L’artillerie française – En opérations aujourd’hui, avec le 11è RAMa 1/3
Le colonel Coquet, encore chef de corps du 11ème régiment d’Artillerie de Marine (Saint-Aubin-du-Cormier) pour quelques jours, a récemment présenté l’action menée en Irak par le Groupement Tactique d’Artillerie (GTA) de l’Orient. Composée notamment d’artilleurs de Marine, appelés bigors, cette unité ad hoc d’environ 150 personnes, également connue sous le nom de Task Force Wagram, a appuyé du 7 février au 27 juin 2017 de ses 4 canons automoteurs légers à roues de calibre 155 mm type Caesar la reprise de la partie Ouest de Mossoul. Ces opérations ont été menées en appui des forces partenaires, notamment irakiennes, dans le cadre de l’opération Chammal, volet français d’Inherent Resolve menée en coalition pour défaire l’organisation État Islamique (EI) en Irak et Syrie et favoriser autant que possible les conditions permettant d’accroître la stabilité régionale.
Ce déploiement du régiment d’artillerie de la 9ème brigade d’Infanterie de Marine (BIMa), rupture dans la continuité de l’approche indirecte qui prévalait jusque-là au Levant, était le 2nd mandat de la TF Wagram, après celui du 68ème régiment d’Artillerie d’Afrique (RAA), débuté en septembre 2016, pour appuyer la reprise de Mossoul-Est. Le 35ème régiment d’Artillerie parachutiste (RAP), le dernier régiment d’artillerie de spécialité « feux dans la profondeur » (FDP) opérant des moyens comme le Caesar (capacités sol-sol donc, et donc non spécialisé en lutte antiaérienne, drones, cartographie, etc.) pas encore passé par l’Irak, est au Levant depuis quelques jours (dans un format un peu différent par rapport au GTA de l’Orient, nous y reviendrons). Il relève le GTA de Marine (TF Wagram mandat 5) autour du 3ème régiment d’Artillerie de Marine (RAMa), qui relevait le 40ème RA de Suippes, GTA Igman, relevant lui-même les artilleurs de montagne du 93ème RAM.A l’échelle de l’histoire militaire française des 20 dernières années, ce déploiement est assez unique, pour plusieurs raisons. Les moyens artillerie se trouvent déployés dans une unité propre (d’où GTA et non « GTIA à dominante artillerie« ), au sein d’une coalition avec des procédures bien spécifiques, au contact de nouvelles manières de procéder ou de manières peu employées jusque-là. Le GTA a opéré de plus avec une intensité rarement vue depuis les opérations dans le Golfe en 1991, le 11ème RAMa y étant également engagé ,au sein de la Division Daguet, et réalisant alors avec 18 canons un nombre quasi similaire de missions par rapport à celles menées en 2017… mais là avec seulement 4 canons. Et cela face à un ennemi décrit comme « disparate, mais complet (avec des vraies capacités de guerre électronique, blindés, moyens NRBC pour du chimique, etc.), cohérent et avec un commandement centralisé. En somme le plus symétrique rencontré depuis longtemps« . Par ces caractéristiques, cette opération marque le présent de l’artillerie française et éclaire en partie son futur. Sans revenir point par point (comme cela est fait dans ce dossier particulièrement complet) sur les 5 mois d’un mandat de « haute intensité » (quasi 900 missions de tirs, environ 5.000 obus tirés, seulement 9 journées sans tir sur 137 jours de bataille aux postes de combat), quels enseignements en retenir ? En s’appuyant, notamment mais pas seulement, sur ce riche témoignage.
Une mission simple…
La mission, comme décrite au chef de corps par le niveau stratégique, le CPCO, avant son départ était claire : « détruire l’ennemi« , en ouvrant la porte à la coalition pour la reprise de l’Ouest de Mossoul, et en assurant la couverture plus à l’Ouest. Après une phase de régénération de 1 mois des forces irakiennes, l’assaut sur cette seconde moitié de la ville était lancé le 19 février, soit tout juste 1 semaine après le changement d’autorité entre le mandat descendant (du 68ème RAA) et le mandat montant. Le plan d’opérations (OPLAN) était défini par les militaires américains, proposé aux irakiens… qui en faisaient ensuite ce qu’ils en voulaient et pouvaient… (devant notamment négocier chaque mouvement avec les échelons subalternes, selon le style de commandement local). Pour les militaires français, il s’agit d’être nuit et jour, 7 jours sur 7, en alerte à 15 minutes. Avec des tirs qui partaient plus généralement en 7-10 minutes en moyenne, une fois les positions de tirs atteintes et la mise en batterie (en moins d’une minute) effectuée.
