Fibre optique : (encore) un paradoxe français

Fibre optique : (encore) un paradoxe français

Illustration de cables de fibre optique.//BENAYACHEADIL_A22I8352/Credit:ADIL BENAYACHE/SIPA/2503131828

par Gil Mihaely* – Revue Conflits – publié le 21 avril 2025

Journaliste. Directeur de la publication de Conflits.


Symbole de la modernité numérique, la fibre optique s’impose aujourd’hui comme l’épine dorsale de l’économie mondiale. Qu’il s’agisse de télécommunications civiles, de services cloud, d’objets connectés ou d’applications militaires. Ce fil extrêmement fin, en verre ou en plastique, capable de transmettre des données à très haute vitesse sur de longues distances est au cœur de la transmission rapide, stable et sécurisée des données.​

Pourtant, derrière cette prouesse technologique se dissimule une série de fragilités systémiques, notamment une dépendance préoccupante à certaines matières premières critiques, dont le germanium, très largement contrôlé par la Chine. Le cas de la fibre optique illustre ainsi les tensions entre modèles économiques, innovation et réalités géopolitiques.​ Et dans ce contexte, la France présente un cas particulièrement intéressant : malgré une industrie nationale historiquement solide, la France importe une part significative de ses besoins en câbles à fibres optiques.

Besoins en germanium

L’idée de transmettre la lumière à travers un matériau transparent remonte au XIXe siècle, mais ce n’est qu’en 1966 que Charles Kao et George Hockham proposent l’utilisation de la fibre optique en silice dopée comme solution viable pour les télécommunications. Avec un retard caractéristique, Charles Kao recevra le prix Nobel de physique en 2009 pour cette contribution fondamentale.

La première fibre optique réellement exploitable à des fins commerciales voit le jour au début des années 1970. En 1977, des réseaux pilotes sont déployés aux États-Unis et au Royaume-Uni, utilisant des fibres fabriquées par la société Corning, marquant ainsi le véritable début de l’ère des télécommunications optiques. Celles-ci sont le fruit de plusieurs percées technologiques : d’une part, l’amélioration considérable de la pureté du verre de silice, qui permet de réduire drastiquement les pertes de signal, d’autre part, la mise au point de techniques de dopage. La technique de dopage consiste à introduire dans la silice de base de très faibles quantités d’éléments chimiques, notamment le germanium, le phosphore ou le bore, afin d’en modifier localement les propriétés optiques.

​L’intégration du germanium dans la fabrication des fibres optiques, amorcée au début des années 1970, a constitué une avancée technologique majeure. En dopant le cœur des fibres avec du dioxyde de germanium (GeO₂), il est possible d’augmenter l’indice de réfraction, ce qui améliore le confinement de la lumière et réduit les pertes de signal, notamment sur de longues distances. Cette innovation a permis de développer des fibres optiques plus performantes, essentielles pour les télécommunications modernes.​

Développement moderne

Cependant, cette dépendance au germanium a également introduit une vulnérabilité stratégique. Depuis les années 1970, le marché du germanium a connu une transformation significative, passant d’une production relativement diversifiée à une concentration quasi-monopolistique. Initialement, la production mondiale était répartie entre plusieurs pays, notamment les États-Unis, la Russie, le Canada et l’Allemagne. Au fil des décennies, la Chine a progressivement accru sa part de marché pour devenir le principal producteur mondial. En 2022, la Chine représentait plus de 93,5 % de la production mondiale de germanium. ​Or, à partir des années 1990, la fibre optique a commencé à prendre une part significative de la consommation de germanium, avec l’expansion des réseaux de télécommunications. Le développement fulgurant des usages numériques au cours des deux dernières décennies (télétravail, visioconférence, streaming, intelligence artificielle, drones) a entraîné une explosion de la demande en bande passante. Dans ce contexte, la fibre optique est apparue comme la solution la plus performante. Ainsi, au début des années 2000 la fibre optique est devenue l’un des principaux secteurs consommateurs de germanium, représentant environ 30 à 50 % de la demande mondiale. Et la concentration de la production mondiale de germanium exposait l’industrie mondiale de la fibre optique à des risques d’approvisionnement. une crainte matérialisée en 2023, quand en réponse aux sanctions occidentales sur les semi-conducteurs, Pékin a imposé des restrictions à l’exportation de germanium.

Dépendance chinoise

Cette hégémonie chinoise est le fruit d’une stratégie industrielle de long terme. Dès les années 2000, la Chine a massivement investi dans ses capacités d’extraction et de raffinage du germanium, tout en accordant des subventions publiques, une fiscalité préférentielle et des facilités énergétiques à ses industriels. Ces avantages ont permis aux entreprises chinoises de pratiquer des prix bien en dessous du marché mondial, provoquant l’effondrement des producteurs européens et nord-américains, incapables de soutenir une telle compétition. Par ailleurs, la réglementation environnementale plus souple a renforcé cet avantage-coût, au détriment des standards occidentaux. Aujourd’hui, la Chine ne se contente plus de fournir la matière première : elle intègre aussi le raffinage et la transformation, verrouillant l’ensemble de la chaîne de valeur.​

Face à cette situation, des initiatives émergent pour diversifier les sources d’approvisionnement. Par exemple, la République démocratique du Congo envisage de produire jusqu’à 30 % du germanium mondial en exploitant des résidus miniers à Lubumbashi, en collaboration avec des partenaires européens. De même, des efforts sont en cours aux États-Unis pour renforcer la production domestique, notamment par le biais de financements du Département de la Défense visant à moderniser les capacités de fabrication de wafers en germanium.​

À l’échelle mondiale, le marché des câbles à fibre optique est estimé à plus de 11 milliards USD en 2023, et pourrait s’approcher les 30 milliards d’ici 2030 (chiffres concernant spécifiquement les câbles en fibre, sans les éléments électroniques supplémentaires). La croissance annuelle reste dynamique, avec des taux supérieurs à 10 % dans de nombreux pays, en raison de la demande soutenue en connectivité très haut débit.

Un outil décisif pour la défense

Au-delà des réseaux civils, la fibre optique est devenue un outil décisif pour la défense et les systèmes militaires. Les drones, en particulier, utilisent la fibre pour transmettre en temps réel des données visuelles, des mesures de capteurs ou des signaux de télémétrie. Dans ces contextes, les fibres doivent offrir une résistance accrue aux chocs, aux variations thermiques, aux vibrations et aux interférences électromagnétiques. Le dopage au germanium est ici indispensable : il permet d’obtenir des fibres à très faible atténuation, adaptées aux environnements hostiles et aux applications de haute précision.

La concentration géographique de la production de fibres optiques et des matériaux critiques crée une vulnérabilité structurelle. Les principaux fabricants sont :

Corning (États-Unis) : 14 milliards USD de chiffre d’affaires en 2023 (toutes activités confondues), environ 17 % du marché de la fibre optique.

Prysmian Group (Italie) : 16 milliards USD, près de 20 % du marché européen et mondial dans les câbles.

Furukawa Electric (Japon) : 6,8 milliards USD, environ 10 % du segment fibre

YOFC (Chine) : 5,5 milliards USD, premier producteur chinois, près de 12 % du marché mondial de la fibre.

Tout déséquilibre logistique ou conflit géopolitique peut perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales. En parallèle, la sécurité physique des infrastructures devient elle aussi une préoccupation. Entre 2022 et 2024, la France a été confrontée à plusieurs actes de sabotage visant ses infrastructures de fibre optique, révélant la vulnérabilité de ces réseaux essentiels. Le 29 juillet 2024, des câbles longue distance ont été sectionnés dans six départements, affectant les services de plusieurs opérateurs. Ces attaques, survenues en pleine période des Jeux olympiques de Paris, ont entraîné des perturbations notables des services Internet et téléphoniques. Un incident similaire s’était produit en avril 2022, avec des coupures de câbles à plusieurs endroits, provoquant des interruptions de service Internet à travers le pays. Ces événements soulignent la nécessité de renforcer la résilience et la sécurité des infrastructures de télécommunications en France. Ces actes de sabotage mettent en lumière la fragilité de ces systèmes pourtant essentiels.

La France continue d’importer

En dépit d’un réseau en pleine expansion et l’importance croissante de cette technologie, la France importe la quasi-totalité de ses fibres optiques et de ses composants de base. Les principaux fournisseurs sont chinois, américains et italiens. Le coût des importations de fibre et de matériaux associés est estimé à plus de 500 millions d’euros par an. Cette dépendance s’explique par la faiblesse des capacités de production locales, le manque de filières d’approvisionnement en germanium, et une stratégie industrielle longtemps focalisée sur la pose et non sur la fabrication. Les tentatives de relocalisation se heurtent à des obstacles structurels : coûts de production élevés, savoir-faire industriel partiellement perdu, et difficulté d’accès aux matières premières critiques. Pourtant la France a historiquement développé une industrie de fabrication de fibres optiques, avec des entreprises telles qu’Acome, Prysmian et Silec. Ces acteurs ont contribué à fournir une part significative des fibres utilisées en Europe. Cependant, depuis la fin des années 2010, cette filière est confrontée à une concurrence accrue des importations asiatiques, notamment en provenance de Chine et de Corée du Sud. En 2019, les importations asiatiques représentaient 46 % du marché français, contre 13 % en 2017, entraînant une baisse significative de l’activité des usines françaises, certaines tournant à moitié de leur capacité de production. ​

La France a historiquement développé une industrie de fabrication de fibres optiques, avec des entreprises telles qu’Acome, Prysmian et Silec. Ces acteurs ont contribué à fournir une part significative des fibres utilisées en Europe. Cependant, depuis la fin des années 2010, cette filière est confrontée à une concurrence accrue des importations asiatiques, notamment en provenance de Chine et de Corée du Sud. En 2019, les importations asiatiques représentaient 46 % du marché français, contre 13 % en 2017, entraînant une baisse significative de l’activité des usines françaises, certaines tournant à moitié de leur capacité de production. ​

Face à cette situation, des entreprises françaises du secteur adaptent leurs stratégies pour rester compétitives sur le marché mondial de la fibre optique. Acome, basée en Normandie, a racheté début 2024 l’entreprise danoise Lynddahl Telecom et vise à pénétrer de nouveaux marchés en Scandinavie et aux États-Unis.

