Affrontement commercial Chine – États-Unis : la guerre des OS aura bien lieu

Billet du lundi 29 avril 2024 rédigé par Christopher Coonen* – Geopragma –

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*membre du Conseil d’administration de Geopragma

Depuis quelques temps, le déploiement de la 5G à l’échelle mondiale a renforcé la confrontation commerciale entre la Chine et les États-Unis par le biais de la société Huawei et d’autres prestataires, au sujet notamment du contrôle des données et des systèmes applicatifs ou OS. Ce conflit s’envenime plus encore, reflétant la déclinaison numérique de la rivalité géopolitique tous azimuts entre ces deux empires.

Pour rappel, Huawei est un leader mondial de construction de réseaux de communication et l’un des tous premiers fournisseurs de la dernière génération de technologie de téléphonie mobile 5G en cours de déploiement à l’échelle planétaire. Grâce au débit phénoménal de la 5G et à sa puissance logarithmique par rapport aux capacités du standard actuel 4G, le plus répandu actuellement, nous assistons à une très forte accélération de la quantité de données générées, échangées et analysées au niveau mondial.

Dans ce chapitre de ladite guerre commerciale, les enjeux de l’accès aux données et de leur traitement sont donc colossaux.

D’une part, certains gouvernements sont inquiets de voir une puissance étrangère capter des données sensibles. Non seulement dans le cadre de l’utilisation de smartphones, mais aussi dans le contexte d’une myriade d’usages concernant les villes et engins connectés, qu’ils soient d’application civile ou militaire : les voitures autonomes, la domotique, mais aussi le ciblage de missiles seront de plus en plus dépendants de la 5G. Une opportunité certes, mais aussi une vulnérabilité si ces données et/ou leurs usages venaient à être captés et détournés par des parties adverses et tierces, soit directement sur les smartphones ou objets connectés, soit via des « portes » installées au sein des réseaux terrestres et sous-marins.

Les États-Unis ont mis une pression maximale sur leurs propres opérateurs télécom Verizon et AT&T et sur ceux d’autres pays, afin qu’ils interdisent à Huawei leurs appels d’offre pour équiper leurs réseaux avec la technologie 5G, leur préférant les prestataires occidentaux tels que Cisco, Nokia, Alcatel ou encore Ericsson.  L’Australie, l’Allemagne, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, la République Tchèque, et le Royaume-Uni ont ainsi banni Huawei et son concurrent chinois ZTE de leurs appels d’offre … Jusqu’à faire chanter les Polonais en brandissant la menace d’annuler la construction d’une base de l’OTAN chiffrée à $2 milliards. En revanche, la Corée du sud, la Russie, la Thaïlande et la France testent la technologie Huawei et/ ou l’installent avec des caveats : la France par exemple, interdira à Huawei de géo localiser ses utilisateurs français. D’autres pays comme l’Italie et les Pays-Bas explorent toujours la possibilité d’utiliser Huawei ou ZTE versus d’autres fournisseurs occidentaux.

D’autre part, l’autre enjeu de tout premier ordre dans le déploiement de la 5G est celui de l’intelligence artificielle. Une façon de l’illustrer est d’imaginer les méta et micro données comme le « pétrole » nourrissant cette forme d’intelligence et le « machine learning » et les algorithmes comme « l’électricité » pour obtenir le résultat final qui permet de connecter toutes sortes d’objets chez les particuliers, au sein des villes, dans les applications militaires et de proposer des services qui vont préempter les souhaits des personnes ou des institutions avant même qu’elles n’en fassent la demande.

Puisque la puissance de la 5G augmentera de manière significative la quantité de données générées et échangées, ce pipeline sera un facilitateur et un conduit stratégique pour abreuver les algorithmes de ce « pétrole ». La quantité des données est donc absolument primordiale pour offrir un niveau inégalé dans la qualité de cette intelligence artificielle. Et la Chine, avec sa démographie cinq fois supérieure à celle des États-Unis, a d’emblée un avantage concurrentiel dans la quantité de données pouvant être captées et traitées. Plus encore si elle a accès aux données des populations d’autres nations via les applications des smartphones …

C’est donc sans surprise que la détérioration de la relation sino-américaine s’est creusée et qu’une escalade des tensions se manifeste de plus en plus explicitement :  Google, Facebook et d’autres géants américains du Net ont annoncé qu’ils interdisaient à Huawei et aux autres acteurs chinois l’accès à leur Operating System/OS comme Androïd et à leurs applications.

Outre l’interdiction d’accès aux données, ce sont des décisions lourdes de conséquences et de risques in fine d’ordre stratégique car elles vont pousser l’entreprise chinoise (et peut-être aussi les Russes qui sait ?), à développer leur propre OS. Huawei a d’ailleurs réactivé son OS « Hongmeng » en sommeil depuis 2012.

Cette rétorsion américaine va donc engendrer une réaction en chaine à l’issue ultime encore imprévisible. Dans l’immédiat, c’est la complexité de gestion et les risques de confusion pour les consommateurs mais aussi les opérateurs téléphoniques et tout l’écosystème des développeurs d’applications qui vont exploser. En effet, au lieu de développer deux versions d’une même application et d’obtenir les certifications nécessaires de la part d’Apple et d’Android/Google, les développeurs devront désormais le faire à trois voire quatre reprises. Les coûts de maintenance et de mises à jour des applications vont exploser.

Malgré tout, cette action s’inscrit logiquement dans cette « ruée vers les données » car du point de vue des États-Unis, toute démarche qui limite l’accès des données afférentes aux milliards de comptes des applications est bonne à prendre.  « Malgré eux », les acteurs chinois vont s’affranchir de la domination américaine et exercer une nouvelle forme de souveraineté technologique et économique en développant leurs propres OS.

Il est probable que Huawei équipera de nombreux pays avec sa technologie 5G ; c’est logique par rapport à son expertise et à son poids dans le secteur et au rôle de premier plan de la Chine dans l’économie mondiale. Après tout, les États-Unis n’ont-ils pas équipé depuis les années 1920 la plupart des pays avec des ordinateurs personnels, des réseaux informatiques, des serveurs et des smartphones ? Nous sommes-nous posé les mêmes questions avec autant de discernement depuis lors sur l’accès aux données par leurs sociétés et le gouvernement américain ? Il est certain que les activités de la NSA et l’adoption des lois US « Cloud Act I et II » ont permis aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et à l’Oncle Sam d’accéder aux données de milliards d’inter- et mobi-nautes.

L’appréciation de cette rivalité sino-américaine est sans doute le fruit de l’hypocrisie d’un empire jaloux envers la montée en puissance d’un autre, et nous ne pouvons que déplorer à nouveau l’absence de l’Europe comme acteur incontournable de ces développements technologiques et économiques majeurs. La guerre des OS aura bien lieu, et le « Vieux » continent sera en plein tir croisé

Atos : l’État fait une offre pour racheter les activités souveraines du groupe

Atos : l’État fait une offre pour racheter les activités souveraines du groupe

Bruno Le Maire a annoncé avoir fait une offre ce week-end à Atos, pour racheter ses activités souveraines. Le groupe, en difficulté financière, est le concepteur de supercalculateurs français.

© Bloomberg – Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances.


L’État vole au secours d’Atos. Bruno Le Maire a déclaré sur LCI avoir «déposé ce week-end une lettre d’intention en vue d’acquérir toutes les activités souveraines d’Atos». Le géant informatique français doit faire face à des difficultés financières et cette opération permettrait que certaines activités stratégiques «ne passent dans les mains d’acteurs étrangers», a souligné le ministre de l’Économie et des Finances, interrogé par Darius Rochebin.

En effet, Atos est relié par de multiples contrats avec l’armée française et a réalisé des supercalculateurs fondamentaux pour maintenir la dissuasion nucléaire. La lettre d’intention formulée par l’État concerne ces supercalculateurs, mais aussi des serveurs utilisés pour le développement de l’intelligence artificielle et des produits de cybersécurité. Le groupe emploie aujourd’hui 4 000 salariés, dont la majorité travaille en France et génère près de 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an.

Bruno Le Maire espère que d’autres entreprises se rallieront à l’action de l’État

Parce que le sauvetage d’Atos est une priorité pour l’exécutif, l’État s’est déjà engagé à prêter 50 millions d’euros au groupe. L’objectif : stabiliser ses finances pour qu’il puisse continuer d’opérer. Grâce à cette enveloppe, l’État peut déjà mettre son veto sur des décisions prises concernant Bull, la filiale en charge de la construction des supercalculateurs.

Bruno Le Maire espère que l’État ne sera «pas seul» à proposer son soutien au géant informatique. Il souhaite que d’autres entreprises du domaine de la défense ou de l’aéronautique, puissent se joindre à l’action de l’Agence des participations de l’État, qui intervient sous les ordres du ministre.

La maintenance dans une opération d’envergure, enjeu majeur de l’économie de guerre (II de III)

La maintenance dans une opération d’envergure, enjeu majeur de l’économie de guerre (II de III)



Par le Chef d’escadron Thomas Arnal, officier de l’arme du Matériel et Ecole de guerre – Terre –  Partie II :  de la prise de conscience au changement de paradigme

Pour participer au développement de l’économie de guerre, le MCO-T a déjà identifié des blocages structurels et bénéficie de premières actions prometteuses grâce à un volontarisme législatif et à l’innovation technologique.