L’agglomération de Mossoul est relativement comparable à Paris avec 1,8 millions d’habitants, une superficie de 17 km sur 17 km, 200.000 structures au début des opérations, 3.000 km de routes, 60 km² de terrain, le tout valorisé depuis des mois par l’adversaire. Il y est difficile d’y différencier les amis des ennemis, les civils des miliciens, l’adversaire jouant évidemment de cette difficulté. La population de Mossoul, craignant des représailles chiites (notamment des milices situées au voisinage), est présenté comme n’ayant pas la volonté de sortir de la ville, d’autant plus que l’organisation EI menaçait de tirer sur ceux qui tentaient de fuir. En conséquence, un nombre important d’habitants est resté, l’organisation État Islamique n’hésitant pas à les utiliser en boucliers humains, les tassant dans les immeubles, minant les sorties, tirant depuis les toits pour attirer l’attention, en espérant des tirs de riposte de la part des militaires irakiens, qui pour certains arrivaient…
Selon le patron de la TF, l’organisation EI a montré une forte capacité d’adaptation : efforts sur les limites de fuseaux entre les unités amies, attaques sur les arrières, utilisation des 3 dimensions (dont le sous-sol), ciblage des capacités de commandement adverses et des capacités critiques (tireurs d’élite, démineurs, secouristes, etc.), bascules d’efforts et capacités de manœuvre, innovation avec les drones en essaim (jusqu’à des meutes de 12 appareils d’un coup), capacités artillerie réelles (comme des mortiers et des canons type 122 mm D30 bien servis, notamment par des vétérans du Caucase), etc. Le centre de gravité pour l’EI était clairement l’Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS), formé en parallèle notamment par d’autres militaires français, que l’EI souhaitait détruire pour faire stopper l’attaque. Durant le mandat, les pertes irakiennes – tués ou blessés – enregistrées seront de 6.000, notamment du fait d’une faiblesse des forces irakiennes en secourisme de combat. Soit l’équivalent en volume d’une brigade interarmes (BIA) française… La cohésion des forces partenaires (irakiennes et autres) était d’ailleurs définie comme le centre de gravité ami, à préserver.
… tout en exécution…
Le GTA, autour de la 1ère batterie (Les Pumas), de la batterie de commandement et de logistique et de l’état-major tactique du 11ème RAMA, était placé auprès de la 2nd BCT (Brigade Combat Team) de la 82nd Airborne Division, qui conseille et appuie les unités locales, avec des équipes de conseillers à différents niveaux, jusqu’au niveau brigade, mais aussi avec des moyens organiques (artillerie, génie, renseignement, etc.). Le retour d’expérience par le patron de la 2ème BCT, le colonel Patrick Work, est d’ailleurs riche d’enseignements (passer du « Advise and Assist » au « Advise, Assist, Accompany, Assure, Anticipate & Agility« , ou en vidéo). Ainsi, à chaque relance d’offensive, les militaires irakiens ont réclamé des feux massifs de la coalition, entre effets directs mais aussi indirects (en termes de confiance et de forces morales).
Au début du mandat, le GTA était éclaté en plusieurs sites. Une partie était placée au Nord de Mossoul, à 10 km en retrait de la Kurdish Defense Line (elle-même à 5 km de Mossoul), une butte en terre qui courrait sur plusieurs centaines de kilomètres avec des postes de combat merlonnés quasi tous les 100 mètres. Elle marquait l’avancée maximale des unités kurdes qui avaient ordre de ne pas rentrer ni même s’approcher de la ville. Pour l’autre partie, une autre section de tirs à 2 pièces, au Sud de Mossoul (sur la base Q-West, à Qayyarah, qui avait servi de point d’appui pour les opérations de reprise de l’Est de Mossoul). Rapidement, au bout d’un mois, les opérations (dans la région d’Hawija plus au Sud, le long de l’Euphrate, ou au Nord de cette position vers Mossoul) sont hors de portée des canons de Q-West, et les 2 sections de tir sont rassemblées au Nord de la ville, sur la base FOB Fil Fayl. Ce vaste mouvement de bascule d’effort (qui a nécessité deux convois, 40 containers TC 20, 20 porte-chars, appuyés pour le transbordement des moyens locaux de la société américaine KBR) dans un temps contraint (3 jours jusqu’à Erbil puis vers la positon dite Tactical assembly area (TAA) de Fil Fayl) est permis notamment par la mobilité des canons Caesar sur roues, tandis que le reste du personnel était déplacé par hélicoptères de manœuvre américains type Chinook.
