Modèle d’armées 2030, et si nous nous étions trompés ? Second volet : Une loi à hauteur d’homme ?

Modèle d’armées 2030, et si nous nous étions trompés ? Second volet : Une loi à hauteur d’homme ?

Par Roland Pietrini – Athéna Défense – 08/04/2018

athena-vostok.com/modele-darmees-2030-et-si-nous-nous-etions-trompes-second-volet-une-loi-a-hauteur-dhomme?trck=notif-12426157-1364174-12yWm

Sans que les médias s’en emparent, la loi de programmation a été votée sans surprise par une large majorité de députés qui, pour la plupart,  se savent incompétents pour en juger,  ce qui est une caractéristique de notre système politique à large majorité. Ils  ont suivi les propositions faites par la ministre de la défense, qui, elle-même, a suivi celles de ses conseillers, sous la haute autorité d’un président Imperator.

J’en recommande la lecture (133 pages, tout de même) toute en tenant compte du fait que le projet de loi n’a pas pour vocation de se prononcer sur la  justesse des choix, mais d’inscrire dans ses préliminaires une stratégie pour la France.  La stratégie, comme chacun le sait,  est l’art de  faire la guerre intelligemment et la tactique celle de la perdre.  La loi  est donc censée  d’écrire « les objectifs de la politique de défense et la programmation financière qui lui est associée pour la période 2019-2025 ainsi que les conditions de leur contrôle par le Parlement » Or,  cette loi se projette plutôt à l’horizon 2030, ce qui pour le moins, consiste à  reporter à une douzaine d’année  un modèle d’Armées virtuel, en souhaitant que face aux menaces grandissantes et multidirectionnelles,  nos Armées possèderont  réellement les moyens de leurs actions. Dans l’attente, il faudra tenir.

Ce qu’il faut en retenir est que les crédits de paiement seront en augmentation constante de 35,9 milliards en 2019 à 44 milliards en 2023, sauf que « les crédits budgétaires pour 2024 et 2025 seront précisés à la suite d’arbitrages complémentaires dans le cadre des actualisations prévues à l’article 6, prenant en compte la situation macroéconomique à la date de l’actualisation ainsi que l’objectif de porter l’effort national de défense à 2 % du produit intérieur brut en 2025. »   Ce qui veut dire, si l’on devait en résumer la substantifique moelle, que ce qui est certain c’est l’incertitude d’une loi qui reporte à la fois l’effort à la fin du quinquennat et à condition que les conditions économiques le permettent. 

Ce qui change d’avec les précédentes lois, c’est qu’on annonce à l’avance que l’objectif est celui d’une volonté mais que la perspective de l’atteindre dépendra du futur. (Relisez deux fois ma phrase, elle est aussi incertaine que la loi qu’elle veut résumer)

Il en est ainsi pour les effectifs :  ceux-ci augmenteront de 2019 à 2023, mais de moitié, c’est à dire de 1500 et de 3000 en 2 ans en 2024 et 2025 (soit sous une autre législative). Ce qui fera passer les effectifs du ministère des armées de 271 936 équivalents temps plein en 2023 à 274 936 équivalents temps plein en 2025, c’est-à-dire de 6000 ! Ce qui dans l’art de présenter les choses est plutôt du charabia, à moins que ce ne soit un exemple parfait du comment on fait pour rendre les mathématiques accessibles à une élite.

C’est le rapport annexé qui est le plus intéressant, car les mots y sont pesés : « face à la dégradation du contexte géostratégique décrite dans la Revue stratégique, cette dernière préconise le maintien d’un modèle d’armée complet et équilibré, en mesure de renforcer des aptitudes clés : renseigner et commander, entrer en premier, combattre et protéger, soutenir et durer »

Si, en effet, il apparait que le renseignement et le commandement font l’objet d’efforts particuliers, dont personne ne peut d’ailleurs en mesurer l’efficacité, il est légitime de se poser la question de savoir si les moyens prévus sont suffisants pour les fonctions « d’entrer en premier », de « combattre et protéger » et surtout de « soutenir et de durer ». Car, les Armées, je cite la loi « devront être en mesure de le faire de manière soutenable dans la durée, c’est-à-dire en maintenant un niveau d’engagement conforme aux contrats opérationnels qui leur sont fixés, sans dégrader leur capital opérationnel à la fois en termes de ressources humaines et de matériels »,

Lorsque l’on connait l’état de nos moyens et le secret qui entoure nos réserves stratégiques, combien de chars en réserve, combien de pièces d’artillerie, quid de nos stocks de munitions ?  On ne peut que douter de nos capacités de résilience, nos Armées doivent être capables, et en même temps,  je cite : « d’assurer en permanence la défense et la protection du territoire national et de ses approches, (et)  tout en étant en mesure de se déployer en opérations extérieures pour défendre les intérêts nationaux et les ressortissants, assumer les accords de défense, les engagements et les responsabilités internationales de la France, notamment celles qui découlent de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations-Unies ».

Si on en demandait autant à la SNCF dans son domaine d’emploi, alors les conditions seraient réunies pour une grève perlée de longue durée…

Pour assumer cette exigence, l’Europe de la défense est de nouveau sortie du chapeau, une Europe de la défense qui serait ainsi la solution palliative de nos déficiences avec « une France (qui)  soutiendra le développement de coopérations opérationnelles pragmatiques et maîtrisées, qui permettront de dynamiser la relation avec nos partenaires les plus capables militairement et de renforcer notre interopérabilité dans l’ensemble des scénarios d’engagement de nos forces ».

Il faut simplement noter qu’à l’exception de la Belgique qui a opté pour le système Scorpion, aucun état européen n’a acheté le Rafale, mais lui a préféré soit l’Eurofighter, concurrent de celui-ci, soit le F16 puis le F35 américains. Que dire des Marines européennes dont les frégates ou équivalents destroyers sont toutes de modèles différents (à l’exception des Fremm franco-italienne, dont on connait la saga). Pire encore, la Grande-Bretagne a opté pour des porte-avions (dont l’un est sans équipage) de type stobar et non catobar, ce qui a été fait pour éliminer dès l’étape de la conception le Rafale Marine et de favoriser le  Lockheed Martin F-35 Lightning II. Sans parler de la Pologne et des ex-pays de l’est qui tous se sont tournés vers les Etats-Unis et l’Otan pour leur défense.

L’Europe de la défense est un leurre, chacun le sait, mais les politiques qui nous gouvernent font semblant d’y croire afin de cacher nos obsolescences et nos déficits capacitaires. Si l’Europe avait misé sur une coopération sincère et équilibrée, nous aurions aujourd’hui des moyens militaires suffisants pour assurer notre sécurité de manière indépendante, ce qui n’est pas le cas.

Lire la suite : 

https://www.athena-vostok.com/modele-darmees-2030-et-si-nous-nous-etions-trompes-second-volet-une-loi-a-hauteur-dhomme?trck=notif-12426157-1364174-12yWm