Reportage – Donbass : des populations divisées

Reportage – Donbass : des populations divisées

 Mikhail Tereshchenko/TASS/Sipa USA/38156926/MB/2203141231

par Pierre-Yves Baillet – Revue Conflits – publié le 2 novembre 2024


Depuis 2014, le Donbass est au cœur de la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine. Les deux belligérants s’affrontent férocement pour le contrôle de ce bassin industriel et minier. Les Ukrainiens clament que les mouvements séparatistes ne sont que des excroissances de Moscou et souhaitent restaurer l’intégrité territoriale de l’Ukraine. La Russie, quant à elle, affirme venir protéger des populations russes d’un régime nazi qui les persécute. Cependant, sur le terrain, la situation est plus complexe que ce qu’affirment Kiev et Moscou. Reportage.

Pierre-Yves Baillet, depuis le Donbass

La région nommée « Donbass » regroupe les oblasts (division administrative de l’ex-URSS) de Louhansk et de Donetsk. Louhansk ou Lougansk a une superficie de près de 27 000 km² et est peuplé d’environ 1 million et demi d’habitants. Pour une superficie équivalente, l’oblast de Donetsk est plus peuplé, il abrite plus de 4 millions d’habitants. Ainsi, avec ses 5 millions d’habitants, le Donbass regroupe à lui seul plus de 11 % de la population ukrainienne. Au siècle précédent, les populations de ces provinces ont connu la colonisation, la déportation, les massacres et l’immigration. En résulte des populations d’origines diverses et aux identités multiples et notamment une importante minorité russe. Selon un recensement de 2001, le Donbass est, après la Crimée, la région d’Ukraine comportant le plus de population d’origine russe. Celles-ci représenteraient environ 39 % de la population totale.

Une région au cœur des tensions

Le changement de régime en Ukraine en février 2014 est engendré par la Révolution de Maïdan. En réponse, des manifestations anti-Maïdan éclatent dans plusieurs villes orientales du pays et plus particulièrement dans le Donbass. « Ces protestations ont été baptisées “Printemps russe” à cause du soutien que leur apporte Moscou. Soutenus par des forces de sécurité russes, les protestataires anti-Maïdan se sont emparés des bâtiments administratifs, dans plusieurs villes ». Le 11 mai de cette même année se tient un référendum qui entraîne la proclamation d’indépendance des Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk (DNR et LNR). En février 2015, les belligérants se retrouvent en Biélorussie pour ratifier les accords de Minsk. Ce traité divise le Donbass en deux zones. La première sous l’autorité ukrainienne et la seconde est contrôlée par les séparatistes pro-russes qui obtiennent 16 000 km (soit 3 % du territoire global) et une bonne partie des ressources minières. Cependant, aucune des parties ne respecte les accords et les combats vont continuer.

Reportage au Donbass (c) Pierre-Yves Baillet

« Nous n’avons pas peur des soldats russes »

L’invasion massive de février 2022 va accentuer les fractures entre les populations du Donbass et engendrer un important exode. Plusieurs associations dont l’ONG ukrainienne Vostok SOS sont chargées d’aider les populations et d’évacuer les civils des zones de combats. Malgré un flux de réfugiés important, les bénévoles sont souvent confrontés à des habitants qui refusent de partir malgré le danger. Certains, notamment les plus âgés, ne sont pas prêts à abandonner le peu de biens qu’ils possèdent. D’autres en revanche attendent l’arrivée de l’armée russe. Depuis le 24 février, les volontaires de Vostok SOS interviennent, mettant leur vie en danger, dans toutes les villes victimes de bombardements. Au mois d’avril, les volontaires prenaient en charge les habitants de Sievierodonetsk et de Lysychantks dont plusieurs milliers ont fait le choix de rester malgré l’intensification des combats et la progression de l’armée russe.

À l’instar d’un habitant de Sievierodonetsk qui, malgré sa maison détruite, déclarait alors « Nous n’avons pas peur des soldats russes. Ce qui nous terrorise, ce sont les bombardements. Ce qui s’est passé à Boutcha ne se passera pas à Sievierodonetsk.[1] » Alors qu’aujourd’hui Sievierodonetsk et Lysychantks sont tombées aux mains des forces armées russes, des cas similaires se répètent dans les villes de Slovianks et de Bakhmut, prochaines cibles de Moscou.

« Ces jours-ci, Severodonetsk subit des lourds bombardements. La ligne de front s’approche, est très proche de la ville. Et nous sommes entrés ici pour faire sortir les gens. Nous avons sauvé environ 20 personnes âgées, des personnes qui avaient vraiment besoin de soins. Oui, nous avons réussi à trouver leurs adresses. Nous les avons pris en voiture pour les faire sortir de la ville qui subit des bombardements quotidiens réguliers et qui est déjà très endommagée. Il y a du verre partout sur les routes. Les câbles des trolleybus pendent comme une toile d’araignée. Ce type de scénario est très mauvais. Les gens devraient vraiment quitter cet endroit, beaucoup le font déjà. Nous sommes ici pour récupérer au moins ces gens qui ne sont pas capables de se déplacer par eux-mêmes et pour les emmener en sécurité. Et oui, c’est ce que nous avons fait aujourd’hui. Nous avons mis 20 personnes en sécurité ici à Sloviansk. »

Reportage au Donbass (c) Pierre-Yves Baillet

« Bandera n’est pas notre héros ».

Depuis plusieurs mois, Mikola et Eduard, deux volontaires de Vostok SOS, ont été confrontés à de nombreux refus et ont même été pris à partie par des locaux. Comme l’explique Eduard, une part non-négligeable de la population dans la région du Donbass, soutient la Russie. Selon lui, c’est le résultat d’un important travail de propagande. Mikola raconte :

« Parfois, notre travail est compliqué. Un jour dans la ville de Siversk, un homme nous a violemment interpellés en nous disant d’arrêter de venir évacuer les gens. Selon lui, nous étions là pour vider la ville de ses habitants. » Eduard ajoute : « Une autre fois, une dame et sa famille ont refusé d’être évacuées, car elle nous disait avoir vu à la télévision que les réfugiés souffraient, qu’ils n’avaient aucun endroit où loger et qu’ils mourraient de faim. Alors que pas du tout, nous leur fournissons tout le nécessaire ! La propagande russe a aussi beaucoup joué sur l’enrôlement forcé. Il est vrai que les hommes ne sont pas autorisés à quitter le territoire, mais c’est normal en temps de guerre et il n’y a jamais eu de problèmes majeurs à cause de cela. Cependant, des familles entières refusent de partir de peur de plus revoir un frère, un père ou un fils. Cela nous pose quelques problèmes, mais nous continuerons d’aider les gens dans le besoin et d’évacuer ceux qui le veulent ! »

Cependant, Eduard confie qu’il est inquiet de certains discours prononcés par les ultranationalistes ukrainiens. Il ne comprend pas pourquoi le russe devrait être interdit.« Pourquoi ne pourrait-on pas avoir deux langues en Ukraine ? Je peux être ukrainien et parler le russe. Je suis ukrainien et fier de l’être, tous les jours je risque ma vie face aux Russes. Nous sommes ukrainiens, mais ici Bandera n’est pas notre héros. »

Reportage au Donbass (c) Pierre-Yves Baillet

Les ressources minérales de l’Ukraine :

L’Ukraine est largement connue comme une puissance agricole. Mais en tant que gisement de matières premières, elle abrite 117 des 120 minéraux et métaux les plus utilisés, ainsi qu’une source importante de combustibles fossiles. Les sites web officiels n’indiquent plus la géolocalisation de ces gisements ; le gouvernement, invoquant la sécurité nationale, les a supprimés au début du printemps. Pourtant, l’analyse de SecDev indique qu’au moins 12 400 milliards de dollars de gisements énergétiques, de métaux et de minéraux ukrainiens sont désormais sous contrôle russe. Ce chiffre représente près de la moitié de la valeur en dollars des 2 209 gisements examinés par l’entreprise. Outre 63 % des gisements de charbon du pays, Moscou s’est emparé de 11 % de ses gisements de pétrole, de 20 % de ses gisements de gaz naturel, de 42 % de ses métaux et de 33 % de ses gisements de terres rares et d’autres minéraux critiques, dont le lithium. La Russie possédait déjà, depuis 2014, la majeure partie des ressources du Donbass.

[1] Les entretiens ont été réalisés entre mars 2022 et juillet 2022

Pour garantir son activité opérationnelle, l’US Navy va prolonger la durée de vie de ses plus anciens destroyers

Pour garantir son activité opérationnelle, l’US Navy va prolonger la durée de vie de ses plus anciens destroyers

https://www.opex360.com/2024/11/02/pour-garantir-son-activite-operationnelle-lus-navy-va-prolonger-la-duree-de-vie-de-ses-plus-anciens-destroyers/


Lancé dans les années 1990 , le programme DD(X) [ou DD21] prévoyait la construction de trente-deux « destroyers » furtifs de nouvelle génération au profit de l’US Navy. Ayant la signature radar d’un bateau de pêche malgré leurs 15 480 tonnes de déplacement ainsi que la capacité de produire assez d’électricité pour alimenter l’équivalent de 78 000 foyers, ces navires devaient révolutionner le combat naval. Seulement, il n’en a rien été : devant la hausse exponentielle des coûts, le Pentagone dut revoir drastiquement ses ambitions à la baisse… Et seulement trois unités ont été construites.

Dans le même temps, le programme LCS [Littoral Combat Ship], censé doter l’US Navy de cinquante-deux navires rapides et polyvalents grâce à l’intégration de « modules de mission » en fonction des tâches qu’ils devaient accomplir, s’est aussi soldé par un échec cuisant… Au point que certaines unités ont été désarmées seulement cinq ans après avoir été admises au service actif.

D’où le programme « Constellation », lancé afin de remplacer les LCS [surnommés Little Crappy Ships] par des navires conçus selon le modèle de la frégate multimissions [FREMM] italienne. Seulement, la prise en compte de nouvelles exigences fait que la construction de ces nouveaux navires [six ont été commandés à ce jour] accumule les retards.

Si le remplacement des LCS est prévu, il en va de même pour les « destroyers » appartenant à la classe Arleigh Burke, dont les premières unités [version Flight 1] ont été admise au service dans les années 1990, ainsi que pour les croiseurs de type Ticonderoga. Pour cela, le Pentagone a lancé le programme DDG[X], avec l’objectif de disposer d’un premier navire à l’horizon 2032.

Seulement, l’US Navy est contrainte de désarmer certains de ses navires sans pouvoir les remplacer dans l’immédiat. Tel est le cas des LCS mais aussi celui des croiseurs de type Ticonderoga, dont il ne reste plus que huit exemplaires en service sur les vingt-sept construits. En outre, les difficultés que rencontre actuellement l’industrie navale américaine ne sont pas sans conséquences sur la disponibilité technique de ses bateaux.