La batterie de tir étant placée derrière la KDL, il n’y avait que peu de menaces directes durant ce mandat. Ainsi, une seule infiltration commando ennemie est détectée, les Américains s’occupant en grande partie de la protection des approches (en plus d’un élément de défense approchée aussi fourni par la TF Wagram). Les Américains fournissaient également les moyens de lutte anti-drones (LAD) et de contre-batterie (notamment les radars et la partie commandement). Quant aux obus NRBC, ils furent lancés à Mossoul, et non sur les bases extérieures. Mais au cas où, et pour le maintien des compétences révisées lors de la phase de mise en condition avant projection (MCP), de nombreux exercices de lutte anti NRBC furent menés, grâce à une équipe dédiée de reconnaissance et d’évaluation (ERE) et un module de décontamination issus du 2ème régiment de Dragons.
Forte de 54 hommes, la 1ère batterie s’est articulée pour assurer une permanence des feux 24/7 durant les cinq mois. Un poste de commandement de batterie était chargé du commandement, du suivi logistique, de la liaison avec le commandement américain de la FOB et surtout du calcul des éléments de tir à transmettre aux équipes de pièces. Une section à quatre pièces, un groupe de munitions et une équipe de défense rapprochée était en alerte en permanence. Le GTA disposait de moyens en propre, pour la communication (intra-théâtre et vers Paris, via liaisons satellitaires) avec des radios, des satellitaires et des informaticiens, moyens santé, NRBC, etc. via un détachement de soutien adapté (DETSOUT) au plus près (provenant de 11 régiments différents : mécaniciens, transmetteurs, munitionnaires, électriciens, NRBC, etc.), au sein d’un élément de soutien national (ESN) plus large, qui faisait aussi TC2 (Train de Combat n°2) pour la logistique (un convoi par semaine) depuis Erbil. L’aéroport de cette ville était la portée d’entrée logistique du théâtre, avec une capacité de réception théorique moyenne de 800 obus par jour, via Antonov 124 qui effectuait des rotations à intervalles réguliers. Le patron de l’ESN était en charge de toute la manœuvre logistique, et participant à la préparation de la manœuvre future (notamment les mouvements ou prévoir les consommations de munitions… pas moins de 10 semaines à l’avance). Le poste de commandement avancé américain (dit CJOC-E pour Combined Joint Operations Center – Erbil), de la Task Force Falcon, était situé également à Erbil (là où était situé le patron du GTA). Comme lien de commandement, il avait le TACON (Tactical Control) sur la TF Wagram (donc l’obligation de les insérer dans leurs convois, de leur assurer le même niveau de protection que les éléments américains, etc.). Enfin le niveau de la division était à Bagdad. Des officiers de liaison étaient à différents niveaux pour faciliter la coordination et la remontée d’informations.
Des procédés conformes, mais rarement utilisés jusque là
Au sein de l’opération Eagle Strike de reprise de Mossoul, le mandat se déroulera en 4 phases, le 1er temps ayant lieu du 19 février au 9 mars, avec le lancement de l’offensive sur la partie Ouest, et une préparation d’artillerie massive (1 roquette des M142 High Mobility Artillery Rocket System (HIMARS) tous les 10 mètres sur les postes de commandement de l’EI autour de l’aéroport, ou 43 obus tirés par les Caesar situés au Sud en une nuit). Puis des actions d’appui au contact (obus fumigènes ou éclairants, manœuvres d’interdiction, réduction de résistance isolée ou RRI, etc.), et d’action dans la profondeur (destruction de points d’appui, etc.). Les moyens placés au Nord appuient alors l’action de la 9ème division blindée irakienne, notamment face à un ennemi en défensive où les Français, avec la portée de leurs canons (de 10 à 20 km plus importante que les obusiers tractés M777 américains), sont les seuls à être à portée de tir. Il s’agit de gêner les mouvements de l’ennemi et les tentatives de franchissement du Tigre, ou des missions d’interdiction et de destruction contre des positions.
