Réflexions pour l’armée de Terre de demain – G2S

Réflexions pour l’armée de Terre de demain – G2S

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Cercle de réflexion de l’Association des Généraux en seconde section – Juillet 2018

Introduction du Général de Corps d’Armée (2S) Alain Bouquin

Les déclarations récentes de nos autorités politiques et militaires fixent à nos forces armées un niveau d’ambition inédit :

  • Le Président de la République, le 1er mars 2018, à l’occasion de sa visite dans les camps de Champagne a déclaré : « Nous sommes à un tournant pour nos armées, en particulier l’armée de Terre. Mon objectif est simple : que notre armée soit sans conteste la première armée européenne, en termes de capacités et de technologie ».
  • Le CEMAT, le 11 octobre 2017, lors de son audition à l’Assemblée nationale devant la Commission de la défense nationale et des forces armées, notait : « Le Président de la République nous a fixé une ambition et nous donne des moyens. Il a souhaité que nous soyons la première armée européenne. Aujourd’hui, l’armée de Terre française est sans doute la première en Europe, mais comment va-t-elle faire pour le rester ? Quels sont les critères qui nous permettront de dire au Président le chemin que nous traçons pour qu’elle le reste ? »

Définir ce que pourrait être « la première armée européenne », voilà un dossier passionnant à rédiger, valorisant, en apparence simple pour le G2S. Et, qui plus est, plutôt enthousiasmant car s’inscrivant dans une dynamique clairement positive de remontée en puissance.

C’est en fait un dossier « piégeux » et d’une extrême difficulté. Car, afin de le traiter, les difficultés sont nombreuses.

La première est celle de bien cerner l’effet à obtenir : être les premiers ou être très bons ? Doit-on chercher à « définir » ou à « spécifier » dans l’absolu une armée de Terre d’excellence ? Ou s’agit-il de fixer les contours d’une armée de Terre qui soit la meilleure en Europe, en mode relatif ou comparatif ? Avec le risque de s’inscrire dans une forme de concurrence qui pourrait nous conduire à porter des jugements plus ou moins négatifs sur nos partenaires. S’agit-il sinon d’un exercice purement prospectif, lié à l’innovation, portant sur une armée de Terre « de quatrième génération », en référence à la 4G venue améliorer les performances de la téléphonie mobile ?

Une deuxième difficulté tient au contexte dans lequel il convient de conduire cet exercice prospectif : être premier, pour quoi faire ? Dans quel type d’environnement ? Face à quelle menace ? Pour quels types de conflits ? Dans quel cadre international?… Suivant les ambitions affichées et les positionnements recherchés, « être le premier » n’aura pas les mêmes impacts en termes de capacités, de savoir-faire ou de moyens. Souvenons- nous que l’U.S. Army était sans doute la première armée de la guerre froide, mais que dans le même temps elle subissait une lourde défaite au Vietnam…

La question des menaces à prendre en compte, à elle seule, mériterait un large développement. Car elle détermine de nombreux choix à faire, des ennemis à considérer, et peut conduire à différents modèles, donc à différentes manières d’être le premier :

  • Un adversaire « classique », dont les armées sont connues, structurées, avec des armements identifiés, en mode symétrique.
  • Un adversaire de type « terroriste », plus difficile à cerner, capable d’agir à l’intérieur du territoire avec un armement qui peut aller du plus sommaire au plus sophistiqué.
  • Un possible déferlement à travers des zones mal contrôlées, de populations sans armes, poussées par la misère et déterminées à s’installer dans un pays riche.
  • Un adversaire furtif, ou « sournois », sans combattants (drones, robots, menaces chimiques et biologiques, cyber-actions…) capable d’affecter notre environnement…La question du cadre international est évidemment dimensionnante elle aussi : faut-il rester capables, de nous battre seuls dans certains cas, à l’extérieur ou à l’intérieur du territoire, mais aussi de travailler avec des armées amies, de divers rangs, ce qui suppose l’interopérabilité et la capacité à conduire des opérations combinées.

