Lieutenant-colonel Benalla – Libres propos de Michel Goya
Par Michel Goya, Colonel (retiré le 31/12/2014) – La Voie de l’épée – Publié le 24 juillet 2018
https://lavoiedelepee.blogspot.com/2018/07/lieutenant-colonel-benalla.html
Un commandant de Gendarmerie : « Qui êtes-vous ? »
Alexandre Benalla « Vous me manquez de respect », en montrant son macaron portant le sigle de l’Élysée et affirmant être en droit de diriger les opérations.
Il y a trois jours, alors que je venais d’apprendre que M. Alexandre Benalla était lieutenant-colonel de réserve spécialisée dans la Gendarmerie, je copiais Frédéric Gallois et et j’écrivais ceci sur Twitter
A cette heure, à ma grande surprise, ce dernier message a été « apprécié » plus de 11 000 fois et reproduit plus de 6000 fois, ce qui témoignait d’une certaine sensibilité à la question mais aussi d’une grande méconnaissance. Il n’est donc pas inutile d’être plus clair.
Précisons tout de suite que ce tweet n’est pas un étalage héroïque, ma carrière n’ayant strictement rien de tel ni même rien d’exceptionnel. Si certains, gentiment, se sont dit impressionnés, cela témoigne surtout de la méconnaissance du métier militaire. Des tweets comme celui-ci, des milliers auraient pu les écrire et des centaines auraient pu en écrire des bien plus élogieux. Notons cependant que peu se sont lancés dans un concours de longueur…de tweet. C’est heureux car ce n’était, encore une fois, pas le but.
Ce message n’est évidemment qu’une boutade, un peu amère mais boutade quand même. Contrairement à ce qu’ont pu croire certains commentateurs, visiblement dans le premier degré, en trente et un ans de service, j’ai appris à connaître les différents statuts militaires et notamment ceux des réservistes, même s’il faut bien l’avouer ce n’est pas forcément pas très clair pour tout le monde.
Les réservistes sont indispensables aux armées car ces liens avec les ressources humaines du reste de la nation leur permettent de monter en puissance. Précisons que ces liens, par économie bien sûr, sont devenus hélas très tenus. Il existe deux types de réservistes opérationnels, c’est-à-dire susceptibles de venir renforcer des formations militaires existantes ou éventuellement d’en former de nouvelles. Les « niveaux 2 » rassemblent tous les militaires (sauf les officiers généraux, nous y reviendrons) qui ont quitté le service actif pendant les cinq années qui suivent ce départ. De fait, cette « RO 2 » n’est jamais sollicitée. J’appartiens à cette RO2 mais quand j’ai quitté l’armée de Terre personne ne m’a jamais demandé ma position et ne m’a dit où je pourrais bien être affecté.
Les « niveaux 1 », entre 25 000 et 30 000 dans les armées ou la gendarmerie, sont seuls réellement appelés…pour 1 à 2 % d’entre eux chaque jour. Au total, à l’instant T, il y a environ 400 à 500 réservistes en tenue militaire dans les rues de France ou plus exceptionnellement en opérations extérieures. Quand vous rencontrez un militaire en tenue, il y a donc un peu plus d’une chance sur mille pour qu’il s’agisse d’un réserviste opérationnel. Pour les Gendarmes, bien mieux organisés en la matière, il y a en environ 2000. C’est peu, très peu même mais c’est une autre question.
Ces réservistes ont bien sûr un système de formation et un processus d’avancement spécifiques. Un certain nombre d’entre eux sont d’anciens militaires, ce qui est évidemment un plus puisqu’ils disposent déjà de compétences. Pour autant, pour des raisons qui m’ont toujours échappé, ceux-ci ne sont pas forcément privilégiés, sans doute pour ouvrir au maximum au reste de la société des postes en nombre limités. Je n’ai pas le droit moi-même d’appartenir à cette réserve opérationnelle n°1. Bien entendu, quand un réserviste est appelé à servir, il devient par définition actif et rien ne doit le distinguer d’un militaire d’active.
Il existe ensuite les réservistes citoyens. Après des siècles d’Ancien régime, les Français aiment les grades, titres, diplômes de grandes écoles, que l’on puisse accoler à son nom. Pour ma part, j’aime bien le grade de colonel qui était le mien en fin de carrière, il me rappelle certains super-héros de mon enfance, mais je n’en fais étalage. Pour autant, on me demande régulièrement, quand je suis interviewé par exemple, d’en faire état car « c’est mieux », cela fait plus sérieux, etc.