Pour se faire, le GTA a à disposition en permanence un drone américain dans la zone située au Nord-Ouest de la ville. Les tirs conduiront à la destruction d’une katiba (compagnie) ennemie d’une centaine de combattants (et la destruction d’un canon D30 de 122 mm dans les premiers jours, via 24 obus envoyés sur sa position). En plus du drone (généralement un MALE armé de l’USAF ou des forces spéciales), la remontée d’informations se fait aussi par les équipes d’observateurs des forces spéciales (non françaises, ces dernières n’étant pas dans ce coin-là), belges, canadiennes ou encore finlandaises. Dès les premiers jours, une complémentarité forte entre drones et artillerie est observée, nous y reviendrons. Il s’agit alors de fermer la poche de Badush, et reprendre cette localité à l’Ouest de Mossoul pour empêcher l’arrivée de renforts en provenance de la région de l’Anbar, encore tenue par l’EI, voir même de Syrie. Cette phase fût l’occasion de mettre en œuvre des tirs, bien que conformes aux manuels, particulièrement rares : tenir une barrière de fumigènes de 1,5 km de long pendant 45 minutes pour protéger des forces irakiennes en mouvement. Ou des tirs à effet surfacique demandés sur un champ de mines supposé pour déminer par l’effet de souffle. Comme reconnu par le chef de corps, « Je ne sais pas si cela a fonctionné, bien qu’il n’y ai pas eu de pertes après coup, mais cela a eu des effets indirects, sur le moral, indéniables, en jouant dans le champs des perceptions, et les militaires irakiens ont traversé« .
La phase 2 est celle du regroupement des moyens français et du bouclage final, du 10 au 27 mars, avec l’artillerie utilisée pour disloquer les contre-attaques venues de l’Ouest, avec parfois des « faux feux » de préparation d’artillerie pour tromper l’adversaire sur les intentions. C’est au cours de cette phase, et malgré une mauvaise météo (qui d’ailleurs limitait l’appui aérien à la fois en drones et en avions), que le tir plus important du mandat fût réalisé le 13 mars, avec 2 salves à 72 obus (dans une journée à 7 missions d’appui et 160 obus tirés) pendant que les militaires irakiens montaient à l’assaut. Une grande partie des appuis fournis durant cette phase a alors visé l’arrière des défenses de l’adversaire, afin de désorganiser ses unités, sa logistique et ses communications. Les combats en terrain ouvert pour la prise du verrou dans le secteur de Badush sont l’ultime étape de la fermeture de la poche de Mossoul.
La phase 3 est celle du grignotage, du 28 mars au 29 avril, après que le Génie américain et irakien aient levée des merlons sur plus de 10 km, pour terminer le bouclage. Le combat devient de plus en plus urbain, une fois les approches reprises. Le combat en zone urbaine, qui ne concerne pas en 1er chef la TF Wagram (nous y reviendrons), est alors particulièrement exigeant, notamment face à l’emploi particulièrement efficace des VBIED, les véhicules piégés qui, du fait d’une difficulté à respecter les distances de sécurité entre véhicules dans les rues enchevêtrés permettent une maximisation des dégâts. Les chars irakiens étant ici les moyens les plus efficaces contre ces VBIED, plus que les missiles anti-char qui obligent les tireurs à se mettre à découvert. L’artillerie américaine est alors parfois utilisée en contre-mobilité, avec des cratères faits sur les axes pour empêcher la circulation de VBIED, notamment à la tombée de la nuit. Ils sont rebouchés, soit par l’adversaire durant la nuit soit par les forces amies au petit matin pour ensuite reprendre la progression. Au cours de cette période, des embuscades d’artillerie sont montées conjointement, avec des tirs d’obus fumigènes à proximité de villages pour faire croire à des débouchés amis, qui conduisent l’artillerie adverse à se découvrir et à réaliser des tirs de riposte généralement pré-programmés, permettant leur détection et donc des tirs de contre-batterie (permise par un C2 américain performant, des radars type Q53A analogues aux Cobra français, et des systèmes HIMARS ultra précis en réactif, les équivalents du LRU du 1er régiment d’Artillerie français, mais montés sur châssis de camion).
Le dernier temps, du 30 avril au 2 juillet, est celui de la protection du dispositif irakien, avec du côté de Badush, une 3ème katiba ennemie détruite, en plus de l’appui réalisé pour le débouché du CTS pour l’ouverture d’un 3ème front au Nord-Ouest de la ville alors que la situation est bloquée, et qu’il fallait soulager l’effort principal plus au Sud. Après avoir soutenu la 9ème division blindée irakienne, dorénavant engagé dans le centre de Mossoul, le GTA soutient la 15ème division irakienne.
