La bataille d’Amiens-Montdidier (août 1918)

La bataille d’Amiens-Montdidier (août 1918)

Par Michel Goya La Voie de l’épée _ Publié le 12 août 2018

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Extrait de  »Les vainqueurs », à paraître le 30 août.

La deuxième opération prévue par le plan de Foch est en fait une réédition du projet du 3 avril de réduction de la poche allemande sur le plateau de Santerre en Picardie. Cette opération préparée et commandée par Haig inclut initialement la 4e armée britannique et la 1ère armée française, séparées par la route d’Amiens à Roye. Réalisée quelques jours seulement après la réduction de la poche de Soissons, elle illustre la méthode opérationnelle du « martelage » qui consiste en une série d’attaques limitées le long du front. Il n’est pas besoin, comme les Allemands, de réunir d’abord des moyens considérables. Il suffit de renforcer au fur et à mesure les troupes en place, mode opératoire rendu possible, encore une fois, par la richesse de la logistique, la mobilité des renforcements et la polyvalence des troupes en ligne. C’est en réalité la « doctrine Pétain » mais réalisée à un rythme rapide.

L’attaque en Picardie doit débuter le 8 août avec la 4e britannique et la 1ère française puis s’étendre progressivement au nord et au sud pour finir par engager six armées, trois britanniques et trois françaises, sur un front total de 150 km de large. La 1ère armée française qui dispose initialement de trois corps d’armées en ligne et a perdu ses réserves au profit de la bataille de Champagne est renforcée dans les deux semaines qui précèdent l’attaque. Par extension de son front au sud, elle prend le contrôle d’un corps d’armée de la 3e armée. Le 2e Corps de cavalerie la rejoint par la route ainsi que quatre divisions d’infanterie, en partie par camions et en partie par voie ferrée pour les équipements lourds. Les groupes d’artillerie de renfort sont motorisés, tractés ou rejoignent également par voie ferrée. Le 6 août, ce sont deux bataillons de chars légers qui arrivent par camions et le même jour, la division aérienne commence à rejoindre les installations qui lui permettront d’être opérationnelle deux jours plus tard. La mise en place et la préparation de tous ces moyens en quelques jours, et notamment des 1 600 pièces d’artillerie, demande un travail d’état-major particulièrement rigoureux mais qui est alors bien maîtrisé. Le général commandant la 42e DI constate que « trois jours ont suffi pour réaliser un programme analogue sur le plan des moyens, à celui qui avait demandé des semaines d’élaboration dans les batailles de Champagne en 1915 ou de l’Aisne en 1917  [1] ».

Tout cela se fait avec un grand souci de discrétion. Les officiers chargés de la planification sont nominativement désignés par les corps d’armée. Ils écrivent les ordres ou les tapent à la machine à écrire eux-mêmes et l’usage du téléphone est interdit. Tous les mouvements de mise en place s’effectuent dans les deux nuits précédant l’attaque. Les forces de premier échelon ne se mettent en place que la veille. Des avions volent dans la nuit la nuit pour couvrir le bruit des chars [2]. La maîtrise du ciel rend également plus difficile les reconnaissances aériennes allemandes.

Pour autant, les Alliés ne peuvent manquer de laisser des indices, une grande colonne de véhicules est repérée par un avion allemand et des hommes capturés au nord de la Somme donnent des indications. Cela n’éveille pourtant pas les soupçons. Les divisions allemandes sont nombreuses mais installées sur des défenses seulement ébauchées, en partie sous l’illusion d’une possible reprise de l’offensive vers Amiens. En visite d’inspection de la 2e armée, le général von Kuhl, chef d’état-major du prince impérial estime que « tout est en ordre » [3]. La meilleure protection des Alliés est que les Allemands ne croient pas à la possibilité d’une attaque d’envergure aussi rapidement après celle du 18 juillet.

L’attaque a pourtant bien lieu. Le 8 août, après une brève préparation d’artillerie et de nombreux obus fumigènes qui s’ajoutent au brouillard, les Australiens, Canadiens et Britanniques la 4e armée attaquent avec 14 DI et 324 chars moyens Mark IV et V. Le succès est immédiat. Les Allemands sont totalement surpris. La 4e armée crée en une journée une brèche de 15 km de front sur 8 km de profondeur.

La 1ère armée française dispose de 15 divisions mais de moins de moyens. La réserve générale blindée française n’est pas encore assez importante pour alimenter une nouvelle grande bataille après celle du Soissonnais. La densité d’artillerie disponible pour l’opération n’est pas non plus considérable. En contradiction avec les directives de Foch demandant des attaques générales, le général Debeney décide de manœuvrer de manière originale en engageant successivement ses quatre corps d’armée sur deux jours au nord puis au sud et en faisant glisser au fur et à mesure les moyens d’artillerie.

Le 8 août, la concentration des feux d’artillerie lourde est au nord, derrière le 31e corps qui est engagé en premier. Après seulement 45 minutes de préparation, cette masse d’artillerie lourde est ensuite immédiatement déplacée 20 km plus au sud sur des emplacements préparés pour appuyer l’attaque du 35e corps qui aura lieu le lendemain. Pendant ce temps, lorsque le 31e corps a accompli sa mission, il cède une partie de son artillerie au 9e corps voisin pour l’appuyer dans son attaque qui a lieu quelques heures plus tard. Le lendemain le 35e puis le 10e corps attaquent au sud du dispositif de la même façon. A l’intérieur même des corps d’armée, les groupes d’artillerie peuvent glisser d’une division à l’autre. Le 11 août, l’artillerie de la 42e DI est amenée à travailler avec quatre divisions différentes [4]. La manœuvre latérale de l’artillerie est complétée par les frappes du groupement Laurens de bombardement de nuit et de la division aérienne dans les zones d’arrivée des renforts allemands [5]. Il y a alors dans la zone six fois plus d’avions que dans toute l’armée française en août 1914.