 

Un changement de paradigme qui s’impose

La volonté politique d’entrer en économie de guerre est freinée par les difficultés structurelles de la BITD : frilosité des investisseurs et défaut d’attractivité du secteur. En mai 2023, une commission sénatoriale a publié un rapport d’information sur ce sujet1. Les entreprises du secteur défense y déplorent un accès au financement bancaire compliqué, mais difficilement quantifiable. Techniquement, les banques n’ont pas d’obligation à motiver un refus. Si une justification est apportée, celle-ci repose souvent sur des arguments financiers (structure bilancielle de l’entreprise, viabilité ou rentabilité du projet, etc.). Pour autant, il faut concéder que les cycles industriels sont aujourd’hui difficilement compatibles avec l’horizon financier du capital-investissement. Certains groupes bancaires (HSBC par exemple) rejettent purement et simplement le domaine de la défense de leur politique d’investissement. Dans le secteur public, la banque européenne d’investissement (BEI) ne finance plus les munitions, matériels et infrastructures militaires. Une décision qui ne découle ni du droit primaire, ni du droit dérivé, ni même des statuts de la BEI.

Ces difficultés touchent principalement les petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que les opérations d’export. Cette frilosité s’étend par ricochet à d’autres secteurs, tels les assureurs refusant de couvrir certaines entreprises, les développeurs d’assurer la maintenance de sites internet, ou encore les bailleurs immobiliers de louer des bureaux. Ces situations marginales semblent révéler une tendance de fond, qui assimile industrie de défense et activités controversées par deux aspects : la conformité et la réputation. La multiplication de règles et normes dans le domaine de la défense – sans compter les exigences environnementales et sociales – poussent les financeurs à la « sur-conformité » et au refus. Le risque lié à la réputation pousse par ailleurs les investisseurs à imposer une politique restrictive vis-à-vis des entreprises de défense. Le déclin d’attractivité engendré a fragilisé le consensus de l’utilité sociale d’une BITD robuste et souveraine, tout en repoussant les jeunes talents français vers d’autres secteurs ou vers l’étranger.

Les rapporteurs de l’information parlementaire proposent quatre axes pour réduire ces difficultés structurelles :

  • établir un diagnostic (bilans annuels à organiser) ;
  • encourager les banques à s’engager au côté de la BITD, notamment en imposant la justification des refus de financement, en développant la communication interne sur l’importance du secteur défense pour l’économie nationale, ou encore en allégeant les procédures de vérification ;
  • développer le volontarisme au niveau européen par la révision de la « doctrine » de la BEI, la vigilance interministérielle sur les projets de textes potentiellement contraignants pour la BITD, etc.
  • renforcer l’accompagnement public des entreprises de la BITD avec le référencement des surtranspositions de textes européens contraignantes2, l’accompagnement financier pour certains marchés, la constitution de fonds d’investissement privés dans le secteur de la défense, voire la création de référents défense régionaux dans le secteur bancaire.

 

Le dépoussiérage en cours du concept de réquisition

La réquisition militaire est liée au concept d’économie de guerre. Le code de la défense précise « qu’en cas de mobilisation de l’armée de terre, le ministre de la défense détermine la date à laquelle commence, l’obligation de fournir les prestations nécessaires pour suppléer à l’insuffisance des moyens ordinaires de l’armée de terre »3. Ces réquisitions sont limitées par le cadre militaire et ne peuvent être ordonnées qu’à défaut de tout autre moyen adéquat disponible.

En juillet 2022, la direction des affaires juridiques (DAJ) du secrétariat général pour l’administration (SGA) avait proposé la rénovation du régime de réquisitions, qui date de 1959, d’où le décret sur le sujet adopté en mars dernier. En effet, les conditions de mise en œuvre peuvent gagner en simplification (réécriture synthétique), en proportionnalité (subsidiarité entre réquisition et commande publique), en clarification (cas d’usage : menace pour la sécurité nationale ou pour ses intérêts) et en portée (biens, services ou personnes concernés, neutralisation des droits de grève et de retrait, principe de rétribution après une réquisition)4.

Pour le MCO-T, la réquisition peut concerner du personnel, des matériels, des infrastructures, de l’outillage ou des moyens de stockage pour combler les manques patrimoniaux (pour équiper la division HEM, renforcer le territoire national et compléter les moyens de la BITD). Un dispositif d’intelligence économique renforcé permettrait la cartographie des réquisitions potentielles en cas de crise. Actuellement, il s’agit d’une surveillance conjointe SIMMT/DGA de la BITD et de leurs principaux fournisseurs. Pour la DGA, cette tâche est dévolue au service des affaires industrielles et de l’intelligence économique (S2IE). A la lumière du manque de profondeur logistique constaté, l’actualisation du concept de réquisition va donc dans le sens de l’économie de guerre.

 

Les travaux de la SIMMT avec la BITD

Le MCO constitue une source importante de financement et d’activités sur le long terme pour la BITD. La stratégie de soutien d’un programme d’armement définit un effort dans la durée pour l’industriel. Ainsi, la constitution de stocks de rechanges par la commande publique participe au renforcement des entreprises, permet l’entretien de compétences industrielles et contribue à la résilience industrielle française. L’absence de commandes régulières d’un rechange peut à l’inverse conduire à son obsolescence par perte de savoir-faire, de stock ou de matières premières.

La crise du COVID a permis de prendre conscience des faiblesses industrielles de la France. Cet épisode a révélé les fragilités de nos entreprises : tensions et perte de compétences faute de commandes, concurrence extra-européenne agressive avec la question de l’extraterritorialité du droit américain par exemple (la norme ITAR – International Traffic in Arms Regulation – autorisant Washington à s’opposer à l’exportation d’un système d’armes contenant au moins un composant américain), cyber-menaces, besoins d’une cartographie détaillée des fournisseurs et importance des stocks5. Cependant, la BITD terrestre a pu être partiellement renforcée par des commandes massives de pièces de rechange par la SIMMT, qui a ensuite imposé un droit de regard sur le dimensionnement des chaînes d’approvisionnement des entreprises6.

Au-delà de ces travaux d’intelligence économique, d’autres actions ont été initiées. La SIMMT se tourne vers l’innovation technologique pour optimiser les activités de maintenance et limiter la dépendance à des stocks indisponibles immédiatement. Parmi les pistes prometteuses, la maintenance prédictive, c’est-à-dire l’analyse par une intelligence artificielle des données collectées, permet de suivre l’évolution de l’état du matériel et de détecter pannes et casses avant qu’elles ne surviennent. Mais aussi, l’impression 3D : la SIMMT a ainsi développé avec la DGA la fabrication additive de rechanges en polymère. L’impression métallique, déjà opérationnelle dans d’autres forces armées alliées, permet un changement d’échelle, tout en constituant un atout pour limiter les empreintes logistique et écologique d’une force déployée. La rémunération de la propriété intellectuelle des entreprises est prise en compte, notamment par un système de block chain.

Dans le domaine des ressources humaines, la création de la réserve industrielle de défense (RID) en octobre 2023 va également dans le sens de l’économie de guerre. Ce système permet de renforcer l’industrie d’armement en cas de crise majeure. L’objectif fixé pour 2030 est d’atteindre trois mille RID. Ces réservistes ont vocation à être déployés au sein des entreprises de la BITD, du service industriel de l’aéronautique (SIAé), du service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer), du service logistique de la marine (SLM) ou du service interarmées des munitions (SIMu).


Notes de bas de page : 

 1 Voir : Renseignement et prospective : garder un temps d’avance, conserver une industrie de défense solide et innovante >>> https://www.senat.fr/rap/r22-637/r22-637-syn.pdf.
NDLR : « [On] parle (…) de « surtransposition » pour désigner [un] différentiel proprement national à la règle européenne, différentiel susceptible de créer une distorsion concurrentielle qui porte préjudice aux opérateurs économiques français » >>> Voir sur ce sujet le rapport d’information n° 614 (2017-2018) du Sénat déposé le 28 juin 2018 et intitulé « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises » (https://www.senat.fr/rap/r17-614/r17-6141.html)
3 Article L2221-2 du Code de la défense.
4 Partie normative de la LPM : réquisitions ; BITD (note n°0001D22013106 ARM/SGA/DAJ du 21/07/2022).
5
Article OPEX360.com du 18/11/2020 : https://www.opex360.com/2020/11/18/le-terme-de-stock-est-aujourdhui-presque-un-gros-mot-deplore-le-chef-detat-major-de-larmee-de-terre/
6 Rapport d’information de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale sur la préparation à la haute intensité du 17/02/2022 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b5054_rapport-information#

 

Photo : innovation technologique du MCO-Terre Lab avec l’introduction de la réalité augmentée depuis 2020 dans les 6e et 8e Régiments du matériel avec le système Dedal et les lunettes Holo-Dedal © armée de Terre, photo diffusée en ligne le 24 mai 2022 (https://www.defense.gouv.fr/terre/linnovation-a-lheure-numerisation/au-service-maintenance)

Artillerie : Grâce à l’intelligence artificielle, le CAESAr tirera plus vite et consommera deux fois moins d’obus

Artillerie : Grâce à l’intelligence artificielle, le CAESAr tirera plus vite et consommera deux fois moins d’obus


En février 2022, Jean Castex, alors Premier ministre, profita d’une visite de l’usine de Nexter, à Roanne, pour annoncer la notification d’un contrat d’une valeur de 600 millions d’euros en vue du développement du CAESAr [Camion équipé d’un système d’artillerie de 155 mm] de nouvelle génération [encore appelé CAESAr Mk II].