En 2023, Acome a réalisé un chiffre d’affaires de 560 millions d’euros, avec une part à l’exportation représentant 52 % de son activité. Quant à Prysmian Group, leader mondial des câbles pour l’énergie et les télécommunications, son site principal est situé dans le Pas-de-Calais, où se trouve la plus grande usine européenne de production de fibres optiques. Cette usine, d’une superficie de 155 000 m² produit chaque année 25 millions de kilomètres de fibre optique. En mars 2025, le groupe a annoncé l’acquisition de l’américain Channell pour 950 millions de dollars, renforçant ainsi sa position sur le marché nord-américain. ​

Pourquoi les importations ?

​Malgré une industrie nationale de la fibre optique historiquement solide, la France importe une part significative de ses besoins en câbles à fibres optiques. Cette situation paradoxale, où des entreprises françaises exportent leurs produits tout en laissant le marché intérieur aux importations, s’explique par plusieurs facteurs économiques et structurels.​

Les fabricants asiatiques, notamment chinois, bénéficient de coûts de production plus bas grâce à des économies d’échelle, des subventions gouvernementales et une main-d’œuvre moins coûteuse. Cela leur permet de proposer des prix plus compétitifs que ceux des producteurs français, incitant les acheteurs à privilégier ces sources pour des raisons économiques. Les entreprises françaises, confrontées à des coûts de production plus élevés, trouvent davantage de rentabilité à exporter vers des marchés où la concurrence est moins intense ou où la demande en produits de haute qualité est plus forte.​ Ce qui explique pourquoi les entreprises françaises du secteur, telles qu’Acome, Prysmian et Silec, se concentrent souvent sur des segments spécifiques du marché, comme les câbles à haute valeur ajoutée ou destinés à des applications particulières. Cette spécialisation peut laisser certains segments de marché moins couverts localement, nécessitant des importations pour combler ces besoins.​

​Malgré une industrie nationale de la fibre optique historiquement solide, la France importe une part significative de ses besoins en câbles à fibres optiques. Cette situation paradoxale, où des entreprises françaises exportent leurs produits tout en laissant le marché intérieur aux importations, s’explique par plusieurs facteurs économiques et structurels.​

La question des prix

Les fabricants asiatiques, notamment chinois, bénéficient de coûts de production plus bas grâce à des économies d’échelle, des subventions gouvernementales et une main-d’œuvre moins coûteuse. Cela leur permet de proposer des prix plus compétitifs que ceux des producteurs français, incitant les acheteurs à privilégier ces sources pour des raisons économiques. Les entreprises françaises, confrontées à des coûts de production plus élevés, trouvent davantage de rentabilité à exporter vers des marchés où la concurrence est moins intense ou où la demande en produits de haute qualité est plus forte.​ Ce qui explique pourquoi les entreprises françaises du secteur, telles qu’Acome, Prysmian et Silec, se concentrent souvent sur des segments spécifiques du marché, comme les câbles à haute valeur ajoutée ou destinés à des applications particulières. Cette spécialisation peut laisser certains segments de marché moins couverts localement, nécessitant des importations pour combler ces besoins.​

Enfin, contrairement à d’autres pays qui ont mis en place des politiques industrielles favorisant la production locale, la France n’a pas toujours accordé une attention suffisante à la préservation de sa filière de production de fibres optiques. L’absence de mesures incitatives ou de protections a contribué à l’érosion de la compétitivité des entreprises françaises sur leur propre territoire.​

Moins de 1 000 hommes: le Pentagone coupe par deux ses effectifs en Syrie

Moins de 1 000 hommes: le Pentagone coupe par deux ses effectifs en Syrie

Un convoi de l’U.S. Army Soldiers en Syrie, fin septembre 2020. (photo U.S. Army Sgt. 1st Class Curt Loter).

Les Etats-Unis ont annoncé, dans un communiqué de vendredi, qu’ils vont réduire de moitié leur présence militaire en Syrie.

Ils estiment avoir lutté avec « succès » contre le groupe Etat islamique (EI), même si des noyaux djihadistes demeurent actifs dans ce pays encore fragile.

Cette décision intervient près de trois mois après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, défavorable depuis longtemps à la présence américaine sur place.

Les Etats-Unis disposent d’une présence militaire en Syrie depuis des années, notamment dans le cadre de la coalition internationale contre l’EI. Longtemps officiellement établis à 900 hommes, les effectifs US ont été, fin 2024, annoncés à 2000 soldats. Comme annoncé la semaine dernière par des médias israéliens, ces forces vont être réduites « à moins d’un millier de soldats dans les mois prochains »,  a déclaré Sean Parnell, le porte-parole du Pentagone. Des sources US disent que les effectifs pourraient s’établir à 500 hommes au pire.

Outre ces militaires, il faut aussi compter sur des contractors employés dans l’AoR du Commandement Centre et dont le nombre est actuellement difficile à estimer. En effet, le CENTCOM dans ses relevés trimestriels donne, depuis 2018, un chiffre global pour l’Irak et la Syrie.

Dans le plus récent relevé (janvier 2025), ces effectifs s’élevaient à 6474 contractors de toutes nationalités confondues:

Le Pentagone n’a rien précisé sur une éventuelle réduction de ces effectifs civils qui sont stables depuis plus d’un an (voir mes différents posts sur ces contractors).

Des miliciens des FS avec un Américain (probablement un contractor) en mai 2021 en Syrie. (photo U.S. Army, Spc. Isaiah Scott)

La brigade franco-allemande et la relance de la défense européenne

La brigade franco-allemande et la relance de la défense européenne

par Jacob ROSS et Nicolas TÉTERCHEN – IFRI – Date de publication :

Couv_Brigade franco-allemande_Ross-Téterchen_04.2025

Une chose est claire depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche : le projet d’unification européenne est menacé dans son existence même. À moins d’élaborer une politique de défense souveraine pour parer à la guerre en Ukraine et à l’affaiblissement des garanties de sécurité américaines, l’Union européenne verra se poursuivre l’érosion de sa dynamique de cohésion interne et de son attractivité externe.

Jägerbataillon 291 lors du défilé du 14 juillet, place de la République à Strasbourg, 2013
Jägerbataillon 291 lors du défilé du 14 juillet, place de la République à Strasbourg, 2013. © Claude TRUONG-NGOC/Wikimedia Commons (sous licence Creative Commons Attribution – ShareAlike 3.0 Unported – CC BY-SA 3.0).
Wikimedia Commons

La France et l’Allemagne sont en mesure de prévenir ce scénario. Feront-elles preuve d’une volonté politique suffisante ? L’évolution de la brigade franco-allemande représentera un bon indicateur pour évaluer leurs véritables dispositions.

•    Le contexte de création de la brigade, à la fin de la guerre froide, présente des analogies avec la conjoncture actuelle et témoigne du fait que les Européens ont perdu plus de trente ans pour renforcer leur sécurité
•    Il est urgent que le gouvernement allemand engage un dialogue stratégique sur la sécurité de l’Europe – en premier lieu avec la France, puis avec d’autres partenaires européens
•    La victoire électorale de Donald Trump a relancé l’idée d’une « armée européenne ». Or celle-ci est, dans la situation actuelle, absolument irréaliste. La brigade franco-allemande témoignera de la possibilité d’une intégration à long terme de la défense européenne, et d’une européanisation de l’OTAN
•    La formation a vocation à démontrer la capacité d’impulsion franco-allemande en Europe de l’Est – intégrée dans les structures de l’OTAN et en étroite coordination avec les États partenaires sur le terrain

Jacob Ross est chercheur à l’Institut allemand de politique étrangère (Deutsche Gesellschaft fur Auswärtige Politik, DGAP), où il se concentre notamment sur la France et les relations franco-allemandes. Auparavant, il a travaillé en tant qu’assistant à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et à l’Assemblée nationale, ainsi que dans deux directions du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à Paris.

Nicolas Téterchen est doctorant à l’Université de Cergy ; sa thèse porte sur les perceptions de la politique de défense en Allemagne de 1990 à 2022. Il est assistant de recherche au programme France et relations franco-allemandes à l’Institut allemand de politique étrangère (Deutsche Gesellschaft fur Auswärtige Politik, DGAP) à Berlin. Il était auparavant en poste à la Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie (CFACI) à Paris.

 

Ce Briefing reprend en partie les éléments d’un colloque qui s’est tenu à Strasbourg en mai 2024 sous l’égide conjointe du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Institut français des relations internationales (Ifri), et de la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP).


Cette publication est disponible en allemand sur le site de la DGAP : « Deutsch-französische Führung für ein souveränes Europa. Die Deutsch-Französische Brigade kann zeigen, ob der politische Willen dafür reicht » (pdf).

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La brigade franco-allemande et la relance de la défense européenne

Ukraine: Washington menace de se retirer des efforts de paix, faute d’avancées rapides

Ukraine: Washington menace de se retirer des efforts de paix, faute d’avancées rapides

Marco Rubio arrive au Quai d’Orsay, jeudi 17 avril. (Photo by JULIEN DE ROSA / POOL / AFP)

C’est ce qu’on appelle souffler le chaud et le froid.

