1 000 et deux nuit dans la guerre. Le 24 février 2022, la Russie envahissait son voisin ukrainien avec des avions de chasse rutilants, des chars d’assauts pétaradants et une armée professionnelle préparée. En face, dans l’urgence, la nation de Volodymyr Zelensky organisait la riposte avec des moyens américains et européens flambants neufs.
Près de trois ans plus tard, c’est l’usure et l’horreur du conflit qui dominent les esprits. Des milliers de civils ukrainiens sont morts, plus de six millions se sont exilés. Le conflit a fait fondre la population du pays d’un quart. Et le bilan des pertes militaires demeure inconnu.
Qu’importe, les volontaires ne suffisent plus à abreuver le front en hommes. Depuis quelques mois, la nation jaune et bleue oblige les citoyens à embrasser l’uniforme de l’armée, au point d’enrôler de force des civils, comme l’ont montré plusieurs vidéos, comme ici sur BFM. En France, dans une situation de guerre, l’État pourrait-il, lui aussi, nous enrôler ?
Aux armes, (tous les) citoyens ?
En cas de conflit armé dans lequel la France serait impliquée, l’État pourrait donner l’ordre à une partie de sa population de s’engager dans l’armée. « En pratique, le pouvoir en place pourrait abroger la loi de suspension du service national », détaille Annie Crépin, historienne, spécialiste d’histoire militaire et maîtresse de conférences honoraire de l’université d’Artois, à actu.fr. Cette loi du 28 octobre 1997, souhaitée par Jacques Chirac, annonçait la fin du service miliaire obligatoire.
La mobilisation générale, ça n’existe plus. Mais avec cette abrogation, la France (qui, comme l’Ukraine, ne pourrait se suffire de son armée professionnelle pour mener la guerre) envisagerait de compter sur les citoyens. « Après avoir épuisé tous les volontaires et les réservistes, l’État serait enjoint de puiser dans la population. »
Qui serait concerné ? L’âge, le genre et d’autres conditions seraient encore à définir. Les plus fragiles pourraient-ils se retrouver sur le front ? Les femmes ? Si l’on se fie aux conditions d’accès au service militaire volontaire (SMV), tous les jeunes Français, dès 18 ans, est-il écrit sur le site du gouvernement, pourraient être enrôlés dans l’armée. Et ce, jusqu’à 35 ans.
« Les personnes considérées comme pas assez en formes, les plus âgés et d’autres cas seraient sans doute réformés », tempère tout de même Annie Crépin. Autrement dit, si vous êtes majeur, que vous avez la trentaine ou moins, que vous ne présentez aucune comorbidité, vous pourriez vous retrouver avec une arme à la main.
Brève histoire du service militaire
La conscription, appelée aujourd’hui service milliaire obligatoire, a vu le jour sous le directoire en 1789 avec la loi Jourdan-Delbre. Tous les citoyens âgés de 20 à 25 ans pouvaient servir dans l’armée. Au fil des régimes, la conscription s’est allégée. D’abord en termes de durée, puis de devoir, avant d’être définitivement suspendue en 1997.
Ouf, une (petite) armée existe
Autre paramètre à prendre en compte, avant de vous envoyer au front, comme Candide face aux Bulgares : la France possède une armée régulière. Ce sont les forces opérationnelles qui seront mobilisées les premières, en cas de guerre sur le territoire.
C’est-à-dire, comme le rappelle un rapport parlementaire portant sur le budget 2022 de la Défense, 77 000 hommes de l’armée de terre, 34 000 de la marine et 40 000 de l’armée de l’air et de l’espace. Des troupes professionnelles, avec environ 5 000 réservistes en renfort.
Outre ces prêts, au total, l’armée française, toutes armes, tous métiers confondus, comprenait 269 055 équivalents temps pleins. Trois quarts de ces temps pleins (76,5 %) sont occupés par des militaires, les autres, des civils au service de l’armée.
Côté matériel, la France possède, selon les derniers chiffres disponibles, 222 chars Leclerc,6 200 blindés à roues et approximativement 3 800 autres véhicules de combat. Avec ceci, 211 avions de combat, 45avions de chasse et une cinquantaine d’avions de surveillance, sans oublier les neuf sous-marins et un porte-avions. Bref, la France a, en théorie, de quoi se défendre en cas de conflit.
Cependant, pour combien de temps ? Sur le long terme, cette armée professionnelle suffirait-elle pour tenir les fronts, attaquer l’ennemi, ou encore défendre la population ? « L’armée française est une armée américaine en version bonsaï », rappelait sur France Info, Jean-Dominique Merchet, journaliste, spécialiste des questions militaires et stratégiques.
Qui sait recharger un FAMAS ?
Depuis la suspension du service militaire, en 1997, plus personne n’est formé aux maniements des armes, ni à ce que c’est vraiment, une guerre. Avec tout ce qu’elle comporte d’horreur, de froideur et de cynisme. Envoyer un citoyen en première ligne, la fleur fusil, serait considéré comme une hérésie.
« C’est un vrai problème, si on en arrive là », reprend l’historienne, avant d’ajouter : « La Première Guerre mondiale s’est gagnée avec les réservistes. »
Avant de puiser parmi les civils, il existe en effet une réserve militaire constituée de deux composantes. Une réserve citoyenne défense et sécurité (des volontaires agréés par l’armée en raison de leurs compétences et de leur expérience) et une réserve opérationnelle.
En somme, des réservistes avec ou sans expérience militaire, âgés de 17 à 35 ans, qui se sont engagés sur la base du volontariat pour soulager les armées environ 25 jours par an en moyenne, indique le ministère des Armées.
Au total, près de 140 000 personnes sont théoriquement mobilisables, dont 40 000 volontaires de la réserve opérationnelle, peut-on lire sous la plume de Jean de Monicault dans la Revue de Défense Nationale, parue en 2021. Ça en fait du monde, avant de demander aux boulangers, plombiers et banquiers de France de prendre les armes. Mais les chiffres paraissent ridicules face aux 4,5 millions de Français appelés sous les drapeaux en 1939 lors de la Seconde Guerre mondiale.
Évidemment, ces scénarios paraissent improbables. La France, avec 31 autres pays, est membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). L’article 5 de cette organisation dispose que si un pays est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque dirigée contre l’ensemble des membres, peut-on lire sur son site.
Le scénario pourrait devenir envisageable, le jour où la France, pour des raisons politiques, se retrouverait sans l’OTAN, isolée du reste du monde.
Mercredi 20 novembre, le vice-amiral d’escadre (VAE) Benoit de Guibert, commandant de l’arrondissement et de la zone maritimes de la Manche et de la mer du Nord, a fait reconnaître le capitaine de frégate David Bléau (photo ci-dessus. Crédit photos: maître Charles, MN) comme le premier commandant de la flottille de réserve maritime de l’arrondissement maritime de la Manche et de la mer du Nord (photo ci-dessous).
Créée officiellement le 1er avril 2024, la FRM COMNORD contribue, grâce à des réservistes opérationnels issus du monde civil ou anciens militaires d’active, à l’appui des activités opérationnelles ou de soutien des unités de la Marine nationale le long de la façade Manche mer du Nord. Elle permet ainsi aux Français volontaires, quels que soient leur âge ou leur expérience professionnelle, de participer aux missions de la Marine nationale et, ainsi, à la résilience de la Nation.
Depuis sa création, une vingtaine de personnes a signé son engagement à servir dans la réserve (ESR) dans des domaines aussi différents que la protection des sites terrestres, la surveillance du trafic maritime en Manche, la manœuvre de moyens nautiques ou encore la restauration. D’autres filières professionnelles verront le jour dans les prochains mois.
L’intégration et la formation des jeunes réservistes sont au cœur des préoccupations du personnel d’encadrement de la FRM COMNORD afin de permettre aux réservistes de répondre aux besoins opérationnels des unités de la Marine nationale basées en Manche mer du Nord.
Le capitaine de frégate David Bléau a rejoint la Marine en 1985 et a servi pendant 38 ans dans l’active. Spécialisé dans la lutte au-dessus de la surface, il a embarqué sur plusieurs bâtiments de combat pendant 18 ans avant de poursuivre sa carrière en état-major en métropole et outre-mer. Il a notamment commandé le chasseur de mines tripartite (CMT) Sagittaire à Brest ainsi que la base navale de Mayotte où il a assisté le Préfet pour l’action de l’Etat en mer.
