Les militaires autorisés à se présenter aux élections municipales ? La « Grande Muette » de moins en moins muette
Par Romain Herreros Huffington Post – 20/03/2018
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La loi de programmation militaire qui arrive ce mardi au Parlement autorise les militaires à exercer un mandat politique.
Benoit Tessier / Reuters – Des troupes déployées au sein de l’opération Sangaris sur les Champs-Élysées le 14 juillet 2016.
POLITIQUE – Si la Loi de Programmation militaire est surtout commentée à l’aune des milliards d’euros dépensés au service des « ambitions stratégiques » de la France, celle-ci couvre également le champ de la vie quotidienne des soldats. Et le texte porté par Florence Parly qui arrive ce mardi 20 mars à l’Assemblée nationale marque une petite révolution en la matière.
Dans le chapitre consacré aux « droits politiques des militaires », l’article numéro 18 du projet de loi autorise les soldats à figurer sur des listes électorales lors des élections municipales dans les communes de moins de 3.500 habitants, lesquelles représentent « 92% des communes et 33% de la population française ».
Comme le note RFI, un amendement a été adopté pour augmenter cette limite au seuil de 9.000 habitants. Dans le détail, le projet de loi « tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel ayant jugé non conforme à la Constitution l’incompatibilité générale entre le statut de militaire en service et l’exercice d’un mandat municipal ».
Jusque-là, et conformément à l’article L4121-3 du Code de la défense, les militaires qui voulaient se présenter à des élections municipales devaient se placer en statut de « détachement », renonçant à cette occasion à leur solde. Ce qui avait tendance à démotiver les concernés, la rémunération des conseillers municipaux dans les petites communes étant soit inexistante, soit dérisoire.
« Le militaire a disparu de l’espace public »
Pour comprendre comment le militaire, qui est un citoyen comme les autres, s’est vu priver de son droit à s’investir dans la vie publique, il faut remonter aux débuts de la IIIe République. « Entre 1871 et 1873, il y avait des militaires, exclusivement des officiers, à l’Assemblée nationale« , rappelle Jean-Charles Jauffret, professeur d’histoire militaire à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Mais en 1873, en raison de la défiance des républicains envers l’armée, les officiers et les conscrits ont été privés de droit de vote.
C’est de cette époque que vient le surnom la « Grande muette« , même si certains officiers prenaient encore part aux affaires du pays, à l’image du général Ernest Courtot de Cissey. À partir de cette date, le militaire « a progressivement disparu de l’espace public », note le colonel Michel Goya.
« La neutralisation est née d’une méfiance politique liée à la possibilité d’un coup d’État militaire. Avec le temps, la stérilisation politique des militaires s’est accentuée, notamment sous la Ve République. La centralisation de la chose militaire autour du chef de l’État, le putsch des généraux en 1961 puis la professionnalisation des militaires ont accentué la séparation entre le domaine public et son armée« , poursuit l’ex-officier.
De fait, les militaires constituent la dernière catégorie de Français à avoir obtenu le droit de vote, en 1945, un an après les femmes. « Ironiquement, le général de Gaulle était chef de l’État en 1944 et ce, sans jamais avoir voté de sa vie« , remarque Michel Goya.
Outre cette défiance entre civils et militaires, et le nécessaire « devoir de réserve », s’ajoute un principe « d’impartialité » auquel sont astreints les soldats, explique André Rakoto, directeur du service départemental de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre à Paris. « Ils ne peuvent exprimer publiquement leurs idées politiques, parce que leur mission est de garantir la sécurité de tous les Français. C’est essentiel« , note-t-il.
L’armée de moins en moins muette
L’article 18 de la Loi de Programmation offre donc aux militaires la possibilité d’un retour (aussi limité soit-il) aux affaires publiques. Ce qui est une bonne chose pour Jean-Charles Jauffret. « Les militaires font intégralement partie de la vie de la cité, il n’y a aucune raison qu’ils soient exclus de la vie citoyenne« , estime l’historien, expliquant que les soldats « confinés des années dans leur rôle d’exécutants » ont vocation à l’avenir à devenir « des fonctionnaires en uniforme » avec exactement les mêmes droits.
Si le colonel Michel Goya juge que cette évolution législative est une « bonne nouvelle« , il émet néanmoins quelques réserves, considérant que la « vie nomade » des militaires s’accommode peu de l’enracinement qui précède un engagement politique local. « Un officier reste deux-trois ans en garnison maximum… Difficile dans ces conditions de s’engager localement« , note-t-il.
Cité par RFI, le général Delochre dresse un constat similaire, dans la mesure où, selon la LPM, le militaire élu devra quand même donner la priorité à ses missions. « C’est difficilement compatible avec la vie opérationnelle. Quand on arrive dans un petit village, il faut du temps pour se faire admettre« .
Pour autant, et en dépit des difficultés liées au statut, s’observe progressivement un retour des militaires dans le débat public. Lors des dernières élections législatives, plusieurs officiers se sont portés candidats, à l’image du colonel Luc Laîné dans le Var ou du général Bernard Soubelet dans les Hauts-de-Seine.
Par ailleurs, les représentants du monde militaire s’expriment de plus en plus librement. Illustration récemment avec Servir, le livre du général de Villiers, ex-chef d’État major des armées, dans lequel il revient sur sa démission fracassante du mois de juillet.