Enfin, la marine américaine doit financer d’autres programmes tout aussi importants, comme son futur avion de combat embarqué ou encore son sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] de nouvelle génération, etc.

Résultat : la flotte de navires de premier rang diminue progressivement, alors que l’activité opérationnelle, déjà très importante, pourrait s’intensifier si la situation dans la région Indopacifique venait à se dégrader.

Dans ces conditions, l’une des solutions consisterait à prolonger la durée de vie de certains navires. Et c’est d’ailleurs ce qu’a annoncé l’US Navy, le 31 octobre.

Ainsi, devant être désarmés entre 2028 et 2032, douze « destroyers » sur les vingt-et-un que compte la série « Arleigh Burke Flight 1 », joueront les prolongations. Cette décision a été prise en fonction de l’état des navires concernés ainsi que sur la faisabilité de leurs mises à niveau.

« Le contexte budgétaire actuel contraint la Marine à faire des investissements prioritaires pour garder plus de joueurs prêts sur le terrain. La Marine tire activement les bons leviers pour maintenir et développer ses forces de combat afin de soutenir les intérêts mondiaux des États-Unis […] et de remporter une victoire décisive en cas de conflit », a fait valoir Mme l’amiral Lisa Franchetti, la cheffe des opérations navales [CNO, c’est-à-dire de l’US Navy, ndlr].

Tous les « destroyers » de type Arleigh Burke Flight I ne seront pas logés à la même enseigne. Ainsi, la durée de vie des USS Stethem et USS Carney ne sera prolongée que d’un an. Il est question d’aller jusqu’à trois ans pour les USS Barry et USS The Sullivans. Enfin, les USS John Paul Jones, Curtis Wilbur, Stout, John S. McCain, Laboon, Paul Hamilton, Gonzalez et Cole seront maintenus en service pendant cinq années de plus.

À noter que l’US Navy avait précédemment décidé de prolonger les USS Arleigh Burke, USS Mitscher, USS Milius, USS Ramage et USS Benfold. Le désarmement des USS Russell, USS Fitzgerald, USS Hopper et USS Ross devrait se faire comme prévu.

« La prolongation de ces ‘destroyers’ hautement performants et bien entretenus renforcera encore nos moyens alors que de nouveaux navires de guerre en construction rejoindront la flotte », a commenté Carlos Del Toro, le secrétaire de l’US Navy. « Cela témoigne également de leur rôle durable dans la projection de puissance à l’échelle mondiale et de leur capacité avérée à se défendre […] contre les attaques de missiles et de drones » comme l’a montré leur engagement en mer Rouge, a-t-il ajouté.

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

par Giuseppe Gagliano* –  CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°657 / octobre 2024

https://cf2r.org/actualite/rapport-niinisto-plus-surs-ensemble-renforcer-la-preparation-et-letat-de-preparation-civils-et-militaires-de-leurope/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.


Le récent rapport de Sauli Niinistö, ancien président de la Finlande, commandé par Ursula von der Leyen pour évaluer la préparation de l’Union européenne face aux crises et aux conflits, dessine une vision qui pourrait représenter un tournant politique, stratégique et en matière de renseignement pour l’Union européenne.

Politiquement, la proposition de créer un service de renseignement européen démontre une reconnaissance croissante au sein de l’UE de la nécessité de construire une défense intégrée et autonome, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis des États membres et des alliés étrangers, en particulier les États-Unis. La demande d’une structure de renseignement unifiée répond au besoin de défendre le territoire européen contre des menaces internes et externes de manière plus efficace, améliorant la capacité de réponse collective. Cependant, l’idée d’une agence de renseignement centralisée se heurte aux préoccupations de certains États membres, qui pourraient craindre une perte de souveraineté concernant leurs capacités de renseignement et leur sécurité nationale.

D’un point de vue stratégique, la proposition de Niinistö arrive à un moment crucial, avec le conflit en Ukraine qui continue de menacer la stabilité de tout le continent et les activités russes qui demeurent une menace pour les États membres de l’UE. La Russie a intensifié ses opérations de renseignement et de sabotage dans les pays de l’Union, profitant de la fragmentation des réponses des différents pays. Dans ce contexte, la création d’une agence de renseignement européenne pourrait non seulement améliorer le flux d’informations entre les États membres, mais aussi renforcer la résilience contre les attaques informatiques, les sabotages d’infrastructures critiques et les opérations clandestines. La proposition d’un système « anti-sabotage » mentionnée par Niinistö, visant à protéger les infrastructures essentielles, montre comment l’UE évolue vers un concept de défense plus large, qui ne concerne pas seulement la dimension militaire mais aussi la sauvegarde des ressources et des réseaux internes. La guerre en Ukraine a clairement montré la vulnérabilité des infrastructures critiques, comme les gazoducs et les réseaux de communication sous-marins, incitant l’UE à adopter une approche proactive pour éviter d’autres perturbations et interruptions à l’avenir.

Du point de vue du renseignement, le projet de Niinistö s’inspire probablement des modèles déjà utilisés par les alliés occidentaux, comme le réseau des « Five Eyes » entre les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui partagent largement le renseignement pour coordonner leur protection. Bien que l’UE dispose déjà de mécanismes de partage d’informations entre les États membres, l’établissement d’une agence de renseignement pleinement opérationnelle représenterait un changement de paradigme, en consolidant et en standardisant les processus de collecte, d’analyse et de diffusion des informations. Niinistö souligne également la nécessité de renforcer le contre-espionnage au sein des institutions européennes, notamment à Bruxelles, ville devenue un point central pour les opérations de renseignement de nombreuses puissances étrangères, en particulier russes, en raison de la présence des institutions communautaires et d’ambassades. La recommandation d’un service de renseignement européen vise donc non seulement à protéger les citoyens et les infrastructures de l’UE, mais aussi à garantir l’intégrité et la sécurité de ses propres institutions.

Les propos de Niinistö reflètent le besoin croissant de confiance et de coopération entre les États membres, essentiel pour faire face efficacement aux menaces modernes. Cependant, il existe un scepticisme quant à la possibilité de mettre en place une véritable agence de renseignement européenne, car certains États membres considèrent le partage de renseignement comme une question de souveraineté nationale. Von der Leyen a déjà reconnu que la collecte de renseignement est traditionnellement une prérogative des États nationaux, et de nombreux pays pourraient voir d’un mauvais œil une entité supranationale traitant de questions aussi sensibles. Cette réticence souligne une fois de plus les limites de l’UE à surmonter les barrières nationales dans des domaines clés de la sécurité et de la défense, et montre que, bien qu’il y ait une vision claire de renforcement de l’autonomie stratégique, la réaliser sera loin d’être simple. En définitive, le rapport de Niinistö pose les bases d’une discussion critique et nécessaire sur l’autonomie stratégique de l’UE, dans un contexte mondial où la coopération entre les États européens sera cruciale pour faire face aux défis de sécurité posés par les puissances rivales.

Le rapport de Sauli Niinistö et la proposition de créer une agence de renseignement unique au niveau européen offrent de nombreux sujets de réflexion. D’une part, les avantages de cette initiative sont évidents : une agence de renseignement centralisée permettrait à l’Union européenne de répondre de manière plus coordonnée et rapide aux menaces communes, telles que le terrorisme, le sabotage et les opérations d’espionnage. Une structure unifiée pourrait réduire la fragmentation des informations entre les différents services nationaux, garantissant un flux plus rapide et fiable de données stratégiques et opérationnelles. Cela permettrait aux États membres de prendre des décisions éclairées et fondées sur la base de renseignements complets et partagés. Une agence unique pourrait également renforcer la sécurité des institutions européennes, notamment à Bruxelles. En outre, une initiative de ce type représenterait un pas en avant vers l’autonomie stratégique de l’UE, réduisant en partie la dépendance aux informations provenant d’alliés extérieurs, notamment des États-Unis.

Cependant, les inconvénients sont tout aussi importants. Tout d’abord, il existe un problème de confiance : de nombreux États membres pourraient hésiter à partager intégralement leurs informations avec une entité supranationale, craignant des fuites de données ou la possibilité que des informations sensibles tombent entre de mauvaises mains. La tradition historique des services de renseignement nationaux, considérés comme un symbole de souveraineté et de sécurité, pourrait se heurter à l’idée de céder un pouvoir décisionnel et opérationnel à une agence centrale européenne. De plus, la création d’une agence de renseignement commune pourrait ne pas garantir pleinement l’indépendance de l’UE vis-à-vis de l’influence américaine. Au contraire, une structure de renseignement centralisée pourrait faciliter le conditionnement extérieur, car les États-Unis pourraient chercher à établir des relations privilégiées avec l’agence européenne pour garder le contrôle d’informations sensibles et orienter les choix politiques et de sécurité européens. La force de l’alliance transatlantique, consacrée par des décennies de collaboration et de liens économiques et militaires, rendrait difficile pour l’UE de se libérer complètement de l’influence de Washington, qui pourrait exercer des pressions ou accéder indirectement aux informations recueillies par l’agence européenne à travers des accords ou des partenariats bilatéraux.

En définitive, la création d’une agence de renseignement unique pourrait représenter un progrès important pour la sécurité européenne, mais générer également des complexités importantes qui ne doivent pas être sous-estimées. Pour atteindre une véritable indépendance stratégique, l’UE devrait non seulement développer une structure opérationnelle centralisée, mais aussi garantir une protection adéquate contre les interférences extérieures, en maintenant une gestion autonome et confidentielle de ses propres informations. Le succès de ce projet dépendra de la capacité de l’UE à construire une agence qui sache combiner efficacement collaboration et confidentialité, en respectant les souverainetés nationales et en résistant aux possibles conditionnements extérieurs, afin que l’Europe puisse véritablement consolider son rôle d’acteur indépendant et stratégiquement autonome sur la scène internationale.

Les Forces aériennes stratégiques : 60 ans de dissuasion nucléaire

par AASSDN – publié le 20 octobre 2024

http://AASSDN.org/


Découvrez les 6 choses à retenir sur la dissuasion nucléaire grâce au dossier mis à votre disposition par l’armée de l’Air et de l’Espace.

« Le temps est venu pour l’Europe de se réarmer » Entretien avec Pierre Lellouche

« Le temps est venu pour l’Europe de se réarmer »

Entretien avec Pierre Lellouche

par Pierre Lellouche – Revue Conflits – publié le 30 octobre 2024

https://www.revueconflits.com/le-temps-est-venu-pour-leurope-de-se-rearmer-entretien-avec-pierre-lellouche/


Observateur attentif des relations internationales, Pierre Lellouche publie une analyse fouillée de la guerre en Ukraine et de ses conséquences mondiales : Engrenages – La guerre d’Ukraine et le basculement du monde. Dénonçant, une guerre de l’émotion engagée par les occidentaux, sans réflexion stratégique, en réaction à l’agression Russe de février 2022, il appelle les Européens en particulier à un réarmement intellectuel, politique et militaire pour relever les défis de l’après-guerre en Europe, comme dans le reste du monde déjà impacté par ce conflit.