À la fin des années 2000, il fut décidé de réduire à 109 le nombre d’escadrons de gendarmerie mobile [EGM], au titre de la Révision générale des politiques publiques [RGPP], dont l’objectif était de moderniser le fonctionnement de l’État tout en réalisant des économies.
Et cela sans changer le périmètre des missions de la Gendarmerie mobile, celles-ci allant du maintien de l’ordre public à la participation aux opérations extérieures [OPEX] en passant par la protection d’édifices sensibles et la participation à différents dispositifs de sécurité [Vigipirate, lutte contre l’immigration clandestine, etc.].
Seulement, l’activité opérationnelle des EGM s’est singulièrement accentuée au cours de ces dernières années. Au point que, en 2019, année marquée par le mouvement dit des « Gilets jaunes », l’Inspection générale de la Gendarmerie nationale [IGGN] avait tiré le signal d’alarme en faisant comprendre que les gendarmes mobiles étaient au bord de l’épuisement.
Il « ne faudrait pas dépasser 65 escadrons employés chaque jour. Or, depuis le 1er janvier [2019], le taux moyen d’emploi des escadrons est de 74 chaque jour », avait ainsi souligné le général Michel Labbé, le « patron » de l’IGGN, lors d’une audition parlementaire.
Par la suite, l’activité opérationnelle de la Gendarmerie mobile a retrouvé un niveau peu ou prou soutenable. Mais cette accalmie n’aura pas duré longtemps.
En effet, cette année, les violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie, les vives tensions en Martinique, la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris [JOP] ainsi que les commémorations du 80e anniversaire du Débarquement en Normandie, les opérations « places nettes » contre les trafiquants de drogue, les manifestations du monde paysan et la mobilisation d’activistes contre le chantier de l’autoroute A69 ont de nouveau mis la Gendarmerie mobile dans le rouge.
« La crise en Nouvelle-Calédonie a exigé un envoi massif de renforts de la gendarmerie. Alors que l’effectif socle [y] est de 735 gendarmes, plus de 2 870 gendarmes étaient présents sur ce territoire en septembre 2024, dont plus de 2 000 gendarmes mobiles », rappelle la député Valérie Bazin-Malgras [Droite républicaine], dans un rapport sur le budget 2025 de la Gendarmerie nationale.
« Au plus fort de la crise, 35 escadrons de gendarmerie mobile étaient présents en Nouvelle-Calédonie, contre quatre à cinq escadrons habituellement. Chaque escadron est déployé sur place pour trois voire quatre mois », a-t-elle ajouté, avant de souligner que les gendarmes ont dû « faire face à une violence inédite, avec des engagements qui ‘relèvent plus du combat que du maintien de l’ordre’ ». Deux d’entre eux ont perdu la vie et 550 autres ont été blessés.
Dans le même temps, 55 EGM ont été mobilisés pour les JOP, parfois de manière simultanée.
Aussi, le constat établi par Mme Bazin-Malgras n’est pas surprenant. L’une des conséquences de cette forte mobilisation est que « la gendarmerie mobile est en surchauffe ». Un autre est que cette dernière n’a pas toujours les moyens de renforcer d’autres unités de la gendarmerie « pour des missions qui ne relèvent pas du maintien de l’ordre, telles que les missions de sécurisation des transports et de lutte contre l’immigration irrégulière ».
« Un taux d’emploi de 68 escadrons engagés par jour représente pour la gendarmerie le seuil de viabilité maximal pour gérer les jours de repos et de permissions des gendarmes mobiles. Or, de janvier à septembre 2024, le taux d’emploi effectif a été de 80 escadrons engagés chaque jour », a relevé la députée.
Et d’ajouter : « Cette situation génère une augmentation de la dette de repos et de permission : au 30 juin 2024, le reliquat du nombre de jours de repos et permission à attribuer en moyenne par gendarme mobile atteint près de 40 jours [contre 13 jours en 2022 et 2023] ».
Pour atténuer les effets de cette « surchauffe », la Gendarmerie a eu recours à quelques expédients, notamment en réorientant les flux sortants de ses écoles.
« Alors que traditionnellement, environ 25 % des effectifs en sortie d’école sont orientés vers la gendarmerie mobile, cette proportion est passée depuis fin 2024 à plus de 35 %, au détriment des recrutements au sein de la gendarmerie départementale », a constaté Mme Bazin-Malgras.
Enfin, les relèves des EGM en outre-mer sont désormais effectuées tous les quatre mois et non plus tous les trois mois comme c’était jusqu’alors le cas.
Le recours à des réservistes pour renforcer les EGM pourrait être une solution… Seulement, comme le rappelle la députée, « à l’exception de situations exceptionnelles [insurrection ou guerre], les réservistes n’ont pas vocation à mener des opérations programmées de maintien ou de rétablissement de l’ordre public ». Et c’est d’ailleurs la « raison pour laquelle les réservistes, y compris au niveau local, ne participent pas aux opérations actuelles en Nouvelle-Calédonie », a-t-elle souligné.
Lancée en janvier 2015 après l’attentat contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo, l’assassinat de la policière Clarissa Jean-Philippe et la prise d’otages sanglante de l’Hypercacher, l’opération intérieure Sentinelle mobilise encore actuellement 10 000 militaires, dont 3 000 placés en réserve, afin de soutenir les forces de sécurité intérieure [FSI] dans le cadre du plan Vigipirate, lequel fait partie du dispositif de lutte contre le terrorisme.
Évidemment, au regard des effectifs engagés, cette opération n’est pas sans conséquence sur les activités de l’armée de Terre. Ainsi, un rapport du Sénat, publié en 2021, avait souligné que la « cible de 90 jours de préparation opérationnelle par militaire n’a plus été atteinte » depuis son lancement.
En outre, un an plus tard, la Cour des comptes, pointant son coût, avait estimé qu’il était temps d’y mettre un terme, à l’instar de ce que venait de faire la Belgique avec son opération « Vigilant Guardian ». Il « n’est plus plus pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un ‘affichage de militaires dans les rues’ » et il « appartient donc aux FSI de reprendre des secteurs d’activité qui leur reviennent en priorité et pour lesquels elles sont mieux équipées qu’en 2015 dans la mesure où les moyens humains et matériels ont été significativement renforcés pour leur permettre de faire face à la menace terroriste », avait-elle jugé.
Pour justifier sa position, la Cour des comptes avait soutenu que la menace terroriste était « devenue endogène ». En outre, étant donné que, selon elle, cette menace était désormais « portée par des individus inspirés par l’État islamique mais pas nécessairement affiliés à une organisation terroriste », les militaires de la mission Sentinelle ne semblaient pas les « mieux placés » pour faire face à cette situation car ils ne disposaient « ni du renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des armements appropriés en zone urbaine ».
Quoi qu’il en soit, la recommandation de la Cour des comptes est restée lettre morte. Et l’opération Sentinelle va visiblement durer encore longtemps… Du moins, c’est ce qu’a suggéré le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale [le compte-rendu vient d’être publié, ndlr].
« Nous continuons à adapter notre posture sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle : il faut identifier ce qui fonctionne et ce que l’on peut améliorer, en coordination étroite avec le ministère de l’Intérieur. Il faut notamment réduire les effectifs déployés en permanence, qui perdent de la visibilité alors que cette visibilité était l’objectif premier », a d’abord expliqué le CEMA.
« L’ensemble des moyens alloués à l’opération Sentinelle ne représente que 10 000 hommes, qui viennent en soutien de 100 000 gendarmes et 100 000 policiers. Leur effet n’est donc pas dans le nombre, mais ailleurs : il s’agit de faire passer un message lors du déploiement, et d’accroître l’effort dans des zones très ciblées », a-t-il continué, avant d’insister sur la nécessité de maintenir, si ce n’est d’améliorer, le « dialogue civilo-militaire ».
Cependant, il n’en reste pas moins que la poursuite de l’opération Sentinelle interroge toujours. Elle « fait parfois de nos soldats des cibles vivantes pour ceux qui propagent la violence et la haine » et «les militaires ne sont pas des officiers de police judiciaire [OPJ], ce qui limite concrètement leur action, notamment en matière de contrôle des individus, même si leur présence rassure », a lancé le député Laurent Jacobelli [RN]. En outre, a-t-il poursuivi, les « 10 000 hommes et femmes engagés dans l’opération Sentinelle » n’étant « pas employés ailleurs, peut-être serait-il judicieux d’envisager de les employer à autre chose, à l’heure où nous avons toujours du mal à fidéliser les personnels ».