Jeudi soir, le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio « a transmis à son homologue russe (Sergueï Lavrov, ndlr) le même message que l’équipe américaine a communiqué à la délégation ukrainienne et à nos alliés européens à Paris: le président Trump et les États-Unis veulent que cette guerre prenne fin et ont maintenant présenté à toutes les parties les grandes lignes d’une paix durable », selon un communiqué du département d’Etat précisant que « l’accueil encourageant réservé à Paris au cadre américain montre que la paix est possible si toutes les parties s’engagent à parvenir à un accord ».

Vendredi matin, en revanche, Marco Rubio a laissé entendre que Washington pourrait se retirer des efforts de paix en Ukraine si les discussions continuaient à piétiner, après une série de réunion, jeudi, à Paris entre Américains, Européens et Ukrainiens.

« Nous devons déterminer dans les prochains jours si (la paix) est faisable ou non », et « si ce n’est pas possible, nous devons passer à autre chose » car « les États-Unis ont d’autres priorités », a-t-il déclaré à quelques journalistes, au pied de son avion à l’aéroport parisien du Bourget.

« Si ce n’est pas possible, si nous sommes si éloignés que cela ne se produira pas (la paix, ndlr), alors je pense que le président arrivera probablement à un point où il dira : Bon, c’est fini », a prévenu Marco Rubio. « Nous devons donc déterminer très rapidement, et je parle de jours, si c’est faisable ou non dans les prochains mois ».

« Je pense que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne peuvent nous aider, faire avancer les choses et nous rapprocher d’une résolution. J’ai trouvé leurs idées très utiles et constructives », lors des discussions de la veille avec les alliés de Kiev à Paris, a commenté le chef de la diplomatie américaine. « A la marge, nous serons prêts à aider quand vous serez prêts à la paix mais nous n’allons pas poursuivre cet effort pour des semaines et des mois », a-t-il déclaré, en rappelant que cette guerre, déclenchée en février 2022 par l’invasion russe de l’Ukraine, « se déroule sur le continent européen ».

Les premières discussions sur l’Ukraine impliquant Américains, Européens et Ukrainiens, jeudi à Paris, seront prolongées la semaine prochaine par une autre réunion à Londres. Paris et Londres ont monté une « coalition des volontaires », composée d’une trentaine de pays alliés de l’Ukraine travaillant notamment à la création d’une « force de réassurance » destinée à garantir un éventuel cessez-le-feu et empêcher toute nouvelle attaque de la Russie. Mais un contingent militaire multinational en cas de paix, souhaité par Kiev, est une ligne rouge pour Moscou. Et le sujet n’a pas été abordé en détail dans les compte-rendus émis jeudi par la France.

La défense de l’Europe face à la Russie : cherchez la faille !

La défense de l’Europe face à la Russie : cherchez la faille !

Par Institut FMES, Pascal Orcier – Diploweb – publié le 18 avril 2025

https://www.diploweb.com/Carte-La-defense-de-l-Europe-face-a-la-Russie-cherchez-la-faille.html


L’institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) est un centre de recherches qui décrypte les questions géopolitiques et stratégiques de la zone couvrant le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, de même que les recompositions entre acteurs globaux.
Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

En décembre 2024, l’Institut FMES fait un exercice de réflexion pour identifier un point de faiblesse de la défense de l’Europe face à la Russie. Si la ligne de défense courant de la Baltique à la Pologne lui semble solide, celle couvrant le flanc sud-est de l’Europe paraît beaucoup plus fragile. Même si le mois de décembre 2024 semble aujourd’hui bien loin – parce que d’autres fragilités sont apparues dans la relation UE / États-Unis, voire dans l’OTAN – cet exercice de réflexion reste pertinent par l’identification d’une zone de faiblesse. D’autres sont apparues.

En décembre 2024, l’équipe de direction de l’Institut FMES faisait le commentaire suivant de cette carte.

A L’APPROCHE de la prise de fonction de Donald Trump le 20 janvier 2025, les Européens et l’administration Biden finissante tentent de s’opposer aux ingérences de la Russie en Europe orientale, tout en livrant des armes à l’Ukraine pour rassurer le président Zelensky et l’encourager à composer avec le Kremlin. Les Occidentaux cherchent en effet à s’assurer qu’il ait suffisamment de cartes en main pour négocier avec le Kremlin au moment où l’aviation russe accroît les frappes contre les infrastructures électriques ukrainiennes.

La défense de l'Europe face à la Russie : cherchez la faille !
La défense de l’Europe face à la Russie : cherchez la faille !
Conception FMES, réalisation Pascal Orcier 2024.

Le président russe, rasséréné par l’élection de Donald Trump qu’il sait favorable à un arrêt des hostilités en Ukraine, pousse ses pions en Baltique (face aux pays baltes, à la Finlande et à la Suède) et en Europe orientale, profitant de l’incertitude engendrée par l’arrivée aux affaires d’un président américain transactionnel et pacifiste, mais aussi de la posture favorable à la Russie des pouvoirs en place en Hongrie et en Slovaquie. Ces deux pays, à la charnière des flancs nord et sud-est de l’OTAN comme de l’Union européenne, sont cruciaux pour la cohérence du dispositif de défense de l’Europe, comme le souligne notre carte.

En Moldavie, les services secrets ont démontré l’implication des services russes pour influencer le résultat du référendum sur l’adhésion à terme de ce pays à l’Union européenne (validé avec seulement 51 % des suffrages). En Roumanie, après avoir prouvé une ingérence massive du Kremlin dans le processus électoral, la Cour constitutionnelle a annulé le premier tour de l’élection présidentielle qui menaçait d’être remportée par le candidat prorusse Câlin Georgescu. En Bulgarie, la Russie dispose également de relais d’influence bien établis. En Géorgie, la présidente Salomé Zourabichvili (dont le mandat expire fin décembre 2024) a dénoncé l’élection de l’ancien footballeur populiste pro-russe Mikheïl Kavelachvili par un parlement sous influence russe, comme nombre de Géorgiens qui manifestent quotidiennement dans la rue. Soutenue par des intellectuels et des hommes d’affaires pro-européens, elle a annoncé qu’elle refuserait de céder sa place, laissant présager une grave crise institutionnelle. Face à l’activisme russe dans le champ de l’influence dans l’est du continent et en attente d’une administration américaine qui ne la ménagera pas, l’Union européenne doit plus que jamais se préparer à prendre ses responsabilités pour assurer sa défense, seule si nécessaire. Si la ligne de défense courant de la Baltique à la Pologne semble solide, celle couvrant le flanc sud-est de l’Europe paraît beaucoup plus fragile. C’est sans doute là que le Kremlin fera porter ses efforts.

Manuscrit clos en décembre 2024

Copyright pour la carte et le texte : décembre 2024/FMES


Découvrez le site de l’Institut FMES

Titre du document :
La défense de l’Europe face à la Russie : cherchez la faille !
Conception FMES, réalisation Pascal Orcier 2024.Document ajouté le 17 avril 2025
Document JPEG ; 531851 ko
Taille : 895 x 732 pxVisualiser le document

L’Institut FMES a fait un exercice de réflexion pour identifier un point de faiblesse de la défense de l’Europe face à la Russie. Si la ligne de défense courant de la Baltique à la Pologne lui semble solide, celle couvrant le flanc sud-est de l’Europe paraît beaucoup plus fragile.

Scénario : la Chine attaque Taïwan

Scénario : la Chine attaque Taïwan

par Benjamin Blandin – Revue Conflits – publié le 18 avril 2025

https://www.revueconflits.com/scenario-la-chine-attaque-taiwan/


La Chine rêve de prendre Taïwan, Xi Jinping a annoncé à plusieurs reprises que cela faisait partie de ses objectifs. Mais selon quels modes ? Étude de trois scénarios possibles pour une prise de l’île.  

Benjamin Blandin, expert en sécurité maritime, chercheur associé au Korea Institute of Maritime Strategy (KIMS) et au Yokosuka Council on Asia Pacific Studies (YCAPS).

Alors qu’à l’initiative de Pékin les incidents se multiplient entre les deux rives du détroit de Taiwan, les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, semblent se détourner de la tradition américaine, sans cesse renouvelée depuis 1979, de soutien à l’autonomie, sinon à l’indépendance de fait de Taiwan.

En ce qui concerne Pékin, les infractions à la ligne médiane dans le détroit, comme à la zone d’identification aérienne de Taiwan, par des ballons et des aéronefs de l’armée de l’Air chinoise[1], se multiplient, tandis que l’on observe des infractions sur le pourtour des îles Kinmen, au large de Xiamen et le sabotage de câbles sous-marins entre la pointe nord de l’île principale et l’archipel des îles Matsu. Par ailleurs, la circulation de photos et de prises de vue satellite démontrant la multiplication par les forces armées chinoises d’exercices de débarquement, qui impliquent désormais l’usage de barges de grande taille, tend à confirmer les intentions des autorités chinoises de régler le « problème taiwanais ».

Différents scénarios d’invasion

Au cours des dernières années, plusieurs scénarios ont été pris en compte afin d’appréhender les différentes manières que pourrait employer Pékin afin de forcer une réintégration de Taiwan. Le premier, issus des exercices de wargaming menés par le Pentagone, comprend une attaque de vive force contre Taiwan. Le deuxième, porté par le think tank américan CSIS – ChinaPower, adopte une approche coercitive, comprenant la mise en place et l’imposition d’une zone de quarantaine, d’un blocus économique progressif, voire d’un champs de mines, ce qui aurait des conséquences économiques majeures pour l’économie régionale et mondiale. Le troisième scénario, publié par l’auteur, comprend quant à lui une invasion progressive et séquencée des territoires contrôlés par Taiwan, par le biais d’une technique de blocus.

Scénario #1 : Attaque de vive force sur l’île principale

Bien que le détail des exercices de simulation menés par le Pentagone ne soit pas connu, nous savons qu’en fonction des scénarios, la confrontation pourrait durer de plusieurs semaines à plusieurs mois et entraîner la perte, pour la Chine, de plusieurs dizaines de milliers d’hommes et d’un grand nombre d’unités de surface de la marine chinoise, tandis que la marine américaine pourrait perdre plusieurs porte-avions et de nombreux avions de chasse, tout en ne garantissant pas l’atteinte d’une supériorité aérienne ou navale de l’un ou de l’autre des belligérants.

