Accélérer la production, cette rupture qu’espère le ministre des Armées pour 2025

Accélérer la production, cette rupture qu’espère le ministre des Armées pour 2025

– Forces opérations Blog – publié le

L’année 2025 sera synonyme de « ruptures puissantes », assurait hier le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Parmi ces axes d’effort, une montée en cadence de la production d’armement qui exigera de gagner en audace, en simplification, en agilité et en compétitivité tout en restant vigilant face à certaines entraves persistantes ou potentielles notamment à l’échelle européenne. 

« Nous ne devons pas faiblir ». Le ton adopté lors des traditionnels voeux aux armées aura été clair, direct, parfois tranchant. Sébastien Lecornu avait fixé un cap en 2024, celui d’un réarmement devenu nécessaire « alors que le monde devient de plus en plus désordonné et brutal, alors que la course aux technologies est de plus en plus rapide et dérégulée, alors que les menaces se cumulent pour notre sécurité ». 

De ce constat découlent des lignes directrices pour les 12 prochains mois. Ou, plutôt, des « ruptures puissantes pour nous donner des capacités militaires concrètes et efficaces que l’histoire décidera ou non de mettre à l’épreuve », annonçait le ministre des Armées depuis la cours des Invalides. L’une d’entre elles consistera à accélérer encore sur la production de matériels militaires, une dynamique appelant à la prise de risque « pour faire plus, pour faire mieux et pour faire plus vite » et dans laquelle certaines grandes nations alliées ou concurrentes à l’exportation ont pris de l’avance. 

Cette rupture, c’est le fondement d’une économie de guerre présentée en juin 2022, largement théorisée depuis lors mais seulement partiellement mise en œuvre aujourd’hui. Le doublement de production d’obus de 155 mm et de missiles MISTRAL, ou encore le nouvel outil de production qu’EURENCO inaugurera à Bergerac au printemps en sont de trop rares exemples. « Soyons lucides, nous ne sommes qu’au début de ce que nous devons accomplir pour être au niveau d’une véritable économie de guerre », admettait Sébastien Lecornu tout en déplorant des freins « encore trop nombreux ». 

Parmi les chantiers à poursuivre, un agenda européen de soutien à l’industrie de défense « utile » mais dont la construction n’exclut pas, du moins pour l’instant, le spectre d’un cheval de Troie américain. Effort principal, le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP), vise certes à muscler l’autonomie mais pose la question de l’appui financier à la production d’équipements sous licence américaine. Un hiatus dont la France s’est emparée de longue date et qui se maintient à l’heure où la Pologne prend la tête du Conseil européen pour les six prochains mois. 

« Nous ne céderons rien », assure le ministre des Armées. Il est désormais impératif, pour ce dernier, que le pilotage des priorités reste dans les mains des États membres, que les autorités européennes participent à accélérer et simplifier le fonctionnement de la filière plutôt que de se substituer aux États par de nouvelles contraintes. Garantir l’équilibre des pouvoirs dans un secteur régalien, « c’est tout l’enjeu de la négociation en cours sur EDIP ». Et « en la matière, il vaut mieux ne rien faire que de faire mal », martelait Sébastien Lecornu. 

Autre chantier majeur, le financement des entreprises de défense s’avère plus que jamais nécessaire pour « investir dans de nouvelles machines, dans des stocks plus importants, dans la formation et, bien sûr dans les recrutements ». Ici aussi, l’Europe s’expose au tacle ministériel. « La taxonomie européenne actuelle génère encore un effet d’éviction au financement de nos entreprises de défense. Cela n’est pas acceptable ». Derrière ce combat mené à l’Europe, le degré national fera l’objet d’une réunion au premier trimestre 2025 des acteurs du financement et de l’industrie pour préciser les modalités de mise en oeuvre de nouvelles mesures incitatrices. 

L’export, parallèlement, « est vital pour développer notre base industrielle et technologique de défense ». Celle-ci s’en est bien sortie l’an dernier, avec plus de 18 Md€ de prises de commandes dont près de 10 Md€ pour des plateformes emblématiques. Si 2024 restera la deuxième meilleure année de l’histoire de la BITD française, « l’année 2025 s’annonce comme une excellente année », poursuivait Sébastien Lecornu avant de confirmer l’achat par l’Irak de 14 hélicoptères Caracal. 

Une nouvelle année record doit se profiler à l’horizon selon le ministre, à condition de transformer les essais sur les bâtiments de surface – « de frégates de défense et d’intervention en particulier » -, l’artillerie, les radars, les hélicoptères. L’effort portera également sur un système SAMPT NG « qui répond fondamentalement aux prochaines menaces balistiques notamment venues d’Iran et de Russie ». Pour s’en assurer, la BITD doit néanmoins gagner en compétitivité. L’exigence matérielle des clients s’assortit en effet de nouveaux critères de contraction des prix et des délais. Ce à quoi, justement, l’accélération visée pour l’an prochain tend à répondre. 

Crédits image : X/Sébastien Lecornu

Menaces sur l’industrie d’armement française

Présentation : Le Groupe “Vauban”, est composé d’experts des questions de Défense soucieux de préserver la souveraineté nationale notamment dans le domaine stratégique de l’industrie d’armement.
Les deux articles ci-dessous, parus fin 2024 dans La Tribune, ont pour objet d’alerter et de sensibiliser les Français sur les conséquences des opérations  de recomposition envisagées et en cours des alliances dans l’industrie d’armement européenne.
Selon les conclusions de l’analyse très argumentée réalisée par le Groupe “Vauban”, la situation de l’industrie de défense française, atout majeur de la souveraineté de notre pays en sortirait très affaiblie.

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L’Europe coalisée contre la France
Les deux Bruxelles contre la France
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Où va l’Union européenne dans le domaine de l’industrie de la défense ? Selon le groupe Vauban, la création d’un marché unique au niveau européen ouvrira la porte aux industriels américains, israéliens et sud-coréens avec la création d’une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense. Elle permettra une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE », selon une recommandation du rapport Draghi. C’est pour cela que la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a souligné le rôle de l’Otan qui est, selon elle, « la colonne vertébrale » de la défense commune.

Dans sa longue histoire, la France s’est régulièrement retrouvée seule face à une Europe coalisée contre elle : la force de son État-nation, de son génie diplomatique et militaire et de son rayonnement culturel lui a toujours permis d’y faire face. Les guerres de Louis XIV puis celles de la Révolution et de l’Empire, jusqu’aux décisions diplomatiques et militaires du général de Gaulle, en témoignent. L’Histoire se répète aujourd’hui sous d’autres formes, moins épiques mais tout aussi décisives : la résurrection de la Communauté Européenne de Défense de 1952, l’alliance germano-italienne dans le domaine terrestre (avant son prolongement ultérieur dans le domaine naval), et l’accord germano-britannique de Trinity House, prenant à revers le Traité de Lancaster House et celui d’Aix-la-Chapelle, en sont trois récentes manifestations.

Au terme de ces développements, la France n’est nulle part dans une Europe qu’elle prétend pourtant bâtir mais qu’elle n’a ni volonté ni constance pour la guider vers le sens de ses intérêts.

Bruxelles la fédérale ou la « volière des cabris »

L’âme de la première coalition anti-française est à Bruxelles. S’arrogeant des compétences qu’aucun traité ne lui reconnaît, la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, use et abuse des mêmes procédés, dénoncés en son temps par la France lors de la politique de la chaise vide (mai – juillet 1965) : utilisant avec zèle son droit d’initiative, elle prend prétexte du marché intérieur pour réglementer le domaine de la Défense, sanctuaire pourtant exclusif des États-nations.

Avec ses manières à la fois arbitraires et bureaucratiques mais toujours opaques, car avançant masquée, elle promet à ce secteur le même sort que les autres domaines dont elle s’est occupée depuis 1958 : la ruine totale au profit de la concurrence extra-européenne. L’agriculture, les transports, l’énergie, la métallurgie, l’automobile ont été sacrifiés sur l’autel de ses décisions et de ses convictions : les mêmes remèdes produisant les mêmes causes, la Défense ne fera pas exception.

En ce sens, le rapport Draghi et la nomination d’un Commissaire européen à la défense accélèrent le processus, amorcé en 1952 avec la CED. La marche fédérale de von der Leyen consiste en cinq étapes claires dont la caractéristique commune est de reposer sur des principes tous aussi faux que néfastes aux systèmes de défense de chaque État-membre :

L’Europe sous les fourches caudines américaines

Ce schéma n’est ni imaginaire ni exagéré : c’est très exactement l’Europe de la Défense que dessine le rapport Draghi et que M. Kubilius s’efforcera, pas à pas, de concrétiser durant son mandat. En ruinant assurément le secteur de l’industrie d’armement en Europe, il détruira l’objectif même recherché : la défense de l’Europe par elle-même. Que nombre d’États-membres n’aient pas protesté, se conçoit : comme le disait le général De Gaulle [1], « les Allemands, les Italiens, les Belges, les Pays-Bas sont dominés par les Américains ».