S’il a défendu le principe de l’opération Sentinelle malgré ses limites [« il n’est pas incongru de considérer que les Français doivent être défendus là où ils sont menacés », a-t-il dit], le général Burkhard a admis que la motivation des militaires qui y sont engagés est un « sujet de préoccupation ». D’où l’idée de les employer « pour leurs capacités spécifiques », afin de donner aux missions un « opérationnel non négligeable ».
« Par exemple, les unités de Sentinelle qui sont au contact de la population sont des petits groupes commandés par un sergent ou un caporal-chef. Ce sont des militaires qui à ce niveau de grade ont rarement l’occasion d’être placés dans de telles situations de commandement et de décision », a détaillé le CEMA. Aussi, « l’opération Sentinelle est donc assez formatrice pour les cadres de bas niveau » car elle « leur confère une autonomie de décision et une véritable responsabilité, dans une mission par ailleurs très difficile ».
Cependant, a reconnu le général Burkhard, « la situation n’est pas pour autant pleinement satisfaisante et certaines modifications sont souhaitables ». Et d’ajouter : « Il faut identifier précisément les avantages offerts par l’opération Sentinelle et ce contre quoi elle sert à lutter ».
Parmi les évolutions possibles, le CEMA a évoqué une réduction du « socle d’effectifs déployés » tout en « maintenant une présence, des contacts et une visibilité, ainsi qu’un dialogue civilo-militaire ». L’idéal serait de pouvoir « capitaliser sur la capacité à utiliser pleinement une réserve susceptible de se déployer sur tout le territoire national », a-t-il dit. Seulement, les armées n’étant pas réparties de manière équilibrée sur le territoire national, leur « déploiement sera plus difficile dans certaines zones ».
Une évolution consisterait à confier d’autres missions à la force Sentinelle.
« La réserve de Sentinelle est orientée vers la lutte antiterroriste. Or, sur le territoire national, le terrorisme n’est pas la seule menace qui pèse sur les Français, ou en tout cas qui perturbe leur quotidien – pensons à une catastrophe naturelle par exemple. Nous pourrions étendre la capacité de réaction de la réserve à d’autres champs et la rendre utilisable plus rapidement – l’objectif est de disposer de personnels prêts à quitter leur quartier en trois heures», a détaillé le général Burkhard, qui s’est gardé d’évoquer tout autre rôle précis…
Enfin, au titre du maintien de la qualité du « dialogue civilo-militaire », le CEMA a estimé qu’il faudrait éviter de « s’installer dans la routine des relèves tous les deux mois ». Ainsi, a-t-il développé, il faudrait « pouvoir déployer des effectifs sur une ou deux semaines » et « dire au préfet que dans dix jours on déploiera une section à son profit pour surveiller ce qui doit l’être ». Et cela afin de faire en sorte de « marier surveillance globale et appui, ce qui appellera naturellement à faire fonctionner le dialogue civilo-militaire », a-t-il conclu.
Conflit en cours : malgré le vote de l’Assemblée nationale et du Sénat en faveur de la suppression du SNU le 30 octobre 2024, le gouvernement reste ferme. Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement, a réaffirmé la volonté de l’exécutif de maintenir ce programme.
Le gouvernement défend le SNU
Le Service National Universel (SNU), un programme lancé en 2019 par le gouvernement d’Emmanuel Macron, fait aujourd’hui face à une résistance marquée au sein de la chambre basse et de la chambre haute. Malgré les votes de suppression du budget alloué au SNU par l’Assemblée nationale et le Sénat, mercredi 30 octobre 2024, la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a déclaré, à la suite du Conseil des ministres que le gouvernement « ne souhaite pas supprimer le service national universel ».
Celle-ci a néanmoins reconnu, au nom du gouvernement les limitations budgétaires qui empêchent sa généralisation prévue pour 2026. « Il y a probablement nécessité de réinterroger le dispositif tel qu’il est conçu aujourd’hui. Il y a une partie du dispositif qui fonctionne très bien, d’autres qui peuvent peut-être être remis sur la table », précise la porte-parole du gouvernement.
Un « gadget présidentiel » trop couteux
C’est surtout le coût du service national universel qui est à l’origine des réticences des députés et des sénateurs, mais aussi ses résultats. Selon les estimations du rapport de la Cour des comptes de septembre 2024, la généralisation du SNU, soit pour 850 000 jeunes chaque année, coûterait entre 3,5 et 5 milliards d’euros annuellement.
Des projections qui ont suscité de vives critiques de la part de certains parlementaires, et cela, d’autant en raison du contexte d’austérité auquel doit faire face la France. Le Pierrick Courbon (socialiste) notamment, dénonce pour sa part une « hérésie budgétaire ». Même tonalité du côté du sénateur socialiste Éric Jeansannetas qui considère qu’après cinq ans d’expérimentation, «il n’apparaît pas que le SNU apporte une plus-value suffisante […] pour justifier la poursuite de son déploiement ». La critique se fait encore plus vive pour Jean-Claude Raux, député écologiste, qui voit le SNU comme un « gadget présidentiel » qui « ne marche pas » et « coûte cher ».
Vers un abandon de la généralisation prévue pour 2026
Malgré les promesses faites par Gabriel Attal, ex-Premier ministre, de généraliser le SNU d’ici à 2026, les résultats du programme sont en deçà des attentes gouvernementales : en 2023, celui-ci affiche 28 % de désistements. Gil Avérous, ministre des Sports et de la Jeunesse, l’avait d’ailleurs admis, lundi 28 octobre 2024, au micro de Sud Radio : « En 2025, il ne le sera pas, en 2026 j’imagine mal qu’il puisse l’être. »
Les chiffres le confirment : bien que l’objectif pour 2025 soit de 66 000 jeunes, seuls 35 700 se sont engagés dans le programme jusqu’à présent.Les crédits budgétaires, initialement fixés à 130 millions d’euros, ont été ramenés à 80 millions d’euros en raison des contraintes financières. Discutés dans les deux chambres, les votes des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, le 30 octobre 2024, ont pourvu de réaffecter les 130 millions d’euros initialement prévus pour le SNU vers le secteur du sport.
Axelle Ker
Diplômée en sciences politiques et relations internationales, journaliste chez Économie Matin & Politique Matin.
La suppression des crédits alloués au Service National Universel (SNU) dans le cadre du budget 2025 est un signal fort qui marque une rupture nette dans les ambitions initiales du gouvernement. Créé pour renforcer la cohésion nationale, ce dispositif, pourtant inscrit dans les promesses de campagne d’Emmanuel Macron, semble aujourd’hui pris dans les mailles de l’austérité. Le SNU, critiqué pour son coût et son efficacité limitée, pourrait bien disparaître.
Le SNU : un projet qui n’a jamais fonctionné
Le Service National Universel est né en 2019, conçu comme un prolongement du service militaire traditionnel, bien que strictement civil et volontaire dans sa forme initiale. Structuré autour d’un séjour de cohésion et d’une mission d’intérêt général, le SNU vise à inculquer aux jeunes des valeurs de discipline, de solidarité et de respect de l’autorité. Dans cette logique, le port de l’uniforme et la levée des couleurs, éléments symboliques du dispositif, se veulent un écho à l’héritage militaire et républicain français.
Cependant, la Cour des comptes, dans son rapport de septembre 2024, pointe une série d’écueils : un coût sous-évalué, estimé entre 3,5 et 5 milliards d’euros par an, et des objectifs flous qui mettent en question sa légitimité. Ces critiques posent une question essentielle : dans quelle mesure le SNU peut-il véritablement combler le fossé entre les aspirations civiques et les exigences budgétaires de l’État ?
L’austérité face au SNU : une question de priorités financières
Le ministre des Sports et de la Jeunesse, Gil Avérous, a admis le 28 octobre 2024 l’impossibilité de généraliser le SNU pour des raisons budgétaires, soulignant ainsi les limitations financières d’un projet ambitieux mais coûteux. Cette déclaration trouve écho dans le contexte actuel, où le budget fait face à une pression accrue, alors que les priorités stratégiques se tournent vers la modernisation des forces et la préparation aux défis géopolitiques.
En comparaison, l’efficacité perçue du SNU semble décalée des besoins opérationnels et de la formation civique des jeunes, d’autant plus que les bénéfices attendus sont jugés insuffisants. « Pour l’instant, en 2025, j’ai les crédits du même montant que 2024 », déclarait Gil Avérous sur Sud Radio, traduisant une vision de plus en plus restrictive de l’État vis-à-vis de ce dispositif. Des crédits qui ne permettent d’accueillir que 64.000 jeunes… niveau jamais atteint par le simple volontariat.
La suppression des crédits par le Sénat : vers une fin du SNU ?
La commission des Finances du Sénat a acté, le 30 octobre, une décision plutôt attendue en faveur de la suppression des crédits du SNU. Les sénateurs, parmi lesquels Éric Jeansannetas, rapporteur des crédits de la Jeunesse, remettent en question la pertinence d’un programme jugé trop onéreux et peu efficace. Dans le cadre du projet de loi de finances 2025, un amendement visant à réduire les crédits alloués au SNU de 100 millions d’euros a ainsi été adopté à une large majorité.
Pour les sénateurs, le dispositif peine à démontrer sa valeur ajoutée par rapport aux autres politiques d’engagement des jeunes. Jeansannetas a notamment déclaré : « Les objectifs font du surplace », ajoutant que le projet de généralisation du SNU à une classe d’âge entière paraît désormais « hors d’actualité ».
La fin du SNU : quelles conséquences pour l’engagement civique et la Défense ?
Si la suppression du SNU devient définitive, ce sera la fin d’un projet d’éducation civique, pourtant perçu comme un pont entre les valeurs militaires et civiques. Le retrait du SNU soulève de fait des questions sur la manière dont la France compte renforcer l’engagement de ses jeunes en l’absence de cet outil. Le service civique, bien qu’efficace, suffira-t-il pour combler les attentes des jeunes et des responsables politiques ?
Reste que le vote en Commission pourrait être contrebalancé lors des votes définitifs, surtout si Michel Barnier déclenche un 49.3 pour faire adopter le Budget 2025 par la force. Un scénario qui devient chaque jour plus plausible…
Paolo Garoscio
Journaliste chez EconomieMatin. Ex-Chef de Projet chez TEMA (Groupe ATC), Ex-Clubic. Diplômé de Philosophie logique et de sciences du langage (Master LoPhiSC de l’Université Paris IV Sorbonne) et de LLCE Italien.
En septembre 2016, la Direction générale de l’armement [DGA] fit savoir qu’elle allait commander plus de 100 000 fusils d’assaut HK416F auprès de l’armurier allemand Heckler & Koch dans le cadre du programme « Arme individuelle du futur » [AIF]. Soit de quoi couvrir les besoins des trois armées, et en particulier ceux de la Force opérationnelle terrestre [FOT]. Pour autant, cette annonce ne signait pas la fin de l’emblématique FAMAS. Du moins pas dans un avenir proche.
En décembre 2022, la DGA indiqua qu’elle avait déjà livré 69 340 HK416F aux armées, sur les 117 000 devant être reçus d’ici 2028. D’où la commande annoncée de 8 000 fusils supplémentaires dans le projet de loi de finances 2025.
Le HK416F « a été conçu comme un véritable système d’armes, compatible avec les équipements FELIN, évolutif et capable d’intégrer les nouvelles technologies à venir, en particulier dans le domaine des optiques de jour et de nuit et des aides à la visée », rappelle la DGA.
Cela étant, les livraisons de ces nouveaux fusils d’assaut se faisant progressivement, il reste encore beaucoup de FAMAS en dotation.
« En ce qui concerne le FAMAS, il en reste encore puisque, cette année, on va recevoir 8 000 HK et on va encore en commander 8 000 », a ainsi relevé le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 15 octobre.
Cela étant, les 117 000 HK416F devant être commandés seront insuffisants pour armer les réservistes opérationnels de l’armée de Terre, dont le nombre va doubler d’ici 2030, passant ainsi de 24 000 à 50 000. Pour le moment, il est prévu de leur confier des FAMAS. Mais il ne s’agit que d’une solution temporaire.
« Je pense, qu’un jour, il faudra passer sur un système d’arme unique pour ne pas avoir des réservistes avec un type d’arme et les gens de l’active avec un autre », a en effet déclaré le général Burkhard. Un telle mesure permettrait de rationaliser l’entretien des armes individuelles, celui des FAMAS étant coûteux. « On sous-traite le percuteur, qui représente 380 euros pour 3 000 coups de fusil. Avec 3 percuteurs, on peut acheter un HK-416 », avait en effet expliqué le général Bosser, alors chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], en 2016.
Pour rappel, l’ambition du ministère des Armées est de compter un réserviste opérationnel pour deux militaires d’active. Ce qui permettra à l’armée de Terre de développer une « réserve de compétences », une « réserve territoriale » et une « réserve de combat ».
Pour cela, l’actuel CEMAT, le général Pierre Schill, a dit vouloir expérimenter « l’implication beaucoup plus étroite des réservistes » dans les régiments, l’idée étant de les insérer «dans les escadrons ou les compagnies de ces unités d’active ». Aussi, il ne serait pas compréhensible que les uns soient armés de FAMAS et les autres de HK416.
Suite de mon récent post consacré à la flottille de réserve côtière de l’Atlantique, avec une prise de commandement à La Rochelle (voir ci-dessus), le 16 octobre.
Le capitaine de corvette Anthony Gagnard a officiellement pris le commandement de la deuxième escouade de réserve côtière de la façade atlantique, la première étant celle de Bayonne où une prise de commandement aura lieu le 2 novembre.
Cet officier né en 1980, est entré dans la Marine via l’école de maistrance, en 1998. Il a commandé, à partir de 2016, le patrouilleur de service public (PSP) Flamant, basé à Cherbourg. Le capitaine de corvette Anthony Gagnard a conclu sa carrière d’officier d’active au sein de l’état-major de la force d’action navale à Brest.
Comme il vient de quitter la marine après 26 ans de service, c’est bien en tant que réserviste qu’il a pris le commandement de l’ERC de La Rochelle.
Le HCECM, Haut comité pour l’évaluation de la condition militaire, présidé par la conseillère d’état Catherine de Salins et dont l’un des membres est le général de corps d’armée (2S) de Gendarmerie Jean-Marc Descoux, consacre son 18ème rapport aux réserves. L’instance a remis dernièrement son rapport au président de la République. Le Haut comité qui passe en revue dans le détail le dispositif des réserves militaires formule quatorze recommandations.
En préambule de ce rapport très complet, le HCECM rappelle que la France a un objectif ambitieux : porter le nombre de réservistes du ministère des Armées à 80 000 d’ici à 2030 puis 105 000 en 2035, et atteindre un effectif total de 50 000 réservistes dans la gendarmerie nationale en 2027.
“Ce renforcement ne se limite pas à une simple augmentation quantitative, il répond à la volonté de mieux préparer et d’intégrer ces forces de réserve dans la défense active de la nation. Les réservistes jouent un rôle croissant dans la défense nationale” écrit le Haut comité dont le rapport “vise à guider les actions futures pour assurer que la réserve française puisse répondre pleinement aux exigences des conflits modernes, tout en restant un exemple des valeurs de notre République.”
Parmi celles-ci, l’amélioration de la connaissance des activités civiles des réservistes, la garantie des moyens alloués aux réserves par la Loi de programmation militaire, une meilleure représentativité des réservistes dans le cadre du dispositif de la concertation, la formalisation et la mise en œuvre de parcours de carrière des réservistes dans une politique de ressources humaines sur le long terme, une réflexion relative au régime de défraiement des réservistes, la confirmation de l’exonération fiscale qui est appliquée à la solde des réservistes, pour toutes les catégories hiérarchiques et pour tout type d’activités, la mise en œuvre de mesures visant à mieux valoriser l’engagement des cadres de la réserve, soit par une mesure nouvelle, soit par le biais de la prime de compétence et de responsabilité des militaires (PCRM) ; recommande d’encourager l’emploi de tous les leviers existants en termes de reconnaissance, notamment en invitant plus largement les réservistes à participer aux activités de tradition et de cohésion des unités, et en améliorant l’information relative à l’accès à l’honorariat du grade.
Revoir à la hausse le contingent d’ordres nationaux pour les réservistes
Par ailleurs, Le Haut comité préconise l’évolution des règles relatives au contingentement des ordres nationaux pour prendre en compte la montée en puissance des réserves et l’évolution du ratio réserve/active.
Recommandation 1
Le Haut Comité recommande d’améliorer la connaissance des caractéristiques des réservistes, en particulier leur activité professionnelle civile (secteur d’activité, employeur, etc.), notamment afin de garantir leur employabilité en cas de mobilisation. Par ailleurs, il préconise de systématiser les entretiens lors des départs pour identifier les principales causes d’insatisfaction qui les motivent, et de mettre en œuvre de manière plus régulière des sondages du moral des réservistes pour mesurer l’évolution de leur condition militaire et adapter en conséquence les politiques RH, avec une procédure adaptée à leurs spécificités, et notamment à leur présence intermittente dans les unités (sondage internet via ROC et Minot@ur). Les modalités de ces enquêtes doivent permettre de mieux identifier les disparités relatives aux différentes « familles » de réservistes (ab initio, anciens d’active).
Recommandation 2
Le Haut Comité recommande de garantir dans la durée, dans une logique pluri-annuelle, les moyens alloués à la réserve opérationnelle tels que prévus par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, aussi bien en ce qui concerne la masse salariale que pour les autres natures de crédits qui participent directement à la condition militaire des réservistes : formation, équipement individuel et collectif, hébergement, infrastructures, systèmes d’information, etc.
Recommandation 3
Le Haut Comité recommande de rechercher les pistes de fluidification du parcours de recrutement. En particulier, le passage des visites médicales d’aptitude en dehors du SSA pourrait être une piste à exploiter afin de permettre aux réservistes de réaliser ces visites à proximité de leur lieu de domicile, et de soulager les tensions qui pèsent sur le SSA. L’utilisation de médecins réservistes en dehors de leurs périodes d’activité ou d’anciens praticiens d’active appartenant à la RO2 pourrait être envisagée.
Recommandation 4
Le Haut Comité recommande l’édition d’un « memento du réserviste » pour améliorer l’information relative aux modalités du soutien, de la gestion « ressources humaines », des droits individuels (retraite, etc.), ou encore des prestations sociales auxquelles peuvent prétendre les réservistes opérationnels. De même, les obligations de disponibilité qui s’imposent à eux devraient être rappelées. Ce memento devra porter une attention particulière à l’accessibilité des informations et être diffusé à tous les réservistes à échéances régulières pour rester à jour des évolutions de ces modalités.
Recommandation 5
Le Haut Comité recommande, dans le cadre des travaux portant sur le système de concertation des réservistes, de garantir que celui-ci permette la bonne représentativité de tous les réservistes, et en particulier des réservistes directement issus de la société civile, et de prévoir une bonne articulation avec les CFM d’armée et le CSFM.
Recommandation 6
Le Haut Comité recommande de revoir les modalités de pilotage budgétaire de la masse salariale « réserves » en veillant à une plus grande responsabilisation des employeurs de réservistes, pour leur garantir les ressources annuelles à leur disposition, et ainsi donner plus de visibilité aux réservistes sur leur niveau d’emploi.
Recommandation 7
Le Haut Comité recommande de poursuivre la formalisation et la mise en œuvre de parcours de carrière des réservistes dans une politique RH sur le long terme, qui devrait prendre en compte les spécificités des réservistes (temps partiel, disponibilité fluctuante, conciliation avec l’activité professionnelle civile).
Ces parcours pourraient proposer plus de passerelles vers et depuis l’active, veiller à mieux valoriser les cadres de la réserve, et envisager des moyens de garder un lien entre l’institution et les anciens réservistes pour permettre une réintégration dans la réserve à des moments plus propices.
Par ailleurs, afin de responsabiliser les réservistes eux-mêmes dans l’élaboration de leur parcours de carrière, le Haut Comité recommande de redynamiser la « bourse aux emplois de la réserve » en s’appuyant sur les SI ROC et Minot@aur afin qu’ils puissent être mieux informés des opportunités de changer de poste au sein de la réserve. Ces propositions pourraient également être accessibles dès l’étape de la candidature à l’engagement dans la réserve, pour permettre aux candidats de mieux s’orienter.
Enfin, cette modularité accrue des parcours de réservistes devrait s’accompagner d’une plus grande exigence pour garantir un engagement minimal annuel, nécessaire pour que l’investissement des armées, notamment dans leur formation, soit rentabilisé.
Recommandation 8
Le Haut Comité recommande :
de garantir que les réservistes bénéficient effectivement des droits qui leur sont ouverts enmatière de droits financiers, notamment en matière d’avancement d’échelon ;
de lancer une réflexion relative au régime de défraiement des réservistes (frais de transport, repas, etc.) tenant compte des particularités de leur engagement afin de mettre en place unrégime spécifique plus adapté aux sujétions qu’ils subissent ;
de se saisir du problème des délais excessifs de versement de la solde des réservistes du ministère des armées en mettant en œuvre des mesures techniques et organisationnelles permettant de garantir à tout réserviste que sa solde lui sera versée dans un délai raisonnable.
Recommandation 9
Le Haut Comité recommande de confirmer l’exonération fiscale qui est appliquée à la solde des réservistes, pour toutes les catégories hiérarchiques et pour tout type d’activités, qui représente une juste compensation des sujétions auxquelles sont soumis les réservistes.
Recommandation 10
Le Haut Comité recommande de faire évoluer les droits à indemnités spécifiques pour les réservistes afin de mieux prendre en compte les particularités de leur engagement, en prévoyant :
la création d’une avance de solde avant déploiement en opération, sur le modèle de l’avance de solde avant affectation à l’étranger (versement d’un mois de solde 45 jours avant le départ, puis régularisation) ;
la mise en œuvre de mesures visant à mieux valoriser l’engagement des cadres de la réserve,soit par une mesure nouvelle, soit par le biais de la prime de compétence et de responsabilitédes militaires (PCRM) ;
la mise à jour des conditions d’attribution de la participation au financement du permis deconduire (PERMRES) ou sa suppression au profit d’une autre mesure d’attractivité plus pertinente.
Recommandation 11
Le Haut Comité recommande d’encourager l’emploi de tous les leviers existants en termes de reconnaissance, notamment en invitant plus largement les réservistes à participer aux activités de tradition et de cohésion des unités, et en améliorant l’information relative à l’accès à l’honorariat du grade.Par ailleurs, les règles relatives au contingentement des ordres nationaux pourraient évoluer pour prendre en compte la montée en puissance des réserves et l’évolution du ratio réserve/active.
Recommandation 12
Le Haut Comité recommande :
– de mieux identifier les compétences que les réservistes ont acquises dans leur carrière civile et la valeur ajoutée qu’elles peuvent apporter aux armées ;
– de mieux recenser et formaliser l’acquisition de compétences dans la réserve, afin de les mettre plus à profit au sein des armées et de les valoriser auprès des employeurs civils. La mise en œuvre de cette recommandation pourra utilement profiter des évolutions des systèmes d’information dédiés à la réserve.
Recommandation 13
Afin d’améliorer le soutien à l’engagement dans la réserve par les employeurs civils des réservistes, le Haut Comité recommande :
d’améliorer l’information générale qui leur est délivrée sur les obligations qui s’imposent à eux, mais aussi sur les droits, incitations et accompagnements dont ils peuvent bénéficier, et, enfin, sur les bénéfices apportés par les activités de réserve au sein d’une carrière civile (acquisition de compétences, savoir-être, etc.); pour les employeurs publics, cette information pourrait faire l’objet d’une mise à jour de la circulaire du Premier ministre de 2005 relative à l’emploi d’agents publics au sein de la réserve militaire ;- de systématiser, sauf demande expresse du réserviste à l’autorité militaire, l’envoi d’une lettre personnalisée vers les employeurs de nouveaux réservistes, à la signature de l’ESR ;- de développer la stratégie partenariale du secrétariat général de la garde nationale dans deux directions complémentaires : au niveau central via les conventions de branches professionnelles, et au niveau local via les officiers généraux de zones de défense et de sécurité.
Recommandation 14
Afin d’améliorer le niveau de protection sociale dont bénéficient les réservistes, le Haut Comité recommande :
– de prendre en compte la situation particulière des réservistes dans les travaux sur le volet « prévoyance » de la protection sociale complémentaire ;
– de garantir par tous les services instructeurs la bonne application du régime de réparation intégrale du préjudice subi à la suite d’une blessure ou maladie imputable au service ;
– de renforcer l’information diffusée auprès des réservistes, par exemple via le site internet de la Maison numérique des blessés et de leurs familles (MNBF) et les SI ROC et Minot@ur, afin de garantir qu’ils sont conscients des conséquences que peuvent entraîner une blessure ou une maladie survenue à l’occasion de leurs activités dans la réserve dans tous les aspects patrimoniaux et extrapatrimoniaux.
Chiffres clés
73 624 réservistes opérationnels de 1er niveau (RO1) dans les armées et la Gendarmerie nationale au 31 décembre 2023 dont 53,7 % issus directement de la société civile (ab initio), 34,1 % d’anciens militaires d’active et 12,1 % d’anciens appelés du contingent.
93 199 réservistes opérationnels de 2e niveau (RO2)
6 523
réservistes citoyens de défense et de sécurité
23,1 % taux de féminisation de la RO1 contre 18,5 % pour les militaires d’active
5 670 réservistes employés en moyenne chaque jour dont 3 648 au ministère des armées et 2 022 dans la Gendarmerie nationale
13 % : taux de réservistes opérationnels de 1er niveau non employés en 2023
Composition du HCECM
Présidente : Catherine de Salins, conseillère d’État, présidente adjointe de la section de l’administration du Conseil d’État
Vice-président : Terry Olson, conseiller d’État, président de la Cour administrative d’appel de Versailles
Membres :
Isabelle Delarbre, ancien cadre dirigeant chez Renault et TotalEnergies
Élisabeth Grosdhomme :dirigeante de Paradigmes et cætera, société d’étude et de conseil spécialisée en prospective et innovation
Yves d’Hérouville : Président de l’Institut des dirigeants d’associations et fondations
Cécile Wendling : dirigeante de Pan-or-amiques, société de conseil en prospective, et chercheuse associée au Centre de sociologie des organisations (CNRS-Sciences Po Paris).
Jean-Luc Tavernier: directeur général de l’Insee (membre de droit), représenté par Alain Bayet : directeur de la diffusion et de l’action régionale et coordinateur des directeurs régionaux, chef de l’inspection générale de l’Insee
Général d’armée aérienne Éric Autellet, ancien major général des armées
Général d’armée (2e section) Éric Bellot des Minières, ancien inspecteur général des armées – Terre
Général de corps d’armée (2e section) Jean-Marc Descoux, ancien commandant de la gendarmerie outre–mer
Secrétaire général : contrôleur des armées Vincent Berthelé
« Il faut amener l’effort de défense pour les armées françaises à 3 % du PIB, comme pendant la guerre froide ! » Cette phrase, vous l’avez certainement entendue ces derniers mois, si vous suivez l’actualité défense française ou européenne.
En effet, les évolutions de la menace, en particulier en Europe, et même concernant la dissuasion nucléaire, jettent le doute sur la pertinence du seuil des 2 % visé par la LPM 2024-2030, qui semble incapable de donner aux armées les moyens nécessaires pour accomplir raisonnablement leurs missions à venir.
Comme c’est souvent le cas, ce type de certitudes s’appuie davantage sur un puissant ressenti, ainsi que sur certains raccourcis historiques, économiques, sociaux et même militaires, que sur une analyse construite de l’hypothèse.
Alors, à quoi pourraient ressembler les Armées françaises, si celles-ci venaient, effectivement, à disposer d’un budget équivalent à 3 % du PIB du pays ? Cette hypothèse est-elle efficace pour répondre aux menaces ? Surtout, est-elle réaliste et applicable, face aux nombreux défis et aux contraintes auxquelles les armées doivent répondre ?
Sommaire
L’évolution de l’effort de défense français de la Guerre Froide aux bénéfices de la Paix
De 1950 à 1970, les dépenses de défense de la France, représentaient, en moyenne, 5 % de la richesse produite chaque année par le pays. Ce taux, très élevé, s’explique par l’action conjuguée de la guerre Froide et de la menace soviétique, particulièrement pressante sur cette période, mais également par les deux guerres coloniales auxquelles elles ont participé, en Indochine puis en Algérie.
Surtout, sur la même période, le pays s’est reconstruit des conséquences de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande, avec un très important effort de réindustrialisation et dans certains domaines technologiques, dont le nucléaire, ce qui transforma profondément l’économie du pays.
Ainsi, le PIB par habitant en France est passé de 10 500 à presque 16 000 $ sur la décennie 1960-1970. Le PIB du pays, quant à lui, est aussi passé de 15 Md$ en 1950 à 126 Md$ en 1970, pour s’envoler à 1060 Md$ en 1990, et 2650 Md$ en 2022. Même compensé de l’inflation, on comprend les raisons qui obligeaient la France à consacrer de tels pourcentages à son effort de défense jusqu’en 1970, et une partie des raisons ayant entrainé la baisse de cet effort, à partir de 1980.
Difficile, dans ces conditions, de comparer l’effort de défense en 1970 de 3,06 %, et celui qui est consacré aujourd’hui à cette même fonction par le pays, tant les contextes économiques, sociaux, politiques, industriels, technologiques et même internationaux, sont sans comparaison avec ce qu’ils étaient alors.
Les limites du seuil à 2 % du PIB pour l’effort de défense français
Et pour cause, avec un effort de défense à 2 % PIB, la dissuasion française ne pourra s’appuyer que sur 4 SNLE et deux escadrons de bombardement stratégique, l’Armée de Terre sur une forte opérationnelle terrestre forte de seulement 77 000 militaires d’active, renforcé, il est vrai, par une grande partie des 80 000 gardes nationaux.
Cette force est armée d’uniquement 200 chars de combat, 600 véhicules de combat d’infanterie et à peine plus d’une centaine de systèmes d’artillerie, et 10 à 20 lance-roquettes à longue portée, soit bien moins que ce que produit l’industrie de défense russe en une seule année.
La Marine nationale n’est pas mieux lotie, avec son unique porte-avions, une aberration opérationnelle, ses six sous-marins d’attaque, ses trois porte-hélicoptères dont un servant de navire école, et sa quinzaine de frégates de premier rang, pour un pays dont la métropole a trois façades maritimes, et qui a la plus grande zone économique exclusive repartie sur tous les océans de la planète.
L’Armée de l’Air et de l’Espace, enfin, a dû ramener sa chasse à 185 appareils, dont une trentaine sont consacrées à la seule mission nucléaire, une cinquantaine d’avions de transport tactique et stratégique, une quinzaine d’avions ravitailleurs et quatre Awacs, moins de dix batteries antiaériennes et antimissiles à longue portée. Elle ne dispose même plus d’appareils d’entrainement à hautes performances, pour la formation de ses pilotes de chasse, et l’entrainement des pilotes et abonnés dans les escadrons.
La défense étant un exercice relatif, il convient de comparer ce format des armées françaises à 2 % PIB, fortes de 208 000 hommes, avec les armées russes, disposant d’un budget de 110 Md$ équivalent à 10 % du PIB, fortes de 1,5 million d’hommes, alignant 12 SNLE, plus de 500 missiles stratégiques ICBM, une centaine de bombardiers stratégiques, 2500 à 3500 chars, 5000 véhicules de combat blindés et d’infanterie, plus de 2000 canons automoteur et lance-roquettes, 300 batteries antiaériennes à longue portée, et un millier d’avions de combat.
Certes, la France n’est pas seule pour s’opposer à la menace russe en Europe, et beaucoup de pays produisent d’importants efforts pour rééquilibrer le rapport de force défavorable. Pour autant, les armées françaises disposent, en Europe, de moyens détenus, à part par elles, uniquement par l’allié américain, voire par les britanniques dans certains cas.
Quelles pourraient être les armées françaises si la France consacrait 3 % au budget des armées.
Dans ce contexte, porter l’effort de défense à 3 %, permettrait-il de rétablir un rapport de force favorable, face à la menace russe et mondiale, en Europe et ailleurs ? Ce serait, comme nous le verrons, probablement le cas.
Ainsi, les évolutions de format des armées, en passant de 2 à 3% du PIB, seraient bien plus sensibles qu’elles ne le furent en passant de 1,5 à 2 %, de 2016 à 2024. En effet, à l’issue de cette première hausse, qui permit avant tout de ramener les armées à un point d’équilibre budgétaire sur le format qui est le leur, les forces françaises respectent toujours les volumes visés par le Livre Blanc de 2013, que ce soit en termes d’hommes, de blindés, d’avions et de navires.
À l’inverse, passer à 3 %, permettrait de s’appuyer sur l’ensemble des investissements de fonctionnement et de développement déjà couverts par le passage à 2 %, pour consacrer les efforts, précisément, à une évolution de format sensible. Car, avec un PIB 2023 de 2650 Md€, un effort de défense à 3 % permettrait au budget des armées de passer de 47 Md€ à presque 80 Md€, soit une plus-value de 30 Md€.
Une dissuasion française à nouveau dimensionnée pour contenir la menace russe
Face à la menace russe, et la possible réorganisation de la dissuasion européenne, un budget défense à 80 Md€, permettrait d’augmenter sensiblement le potentiel opérationnel de la dissuasion française, en passant notamment de 4 à 6 SNLE.
Avec 6 SNLE, la Marine nationale pourrait, en effet, maintenir en permanence deux navires à la mer, et un troisième en alerte à 24 heures, sur une durée illimitée, contre un navire en patrouille, et un en alerte aujourd’hui.
Or, la montée en puissance de la flotte sous-marine russe, mais également l’arrivée aussi massive qu’inévitable de drones sous-marins de surveillance, augmenteront, dans les années à venir, le risque qu’un SNLE à la mer puisse être compromis, donc incapable d’assurer sa mission de dissuasion.
Or, si un sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer a, admettons, 1 % de se faire détecter lors de sa patrouille par ces nouveaux moyens, un risque que l’on peut juger relativement faible, cela signifie également que la posture de dissuasion française, donc européenne, serait menacée 3,5 jours par an. Il suffirait à l’adversaire d’être un minimum patient, pour éliminer potentiellement ce risque.
Avec 2 navires à la mer, le risque que les deux navires soient, simultanément, compromis, ne représente plus que 0,01 % du temps, soit à peine 1 jour tous les trente ans. Le rapport au temps, ici, pour une crise qui se déroule sur plusieurs mois, voire une ou deux années, plaide effectivement, dans ce contexte, pour une flotte à 6 SNLE, plutôt que 4.
Au-delà de la flotte océanique stratégique, la posture de dissuasion française pourrait voir sa composante aérienne passer de 2 à 3 escadrons, et de doter à nouveau l’Armée de Terre de régiments dotés de missiles balistiques à courte portée et capacités nucléaires, pour répondre à la menace des Iskander-M russe.
Enfin, il conviendrait de permettre aux missiles de croisière navals, le MdCN et son futur remplaçant, de transporter, au besoin, une tête nucléaire, là encore, pour se doter de capacités en miroir de celles en service en Russie, et ainsi disposer d’un vocabulaire de dissuasion aussi fourni que peut l’être celui de Moscou.
Une nouvelle division blindée pour l’Armée de Terre
L’Armée de terre serait, en bien des domaines, celle qui bénéficierait le plus d’un passage à un effort de défens à 3 % PIB. Elle pourrait, ainsi, se doter d’une troisième division organique qui, pour le coup, serait conçue comme une division blindée, avec une brigade blindée de rupture, deux brigades d’infanterie mécanisée, et une brigade de soutien, soit une force de 40 000 hommes, 350 chars de combat, 700 véhicules de combat d’infanterie et blindés de combat et de reconnaissance, 1500 blindés multirôles Griffon et Serval, une centaine de tubes de 155 mm, autant de mortiers et de pièces de DCA mobiles, ainsi que quarante hélicoptères.
Conçue spécifiquement pour être employée en Europe orientale face à un adversaire symétrique, cette division pourrait être très majoritairement constituée de régiments de Garde nationaux, ou de conscrits choisis (ce qui sera abordé plus bas), pour répondre à un risque de très haute intensité, mais dont la probabilité demeure faible.
En outre, une brigade mécanisée supplémentaire, elle aussi composée majoritairement de gardes nationaux et de conscrits choisis, serait intégrée à chaque division existante, avec l’objectif de renforcer la masse de ces divisions, et surtout d’assurer les capacités de rotation des forces et des matériels, au niveau organique de la division, avec des forces déjà intégrées.
En procédant ainsi, la Force Opérationnelle Terrestre serait doublée, pour atteindre 150 000 hommes, mais verrait certains de ses moyens tripler, comme les chars de combat et l’artillerie. Certains nouveaux moyens pourraient également rejoindre les brigades de l’Armée de terre, comme, on peut l’espérer, dans le domaine de la défense antiaérienne et des drones.
Permanence du Groupe aéronaval et des flottilles d’action navale de la Marine nationale
La Marine nationale verrait sensiblement ses moyens augmenter, sans atteindre une évolution aussi importante que celle de l’Armée de Terre. Elle recevrait, ainsi, deux sous-marins nucléaires d’attaque supplémentaires, sans qu’il soit vraiment possible, cependant, d’aller au-delà, eu égard à la difficulté de créer des tranches nucléaires dans les équipages, d’autant que 2 SNLE supplémentaires ont été évoqués précédemment.
Pour renforcer la flotte sous-marine, face à la trentaine de sous-marins nucléaires russes, et autant de sous-marins conventionnels, celle-ci se verrait dotée d’une flottille de sous-marins conventionnels et/ou de drones sous-marins de grande taille. Ces navires devront assurer la protection des arsenaux, de la base sous-marine stratégique de l’ile-longue, et éventuellement de certains territoires ultramarins, et ainsi libérer la flotte de SNA de ces tâches.
La flotte de surface, elle, verrait ses capacités s’étendre, notamment avec l’entrée en service de deux porte-avions légers, des navires de 40 000 tonnes à propulsion conventionnelle, destinés à assurer la permanence opérationnelle du groupe aéronavale aux côtés du porte-avions nucléaire, sans avoir les couts de ce dernier, et ayant l’immense avantage de pouvoir être potentiellement exportés.
La flottille de frégates serait, elle aussi, étendue, avec deux frégates antiaériennes et cinq frégates anti-sous-marines supplémentaires, ainsi que 11 corvettes lourdes ou frégates légères, pour remplacer les frégates de surveillance et les frégates légères furtives. La flotte de patrouilleurs et d’OPV, elle, demeurerait inchangée.
Doublement de la chasse et de la défense antimissile de l’Armée de l’Air et de l’Espace
L’Armée de l’air et de l’Espace pourrait, enfin, retrouver un format suffisant pour s’engager dans un conflit de haute intensité, avec une douzaine d’escadrons de chasse tactique, en plus des trois escadrons de chasse stratégiques déjà abordés, soit 240 chasseurs tactiques pour un total de 300 avions de combat, contre 185 aujourd’hui.
Ces escadrons pourront, en outre, recevoir le futur drone de combat du Rafale F5, probablement 200 à 300 exemplaires, et plusieurs centaines de drones aéroportés légers Remote Carrier, pour disposer d’une importante capacité de suppression des défenses adverses.
La flotte de transport et de soutien, elle aussi, croitrait conséquemment, avec une flotte de transport amenée à 60 appareils contre 45, 25 avions ravitailleurs contre 15, et 6 avions Awacs contre 4. La flotte d’hélicoptères, notamment pour les missions SAR, évoluerait proportionnellement à la flotte de chasse.
La défense antiaérienne et antimissile pourrait être renforcée, notamment pour pouvoir, le cas échéant, mettre en œuvre un bouclier antimissile sur un large périmètre, alors que les défenses antiaériennes à courte et moyenne portée évolueraient proportionnellement aux besoins, c’est-à-dire à l’évolution de la menace, et du nombre de bases et de sites à protéger.
Enfin, dans le domaine spatial, l’AAE pourrait se voir doter de satellites de reconnaissance et de communication supplémentaires, tant pour en étendre la couverture que pour couvrir le risque d’attrition.
40 000 militaires d’active, 40 000 gardes nationaux et 80 000 conscrits sélectionnés supplémentaires, pour 28 Md€ de surinvestissements par an
la mise en œuvre de l’ensemble de ces évolutions, nécessiteraient un profond changement dans le format des armées. Celles-ci devront, en effet, recruter 40 000 militaires d’active supplémentaires pour atteindre les 250 000 hommes et femmes en 2035. Ces militaires formeront essentiellement les cadres des nouvelles unités, et capacités ainsi créées, en particulier au sein de l’Armée de terre, et permettront de renforcer certaines capacités exclusivement aux mains des militaires d’active, comme en matière de dissuasion.
L’essentiel de l’évolution du format, quant à lui, s’appuierait sur une nouvelle augmentation de la réserve opérationnelle, qui passerait des 80 000 visés par la LPM 2024-2030, à 120 000 Gardes nationaux en 2035, mais aussi par la mise en place, comme dans les pays scandinaves, d’une conscription obligatoire sélective, n’intégrant que 10 % d’une classe d’âge, soit 80 000 jeunes par an.
La mise en œuvre de ce format nécessiterait au minimum 10 ans, probablement 15, en particulier pour ne pas venir sur-dimensionner inutilement les capacités de l’industrie de défense française, et que son format de sortie, corresponde effectivement aux besoins de renouvellement des équipements des armées, et du marché international potentiellement adressable.
En matière de surcouts, étalés sur 10 ans, les couts d’acquisition des équipements représentent entre 16 et 18 Md€ annuels linéarisées, les couts de maintenance et d’entrainement 5 à 6 Md€ à termes, et les surcouts concernant les ressources humaines, 7 à 9 Md€, pour un total de 28 Md€ (en euro 2024), à 35 Md€ (en euro 2035 probables), soit dans le périmètre budgétaire libéré par le passage à un effort de défense à 3 % PIB.
Des défis difficiles à relever pour atteindre ces objectifs
On le voit, passer à un effort de défense à 3 % PIB, induirait une évolution de format très sensible des armées françaises, avec parfois des capacités multipliées par deux, comme dans le cas de la FOT, de la flotte de chasse, ou du potentiel aéronaval.
Pour autant, la mise en œuvre d’un tel objectif, se heurte à de nombreuses difficultés et obstacles, qui ne peuvent être ignorés, et qui sont loin d’avoir des solutions évidentes.
L’écueil des ressources humaines et le retour à une conscription obligatoire sélective
Le premier, et certainement le plus important, n’est autre que les grandes difficultés que rencontrent les armées, aujourd’hui, pour attirer des candidats satisfaisants, pour armer l’ensemble des postes disponibles, alors que le format est restreint. Dans ce contexte, comment imaginer pouvoir recruter les 40 000 militaires d’actives, et les plus de 100 000 réservistes d’active indispensables à la mise en place du nouveau format ?
L’obstacle est, certes, de taille, mais il n’est pas sans solution. En premier lieu, le passage à 3 % PIB libère davantage de crédits qu’employés par le changement de format. Les crédits supplémentaires, de l’ordre de 3 Md€/an, peuvent être employés pour accroitre l’attractivité de la fonction militaire.
En second lieu, une telle transformation des armées françaises, et les acquisitions de matériels qui seront annoncées, engendreront une attractivité renforcée de la fonction militaire, mais aussi de nombreuses occasions de communiquer sur l’évolution du risque international, et la nécessité de participer à l’effort de défense. Ce type de message, dans ce type de contexte, a souvent fait émerger de nombreuses vocations par le passé.
Enfin, l’hypothèse retenue, ici, est de s’appuyer sur un retour à la conscription, une mesure probablement indispensable pour répondre aux enjeux. Cependant, il ne s’agirait pas de remettre en œuvre le service militaire tel qu’il était connu, en France, par le passé, mais de s’appuyer sur un service militaire obligatoire, mais sélectif, comme mis en oeuvre, avec succès, dans les pays scandinaves depuis plusieurs années.
Associés à une image sélective extrêmement valorisante pour la future vie professionnelle, les conscrits sélectionnés ne viendraient pas, ainsi, saturer les infrastructures des armées, qui pourront faire évoluer le nombre de conscrits à leurs infrastructures disponibles et besoins existants. En outre, les armées sélectionnant les candidats, les difficultés rencontrés par le Service militaire par le passé, en matière d’encadrement, seraient largement diminuées.
Enfin, le service militaire sélectif, a le potentiel de créer une base très efficace pour améliorer le recrutement des armées, et de la Garde Nationale, permettant d’atteindre bien plus aisément les objectifs préalablement établis dans ces deux domaines.
La transformation de l’outil industriel de défense et le défi de la Supply Chain
Le second défi majeur à relever, pour parvenir à mettre en œuvre une évolution aussi importante, concerne la transformation de l’outil industriel de défense, qui va devoir livrer, sur une période relativement courte, un nombre très élevé d’équipements parfois très complexes, et nécessitant des infrastructures industrielles rares et très onéreuses, ainsi qu’une main d’œuvre qualifiée, tout aussi rare, et tout aussi onéreuse.
Dans le même temps, cette transformation de l’outil industriel, doit aussi se faire de manière raisonnée, afin que l’outil résultant, en sortie de cette phase de croissance rapide, puisse être maintenu en activité, par l’action conjuguée du renouvellement des équipements des armées françaises, ainsi que les commandes à l’exportation.
Enfin, cette évolution raisonnée et contrôlée de l’outil industriel, doit concerner aussi bien les grands groupes de la BITD, tels Nexter, Thales, Dassault ou Naval Group, que l’ensemble de la Supply Chain. Or, si ces grands groupes ne rencontreront certainement aucune difficulté pour financer leur croissance, ce n’est pas le cas de cette Supply Chain, que l’on sait être sévèrement handicapée, aujourd’hui, par le manque de soutien du secteur bancaire.
Pour donner à corps à cet objectif, il sera donc indispensable de résoudre le problème d’accès au crédit des ETI et PME de la BITD auprès du réseau bancaire national, probablement par des voix légales et avec la mise en place d’un système de garantie d’état, sous couvert d’une grande cause nationale.
Comment financer l’effort de défense face à la dette et aux déficits ?
Reste, évidemment, l’écueil du financement qu’une telle augmentation du budget des armées, ne manquera pas de faire émerger, face à la situation socio-économique du pays, et en particulier concernant sa dette souveraine, et son déficit public.
Pour autant, en tant que lecteur assidu de Meta-Defense, vous savez que plusieurs solutions peuvent être envisagées, pour que le « Quoiqu’il en coute Défense« , que le passage de l’effort de défense à 3 % entrainerait, ne se solde pas, comme pour le Covid, par l’explosion de la dette et des déficits.
Le principe de la « Défense à Valorisation Positive« , permettrait déjà de sensiblement diminuer le poids budgétaire de cette hausse des investissements engendrerait sur les finances publiques. Il s’agit, ni plus ni moins, que de tenir compte des recettes sociales et fiscales, mais également des économies sociales, que l’augmentation des dépenses d’état va engendrer, par la création d’emplois directs, indirects et induits, dans les armées, la BITD, la Supply Chain et la société civile.
Selon les démonstrations déjà effectuées, ce montant atteint et dépasse les 50 % des sommes investies dans l’industrie de défense, et 30 % concernant les dépenses d’effectifs. En tenant compte de la hausse probable des exportations d’équipements de défense français, consécutives de la hausse des commandes françaises et des capacités industrielles disponibles, le retour budgétaire d’état sur l’investissement industriel peut atteindre, et même dépasser, les 75 %, et venir flirter avec les 100 %, si l’on considère les économies sociales conséquences de la création d’emplois dans la BITD.
Le second axe pour réduire les effets de cette hausse des investissements défense français, sur la dette souveraine et les déficits sociaux, repose sur l’intervention de l’Union européenne sur son propre périmètre. Il serait possible, de cette manière, de sortir du déficit de calcul, la différence d’investissement entre les 2 % visés par la LPM, et les 3 % évoqués ici, du fait du rôle que les armées françaises auraient concernant la sécurité européenne, notamment en termes de dissuasion.
Conclusion
Nous voilà au terme de cette longue analyse. Il apparait, comme évoqué, que si la France a bien connu un effort de défense de 3 % de son PIB, voire davantage, par le passé, la justification de la soutenabilité d’un tel effort, par cette seule référence historique, est bien insuffisante, tant les différences sont nombreuses concernant l’ensemble des données économiques et sociales entre les deux époques.
En revanche, les Armées françaises pourraient, effectivement, avoir un format et des capacités opérationnelles, donc dissuasives, bien plus importantes, y compris proportionnellement parlant, en passant de 2 à 3 % d’effort de défense, alors que l’ensemble des défaillances constatées aujourd’hui, les concernant, y trouveraient leurs solutions.
Pour y parvenir, il sera cependant nécessaire de relever de très nombreux défis, particulièrement complexes. Non que la tâche soit impossible, d’ailleurs. Il existe, en effet, des solutions efficaces tant pour répondre aux difficultés de recrutement, que pour financer la mesure sans creuser les déficits, et pour accompagner l’indispensable changement de format de la BITD.
De fait, amener l’effort de défense français à 3 % du PIB est, effectivement, possible, et certainement plus que souhaitable. Mais il faudra bien plus qu’une simple conviction, exprimée avec passion, pour y parvenir. Comme c’est souvent le cas pour les questions de défense.
Article du 15 février en version intégrale jusqu’au 2 aout 2024.