Sur le plan pratique, ce scénario est le plus risqué à plus d’un titre, pour des raisons pratiques, mais aussi politiques, économiques et stratégiques. Dans un premier temps, la saison des tempêtes s’étend sur près de sept mois, réduisant d’autant les « fenêtres de tir » pour une attaque qui ne peut se faire que sur un nombre limité de plages, la côte étant fortement urbanisée. Sur le plan militaire, le manque de transports de chalands de débarquement comme de barges, tout comme de troupes de marines et/ou de forces aéroportées, éléments qui s’ajoutent à la durée nécessaire pour accomplir une rotation complète entre la côte et l’île, ne pourrait que compliquer encore plus la tâche à accomplir.

Sur le plan politique, la Chine subirait sans nul doute une pression doublée d’un isolement croissant, aussi bien sur la scène régionale qu’internationale.

Sur le plan économique, la mise en place d’une supériorité navale nécessiterait le déroutement complet de tout trafic maritime civil dans le détroit, voire sur l’ensemble du pourtour de Taiwan, ce qui perturberait gravement le transport maritime, tout comme l’activité portuaire régionale et internationale, potentiellement pour une durée de plusieurs mois. Il en irait de même du trafic aérien qui devrait être dérouté sur l’ensemble de l’espace aérien de Taiwan et du Fujian voir au-delà si l’armée de l’Air chinoise mobilise des aéroports et aérodromes dans le Guangdong, le Zhejiang et le Jiangxi (voire ceux disposés en mer de Chine méridionale).

Le média Bloomberg notamment, a évalué qu’un conflit ouvert de haute intensité pourrait entraîner une perte de 10% du PIB mondial, 17% pour la Chine et 40% pour Taiwan et entre 50% et 80% de baisse du commerce vers et depuis l’Asie.

Scénario #2 : Blocus complet de l’île principale de Taiwan

À l’occasion d’une série de trois publications sorties en 2024, le think tank américain CSIS ChinaPower explore trois variations d’un même scénario visant à établir un blocus autour de Taiwan afin d’affirmer son autorité sur l’île, en accroissant progressivement la pression économique et politique par le biais de différents moyens de coercition : mise en place d’une zone d’interdiction navale et/ou aérienne, mise en place d’une « quarantaine » ou « blocus », tous deux par le biais du déploiement de dizaines de navires (marine, garde-côtes, milice maritime), de façon permanente, régulière ou ponctuelle, mobilisation de la force de missiles stratégiques, ou encore déploiement d’un champ de mines marines.

La crédibilité de ce scénario a été démontrée dans les faits dès l’année 2022, à l’occasion de la 4e crise du détroit de Taiwan déclenchée par la visite de Nancy Pelosi. En réaction à cette visite, les autorités chinoises ont en effet déployé plusieurs dizaines de navires et d’aéronefs, mis en place des zones d’interdiction et effectué plusieurs exercices à munitions réelles, dont le tir de missiles dans l’espace aérien de Taiwan, certains ayant par ailleurs atterri dans la zone économique exclusive du Japon.

Ces exercices sont d’ailleurs organisés depuis sur une base annuelle qui reprend plus ou moins le mode opératoire de 2022. Des exercices qui s’ajoutent aux exercices aéronavals en mer de Chine méridionale et en mer de Bohai, aux déploiements de plus en plus fréquents aux abords des îles Kinmen, des îles Diaoyu et en mer de Chine orientale, les infractions à la ligne médiane, les lâchers de ballons et les infractions quasi-quotidiennes à la zone d’identification aérienne de Taiwan.

Scénario #3 : la prise séquencée

Dans un article publié en septembre 2023 dans le Korea Institute of Maritime Strategy (KIMS) sous le titre « Taiwan : une invasion alternative et sans douleur », l’auteur de ces lignes présentait un troisième scénario consistant en une prise de contrôle progressive des territoires contrôlés par Taiwan, y compris les îles Kinmen, Wuqiu et Matsu, les îles Pescadores, les îles situées en mer de Chine méridionale (Itu Aba et Pratas) puis l’île principale de Taiwan par le biais d’une approche non-létale et séquencée.

L’idée ici est simple, établir un blocus complet de l’ensemble des îles, îlots et récifs les plus proches du continent, par la mobilisation massive de navires de la marine, des garde-côtes et de l’intégralité des navires de la milice maritime (jusqu’à huit mille chalutiers[2]), afin de constituer une barrière hermétique et attendre, sans jamais faire usage de la force, jusqu’à épuisement des réserves d’eau, de nourriture et de carburant, et de la prendre sans violence ces mêmes territoires.

Une telle action aurait pour avantage de progressivement priver Taiwan de ces capteurs avancés et de faciliter ultérieurement la conduite d’une éventuelle action de vive force, tout en ajoutant au prestige du gouvernement et des forces armées chinoises, et en diminuant d’autant celui des autorités et forces armées adverses, et en portant un grand coup au moral de la population, facilitant la encore un éventuel travail de sape pour la guerre psychologique et la manipulation des masses menées par les cellules locales du « front uni ».

Ainsi, dans un premier temps, on verrait tomber les îles Kinmen, Wuqiu et Matsu, suivies des îles Pratas et Itu Aba, puis l’archipel des Pescadores, et enfin, en tout dernier, l’île principale de Taiwan. Dans un tel scénario, toute tentative de « sortie en force » des assiégés, ou de forcer le blocus par une force de secours venue de l’île principale pourrait être vue (ou présentée comme telle par les médias et autorités chinoises) comme une agression à l’encontre de la Chine.

Les États-Unis, un partenaire non fiable ?

Alors que Donald Trump a critiqué publiquement Taiwan pour sa « dominance » dans le secteur des puces électroniques, il convient de rappeler que leur fabrication ne représente que l’une des nombreuses dimensions de la chaîne de valeur, et que sur un certain nombre d’autres briques, ce sont les États-Unis qui sont largement en position dominante.

Par ailleurs, la décision de l’entreprise TSMC d’investir la somme additionnelle de 100 milliards de dollars porte le total de ses investissements à 165 milliards de dollars dans le pays, une somme tout sauf anecdotique.

Cet investissement peut d’ailleurs se voir comme le pendant civil des commandes d’équipements militaires massives passées par Taiwan depuis 1979, au profit premier de l’industrie de défense des États-Unis, une fidélité par ailleurs peu récompensée au regard du retard systématique et systémique par ces derniers pour les honorer, avec plusieurs années de retard.

Au total, Taiwan a passé des commandes pour un montant cumulé de 93 milliards de dollars entre 1974 et 2022 (soit 182 milliards en prenant en compte l’inflation), dont 22 milliards sont toujours en attente de livraison malgré les promesses prises par les derniers présidents. Entre autres matériels, les livraisons de chasseurs F-16 et de missiles ont été retardées à de nombreuses reprises et sont aujourd’hui en retard de plusieurs années sur le calendrier initial.

Les États-Unis se sont pourtant engagés à de nombreuses reprises aux côtés de Taiwan, qu’il s’agisse des crises du détroit de Taiwan, que ce soit en 1954-1955, en 1958 et en 1995. Même après le départ des forces américaines en 1974 et la reconnaissance de la Chine communiste en 1979, le Taiwan Relation Act a cimenté la relation pour les décennies qui ont suivi et se soutien a été renouvelé, médiatiquement, politiquement, économiquement et militairement, de nombreuses manières.

Pour autant, force est de constater que la politique de pivot initiée par Barack Obama, après un long focus américain sur le Moyen-Orient dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme »[3], n’a pas permis de réinvestissement stratégique notable en faveur de Taiwan, tout juste, bien qu’à la marge, en faveur des Philippines[4], tandis que le nombre de soldats positionnés au Japon, en Corée du Sud[5] et à Guam n’a cessé de baisser, tandis que la quatrième crise du détroit de Taiwan n’a donné lieu à aucune réaction américaine suite à la démonstration de force chinoise.

Ce sentiment d’abandon, bien que relatif, a d’ailleurs pu être accru, à partir de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, par une suite de comportements pour le moins surprenants : critique de la plupart des alliés et partenaires traditionnels, menace d’appliquer des tarifs douaniers sur le Canada, l’Australie, le Mexique et l’Union européenne, volonté de s’emparer du Groenland « d’une manière ou d’une autre », faire le jeu de la Russie, prétendre ne pas connaître la signification de l’acronyme « AUKUS »[6], menacer d’exclure le Canada du réseau de renseignement des « Five Eyes ». Sur AUKUS notamment, programme pourtant emblématique initié sous la présidence Biden, le Secrétaire à la défense, après avoir confirmé l’encaissement d’un paiement australien de 500 millions de dollars, a évoqué l’impossibilité de le mettre en œuvre.

Tout cela, assurément, ne doit pas participer à la tranquillité d’esprit des élites politiques et militaires de Taiwan. Pour autant, la situation actuelle, pour troublante qu’elle soit, ne doit pas faire oublier que Taiwan est en train de développer sa propre base industrielle et technologique de défense, avec des succès importants dans le domaine des sous-marins, des navires de surface, des drones et des munitions, y compris des missiles hypervéloces.

La Chine, à la manœuvre pour intimider Taiwan

On l’a vu, la Chine fait feu de tout bois pour intimider Taiwan et faciliter sa réintégration par tous les moyens, la dimension militaire n’étant cependant envisagée qu’en dernier recours, Pékin étant bien conscient des dégâts potentiellement catastrophiques qu’entraînerait pour elle l’échec d’une invasion.