Dans le détail, cette future version du CAESAr doit disposer d’une cabine mieux protégée, d’une motorisation plus puissance [460 ch contre 215], d’un nouveau châssis et de logiciels de conduite de tirs améliorés.

Depuis, trente CAESAr de première génération [ou Mk I] ont été cédés à l’armée ukrainienne… Et, au nom de l’armée de Terre, la Direction générale de l’armement a commandé 109 CAESAr NG à Nexter Systems [KNDS France] pour un montant d’environ 350 millions d’euros. Mais cette future version bénéficiera de nouveaux apports qui n’avaient pas été annoncés au début de son développement.

Fin décembre, le ministère ukrainien de la Défense fit savoir qu’il avait besoin de plus de CAESAr Mk I, avant de préciser qu’il avait l’intention d’améliorer leurs capacités en ayant recours à l’intelligence artificielle [IA]. Et cela avec l’objectif de « réduire de « 30 % l’utilisation de munitions pour viser et atteindre les cibles ».

Un mois plus tard, au moment du lancement de la coalition « artillerie pour l’Ukraine », co-dirigée par la France et les États-Unis, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, indiqua que le groupe Helsing IA, spécialiste des algorithmes d’IA destinés aux applications militaires, venait d’être mandatée pour améliorer la précision des CAESAr. D’autres entreprises françaises, en mesure de faire des « propositions disruptives » ont depuis été également sollicitées.

Cela étant, l’IA n’est pas la seule technologie qui permettra d’améliorer les capacités du CAESAr. Lors d’un point de presse du ministère des Armées, en janvier, le général Jean-Michel Guilloton, nommé à la tête de cette coalition « artillerie », a expliqué que des efforts allaient être menés en matière de systèmes d’information et de commandement, d’acquisition des cibles, de drones et de guerre électronique.

L’un des usages possibles de l’IA [qui n’a pas été formellement confirmé par le ministère des Armées] pourrait reposer sur la « vision par ordinateur », laquelle permet à une machine d’identifier et de « comprendre » des images issues d’un flux vidéo.

Quoi qu’il en soit, les données collectées lors de l’engagement des CAESAr ukrainiens [ou dans d’autres circonstances] pourront être plus facilement exploitées grâce à l’IA.

Ainsi, le 23 février, sur les ondes de Radio Classique, le PDG de Nexter Systems, Nicolas Chamussy, a expliqué que l’IA allait permettre de « creuser » dans les masses de données accumulées depuis des années afin d’améliorer la conception de ses « produits » [dont, évidemment, le CAESAr] et de rendre plus efficace le Maintien en condition opérationnelle [MCO] – et donc leur disponibilité – grâce à la maintenance prédictive. Une troisième application, a-t-il continué, serait de réduire la boucle OODA [observer, s’orienter, décider et agir], c’est à dire le « temps entre le moment où l’on a détecté quelque chose et celui où l’on va effectivement tirer un coup de canon ».

Quant à la précision du CAESAr, M. Lecornu en a dit un tout petit peu davantage lors d’un colloque organisé par la revue Le Grand Continent, le 20 février. Selon le compte rendu qui en a été fait par l’Institut des hautes études de la défense nationale [IHEDN], le ministre a indiqué que « l’intelligence artificielle incrémentée dans un CAESAr » allait « permettre de diviser quasiment par deux le nombre de munitions consommées ».

Consommer moins d’obus suppose une meilleure précision… Et cela a d’autres implications, notamment sur la chaîne logistique, mais aussi [et surtout] sur l’usure des tubes [moins précis, voire dangereux, après 10’000 coups tirés], et donc sur le MCO.

Leçon inaugurale du cycle confrontations et recompositions stratégiques. Général d’armée T. Burkhard

Leçon inaugurale du cycle confrontations et recompositions stratégiques. Général d’armée T. Burkhard

Par Gabrielle GROS, Louis GAUTIER, Thierry BURKHARD – Diploweb – publié le 23 février 2024      

https://www.diploweb.com/Video-Lecon-inaugurale-du-cycle-confrontations-et-recompositions-strategiques-General-d-armee-T.html


Le 7 juillet 2021, le général d’armée Thierry Burkhard est nommé en Conseil des ministres chef d’état-major des armées à compter du 22 juillet 2021. Il est commandeur de la Légion d’honneur, commandeur de l’Ordre national du Mérite, titulaire de la Croix de guerre des théâtres d’opérations extérieures et de la Croix de la Valeur militaire. Louis Gautier, directeur de la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains, professeur associé à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Synthèse de la conférence par Gabrielle Gros pour Diploweb.com.

Conférence organisée par la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains, le 22 janvier 2024 à l’amphithéâtre Richelieu en Sorbonne (Paris). La Chaire a pour objectif de mieux ancrer les études stratégiques dans le paysage universitaire français, de donner la parole à tous et d’établir des relations avec de grandes universités étrangères afin de pérenniser les activités d’enseignement, d’assurer le passage de relais à de nouvelles générations et de contribuer au rayonnement de la pensée stratégique française. Pour ce faire elle organise son 11e cycle de conférences du 22 janvier au 25 mars 2024. Le propos introductif de cette leçon inaugurale a été tenu par le Professeur Louis Gautier, Procureur général près la Cour des comptes et président de la Chaire ainsi qu’Elie Tenenbaum, docteur en Histoire et directeur du centre des études de sécurité de l’IFRI. Puis le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises a pris la parole pour une vaste présentation des bouleversements stratégiques à l’oeuvre. La synthèse est rédigée par Gabrielle Gros pour Diploweb.com

Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube

Synthèse pour Diploweb.com de la conférence du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises, par Gabrielle Gros

Richelieu, qui avait le souci de la maîtrise de l’information, s’est en particulier distingué par sa capacité à inscrire son action dans le temps long. Dans son sillage, le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises, rappelle que pour continuer à peser, il est impératif d’anticiper afin se saisir des sujets, d’agir et de se positionner. Trois éléments sont ici explorés : l’environnement stratégique, les bouleversements stratégiques à l’œuvre et la réponse des armées à ces états de fait.

En premier lieu l’environnement stratégique se comprend aujourd’hui par quatre marqueurs appuyant son importance. Il faut d’abord voir la dynamique de la force dans le contexte du retour du rapport de force comme mode de règlement des conflits. Le moyen d’imposition de la volonté d’un État est de plus en plus le recours à la force ; le Haut Karabagh qui fut une question réglée en 24 heures en est un exemple. L’escalade des moyens et la recherche de la létalité via l’artillerie et les frappes en profondeur, témoignent de cette dynamique. De même l’emploi du nucléaire est une question rapidement revenue au centre de la dialectique dans le cadre de l’extension des domaines d’emploi des forces. L’emploi de la force est probablement aussi lié à une atténuation de l’ordre international qui peine à réguler les conflits, preuve en est le poids déclinant des résolutions de l’ONU. Par ailleurs, la puissance de l’information est d’une valeur stratégique exceptionnelle. Dans la lutte informationnelle, il n’existe pas de victoire décisive, la palette d’effets est extrêmement large et en conséquence l’ensemble des perspectives doivent être prises en compte. L’intelligence artificielle générative est une piqure de rappel acerbe de cette réalité. En outre, il convient de porter une attention particulière à la manœuvre de désoccidentalisation à laquelle nous assistons dans la volonté, notamment à l’initiative du Sud global, de créer un ordre alternatif. Nous faisons face à des compétiteurs extrêmement offensifs qui cherchent à accéder à de nouvelles ressources et à contester les acquis. Enfin le changement climatique, instrumentalisé contre nous par certains grands compétiteurs est un catalyseur du chaos. Il est une préoccupation majeure pour un certain nombre de nos partenaires et est un paramètre de plus en plus structurant en particulier en garnison avec la question des moteurs thermiques qui resterons à l’usage exclusif des armées alors que l’électrique va devenir la norme pour le reste des véhicules civils.

 
Général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises
Conférence organisée par la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains, le 22 janvier 2024 à l’amphithéâtre Richelieu en Sorbonne (Paris)
Chaire grands enjeux stratégiques contemporains, Université Paris I Panthéon Sorbonne, 2024

Ainsi nous nous trouvons dans un monde qui est en recomposition par la rupture. Le point de bascule est identifié comme le 24 février 2022 mais cette réalité était déjà inscrite bien avant. De ce fait, l’évolution en tendance ne suffit plus aujourd’hui et il nous faut penser de manière beaucoup plus stratégique c’est-à-dire dans le temps long et en ayant la capacité d’inclure d’avantage d’acteurs. Pour mieux échanger et faire évoluer les affrontements, une nouvelle grille de lecture stratégique composée du triptyque compétition, contestation, affrontement, paraît aujourd’hui plus pertinent que le continuum paix, crise, guerre mis en place après la Seconde Guerre mondiale. La compétition désigne en réalité l’état dans lequel nous vivons puisqu’elle s’applique à tous les domaines de l’activité humaine. Elle a pour objectif d’infléchir la résolution de compétiteurs et de resserrer les liens. En cela il s’agit d’une forme de guerre avant la guerre qu’il s’agit donc de gagner. La contestation désigne le moment où un Etat décide de transgresser les règles admises afin d’obtenir en avantage. Cela a été le cas en Crimée. Pour empêcher l’affrontement, l’objectif est de forcer l’adversaire à se déplacer, ce qui nécessite de la réactivité. Quant à l’affrontement, qui ne doit être que le dernier recours dans une situation de crise, il requiert une grande attention de la part des armées qui doivent détecter les signaux faibles, anticiper la bascule et in fine être capable de monter en puissance voire de livrer la guerre en cas de nécessité.

