitique ou prétexte à une intégration fédérale européenne ?


Projet fédéraliste de l’Union européenne
Réalisation Le Lab Le Diplo

Depuis février 2022, le conflit en Ukraine a profondément bouleversé l’équilibre géopolitique du continent européen. Officiellement, l’Union européenne s’est positionnée comme un seul bloc, solidaire aux côtés de Kyiv, au nom de la défense du droit international, de la souveraineté des peuples et de la sécurité collective. Mais derrière cette posture qui se veut le plus consensuelle, certains observateurs perçoivent un autre enjeu, moins visible : l’exploitation du contexte de guerre afin de faire avancer un projet d’intégration politique plus ambitieux, porté notamment par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et par notre président de la république, Emmanuel Macron.

Analyse – L’Union européenne face à la guerre en Ukraine : Conflit géopolitique ou prétexte à une intégration fédérale européenne ?


Un conflit aux ramifications multiples

La guerre russo-ukrainienne, dans sa forme actuelle, a éclaté en février 2022 avec l’offensive militaire de la Russie contre l’Ukraine, après huit années de tensions persistantes depuis les événements de l’EuroMaïdan, suivi de l’annexion de la Crimée en 2014. Moscou justifie son intervention par la nécessité de “dénazifier” l’Ukraine et de protéger les populations russophones du Donbass. Kyiv, de son côté, soutenu massivement par l’Occident, y voit une invasion impérialiste de la Russie. Visant à remettre en cause son intégrité territoriale et sa légitimité souveraine sur la région.

Le conflit oppose donc deux blocs : la Russie de Vladimir Poutine, soutenue plus ou moins discrètement par plusieurs puissances émergentes dans une logique de reconfiguration multipolaire ; et l’Ukraine, adossée au soutien militaire, financier et diplomatique de l’OTAN, des États-Unis et de l’Union européenne.

Trump, OTAN, UE : Une fracture transatlantique révélatrice

L’attitude de l’ancien président américain Donald Trump vis-à-vis de l’OTAN et de l’Union européenne a amplifié les doutes sur la solidité du lien transatlantique. En qualifiant l’OTAN d’organisation “obsolète” et l’Union européenne de “véhicule pour les intérêts allemands”, Trump a ouvertement remis en cause les fondements du système de sécurité européen. Plus récemment, ses déclarations évoquant l’éventualité de ne pas défendre un pays européen ne respectant pas les engagements budgétaires de l’Alliance (2 % du PIB annuel) ont renforcé un sentiment d’incertitude.

Dans ce climat de doute, certains dirigeants européens ont vu une opportunité : celle d’accélérer une intégration fédérale de l’Union, au nom de “l’autonomie stratégique”.

Des signaux clairs d’une bascule fédérale

Sous couvert de répondre aux urgences du moment, l’Union européenne a multiplié les initiatives qui dépassent largement son mandat initial. En voici quelques exemples :

  • Un prêt commun de 806,9 milliards d’euros, lancé via le plan de relance post-Covid “Next Generation EU”, a ouvert la voie à une mutualisation de la dette à l’échelle européenne – sans consultation directe des citoyens ;
  • L’euro, déjà en circulation dans 20 pays, est désormais envisagé comme levier de stabilisation politique, au-delà de son rôle économique initial ;
  • Le projet d’euro numérique, porté par la BCE, est censé moderniser les paiements dans la zone euro. Mais il suscite de vives inquiétudes : traçabilité des transactions, restrictions potentielles à l’usage, affaiblissement du rôle des banques commerciales et recentralisation du pouvoir monétaire à Francfort ; 
  • Le marché unique continue de s’étendre, imposant progressivement ses normes aux États membres, au détriment de certaines prérogatives nationales ;
  • La coopération militaire s’intensifie avec le projet d’armée européenne et les discussions autour d’un parapluie nucléaire européen, potentiellement adossé à la dissuasion française ;
  • Des fonds dédiés à la Défense, comme la Facilité européenne pour la paix (FEP) ou le Fonds européen de défense (FED), permettent à l’Union de financer directement la livraison d’armes à des pays tiers – une première historique.