    L’exercice est d’autant plus délicat que cet environnement est évolutif : il ne faudra pas se contenter de devenir les premiers, mais il faudra ensuite le rester quand le contexte aura bougé, au gré des basculements démographiques, des changements dus au réchauffement climatique, de l’émergence de nouvelles puissances (régionales et globales) ou de l’apparition de nouvelles technologies de rupture.

    La troisième difficulté a trait à l’ampleur et à la variété des domaines à traiter. Il peut être tentant d’additionner les exigences: faut-il «être premier partout », comme le dit l’un de nos chants légion ? C’est le risque d’une surenchère par accumulation d’équipements, d’effectifs, de besoins à satisfaire, de hautes technologies maîtrisées… avec l’écueil de rapidement aboutir à un exercice totalement utopique, inaccessible. C’est pourquoi il est rapidement apparu plus sage de raisonner sur ce qui ce qui est existentiel dans une perspective d’excellence.

    Un autre écueil consisterait à se contenter de « vivre sur nos acquis ». La situation des armées françaises au regard de leurs opérations récentes reste après tout en apparence enviable : elles sont structurées sur un modèle complet que les travaux de programmation militaire en cours ont décidé de maintenir ; leur masse critique leur permet de faire face à la plupart des situations, hors résurgence d’un conflit majeur, et elles restent aptes à agir sur la globalité du spectre des opérations ; elles bénéficient d’une expérience et d’une culture opérationnelles uniques, fruit d’un engagement intense, lui- même reposant sur un système décisionnel que notre constitution a voulu réactif ; l’effort consacré aux équipements, malgré quelques retards et lacunes capacitaires, a permis de globalement répondre aux besoins…

    Il ne faut pas oublier que derrière ces critères d’excellence plus ou moins mesurables, ce qui fonde avant tout les succès d’une force armée c’est l’état d’esprit des soldats qui la composent : moral, esprit de corps, sens du sacrifice, esprit guerrier… Dans ce domaine, une certaine humilité doit être de rigueur, pour reconnaître que rien n’est jamais acquis, que l’excellence est en perpétuel devenir et que les savoir-être collectifs ont besoin d’être soigneusement cultivés.

    Enfin en dernier lieu, les expériences historiques peuvent sembler, en première approche, très disparates et ne pas fournir de « recette-miracle ». On a même connu des épisodes au cours desquels un statut et une réputation de premier de classe n’ont pas épargné à leur bénéficiaire une cuisante défaite…

    L’histoire cependant donne quelques pistes intéressantes :

    • ▪  La Prusse d’après Iéna a su reconstruire son armée en faisant effort sur les structures de commandement et la formation d’état-major.
    • ▪  C’est en remettant au goût du jour la pensée militaire et la réflexion doctrinale que l’armée de Terre française d’après 1870 s’est rebâtie.
    • ▪  L’armée allemande de l’entre-deux-guerres s’est réarticulée autour du très haut niveau de compétence de ses cadres.
    • ▪  L’U.S. Army de la fin de guerre du Vietnam a su rebondir autour des études de la RMA (Revolution in Military Affairs).Deux grands enseignements peuvent être tirés de ces précédents historiques :
    • ▪  Le premier c’est que ce n’est qu’en injectant de l’intelligence, de la réflexion, de la formation, de la culture générale, que l’on construit les armées les plus solides; dit autrement, pour construire (ou reconstruire) sur du roc, il faut privilégier le cerveau au muscle.
    • ▪  Le second, c’est qu’il faut savoir se remettre en cause ; et idéalement, il ne faut pas attendre que des revers militaires viennent provoquer cette prise de conscience mais, au contraire, avoir le souci permanent d’anticiper les ruptures et les opportunités.Le dossier que vous propose le G2S s’articule selon ces deux axes majeurs : celui d’une armée de Terre forte de ses succès, qui veut malgré tout repenser son avenir, sans s’endormir sur ses lauriers récents ; et celui d’une réflexion riche qui doit irriguer les travaux de préparation du futur.

    Lire et télécharger le dossier complet : G2S – Dossier N°22 Réflexions pour l’armée de terre de demain – juillet 2018