En second lieu, un bouleversement stratégique est à l’œuvre et il faut en voir aussi bien les réalités que les conséquences. Nous voyons d’abord le retour de la guerre imposée. Dans une armée, agir dans une situation de guerre imposée change radicalement la manière de voir les choses. Si les opérations menées par la France ont pu être complexes, il existait une capacité relative de l’État et des autorités militaires françaises à réguler le tempo de l’engagement sans que cela se traduise par une défaite sur le terrain. Cependant, en rupture avec les opérations de maintien de la paix, l’engagement en Afghanistan a marqué le retour d’adversaires dont l’objectif est de nous tuer. Cela nous mène à un second point qui est le changement de paradigme opérationnel. Il est accompagné d’un changement d’échelle en ce qui concerne les opérations qui étaient auparavant de l’ordre du bataillon, de quelques bâtiments ou appareils. Aujourd’hui des centaines de milliers d’hommes sont impliqués en Ukraine. Une opération concernant des corps d’armée se dirige d’une toute autre façon et cela a été cruellement rappelé aux Ukrainiens qui ont eu du mal à maîtriser la mobilisation à grande échelle au cours de l’offensive. Pour faire face, l’entraînement interarmées est essentiel ainsi que la préparation dans le domaine capacitaire puisque le changement d’échelle se traduit de manière visible dans la consommation de munitions ainsi que les pertes humaines. Par ailleurs, sur le théâtre, ce changement de paradigme se traduit également par la fin du confort opérationnel. Nous devons désormais être préparé à la contestation simultanée de tous les milieux alors que par exemple au Sahel, seul l’espace terrestre nous était contesté. Vouloir acquérir et conserver la supériorité sur un milieu devient désormais probablement illusoire et contre le principe d’économie des forces.

Tout ceci demande d’adapter profondément notre système unitaire. Cela demande également une adaptation au niveau civil. Non seulement par les industriels mais encore par une implication sociale et une implication des mentalités. Nous voyons bien aujourd’hui que si l’armée ukrainienne est capable de résister à l’armée russe c’est aussi parce qu’ils sentent que la nation est derrière eux.

En dernier lieu, la réponse des armées face à ces enjeux multiples se regroupe sous divers axes. Premièrement l’héritage et l’ambition, deuxièmement l’exercice de la souveraineté, troisièmement la gestion de la singularité française, en particulier sur le plan nucléaire car la dissuasion est au cœur de notre stratégie de défense et quatrièmement le soutien de la logique de défense collective de l’Europe en étant capable de peser. En somme, l’ambition pour les armées est de gagner la guerre avant la guerre tout en étant apte à s’engager dans un affrontement de haute intensité par souci de cohérence et de crédibilité. En effet dans une guerre imposée, il faut avoir une construction cohérente en fond qui permet le maintien en condition opérationnelle, la possession de munition et l’entraînement par les hommes. Pour cela il faut agir avec les autres. Tout ceci ne fonctionnera que grâce à la détermination et l’abnégation ici saluée, d’hommes et de femmes engagés au service de la France.

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Le « soldat augmenté » de l’Armée française, entre réalité et fantasmes

Le « soldat augmenté » de l’Armée française, entre réalité et fantasmes

« Chaque militaire possède un libre arbitre, qu’il doit préserver. Personne ne reste soldat toute sa vie, nous ne sommes ni des cobayes ni des pions au service de l’État. » Ces mots sont ceux de Roland, 34 ans, ancien membre des Forces spéciales (FS), l’une des unités d’élites de l’Armée française les plus exigeantes qui effectue principalement des opérations militaires à extérieur de la France (OPEX). Pendant onze ans, Roland effectue des missions autour du monde, officielles et officieuses, pour l’État français. Du Sahel (Mali, Niger, Burkina-Faso) au Levant (Irak), où il combat dans le cadre de la guerre contre l’État islamique (EI), il a vécu les évolutions des outils technologiques livrés aux soldats. 

Depuis plusieurs années, face à l’apparition des nouvelles technologies, l’Armée française développe ses compétences pour augmenter les capacités physiques, psychologiques et cognitives des militaires. Le terme « soldat augmenté » définit les augmentations liées au corps et à l’esprit dans le but de renforcer son efficacité opérationnelle. De manière courte ou prolongée, l’intérêt est d’augmenter toutes les facultés du militaire, afin d’être plus fort que l’ennemi.

Dans l’ombre, pour le ministère des Armées, chercheurs et ingénieurs planchent sur le sujet, pour développer les performances humaines du soldat, jugé trop humain, donc fragile aux yeux des états-majors. L’homme est, paradoxalement, le maillon faible du champ de bataille. Mi-hommes, mi-robots, le corps de ces soldats est parfois modifié pour en faire des armes de guerre high-tech. Des techniques mécaniques sont déjà utilisées telles que des robots d’assistance, des lunettes à vision nocturnes et même des exosquelettes, qui permettent de courir plus vite sur le terrain et de soulever des charges lourdes. Des substances stimulantes sont aussi employées comme des capsules aux amphétamines et des comprimés à la caféine à effet prolongé, pour lutter contre le stress, la faim et la fatigue. 

Source : Wikimedia/CC/Domenjod
Source : Wikimedia/CC/Domenjod

De l’intérêt de l’exosquelette

De prime abord, les apports des nouvelles technologies sur le corps du soldat comportent de nombreux bénéfices. « J’ai déjà pris des cachets à la caféine, c’est assez puissant et ça permet de lutter contre la fatigue sur plusieurs jours », confie Roland, qui a été déployé en Irak après les attentats de 2015 en France. Sur le terrain, au Levant, il combat avec son équipe les djihadistes de l’EI, dans une cadence infernale. Dans certaines armées étrangères, des interventions chirurgicales des oreilles et des yeux pour amplifier les aptitudes des soldats ont déjà eu lieu, pas encore en France. «Il faut rappeler qu’au sein des forces spéciales, nous sommes sélectionnés pour nos aptitudes physiques, qui comprennent également une excellente vision et une audition parfaite », détaille l’ancien soldat du 1er RPIMa. En service, il entend parler du développement des exosquelettes pour l’Armée de terre, sans avoir pu le tester sur le terrain. Lorsqu’il quitte les forces spéciales, le projet n’était pas encore finalisé. 

« Il y a un intérêt certain à utiliser l’exosquelette. Nous avons un métier usant, certains collègues ont des problèmes de genoux et de dos à force de porter des équipements de plusieurs dizaines de kilos, c’est très traumatisant pour le corps. L’exosquelette permet de se soulager, en augmentant nos forces à l’aide de tiges et de rotules automatisées. » Toutes ces avancées technologiques sont fièrement exposées lors de chaque salon militaire « Innovation Défense », qui se tient chaque année Porte de Versailles à Paris. « C’est très intéressant, mais ça a un prix, tout cela coût très cher et l’Armée française n’a pas des moyens illimités », précise Yannick, 29 ans, ancien soldat formé au 35e régiment d’infanterie de Belfort (Bourgogne-France-Comté).

« Avant de développer de l’IA et des outils high-tech pour nous, ils devraient d’abord bien nous approvisionner correctement en munitions »

Tireur de précision, Yannick considère qu’il est impossible pour l’Armée française de développer pleinement le « soldat augmenté », compte tenu des finances attribuées aux troupes. « J’ai été confronté concrètement aux coupures économiques. Avant de développer de l’IA et des outils high-tech pour nous, ils devraient d’abord bien nous approvisionner correctement en munitions. Je ne vois pas comment c’est possible de rivaliser avec d’autres puissances étrangères, étant donné notre budget », dépeint-il agacé.  

Des exosquelettes sont aussi utilisés dans le privé, comme chez Enedis pour les travaux qui mobilisent le haut du corps ici // Source : Wikimedia/CC/ACEFJKRS
Des exosquelettes sont aussi utilisés dans le privé, comme chez Enedis pour les travaux qui mobilisent le haut du corps ici // Source : Wikimedia/CC/ACEFJKRS

L’ancienne ministre des Armées, Florence Parly, avait déclaré en décembre 2020 à propos du soldat augmenté : « C’est un futur auquel il faut nous préparer. Nous disons oui à l’armure d’Iron Man et non à la mutation génétique de Spiderman. » Le gouvernement assure que chacune de ces modifications se fera avec le consentement du soldat et avec un suivi sur les risques et les bénéfices. Sera-t-il vraiment possible ? 

« Je n’aurais pas accepté »

Pour Yannick, aujourd’hui retourné dans la vie civile, ces modifications biologiques sur les corps des soldats seront difficilement applicables. Puces GPS, opérations chirurgicales… autant de modifications qui ne peuvent pas être réalisées dans le consentement du soldat, signature à l’appui. « Toucher au corps, c’est aussi toucher à l’intégrité physique et spirituelle, moi je n’aurai pas accepté », stipule-t-il fermement. Les croyances religieuses ou les principes de chaque soldat sont également une donnée à prendre en compte.