Mais il est tragique de constater qu’en France, il n’y aura plus communistes et gaullistes – ou un Mendès-France – pour faire échec à cette CED nouvelle version. Les communistes ont disparu et les gaullistes, depuis Jacques Chirac, se sont ralliés à la fédéralisation de l’Europe tout en maintenant la doctrine de dissuasion française, refusant de voir que l’une sacrifie délibérément l’autre. Aucun parti, y compris le RN, ne va jouer le rôle-clé qu’il aurait pu jouer sur ce dossier, à l’instar de celui joué par le gaullisme en 1954.

Cette marche à la supranationalité ne sera donc pas freinée par les États-membres sans géopolitique ni par les partis souverainistes sans courage, mais bel et bien recadrée par ceux-là même à qui elles profitent in fine : l’OTAN et les Etats-Unis, car ce que Madame von Der Leyen n’a pas voulu voir ou dire, c’est que sa CED à elle, en faisant doublon à l’OTAN, se condamne d’elle-même.

L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense. « To get the U.S in, the Soviets out and the Germans down » : cette définition cynique de l’OTAN formulée par le premier Secrétaire-Général de l’OTAN, Lord Ismay, reste toujours d’actualité.

L’Europe de la défense de Mme von der Leyen se dissoudra donc dans le pilier européen de l’OTAN, donnant ainsi raison au général De Gaulle : « Vous savez ce que ça veut dire, la supranationalité ? La domination des Américains. L’Europe supranationale, c’est l’Europe sous commandement Américain » [2].

La seule initiative qui subsistera sera la communautarisation forcée de l’industrie de défense des États-membres, annoncée dès le 8 juillet 2017 par Mme Goulard, éphémère ministre de la Défense française : « Si nous voulons faire l’Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, faire des choix de compatibilité et, à terme, des choix qui pourraient passer dans un premier temps pour aboutir à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders ». La perte de souveraineté industrielle assumée est toujours d’actualité si l’on en croit MM. Cingolani et Folgiero, respectivement PDG de Leonardo et de Fincantieri qui ont repris récemment la même antienne…tout en s’assurant que cette Europe industrielle-là se fera sous leur tutelle [3].

Au bilan, la seule « politique de la chaise vide » que la France aura faite, n’a pas été le fruit d’une décision d’un ministre de la Défense français qui s’affiche gaulliste, mais de quelques industriels tricolores qui ont refusé de signer leur arrêt de mort sur l’autel de la fédéralisation de l’industrie d’armement. Deux d’entre eux sont les maîtres d’œuvre de la dissuasion : ce n’est pas un hasard tant la CED de Mme von Der Leyen est négatrice de la doctrine de dissuasion nationale qui suppose la souveraineté intégrale et non la servitude volontaire aux deux Bruxelles.

[1] C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, Tome II, page 296
[2] Op.cit.
[3] Propos extrêmement clairs de M. Cingolani, Corriere della Serra, 27 octobre 2024, liant perte de souveraineté et leadership« Dans l’espace, comme dans la défense, ce qui est petit n’est pas beau et même une taille moyenne comme la nôtre ne suffit pas : les entreprises européennes doivent s’allier, sacrifiant leur souveraineté sur le petit marché intérieur pour pouvoir rivaliser ensemble sur l’immense marché mondial. Leonardo fait office de sherpa dans ce domaine et avec Rheinmetall, nous avons atteint un premier sommet historique ».

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L’Europe coalisée contre la France
L’Allemagne, l’âme des coalitions de revers
(2/2)

Après avoir exploré les pièges de la résurrection de la Communauté européenne de défense de 1952, le groupe Vauban décrypte la stratégie de marginalisation de la France par l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne avec l’alliance entre Berlin et Rome dans le domaine terrestre et l’accord de Trinity House avec Londres.

L’âme de la deuxième coalition est, sans surprise, à Berlin même. Poursuivant sa politique de champions nationaux (Diehl dans les missiles ; OHB dans le spatial ; Rheinmetall plus que KMW, dans les blindés ; Hensoldt dans l’électronique de défense ; TKMS dans le naval ; Renk et MTU dans la propulsion) et de récupération des compétences qui lui font encore défaut (propulsion spatiale, satellites d’observation et aéronautique de combat et missiles), l’Allemagne a compris depuis les années 90 qu’elle obtiendrait beaucoup plus d’une France récalcitrante en faisant des alliances de revers que par la négociation directe.

En ce sens, l’actualité récente est la réédition des années 1997 à 2000, années où Berlin a proposé à Londres des fusions de grande ampleur : Siemens avec BNFL, bourse de Francfort avec celle de Londres, DASA avec British Aerospace. A chaque fois, il s’agissait moins de forger des alliances de revers que de faire pression sur la France. Trop faible pour voir clair dans ses intérêts et le jeu de ses concurrents, trop altruiste pour voir toute la naïveté et la portée de ses actes, la France de Lionel Jospin a offert la parité à l’Allemagne dans le domaine de l’aéronautique, elle qui n’en demandait au mieux que le tiers (qu’elle pesait au demeurant très justement…).

L’Allemagne, l’âme des coalitions de revers

Avec ses alliances en Italie (dans le domaine des blindés) et au Royaume-Uni (sur l’ensemble des segments), Berlin tend à Paris de nouveau le même piège : « cédez sur le MGCS et le SCAF, ou nous actionnons l’alliance de revers ». L’Europe de l’industrie d’armement qui se prépare, n’est en réalité qu’une coalition contre les thèses françaises dans la Défense et son indispensable corolaire, l’armement. Nulle surprise dans ce constat : dominant ses concurrents militaires et industriels grâce à l’héritage gaullien, possédant le sceptre nucléaire qui lui ménage une place à part dans le concert des grandes nations, influente par son siège au Conseil de sécurité aux Nations-Unies et ses exportations d’armement, la France est le pays à ramener dans le rang des médiocres aigris et jaloux et de la petite bourgeoisie de la défense européenne.

Rien de nouveau sous le soleil européen puisque, si l’on en croit Alain Peyrefitte, le général De Gaulle faisait déjà cette analyse : « Pour la dominer aussi, on s’acharne à vouloir la faire entrer dans un machin supranational aux ordres de Washington. De Gaulle ne veut pas de ça. Alors, on n’est pas content, et on le dit à longueur de journée, on met la France en quarantaine. » (13 mai 1964).

La menace Rheinmetall

Marginalisée depuis la création de KANT puis de KNDS, méprisée voire sacrifiée en France même par le gouvernement de François Hollande en 2015 avec la complicité des députés UMP, l’industrie terrestre nationale ne vit que par des îlots (canons, tourelles, obus), ayant abandonné les chars (sans que la DGA ne réagisse en 2009 lors de la suppression de la chaîne Leclerc par Luc Vigneron), les véhicules blindés chenillés (choix très contestable du tout-roues), l’artillerie à longue portée et saturante ; écrasée par la férule de Frank Haun, désormais noyé dans KNDS France sans trop oser se défendre lui-même, Nexter est menacé de disparition par la double alliance KMW/Rheinmetall au sein du MGCS et Rheinmetall/Leonardo dans l’ensemble des segments.

Aveuglé par le couple franco-allemand, Paris n’a pas accordé assez d’attention à la montée en puissance de Rheinmetall, vrai champion du terrestre allemand, qui, par commandes et acquisitions, se retrouve enraciné en plein milieu du jeu allemand (comme future actionnaire de TKMS et bras armé de la politique ukrainienne de Berlin), et de la scène européenne qu’il a conquise pas à pas : en Hongrie d’abord, puis au Royaume-Uni, en Lituanie, en Roumanie, en Ukraine, en Croatie et désormais en Italie, sans oublier d’établir la relation transatlantique (avec Lockheed Martin sur le F-35, avec Textron sur la compétition Lynx et en achetant le constructeur Loc Performance Products). La toile tissée par Rheinmetall en Europe est une véritable coalition contre les positions françaises.

Un partage de l’Europe sans la France

Le même coup de faux se prépare avec l’accord germano-britannique de Trinity House qui, même s’il ne réalisera pas toute ses prétentions faute de compétences et de moyens, érige un axe concurrent durable et redoutable dans des domaines clés pour la France : le nucléaire, les systèmes de missile à longue portée, les drones d’accompagnement des avions de combat de future génération, la robotique terrestre, la patrouille maritime.

Fidèles serviteurs de l’OTAN et de Washington, animés d’un désir de mettre la France en position d’infériorité militaire et industrielle, les coalisés se sont partagés l’Europe : à l’Allemagne, la défense du flanc Nord de l’OTAN ; à l’Italie, la défense du flanc Sud joignant théâtre de la Méditerranée orientale à l’Asie-Pacifique ; au Royaume-Uni, la Turquie, la Pologne et les pays baltes en liaison avec l’Allemagne. Les contrats industriels suivent les diplomates, avec une moisson gigantesque de chars de combat Leopard, de véhicules blindés Boxer, de l’artillerie RCH-155, de véhicules blindés de combat d’infanterie Lynx et de chars Panther et de systèmes sol-air (22 pays membres de l’initiative allemande ESSI).