Pris dans leur ensemble, ces éléments dessinent les contours d’une structure quasi-étatique. Or, cette mutation politique majeure s’opère sans mandat explicite des peuples européens.

Vers une Europe technocratique et hors sol ?

La critique principale formulée par les opposants à cette dynamique fédérale tient dans l’absence de légitimation démocratique. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, n’a pas été élue au suffrage universel des populations. Pourtant, elle a négocié et validé un prêt commun de 800 milliards d’euros engageant les générations futures, sans avoir consulté les citoyens européens.

Sur le plan militaire, domaine historiquement réservé aux souverainetés nationales, l’Union avance désormais vers une intégration doctrinale, stratégique et budgétaire. Ce glissement remet en cause le principe même de subsidiarité des États membres.

La France, quant à elle, semble opérer un recentrage stratégique. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, elle accepte de plus en plus de partager, voire de diluer, ses leviers de puissance (diplomatie autonome, industrie de défense, dissuasion nucléaire) dans une architecture européenne technocratique peu soumise au contrôle des urnes.

Un fossé grandissant entre les institutions et les peuples

Cette fracture n’est plus théorique. Lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, en février 2025, la venue du vice-président américain James David Vance a illustré le décalage croissant entre les élites européennes et leurs opinions publiques. Alors que Bruxelles et certaines capitales, Paris en tête, plaident pour une intégration stratégique plus poussée – y compris sur le nucléaire –, Washington a rappelé l’importance d’une Europe “alignée sur la volonté de ses peuples”.

Des sondages récents, évoqués en marge de la conférence, confirment cette tendance : de nombreux citoyens européens expriment leur méfiance vis-à-vis des choix opérés à Bruxelles, notamment en matière militaire, budgétaire ou énergétique. Le manque de transparence, le contournement des parlements nationaux et l’absence de référendums alimentent une crise de légitimité démocratique qui ne cesse de s’aggraver.

Une Union européenne à la croisée des chemins

L’idée d’une Europe unie reste porteuse d’espoir, comme en témoignent déjà les ambitions des traités de Maastricht. Mais l’instrumentalisation d’une crise majeure – en l’occurrence la guerre en Ukraine – pour faire progresser un projet fédéraliste sans le consentement des citoyens constitue un précédent lourd de conséquences.

L’Union européenne peut-elle encore se réclamer démocratique lorsque ses choix les plus structurants sont élaborés à huis clos, dans les couloirs de la Commission, loin des regards et des urnes ? Les idéaux d’union, de paix et de coopération sont nobles. Mais ils ne doivent pas servir de prétexte à une confiscation silencieuse des souverainetés nationales au profit d’un projet technocratique qui remet en question l’essence même de la démocratie : la libre souveraineté des peuples.


Projet fédéraliste de l’Union européenne
Alexandre Raoult

Alexandre Raoult est étudiant en master dans une grande école de commerce à La Rochelle. Photographe indépendant et jeune passionné de géopolitique, il s’intéresse également à l’histoire et à la satire politique. Il a intégré l’équipe du Diplomate média en tant que rédacteur en mars 2025.

OPINION. Brasser du vent ou défendre l’Europe ?

OPINION. Brasser du vent ou défendre l’Europe ?

Deux programmes d’équipement gigantesques sont jugés nécessaires en Europe. L’un porte sur la décarbonation, l’autre porte sur un renforcement rapide et massif des armées et de leur équipement. Ces programmes, qui demanderont chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros supplémentaires, sont financièrement incompatibles. Par Philippe Roger, Ingénieur Général de l’Armement hors classe (2S).