Pour Roland, l’enjeu principal est de continuer à garder le contrôle sur ces nouvelles technologies au sein de l’Armée. « Si la main de l’homme ne décide pas de l’action finale, comme abattre la cible, cela pose un énorme problème. On ne peut pas se reposer à 100 % sur ces nouvelles technologies. Comment ferions-nous en cas de coupures de courant généralisées de la part de l’ennemi ? Ou si la batterie de l’exosquelette lâche ? On a toujours besoin d’un back-up humain. »  

Des dizaines d’entreprises françaises commencent à surfer sur le business du soldat augmenté. Des sociétés voient le jour telles que RB3D, qui a créé l’un des premiers prototypes d’un exosquelette en France en 2014. Leur projet « Hercule » a été partiellement financé par l’Armée française dès 2009, il s’agit d’une carapace qui se présente comme un sac à dos avec des jambes dont on enfile les extrémités, pour décupler les forces du fantassin.

Pour l’heure, il est essayé lors des cours militaires, mais pas encore utilisé sur le terrain. Une autre société, Physip, développe un casque EEG (électroencéphalographie), qui mesure l’activité cérébrale de son porteur et en déduit son état de stress et de fatigue. Son logiciel d’interprétation est capable d’analyser les données de l’utilisateur lorsqu’il est en pleine action. Malgré ces développements, l’Armée française est frileuse d’imposer à ces soldats ces avancées, retardant ainsi sa progression en la matière face à d’autres armées (États-Unis, Chine notamment.)   

L’exosquelette Hercule // Source : rb3d
L’exosquelette Hercule // Source : rb3d

Ne pas toucher à la dignité du corps du soldat

La particularité de l’Armée française est d’être plus attentive sur les questions d’éthique et de consentement que d’autres nations. La France est le seul pays au monde à s’être doté d’un communiqué d’éthique de la Défense sur le soldat augmenté, rendu en 2020. « L’idée est de dire oui au soldat augmenté, mais de fixer des limites claires. Comme par exemple bannir tout ce qui est invasif, tels que des puces dans le cerveau ou des technologies irréversibles », précise Pierre Bourgois, maître de conférences en science politique à l’Université d’Angers et auteur de L’enjeu du soldat augmenté pour les puissances démocratiques.

Cette ligne rouge à ne pas franchir comprend le fait de ne pas toucher à la dignité du corps du soldat, chaque modification corporelle irréversible est proscrite. Ni les États-Unis, qui utilisent certaines puces GPS, ni la Chine, qui réalisent des tests de mutations génétiques sur l’ADN, ne respectent ces principes. 

« La France fait le choix de ne pas décrocher stratégiquement en restant dans la course, tout en ne dépassant pas certaines zones rouges telles que les ingénieries génétiques », précise à Numerama Pierre Bourgois. Cette course au soldat augmenté s’inscrit depuis 2010 dans un contexte de techguerre : recours à l’IA, attaque de drones, robots démineurs, hacking de masse etc. Mais tout est question de choix politiques. « La France a décidé de s’inscrire dans cette course tout en respectant des valeurs morales. Si demain, il y a une cyberguerre d’envergure mondiale, il faudra faire un choix politique plus clair », résume le maître de conférences.

Le soldat augmenté est-il un fantasme ?

Le monde asiatique est plus collectif sur ces questions, les gouvernements pensent davantage à l’augmentation du groupe, tandis que les États-Unis ont investi massivement dans les nouvelles technologies parce qu’ils sont très technophiles. Les Américains appellent cette nouvelle ère « algorithmic warfare », une période qui place la technologie au cœur de l’écosystème de la guerre de haute intensité. La France, quant à elle, tente de rattraper son retard en ayant adopté en juillet 2023 par le Parlement la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, qui prévoit d’allouer 413 milliards d’euros à la « transformation des armées », dont 10 milliards à l’innovation de la défense. Notamment, l’exploitation de technologies de robotique sous-marine : drones sous-marins, robots, lutte antimines marines etc. 

Aujourd’hui, le comité d’éthique de la Défense et le ministère des Armées sont très prudents sur la question. Pour Gérard de Boisboissel, ingénieur de recherche à l’École Saint-Cyr Coëtquidan et directeur de l’observatoire « Enjeux des Nouvelles Technologies pour les Forces », le soldat augmenté fait l’objet de nombreux fantasmes dans la société civile.

« Les puces GPS, c’est niet ! »

En 2015, il dirige un programme sur le soldat augmenté. Aujourd’hui, il fait tester l’exosquelette à ses étudiants de Saint-Cyr, futurs officiers de l’Armée française. Lorsque nous évoquons la question du consentement de chaque soldat, il précise que son inquiétude repose davantage sur des nanotechnologies, souvent irréversibles sur le corps humain. « Des nanotechnologies ? On va s’en passer. Notre service de santé au sein des armées est très vigilant sur la question. Il faut penser à la restitution des corps de nos soldats après leur service », craint-il, avant de préciser que « rien ne remplacera l’entraînement physique et psychologique du soldat. Vous avez beau discuter d’augmentation, nous sommes en 2024 et en Ukraine les soldats dorment et se battent toujours dans des tranchées. » 

La plupart des soldats et militaires français sont catégoriques quant aux modifications irréversibles sur leurs corps, même si celles-ci pourraient augmenter considérablement leurs forces ou leur faire gagner une bataille. La question du retour à la vie civile est cruciale. Malgré la course au soldat augmenté, nos militaires français font preuve d’un réel esprit critique et de liberté. « Je refuse qu’on m’opère pour m’augmenter, vous savez j’ai une vision au-delà de l’Armée. Après mon service, je redeviens un citoyen normal. Donc les puces GPS, c’est niet », conclut Roland à Numerama.

Dossier géopolitique : La désinformation

Dossier géopolitique : La désinformation

Par Pierre Verluise – Diploweb – publié le 4 février 2024 

https://www.diploweb.com/Dossier-geopolitique-La-desinformation.html


Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne. Fondateur associé de Diploweb. Chercheur associé à la FRS. Il enseigne la Géopolitique de l’Europe en Master 2 à l’Université catholique de Lille. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : “Les fondamentaux de la puissance” ; “Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ?” par Kévin Limonier ; “C’était quoi l’URSS ?” par Jean-Robert Raviot.

La désinformation est peut-être vieille comme le monde, mais elle ne cesse de se réinventer, notamment avec Internet et l’Intelligence Artificielle. L’usage de relais lui permet de gagner en furtivité, voire en efficacité. Pour cliver, rendre hystériques et fragiliser les institutions démocratiques.

Depuis sa création, en l’an 2000, le Diploweb a consacré nombre de publications à la désinformation. En voici une sélection. Aujourd’hui, le contexte rend plus que jamais nécessaire de contextualiser et d’apprendre à se préoccuper de la source pour comprendre comment cette information est arrivée sous nos yeux.

Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. La page de chaque document en lien porte en haut et en bas sa date de publication, afin de vous permettre contextualiser.

. David Colon, Pierre Verluise, La guerre de l’information cherche à accélérer la décomposition des sociétés démocratiques. Entretien avec D. Colon

Comment définir la guerre de l’information ? Comment les adversaires des Etats-Unis, notamment l’Iran, la Chine, la Russie ont-ils réagi à la guerre de l’information conduite par les Etats-Unis ? Quelles sont les fonctions des agences de presse et des médias sociaux dans la guerre de l’information contemporaine ? Que font les Etats-Unis mais aussi les États membres de l’UE pour se prémunir de la guerre de l’information conduite par la Russie mais aussi la Chine ?

Voici un entretien majeur avec l’auteur d’un des meilleurs ouvrages publiés depuis trente ans sur la désinformation, enjeu majeur des temps présents et futurs. Vous allez connaitre les grands moments et les principaux acteurs d’une guerre à laquelle nous n’étions pas préparés, devenue menace mortelle pour nos démocraties.

. Estelle Hoorickx, Les menaces hybrides : quels enjeux pour nos démocraties ?

Les menaces hybrides : de quoi parle-t-on ? Quels sont les outils hybrides de plus en plus nombreux et diversifiés qui nous menacent ? Quels sont les principaux acteurs des attaques hybrides ? Estelle Hoorickx fait œuvre utile en précisant les concepts, les stratégies et les moyens utilisés pour nuire aux démocraties en les polarisant à outrance. Les défis sont considérables. Seul un effort durable et conjugué de l’UE et des autres démocraties, impliquant l’ensemble des sociétés civiles, peut produire des effets bénéfiques sur le long terme.

Pierre Verluise
Docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com
Verluise

. Arthur Robin, David Colon, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? D. Colon

Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre. Avec une synthèse rédigée par M-C Reynier, validée par D. Colon.

. Estelle Ménard, Jean-Robert Raviot, Kevin Limonier, Louis Petiniaud, Marlène Laruelle, Selma Mihoubi, Radio Diploweb. Russie : la reconstruction du « hard power » et du « soft power »

Émission sur la Russie réalisée par Selma Mihoubi et Estelle Ménard. Le Diploweb.com croise les regards sur le « soft power », l’idéologie, le « hard power » et le cyberespace pour comprendre la reconstruction du pouvoir en Russie. Cette émission a été réalisée en collaboration avec quatre des auteurs du numéro double de la revue “Hérodote” (N° 166-167) : “Géopolitique de la Russie”. Il s’agit de Marlène Laruelle, Jean-Robert Raviot, Louis Pétiniaud et Kévin Limonier.