Le tout au sein d’une coalition…
L’artillerie française fournissait à ce moment 40% des canons engagés dans les opérations par la coalition, le reste était américain, autour notamment du 2nd bataillon du 319th Airborne Field Artillery Regiment (rattaché à la 82nd Airborne Division) de la TF Black Falcon, ou encore du 2-82 Field Artillery, 3rd Brigade, 1st Cavalry Division et du 4th Battalion, 1st Field Artillery Regiment de la 1st Armored Division pour les HIMARS et les obusiers blindés type M109A6 Paladin. Un officier de liaison était placé au poste de commandement de la TF Falcon (camp Swift à Erbil), afin de « conseiller le Fire Support Officer et le chef de corps de la TF Falcon en leur proposant le meilleur emploi possible des canons Caesar » (en fonction des capacités du canon Caesar, de leur emplacement géographique et de l’effet souhaité sur le terrain). Cela permet de les intégrer dans la manœuvre d’ensemble des feux, généralement proposée par les forces armées irakiennes, en anticipation, mais également en réaction (avec désignation par les forces de la coalition ou les forces irakiennes).
Ayant le contrôle national des feux, le patron de la TF Wagram avait une délégation de tirs de la part du niveau stratégique pour gérer les demandes à son niveau, conseillé par un legal advisor (LEGAD). En cas de doutes, ou lors d’un certain niveau de risques (manque de renseignements, présence éventuelle ou proximité de civils ou de forces amies, etc.), le niveau stratégique, le CPCO, jugé par le chef de corps comme très réactif, devait donner son avis. Cela a été demandé 12 fois durant le mandat de 5 mois, avec très rarement des retours négatifs, le niveau du théâtre triant déjà les demandes possibles et non possibles (en étant « red card holder » pour refuser un tir), via une approche présentée comme finalement très scientifique et rationnelle, à base de check-list, de calques apposés sur des cartes et de règles de calculs : s’assurer de l’identification positive de la cible, de son caractère militaire (combattants ou matériels liés), du respect du droit international et du droit des conflits armés (aucun dommage collatéral ne peut avoir lieu vis-à-vis de la population ou de certaines infrastructures), de la validation des forces irakiennes, et de la déconfliction avec les autres moyens (notamment les avions et les drones opérant dans la zone), etc. Le système ATLAS de gestion et de transmission des informations permettant ensuite de réaliser les calculs des éléments de tirs au niveau de la batterie sur les postes avancés : coordonnées, nombre d’obus, types d’obus, réglages des charges, etc. Théoriquement, les artilleurs parlent un langage commun à travers des réseaux digitaux de soutien d’artillerie (fire support digital networks) pour maximiser les « calls for fire » (CFF).
Théoriquement, les réseaux sont compatibles, entre l’Atlas français et les systèmes américains de type Advanced Field Artillery Tactical Data System (AFATDS), dont seulement la version la plus récente permet de communiquer avec ATLAS (en mode LAN plus robuste). D’autant plus que, les Français n’ayant pas la même palette d’obus par rapport aux Américains, les demandes de tirs, notamment dès lors qu’il s’agit d’atteindre une précision permise par certains obus type Excalibur (nous y reviendrons), ne peuvent pas être échangées complètement automatiquement. Des limites soulevées lors d’exercices communs préalables (Exercice Colibri 2016 entre la 11ème BP française et la 173ème Airborne bBigade américaine, ou Summer Tempest 2016 en Sardaigne).
Malgré l’observation quasi permanente de drones (modulo les conditions météorologiques) ou les lignes de coordination préétablies avec les forces irakiennes au sol, la prudence est de mise dans le déclenchement des tirs. Ainsi, un tir a été stoppé au tout dernier moment contre une section irakienne en pointe qui avait dépassé ses objectifs sans remonter l’information (ne disposant pas de système de suivi de type Blue Force Tracking). A l’inverse, alors que les militaires irakiens n’hésitaient pas à demander des tirs surdimensionnés (« ils défouraillent« , diront plusieurs acteurs interrogés), les militaires français n’ont pas hésité à ajuster les demandes. Lors d’une prise à partie en provenance d’un village proche de Badush, les militaires irakiens ont demandé un tir surfacique sur l’ensemble du village (vidé de sa population) d’une cinquantaine d’habitations. Le tir effectué par les militaires français visera finalement, après observation, 3 habitations d’où provenaient une menace pour le coup bien caractérisée.