« La défection au moins partielle des Etats-Unis et l'observation des techniques de combat en Ukraine créent des besoins très importants, qui viennent s'ajouter à l'énorme besoin de rattrapage des effets du sous-financement chronique des décennies passées » (Philippe Roger, Ingénieur Général de l’Armement hors classe 2S)

« La défection au moins partielle des États-Unis et l’observation des techniques de combat en Ukraine créent des besoins très importants, qui viennent s’ajouter à l’énorme besoin de rattrapage des effets du sous-financement chronique des décennies…DR

Deux programmes d’équipement gigantesques sont jugés nécessaires en Europe : l’un porte sur la décarbonation, à travers des éoliennes et des parcs photovoltaïques, et, entre autres, des subventions aux véhicules électriques et à l’isolation des bâtiments. L’autre porte sur un renforcement rapide et massif des Armées et de leur équipement. Ces programmes, qui demanderont chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros supplémentaires, sont financièrement incompatibles.

En tous cas en France où on ne veut pas toucher à la durée du travail, et à l’âge de la retraite, et où on ne peut plus emprunter aux frais de nos enfants. Et où, comme ailleurs, on s’approche d’un gouffre de dépenses de santé lié au vieillissement de la population. Quels sont actuellement l’utilité et les conséquences industrielles de ces deux programmes ?

Décarbonation, une vertu qui a un prix colossal

L’intérêt de principe du programme de décarbonation n’est contesté que par des scientifiques, que le GIEC fait déclarer hérétiques. Leurs arguments sur les causes non-anthropiques de l’augmentation du taux de CO2, sur le fait que cette augmentation suit, au lieu de la précéder, l’augmentation des températures, sur le rôle dominant de la vapeur d’eau dans la régulation des températures, sur l’existence et la saturation, s’il existe, de l’effet de serre, voire sur l’influence négligeable du taux de CO2 sur l’évolution des climats, ne parviennent pas à être mieux publiés et discutés que ceux de Galilée en son temps.

Rejetons ces hérétiques dans les ténèbres extérieures, puisqu’on ne peut les mettre au bûcher, où ils dégageraient exprès du CO2. En revanche, le rythme retenu, pour des motifs politiques purs, au niveau français comme au niveau européen, pour nos actions de décarbonation, de la quasi-neutralité carbone en Europe en 2050 à la suppression des véhicules thermiques en 2035, peut et doit être contesté sans risquer le bûcher. On peut à bon droit le considérer comme infondé et suicidaire.

Infondé, car l’objectif de CO2 visé pour l’Europe ne ferait gagner que 0,014 degrés sur la température finale « moyenne » de la Terre, d’après les formules mêmes du GIEC, la part de l’Europe dans les émissions « fossiles » du monde étant de 7,2% du total mondial. Pendant ce temps, les 92,8 % restants semblent ne faire l’objet que d’efforts minimes, et l’idée selon laquelle le concours de vertu publique des COP va obliger le reste du monde à se repentir et à nous imiter ne tient pas plus la route que celle qui voit la France, lumière du monde, imposer par son exemple la paix, la laïcité, ou l’égalité hommes-femmes, au reste du monde béat d’admiration. Pour la France, qui pèse 10% du total européen d’émissions, donc 0,72% du total mondial, l’objectif visé amènerait à gagner 0,0014 degrés, soit une quantité imperceptible pour le commun des mortels, qui supporte allégrement 15 degrés d’amplitude diurne, comme pour la Planète, qui en a vu d’autres.

Suicidaire, car il accélère le remplacement des produits de notre industrie par des importations, et l’exode de nos capitaux pour construire des usines ailleurs. Ce d’autant que notre industrie et notre agriculture sont déjà extrêmement affaiblies, victimes depuis longtemps de décisions politiques dépourvues de toute base scientifique, limitation du nucléaire à 50% de la production d’électricité en 2035, arrêt des réacteurs surgénérateurs, refus de tout OGM, refus du glyphosate, interdiction de la prospection d’hydrocarbures, menace permanente de l’obscurantiste mais constitutionnel-principe-de-précaution, et j’en passe.