. Eléonore Lebon Schindler, Quelle désinformation russe ? EUvsdisinfo.eu la réponse d’East Stratcom pour la Commission européenne

EUvsdisinfo.eu déconstruit la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental, dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale et sensibilise au danger de la désinformation en général. Une ressource à connaître.

. Ukraine Crisis Media Center (UCMC), Vidéo. Comment les télévisions russes présentent-elles l’Union européenne ?

Passez de l’autre côté du miroir : on a peu l’occasion de se faire une idée par soi-même de l’image que donne la télévision russe de l’Union européenne. L’équipe de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC) a analysé pour vous 8 émissions des 3 chaînes principales sur une durée de 3 ans. Cette vidéo sous-titrée en français vous permet de voir les télévisions russes comme si vous étiez en Russie. La vidéo est accompagnée d’une présentation de l’étude et de ses enseignements.

. Laurent Chamontin, La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre

À l’occasion de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass, la Russie a donné l’impression d’avoir passé un cap en matière de guerre de l’information. L’art de la désinformation ne date pas d’hier, néanmoins le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux a mis en lumière une tradition de la manipulation spécifiquement russe, liée à l’irresponsabilité traditionnelle de l’État et à l’omniprésence des services secrets. L’Internet russe étant de plus lourdement contrôlé, il s’agit d’une forme de conflit asymétrique, contre laquelle les démocraties doivent apprendre à mieux se défendre.

. Anna Monti, James Lebreton, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. P. Verluise. La « Glasnost » de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ?

La désinformation est vieille comme le monde et elle ne cesse de se réinventer, notamment via de nouvelles technologies, mais il existe des fondamentaux, des régularités. Que nous apprend M. Gorbatchev, Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique à propos de la désinformation ? Tout en présentant l’histoire des dernières années de la Guerre froide, P. Verluise apporte une réponse stimulante. Avec en bonus une synthèse rédigée par A. Monti.

. Colin Gérard, « Sputnik » : un instrument d’influence russe en France ?

Plus de vingt-cinq ans après la fin de la Guerre froide, peut-on vraiment inscrire Sputnik, financé à 100% par le Kremlin, dans la continuité d’une stratégie d’influence issue de l’héritage soviétique ? Colin Gérard répond en présentant les origines de la création de Sputnik et sa stratégie de développement axée sur les réseaux sociaux. Deux ans après la mise en service de la version française de Sputnik, le Diploweb publie un document de référence pour un bilan d’étape.

. Laurent Chamontin, Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.

. Manon-Nour Tannous, Que vaut l’idée reçue : « La guerre en Syrie est un complot » ?

L’auteure démontre à travers des exemples que les théories du complot prônent une vision déterministe des événements, dans laquelle le postulat de départ (il existe un plan caché) prime sur l’analyse des faits. Elles reposent sur une surévaluation des calculs politiques pratiqués en coulisse et de leurs succès. Cette stratégie discursive a une fonction claire : établir qu’il n’y a pas eu de révolution en Syrie.

. Anne Deysine, Antonin Dacos, Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l’assaut de la démocratie américaine ?

Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu’entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. A. Deysine présente successivement Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats ; La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis ; La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ? Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.

. Raphaël Mineau Quels sont les effets boomerang du « sharp power » chinois en Australie ?

L’objectif du sharp power chinois est de neutraliser toutes les remises en cause de la représentation que le régime chinois se fait de lui-même. Il s’agit d’obtenir une cooptation d’étrangers pour façonner les processus décisionnels et soutenir les objectifs stratégiques de Pékin. Ce faisant, le régime chinois manipule le paysage politique des Etats démocratiques afin de légitimer son comportement, dicter des conditions favorables, et façonner l’ordre international à son image. Suite à ces manœuvres notamment appuyées sur les médias en langue chinoise et les associations de Chinois d’outre-mer Pékin représente aujourd’hui aux yeux des autorités australiennes une menace pour la démocratie et la souveraineté nationale de l’Australie. Dans un contexte de rapprochement avec les Etats-Unis, l’île-continent est ainsi passée d’une coopération à une compétition stratégique avec la Chine. Avec deux cartes et une frise chronologique.

. François Géré, Pierre Verluise, Communication et désinformation à l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des théories du complot. Entretien avec F. Géré

L’information à l’heure d’Internet ouvre de nouvelles possibilités, y compris de manipulation. Il importe de saisir comment les progrès techniques ont renforcé la place de l’information dans notre quotidien et ses enjeux, désinformation comprise. Dans le contexte des élections à venir, tous les citoyens attachés à la démocratie y trouveront matière à réflexion.

ECFR, Charlotte Bezamat-Mantes, Carte. La désinformation sur Facebook. Comment les États transforment les réseaux sociaux en armes

L’ECFR a publié en anglais une somme considérable “The Power Atlas. Seven battlegrounds of a networked world”, sur ecfr.eu. Un membre du Conseil scientifique du Diploweb a attiré notre attention sur cette publication. Nous avons demandé à l’ECFR l’autorisation de traduire quelques cartes en français afin de contribuer au débat. Traduite et réalisée en français par C. Bezamat-Mantes, la carte grand format se trouve en pied de page.

. Pierre-Antoine Donnet, Pierre Verluise, Chine, le grand prédateur. Un défi pour la planète. Pourquoi ? Entretien avec P-A Donnet

Pourquoi la RPC est-elle sur le banc des accusés en matière d’espionnage industriel ? Comment la Chine construit-elle ses relations avec les pays partenaires des Nouvelles routes de la soie ? Que penser du rapport de l’IRSEM qui fait grand bruit « Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien » ?
Voici quelques-unes des questions posées à Pierre-Antoine Donnet par Pierre Verluise pour Diploweb.com.

. Anastasia Kryvetska, Comment l’écosystème cyber ukrainien s’est-il adapté à la guerre ?

Depuis 2014, le moteur du développement du cyberespace ukrainien est la guerre avec la Russie. Même si les autorités ne sont pas parvenues à agir efficacement dans le cyberespace dès le début du conflit, ce dernier a fait émerger un écosystème cyber qui a su s’adapter au contexte de guerre. Cet écosystème a contribué à la défense du pays à toutes les échelles, tant au niveau des citoyens que des acteurs étatiques et privés. Bien que de très nombreux objectifs doivent encore être atteints, l’invasion de l’Ukraine est un catalyseur pour le développement du cyber, qui est devenu un acteur essentiel du ministère de la Défense. Illustré de trois graphes.

. Catherine Durandin, Guy Hoedts, Roumanie, vingt ans après : la “révolution revisitée”

Voici un livre au format pdf, téléchargeable gratuitement. Ce recueil rassemble des communications présentées au colloque 1989 en Europe médiane : vingt ans après organisé à Paris, en l’Hôtel National des Invalides.

. Galia Ackerman, Laurent Chamontin, Les manipulations historiques dans la Russie de V. Poutine, un sujet géopolitique

Après avoir été alliée de l’Allemagne nazie d’août 1939 à juin 1941, l’Union soviétique est attaquée par Hitler. Contrainte et forcée, l’URSS change alors de camp. Quelle relation le pouvoir russe entretient-il avec la Seconde Guerre mondiale et ses zones d’ombres ? Comment expliquer la résurgence actuelle du culte de la “Grande Guerre Patriotique” (1941-1945) et de ses héros ? Galia Ackerman, auteur de « Le régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine », éd. Premier Parallèle (2019), répond aux questions de Laurent Chamontin pour Diploweb.com

. Dans les archives du Diploweb, en 2002 Alexandra Viatteau, Bibliographie pour l’étude de l’information et la désinformation


Toujours plus sur Diploweb

Ce dossier présente une sélection non exhaustive des ressources du Diploweb disponibles sur la désinformation. Plusieurs dizaines de documents s’y rapportent. Aussi nous vous invitons à poursuivre et affiner votre exploration de deux façons :
. par l’utilisation du moteur de recherche interne (en haut à gauche), par exemple avec le mot “désinformation” ;
. par l’usage des rubriques géographiques du menu, en fonction de votre zone d’intérêt.

Publication initiale de ce dossier février 2024.

Artillerie : Le ministère ukrainien de la Défense dit vouloir acquérir plus de CAESAr français

Artillerie : Le ministère ukrainien de la Défense dit vouloir acquérir plus de CAESAr français

https://www.opex360.com/2023/12/26/artillerie-le-ministere-ukrainien-de-la-defense-dit-vouloir-acquerir-plus-de-caesar-francais/


Selon le site Oryx, qui documente les pertes subies par les forces ukrainiennes et russes depuis la guerre déclenchée par Moscou le 24 février 2022, six de ces obusiers automoteurs ont été détruits [cinq CAESAr 6×6 et un CAESAr 8×8]. Dans la plupart des cas, ils ont été touchés par une munition téléopérée [MTO, ou drone kamikaze] de type Lancet qui, produite par une filiale du groupe Kalachnikov, a une portée maximale de 40 km. Évidemment, cela pose la question de leur protection contre les drones, ce qui pourrait passer par l’ajout de capacités défensives ou bien par l’amélioration de leur camouflage.

Pour rappel, la portée d’un CAESAr est d’environ 40 km, avec une capacité de tirer six coups en une minute, la sortie de batterie de fait en moins de deux minutes, ce qui limite le risque d’un tir de contre-batterie.

Cela étant, selon le témoignage d’un officier ukrainien récemment rapporté par le quotidien Le Monde, le CAESAr ne serait pas exempt de critiques.