La France nulle part dans l’Europe qu’elle prétend bâtir

Au bilan, la France est nulle part dans cette Europe qu’elle prétend pourtant bâtir ; elle n’a pas eu le courage politique de s’opposer aux dérives illégales de la Commission européenne en pratiquant la politique de la chaise vide ; son gouvernement est un mélange instable de fédéralisme affirmé, d’atlantisme assumé et de gaullisme à éclipses : comment pourrait-il mener une autre politique que celle « du chien crevé au fil de l’eau » (De Gaulle) consistant à se couler avec facilité et confort dans le mainstream institutionnel otanien au nom de l’Ukraine ? Comme lors de la IVe République, ses partis politiques sont occupés à la tambouille politicienne et ne pensent plus le monde selon les intérêts nationaux mais selon les intérêts de l’OTAN, de l’Ukraine et d’Israël.

Alors que la France s’épuise en débats stériles politiciens dans un régime devenu instable (les deux vont de pair), ses positions stratégiques en Europe se dégradent :

Le pire est que ces développements ont été portés par la classe politique elle-même qui les a encouragés à coup de proposition de « dialogue sur la dissuasion », « d’autonomie stratégique européenne » ou de programmes en coopération mal négociés, en mettant de côté les aspects gênants comme les divergences de doctrine, de niveau technologique et d’analyses sur les exportations.

Le pire est également que ces développements se profilent au moment même où la France, faute de limiter son gouvernement aux seuls domaines régaliens et de créer la richesse au lieu de la taxer et de la décourager, n’a plus les moyens de sa défense : comment celle-ci pourrait-elle en effet continuer de résister à la dérive des finances publiques, à la sous-estimation systématique de tous ses besoins (des capacités négligées aux infrastructures délaissées en passant par les surcoûts conjoncturels prévisibles mais ignorés) et à la mauvaise gestion de ses finances propres (comme en témoigne le montant faramineux des reports de charges) ?

Si la LPM est officiellement maintenue en apparence, ses fondements financiers, déjà minés dès sa conception par un sous-financement général, apparaissent pour ce qu’ils sont : insuffisants à porter le réarmement national de manière durable et soutenu. Faudra-t-il comme Louis XIV vendre l’argenterie royale ? Faudra-t-il vendre des biens nationaux comme la Révolution le fit dans son incurie ? Ou lui faudra-t-il écraser d’impôts les Français comme le Premier Empire s’y est résigné pour éviter l’emprunt ?

Une révision drastique de ses alliances

La rupture avec les deux Bruxelles est la double condition de la renaissance nationale. Face à l’Europe coalisée contre son système de défense, la France n’aura pas d’autre choix qu’un sursaut passant par une révision fondamentale du rôle de l’État, c’est-à-dire la réduction drastique de ses interventions sociales et économiques ruineuses et inefficaces, et d’une révision complète de son cadre d’alliances, afin que celles-ci la fortifient au lieu de l’atrophier.

La guerre froide n’a pas empêché ni la politique de la chaise vide ni le retrait du commandement intégré de l’OTAN, c’est-à-dire de quitter les deux Bruxelles au profit d’une politique du grand large, et pourtant le général de Gaulle qui a pris ces deux décisions majeures, n’était ni irresponsable ni irréfléchi. Les fruits de la grande politique qu’il a voulue, sont connus : un rayonnement considérable de sa diplomatie et de ses exportations d’armement.


Groupe Vauban*
Article paru dans « La Tribune »
04 et 05/11/2024

[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

OPINION. Le futur avion de patrouille maritime, une affaire triplement risquée

OPINION. Le futur avion de patrouille maritime, une affaire triplement risquée

L’ingénieur général hors classe de l’armement (2S) Philippe Roger appelle à le ministère des Armées à la vigilance sur le programme du futur avion de patrouille maritime. Il rappelle que trois programmes de ce type, qui ont été conduits récemment sur la base d’avions civils, ont connu des difficultés de développement, des retards de plusieurs années et des dépassements de budget de plusieurs milliards. Par Philippe Roger, ingénieur général hors classe de l’armement (2S).

« L’ambition opérationnelle est très forte, la forme contractuelle a généré des difficultés dans le cas de l’A400M, et l’industriel pressenti, Airbus, ignore le domaine de la patrouille maritime anti-sous-marine » (L’ingénieur général hors classe de…DGA

 

Contrat à prix forfaitaire et choix d’un maître d’œuvre inexpérimenté dans le domaine militaire concerné, pour atteindre des performances très ambitieuses : ce fut la recette des difficultés techniques, calendaires et budgétaires rencontrées sur de nombreux programmes militaires dans le passé, y compris pour l’Airbus A400M qui donne toutefois aujourd’hui toute satisfaction opérationnelle.

Mais pourquoi prendre strictement les mêmes ingrédients pour le futur avion de patrouille maritime français, qui doit être mené à bien dans un délai qu’on ne peut allonger, et dans le contexte budgétaire que l’on devine ? A-t-on suffisamment trié les performances demandées, pourrait-on choisir un type de contrat moins risqué, les maîtres d’œuvre mis en compétition sont-ils au bon niveau technique et comprennent-ils la mission de patrouille maritime ?

Il existe une méthode éprouvée.

La Marine nationale et la Direction générale de l’armement (DGA) poursuivent deux programmes très lourds devant aboutir à une mise en service entre 2035 et 2038 : le porte-avions nucléaire successeur du Charles de Gaulle, et le sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération. Ces programmes comportent, conformément à la longue expérience de la DGA, plusieurs phases, permettant de ne s’engager qu’après avoir constaté les résultats de l’étape précédente et vérifié qu’il reste des marges financières suffisantes.

Mais on peut y déroger : cette méthode peut n’être pas appliquée, quand on estime que le développement est simple et que les prix unitaires sont prévisibles, au point que l’industriel accepte un contrat à prix forfaitaire pour l’ensemble du programme, développement et production, et fait son affaire des risques, couverts par une marge que son conseil d’administration a acceptée au nom de ses actionnaires. Le cas se présente souvent quand l’industriel propose de dériver une version militaire d’un produit civil existant, les modifications apparaissant faibles et le client demandant un prix forfaitaire, qui semble lui simplifier la vie.

C’est sur la base d’un tel contrat forfaitaire qu’est lancé un troisième programme majeur pour la Marine, un programme d’avion de patrouille maritime, basé sur un avion civil. Ce programme doit impérativement aboutir à temps, car on ne peut ni prolonger au-delà l’avion Atlantique 2 ni interrompre une mission nécessaire à la protection des SNLE. Malheureusement, c’est autour de la date d’aboutissement des deux autres programmes que l’Atlantique 2 doit disparaître, si bien qu’il y a deux exigences : réussir le développement dans les temps, et financer simultanément les trois programmes. Est-on bien dans un cas d’adaptation simple ?

Désastres de plusieurs programmes analogues

Trois programmes d’avions de patrouille maritime conduits récemment sur la base d’avions civils ont connu des difficultés de développement lourdes, des retards de plusieurs années, et des dépassements de budget de plusieurs milliards. Le pire des cas a été celui de la dernière version de l’avion de patrouille maritime Nimrod de la Royal Air Force, dont le développement a été arrêté après une dépense infructueuse d’une dizaine de milliards de livres.

L’avion de patrouille maritime P8 de l’US Navy basé sur le Boeing 737 n’a pu quant à lui être mis en production qu’après un long et complexe développement ayant coûté près de 10 milliards de dollars. Quant au système dit Meltem développé par Thales avec Airbus Espagne pour la marine turque sur la base d’un biturbopropulseur simple, le CN235, il a eu de fortes difficultés techniques. Il a fallu dix ans pour livrer les premiers appareils, après une renégociation du contrat et des pertes lourdes pour l’industriel, alors même que des centaines de CN235 civils étaient en service.

La difficulté de transformer un avion civil de série en un système d’armes complexe évoluant à basse altitude et basse vitesse avec des virages serrés pendant les pistages de sous-marins, dans un brouillard salin très corrosif, a été sous-estimée dans ces trois cas, et les industriels comme l’État acheteur ont pris des vessies pour des lanternes et ont bu le bouillon. Un des éléments du problème, la corrosion saline, est bien connu, au moins en France, par les fortes difficultés induites dans l’entretien, plus que laborieux, des hélicoptères de la Marine livrés par Airbus et NHIndustries. Quant aux virages à fort facteur de charge, ils ont nécessité des transformations profondes des structures des avions civils pris comme base, et une surveillance permanente de leur état de fatigue.

Sur un sujet beaucoup plus simple, la transformation en avion ravitailleur MRTT de l’Airbus A330, le développement a connu quelques lenteurs, alors même que les risques avaient été réduits par le développement préalable d’une version à base d’A310. Les difficultés budgétaires de l’époque ont fait que les commandes françaises initiales ont été passées, prudemment, pour une version moins ambitieuse que celle spécifiée.

L’A400M, un développement que l’on savait difficile

Le développement de l’avion de transport Airbus A400M partait, quant à lui, d’une feuille blanche, et non pas d’un avion civil existant. Mais il est utile de le citer ici, car le contrat correspondant a été passé à prix forfaitaire pour l’ensemble du développement et de la production, c’est-à-dire avec la méthode contractuelle retenue pour le nouvel avion de patrouille maritime. Les nombreuses difficultés techniques à envisager pour ce programme A400M, aux spécifications justifiées mais très exigeantes, auraient demandé un type de contrat permettant un suivi pied à pied du programme par l’OCCAr, agence délégataire des États.

Mais les promesses d’Airbus et les exigences des États coopérants ont fait adopter une méthode contractuelle toute autre, qui apparaissait protectrice mais n’a pas permis de tenter de contrer à temps les difficultés techniques rencontrées. Elle a été une des causes des multiples réunions de crise où les États et Airbus se sont réparti les charges supplémentaires, après avoir même envisagé l’arrêt du programme à ses débuts. On aurait peut-être pu arriver à l’excellent service opérationnel que rend aujourd’hui l’A400M par des voies plus sûres.

Ces exemples montrent qu’on peut s’attendre à des difficultés :

– Quand les capacités demandées sont très ambitieuses, même si elles sont opérationnellement justifiées,

– Quand on demande aux industriels de traiter à prix forfaitaire sur l’ensemble du développement et de la production, ce qui leur impose de prendre des marges très élevées dont l’acheteur ne peut contrôler la justification pour comparer les offres, ce qui fausse la concurrence. Il ne peut pas non plus en contrôler la consommation pendant le développement, si bien que les demandes de renégociation du marché pour couvrir les aléas n’apparaissent que par surprise, mettant le programme en danger, et amenant à des ponctions sur les programmes contemporains.

– Quand on s’adresse à un industriel qui ne connaît pas le domaine opérationnel à traiter.

Un pari triplement risqué

Qu’en est-il dans notre programme d’avion de patrouille maritime ? L’ambition opérationnelle est très forte, la forme contractuelle a généré des difficultés dans le cas de l’A400M, et l’industriel pressenti, Airbus, ignore le domaine de la patrouille maritime anti-sous-marine. L’ambition opérationnelle : que peut-on élaguer ?

Une mesure simple du niveau de l’ambition opérationnelle est que Airbus a dû proposer un appareil de 100 tonnes pour remplacer l’Atlantique 2 qui exécutait de façon satisfaisante la mission principale anti-sous-marine, et des missions secondaires anti-surface et air-sol, avec 47 tonnes. La cause principale semble en être le choix d’emporter en interne à l’avion un missile anti-navires lourd (missile qui reste à développer) pour une mission secondaire, la mission anti-navires de surface qui est remplie actuellement sur l’Atlantique 2 par l’Exocet AM39.

Ce choix amène à prévoir une soute très importante, et a amené Airbus à ne pas se contenter de modifier un A320, comme prévu à l’origine, et à passer à un A321XLR à très grand rayon d’action, bien plus lourd, ce qui va nécessiter une refonte des hangars et de leurs voies d’accès. Il amène aussi à anticiper des coûts à l’heure de vol et des coûts de maintenance qui, étant en général proportionnels au poids, seront au moins doubles de ceux de l’Atlantique 2. Sachant que ces coûts forment les deux tiers du coût complet de tout programme aéronautique, l’effet de ce choix est extrêmement important.

Sur l’avion bien moins lourd retenu par Dassault Aviation la difficulté est évitée par l’accrochage sous voilure du nouveau missile, mais cette solution simple et éprouvée n’a pas, ou n’a plus, les faveurs de la Marine. C’est pourtant celle retenue pour l’avion P8 par l’US Navy, qui est de loin le plus grand opérateur au monde d’avions de patrouille maritime. Une révision de ce choix serait de nature à réduire les risques, la taille de l’appareil nécessaire, le devis initial et ses marges, et le coût sur la durée de vie.

Faire plus ambitieux que l’US Navy ? Il y faut réfléchir à deux fois ! A-t-on une autre option dans la situation budgétaire actuelle, face à la menace que fera peser un programme très ambitieux et risqué sur les deux autres programmes majeurs, et face au besoin de renforcement de la flotte de surface, qu’un rapport parlementaire vient de mettre à nouveau en évidence ?

Veut-on dimensionner l’avion pour aller à plus de 4.000 km de la France tirer des missiles anti-navires, ou bien accepte-t-on de se concentrer sur la mission principale anti-sous-marine, qui participe à la protection des SNLE, et d’emporter sous la voilure les armes destinées aux missions secondaires, comme le fait l’US Navy ?

Réduire les autres risques : Faut-il pousser les aléas du programme sous le tapis du contrat forfaitaire, qui donne une fausse sécurité et n’est pas adapté à un programme risqué, surtout si l’ambition opérationnelle n’est pas réduite ? Ou adopter un type de contrat qui permette de suivre pas à pas le développement, mais aussi de vérifier le détail des marges initiales : sont-elles suffisantes, induisent-elles ou non une distorsion de concurrence ? Et il faut se demander à nouveau si on doit confier une partie importante d’un développement majeur à un bureau d’études inexpérimenté dans le domaine concerné.

Rêveries

Le domaine de la patrouille maritime aurait dû être couvert par un programme de coopération franco-allemande, dit MAWS, mais l’Allemagne l’a fait capoter en cours de route pour acheter plusieurs lots d’avions américains P8, nous laissant financer seuls un nouveau développement. A la génération précédente, elle avait refusé d’acheter l’Atlantique 2, dont elle fabriquait pourtant 40%. Deux claques dont la France se serait bien passée.

Mais voilà qu’on entend dire aujourd’hui au sein de l’État qu’une des vertus du choix d’Airbus serait de permettre de relancer la coopération franco-allemande sur le sujet, coopération qui est morte et « ganzkaputt » (toute cassée) depuis que l’Allemagne a commandé un deuxième lot de P8… Après ce camouflet, qui n’est pas le seul dans la période récente, faut-il faire tourner à travers un programme de patrouille maritime les usines allemandes, en plus des usines espagnoles ? Ce serait appeler la claque suivante.

L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025

L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025

L’industrie de la défense indienne s’apprête à franchir une étape majeure dans sa modernisation navale. Un accord stratégique avec la France devrait être conclu d’ici janvier 2025, renforçant considérablement les capacités maritimes de l’Inde. Cette collaboration franco-indienne s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu, marqué par l’expansion maritime chinoise et les activités navales pakistanaises dans la région indo-pacifique.

Linde Conclura Un Accord Avec La France Pour 26 Rafale M Et 3 Sous Marins Scorpene Dici Janvier 2025
L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025 – © Armees.com

L’acquisition prévue de 26 avions de chasse Rafale-M constitue un pilier majeur de cet accord. Ces appareils, spécialement conçus pour les opérations maritimes, viendront équiper le fleuron de la marine indienne, le porte-avions INS Vikrant. Le Rafale-M se distingue par sa structure renforcée et son train d’atterrissage adapté aux catapultages et appontages sur porte-avions.

Les caractéristiques techniques du Rafale-M en font un atout précieux pour la marine indienne :

  • Vitesse maximale : supérieure à Mach 1,8
  • Rayon d’action en combat : plus de 1 850 km
  • Armement varié : missiles air-air Meteor, missiles de croisière SCALP-EG, missiles anti-navires Exocet
  • Technologie de pointe : radar RBE2-AA AESA, système de guerre électronique SPECTRA

Cette acquisition s’inscrit dans la continuité de la collaboration franco-indienne en matière d’aviation de combat. En effet, l’Indian Air Force a déjà intégré 36 Rafale entre 2019 et 2022, validant l’efficacité de ces appareils dans diverses missions.

Expansion de la flotte sous-marine

Le volet sous-marin de l’accord prévoit la construction de trois nouveaux sous-marins de classe Scorpène. Ces submersibles, fruit d’une collaboration entre l’Inde et le groupe Naval, viendront compléter la flotte existante de six sous-marins Scorpène, dont le dernier a été livré en 2021.

Les Scorpène, construits localement au chantier naval Mazagon Dock Limited à Mumbai, offrent des capacités avancées :

L’amiral Dinesh K. Tripathi, chef de la marine indienne, a souligné l’importance de ces acquisitions dans un contexte où l’Inde surveille étroitement les mouvements navals en océan Indien. La présence croissante de navires de recherche et de suivi par satellite chinois, ainsi que la collaboration militaire sino-pakistanaise, poussent New Delhi à renforcer sa flotte pour maintenir l’équilibre stratégique dans cette région cruciale.

Transferts technologiques et production locale

Au-delà des acquisitions d’équipements, cet accord franco-indien vise à développer l’industrie de défense locale. Dassault Aviation prévoit d’établir un centre de maintenance, réparation et révision (MRO) en Uttar Pradesh pour soutenir les flottes indiennes de Rafale et de Mirage 2000. De son côté, Naval Group s’est engagé à augmenter la part de composants locaux dans les nouveaux sous-marins Scorpène.

Cette stratégie de transfert technologique et de fabrication locale s’inscrit dans la vision plus large de l’Inde visant à :

  1. Renforcer son autonomie en matière de défense
  2. Stimuler l’innovation technologique nationale
  3. Créer des emplois qualifiés dans le secteur de la défense
  4. Réduire la dépendance aux importations d’armements

En bref, l’acquisition prochaine de Rafale-M et de sous-marins Scorpène supplémentaires témoigne de la volonté de l’Inde de s’affirmer comme une puissance navale majeure dans la région indo-pacifique. Face aux défis sécuritaires croissants, New Delhi mise sur une coopération renforcée avec Paris pour moderniser ses forces armées et consolider sa position stratégique. Cette collaboration franco-indienne promet de redéfinir l’équilibre des forces maritimes dans une région au cœur des enjeux géopolitiques mondiaux.


Laurène Meghe

Rédactrice spécialisée en économie et défense armées. Je couvre également les domaines des enjeux industriels et politique, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

La France pourrait développer son propre char de combat dans le cadre du projet MGCS

La France pourrait développer son propre char de combat dans le cadre du projet MGCS


En avril, la France et l’Allemagne ont signé un protocole d’accord visant à relancer leur projet commun de Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], alors bloqué par des désaccords entre les principaux industriels concernés depuis près de sept ans.

Ainsi, pour garantir un partage équitable des tâches, il a été décidé de réorganiser ce projet selon huit piliers capacitaires distincts et de créer une société de projet réunissant KNDS France, Thales, KNDS Deutschland et Rheinmetall. Quant aux choix technologiques à l’origine des querelles entre les industriels, ils devront n’être faits qu’après une évaluation des solutions proposées. Et cela vaut notamment pour le canon du futur char de combat sur lequel reposera le MGCS.

Pour rappel, KNDS France a soumis le système ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN], capable de tirer des obus de 120 et de 140 mm ainsi que des « munitions intelligentes pour des tirs au-delà de la vue directe » tandis que Rheinmetall défend son canon de 130 mm, lequel doit équiper la tourelle de son char KF-51 « Panther » qui, dévoilé en 2022, est en passe d’être retenu par l’armée italienne.

Seulement, cette « compétition » inquiète les parlementaires français, quel que soit leur bord politique. C’est ainsi le cas du député François Cormier-Bouligeon, qui s’en est ouvert dans son avis budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces – Dissuasion ». Même chose pour les sénateurs Hugues Saury et Hélène Conway-Mouret. Dans un récent rapport, ils ont avancé que l’ASCALON risquait d’être « écarté de toute perspective de commercialisation afin de préserver le ‘leadership’ de Rheinmetall et KNDS Deutschland « . Cela « interroge sur l’intérêt même de la création de KNDS et, a fortiori, sur celui de poursuivre le programme MGCS », ont-ils même insisté.

Cela étant, le MGCS ne doit pas être considéré comme étant seulement le successeur des chars Leclerc et Leopard 2 dans la mesure où il s’agit de développer une « famille de systèmes » [chars, drones, robots, etc.] devant reposer sur un « cloud de combat ».

Par ailleurs, ce Système principal de combat terrestre ne devant pas être opérationnel avant 2040 au plus tôt, la question du maintien en service du Leclerc jusqu’à cette échéance se pose. De même que celle d’une éventuelle « solution intermédiaire », censée faire le « pont » entre le Leclerc et le MGCS. Ce qui a été proposé par Nicolas Chamussy, le PDG de KNDS France, en mai 2023.

Lors d’une audition sur l’économie de guerre, à l’Assemblée nationale, le 4 décembre, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, n’a pas coupé à une question sur l’avenir du MGCS.

« Sur le char lourd c’est une préoccupation. D’abord, je l’ai dit et je continue à la dire : on ne fait pas n’importe quoi et on a étudié évidemment le fait de pouvoir prolonger, jusqu’en 2040, le Leclerc. On se donne les moyens de se donner du temps », a répondu M. Chiva.

« Le MGCS n’est pas le successeur du Leclerc et il ne préfigure en rien la nature du char lourd. Le MGCS, c’est des moyens de combat terrestre, avec des ailiers scorpionisés, dronisés, dans un cloud de combat », a-t-il ensuite rappelé.

Ce qui ouvre éventuellement la voie à la coexistence de deux chars différents au sein de ce « système de systèmes ».

« On peut se dire que les Allemands pourraient avoir un char lourd différent du char lourd français au sein du même projet. Ça ne me choquerait pas. Ça serait financé sur fonds propres », a en effet affirmé M. Chiva, laissant ainsi entendre que l’initiative reviendrait à KNDS France, qui fait justement la promotion du Leclerc Evolution, doté du système ASCALON.

« Dans le cadre du projet [MGCS], ce que l’on essaie d’avoir, c’est cette architecture de système qui nous permet[tra] de préparer le système de combat futur », a enchaîné le DGA, qui a ensuite évoqué un « plan B », sans plus de précision.

« On soutient nos champions français, qui innovent sans arrêt. Je pense notamment au canon ASCALON, qui est une innovation majeure. […] On a un nombre de possibilités aujourd’hui qui nous permettent de palier le fait que l’on a arrêté des chaînes de production. […] Ce n’est pas en deux ans qu’on résout tous les problèmes mais la Loi de programmation militaire, dans sa déclinaison du combat blindé, est faite justement pour nous éviter toute rupture capacitaire », a conclu M. Chiva.

Les risques d’AUKUS s’accumulent. L’Australie doit se préparer à construire des SSN français à la place

Les risques d’AUKUS s’accumulent. L’Australie doit se préparer à construire des SSN français à la place

par Peter Briggs – The Strategist – publié le 5 décembre 2024 

L’Australie devrait commencer à planifier l’acquisition d’au moins 12 sous-marins de la conception française Suffren. Le plan actuel d’AUKUS pour huit sous-marins d’attaque à l’arme nucléaire (SSN) a toujours été imparfait, et maintenant ses risques s’accumulent.

Nous devrions aller de l’avant avec les aspects de l’opération navale du plan SSN AUKUS, tels que le soutien aux sous-marins américains et britanniques lorsqu’ils arrivent en Australie. Mais pour l’effort d’acquisition, nous devrions être prêts à abandonner le plan d’achat de huit SSN sous AUKUS – trois aux États-Unis que Washington a de plus en plus de chances de fournir, et cinq qui sont censés être construits selon un design britannique surdimensionné et probablement pas arriver à temps.

Au lieu de cela, nous commencerions un programme de construction franco-australen pour un plus grand nombre de sous-marins de la classe Suffren, un design qui est déjà en service avec la marine française.

Pour garantir que les livraisons puissent commencer dès 2038, le gouvernement australien qui est élu l’année prochaine devrait s’engager à décider en 2026 s’il convient de passer à la conception française.

Même si le plan d’acquisition d’AUKUS réussit, il fournira une capacité discutable. La conception des sous-marins serait un mélange de deux blocs de sous-marins de classe Virginia, à plus de 14 ans de conception, et de SSN-AUKUS encore à concevoir en utilisant le réacteur PWR3 de la Grande-Bretagne. En outre, SSN-AUKUS serait en partie construit par l’entreprise sous-marine britannique sous-marine qui est sous forte pression pour livrer la prochaine classe de sous-marins de missiles balistiques de la Royal Navy.

Déplaçant plus de 10 000 tonnes, les sous-marins SSN-AUKUS seront trop importants pour les besoins de l’Australie. Leur taille augmentera leur détectabilité, leur coût et leurs équipages. (La grande taille semble être entraînée par les dimensions du réacteur.)

La marine royale australienne est déjà incapable d’équiper ses navires et de croître pour répondre aux besoins futurs. Il aura de grandes difficultés à équiper des Virginias, qui ont besoin de 132 personnes chacun, et les bateaux SSN-AUKUS, aussi, si leurs équipages sont égaux à la quelque 100 choses nécessaires pour l’actuelle classe d’Astute britannique.

Nous n’avons pas encore vu de calendrier pour le processus de conception britannique, pas plus qu’une équipe de conception conjointe ne semble avoir été établie. En l’absence de nouvelles que les jalons ont été atteints ou même fixés, il est très probable que le programme SSN-AUKUS, comme le programme Astute, fonctionnera tard et fournira un bateau de première classe avec de nombreux problèmes. Sachant que la Revue stratégique de la défense de la Grande-Bretagne est aux prises avec de graves déficits de financement, il n’est guère insufflé de confiance.

En outre, huit SSN suffiront à maintenir le déploiement d’un ou deux à tout moment, ce qui n’est pas suffisant pour un moyen de dissuasion efficace. La difficulté de formation des équipages et la mise en place de l’expérience acquise dans trois conceptions de sous-marins renforcerait les défis évidents de la chaîne d’approvisionnement pour parvenir à une force opérationnelle.

Il est moins probable que même cette capacité insuffisante soit moins probable. Les rapports du récent US Navy Submarine League Symposium révèlent que les États-Unis n’ont cessé d’augmenter les taux de construction sous-marin. À présent, un sous-marin supplémentaire aurait dû être commandé pour couvrir le transfert d’un bloc IV de Virginie en Australie dans huit ans, mais aucun contrat n’a été passé. Pire encore, la production de Virginie des deux constructeurs sous-marins américains se ralentit en fait en raison des retards dans la chaîne d’approvisionnement. Le programme de construction de la construction la plus prioritaire des États-Unis, pour les sous-marins de type missiles balistiques de classe Columbia, continue de subir des retards. Fin novembre, la Maison Blanche a demandé un financement d’urgence au Congrès pour les programmes de Virginie et de Columbia.

Cette situation signale de plus en plus probable que, malgré tous ses efforts, la marine américaine ne sera pas en mesure d’épargner des Virginias pour la vente à l’Australie. Le président de l’époque ne sera probablement pas en mesure, comme l’exige la législation, de certifier 270 jours avant le transfert, il ne dégradera pas les capacités sous-marines des États-Unis.

Pendant ce temps, l’establishment de soutien sous-marin britannique a des difficultés à amener les SSN à la mer. Un incendie récent affectant la livraison de la classe Astute finale SSN ne peut que s’ajouter à ces malheurs.

La classe SSN française Suffren était la conception de référence pour la classe d’attaque diesel que l’Australie avait l’intention d’acheter avant de passer à des SSN. Il offre la solution à nos problèmes d’AUKUS. Il est en production par Naval Group, avec trois des six sous-marins prévus en cours de commande dans la marine française.

À 5 300 tonnes et avec une endurance de 70 jours, une capacité de 24 torpilles ou missiles, quatre tubes torpilleurs et un équipage de 60, il serait moins cher de construire, de posséder et d’équipage que les bateaux AUKUS. La conception est flexible – optimisée pour la guerre anti-sous-marine, mais avec une bonne capacité de navires anti-surfaces à partir de torpilles à double usage et de missiles de croisière anti-navires. Il peut également transporter des missiles de croisière, des mines et des forces spéciales.

La classe Suffren utilise du combustible d’uranium faiblement enrichi et a besoin de se ravitailler tous les 10 ans, tandis que les modèles américains et britanniques, avec de l’uranium hautement enrichi, sont censés ne jamais être ravitaillés. Mais le réacteur de Suffren est conçu pour simplifier le ravitaillement, qui pourrait être achevé lors d’un réaménagement prévu en Australie. Le carburant usagé peut être retraité, ce qui simplifie le déclassement en fin de vie.

Il est vrai que la conception de Suffren n’a pas la charge d’arme, les tubes de lancement verticaux ou l’endurance de 90 jours de la Virginie et, vraisemblablement, SSN-AUKUS. Cependant, en tant que parent à propulsion nucléaire de la classe Attack, il est beaucoup plus proche de l’exigence initiale australienne de remplacement de la classe Collins que SSN-AUKUS est en train de s’éteindre. La conception offre une capacité adéquate aux besoins de l’Australie dans un ensemble que nous pouvons nous permettre de posséder. Nous pourrions utiliser 12 Suffrens et nous avons encore besoin de moins de membres d’équipage que nous ne le ferions dans le cadre du plan AUKUS.

Si nous nous sommes tournés vers la conception de Suffren, nous devrions néanmoins nous en tenir aux programmes d’entraînement SSN que nous avons mis en place avec l’US Navy et la Royal Navy. Nous devrions également aller de l’avant avec la mise en place d’une installation de réparation intermédiaire qui soutiendrait leurs NDS ainsi que les nôtres et les faire tourner vers l’Australie-Occidentale.

En ce qui concerne le plan d’acquisition d’AUKUS, nous devons commencer dès maintenant les préparatifs pour construire conjointement des Suffrens avec la France. L’Australie ne peut pas attendre que les États-Unis disent enfin que les Virginias ne seront pas disponibles.

Dans la mesure où la conception a besoin d’être modifiée, nous pouvons revenir au travail accompli pour la classe Attack, en particulier l’intégration d’un système de combat américain et des normes australiennes.

Difficile, difficile et politiquement courageux ? Assurément. Mais ce n’est pas presque aussi improbable que les SSN sous AUKUS à l’heure.

Le maillage territorial : colonne vertébrale de la BITD française

04/12/2024

https://aassdn.org/amicale/le-maillage-territorial_colonne-vertebrale-de-la-bitd-francaise/


Pour s’adapter aux bouleversements géopolitiques, la France a dévoilé une nouvelle feuille de route pour son industrie de défense. L’augmentation de la production, la refonte des normes et le développement de pôles d’excellence régionaux sont au cœur de cette stratégie. 

Commentaire AASSDN : L’industrie de Défense française s’articule autour de 9 grands groupes (Thalès, Dassault, Safran, Naval Group, Airbus, KNDS1, MBDA, TechnicAtome, Arquus), reliés à environ 4 000 sous-traitants (ETI,  PME, TPE, laboratoires et centres de recherche). Ce réseau d’entreprises est un atout majeur pour assurer à la France sa souveraineté dans le domaine de la Défense . En outre, ce réseau lui fournit  des outils lui permettant de nouer des partenariats stratégiques avec des pays qui souhaitent ne pas être totalement dépendants de tel ou telle grande puissance (Etats-Unis ou Chine notamment ) tout en disposant de matériels de la meilleure qualité.

Par ailleurs, c’est un atout pour notre économie tant par les exportations qu’elle réalise (la France est 2e ou 3e exportateur mondial selon les années) que par le fait que l’essentiel des armements est produit en France.
Notons que les centres de recherche et les processus de fabrication de certains équipements de haute technologie, sont particulièrement visés par les Services de nos compétiteurs. C’est pourquoi la France se doit de maintenir, voire renforcer son excellence scientifique et d’assurer la meilleure protection contre les ingérences étrangères.

1 En 2015, les sociétés Nexter et Krauss Maffei Wegmann (KMW), respectivement systémier intégrateur du Leclerc et du Leopard, se sont regroupées au sein de KNDS afin de devenir le leader européen de la défense terrestre.

Le 24 octobre 2024, sur le site Maîtrise NRBC de la Direction générale de l’Armement à Vert-le-Petit, le Ministre des Armées Sébastien Lecornu a dressé la feuille de route que tâchera de suivre l’industrie de défense nationale pour les années à suivre. Un mot d’ordre : relancer « l’esprit pionnier ». Une question se pose alors : quelles sont les forces qui motivent la transformation de la base industrielle et technologique de défense (BITD), et comment y parvenir ?

Sommaire [masquer]

  • Impulsions et transformations
  • L’Île-de-France : l’excellence terrestre, spatiale et électronique
  • L’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine : le cœur de l’aéronautique
  • La région Provence-Alpes-Côte d’Azur : territoire de l’Aéronavale
  • La Bretagne et la Normandie pour la puissance navale 
  • Des industriels étatiques en recherche d’efficacité
  • L’humain et la formation : moteurs de développement

Impulsions et transformations

D’abord, la priorité est d’augmenter les cadences de production. Depuis février 2022, l’industrie de défense française se prépare à l’éventualité de passer en économie de guerre, avec des mesures concrètes prises par certains des principaux groupes français. Dans cette optique, MBDA a annoncé son intention de produire 40 missiles Mistral-3 par mois à l’horizon 2025, ce qui revient à doubler sa production mensuelle actuelle. De son côté, la DGA apporte une nouvelle forme de support aux entreprises du secteur, avec la création de la Direction de l’industrie de Défense.

L’Île-de-France : l’excellence terrestre, spatiale et électronique

La région parisienne est spécialisée dans les questions spatiales, électroniques et terrestres.  Le plateau de Versailles-Satory est le lieu d’implantation de plusieurs grandes entreprises à la réputation mondiale comme KNDS France (ex-Nexter), Arquus mais aussi des institutions étatiques comme la Section Technique de l’Armée de Terre. Utilisé dès l’entre-deux-guerres comme terrain d’entraînement militaire, le plateau de Satory sera de plus en plus utilisé à partir des années 1960-1970. Le plateau se transforme en 2020 avec la création de nouvelles pistes d’essais destinées aux besoins de R&D de l’Armée de terre et plus généralement de l’industrie de défense française. La région francilienne n’est pas en reste dans le domaine de l’électronique, notamment par le nombre important de clusters et des laboratoires innovants, à l’image de Paris Saclay et de l’École Polytechnique. Le secteur spatial est quant à lui représenté par Ariane Groupe, Thalès, Airbus Defence and Space et Aresia.

L’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine : le cœur de l’aéronautique

L’aéronautique est particulièrement bien développée en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine, régions qui abritent de nombreux sites et entreprises majeurs, comme Dassault Aviation à Mérignac et Biarritz, ou encore Safran et Airbus Defence & Space à Toulouse. Cette concentration géographique est également le fruit d’une histoire riche. En effet, la création en 1915 du Centre d’Instruction des Spécialistes de l’Aviation à Bordeaux, ainsi que l’établissement de nombreuses bases aériennes dans la région, ont contribué à l’ancrage historique des industriels de l’aéronautique dans cette partie de la France.

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur : territoire de l’Aéronavale

L’industrie aéronavale est très présente en PACA, avec des entreprises comme Dassault Aviation à Istres, Airbus Helicopters à Marignane et Naval Group à Ollioules. Cette présence s’explique par le fait que le premier hydroaéroplane a été conçu localement, créant un environnement propice au développement de ce secteur. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, une partie des avions de chasse et des hydravions y a été produite. Post-1945, plusieurs entreprises se sont installées dans la région, notamment la Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Sud-Est. Aujourd’hui, la région demeure un endroit clé dans la production et la construction d’armement et d’équipements aéronavals, tout en développant régulièrement la recherche et l’innovation.

La Bretagne et la Normandie pour la puissance navale 

Autre pôle d’excellence, les régions bretonne et normande se sont spécialisées dans l’industrie navale, avec des implantations du géant Naval Group à Brest, Lorient, Nantes-Indrets et Cherbourg. L’entreprise emploie plus de 3 000 salariés en région normande, notamment sur le site de Cherbourg.

Cependant, cette territorialité se manifeste également en dehors des principaux pôles. Par exemple, on peut citer Eurenco, spécialiste des poudres et des explosifs, à Bergerac, ainsi que les différents sites de MBDA à Selles-Saint-Denis et à Bourges, sans oublier le site historique de production de KDNS France à Roanne. En plus de dynamiser économiquement des régions parfois en marge, cette territorialité pourrait être renforcée pour constituer une véritable force de production, notamment grâce à l’implantation d’un réseau de réservistes de la DGA.

Des industriels étatiques en recherche d’efficacité

Si les grands maîtres d’œuvre industriels privés sont répartis sur tout le territoire français, c’est également le cas des institutions de l’État chargées des questions d’armement et de sa maintenance. Dispersées dans toutes les régions de France, les industriels d’État sont des exemples du maillage territorial des services publics de l’armement : la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, le Service de la maintenance industrielle terrestre à Versailles ainsi que les 12ème, 13ème et 14ème base de soutien du matériel, le Service de Soutien de la Flotte à Paris, Brest et Toulon, mais aussi la Direction de la Maintenance aéronautique, qui est implantée sur 17 sites différents à travers la France. La DGA est elle aussi répartie sur des centres d’expertises et d’essais dans diverses régions.

Le 2 octobre 2024 paraît le rapport d’information n°4, par la Commission des finances, à propos du maintien en condition opérationnelle des équipements militaires. Cette étude a révélé que, malgré des efforts conséquents, le maintien en condition opérationnelle ne répond pas aux besoins actuels. Les problèmes concernant la disponibilité des matériels et le coût élevé des contrats de maintenance sont trop importants. En outre, il est question de repenser la stratégie de maintenance de l’armement français, en impliquant de façon plus directe les TPE-PME françaises. Il est par ailleurs fait mention de la possibilité de ré-internaliser une partie de la maintenance militaire, ce qui sous-entend de renforcer le maillage territorial de la maintenance. La question de l’état des recrutements a également été mentionnée, notamment la fidélisation et la formation des personnels de la maintenance militaire et du secteur de l’armement en général.

L’humain et la formation : moteurs de développement

Si la voie royale pour devenir ingénieur de l’armement reste Polytechnique et l’École nationale supérieure de techniques avancées, les concours restent ouverts à tous les diplômés d’écoles d’ingénieurs. En dehors des grands corps d’ingénieurs, les universités proposant des maîtrises « Défense et Sécurité » ou des cursus d’intelligence économique intéressent de plus en plus à la fois les entreprises, mais aussi les services de la DGA.

Du point de vue opérationnel, il est tout à fait possible de développer et de renforcer l’intérêt du monde ouvrier et technique pour l’industrie de défense. MBDA et Naval Group l’ont fait, avec respectivement 2 600 et 4 500 recrutements au cours des dernières années. Pour accélérer cette capacité à recruter, il faut également offrir plus de visibilité aux entreprises et aux institutions. Uniquement au travers de la filière de la maintenance en condition opérationnelle, 25 formations certifiantes sont ainsi proposées par le ministère des Armées et des Anciens combattants, dont plusieurs bacs professionnels et un certain nombre de BTS. En renforçant le lien Armée-Nation, voir même BITD-Nation, ainsi que la formation à tous les échelons de la BITD, la France participe à donc sa souveraineté. Ainsi, le secteur de l’armement doit se réformer, recruter et impulser si il veut retrouver son esprit « pionnier ».

Interrogation sur les VBMR face aux cyberattaques

Interrogation sur les VBMR face aux cyberattaques

Question de : Mme Gisèle Lelouis
Bouches-du-Rhône (3e circonscription) – Rassemblement National

Mme Gisèle Lelouis attire l’attention de M. le ministre des armées et des anciens combattants sur les failles concernant les véhicules blindés multi-rôles (VBMR).

Depuis la parution du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2013 et dans le cadre du programme Scorpion visant à moderniser l’armement terrestre, la France remplace ses nombreux véhicules de l’avant blindés (VAB) au profit du VBMR. Ce remplacement, sans réelle augmentation des effectifs blindés, posait déjà la question d’une dispersion des modèles pour l’industrie quand la France n’en avait autrefois qu’un, évitant un « cauchemar logistique », alors qu’il est connu que la haute intensité se joue aussi sur la masse (car il faut du nombre pour contrôler une zone, ce qu’une armée d’échantillons, même la plus sophistiquée, ne peut faire) avec des modèles « bon marché » rapides à produire, d’excellentes capacités tout-terrains etc., même si l’indispensable capacité de projection « des gabarits SNCF » est assurée.

Ces derniers véhicules blindés multi-rôles, incarnés par les Griffon et les Serval, sont de véritables laboratoires technologiques, avec de grandes capacités, démontrant le savoir-faire de l’industrie française. Coûtant donc le double d’un VAB, ils sont en train de devenir la colonne vertébrale de l’armée de terre française, malgré certains retards de livraison. Sur les 1 872 VBMR Griffon prévus en 2019 pour l’horizon 2030, 575 ont bien été livrés en 2024 et 208 VBMR-L Serval sur 978. Ces blindés assurent ainsi les fonctions de protections balistiques, le transport, la communication et l’observation sur le terrain.

Cependant, au cours de l’entraînement interarmées de cyberdéfense (DEFNET) organisé du 18 au 29 mars 2024, un militaire est parvenu à mettre en panne un véhicule blindé multi-rôle Griffon. En effet, à l’aide d’un télémètre développé par l’armée, le militaire est parvenu à perturber le système informatique du véhicule, le forçant à freiner et le mettant momentanément hors de combat. Plus encore, les dégâts causés au véhicule par l’appareil peuvent compromettre le réseau de communication. L’impact de cet incident ne doit pas être négligé. En effet, le véhicule blindé multi-rôle Griffon se décline en plusieurs modèles. Il joue donc des rôles clefs dans de nombreux secteurs tels que le transport de troupes (Griffon VTT), l’observation de l’artillerie (Griffon VOA), le commandement (Griffon VPC) et les opérations médicales (Griffon SAN), etc.

La mise hors combat de ces véhicules à la suite d’une cyberattaque en fait une cible facile pour l’adversaire et la compromission du réseau de communication qui en découle fragilise grandement l’intégrité de tout le réseau de communication de l’armée française. Cet évènement met également en lumière la portée informationnelle de telles attaques.

En effet, la diffusion d’image des véhicules immobilisés à la suite de cyberattaque au sein de l’espace médiatique peut saper la confiance que portent les Français, y compris militaires, dans l’efficacité de l’armée. Ainsi, l’armée française doit être en mesure de répondre à ces éventuelles diffusions et pallier sa vulnérabilité actuelle aux cyberattaques tactiques. On peut également questionner la portée globale de cette vulnérabilité aux cyberattaques. Celle-ci concerne-t-elle tous les types de véhicules blindés multi-rôles ? L’EBRC Jaguar, dont 60 exemplaires ont été réceptionnés sur les 300 prévus pour 2030, présente-t-il la même vulnérabilité au cyber ? Ce dernier présentait déjà un défaut avec sa tourelle T40, qui héberge deux missiles MMP sous blindage, dans un lanceur rétractable, avec deux autres munitions disponibles en soute, obligeant l’un des trois membres d’équipage ayant perdu à la courte paille, de s’exposer pour recharger, la menace cyber lui ajoutant un possible nouveau défaut.

La stratégie politico-industrielle du tout technologique nécessite une adaptabilité et des ajustements nécessaires, malheureusement coûteux pour maintenir une opérabilité efficace des armées. Ainsi, dans la mesure où cette vulnérabilité s’étendrait à l’ensemble des modèles VBMR ou véhicules blindés reliés au réseau, cet évènement pose la question de la vulnérabilité et de la place des systèmes informatiques au sein des forces armées. La protection et l’intégrité de ces systèmes sont une nécessité absolue pour assurer le bon fonctionnement de l’armée de terre. Alors, doit-on revoir la place et l’importance des systèmes informatiques au sein des véhicules blindés, ou renforcer la sécurisation des systèmes informatiques de ceux-ci ?

Si c’est le cas, Mme la députée demande à M. le ministre ce qu’il compte faire pour pallier la vulnérabilité des systèmes informatiques des VBMR face aux éventuelles cyberattaques, afin d’assurer l’efficacité de l’armée française. Par ailleurs, certaines questions se posent sur les blindés « remplacés » par les VBMR, à savoir les VAB. M. le ministre a annoncé l’envoi à l’étranger de « centaines de blindés » français d’occasion. Elle lui demande s’il ne serait pas aussi judicieux d’en garder en stock pour « faire masse », pallier d’éventuelles défaillances des VBMR, voire d’en équiper les unités élémentaires de réserve de l’armée de terre au vu des projets de croissance.