Pour mener à bien son objectif sans recourir directement à la violence, la Chine emploie un ensemble de méthodes qui sont regroupées en trois familles : le déni d’accès, la guerre hybride et les techniques de la zone grise. La première, potentiellement létale, vise à établir la capacité de déployer et de maintenir une bulle ou une zone d’interdiction, que ce soit par le biais de moyens militaires à terre, en mer et dans les airs.

À ce titre, les forces armées chinoises ont nettement renforcé leurs dispositifs de radars et de missiles anti-navires et anti-aériens, agrandis et amélioré les bases aériennes le long de la côte, et développé le nombre et la qualité de leurs navires et aéronefs.

La seconde, comprend un ensemble de moyens administratifs, judiciaires et de propagande, visant d’une part à contester la ligne médiane, en mer comme dans les airs (par l’établissement et la modification unilatérale de plans de vol pour l’aviation civile au-dessus du détroit) ; d’autre part à faciliter la conduite des affaires en uniformisant le droit entre les deux rives du détroit, tout en facilitant l’obtention de quasi-cartes d’identité locales pour les citoyens taiwanais ; et enfin à déployer des campagnes de communication massives, par le biais d’influenceurs et de médias dédiés, faisant l’éloge de la Chine tout en dénigrant les autorités de Taipei et en condamnant les velléités d’indépendance.

La troisième consiste, entre autres moyens, à déployer des navires de plus en plus fréquemment, de plus en plus nombreux, sans cesse plus près des côtes des îles sous le contrôle de Taiwan, de même avec des aéronefs, afin d’épuiser les pilotes et les équipages taiwanais, de contester les espaces maritimes et aériens de Taiwan, de créer une « nouvelle normalité » à son avantage, et de mettre en défaut les autorités de l’île, « incapables » de protéger sa population et le territoire.

Des voisins peu solidaires

Si Taiwan n’avait pas assez de problèmes à régler, force est de constater que certains pays proches géographiquement de Taiwan, n’agissent pas toujours dans l’intérêt de ce dernier, qu’il s’agisse des pays du Pacifique Sud, qui s’en détournent chaque année un peu plus[7], en échange d’une aide économique à court terme de la Chine, ou de certains pays d’Asie du Sud-Est, dont la Malaisie et Singapour, qui souhaitent publiquement une « réunification pacifique » de l’île à la Chine, reprenant en cela le vocabulaire officiel des autorités chinoises.

Tout cela sans compter les interventions individuelles de certaines stars asiatiques, visibles à l’international, qui soutiennent ouvertement Pékin (après avoir précédemment soutenu son adversaire), ou qui mentionnent Taiwan sous la dénomination « China Taipei », parfois après avoir désigné Taiwan comme un état indépendant. Tous ces revirements et changements de position étant la preuve, là aussi, de l’activisme de la Chine.

Par ailleurs, on a constaté ces dernières années une implication croissante d’influenceurs chinois ou pro-Chine basés d’un côté comme de l’autre du détroit de Taiwan, voir à l’international en faveur du rattachement de Taiwan à la Chine. Encore récemment, une citoyenne chinoise résidant à Taiwan du nom de « Yaya » s’est fait connaître après avoir produit et diffusé de nombreux contenus ouvertement favorables à la réunification de Taiwan par la force et qui a vu son permis de séjour non renouvelé, ce qui ne l’a pas empêchée de venir protester le jour même de son départ contre son expulsion avec un groupe de soutiens devant un bâtiment officiel à Taipei.

Conclusion

Si l’on ne peut pas affirmer que Taiwan soit lâché par les États-Unis, ou abandonné par ces voisins, force est de constater qu’il fait face à des menaces importantes de la part de la Chine et qu’une absence de soutien, sur le plan médiatique comme politique, associée à une cessation de l’aide et/ou des livraisons d’armes, comme cela a pu être le cas, même sur une courte période, vis-à-vis de l’Ukraine, pourrait être perçue par les autorités politiques et militaires chinoises comme un aveu de faiblesse et un signal que le moment propice à une intervention est peut être arrivé. Bien que la population taiwanaise soutienne en majorité une position de statu quo et ne s’identifie pas à la Chine, il est cependant clair que la plupart des citoyens ne sont pas prêts à consentir les sacrifices nécessaires pour se défendre seuls face à la menace de Pékin.

D’autre part, les forces armées de Taiwan font face à quatre défis majeurs, entre le vieillissement de la population, la désaffection pour les carrières militaires, le vieillissement des plateformes de combat et l’ultra-dépendance à la mer pour les importations et exportations du pays. Cependant, les leçons de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine démontrent que de nouveaux matériels et de nouvelles stratégies existent qui pourraient lui permettre de résister en cas d’agression.

D’autre part, Taiwan n’est pas seul face à l’agressivité chinoise et plusieurs pays proches, dont le Japon, les Philippines et le Vietnam, font également face au même adversaire ? Le Japon, tout particulièrement, est en train de mettre en place de nouvelles installations de défense dans les îles Ionaguni (archipel des Ryu-Kyu), y compris des missiles Type-12 dont la portée va passer de 200 à 1000 km, tandis que les Philippines ont acquis plusieurs batteries de missiles hypersoniques Brahmos, de quoi garantir, peut-être, qu’un encerclement complet sera plus difficile à établir pour Pékin qu’imaginé initialement, tandis que la stratégie d’éparpillement de leurs aéronefs par les États-Unis, devrait empêcher toute supériorité aérienne totale.


[1] Les infractions à la « zone médiane », frontière de facto entre les deux rives du détroit depuis 1950, sont passées de 953 sorties en 2021 à 3070 en 2024 d’après le ministère de la défense de Taiwan, soit une progression en trois ans de 2,6 à 8,4 incursions par jour en moyenne.

[2] La milice maritime dispose d’une force permanente, dite « professionnelle », d’au moins 200 navires, à laquelle peut s’adjoindre, par opportunisme 800 navires additionnels mais dont l’équipement comme le personnel est de moindre niveau. Au-delà, il a été évoqué une capacité de mobilisation maximale de 8000 navires

[3] En anglais « War on Terror », série d’engagements militaires, principalement en Irak et en Afghanistan (2001-2021)

[4] Les Etats-Unis ont accès, par rotation, à neufs bases navales, terrestres et aériennes, aux Philippines dans le cadre des accords EDCA (« Enhanced Defense Cooperation Agreement ») signés en 2014 et 2024

[5] Les Etats-Unis disposent de 50.000 hommes au Japon, 28.500 en Corée du Sud

[6] « Australia-United States-United Kingdom », alliance trilatérale visant à la conception d’une nouvelle génération de sous-marins à propulsion nucléaire pour la marine australienne qui a donné lieu à l’annulation d’un précédent contrat liant la France à l’Australie

[7] En 2010, 23 pays reconnaissaient officiellement Taiwan, seul 12 le faisaient encore en 2024

Iran/Arménie : première manœuvre militaire conjointe

Iran/Arménie : première manœuvre militaire conjointe

par Alain RODIER – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°682 / avril 2025


Le ministère arménien de la Défense et l’Agence de presse de la République islamique d’Iran ont annoncé officiellement avoir organisé les 9 et 10 avril leur première manœuvre militaire conjointe, baptisée « Paix », dans la région frontalière située au point de rencontre du Nakhitchevan (exclave de l’Azerbaïdjan), de l’Arménie et de l’Iran.

Surtout, cet exercice a eu lieu à proximité du corridor arménien de Zangezour qui fait l’objet de revendications de la part de l’Azerbaïdjan. Bakou réclame en effet de créer un passage entre le territoire azéri à l’est et le Nakhitchevan, à l’ouest, ce qui lui permettrait d’établir une liaison directe entre les deux parties de son territoire, et avec la Turquie, sans passer par l’Iran. Téhéran et Erevan rejettent totalement ce projet qui menacerait les liaisons entre leurs deux pays.

A l’occasion de cette manœuvre, la partie iranienne engageait la division Achoura des forces terrestres du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) qui est basée dans les provinces d’Azerbaïdjan[1] oriental, d’Ardebil et de Zandjan, au nord-ouest de l’Iran. Cette division comprendrait trois brigades baptisées Achoura 31, Ansar al-Mahdi 36 et Abbas 37.

Téhéran avait déjà mené en 2022 un exercice militaire de grande envergure de trois jours à la frontière avec l’Arménie, mais sans participation officielle d’Erevan. La division Achoura avait alors construit un pont temporaire sur le fleuve Arax, qui sépare l’Iran de l’Arménie (et de l’Azerbaïdjan.)

Cette année, le ministère arménien de la défense a indiqué que les forces spéciales arméniennes et iraniennes se prêteraient à une simulation d’une opération conjointe contre des « groupes terroristes » fictifs qui attaqueraient les points de passage de la frontière, sans préciser le nombre des effectifs engagés dans cette manœuvre.

Le brigadier-général Valiollah Madani, commandant-adjoint des forces terrestres des pasdarans, a déclaré que l’exercice visait à renforcer la sécurité aux frontières et à préserver « l’intégrité territoriale des pays voisins de l’Iran (…). Cet exercice conjoint reflète l’engagement stratégique de la République islamique d’Iran à renforcer la sécurité aux frontières, à lutter contre le terrorisme et à promouvoir une paix durable dans le Caucase grâce à une coordination militaire avec les pays voisins. »

Le brigadier-général Morteza Mirian, commandant les forces terrestres des pasdarans a précisé : « l’amitié avec toutes les nations et la défense de la souveraineté régionale sont les piliers de notre doctrine stratégique. » Il a souligné la pleine disponibilité des forces terrestres du CGRI et leur parfaite coordination avec l’armée arménienne pour l’organisation de cette manœuvre.