La fureur déconstructrice ne s’est pas donnée libre cours que dans la philosophie et l’Éducation Nationale. C’est à ce rythme dément qu’il faut maintenant s’attaquer. Les objectifs retenus à Bruxelles de façon uniforme pour tous les États membres,sans tenir compte en rien des investissements que nous avons faits pendant des années sur la production nucléaire d’électricité, doivent être révisés très fortement à la baisse, et les dates arbitrairement fixées pour les atteindre doivent être reculées, pour tenir compte du rythme de la décarbonation en Chine, en Inde, et aux États-Unis.

Il est ridicule de détruire nos industries sans effet notable sur les émissions mondiales de CO2, qui ne dépendent en pratique, vu la désindustrialisation européenne, et vu les efforts déjà faits en France, que de la politique de nos lointains concurrents, qui se moquent de notre vertu comme de leur première centrale à charbon.

Parmi les outils que nous employons pour tenir ce rythme, il faut prêter une attention particulière à la production éolienne et solaire. Le nucléaire constitue environ les trois-quarts de la production électrique française. Pour le réduire à 50%, c’est environ le tiers de sa production qui devra donc, vers une date qui a aujourd’hui été fixée à 2035, avoir été remplacé par une électricité qui ne pourra pratiquement être que de l’éolien et du solaire, seuls moyens décarbonés disposant du potentiel de croissance nécessaire. D’où, pour être à ce rendez-vous, leur développement à marche forcée actuel.

Mais, n’étant pas pilotables du fait de leur intermittence, on ne peut compter sur eux : ils ne permettent pas de fermer des réacteurs nucléaires, sauf à mettre en service au fur et à mesure, comme l’Allemagne, des centrales thermiques de puissance équivalente. D’où la décision, début 2022, de prolonger la durée de vie des réacteurs du parc actuel jusqu’à au moins 60 ans, ce qui, au vu de ce qui se fait dans le monde, ne devrait pas poser de problème majeur, et reporter vers 2040 les premières fermetures. En définitive, du fait que l’on a attribué à l’éolien et au solaire la priorité d’injection sur le réseau, en particulier par rapport au nucléaire, le seul résultat de leur croissance est une diminution équivalente de la production du parc nucléaire. Non seulement cela ne réduit pas les émissions de CO2, et au contraire les augmente en Chine, mais c’est un véritable non-sens économique et technique.

Il résulte en outre de cette priorité d’injection, qui équivaut pratiquement à une garantie d’achat, et de ce qu’ils disposent d’un prix de vente garanti pour 20 ans très incitatif, et toujours très supérieur à celui du nucléaire qu’ils remplacent, d’une part une explosion des factures d’électricité des particuliers et des industriels et, d’autre part, qu’ils sont une affaire extraordinaire pour leurs opérateurs. De plus leur dispersion géographique (moindre pour les éoliennes marines, qui présentent plus d’intérêt) oblige à construire ab nihilo un maillage serré de lignes électriques ; rien que pour ce bouleversement du réseau, on pense devoir investir 100 milliards, rien qu’en France.

Il faut ajouter que l’injection forcée d’électricité intermittente amène fréquemment, pour ne pas dépasser le niveau de la consommation, à réduire puis remettre à niveau la puissance de nos centrales nucléaires. Ces cycles vont en fatiguer les éléments, en réduire la durée de vie, en augmenter les coûts de maintenance. Comme aucun pays n’a utilisé ainsi ses réacteurs pour compenser des variations rapides d’une production massive d’énergie éolienne et photovoltaïque, on ne dispose d’aucun retour d’expérience sur ce mode de fonctionnement inquiétant.

On détruit aujourd’hui à tour de bras le bénéfice des sages investissements faits autrefois dans la production d’électricité nucléaire. On marche sur la tête ! Faut-il, pour gagner le concours de vertu auquel nous, Européens, sommes les seuls à vouloir participer, continuer des politiques suicidaires, dont la base lointaine a été électoraliste, pour nous trouver faute d’armes aux mains d’occupants dont les élections ne seront pas le premier souci ?