La Réserve citoyenne est un moyen de distribuer à bon compte (cela n’induit aucune rémunération) des grades et faire plaisir à des individus, élus, journalistes, n’importe qui qui en fait la demande et qui veuille servir la France, sans vouloir ou pouvoir signer un contrat dans la RO1.
La réserve citoyenne est donc un grand club dont les membres n’ont aucune responsabilité, ne touchent aucune arme mais peuvent se voir confier des missions souvent très utiles d’étude ou de conseil. Ses membres ne sont pas en tenue sauf parfois dans la marine. Au bilan, c’est une politique plutôt intelligente, d’autant plus que c’est n’est pas coûteux. Ajoutons que contrairement à ce qu’affirme le syndicat de police SCSI-CFDT dans un communiqué, non seulement les personnalités qui appartiennent à cette réserve citoyenne ne le cachent pas mais au contraire en font très largement et très justement état. Ils font partie du fameux « lien avec la nation » qui obsède tant les militaires, les seuls visiblement. Ajoutons que comme dans le cas de Jean-Vincent Placé, ce n’est pas parce qu’on demande à être réserviste citoyen que cette demande est agréée.
Il y a enfin les réservistes spécialistes, qui comme leur nom, sont des personnalités qui disposent de compétences rares (chirurgien, linguiste, cyberdéfense, médias, etc.) utiles aux armées ou à la Gendarmerie. Les RS sont gradés selon leur niveau de compétence et selon les équivalences militaires (le grade d’un militaire s’il occupait le poste). Autant que je sache ils ne peuvent plus changer ensuite de grade. Précisons qu’ils n’ont par ailleurs aucune formation militaire sauf bien sûr s’ils ont été auparavant réservistes opérationnels ou éventuellement ancien militaire d’active. En tout cas, ce n’est pas lié au statut. Un réserviste spécialiste ne peut exercer de commandement et évidemment ne va pas être engagé au combat (ou dans une mission de maintien de l’ordre). Le RS est normalement en tenue lorsqu’il sert, mais j’ai connu des cas contraires.
Tout cela a une certaine cohérence mais n’est pas forcément très clair, y compris à l’intérieur de l’institution militaire, et c’est là que le bât blesse un petit peu. Le grand public n’y comprend rien et, même en interne, on ne voit pas forcément la différence entre un civil à qui ont a octroyé une charge d’officier, comme dans l’Ancien régime, et un militaire d’active qui aura attendu dix, vingt ou vingt-cinq ans avant d’atteindre le même grade, en admettant qu’il l’atteigne. Cela peut être gênant. Comment serait perçu une officier devenu par exemple Professeur des universités de classe exceptionnelle par équivalence ou Président de chambre ? Peut-être faudrait-il trouver d’autres appellations.
Maintenant, entendons-nous bien, dans l’immense majorité des cas, cette confusion (profusion) des grades ne pose pas de problèmes, surtout quand ces officiers de renfort apportent quelque chose. Bien entendu et nous revenons là à l’affaire qui nous concerne (mais le cas Benalla n’est pas le seul), c’est lorsque cette équivalence de grade est donnée sans qu’il y ait manifestement de compétence associée que cela choque.
Alexandre Benalla a été réserviste opérationnel dans la Gendarmerie mais visiblement le processus d’avancement était trop lent pour un « premier de cordée ». Son contrat d’engagement à servir dans la réserve (ESR) a donc été résilié au profit d’un contrat de spécialiste expert, et le brigadier est devenu d’un seul coup lieutenant-colonel (sans beaucoup de trace au Journal officiel semble-t-il) à l’insu du plein gré de la Gendarmerie qui apparemment n’était pas très chaude. On attend toujours de connaître la compétence rare à l’origine de ce changement miraculeux digne de la « start up nation » chère au Président de la République. Cette compétence était tellement rare que la Gendarmerie n’en aurait jamais eu besoin mais le grade reste et là, on y revient, cela fait mal au cul aux « besogneux » (entendu par des jeunes loups en plastique) qui ont longtemps servi la France pour le recevoir.
En parlant de trou du cul, on se rappelle de Gérald Darmanin se targuant d’avoir obtenu le départ d’un chef d’état-major des armées, il y a un an. Après les armées l’an dernier, c’est la Police nationale et la Gendarmerie qui sont maintenant insultées par l’existence même du lieutenant-colonel Benalla.