Le soutien de Téhéran à Erevan

Depuis les années 1990, Téhéran soutient l’Arménie pour contrer l’influence de l’Azerbaïdjan considéré comme un danger pour l’unité de la République islamique. En effet, un Azerbaïdjan prospère – ce qui est le cas en raison de ses ressources pétrochimiques – peut être attractif pour les populations iraniennes d’origine azérie (20% des Iraniens) comptant de nombreux représentants au sein des institutions, et provoquer une sécession du nord du pays, voire un effondrement du régime

Le Guide suprême Ali Khamenei avait souligné la sensibilité accrue de l’Iran aux questions frontalières impliquant l’Arménie lors de sa rencontre en mai 2024 avec le Premier ministre arménien Nikol Pachinian. Cette position a ensuite été confirmée par Mohammad Bagher Ghalibaf, membre du CGRI et président du Parlement, qui a assuré son homologue arménien que l’Iran s’opposerait fermement à tout redécoupage des frontières régionales.

Un accord de fourniture d’armements de 500 millions de dollars entre Téhéran et Erevan avait alors été annoncé par la presse. Il portait sur divers équipements militaires, notamment des drones et des systèmes de défense aérienne. Bien que Téhéran et Erevan aient nié la réalité de cet accord, l’Arménie est devenue de plus en plus dépendante de l’Iran après sa prise de distance avec l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et en l’absence de garanties de la part de l’OTAN.

La manœuvre « Paix » s’est déroulée le jour même où des délégations israélienne et turque se rencontraient en Azerbaïdjan pour discuter de la déconfliction militaire en Syrie où Israël a frappé au moins trois bases aériennes dans le pays afin d’empêcher qu’Ankara ne s’y installe de manière permanente.

Le conseiller à la Sécurité nationale Tzachi Hanegbi dirigeait la délégation israélienne. Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a confirmé ensuite que les discussions devaient conduire à mettre en place d’un mécanisme de communication similaire à ceux qu’Ankara entretient avec les États-Unis et la Russie. Par ailleurs, des efforts sont en cours pour établir une ligne militaire directe entre la Turquie et Israël pour éviter tout « incident » au-dessus de la Syrie, calquée sur le modèle du canal de coordination israélo-russe existant.

Les négociations entre Erevan et Bakou

L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont annoncé en mars 2025 s’être entendus sur le texte d’un traité de paix pour mettre fin à leur conflit qui dure depuis plus de quarante ans. Mais depuis les deux parties se sont mutuellement accusées d’être responsables de plusieurs incidents le long de leur frontière.

Afin de finaliser cet accord, les diplomates azéri et arménien, Ceyhun Bayramov et Ararat Mirzoyan, se sont rencontrés en Turquie en marge du Forum diplomatique d’Antalya (ADF 2025) qui s’est tenu du 11 au 15 avril. Ils ont tenu une réunion bilatérale le 12 avril après avoir discuté des derniers développements concernant les négociations Bakou-Erevan, ainsi que du processus de normalisation entre la Turquie et l’Arménie. Mirzoyan a précisé : « nous sommes tous deux d’accord sur le fait que l’objectif final est une normalisation complète des relations, notamment par l’établissement de relations diplomatiques et l’ouverture de la frontière (…). Notre dialogue ne porte pas uniquement sur l’établissement de relations diplomatiques et l’ouverture officielle de la frontière. Il porte sur les échanges commerciaux considérables qui peuvent avoir lieu entre nos deux pays. Nous avons également évoqué des projets énergétiques communs et des possibilités de transit. Par ailleurs, nous avons également abordé la question de la coopération au sein des enceintes internationales. Car la réalité montre que, sur les questions du Moyen-Orient, par exemple, nos points de vue et nos perceptions sont parfois plus proches qu’on ne pourrait le croire. » Il a toutefois reconnu que les progrès étaient au point mort sur certains sujets.

Concernant les négociations de paix avec l’Azerbaïdjan, Mirzoyan a déclaré qu’un accord « historique et sans précédent » était prêt à être signé. Commentant la condition posée par l’Azerbaïdjan de dissoudre le Groupe de Minsk de l’OSCE dans le cadre d’un accord de paix, il a déclaré : « s’il n’y a pas de conflit, alors ce Groupe de Minsk n’est pas nécessaire. ». Le ministre a souligné qu’Erevan souhaitait signer l’accord de paix avec l’Azerbaïdjan et le document de dissolution du Groupe de Minsk le même jour.

Répondant à la demande de l’Azerbaïdjan d’un amendement constitutionnel en Arménie comme condition aux garanties d’intégrité territoriale, Mirzoyan a affirmé que des garanties suffisantes étaient déjà en place.

Par ailleurs, le ministre azéri des Affaires étrangères, Bayramov, a souligné la nécessité pour l’Arménie de modifier sa Constitution, qui contient des revendications territoriales sur l’Azerbaïdjan. « Il y a des facteurs critiques qui doivent être résolus. Le plus important concerne les revendications constitutionnelles de l’Arménie concernant l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan ». Il a ajouté que le Groupe de Minsk, coprésidé par les États-Unis, la France et la Russie, n’avait obtenu aucun résultat depuis trois décennies. « La question du Karabakh est résolue. Le Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan. L’Arménie le reconnaît. Alors pourquoi s’obstiner à maintenir le Groupe de Minsk en vie ? Nous exigeons sa dissolution officielle ».

Il a aussi critiqué les pays occidentaux, en particulier la France, pour leur prétendue pratique du deux poids, deux mesures. « Pendant 30 ans, ils n’ont rien dit à l’occupant. Lorsque l’Azerbaïdjan a rétabli son intégrité territoriale, ils ont tenté de nous punir. Mais leurs plans ont échoué grâce à notre politique étrangère indépendante et au soutien indéfectible de la Turquie et de nos États amis ». Les relations détestables entretenues entre Paris et Bakou ne devraient pas s’améliorer dans un proche avenir…


[1] Région iranienne, voisine de l’État du même nom.

Économie : L’Europe face à la réalité de la prédation économique

par Bernard Carayon – AASSDN – publié le 17 avril 2025

https://aassdn.org/amicale/economie-leurope-face-a-la-realite-de-la-predation-economique/


Information AASSDN

L’Europe est aujourd’hui la proie d’États prédateurs en quête d’autonomie stratégique, de domination géopolitique et de suprématie économique. Cette prédation se manifeste notamment par la prise de contrôle d’infrastructures critiques ou de fleurons industriels ou technologiques. Depuis quand assiste-t-on à ce type de prédation en Europe ?

F.-X. Carayon  : La prédation économique est un phénomène ancien qui est intimement lié au mouvement de la mondialisation. Cela s’est accéléré en parallèle de l’augmentation des échanges économiques au cours des années 1980-1990. La particularité de la dernière vague d’investissements internationaux que j’analyse dans mon ouvrage est que ces investissements sont effectués par des acteurs publics. Il ne s’agit plus d’achats d’entreprises privées par des entreprises privées mais de rachats d’actifs ou d’entreprises européennes privées par des investisseurs publics étrangers, à savoir des fonds souverains et des entreprises publiques. Or, l’origine publique de ces investissements peut entrainer les conséquences politiques que vous avez mentionnées.

Vous expliquez que les entreprises publiques et les fonds souverains sont donc les deux principaux outils de cette prédation. Pourquoi et comment cela se traduit-il ?

Auparavant, les fonds souverains constituaient les outils classiques des pays bénéficiant d’une rente énergétique, notamment au Moyen-Orient. C’était un moyen de créer une épargne intergénérationnelle ou de lisser les fluctuations de revenus lors de l’évolution du cours des matières premières. En parallèle, les entreprises publiques ont longtemps joué leur rôle qui était simplement d’opérer des services publics. Puis, peu à peu, ces deux acteurs ont été perçus par les puissances émergentes du monde en développement — la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, Singapour, les pays du Moyen-Orient, etc. — comme des vecteurs au service des objectifs industriels et géostratégiques de leur pays. La proximité de ces deux acteurs avec le gouvernement favorisait un alignement naturel avec les intérêts publics. Le gouvernement avait donc le moyen de s’assurer que ces investissements étaient en capacité de satisfaire leurs intérêts.

Pour prendre un exemple, la Chine — que l’on peut considérer comme l’État prédateur par excellence — a déployé une stratégie d’investissement massif dans les semi-conducteurs dans les années 2010. En 2014, Pékin a créé un fonds souverain dédié juste après avoir établi une feuille de route. Puis la Chine s’est lancée dans le rachat d’entreprises de tailles significatives aux États-Unis en 2016 et 2017, jusqu’à ce que le dispositif américain du CFIUS (Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis) commence à s’alerter. Ce fut le cas également en France lorsque l’entreprise d’État chinoise Tsinghua Unigroup a racheté en 2018 l’entreprise Linxens, fabricant de composants pour cartes à puces, pour 2,2 milliards d’euros (1). Cet exemple se situe à mi-chemin entre les prédations de nature géostratégique et celles plus économiques qui contribuent à la prospérité nationale.

Les prédations géostratégiques ciblent tout particulièrement les infrastructures critiques. On pensera notamment aux 14 ports européens qui sont passés sous contrôle chinois et qui ne constituent pas des investissements seulement financiers mais aussi stratégiques et opérationnels. On peut aussi mentionner le cas des réseaux électriques et gaziers européens qui sont passés en partie sous contrôle chinois (2), notamment en Italie, au Portugal, en Grèce et au Royaume-Uni. Outre le cas chinois, celui de Singapour est également intéressant car, dans le domaine maritime, la cité-État s’est emparée d’un certain nombre d’actifs à travers le monde, y compris en Europe, comme en Belgique, aux Pays-Bas ou en Italie.

Cette menace géostratégique peut aussi se développer lorsqu’un État prédateur a pris trop d’importance dans un secteur donné. Ainsi, par le jeu des investissements, il acquiert une capacité de menace, qui n’est pas un outil sans faille, mais qui contribue à peser dans les rapports stratégiques entre États.

Outre la Chine, quels sont les autres principaux États prédateurs vis-à-vis de l’Europe ?

On peut avoir tendance à regarder surtout du côté américain ou chinois et à isoler ce phénomène de capitalisme d’État conquérant. Mais le modèle chinois est en train d’essaimer à travers le monde, d’autres États le pratiquent également. On peut revenir sur le cas de Singapour, considéré comme l’un des États les plus libéraux au monde, qui réplique la stratégie de Pékin grâce à ses deux grands fonds souverains, GIC et Temasek (3), qui investissent de façon tout à fait traditionnelle en prenant des participations financières minoritaires dans un grand nombre d’entreprises mais qui, en parallèle, commencent à multiplier les investissements stratégiques dans les secteurs les plus importants pour Singapour, à savoir le maritime, la logistique et les nouvelles énergies. Ce modèle se diffuse également en Corée du Sud, un peu moins en Inde, et bien évidemment dans les pays du golfe Arabo-Persique.

Est-ce que des États européens sont plus ciblés que d’autres ?

C’est assez triste à dire, mais la France ne fait pas nécessairement partie des pays les plus ciblés en raison du fait que son industrie est déjà fortement affaiblie. L’Allemagne est donc au contraire une cible de choix pour nombre d’investisseurs étrangers qui convoitent sa puissance industrielle. Le rachat du constructeur de robots industriels Kuka par le chinois Midea en 2016 a sonné comme un réveil pour l’Allemagne (4). Mais cette dernière continue néanmoins à avoir du mal à protéger ses fleurons industriels avec la perte de nombreuses ETI (entreprises de taille intermédiaire) régionales. À la fin des années 2000 et début 2010, l’Allemagne a d’ailleurs perdu la plupart de ses technologies de pointe dans le secteur des énergies renouvelables qui ont été ravies par des concurrents essentiellement chinois.

Quels sont les secteurs les plus ciblés et quels en sont les risques ?

Ce sont bien évidemment les secteurs stratégiques qui sont les plus ciblés, sachant que la liste de ces secteurs ne fait que s’allonger : robotique, numérique, technologies de l’information, biotechnologies… Paradoxalement, depuis la Covid-19, alors que ces derniers devraient être mieux protégés, de nombreux investissements ont continué d’être réalisés dans le domaine des biotechnologies par des Chinois, des Sud-Coréens, des Taïwanais ou des Japonais. Malgré l’importance de ce secteur, les entreprises de biotechnologie européenne ont un accès difficile aux financements issus des fonds capitalistiques européens (5).

On peut constater que le phénomène ne s’enraie pas, même après un choc aussi important que celui de la pandémie qui nous a pourtant démontré que notre dépendance à l’égard de l’étranger constituait une réelle fragilité.

Un rapport intéressant de la Commission européenne avait été commandé (6), sous la pression des États membres. Il devait faire le point sur l’influence des investisseurs étrangers au sein des économies européennes. Ce rapport a été plus ou moins mis sous le tapis en raison du constat inquiétant qu’il dressait. Il montrait notamment qu’une partie importante des secteurs stratégiques était détenue par des investisseurs étrangers. Ce rapport montrait ainsi que les secteurs stratégiques étaient deux à trois fois plus ciblés que les secteurs classiques. Il dessinait une trajectoire inquiétante montrant qu’entre 2013 et 2017, le nombre d’entreprises passées sous actionnariat étranger, notamment dans les secteurs stratégiques, était en croissance extrêmement forte. La question était de savoir si cette tendance continuait ou si le renforcement de nos dispositifs de protection avait pu infléchir cette trajectoire. Mais il n’y a pas eu de suite à ce rapport qui constitue un aveu d’échec de la Commission européenne sur ce sujet.

Quelle est concrètement l’ampleur de la désindustrialisation ou l’état de l’influence sur les pouvoirs publics européens générées par cette prédation ?

Il est important de réaliser que les investissements étrangers ne sont pas la raison de notre désindustrialisation. Ils viennent d’abord profiter d’un affaiblissement structurel de notre industrie et de notre tissu économique au sens large. C’est parce qu’un grand nombre d’acteurs économiques sont en difficulté que ces investisseurs étrangers sont en capacité de les acquérir. Et c’est parce que notre écosystème financier n’est pas suffisamment développé et robuste qu’il ne peut pas non plus venir en contrepoids pour proposer des alternatives d’investissement.

En France, le cadre fiscal et administratif a généré un désavantage compétitif certain. Mais avec un peu de recul, on réalise que dans le reste de l’Europe occidentale la désindustrialisation va moins vite mais progresse néanmoins. Il y a donc un problème structurel européen qui a trait à notre capacité d’innovation, notre capacité d’éducation et de formation et qui ne semble plus suffisant (7) pour préparer l’avenir et lutter à armes égales face à des nations comme l’Inde (8).

Est-ce que l’Europe a pris conscience de ce danger ?

L’Union européenne (UE) en a pris conscience en partie et s’est dotée d’un dispositif de filtrage (9), qui n’en est pas vraiment un, mais plutôt un outil de coopération entre les États membres et qui permet de partager l’information. Pour l’essentiel, il n’est pas en capacité de bloquer des investissements étrangers en Europe. À ce stade, il s’agit plutôt d’un dispositif cosmétique que d’un outil véritablement efficace.

Du côté des États européens, ces derniers commencent à réagir et les dispositifs de filtrage se musclent dans chaque pays. Il y a cinq ans, seul un quart des pays européens avait un tel dispositif, alors qu’aujourd’hui cela concerne les deux tiers des États membres. Malheureusement, les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur. À titre de comparaison, le budget du CFIUS américain est environ trente fois supérieur à son équivalent français. Si l’on compare le nombre de dossiers filtrés par les pouvoirs publics allemands, italiens ou espagnols, ils sont environ cinq à sept fois inférieurs au nombre de dossiers traités par les Canadiens ou les Australiens.

Alors que les problèmes de souveraineté ne se vivent pas de la même façon d’un État à l’autre et qu’il faut bien accepter que nous sommes dans un contexte de guerre économique permanente, y compris au sein même de l’Europe, que peut faire l’UE ou chacun des États membres pour se prémunir face à cette prédation économique ?

Instinctivement, on aimerait que les dispositifs de filtrage se concentrent sur les pays qui nous apparaissent les plus menaçants, comme la Chine ou les États-Unis. Mais effectivement, un certain nombre de menaces émanent de nos voisins les plus proches, comme l’Allemagne. Il s’agit donc de faire un véritable choix politique. Est-ce qu’il faut pousser le fédéralisme à un niveau plus avancé pour permettre de transférer la capacité de filtrage au niveau communautaire ? Mais si nous considérons que les intérêts continuent d’être divergents, ce qui est le cas en pratique, il faut peut-être en tirer des leçons pragmatiques et savoir se protéger de la même manière contre les investissements allemands ou chinois. Sur cette question, il faut avant tout faire preuve de pragmatisme et se dire que tant que nos partenaires se positionneront en concurrents agressifs — comme a notamment pu se comporter l’Allemagne à l’égard de la France ces dernières années dans le nucléaire (10) —, alors il va falloir les traiter à la fois comme des partenaires et des menaces.

Bernard CARAYON
Propos recueillis par Thomas DELAGE

le 8 octobre 2024
dans le cadre des Rencontres stratégiques de la Méditerranée


(1) Frédéric Schaeffer, Raphaël Balenieri, « Semi-conducteurs : un groupe chinois rachète Linxens », Les Échos, 26 juillet 2018 (https://​rebrand​.ly/​j​d​u​q​mpk).

(2) Clémence Pèlegrin, Hugo Marciot, « La Chine aux portes du réseau électrique européen », Groupe d’études géopolitiques, septembre 2021 (https://​rebrand​.ly/​o​0​o​p​t6r).

(3) Nessim Aït-Kacimi, « Proche des 300 milliards d’euros, le fonds singapourien Temasek renoue avec la croissance », Les Echos, 10 juillet 2024 (https://​rebrand​.ly/​n​0​h​u​n5o).

(4) Alexandre Souchet, « Guerre de l’information autour de la prise de contrôle de l’entreprise allemande Kuka Robotique », École de guerre économique, 24 février 2020 (https://​rebrand​.ly/​a​l​r​5​gzi).

(5) Coface, « Biotechnologies : une Europe à la peine face au duel sino-américain », 27 mai 2024 (https://​rebrand​.ly/​e​2​r​e​m8m).

(6) Commission européenne, « Rapport sur les investissements directs étrangers : augmentation continue de la propriété étrangère d’entreprises européennes dans des secteurs clés », 13 mars 2019 (https://​rebrand​.ly/​2​y​f​r​283).

(7) En 2024, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) affiche 46 500 nouveaux diplômés en 2022-2023, alors que les entreprises en réclament 20 000 de plus : Jeanne Bigot, « Le nombre d’ingénieurs diplômés en France reste insuffisant face aux besoins des entreprises », L’Usine Nouvelle, 17 juin 2024 (https://​rebrand​.ly/​5​3​u​9​bkn).

(8) Geetha Ganapathy-Doré, « L’Inde, une puissance scientifique et technologique depuis plus longtemps qu’on le croit », Université Sorbonne Paris Nord, article republié à partir de The Conversation, 5 juin 2024 (https://​rebrand​.ly/​l​l​a​q​9cm).

(9) Marie Guitton, « Filtrage des investissements étrangers : à quoi sert le “système d’alerte” de l’UE ? », Toute l’Europe, 11 février 2022 (https://​rebrand​.ly/​s​u​b​1​vrn).

(10) École de guerre économique, « Ingérence des fondations politiques allemandes & sabotage de la filière nucléaire française », rapport d’alerte, juin 2023 (https://​rebrand​.ly/​o​y​u​7​e3n).

Guerre en Ukraine : l’Allemagne bientôt co-belligérant avec ses missiles Taurus ?

Guerre en Ukraine : l’Allemagne bientôt co-belligérant avec ses missiles Taurus ?

Une décision de l’Allemagne pourrait rebattre les cartes d’un conflit déjà explosif : la guerre en Ukraine. À Berlin comme à Moscou, les lignes bougent, et pas toujours dans la discrétion.

par Grégoire Hernandez – Secret défense – Publié le
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Guerre en Ukraine : l’Allemagne bientôt co-belligérant avec ses missiles Taurus ? | Armees.com

Une décision de l’Allemagne pourrait rebattre les cartes d’un conflit déjà explosif : la guerre en Ukraine. À Berlin comme à Moscou, les lignes bougent, et pas toujours dans la discrétion.

Le mot « Taurus » n’a jamais autant pesé. Derrière ce missile de croisière, c’est toute la position stratégique de l’Allemagne qui vacille.

Une menace explicite qui ne laisse plus de place au doute

Le 17 avril 2025, la diplomatie russe a dégainé un message sans ambiguïté : « Une frappe avec ces missiles contre des installations russes (…) sera considérée comme une participation directe de l’Allemagne aux hostilités au côté du régime de Kiev, avec toutes les conséquences que cela implique ». Pour Moscou, l’envoi de Taurus à Kiev ne serait pas qu’un soutien matériel, mais une entrée officielle de l’Allemagne dans la guerre en Ukraine.
À ses yeux, ce type d’armement ne peut être utilisé sans « l’assistance directe des militaires de la Bundeswehr ». Une manière claire de désigner Berlin comme co-belligérant potentiel. Cette rhétorique n’est pas nouvelle : la Russie avait déjà menacé les Occidentaux lors de la livraison des missiles américains ATACMS et britanniques Storm Shadow. Mais ici, la mise en garde est plus frontale. Et pour cause : les Taurus ont une portée d’au moins 500 km, bien supérieure à celle de leurs homologues.

Le chancelier et son futur successeur ont des avis qui divergent. Tandis que le probable futur chancelier Friedrich Merz (CDU) s’est dit ouvert à cette livraison, à condition d’un « accord avec les partenaires européens », son prédécesseur Olaf Scholz (SPD) a toujours refusé cette option, arguant du risque d’escalade.
Le secrétaire général du SPDMatthias Miersch, a tranché : « Nous avons toujours été contre » la livraison, refusant de « devenir une partie au conflit ». Il estime que ces « raisons (…) ont conduit au fait que nous n’avons pas livré les Taurus. Et je suppose que cela restera ainsi. »
Même prudence du côté du ministre sortant de la DéfenseBoris Pistorius : « Il y a de bons arguments pour la livraison et l’utilisation de Taurus. Et il y a beaucoup d’arguments, de bons arguments, contre ». Il précise que cette décision « délicate » se heurte à une réalité : « Aucun partenaire européen n’a un tel système. »

Allemagne : des capacités qui inquiètent jusqu’au Kremlin

Pourquoi ces missiles obsèdent-ils tant ? Le Taurus, missile de croisière germano-suédois, peut atteindre avec précision une cible à plus de 500 kilomètres. Une portée qui permettrait à l’Ukraine de viser en profondeur sur le territoire russe. Des officiers allemands, dans des conversations confidentielles relayées par des médias pro-russes, ont même évoqué la capacité de ces armes à détruire le pont de Kertch. Un symbole pour la Russie, il relit le pays à la Crimée annexée en 2014.
Déjà, après l’usage d’ATACMS et Storm Shadow par Kiev, la riposte russe n’avait pas tardé : le Kremlin avait tiré un missile hypersonique expérimental Orechnik contre une usine militaire ukrainienne. Un avertissement grandeur nature, que Moscou promet de renouveler en cas d’extension des frappes.

En arrière-plan, l’accord de coalition CDU-SPD, tout juste signé, prévoit un soutien « complet » à l’Ukraine. Mais ce consensus cache mal des lignes de fracture persistantes. Le missile Taurus, par sa portée comme par sa symbolique, cristallise cette ambivalence stratégique : aider sans intervenir, frapper sans apparaître, dissuader sans provoquer.
Face à une Russie qui hausse le ton et une opinion publique allemande toujours plus divisée, la livraison du Taurus ne serait pas qu’un simple envoi de munitions. Ce serait un changement d’échelle, peut-être un nouveau point de bascule dans cette interminable guerre en Ukraine.

Google Earth révèle que la flotte chinoise est beaucoup plus puissante que ce qu’on pensait avec cette base abritant 6 sous-marins nucléaires

Google Earth révèle que la flotte chinoise est beaucoup plus puissante que ce qu’on pensait avec cette base abritant 6 sous-marins nucléaires

Google Earth révèle que la flotte chinoise est beaucoup plus puissante que ce qu'on pensait avec cette base abritant 6 sous-marins nucléaires
Google Earth révèle que la flotte chinoise est beaucoup plus puissante que ce qu’on pensait avec cette base abritant 6 sous-marins nucléaires

 

Une base secrète chinoise abritant six sous-marins Nucléaires découverte via Google Earth.

Des images récentes de Google Earth ont révélé l’existence d’une base secrète en Chine, cachant six sous-marins nucléaires. Située à l’est de Qingdao, cette base témoigne de la priorité accordée par la Marine de l’Armée Populaire de Libération (PLAN) à la modernisation de sa force sous-marine, dans un contexte de rivalité navale croissante avec les États-Unis dans le Pacifique occidental.

La Chine investit massivement dans des sous-marins nucléaires comme le prouve une récente image de Google Earth

La base, identifiée comme la Première Base Sous-marine, se trouve à 18 kilomètres à l’est de Qingdao dans la mer Jaune, offrant un accès stratégique à la mer de Chine orientale et à la mer du Japon. Les images satellites montrent au moins six sous-marins nucléaires actifs, renforçant les inquiétudes internationales quant à l’intensification des capacités militaires chinoises.

Détails sur la flotte sous-marine

Selon Alex Luck, analyste naval indépendant, les images détaillent la présence de deux sous-marins de type 091, deux de type 093A, et un sous-marin non identifié, avec également le seul sous-marin balistique nucléaire de type 092 de la Chine, aujourd’hui hors service mais visible sur les clichés. Un autre sous-marin en cale sèche pourrait être en cours de démantèlement, la maintenance habituelle se déroulant sur un autre site.

Implications stratégiques

La découverte de cette base souligne l’ambition de la Chine de contester la puissance navale américaine dans le Pacifique occidental. Cela intervient alors que des rapports indiquent la perte récente du sous-marin nucléaire d’attaque le plus avancé de la Chine, le Type 041, qui a coulé dans un chantier naval l’année dernière.

Selon Alex Luck, analyste naval indépendant, les images détaillent la présence de deux sous-marins de type 091, deux de type 093A, et un sous-marin non identifié, avec également le seul sous-marin balistique nucléaire de type 092 de la Chine, aujourd'hui hors service mais visible sur les clichés.
Selon Alex Luck, analyste naval indépendant, les images détaillent la présence de deux sous-marins de type 091, deux de type 093A, et un sous-marin non identifié, avec également le seul sous-marin balistique nucléaire de type 092 de la Chine, aujourd’hui hors service mais visible sur les clichés.

Expansion et modernisation de la flotte

Le rapport du Département de la Défense des États-Unis (DoD) souligne que la PLAN continue de croître modestement tout en intégrant de nouvelles technologies et en étendant ses capacités de construction de sous-marins. La flotte de sous-marins de la PLAN, qui comprend des sous-marins à missiles balistiques nucléaires (SSBN) et des sous-marins d’attaque nucléaires (SSN), devrait passer de 65 unités en 2025 à 80 unités en 2035.

La course aux armements et sécurité régionale

L’expansion de la flotte sous-marine chinoise, équipée de missiles balistiques lancés par sous-marins (SLBM), représente une composante clé de la dissuasion nucléaire de la Chine. Les sous-marins de classe JIN, armés de missiles JL-2 ou JL-3, sont un élément central de cette stratégie, ce qui renforce la posture de dissuasion de Pékin dans un contexte géopolitique tendu.

La flotte navale chinoise connait un âge d’or

Voici un tableau récapitulant les principales composantes de la force navale chinoise (Marine de l’Armée de Libération du Peuple) en 2025 :

Type de Navire Classe/Exemple Caractéristiques Principales Nombre Estimé en 2025
Porte-avions Liaoning, Shandong, Fujian Capables d’opérations aériennes avancées 3
Croiseurs Type-055 Renhai 13 000 tonnes, armement polyvalent (anti-aérien, anti-navire) 8
Destroyers Type-052D Luyang III 7 500 tonnes, radar avancé, 64 cellules VLS ~40
Frégates Type-054A Jiangkai II Multi-rôles, armement anti-sous-marin et anti-navire ~50
Sous-marins nucléaires d’attaque Type-093 Shang Propulsion nucléaire, armement anti-navire ~6
Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins Type-094 Jin Capables de lancer des missiles balistiques ~6
Navires amphibies Type-071 Yuzhao, Type-075 Transport de troupes et véhicules, soutien aux débarquements ~10 (Type-071 et Type-075 combinés)
Patrouilleurs rapides Classe Houbei Anti-navire, équipés de missiles de croisière ~60

Ce tableau illustre la diversité et la modernité croissante de la marine chinoise, qui devrait atteindre environ 400 navires en 2025.

Cette révélation par Google Earth ne fait qu’accentuer les enjeux dans la compétition pour la suprématie maritime et la sécurité dans la région Asie-Pacifique, mettant en lumière la nécessité pour les États-Unis et leurs alliés de reconsidérer leur stratégie face à une Chine de plus en plus « netreprenante ».

Source : Alex Luck/X