Comment financer le réarmement en Europe

Le programme de réarmement européen est lancé maintenant depuis trois ans et nous avons pu doubler ou tripler nos cadences de production d’armes, au profit de l’Ukraine, mais aussi pour commencer à nous remettre à niveau. Mais « la défection au moins partielle des Etats-Unis, et l’observation des techniques de combat en Ukraine, créent des besoins très importants, qui viennent s’ajouter à l’énorme besoin de rattrapage des effets du sous-financement chronique des décennies passées. Or, ce n’est pas à Bruxelles que l’on trouvera les financements nécessaires, car les centaines de milliards évoquées par la Commission ne sont que des autorisations d’endettement des États, dont nous ne sommes plus en état de profiter. »

L’appel actuellement fait à l’épargne privée ne répond qu’à la marge à la question. En effet, nul industriel ne va voir son banquier pour lui demander de financer la production en série d’armes, s’il n’y a pas de perspective, et même de quasi-certitude, d’obtenir des contrats. Or ces contrats ne peuvent venir que des États, seuls clients, États qui engagent des crédits budgétaires.

A fortiori, on ne peut demander à emprunter pour le développement de nouveaux matériels complexes, car le risque technique et l’impossibilité de prédire si l’on trouvera un client rendent impossible la spéculation, tant pour l’industriel que pour le banquier. En particulier, emprunter de quoi développer en spéculation un matériel complexe destiné uniquement à l’export serait une folie financière, du fait du montant à engager et du fait que les clients étrangers ne veulent pas d’armes que les Armées du pays fabricant n’ont pas mises en service.

Cet appel aux banquiers, et à l’épargne privée, ne doit être envisagé, à mon sens, que pour alimenter des fonds de roulement, et préfinancer une partie des outillages, et pour faire crédit aux clients export, et uniquement pour des armes dont la production est déjà sous contrat ou va l’être sous peu. Certes, ce n’est pas rien, mais le flux financier du réarmement restera, à mon avis pour 80 à 90%, budgétaire. La modification des pratiques des banquiers, lancés eux aussi, jusqu’à aujourd’hui, dans un concours de vertu autoproclamée, aura toutefois un petit intérêt psychologique pour les acteurs de l’armement, ces pelés, ces galeux, dont nous venait tout le mal.

C’est pourquoi il faut maintenant s’attaquer à une au moins des vaches sacrées budgétaires qui paissent sur nos impôts et nos emprunts, et génèrent, outre du méthane à effet de serre, des dettes. Et, comme aurait pu le dire le regretté Professeur Choron, le premier qui dit qu’il ne s’agit pas de vaches mais de danseuses a perdu. Commençons donc par les énergies intermittentes terrestres, cela soulagera nos centrales, nos finances et notre balance commerciale, et cela réduira les émissions de CO2 de la Chine, quoi de plus vertueux ?

Mais les crédits budgétaires ainsi réorientés, quel serait leur effet ? Ils fourniront de la sécurité par une production accrue des produits déjà développés de l’industrie française existante, donc sans obérer notre autonomie stratégique comme le feraient des achats d’armes hors d’Europe, et bien sûr sans effet négatif sur notre balance commerciale. Certains de ces produits résultent d’une coopération bilatérale comme le missile SCALP ou le missile anti-aérien Aster, ou multilatérale comme l’avion de transport A400M ou l’avion ravitailleur MRTT, et produiront les mêmes effets dans les pays participants.