« Votre canon automoteur CAESAr tire très vite et avec une précision d’orfèvre. Mais je l’utilise très peu parce qu’il est très vulnérable et mal adapté aux réalités de la guerre », a confié le colonel Yan Iatsychen, commandant de la 56e brigade d’infanterie motorisée de l’armée ukrainienne.

La « taille importante » de l’obusier, avance Le Monde, en ferait une « cible prioritaire » pour les drones russes [ce qui, au passage, est aussi valable pour les autres obusiers automoteurs…]. « Si je le sors en terrain découvert pour tirer, il devient la cible de tirs de contrebatterie au bout de trois à quatre minutes. Je n’ai pas le temps de l’évacuer hors de la zone de danger », a continué l’officier, qui a dit préférer le canon [tracté] américain M777… Or, selon Oryx, 77 de ces pièces d’artillerie ont été détruites ou endommagées, sur environ une centaine…

Puis il a tenu des propos encore plus surprenants… « Cette dame [le CAESAr] aime trop la propreté. Ses opérateurs sont comme des chirurgiens, toujours avec des gants et des couvre-chaussures, contraints de dormir dedans pour le pas la salir ».

Quoi qu’il en soit, le ministère ukrainien de la Défense ne partage pas la même appréciation du CAESAr que le commandant de la 56e brigade d’infanterie motorisée. Via un communiqué publié le 24 décembre, il a en effet souhaiter en « acquérir davantage » pour répondre aux besoins » de ses forces armées.

« Les CAESAr ont démontré une grande efficacité et une grande précision au combat », a fait valoir le général Ivan Gavryliuk, le vice-ministre ukrainien de la Défense. « Il est très important pour l’Ukraine d’augmenter sa puissance de feu grâce à la fourniture de systèmes d’artillerie par les alliés », a-t-il ajouté.

Ce sera justement la raison d’être de la création, en janvier prochain, d’une « coalition artillerie » qui, devant être dirigée par la France, viendra ainsi s’ajouter à celles précédemment mises en place pour les avions de combat F-16, la défense aérienne et les chars Leopard.

Cela étant, l’armée ukrainienne entend améliorer la conduite de tir du CAESAr en ayant recours à l’intelligence artificielle. Cela « permettra de réduire de 30% l’utilisation de munitions pour viser et atteindre les cibles », a avancé le général Gavryliuk, après avoir annoncé que des essais seraient menés à cette fin en 2024.

Stratégie militaire israélienne : l’intelligence artificielle au service des bombardements massifs

Stratégie militaire israélienne : l’intelligence artificielle au service des bombardements massifs

par Laure de ROUCY-ROCHEGONDE, Julien NOCETTI, cités par Elise Vincent dans Le Monde

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/strategie-militaire-israelienne-lintelligence-artificielle-service


L’armée se sert de l’IA pour augmenter le nombre de cibles, malgré les dommages collatéraux. Les buts de guerre de l’armée israélienne dans la bande de Gaza sont réaffirmés chaque jour par les autorités : « L’élimination du Hamas et le retour des otages en Israël », comme l’a encore assuré, lundi 4 décembre, le ministre de la défense, Yoav Gallant.

Mais, alors que la trêve entre Israël et le Hamas a pris fin le 1er décembre et que l’armée intensifie désormais ses frappes et son déploiement dans le sud de l’enclave, une série d’enquêtes publiées dans la presse israélienne et britannique depuis le 30 novembre, faisant état d’une plate-forme informatique dotée d’intelligence artificielle à laquelle aurait recours l’armée israélienne pour piloter ses campagnes de bombardements et mener à bien ses objectifs affichés, soulève d’importantes interrogations.

Bien que l’armée israélienne revendique l’usage de cette technologie, la controverse prend de l’ampleur face à l’extension de son offensive à l’ensemble du territoire palestinien et au nombre de victimes – près de 16 000 selon le ministère de la santé administré par le Hamas.

Selon le Guardian et le magazine israélien de gauche +972, qui ont publié ces articles sur la base d’entretiens avec des officiers israéliens en fonctions et d’anciens militaires en désaccord avec la stratégie suivie, la principale plate-forme aujourd’hui utilisée par l’armée est baptisée « Habsora » (« le gospel »). Sur une page de son site Internet, mise en ligne le 2 novembre, l’armée israélienne présente ce logiciel – sans le nommer – comme un système qui « permet d’utiliser des outils automatiques pour produire des cibles à un rythme rapide (…) en améliorant le renseignement (…) avec l’aide de l’intelligence artificielle ». La page est rehaussée d’un titre emphatique : « Une usine à cibles » qui « fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre ».

Ces déclarations font directement écho au nombre de frappes et de cibles sur lesquelles l’armée israélienne communique chaque jour depuis le début de la guerre. Le 3 décembre, les autorités militaires ont ainsi indiqué avoir mené « environ 10 000 frappes aériennes » sur Gaza depuis le 7 octobre. Un chiffre jugé colossal par nombre de spécialistes. L’armée israélienne assure également avoir attaqué « 15 000 cibles » durant les trente-cinq premiers jours du conflit, contre 5 000 à 6 000 durant les cinquante et un jours qu’avait duré l’opération « Bordure protectrice », en 2014.

Connue depuis 2021

Avec Habsora, l’armée semble avoir démultiplié le nombre de cibles possibles et « accéléré au maximum le cycle du ciblage », analyse Laure de Roucy-Rochegonde, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI), en référence au temps de latence entre le repérage d’un objectif et la décision de tir. Pour le « Dôme de fer », par exemple, le système qui protège le territoire israélien des menaces aériennes, « le temps laissé aux opérateurs, souvent des jeunes qui font leur service militaire, est d’environ une minute », détaille Mme de Roucy-Rochegonde, autrice d’une thèse soutenue, le 20 novembre, sur la régulation des systèmes d’armes autonomes, intitulée « Heurs et malheurs du contrôle de la force ».

« Les techniques auxquelles a recours Tsahal pour son algorithme apparaissent néanmoins assez classiques. Il n’y a rien de particulièrement nouveau », rappelle encore la chercheuse. Habsora est en effet connue des milieux spécialisés depuis 2021, année où la plate-forme a officiellement été expérimentée pour la première fois par l’armée israélienne, avec d’autres logiciels de ciblage, lors de l’opération militaire « Gardien des murs » contre la bande de Gaza. Comme beaucoup de solutions informatiques développées actuellement par la plupart des armées du monde, l’objectif d’Habsora est d’agréger des masses de données dites « hétérogènes », pouvant provenir à la fois du renseignement humain, spatial, de captation de conversations téléphoniques, ou de simples observations visuelles.

Dans un article publié en 2022 dans Vortex, la revue de l’armée de l’air française, l’une des chercheuses israéliennes les plus réputées dans le domaine des nouvelles technologies militaires, Liran Antebi, présentait ainsi Habsora comme un logiciel qui « génère des recommandations proposées par l’IA pour le personnel chargé de trouver des objectifs ». La chercheuse associée à l’Institut d’études de sécurité nationale, qui dépend de l’université de Tel-Aviv, précisait que le programme avait été développé au sein de l’unité 8 200, l’une des plus en pointe du renseignement israélien, responsable notamment du renseignement d’origine électromagnétique.

Usage inédit

Mais l’usage de l’intelligence artificielle présente bien un caractère inédit dans le cadre de la guerre qui a démarré le 7 octobre entre Israël et le Hamas. L’enclave apparaît comme « un terrain d’expérimentation à grande échelle », souligne Julien Nocetti, chercheur associé à l’IFRI, et spécialiste du cyber et des conflictualités numériques. Habsora s’inscrit « dans la continuité de ce que Tsahal fait depuis des années en traitant de très grandes quantités de données concernant des milliers de Palestiniens à des fins de sécurité intérieure. Mais les logiciels les retraitent aujourd’hui en franchissant un cran supplémentaire », ajoute-t-il.

Selon le magazine +972, l’armée israélienne a ainsi revu l’ensemble de ces critères de ciblages et s’autorise désormais à mener des frappes « sur des résidences où vit un seul membre du Hamas, même s’il s’agit d’agents subalternes » du mouvement. De même, le nombre de victimes collatérales autorisées dans le cadre d’une attaque pour cibler un seul responsable du Hamas serait passé de « dizaines de morts » à « des centaines », d’après +972. Ces choix ont abouti à la destruction d’immeubles entiers pour une seule cible répertoriée, comme l’a montré la frappe sur le camp de réfugiés de Jabaliya, le 31 octobre, qui visait selon l’armée « l’un des dirigeants de l’attaque terroriste du 7 octobre » et a fait 126 morts, selon le collectif Airwars.

Alors que l’intelligence artificielle, présente dans de très nombreux systèmes d’armes aujourd’hui, est d’ordinaire mise en avant par les milieux militaires comme une manière d’avoir une plus grande retenue dans l’usage de la force, car elle permet d’être plus précise dans la frappe, « là c’est précisément l’inverse », reprend Mme de Roucy-Rochegonde. Une approche inhabituelle, qui, au-delà des critiques qu’elle suscite, peut aussi être une manière pour Tsahal, selon la chercheuse, « de revoir la façon de calculer la proportionnalité d’une frappe ciblée, comme le réclame le droit international humanitaire, et en même temps d’essayer de faire accepter une part plus importante de dégâts collatéraux ».