Urgence pour l’armée française : Dassault sommé d’accélérer les livraisons de Rafale

Urgence pour l’armée française : Dassault sommé d’accélérer les livraisons de Rafale

Par Paolo Garoscio – armees.com –  Publié le 21 novembre 2024

Urgence pour l’armée française : Dassault sommé d’accélérer les livraisons de Rafale
Urgence pour l’armée française : Dassault sommé d’accélérer les livraisons de Rafale – © Armees.com

Le 20 novembre 2024, lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de défense (AJD), le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, Jérôme Bellanger, a exprimé une inquiétude croissante quant au retard potentiel des livraisons des avions Rafale par Dassault Aviation. Cette situation critique découle de l’engagement de la France à fournir à l’Ukraine une partie de sa flotte de Mirage 2000-5 dès le premier semestre 2025. La question se pose alors : comment compenser ce déficit et maintenir une aviation de chasse opérationnelle et efficace ?

Contexte et enjeux stratégiques

En juin dernier, le président Emmanuel Macron a annoncé la cession d’un nombre non précisé de Mirage 2000-5 à l’Ukraine, une décision motivée par le soutien militaire dans le cadre de la guerre en cours contre la Russie. Cette annonce a des répercussions directes sur le format et la disponibilité de l’aviation de chasse française. L’armée de l’air et de l’espace se trouve donc dans l’urgence de renouveler ses effectifs pour préserver ses capacités opérationnelles.

Selon les propos de Jérôme Bellanger, cette reconfiguration forcée « percute un peu le format de l’aviation de chasse ». Pour pallier ce manque, le ministère des Armées envisage une accélération des livraisons des Rafale, une solution ambitieuse mais complexe à mettre en œuvre.

Les défis industriels pour Dassault Aviation

L’accélération des livraisons des Rafale pose un double défi : industriel et logistique. Dassault Aviation est déjà sous pression avec un carnet de commandes rempli, notamment pour des clients étrangers comme l’Inde et les Émirats arabes unis. Dans ce contexte, répondre aux exigences françaises nécessiterait une réorganisation des chaînes de production.

Chiffres clés :

  • 6 Mirage 2000-5 : nombre prévu pour l’Ukraine d’ici 2025.
  • 3 Rafale par an : capacité moyenne de production pour la France.
  • 4 à 6 mois : délais moyens pour la fabrication et les tests d’un Rafale.

Le défi réside donc dans la capacité de Dassault à augmenter ce rythme sans compromettre la qualité ni retarder les livraisons pour ses autres clients.

Implications pour l’armée française

L’armée française, en cédant ses Mirage 2000-5, réduit temporairement sa capacité aérienne. Les Rafale, bien que technologiquement supérieurs, ne seront pas immédiatement disponibles en nombre suffisant pour combler ce vide. Cette situation soulève des questions stratégiques cruciales :

Une dépendance accrue aux alliés ? L’OTAN pourrait être sollicité pour combler ce déficit temporaire.

Un budget sous pression. L’accélération de la production pourrait engendrer des surcoûts. À titre d’exemple, le coût unitaire d’un Rafale est estimé à environ 80 millions d’euros, sans compter les coûts d’entretien et de formation des pilotes.

Un impact diplomatique. Honorer ses engagements internationaux tout en répondant aux besoins nationaux met la France dans une position délicate.

Pour répondre à ces défis, une collaboration étroite entre Dassault Aviation et le ministère des Armées est impérative. Plusieurs pistes sont envisagées :

  • Augmentation temporaire des capacités de production. Cette option nécessiterait l’embauche de personnel et des investissements dans les infrastructures.
  • Priorisation des commandes françaises. Cela pourrait cependant nuire aux relations avec les clients internationaux.
  • Mise en service accélérée des Rafale déjà construits. Une solution à court terme mais avec des implications techniques.

Paolo Garoscio
Paolo Garoscio

Journaliste chez EconomieMatin. Ex-Chef de Projet chez TEMA (Groupe ATC), Ex-Clubic. Diplômé de Philosophie logique et de sciences du langage (Master LoPhiSC de l’Université Paris IV Sorbonne) et de LLCE Italien.

La relocalisation en France d’une capacité de production de munitions de petit calibre se précise

La relocalisation en France d’une capacité de production de munitions de petit calibre se précise


En 2017, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, passa outre les réticences de la Direction générale de l’armement [DGA] en donnant le coup d’envoi d’un projet visant à recréer une capacité française de production de munitions de petit calibre, cette filière ayant disparu avec la fermeture de l’établissement de Giat Industries au Mans, à la fin des années 1990.

Cette décision avait été en partie inspirée par un rapport parlementaire qui, publié deux ans plus tôt, avait demandé si la France pouvait être certaine d’être approvisionnée en munitions de petit calibre en cas de crise majeure. Estimant qu’il n’y avait aucune garantie à ce sujet, ses auteurs recommandèrent de relocaliser une telle filière industrielle en expliquant que cela nécessiterait un investissement de 100 millions d’euros, la rentabilité devant être assurée « à partir d’une production annuelle de 60 millions de cartouches sous réserve qu’un niveau de commandes constant soit assuré durant les cinq premières années ».

Décrit, à l’époque, comme devant être un « acte de souveraineté nationale », le projet de M. Le Drian reposait sur un montage associant NobelSport, spécialiste français des cartouches pour la chasse et le tir sportif, à Thales [via sa filiale TDA Armement] et à Manurhin, fabricant de machines de cartoucherie.

Seulement, après les élections du printemps 2017, et même si un protocole avait été signé par les acteurs concernés, ce projet fut abandonné, avec les mêmes argument qui avaient été avancés pour s’opposer à sa mise en œuvre [viabilité économique non garantie, possibilité de s’approvisionner à l’étranger, complications juridiques au niveau européen, etc.].

Sauf que la crise du covid-19 et la guerre en Ukraine ont changé la donne, comme en témoignèrent les difficultés du ministère de l’Intérieur pour s’approvisionner en cartouches de 9 mm. Aussi, en décembre 2023, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, fit savoir qu’il avait commandé une étude à la DGA afin de « documenter les coûts de la recréation d’une filière » munitions de petit calibre.

Finalement, moins de six mois après, la France signa une lettre d’intention avec la Belgique en vue d’établir une coopération industrielle sur les munitions de petit calibre.

« Cette filière ayant disparu en France, l’objectif est de la recréer en s’appuyant sur les compétences belges. Ce nouveau volet doit comprendre la création d’une ligne d’assemblage de munitions en France et l’achat de munitions directement auprès de l’industrie belge. Les industriels travaillent à ce stade sur les questions de financement de l’investissement, le projet devant démarrer dans les prochains mois », expliqua le ministère des Armées.

Devant les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, le mois dernier, M. Lecornu revint brièvement sur ce dossier. « En ce qui concerne les munitions de petit calibre, les choses avancent bien. Le modèle économique devra englober le ministère de l’intérieur et peut-être même le tir de loisir : il faut des débouchés, pour éviter la situation ayant conduit à la disparition de la filière dans années 2000 », détailla-t-il.

Cette coopération entre la France et la Belgique va sans doute se concrétiser prochainement, en reprenant l’intuition qu’avait eue M. Le Drian il y a près de huit ans. En effet, ce 15 novembre, le groupe FN Browning [dont FN Herstal est une filiale] a confirmé qu’il venait d’entrer en « négociations exclusives » avec l’armurier français Sofisport, l’un des principaux producteurs de munitions de chasse et de tir sportif [via ses filiales Nobel Sport, Cheddite, Maxam, Sofiam, etc.] en vue de son rachat.

« Browning Group, dont les filiales comprennent entre autres FN Herstal et Browning, annonce son entrée en négociations exclusives pour l’acquisition du groupe français Sofisport, leader mondial de la fabrication de cartouches de chasse et de tir sportif et de leurs composants », a en effet annoncé l’industriel belge.

Et d’ajouter : « Le projet de rapprochement repose sur une forte complémentarité industrielle, géographique et culturelle entre Sofisport entreprise française à l’actionnariat familial, et FN Browning Group, détenu par la Région wallonne, une composante de l’Etat fédéral belge ».

L’objectif de cette opération est de constituer un « systémier européen d’envergure mondiale, pleinement intégré dans le domaine des armes légères et des munitions », la complémentarité des deux groupes devant leur permettre de renforcer « leur positionnement concurrentiel, leur performance et leurs capacités de développement, avec des effets favorables au maintien de l’activité et de l’emploi ».

Selon le journal économique belge L’Écho, ce rapprochement entre FN Browning et Sofisport serait susceptible de favoriser la « création d’une nouvelle ligne de production » en France, l’industriel wallon ayant prévu d’installer des capacités supplémentaires « de fabrication de munitions de petits calibres à Herstal et à Zutendaal, en collaboration avec la Défense belge ».

Quoi qu’il en soit, la coopération franco-belge dans le domaine de l’armement terrestre ne cesse de prendre de l’ampleur. Celle-ci a été amorcée par le partenariat stratégique CaMo [Capacité Motorisée] qui vise à rendre les forces terrestres des deux pays parfaitement interopérables grâce au programme français SCORPION. Puis, elle s’est poursuivie avec la reprise d’Arquus par le groupe John Cokerill, en juillet dernier.

« Nous aidons la Belgique sur CaMo et celle-ci nous aide à reconstruire une filière pour les petits calibres. Des rapprochements industriels intéressants ont lieu, notamment entre Arquus et Cockerill. Il s’agit d’un partenariat précieux », avait résumé M. Lecornu lors de sa dernière audition au Sénat.