Ils auront un effet important sur l’industrie et sur les recettes de l’État qui en proviennent, même si ce n’est pas leur objectif premier. C’est autre chose que de brasser du vent avec du CO2 importé de Chine, pour continuer sur un chemin tracé il y a longtemps pour ramasser des voix. Ces crédits financeront aussi la recherche et le développement (R&D), si possible en coopération européenne, d’armes plus évoluées, qui seront nécessaires dans une dizaine d’années ou plus. Et le développement rapide des systèmes plus simples dont la nécessité est apparue en Ukraine, et qui n’ont pas besoin de passer par la complexification et les retards qu’entraîne nécessairement la définition d’un besoin et d’un produit communs à plusieurs pays.

C’est dans ce domaine de la R&D, donc du long terme, que les propositions d’abondement des crédits nationaux par des crédits européens, présentées par la Commission pour favoriser les développements en coopération, ont leur intérêt, mais il ne faut pas oublier que le budget européen est soumis comme les budgets nationaux à la nécessité d’arbitrages, et qu’il faudrait là sacrifier plutôt des mammouths sacrés que des vaches. Vaste programme !

Si les dépenses à faire en France vont fournir de la sécurité et, accessoirement, de l’activité ne nécessitant pas d’importations, c’est que l’industrie française, créée pour l’État et sur son budget, dispose des types de matériels dont on veut accélérer la production, et des bureaux d’études compétents pour s’attaquer aux sujets nouveaux, tels que les lacunes capacitaires listées par l’OTAN et par l’Agence Européenne de Défense (par exemple missiles de croisière à grande portée, défense antimissiles élargie, Intelligence artificielle du champ de bataille, connectivité spatiale).

Tout cela résulte de la politique d’autonomie stratégique menée avec continuité pour l’État par la Direction générale de l’armement (DGA) depuis les années soixante, principalement au profit des forces de dissuasion, avec le CEA/DAM, politique qui a aussi porté par entraînement toute l’industrie des armements conventionnels au meilleur niveau. La France a su mener des programmes d’armement sans attache étrangère autre que celles des coopérations européennes qu’elle a décidées et organisées. Elle dispose avec la DGA et son industrie d’outils sans équivalents en Europe.

En Allemagne, en Pologne, en Italie, en Espagne, et bien sûr en Ukraine, il existe des organisations et une industrie de même nature, qui pour l’instant sont dans beaucoup de secteurs techniques moins développées, et souvent orientées vers l’achat ou la production sous licence de systèmes américains. C’est ce qui fait, au fond, la difficulté des coopérations européennes, quand chacun essaye d’acquérir chez son voisin des compétences nouvelles au lieu de se contenter d’apporter ce qu’il sait déjà faire.

Cette difficulté est moins forte avec la Grande-Bretagne, qui est à parité technique avec nous dans beaucoup de domaines, et qui, pour l’instant, est la seule à partager avec nous une doctrine d’emploi de la force. L’exclure du mouvement de réarmement serait une profonde erreur. Ces pays vont comme nous augmenter la production des armes déjà développées, et, pour l’avenir, il faut espérer qu’ils privilégieront les coopérations européennes, et les achats en Europe, dans le champ actuellement occupé par les importations de matériels américains. La Commission veut s’employer à les en convaincre.On peut donc considérer que nous avons ce qu’il faut, en France et ailleurs en Europe, pour remettre nos armes au niveau nécessaire, mais il y faut un peu de temps. Et beaucoup d’argent. Trouvons-le !

Que faire ?

Il faut, pendant une bonne dizaine d’années, mettre bas celles des armes dirigées contre le gaz carbonique qui sont inutiles et dommageables, pour construire plus rapidement les armes nécessaires à notre survie et à celle de l’Europe, et étoffer nos armées. Cela s’impose à nous comme aux autres Européens. Si, dans dix ans, nous avons survécu, et recréé les conditions matérielles de la paix, nous pourrons à loisir reprendre l’importation à bride abattue de parcs de moulins à vent et de panneaux solaires. Et en finir avec les restes de notre industrie et de notre agriculture, aux applaudissements de nos concurrents et fournisseurs chinois et américains, dont les dégagements de CO2 pourront ainsi croître et embellir. Mais, d’ici là, moins de moulins à vent, plus de canons !