« C’est aussi un message très clair au Hamas. Une façon de dire “on sait tout sur vous et on va tous vous éliminer” », poursuit M. Nocetti, qui y voit la traduction directe de la « fuite en avant » du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, deux mois après le choc de l’attaque du 7 octobre, marquée par les défaillances de la stratégie du tout-technologique israélien. « C’est aussi une prise de risque de la part du leadership israélien, qui peut effriter une partie du soutien de la communauté internationale, notamment des Etats-Unis, où la question des dégâts collatéraux prend de plus en plus d’importance », ajoute le chercheur.

Lire l’article sur le site du Monde

L’intelligence artificielle dans l’industrie de défense en France

L’intelligence artificielle dans l’industrie de défense en France

par Océane Zubeldia (*) – Esprit Surcouf – publié le 1er décembre 2023
Chercheur Domaine Armement et économie de défense
IRSEM

https://espritsurcouf.fr/defense_l-intelligence-artificielle-dans-l-industrie-de-defense-en-france_par_oceane-zubeldia/


« Dans toute opportunité, il y a un danger. »

Emmanuel Chiva, Délégué général pour l’Armement (DGA),
à propos de l’intelligence artificielle

Alors qu’aux États-Unis, l’IA parait instable, comme le montre l’affaire de Sam Altman, ancien PDG licencié d’OpenAi, qui vient de revenir à la tête de l’entreprise, cet article explore les ambitions françaises dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) appliquée à la défense. Il cherche à mettre en lumière la dynamique française et les défis à relever, notamment en matière d’innovation, de réglementation et d’éthique.

À l’occasion du salon Viva Technology (14 au 17 juin 2023), le président de la République a rappelé les ambitions françaises en matière d’intelligence artificielle (IA), à savoir développer un écosystème de talents, diffuser l’IA et la donnée dans l’économie et l’administration, promouvoir un modèle éthique équilibré entre innovations et protection des droits fondamentaux. Depuis 2017, la France s’est engagée dans la voie du développement de l’IA, orientations renforcées par le rapport Villani, « Donner un sens à l’intelligence artificielle, Pour une stratégie nationale et européenne » (8 septembre 2017–8 mars 2018), le rapport parlementaire de l’Assemblée nationale rédigé par Olivier Becht et Thomas Gassilloud, « Les enjeux numériques des armées » (mai 2018) qui a mis en évidence le défi de l’IA comme « un défi pour la R&D et la BITD française ». (cf BITD pour Base industrielle et technologique de défense.)

Un dernier point retient également l’attention : France 2030, qui correspond à un plan d’investissement d’un montant de 54 milliards d’euros sur une durée de cinq ans. Ses objectifs concernent la création de nouvelles filières industrielles et technologiques, le soutien aux acteurs émergents et innovants à fort potentiel (startups et licornes de demain) afin de remédier au retard industriel français. Seules la consolidation et la continuité des actions déjà menées permettront aux entreprises de la BITD françaises de tirer leur épingle du jeu.

La donnée au cœur de la compétition des puissances

Avant d’aborder le cœur du sujet, il est opportun de définir l’intelligence artificielle. De quoi s’agit-il ? Selon le Journal Officiel, elle est le « champ interdisciplinaire théorique et pratique qui a pour objet la compréhension de mécanismes de la cognition et de la réflexion, et leur imitation par un dispositif matériel et logiciel, à des fins d’assistance ou de substitution à des activités humaines » (9 décembre 2018). Cette technologie réunit conjointement des capacités de perception, de compréhension et de prise de décision, c’est-à-dire qu’elle reproduit de manière artificielle, comme son nom l’indique, le processus de pensée humain, voire au-delà. Subséquemment, l’IA est devenue un outil incontournable dans notre quotidien et offre de nombreux services (application météorologique à reconnaissance vocale, robot à usage domestique, GPS, etc.). Corrélativement et sans commune mesure, elle concerne également la défense (aide à la décision et à la planification, renseignement, combat collaboratif, robotique, opérations dans le cyberespace, logistique et maintenance).

Le champ d’application de l’IA est donc dual : source de transformations rapides et d’échanges où l’innovation joue un rôle d’accélérateur. Dans cet écosystème spécifique, elle suscite de plus en plus l’intérêt. Ainsi, son essor tient à deux principales raisons : la potentialité quasi illimitée de traitement automatique d’une masse de données dans un temps restreint ainsi qu’une capacité d’apprentissage, et la création d’applications qui touchent une multitude de secteurs. En ce sens, une compétition mondiale a été lancée de manière effrénée où les États-Unis et la Chine imposent leur rythme tandis que l’Europe accuse un certain retard. Toutefois des efforts sont consentis, à noter la date du 30 octobre 2023 qui correspond à la deuxième réunion trilatérale entre la France, l’Allemagne et l’Italie dédiée au développement d’une vision stratégique sur l’IA dans le cadre d’une politique industrielle commune.

La dynamique française

Face à cette course, la France affirme sans détour, dans son discours politique, que pour être souveraine trois points doivent être maitrisés : la convergence des algorithmes, la collecte des données et la capacité de calcul. Dans la pratique, les priorités françaises sont la modernisation de ses activités avec la rénovation de son infrastructure numérique. Elle aura pour perspective soutenir l’accueil de la masse de données et les algorithmes nécessaires au développement de l’IA. Durant l’année 2022, la conduite de cette stratégie s’est matérialisée par la création de 590 startups dédiées à l’IA, et de notamment 16 licornes qui ont généré une levée de plus de 3,2 milliards d’euros (contre 556 millions d’euros en 2018).

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Appliquée à la défense, la supériorité technologique (IA, essaim de drones, quantique, etc.) des armées figure parmi les objectifs de la Loi de programmation militaire 2024-2030. Notamment, il est prévu un financement à hauteur de 10 milliards d’euros pour l’innovation. Dans ce cadre, l’engagement d’un ensemble d’acteurs s’avère essentiel, orientation soutenue par l’Agence innovation de défense (AID), à savoir aussi bien les secteurs industriels (entreprises de la BITD, startups) et académiques (universités, centres de recherche), tout en favorisant l’ouverture et la discussion avec le domaine militaire. L’IA comporte des progrès significatifs qui doivent être exploités, toutefois les potentialités quasi illimitées des technologies de l’IA exigent une plus grande maturité et de fiabilité.

Un développement compétitif et fiable de l’IA

L’intelligence artificielle est souvent assimilée à une sorte de « boîte noire » qui tient à une certaine opacité de la donnée. Plus précisément, la difficulté résulte de la méconnaissance des algorithmes utilisés et de leurs corrélations. La question de la discrimination par la donnée et la menace de voir s’installer des systèmes autoritaires fait également partie des discussions. Ainsi, les critères liés aux données utilisées et à leur qualité, et par extension les biais algorithmiques, constituent un des points faibles de cette technologie. Dans cette perspective, le critère d’explicabilité d’un algorithme, c’est-à-dire la transparence des résultats transmis par l’IA et la bonne compréhension des mécanismes de son apprentissage statistique (de sa création à son utilisation), correspondent aux principaux axes d’effort à fournir. À titre d’exemple, en cas de données erronées, l’algorithme sera inévitablement impacté et les résultats de ce dernier appliqué à une situation réelle risquent par ricochet d’être altérés également.

L’absence de réglementation, les règles de mise en œuvre et les dispositifs constituent des zones grises, notamment au sujet de la responsabilité des concepteurs et celle liée à l’utilisation de données biaisées. Ainsi, la seule compétition et les défis de l’industrie de défense française ne se situent pas uniquement dans le cadre d’une rivalité mondiale. Pour se réaliser, en plus d’être novatrice, elle doit intégrer un cadre juridique inédit ; gage d’autonomie, de souveraineté technologique et de la généralisation future de l’IA. Entre innovation et normes, les entreprises de la BITD sont à même de développer des solutions inédites eu égard aux efforts entrepris et de leur savoir-faire qui ne se fondent pas exclusivement sur la donnée. D’ailleurs, des équipements déjà existants et opérationnels servent de supports aux logiciels de l’IA permettant de prendre un chemin d’évolution plus sûre et progressif.

Un comité français de l’IA

A l’interface des sciences, des techniques et des sciences humaines, l’intelligence artificielle génère des enjeux de toute sorte (opérationnel, maîtrise technologique, souveraineté, autonomisation, juridique, éthique, etc.). De ce fait, de nombreux défis doivent être relevés et les entreprises de la BITD françaises ont à poursuivre les efforts réalisés. Une attention particulière est portée afin que celles-ci ne soient pas écartées de la compétition mondiale avec le risque de perdre leur autonomie.

L’IA est loin d’avoir terminé sa course et elle pourrait constituer dans un horizon très proche une part essentielle des futurs systèmes d’armes. Elles offrent un panel d’application extrêmement large qui intègre aussi bien les intérêts militaires que civils et l’on ne saurait la réduire au simple champ létal. Ces perspectives mettent en avant la nécessité de privilégier la dualité et la coopération entre les différents acteurs pour le développement d’une IA forte et dans le respect d’une communauté de valeurs. A savoir, si la mise en place, par la première Ministre en septembre 2023 d’un comité de l’intelligence artificielle générative (composé d’acteurs des secteurs économique, de recherche, technologique, de recherche, et culturel), permettra dans les prérogatives fixées à 6 mois de consacrer une feuille de route novatrice.


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(*) Océane Zubeldia, chercheur Domaine Armement et économie de défense, Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM).