L’opération Sentinelle, un paratonnerre inadapté contre le terrorisme ?
Mise en place au lendemain des attentats de janvier 2015, Sentinelle est destinée à la lutte antiterroriste. Les patrouilles sont régulièrement attaquées.
Un soldat de l’opération Sentinelle a été légèrement blessé gare de l’Est, lundi 15 juillet vers 22 heures. Son assaillant, un homme connu de la justice pour un meurtre commis en 2018, a été interpellé, avant d’être interné en psychiatrie. Cette attaque survient à moins de deux semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et met en avant le rôle clé des militaires dans le dispositif de sécurité. Car aux 35 000 forces de l’ordre déployées, il faut ajouter 15 000 militaires, dont 11 000 rien que dans la région parisienne.
Tous effectuent des patrouilles dans les rues, gares et aéroports de France dans le cadre de l’opération Sentinelle. Déclenchée au lendemain des attentats de janvier 2015, sa première mission est la lutte antiterroriste. Depuis cette date, son utilité est souvent pointée du doigt. Lors des attentats de novembre 2015, une des patrouilles avait monté des barricades improvisées près des terrasses, quand une autre avait refusé d’appuyer les premiers policiers entrés dans le Bataclan.
Sentinelle visée par six attaques terroristes
Entre 2015 et 2018, les patrouilles Sentinelle ont été visées par six attaques de nature terroriste, faisant neuf blessés parmi les militaires. En février 2017, c’est dans le carrousel du Louvre qu’un Égyptien attaque quatre soldats au couteau. Ils répliquent et le blessent grièvement. Scénario quasi similaire en mars de la même année dans le Hall 1 de l’aéroport d’Orly. Un homme tente d’arracher l’arme d’une militaire avant de se faire abattre. Tous deux se revendiquaient de l’islam radical.
L’action des militaires de Sentinelle se révèle parfois décisive comme en octobre 2017 quand, sur le parvis de la gare Saint-Charles de Marseille, ils abattent un homme qui vient de poignarder deux jeunes femmes. En décembre 2018 à Strasbourg, ils tirent et blessent au bras l’individu qui a tué cinq personnes lors du traditionnel marché de Noël.
Depuis la fin territoriale de l’État islamique en 2019, la menace terroriste islamiste est devenue endogène, signant la fin des opérations type Bataclan et mettant en avant le passage à l’acte d’un seul individu faiblement armé. Les effectifs de Sentinelle étaient descendus à 3 000 hommes. Dans un rapport de 2022, la Cour des comptes estimait le coût de Sentinelle à deux milliards d’euros entre 2015 et 2020. « Les armées, telles qu’utilisées aujourd’hui, ne semblent être complémentaires des forces de sécurité intérieure qu’en termes essentiellement quantitatifs », ajoutait la juridiction financière. Problème, « l’addiction des autorités et forces de sécurité intérieure à la force Sentinelle constitue une évidence », selon un rapport de l’inspecteur des Armées en 2021.
« Une mission de police, sans le pouvoir de police »
Sans pouvoir de police, les patrouilles doivent être accompagnées d’un Officier de police judiciaire (OPJ) pour effectuer des fouilles ou des interpellations. Un officier de l’armée expliquait il y a quelques semaines au Point que les patrouilles sans OPJ étaient de plus en plus fréquentes. « Je dois envoyer mes hommes assurer une mission de police, sans le pouvoir de police », regrettait-il. « Les patrouilles se font toujours dans le cadre légal de Sentinelle, pourtant la mission n’est plus l’antiterrorisme, c’est de la sécurité sur la voie publique », ajoutait-il, amer.
Sentinelle a également été déployée en 2020 aux frontières pour lutter contre l’immigration illégale et clandestine. « Ces opérations placent les détachements Sentinelle dans des postures interministérielles inconfortables, souvent mal anticipées, proches d’un rôle de supplétifs. Elles les exposent [y compris au risque réputationnel] et surtout dévalorisent le niveau d’exigence professionnelle requis pour l’exécution des missions militaires », pointait l’inspecteur des Armées. Nul doute qu’en période de crise budgétaire, l’arrêt de Sentinelle sera remis sur la table après la fin de la séquence des Jeux. Reste à voir qui prendra la décision politique de faire disparaître le vert au profit du bleu dans les villes.