Co-fondateur de l’IFRI (Institut Français des Relations internationales), puis Député, Ministre, Président de l’Assemblée Parlementaire de l’Otan, et Représentant Spécial de la France en Afghanistan-Pakistan, Pierre Lellouche a consacré l’essentiel de sa carrière aux questions internationales. Il vient de publier Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde (Odile Jacob).

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé

J.-B. N. : Dans votre dernier livre, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde, vous analysez les dynamiques géopolitiques de ce conflit. Vous parlez notamment de la guerre en Ukraine comme d’une « sécession ». Pourquoi utiliser ce terme ?

P. L. : Ce terme s’impose, si l’on considère la longue histoire des relations entre ces deux peuples slaves, notamment les 300 ans d’intégration de l’Ukraine dans la Russie impériale, puis l’URSS, après 600 ans de domination, polonaise et lituanienne. En vérité, la Russie n’a jamais véritablement accepté que ce pays échappe à son orbite, même après l’indépendance de l’Ukraine en 1991. L’Ukraine, pour sa part, cherche à se libérer définitivement de cette tutelle historique, en particulier depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Cette guerre n’est donc rien d’autre qu’une guerre de sécession, prise dans l’affrontement entre Américains et Russes, où l’Ukraine tente de consolider son indépendance en s’appuyant cette fois sur l’Amérique et l’Europe face à une Russie qui souhaite la maintenir dans sa sphère d’influence. Le conflit actuel est l’aboutissement d’une série de tensions non résolues depuis la fin de la Guerre froide.

J.-B. N. : Vous comparez souvent cette situation avec la période qui a suivi le traité de Versailles. Pouvez-vous expliquer ce parallèle historique ?

 P. L. : Le parallèle est pertinent, car le traité de Versailles, de 1919 avait laissé sans réponse, nombre de questions géopolitiques capitales, comme le comprit très rapidement Jacques Bainville dans son ouvrage Les conséquences politiques de la paix (1919). À Versailles, d’ailleurs, la question ukrainienne avait été purement et simplement ignorée : par les vainqueurs comme par les vaincus, tandis qu’en Russie, les Bolcheviques comme les Russes Blancs considéreraient eux aussi l’Ukraine comme faisant partie intégrante de la Russie. En 1945, Staline traça les frontières de l’Ukraine moderne, mais à l’intérieur de l’Union soviétique, et Khrouchtchev y ajouta la Crimée en 1956, comme « cadeau » à la République Soviétique de Kiev.

La question se posa à nouveau en 1991 lors de l’effondrement de l’URSS : qu’allait-on faire de ce pays, à l’époque de 52 millions d’habitants et trois fois plus vaste que la France ? Confirmer son ancrage vers la Russie, ou l’accueillir à l’ouest, ou simplement lui donner un rôle de pont entre les deux camps et donc un statut de neutralité garantie par la communauté internationale ?  En vérité, les Occidentaux n’ont jamais voulu, ou su traiter cette question de manière explicite, pour des raisons tenant à l’indifférence, à l’ignorance, au business (le gaz russe bon marché), bref à une négligence stratégique, similaire aux années 1930. Aujourd’hui, la guerre en Ukraine rappelle ces tensions géopolitiques mal gérées, amplifiées par l’élargissement de l’OTAN et l’incapacité des grandes puissances à s’entendre sur le statut de l’Ukraine.

J.-B. N. : Vous avez parlé d’une « guerre par procuration » entre l’OTAN et la Russie. Pouvez-vous expliciter cette notion ?

P. L. : La guerre d’Ukraine est devenue une guerre par procuration non déclarée entre l’OTAN et la Russie à partir d’avril 2022. Après l’échec de l’armée russe devant Kiev, et son retrait vers Karkiv en mars, les États-Unis, suivis par les pays européens, ont commencé à fournir des quantités massives d’armes, ainsi que des soutiens financiers considérables (au moins 300 milliards de dollars à ce jour). Le Secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, a été l’un des premiers à dire ouvertement que l’objectif était d’affaiblir l’armée russe et de « lui ôter toute envie de recommencer». On est alors entrés dans une dynamique de confrontation entre les deux camps autour de l’avenir de cette zone tampon, l’Ukraine, comprise entre l’Allemagne et la Russie. Comme à leur habitude, les Russes ont rapidement renversé leur discours : d’agresseur, ils prétendaient désormais être la victime d’une agression, de la part de « l’Occident collectif». Cependant, ce qui manque toujours du côté occidental, c’est une vision claire des buts de guerre. Clausewitz disait : « Le dessein politique est le but. La guerre est le moyen. Un moyen sans but ne se conçoit pas. » Une sentence que nos dirigeants devraient méditer…

Car on ne sait toujours pas ce que l’Occident veut réellement obtenir à l’issue de cette guerre. Est-ce la libération totale du territoire ukrainien, ce qui semble aujourd’hui hors de portée ? Ou bien la chute du régime de Poutine ? Cette ambiguïté affaiblit la stratégie occidentale, tandis que la lassitude gagne en Europe comme aux États-Unis, et que les caisses sont vides…

J.-B. N. : Donc l’Occident n’a pas d’objectif de guerre clair ?

P. L. : Exactement. Contrairement à la Russie, qui a défini des objectifs – même s’ils ont évolué au fil du conflit – l’Occident semble manquer de but précis. Au début, la Russie voulait sans doute occuper toute l’Ukraine et installer un régime pro-russe, mais cette ambition a échoué. Les Russes ont alors concentré leurs efforts sur le Donbass et la Crimée. L’objectif russe est donc plus ou moins clair aujourd’hui : maintenir le contrôle de ces régions. En revanche, du côté occidental, le discours se résume à un slogan assez flou : « aussi longtemps que nécessaire», sans que l’on sache vraiment ce que cela signifie. Nous sommes dans une guerre où les émotions dominent, mais sans véritable plan stratégique à long terme.

J.-B. N. : Vous mentionnez dans votre livre que la guerre en Ukraine entraîne des répercussions plus larges et s’inscrit dans un basculement du monde. Pouvez-vous nous en dire plus ?

P. L. : La guerre d’Ukraine marque un tournant majeur dans l’histoire du monde, 30 ans après la fin de la guerre froide, et ce pour deux raisons.

Cette guerre est d’abord fondamentale pour le devenir du système de sécurité en Europe même : le statut de cette zone stratégique, essentielle, comprise entre l’Allemagne et la Russie en est l’enjeu.  Cette question constituera le cœur de la future négociation de paix, sans doute à partir de l’an prochain.

Mais cette guerre est également fondamentale en ce qu’elle a provoqué l’accélération de nombre de mouvements telluriques déjà à l’œuvre dans la communauté internationale et dans les rapports de force entre les nations. Sans nous en rendre compte, nous avons fabriqué une alliance stratégique entre la Chine et la Russie – le cauchemar d’Henry Kissinger – une alliance à laquelle se sont joints deux États particulièrement toxiques, l’Iran et la Corée-du-Nord. Quatre puissances nucléaires : ce que j’appelle dans le livre, « les Quatre cavaliers de l’apocalypse ».

Nous assistons à une recomposition des alliances internationales, avec d’un côté l’Occident, et de l’autre, une grande alliance révisionniste, certes hétérogènes, formée par la Russie, la Chine, l’Iran, et la Corée du Nord. Cette alliance s’oppose de plus en plus ouvertement à l’ordre international établi après la Seconde Guerre mondiale, dominé par les États-Unis et leurs alliés. Ce bloc révisionniste est soutenu par ce que la Russie appelle « la majorité du Sud global », des pays émergents et des puissances régionales qui ne veulent plus être soumis à la domination occidentale. Ils cherchent à construire un ordre alternatif, avec des institutions comme les BRICS ou des structures financières alternatives au système du dollar. Cette transformation marque un tournant majeur dans l’histoire du monde.

J.-B. N. : Vous soulignez également l’imbrication de la guerre en Ukraine avec d’autres conflits, notamment au Moyen-Orient. Pouvez-vous expliquer ce lien ?

P. L. : Oui, la guerre d’Ukraine a déjà métastasé. Il y a une connexion très nette entre la guerre d’Ukraine et d’autres zones de conflit, notamment au Moyen-Orient, où l’on retrouve les mêmes acteurs. L’Iran, par exemple, joue un rôle crucial dans ces deux théâtres. Il fournit des drones et des armes à la Russie, qui les utilise contre l’Ukraine. En même temps, l’Iran mène une guerre contre Israël, soutenu par des puissances comme la Chine qui contourne les sanctions en achetant du pétrole iranien.

Ces guerres sont interconnectées à travers des alliances stratégiques, économiques et militaires. Par exemple, la Corée du Nord, qui soutient la Russie en fournissant des armes et désormais des soldats, se voit en retour protégée par Moscou et Pékin sur la scène internationale. Ces dynamiques montrent que la guerre en Ukraine a déclenché une série de répercussions dans d’autres régions du monde, notamment au Moyen-Orient, en Asie, et même en Afrique, où l’influence américaine et française est remise en question.

J.-B. N. : À quoi pourrait ressembler une issue négociée à ce conflit selon vous ?

P. L. : Un accord de paix est possible, mais sera-t-il solide et surtout durable ? Où allons-nous refermer la plaie en laissant l’infection à l’intérieur ? Dans les grandes lignes, l’essentiel de l’accord a déjà été négocié entre les belligérants dès avril 2022, sous médiation turque (je publie en annexe, dans mon livre, l’essentiel du projet d’accord alors négocié).

Les deux parties devront d’abord se mettre d’accord sur un partage territorial que naturellement ni l’Ukraine, ni les Occidentaux ne reconnaîtront comme définitif, de même que dans les années 40, nous n’avions pas, nous Occidentaux, reconnu la partition de l’Allemagne comme définitive. La réalité sur le terrain, est que la Russie contrôle déjà 20 % du territoire de l’Ukraine, notamment la Crimée et une grande partie du Donbass, lui-même annexé d’ores et déjà par Moscou. La réalité militaire est que l’Ukraine ne pourra pas reprendre ces territoires par la force armée. Dès lors, le futur accord ne pourra que constater cet état de fait.

Reste le plus difficile : le statut de l’Ukraine et les garanties de sécurité. La réalité, là encore, au-delà des beaux discours, est que l’Ukraine ne pourra pas entrer dans l’OTAN : ni les Américains, ni les Allemands ne souhaitent franchir cette ligne par crainte d’une confrontation directe avec la Russie. Funeste ironie pour qui se souvient que l’origine de cette affaire remonte au sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008, où George W Bush tenait absolument à faire entrer l’Ukraine immédiatement ! Reste alors le statut de neutralité, compatible avec l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, qui serait garanti par la communauté internationale. Cette fois cependant il devra s’agir de garanties extrêmement solides, à un moment où les États-Unis sont tentés de basculer vers l’Asie. Cela signifie que l’Europe devra jouer un rôle crucial dans la sécurisation et la reconstruction de l’Ukraine de l’après-guerre : un pays amputé, économiquement dévasté, politiquement instable et de surcroît sur militarisé. En clair : une tâche immense s’annonce donc pour les européens.

J.-B. N. : Vous semblez pessimiste quant à la capacité des Européens à relever ce défi. Pourquoi ?

P. L. : Je suis en effet, très préoccupé par l’absence de vision stratégique en Europe, comme de tout débat sur l’après-guerre. Les gouvernements européens sont faibles et peu préparés à faire face aux enjeux post-conflit. Nous avons des gouvernements fragiles en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, et l’Europe semble obsédée par des crises internes, notamment économiques. Il y a très peu de réflexions sur la manière dont nous pourrions stabiliser durablement l’Europe centrale, qui est pourtant un enjeu essentiel pour la sécurité du continent.

Ce manque de leadership et de vision stratégique en Europe est extrêmement inquiétant, d’autant plus que les Américains, à long terme, vont sans doute se concentrer de plus en plus sur leur rivalité avec la Chine. L’Europe devra donc prendre ses responsabilités, mais pour l’instant, je vois peu de signes qu’elle se prépare à relever ce défi.

J.-B. N. : Quel serait le principal message de votre livre ?

P. L. : Mon livre cherche à alerter sur les engrenages géopolitiques dans lesquels nous nous sommes embarqués, sans la moindre réflexion stratégique. La guerre en Ukraine est bien plus qu’un conflit local. Elle marque un tournant historique qui réorganise l’ordre mondial. Transformation qu’a reconnu, certes à sa manière, le Secrétaire général de l’ONU en se rendant au sommet des Brics de Kazan, accueilli par Vladimir Poutine pourtant inculpé par la Cour pénale internationale.

Si nous ne prenons pas conscience de la profondeur de ces changements, nous risquons de subir un monde plus chaotique et violent sans être préparés. Le temps est venu pour l’Europe et l’Occident de se réarmer intellectuellement, politiquement, et militairement pour faire face à ces nouveaux défis.

Face à l’envoi de troupes nord-coréennes, la Corée du Sud pourrait aussi se mêler à la guerre en Ukraine

Face à l’envoi de troupes nord-coréennes, la Corée du Sud pourrait aussi se mêler à la guerre en Ukraine

Le rapprochement entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un ne fait pas les affaires de Séoul qui n’aura peut-être pas d’autres choix que de réagir.

Un défilé militaire organisé lors de la 76e Journée des Forces armées sud-coréennes, le 1er octobre 2024, sur la base aérienne de Seongnam, près de Séoul. | Jung Yeon-je / AFP

Repéré sur Business Insider

Vous ne trouverez pas plus belle illustration de l’adage «les ennemis de mes ennemis sont mes amis». Le soutien croissant apporté par la Corée du Nord à la Russie dans sa guerre d’invasion de l’Ukraine, tant sur le plan matériel que sur le plan humain avec l’envoi récent de troupes, ne plaît pas du tout à son voisin du sud qui a menacé d’envoyer à son tour du matériel et des armes à Kiev pour aider le pays à se défendre. Pour l’instant, rien n’est fait. Mais si cette aide se matérialise, il pourrait s’agir d’un coup de pouce précieux pour Volodymyr Zelensky, analyse le média en ligne américain Business Insider.

La Corée du Sud a fermement condamné l’envoi de plusieurs milliers de soldats nord-coréens en Ukraine, plusieurs hauts responsables s’exprimant sur le sujet après une réunion d’urgence du Conseil de sécurité nationale, le 22 octobre. Ils ont également évoqué la possibilité de livraisons d’armes à l’Ukraine qui s’inscrirait dans le cadre de contre-mesures graduelles, n’excluant pas au passage l’envoi de troupes sur le terrain pour surveiller de près la présence nord-coréenne et son rôle dans le conflit. La déclaration n’a pas plu à la Russie, qui l’a fait savoir par la voix de Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Le 23 octobre, elle a ainsi menacé la Corée du Sud de «conséquences en matière de sécurité» si elle se décidait à intervenir, a rapporté l’agence de presse sud-coréenne Yonhap.

«Les armes sud-coréennes pourraient potentiellement faire une différence significative, à la fois sur les capacités défensives et offensives de l’Ukraine», estime Jeremy Chan, analyste au sein du cabinet de conseil Eurasia Group et interrogé par Business Insider. La Russie aurait donc raison de s’inquiéter d’une possible entrée de la Corée du Sud –alliée des États-Unis– dans la guerre en Ukraine. Le pays asiatique s’est constitué un arsenal robuste au fil des années, notamment en raison du conflit larvé avec son voisin du nord.

Systèmes de défenses antiaérienne et antimissile, mais aussi canons automoteurs K9 Thunder, chars de combat K2, lance-roquettes multiples: de quoi soulager grandement Kiev en permettant de mieux protéger les villes et les infrastructures du pays, tout en renforçant la puissance de feu sur le front. Cette aide matérielle ne serait pas exactement une première. La Corée du Sud a déjà participé de manière indirecte à l’approvisionnement de l’Ukraine en obus de calibre 155 mm, en envoyant des munitions à des alliés occidentaux qui ont servi d’intermédiaires.

Ira, ira pas?

Mais l’arrivée de troupes nord-coréennes change la donne, d’après Ellen Kim, experte des Corées pour le groupe de réflexion américain Center for Strategic and International Studies. «La Corée du Sud pourrait également contribuer à une campagne de guerre psychologique contre les soldats nord-coréens qui pourraient ne pas vouloir se battre dans la guerre», avance l’analyste. Mais le chemin vers un soutien matériel et humain de la Corée du Sud à l’Ukraine est encore long. La Constitution du pays et plusieurs lois nationales limitent grandement les exportations d’armes vers des pays en guerre. L’impopularité du président sud-coréen Yoon Suk-yeol serait un frein pour faire évoluer ces lois et les abroger, du moins tant qu’il n’y a pas de menace claire pour le pays.

La Corée du Sud ne tient pas non plus à s’aliéner totalement la Russie, malgré les services passés et futurs que le pays peut rendre à Pyongyang. «En échange des obus nord-coréens et du soutien militaire en Ukraine, le Kremlin a cherché à freiner les inspections de l’ONU concernant le programme nucléaire de la Corée du Nord et pourrait être prêt à lui fournir une technologie militaire sophistiquée», explique Business Insider. Selon Jeremy Chan, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol cherche le meilleur moyen de dissuader la Russie. «Séoul pense que la menace de fournir des armes lui donne plus d’influence sur Moscou qu’elle n’en aurait si la Corée du Sud commençait à fournir des armes directement», affirme l’analyste. Autrement dit, Yoon Suk-yeol bluffe.

Les véhicules nord-coréens livrés à la Russie vont-ils changer le cours de la guerre en Ukraine?

Les véhicules nord-coréens livrés à la Russie vont-ils changer le cours de la guerre en Ukraine?

Les relations diplomatiques et commerciales de la Corée du Sud avec la Russie et dans la région sont également un frein pour Yoon Suk-yeol. «Il y a une possibilité que la Corée du Sud puisse tirer sur des Russes et/ou des Nord-Coréens, ce qui internationaliserait et élargirait encore la guerre. Le pire des scénarios est que cela déclenche une guerre nucléaire dans la péninsule coréenne, qui entraînerait les États-Unis et la Chine dans un conflit armé», anticipe Sean McFate, professeur de stratégie géopolitique à l’université Georgetown (située à Washington, D.C.).

Beaucoup à perdre, donc, mais peu à gagner… pour le moment. L’alliance de plus en plus forte entre la Russie et la Corée du Nord pourrait pousser la Corée du Sud à agir, qu’elle le veuille ou non. Si le leader nord-coréen Kim Jong-un reçoit, en échange de ses services en Ukraine, des armes sophistiquées et de la technologie de pointe, la menace serait de plus en plus pressante pour la Corée du Sud. «L’implication de la Corée du Nord augmente considérablement le risque que la Corée du Sud soit obligée de s’engager dans la guerre», conclut Ellen Kim.

La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

La faiblesse de l'armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre
La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

 

Alerte du ministre de la défense britannique : « Nous ne sommes pas prêts pour la guerre » !

Doit-on en rire ou en pleurer ? Le ministre britannique de la Défense, John Healey, a fait un aveu qui sonne comme un avertissement : le Royaume-Uni n’est pas prêt à mener une guerre. Cette déclaration, faite lors d’un discours relayé par The Telegraph le 24 octobre 2024, révèle des lacunes significatives dans la préparation militaire du pays.

Une armée britannique sous-équipée et mal préparée

Malgré un budget de défense supérieur à 2% du PIB, conformément aux engagements de l’OTAN, le Royaume-Uni se trouve avec des forces armées qui laissent à désirer en termes de modernité et de préparation. Selon un récent rapport parlementaire, l’armée de terre britannique, la British Army, n’a pas évolué significativement depuis l’époque de la bataille de Waterloo. De son côté, la Royal Air Force manque cruellement d’avions de combat adaptés aux conflits de haute intensité, et la Royal Navy, bien que dotée de deux porte-avions, souffre d’un manque de navires de premier rang et rencontre des difficultés de recrutement et de disponibilité pour ses sous-marins nucléaires et ses frégates.

Une déclaration sans précédent

Pour la première fois, un ministre de la Défense britannique admet publiquement que le pays n’est pas prêt à soutenir une guerre. Cette révélation est d’autant plus inquiétante qu’elle intervient dans un contexte où les menaces globales, notamment de la part de la Chine et de la Russie, sont en augmentation. John Healey insiste sur le fait que sans une capacité réelle de combattre, le Royaume-Uni ne peut pas dissuader efficacement les agressions potentielles. Le constat du ministre Healey sur l’état des finances et des forces armées britanniques est alarmant. Pris au pouvoir après les élections législatives, il a été confronté à une situation bien plus précaire que prévu, avec des implications graves pour la sécurité nationale et la capacité de défense du pays.

Incertitudes budgétaires

Alors qu’une nouvelle revue stratégique de défense est en cours, il semble peu probable que le ministère de la Défense obtienne les fonds nécessaires pour rectifier le tir. Des hauts responsables militaires ont exprimé des doutes quant à l’augmentation du budget de la défense pour l’exercice 2025, ce qui pourrait entraver les efforts de modernisation et de préparation requise.

Réactions officielles et garanties de sécurité

Malgré ces défis, un porte-parole du 10 Downing Street a réaffirmé que le gouvernement prendrait toutes les mesures nécessaires pour défendre le pays. Il a souligné que les forces armées britanniques, parmi les meilleures au monde, assurent la défense du pays en permanence et travaillent en étroite collaboration avec les alliés pour anticiper et se préparer à tout événement.

Un avenir militaire incertain

Cette situation intervient alors que le général Roland Walker, chef d’état-major de la British Army, a averti que le Royaume-Uni avait peu de temps pour se préparer à un conflit majeur potentiel, en particulier une confrontation avec la Chine. De plus, quelle que soit l’issue du conflit en Ukraine, la menace russe restera prégnante et probablement vengeresse.

Cet article explore la récente déclaration choc du ministre britannique de la Défense, révélant que le Royaume-Uni n’est pas préparé à affronter les défis militaires actuels et futurs. Cette révélation met en lumière les lacunes dans la préparation militaire du pays et soulève des questions sur sa capacité à maintenir sa sécurité et à dissuader les menaces externes dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu.

Source : Telegraph

ANALYSE – La Turquie face au terrorisme du PKK

Attentat terroriste contre l’industrie aérospatiale turque
Image par Hüseyin Özgün de Pixabay

ANALYSE – La Turquie face au terrorisme du PKK

Par Alain Rodier  – Le Diplomate Média – publié le 27 octobre 2024

Le 23 octobre vers 15 h 30 (heure locale), une attaque terroriste s’est déroulée contre le site industriel de la TAI (Turkish Aerospace Industries – TUSAŞ -) à Kahramankazan, ville située à une quarantaine de kilomètres de la capitale Ankara. 15.000 personnes travaillent sur ce complexe industriel. TAI est un acteur clé de l’industrie aérospatiale turque, qui conçoit, développe et fabrique divers avions civils et militaires.

L’attentat a eu lieu alors qu’un grand salon professionnel des industries de la défense et de l’aérospatiale se tenait la même semaine à Istanbul. Pour mémoire, la Turquie a une puissante industrie de défense qui exporte de nombreux armements dont les plus célèbres sont les drones fabriqués par la société Baykar qui appartient au gendre du président turc.

Un couple d’assaillants lourdement armés est arrivé dans un taxi qu’il avait dérobé en assassinant le chauffeur et en cachant sa dépouille dans le coffre, devant l’entrée des personnels à l’heure d’une relève du poste de sécurité. Ils ont tiré dans toutes les directions essayant d’atteindre tous ceux qui passaient à leur portée. Au moins un terroriste a pénétré à l’intérieur du site, armé d’un fusil d’assaut AK-74 équipé d’un système d’aide à la visée et d’une arme de poing, les deux étant dotés de modérateurs de son.

La femme qui l’accompagnait a utilisé un AKS-74U (version courte de l’AK-74) équipé d’un Aimpoint et de deux chargeurs « tête bêche ».

Cinq personnes avaient été tuées lors de l’action et 22 blessées.

Les deux terroristes seraient morts, l’un se faisant exploser avec la charge qu’il avait dans son sac à dos.

On ne savait pas immédiatement qui pouvait être derrière l’attaque mais l’hypothèse Daech était exclue car les salafistes-jihadistes n’emploient pas de femmes dans des rôles opérationnels (l’exception qui confirme la règle sont les « veuves noires » tchétchènes et les kamikazes nigérianes de Boko Haram).

Il restait des groupuscules d’extrême-gauche et le PKK qui ont mené des opérations terroristes meurtrières par le passé.

Le semi-professionnalisme de l’action a permis d’en déduire que les deux activistes avaient suivi un entrainement militaire au tir.

En 24 heures, les deux activistes ont été identifiés. Le ministre de l’intérieur Ali Yerlikaya, a d’abord nommé Ali Örek alias « Rojger ».

Ce dernier avait publié des messages sur les réseaux sociaux faisant l’éloge du terrorisme et des violences qu’il aurait commis au cours des dernières années. Dans un message datant de 2015, il pose brandissant une arme de poing sur sa tempe accompagné du message disant « il est mort ».

La femme terroriste a été identifiée comme étant Mine Sevjin Alçiçek présentée par les autorités turques comme également membre du PKK.

Ce qui est certain, c’est qu’en 2014 elle était co-présidente du parti pro-Kurdes HDP pour la province du Hakkari dans le sud-est de la Turquie. Cette région est la zone d’implantation principale du PKK sur le territoire turc en raison de la proximité de l’Irak et de l’Iran.

C’est à la même époque que Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier-ministre, a fait arrêter près de 26.000 militants (dont les principaux dirigeants) et sympathisants du HDP pour « liens avec les terroristes du PKK ».

Le 15 octobre 2023, le HDP a changé de nom pour devenir le Parti pour l’égalité des peuples et la démocratie (Hedep) puis Parti Dem mais ses militants se sont dilués dans d’autres formations (extrême-gauche, écologistes…) craignant à tout moment la dissolution.

Cette dernière action terroriste risque de provoquer sa fin… mais pas la disparition de la cause kurde.

Enfin est venue une revendication du PKK : « l’action sacrificielle commise contre l’enceinte des TAI à Ankara vers 15H30 le mercredi 23 octobre a été menée par une équipe duBataillon des Immortels’ ». Pour le PKK, il s’est agi d’envoyer « des avertissements et des messages contre les pratiques génocidaires, les massacres et les pratiques d’isolement du gouvernement turc […] Nous savons que les armes produites par TAI ont massacré des milliers de nos civils au Kurdistan, y compris des enfants et des femmes ». Il conclue que c’est son « droit légitime » à frapper « les centres où ces armes de massacre sont produites ».

Contexte

Cet attentat a eu lieu alors que le président Recep Tayyip Erdoğan assistait au sommet des BRICS+ à Kazan en Russie. Cette organisation économique regroupe pour le moment le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran. Ces neuf pays représentent à eux seuls près de la moitié de la population mondiale mais que 26 % du produit intérieur brut mondial en valeur nominale contre 44 % pour les pays du G7. L’attaque na pas semblée suffisamment grave pour qu’il rentre immédiatement. Il faut dire qu’il défend la candidature de la Turquie à cette organisation – une première pour un pays de l’OTAN.

Le 21 octobre, il s’était aussi passé un évènement important pour Erdoğan : le décès du prédicateur musulman Fethullah Gülen âgé de 83 ans qui vivait en exil aux États-Unis depuis 1999.

Depuis près de quinze ans, il était recherché par la justice d’Erdoğan qu’il avait pourtant soutenu secrètement dans sa montée vers le pouvoir depuis les années 1980.

Gülen souffrait depuis longtemps de problèmes de santé – raison officielle de son exil aux USA en 1999 – . En réalité, à l’époque il craignait de se faire arrêter par l’armée qui avait lancé des enquêtes à son sujet. Curieusement, il n’était pas rentré en Turquie après l’arrivée au pouvoir en 2022 de l’AKP, le parti islamique d’Erdoğan.

C’est dans les années 1980 que son mouvement « Hizmet » (en turc, « services ») avait commencé à infiltrer des importants ministères : la Justice, l’Intérieur et même l’armée plaçant ses adeptes à des postes clefs.

Hizmet avait aussi d’étendre aussi son influence dans plus de 180 pays dont beaucoup en Afrique et en Asie via des écoles et des dispensaires privés très appréciés des populations locales pour leur excellence.

À l’intérieur, Hizmet a participé à la mise au pas de l’armée après les procès du « complot Ergenekon », une parodie de justice mais cette dernière et la police étaient à sa botte. La haute hiérarchie militaire – majoritairement politiquement laïque – avait été décapitée et la carrière d’officiers acquis à la cause de Gülen avait été propulsée.

Mais le danger militaire étant écarté, Gülen a commencé à être jugé comme une menace pour Erdoğan qui voulait concentrer tous les pouvoirs dans sa main (c’est lui qui a fait adopter la nouvelle Constitution qui a transformé la Turquie en régime présidentiel grâce à un amendement de 2017).

La rupture intervint en 2013 lorsqu’un scandale de corruption a éclaboussé des proches d’Erdoğan. Les juges et les policiers impliqués dans l’enquête – aux ordres de Gülen – se sont retrouvés à leur tour derrière les barreaux sur instructions du pouvoir politique en place à Ankara (Erdoğan était alors Premier ministre). Beaucoup qui avaient participé à la mise au pas de l’armée ont rejoint à leur tour les geôles turques. En retour, la plupart des officiers généraux emprisonnés ont été blanchis des accusations qui avaient été portées contre eux. Ils sont sortis de prison mais ont été mis à la retraite car ils avaient atteint les limites d’âge de leur grade. Ils ne constituaient plus un danger pour Erdoğan…

Il restait à régler le cas des officiers proches de Gülen. Le 16 juillet 2016, il y eut un coup d’État militaire aussitôt attribué par Erdoğan au Hizmet rebaptisé « organisation terroriste FETÖ ».

Cela permis de purger l’armée de ces éléments jugés « séditieux » – mais cette fois « islamistes » mais aussi d’autres administrations, la presse, et les mouvements politique pro-kurdes – qui n’avaient strictement rien à voir avec ce putsch -…

En réalité, tous les opposants au premier ministre mais aussi futur président turc (2018 puis 2023) ont été écartés.

Aujourd’hui, le président turc se retrouve sans adversaires sérieux en dehors des Kurdes.

À l’extérieur, il est au sommet de son pouvoir faisant plier les Occidentaux à sa volonté et se désignant comme le leader des croyants face à Israël.

Sa position est confortable mais risquée pour la suite d’autant qu’il n’a pas encore de dauphin désigné.

Peut-être le « fidèle parmi les fidèles » Hakan Fidan, actuel ministre des Affaires étrangères mais surtout ancien directeur des services spéciaux turcs de 2010 à 2023, le redouté MIT compétents à l’intérieur comme à l’extérieur. À son poste, il a certainement joué un rôle central dans la lutte contre le mouvement Hizmet et son chef Gülen.  Il représente vraiment l’« État profond » turc et il sait tout sur tout le monde…

Le « rêve » d’être le « Sultan » du monde musulman.

Le président Erdoğan a fait des déclarations virulentes contre Israël et l’Occident dans un discours rapporté par le Turkish Daily News le 20 octobre : en tant qu’« ennemie des oppresseurs et protectrice des opprimés », la Turquie soutient la Palestine dans sa  lutte pour la liberté et la dignité contre le réseau du génocide […] Les États-Unis, l’Europe et le Conseil de sécurité de l’ONU sont devenus de simples jouets entre les mains d’un meurtrier impitoyable connu sous le nom de Netanyahou […] 20. 000 enfants sont morts [dans la bande de Gaza]. Pas une seule personne ne s’est manifestée pour dire : c’est une honte […] Des dizaines de milliers de femmes sont mortes et les organisations de défense des droits des femmes n’ont pas prononcé un mot […] Quelques 175 journalistes sont morts et les médias internationaux ne s’en soucient pas du tout […] La responsabilité du massacre de 50.000 innocents incombe sans aucun doute aux forces d’occupation israéliennes sans foi ni loi ».

Il a ajouté que ceux « qui apportent un soutien inconditionnel au gouvernement israélien et envoient des armes et des munitions sont également ouvertement complices de ce massacre ».

Cette charge est à inscrire dans le contexte de la volonté toujours assumée d’Erdoğan de devenir « le » leader du monde musulman d’où le surnom qui lui donné par ses opposant de « Sultan ».

Il utilise la cause palestinienne depuis des années profitant du fait que les pays arabo-sunnites s’en désintéressent depuis des décennies.

Il se retrouve par contre en concurrence avec l’Iran – le vieil adversaire de la Turquie – qui, comme lui, exploite les Palestiniens à des fins politiques. Sur le fond, le régime de Téhéran n’a rien à faire des Palestiniens – qui sont sunnites – mais ils sont « intéressants » dans la guerre maintenant à « grands bruits » menée contre l’État hébreu via des proxies. Les mouvements palestiniens lui permettent de menacer Israël depuis le sud et l’est, comme le Hezbollah le fait depuis le Liban, au nord. Cela pourrait changer dans les temps à venir…

C’est un peu la même chose pour Erdoğan, à la différence près que ce n’est pas l’État hébreu qui est directement visé par ses invectives ; il s’en sert pour affirmer sa volonté d’être le « nouveau Sultan » du monde musulman.

Jusqu’à maintenant, sa manœuvre n’a pas fonctionné malgré l’appui des Frères musulmans dont il est – au minimum – très proche. En effet, les révolutions arabes de 2011 sur lesquelles il comptait pour établir son leadership ont échoué en Égypte, en Syrie et en Libye.

La guerre de Gaza lui permet de revenir en première ligne.

Toutefois, si le discours récents d’Erdoğan peut être considéré comme un « classique » que tout le monde laissait plus ou moins passer auparavant, la suite est plus qu’inquiétante. En effet, il a exprimé son « respect » pour les dirigeants et les membres de la résistance palestinienne, « qui est devenue légendaire non seulement par leurs luttes mais aussi par leurs martyrs, et pour tous les héros qui ont arrosé les terres de Gaza de leur sang béni (…). Je souhaite la miséricorde de Dieu à Yahya Sinwar, le chef du Hamas qui est tombé en martyr récemment ».

Comme tous les dirigeants de la planète, il joue sur la corde sensible des Occidentaux et leurs  valeurs « universelles », au premier rang desquelles se trouvent les Droits humains. Il est pourtant très mal placé pour donner la moindre leçon de morale. Certes, il n’a pas connu la période du génocide arménien – mais il l’a toujours nié en tant que responsable politique -, par contre sa violence à l’égard des Kurdes (après avoir pourtant tenté de négocier en 2013 via Abdullah Öcalan incarcéré sur l’île d’Imrali) est patente, que ce soit à l’égard des Kurdes turcs qui croupissent dans les geôles ou des Kurdes syriens et irakiens jugés comme des « cousins » du PKK.

La raison de l’attaque du PKK

Mais la raison de l’attaque est peut-être autre. En effet, le président du MHP (parti du mouvement nationaliste) Devlet Bahçeli, principal allié de l’AKP au pouvoir, avait invité Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999, à s’exprimer devant le Parlement pour annoncer la dissolution de son parti et son renoncement au terrorisme.

Dans la foulée, le 23 octobre, le neveu du leader kurde, Ömer Öcalan, député du principal parti pro-Kurdes (ex-HDP) a pu le rencontrer dans sa prison d’Imrali. « Notre dernière rencontre en face-à-face avec Abdullah Öcalan avait eu lieu le 3 mars 2020 » a rappelé son neveu sur X.  Entre-temps Abdullah Öcalan, 75 ans, à l’isolement, n’avait eu droit qu’à un bref échange téléphonique avec lui en mars 2021.

Cette démarche a certainement déplu en haut lieu au sein du PKK. Le 24 octobre, le président du Parlement Numan Kurtulmus a estimé à propos de cet attentat qu’il « ne peut s’agir d’une coïncidence ».

Selon la DGA, les actes malveillants contre les entreprises françaises de l’armement se multiplient

Selon la DGA, les actes malveillants contre les entreprises françaises de l’armement se multiplient

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La sécurité informatique des entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] française est un vaste chantier, qui plus est sans fin étant donné que les « cyber-assaillants » ont souvent un temps d’avance sur les dispositifs de protection éventuellement mis en place par leurs cibles.

Pour rappel, la BITD compte environ 4000 entreprises, dont 1600 sont considérées comme critiques. Elles peuvent bénéficier d’un soutien de la part de la Direction générale de l’armement, via le Plan en faveur des ETI, PME et start-ups [PEPS, ex-plan Action PME], qui, relevant de la nouvelle Direction de l’industrie de défense [DID], comporte un axe de résilience « cyber ». Au besoin, elle peuvent la solliciter pour mener des audits sur leur sécurité informatique. Seulement, est-ce suffisant, quand seulement 56 « diagnostics cyber » ont été effectués en 2023 ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les attaques informatiques contre la BITD ont augmenté « assez significativement », a ainsi confié Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement [DGA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 23 octobre.

Il arrive que certaines de ces attaques aient une motivation criminelle, notamment quand elles sont menées à des fins d’extorsion avec des rançongiciels.

Mais elles peuvent aussi [et surtout] être liées aux « intérêts de nos compétiteurs dans des domaines particuliers, comme par exemple le spatial et le naval », a expliqué M. Chiva. « On voit de plus en plus d’attaques structurées de services étrangers, dirigées plutôt vers des PME et des TPE, qui sont moins bien familiarisées aux moyens de lutte », a-t-il ajouté.

« Il y a des attaques pour neutraliser, il y a des attaques pour voler. Le plus inquiétant, c’est quand on ne sait pas », par exemple « quand vous découvrez qu’on vous dérobe vos données et que vous ne savez pas depuis combien de temps ça dure », a poursuivi M. Chiva. Et puis il y a aussi « toutes les attaques qu’on n’a pas encore découvertes », a-t-il complété.

Pour parer ces attaques informatiques, la DGA mise sur le dialogue et l’incitation à adopter de bonnes pratiques et non sur la coercition.

« Je ne sais pas s’il faut être plus coercitif ou pas. D’abord, il faut avoir les moyens de l’être. Je pense que c’est un dialogue que nous avons aujourd’hui avec l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information] qui nous permettra de répondre à un certain nombre de ces nécessités », a estimé M. Chiva. D’où l’importance de l’accompagnement des PME/TPE mis en place par la DGA.

« Plutôt que de les contraindre [les entreprises, ndlr], on a choisi de créer un référentiel d’exigence minimale cyber. Dans ce domaine là, les entreprises ont peur d’être confrontées à trop de normes, à trop d’obligations. Donc, on leur dit : ‘si vous voulez travailler pour la défense, voilà le niveau minimum de cyberprotection que l’on attend de vous’ », a expliqué le DGA. Ce référentiel est en outre utilisé par les maîtres d’œuvre industriels dans leurs relations avec leurs sous-traitants.

La même approche a été adoptée pour les risques d’atteintes « physiques ». En juin, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait fait état de 150 incidents constatés entre 2021 et 2023. « C’est quelque chose qui est très ‘Guerre froide’, mais qui n’a jamais disparu et qui reprend une force particulière depuis deux ans », avait-il dit, au Sénat.

Ce qu’a confirmé M. Chiva devant les députés. « On voit se multiplier un certain nombre d’évènements, d’incendies, de dégradations et autres qui pourraient être le fruit du hasard, sauf à regarder de près ce qui se passe. Il y a une usine qui construis[ai]t un des missiles utilisés en Ukraine qui a brûlé en Allemagne et je ne pense pas que ce soit à cause d’un mégot tombé dans une corbeille à papier », a-t-il dit.

Faut-il établir un parallèle avec l’explosion survenue à la poudrerie de Bergerac, en août 2022 ? Deux ans après, l’instruction est toujours en cours et, selon France Bleu Périgord, un « nettoyage insuffisant des installations avant maintenance » et « des mesures de prévention insuffisantes » en auraient été la cause…

Quoi qu’il en soit, comme pour la sécurité informatique, la DGA a élaboré un « référentiel d’exigences minimales de protection physique », encore appelé, par M. Chiva, « référentiel de sûreté fondamentale ». Il est « pris en compte par un certain nombre de maîtres d’œuvre industriels pour évaluer leurs sous-traitants les plus critiques », a-t-il conclu.

Beyrouth, 23 octobre 1983 : Souvenons-nous des paras du Drakkar

Beyrouth, 23 octobre 1983 : Souvenons-nous des paras du Drakkar



Voici 41 ans, le 23 octobre 1983, 6 h 30 du matin : un double attentat frappe la Force multinationale de sécurité à Beyrouth. En quelques secondes, 241 marines américains et 58 parachutistes français sont tués (55 du 1er RCP et 3 du 9e RCP). Le poste Drakkar, occupé par les paras français, vient de subir la frappe la plus terrible contre l’armée française depuis les affrontements de la décolonisation. 

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Bruno Racouchot était alors officier au 6e RPIMa. Il nous a aimablement autorisé à reproduire le texte d’hommage en annexe, initialement paru dans le cadre du très confidentiel « Club des chefs de section paras au feu ». 

23 octobre 1983, Beyrouth, 6 h 30 du matin, Drakkar est rayé de la carte 

Le 23 octobre 1983, les parachutistes français présents à Beyrouth dans le cadre de la Force Multinationale de Sécurité, étaient victimes d’un attentat. 58 d’entre eux devaient trouver la mort dans l’explosion du poste « Drakkar ». Le texte d’hommage qui suit a été publié dans le cadre du Club des chefs de section paras au feu, qui compte quelques anciens de cette mission sanglante, depuis le Général François Cann, alors à la tête de la force française, et le Général Paul Urwald, qui commandait alors le 6e RIP, jusqu’au benjamin du Club, Bruno Racouchot, officier-adjoint d’une des quatre compagnies déployées à Beyrouth-Ouest. Plus particulièrement en charge de la section de protection du PC du 6e RIP, Bruno Racouchot décrit la configuration extrêmement délicate et sanglante dans laquelle furent alors plongés les parachutistes français.

Rappel du contexte historique 

En juin 1982, Israël lance l’opération « Paix en Galilée », envahit le Sud-Liban et entreprend fin juin-début juillet l’assaut de Beyrouth-Ouest où les Palestiniens sont encerclés dans une nasse, les Syriens refusant de les accueillir sur leur territoire. Un cessez-le-feu est appliqué début août. La communauté internationale, soucieuse d’éviter des affrontements sanglants, décide d’intervenir. Sous la protection des parachutistes français, soutenus par les soldats américains et italiens, les forces palestiniennes sont exfiltrées en douceur. De 500.000 à 600.000 Palestiniens restent dans les camps.

Le 23 août, Béchir Gemayel est élu Président du Liban. Le 15 septembre, il est assassiné. Israël investit Beyrouth-Ouest. Du 16 au 18 septembre ont lieu les massacres de populations civiles dans les camps de Sabra et Chatila, où des centaines de civils palestiniens sont tués. Le 21 septembre, Amine Gemayel, frère aîné de Béchir, est élu président. Le 24 septembre, pour répondre à une opinion internationale scandalisée par les tueries dont les Palestiniens ont été victimes, une Force Multinationale de Sécurité à Beyrouth est créée, intégrant des contingents français, américains, italiens et une poignée d’Anglais.

Dès lors, au Liban, la situation ne cesse de se dégrader. Massacres de populations civiles et attentats se multiplient. Les soldats de la Force Multinationale sont victimes d’innombrables attaques et de bombardements. Si les Américains sont cantonnés à l’aéroport et les Italiens en périphérie de la ville, si les Anglais se contentent de mener des missions de renseignement avec un escadron spécialisé, les Français, eux, reçoivent la mission la plus délicate, au cœur même de Beyrouth.

Tous les quatre mois, les contingents sont relevés, souvent avec des pertes sévères. En septembre 1983 a lieu la relève pour les légionnaires français installés à Beyrouth, remplacés par les parachutistes de la 11e Division parachutiste. C’est l’opération Diodon IV, qui deviendra l’engagement le plus sanglant pour l’armée française depuis les guerres coloniales. Le 3e RPIMa s’installe en secteur chrétien, dans la perspective d’une offensive face au « Chouf », pour pacifier la montagne où les Druzes s’en prennent violemment aux chrétiens. Des éléments du GAP, 1er RHP, 17e RGP, 12e RA, 35e RAP, 7e RPCS et le commando marine Montfort sont également à pied d’œuvre.

Le secteur le plus dangereux, celui de Beyrouth-Ouest, est dévolu à un régiment de marche, le 6e RIP, Régiment d’Infanterie Parachutiste, qui a pour mission principale la protection des populations civiles palestiniennes traumatisées des camps de Sabra et Chatila. Ce régiment, placé sous le commandement du colonel Urwald, a été formé spécialement pour cette opération, et est constitué de quatre compagnies de parachutistes : deux compagnies du 6e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine basé à Mont-de-Marsan, une compagnie du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes basé à Pau, une compagnie du 9e Régiment de Chasseurs Parachutistes basé à Pamiers.

Le quotidien d’un chef de section para au feu

C’est une vraie leçon de vie dont vont bénéficier les jeunes chefs de section plongés dans la fournaise de Beyrouth. Les Américains sont à l’époque encore sous le coup de la chute de Saïgon survenue à peine huit ans plus tôt. Ils sont repliés sur l’aéroport, ne sortant quasiment pas de leurs abris, usant de blindés M113 pour traverser le tarmac de l’aéroport. Sous des tirs d’artillerie incessants, en septembre 1983, nos jeunes paras ont remplacé les légionnaires. A la différence des professionnels du 3e RPIMa, d’où viennent-ils ces jeunes du 6e RIP ? Ce sont pour la plupart des appelés, d’un genre un peu particulier cependant. Volontaires TAP, volontaires outre-mer, volontaires service long, pour beaucoup d’entre eux, ils ont déjà bénéficié d’une solide formation et ont effectué des « tournantes » hors métropole.

Mentalement et physiquement préparés, ils pressentent cependant dès leur arrivée que cela va être dur, très dur même. Mais ils vont faire front et s’adapter. Avec modestie, calme, détermination. Certes, en débarquant, chacun d’entre eux éprouve l’étrange picotement qui monte le long de la colonne vertébrale. Heureusement, ils ont à leurs côtés les « anciens », à peine plus âgés qu’eux, qui ont « fait » le Tchad, la Mauritanie, le Zaïre, Djibouti, et pour certains déjà, le Liban… Tous ces noms de TOE lointains les ont fait rêver à l’instruction, quand ils n’avaient déjà qu’un souhait, se montrer à la hauteur de ceux qui les avaient précédés sous le béret rouge. Aujourd’hui, le rêve se trouve enfin confronté brutalement à la réalité.

Beyrouth est un piège monumental. On a beau avoir bourlingué, on a beau avoir entendu tirer à ses oreilles, quand on est un jeune chef de section, débarquer dans un tel univers constitue une épreuve d’ordre quasiment initiatique. On n’ose pas le dire, mais on le ressent d’emblée jusqu’au tréfonds de soi. Avec la secrète question qui taraude et que l’on n’ose pas exprimer : saurai-je me montrer digne de mon grade et de mon arme ? Ce sont d’abord les missions ordinaires, protection des postes, ravitaillement, reconnaissance, tâches d’entretien peu glorieuses mais tellement nécessaires, que l’on accomplit sereinement parce que même si le contexte est moche, on leur a appris à être beaux. Les jeunes paras mûrissent vite. Les visages se creusent, le manque de sommeil se fait vite sentir. Paradoxalement, les relations soudent les esprits et les corps. De secrètes complicités se nouent. Plus besoin de longs discours, les ordres s’exécutent machinalement, avec un professionnalisme qui prouve que, par la force des choses, le métier des armes entre dans la peau de chacun.

L’ennemi est partout et nulle part

Le jeune chef de section apprend très vite à connaître son secteur. Il a la chance d’avoir à ses côtés des hommes décidés encadrés par des sous-officiers d’élite, totalement dévoués à leur tâche. Il rôde, de jour comme de nuit, pour imprimer dans ses neurones les itinéraires, les habitudes, les changements de comportements. Rien n’est anodin. Il sait qu’il lui faut lier connaissance, observer, échanger, parler, surveiller, lire, écouter… Pas de place pour la routine. Plus que jamais, il faut faire preuve d’initiative, agir à l’improviste, sortir des postes, aérer les périmètres de sécurité, ne pas céder à la tentation mortelle de se recroqueviller dans les postes, derrière les sacs de sable et les merlons de terre. Des milliers d’yeux observent les paras français depuis les tours qui encerclent les positions. Ici, l’aspect psychologique est capital. On est en Orient. Il n’est pas permis de perdre la face. Les Français ont des moyens dérisoires en regard de leurs adversaires potentiels ou des grands frères américains, qui peuvent d’un simple appel radio, déclencher la venue de norias d’hélicoptères. En revanche, les Français savent s’immerger dans la population. Ils mangent comme le Libanais de la rue, se mélangent aux civils qui déambulent dans des marchés grouillants. Savoir se faire apprécier, c’est se faire respecter. Un sourire généreux sur une face de guerrier, c’est rassurant. Ça prouve la force plus que les armes. C’est cette stature des paras français qui fait très vite leur réputation dans la population.

Ce profil si particulier des soldats français, ce sont les chefs de section et les sous-officiers qui l’impriment à leurs hommes. Quels que puissent être les risques, ils ne changeraient leur place pour rien au monde. Ils savent qu’ils vivent une aventure inouïe, où chacun va pouvoir aller à l’extrême limite de ses possibilités. Le chef de section para a beau n’avoir que vingt-cinq ou trente ans, il sait qu’il passe là une épreuve pour laquelle il s’est préparé depuis des années ou depuis toujours, celle du feu. Il devine intuitivement qu’il va peut-être lui être donné d’accéder à une autre forme de connaissance de la vie, qu’il va opérer une mue intérieure subtile que seuls « ceux qui savent » et les anciens comprendront. Il sait qu’il reviendra de Beyrouth, « pareil sauf tout »… Ceux qui ont lu Ernst Jünger savent ce qu’il entend quand il parle de « La Guerre, Notre Mère »…. Drakkar va littéralement « sublimer » cet état d’esprit.

L’épreuve

Deux jours avant Drakkar, le 21 octobre 1983, je suis désigné pour conduire, avec le capitaine Lhuilier, officier opération du 6e RIP, un entraînement commun de la Compagnie Thomas du 1er RCP avec les marines américains à l’aéroport. Il faut bien que la connaissance de la langue de Shakespeare serve à quelque chose… Lhuilier est une figure des paras-colos. Il a eu son heure de gloire avec le 3e RIMa au Tchad quelques années avant, où coincé dans une embuscade, il a fait monter sa compagnie à l’assaut des rebelles, baïonnette au canon, en chantant « La Marie »… Dans l’épreuve qui se profile à l’horizon, il va se révéler un roc inébranlable.

Marines et paras français au coude à coude à l’entraînement… Comment imaginer en voyant tous ces grands gaillards crapahuter dans la poussière et se livrer à des exercices de tir rapide, que la plupart d’entre eux reposeront bientôt dans un linceul de béton ?… Mis en alerte le samedi soir, nous dormons tout équipés sur nos lits de camp, l’arme à portée de main. On entend bien des explosions, des tirs d’artillerie sporadiques. Des rafales d’armes automatiques titillent les postes. Mais va-t-on s’inquiéter pour si peu ?

Dimanche 23 octobre 1983, 6 h 30 du matin. L’aube se lève. D’un coup, une explosion terrible, une lourde colonne de fumée qui s’élève plein sud dans le silence du dimanche matin. L’aéroport et les Américains sont mortellement touchés. Puis une minute après, encore une autre, plus proche cette fois, d’une puissance tout aussi ahurissante. On entend en direct sur la radio régimentaire que Drakkar a été rayé de la carte. Ce poste était occupé par la compagnie du 1er RCP commandée par le capitaine Thomas, dont heureusement un détachement était de garde à la Résidence des Pins, le QG français. Bilan des deux attentats : 241 marines et 58 paras français sont tués, sans compter d’innombrables soldats grièvement blessés, évacués en urgence en Europe.

Dès la première explosion, chacun a bondi à son poste. On comprend d’emblée que c’est terrible. Les ordres fusent à toute vitesse. Des équipes partent pour le lieu de l’attentat, les autres sécurisent les postes. Chacun sait ce qu’il a à faire. On est sous le choc, mais le professionnalisme l’emporte. La mécanique parachutiste, répétée inlassablement à l’entraînement, montre ses vertus en grandeur réelle. On va faire l’impossible pour sauver les camarades. Malheureusement, beaucoup sont déjà morts, déchiquetés, en lambeaux, que l’on ramasse jour après jour, nuit après nuit. On a entendu certains d’entre eux râler sous les ruines, alors que nous étions impuissants à les dégager des amas de gravats. Ils sont là, pris dans l’étreinte mortelle de l’acier et du béton, ceux pour lesquels nous sommes arrivés trop tard, ceux avec lesquels hier on riait, on plaisantait, on rivalisait. Aucun des paras qui va relever ses camarades en cette semaine d’octobre n’oubliera ces pauvres corps, « tués par personne », nobles et dignes jusque dans la mort, magnifiques soldats équipés et prêts pour le combat, parfois la main crispée sur leur Famas. Sans doute est-ce parce qu’ils ont rejoint les légions de Saint-Michel que leur souvenir semble éternel. Le mythe para en tous cas l’est. Maintenant plus que jamais. Et tous, nous communions alors dans une espèce de rêve étrange et éveillé, où la mort étonnamment proche se mêle inextricablement à la vie, en un jeu dont les règles nous échappent. Un nouveau jalon funèbre est posé après les combats des paras de la Seconde Guerre mondiale et bien sûr ceux des grands anciens d’Indochine et d’Algérie.

Le piège fatal

En signe de solidarité avec nos hommes, le Président de la République, François Mitterrand, vient rendre un hommage aux morts le 24 octobre. Les paras savent déjà qu’ils sont pris dans un traquenard monstrueux. Jour après jour, ils sont victimes de nouveaux attentats, dans un secteur totalement incontrôlable, où pullulent les milices, les mafias et les « services ». Personne ne sait réellement qui fait quoi, les informations sont sous influence, rien n’est sûr, tout est mouvant. Sans ordres ni moyens légaux, les paras sont contraints de se battre au quotidien pour assurer la survie de leurs postes et continuer à protéger les populations. Aucun renfort notable n’est envoyé de métropole, hormis une compagnie de courageux volontaires du 1er RCP venus prendre la place de leurs prédécesseurs. En dépit des nombreux morts et blessés qu’ils vont relever dans leurs rangs, les paras ne doivent compter que sur leur savoir-faire, leur calme et leur professionnalisme pour se défendre tout en évitant de répondre aux provocations, refusant parfois de tirer pour préserver les civils. À ce titre, la mission aura certes été remplie, mais nombreux sont les soldats français qui reviendront avec l’amer sentiment d’avoir perdu leurs camarades sans les avoir vengés.

Chacun sait alors que nous vivons un moment unique de notre vie, dont l’intensité et la profondeur nous bouleversent. L’aumônier, le père Lallemand, a le don de savoir parler aux soldats. Que l’on soit croyant pratiquant ou athée, agnostique ou païen, il sait trouver les mots qui apaisent et réconfortent. Paradoxalement, Drakkar ne va pas briser les paras, mais les souder. Les semaines à venir vont être infernales. Et cependant, tous font face avec une abnégation sublime. Le plus humble des parachutistes joue consciencieusement son rôle dans un chaudron où se multiplient les attentats. Bien des nôtres vont encore tomber, assassinés lâchement la plupart du temps. Mais tous accomplissent leur devoir avec fierté et discrétion. Nous recevons des mots et des cadeaux de métropole, comme ces Landais qui nous envoient du foie gras à foison pour Noël, ou encore ces enfants qui nous dédient des dessins touchants. Les paras sont soudés, et même la mort ne peut les séparer.

Dans la nuit du 25 décembre, les postes de Beyrouth-Ouest devenus indéfendables dans la configuration géopolitique de l’époque sont évacués. Fin janvier-début février, les paras  exténués sont rapatriés sur la France. Le contingent de « Marsouins » qui les remplace ne restera pas longtemps. Américains et Italiens quittent le Liban fin février. En mars, le contingent français rembarque, ne laissant sur place que des observateurs.

Les enseignements à tirer

Jeune ORSA à l’époque, ayant la volonté de préparer l’EMIA, je décide cependant de quitter l’armée. Cinq années de boxe intensive et à bon niveau m’ont appris qu’un coup encaissé doit toujours être rendu, au centuple si possible. Déphasage. Je ne me sens pas l’âme d’un « soldat de la paix ». Mais les paras vont rester ma vraie famille. Depuis, j’ai fait le tour du monde, connu d’autres aventures. J’ai passé des diplômes, « fait la Sorbonne », créé une entreprise. Mais rien n’a été oublié. Mes chefs d’alors sont devenus des amis. Nous avons eu des patrons magnifiques, Cann, Urwald, Roudeillac, des commandants de compagnie qui étaient des meneurs d’hommes, de vrais pirates pour lesquels on aurait volontiers donné sa vie, des sous-officiers et des soldats avec des gueules sublimes. Tout cela, mon ami le journaliste Frédéric Pons l’a mis en relief avec brio dans son livre « Les Paras sacrifiés » publié en 1993 et réimprimé en 2007 sous le titre « Mourir pour le Liban ». Il faut dire qu’à la différence de bien d’autres, Pons sait de quoi il parle. Ancien ORSA du 8e RPIMa, il a vécu l’une des premières missions de la FINUL au sud-Liban au tout début des années 80.

En novembre 2007,  j’ai été invité à prononcer une courte allocution à Coëtquidan, devant les élèves de l’EMIA qui avaient choisi pour parrain de leur promotion le Lieutenant de La Batie. J’avais connu Antoine quand il était à Henri IV, je l’avais ensuite revu lors de l’entraînement commun à l’aéroport le 21 octobre 1983… puis mort quelques jours après. Ayant quitté l’armée française comme lieutenant, j’ai donc souhaité parler à ces élèves officiers comme un vieux lieutenant à de jeunes lieutenants. Il faut savoir tirer le meilleur de toute expérience, surtout quand elle s’est révélée tragique. Bref, savoir transformer le plomb en or. Il fallait leur dire ce qu’une OPEX comme celle-là nous avait appris concrètement, nous fournissant des enseignements qui nous servent au quotidien dans la guerre économique.

Avec le recul, ce qui demeure certain, c’est que, sans en avoir eu alors une pleine conscience, Beyrouth anticipait le destin de l’Occident. Le terrorisme est devenu une menace permanente, y compris au cœur de notre vieille Europe. Mais en ce temps-là, nous autres, modestes chefs de section, n’étions pas à même d’analyser les basculements géopolitiques en gestation. Plus modestement, Beyrouth nous a révélé la valeur des hommes. Beyrouth nous a enseigné bien des sagesses. Pour ceux qui surent le vivre avec intelligence, Beyrouth fut une épreuve initiatique au sens premier du terme, qui nous a décillé les yeux sur nous-mêmes et sur le monde. Ce que les uns et les autres avons appris dans ce volcan, aucune école de management, aucun diplôme d’université, ne nous l’aurait apporté, ni même l’argent ou les honneurs. Nous avons appris le dépassement de soi pour les autres, la valeur de la camaraderie, la puissance des relations d’homme à homme fondées sur la fidélité, la capacité à transcender sa peur, la reconnaissance mutuelle, l’estime des paras pour leur chef et l’amour fraternel du chef pour ses paras… Des mots qui semblent désuets dans  l’univers qui est le nôtre, mais qui reflètent cependant un ordre supérieur de connaissance des choses de la vie. Cette richesse intérieure acquise, nous en ferons l’hommage discret à tous nos camarades tombés en OPEX le 23 octobre, lorsque, à 6 h 30 du matin, nous penserons à ceux du Drakkar. Comme nos grands anciens, montera alors de nos lèvres vers le ciel la vieille chanson : « j’avais un camarade… »

Bruno Racouchot, ancien lieutenant au 6e RPIMa

L’auteur : DEA de Relations internationales et Défense de Paris-Sorbonne, maîtrise de droit et de sciences politiques, Bruno RACOUCHOT, est aujourd’hui le directeur de la société Comes Communication, créée en 1999, spécialisée dans la mise en œuvre de stratégies et communication d’influence.


Le 27 septembre 2024, Tsahal élimine le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait été impliqué dans les attentats terroristes de Beyrouth de 1983, ainsi que son cousin et potentiel successeur en la personne de Hachem Safieddine.


IN MEMORIAM Drakkar

Capitaine THOMAS Jacky
Capitaine OSPITAL Guy
Lieutenant DEJEAN DE LA BÂTIE Antoine
Sous-lieutenant RIGAUD Alain
Adjudant BAGNIS Antoine
Adjudant MORETTO Michel
Sergent DALLEAU Christian
Sergent DAUBE Vincent
Sergent LEBRIS Jean-Pierre
Sergent LONGLE Yves
Sergent OLLIVIER Gilles
Caporal-chef BENSAIDANE Djamel
Caporal-chef BERIOT Laurent
Caporal-chef CARRARA Vincent
Caporal-chef DUTHILLEUL Louis
Caporal-chef GRELIER Xavier
Caporal-chef LOITRON Olivier
Caporal-chef MARGOT Franck
Caporal-chef SERIAT Patrice
Caporal-chef VIEILLE Hervé
Caporal GIRARDEAU Patrice
Caporal HAU Jacques
Caporal JACQUET Laurent
Caporal LAMOTHE Patrick
Caporal LEPRETRE Dominique
Caporal LEROUX Olivier
Caporal MUZEAU Franck
Caporal THOTEL Laurent
Parachutiste de 1ère classe GASSEAU Guy
Parachutiste de 1ère classe GAUTRET Rémy
Parachutiste de 1ère classe JULIO François
Parachutiste de 1ère classe PRADIER Gilles
Parachutiste de 1ère classe TARI Patrick
Parachutiste de 1ère classe THÉOPHILE Sylvestre
Parachutiste BACHELERIE Yannick
Parachutiste BARDINE Richard
Parachutiste CALAND Franck
Parachutiste CHAISE Jean-François
Parachutiste CORVELLEC Jean
Parachutiste DELAITRE Jean Yves
Parachutiste DEPARIS Thierry
Parachutiste DI-MASSO Thierry
Parachutiste DURAND Hervé
Parachutiste GUILLEMET Romuald
Parachutiste KORDEC Jacques
Parachutiste LASTELLA Victor
Parachutiste LEDRU Christian
Parachutiste LEVAAST Patrick
Parachutiste LEVERGER Hervé
Parachutiste MEYER Jean-Pierre
Parachutiste PORTE Pascal
Parachutiste POTENCIER Philippe
Parachutiste RAOUX François
Parachutiste RENAUD Raymond
Parachutiste RENOU Thierry
Parachutiste RIGHI Bernard
Parachutiste SCHMITT Denis
Parachutiste SENDRA Jean

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Crédit : DR.
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