Le succès de la 1ère armée, qui réalise en deux jours une poche de 15 km de profondeur sur 10 de large au nord de Montdidier et une poche de 5 km sur 5 au sud, est moins spectaculaire que celui de la 4e armée britannique mais reste très important. La 1ère armée a fait 7 000 prisonniers en deux jours. Comme le 18 juillet, on a tenté une nouvelle fois d’exploiter une percée éventuelle avec un groupement comprenant une DI, un BCL et un régiment de cavalerie. Là encore, l’encombrement du champ de bataille a finalement empêché les chars, à court d’essence, et les chevaux de déboucher [6]. Le reste du 2e corps de cavalerie ne parvient pas non plus à franchir. L’autre BCL, qui avait été réparti à raison d’une compagnie par régiment d’infanterie à l’attaque, a obtenu de biens meilleurs résultats grâce à une excellente coordination entre fantassins et sections de chars.

Foch, maréchal de France depuis le 6 août, ordonne le prolongement immédiat de cette première attaque. Haig, surpris par l’ampleur de la poussée réalisée les 8 et 9 août, hésite. Hindenburg écrira plus tard dans ses mémoires : « il ne comprit pas l’importance de son succès initial. Il ne poussa pas son armée jusqu’à la Somme, bien que nous n’eussions pu lui opposer que des forces extrêmement faibles [7]». Du côté français en revanche, la 3e armée se joint à l’attaque dès le 10 août, avec ses seuls moyens et sans préparation d’artillerie. Elle progresse de 12 kilomètres et fait à son tour 3 000 prisonniers. L’avance générale est spectaculaire face à un ennemi qui se replie sur les anciennes lignes de défense de 1916 où il reçoit des renforts. Les armées alliées sont finalement arrêtées le 11 entre l’Avre et la Somme.

Au-delà du terrain conquis et sans que les Alliés le sachent, l’opération du 8 août a eu des effets stratégiques imprévus. Cette journée est qualifiée de « jour noir de l’armée allemande » par Ludendorff qui présente sa démission le 10 en déclarant qu’il fallait mettre fin à la guerre. Le Kaiser refuse la démission de Ludendorff et convoque une nouvelle conférence le 13 à Spa avec les têtes de l’OHL et de l’exécutif. Rassuré par le rétablissement du front le 11 août Ludendorff ne parle plus de mettre fin à la guerre tout de suite mais avoue qu’« il n’est plus permis d’espérer que nous puissions briser, par des actions militaires, la volonté de combattre de nos ennemis. Désormais la conduite des opérations ne peut que se donner pour but de paralyser peu à peu, par une défensive stratégique, la volonté de combattre de nos ennemis [8]». Le 14 août, on s’accorde sur l’idée d’entamer des négociations avec l’Entente via les Etats neutres mais seulement après un succès militaire et sur la base du statu quo.

Cette nouvelle stratégie impose cependant de reconstituer une nouvelle force de manœuvre. Le prince impérial propose de raccourcir la ligne de front en se repliant de tous les saillants pour résister sur la solide ligne Hindenburg. Ludendorff hésite cependant encore une fois pour ne pas donner des signaux de faiblesse mais aussi pour ne pas perdre tout le précieux matériel accumulé en avant de la ligne. Tout au plus ordonne-t-il l’organisation d’une ligne de défense nord-sud d’Arras à Noyon en passant par Bapaume, Péronne, la Somme et le canal du Nord. Cette ligne est baptisée, avec beaucoup d’optimisme, « position d’hiver ». Un nouveau groupe d’armées regroupant les 2e, 18e et 9e armées, est confié au général von Boehn avec pour mission de défendre la Picardie.

Foch n’a cependant pas l’intention de perdre l’initiative et laisser aux Allemands le temps d’organiser une dernière opération offensive. Le 12 août, il édicte une nouvelle directive qui élargit les combats sur toute la zone d’Arras à Soissons. Le 17 août, deux semaines seulement après la prise de Soissons, la 10e armée de Mangin, renforcée d’un corps de la 3e armée s’installe par surprise sur une position d’attaque au nord de l’Aisne. Le 18, elle s’empare de la position de couverture et fait 2 000 prisonniers. Le 20, c’est l’attaque générale de la position de résistance à la manière du 18 juillet avec l’appui de 480 chars. Dans ce « deuxième jour de deuil » pour Ludendorff, la 10e armée fait encore 8 000 prisonniers. Dans la nuit du 20 au 21, la 9e armée allemande entame son repli derrière l’Oise et l’Ailette poursuivie par l’armée française [9]. Qu’une armée française soit capable de lancer une attaque aussi violente après aussi peu de temps de récupération et de préparation est une nouvelle surprise. La 10e armée est encore à l’attaque le 2 septembre et elle atteint la ligne Hindenburg le lendemain [10].

Le relais est pris le 21 août par Haig avec les attaques des 1ère et 3e armées britanniques entre Arras et Bapaume, en liaison avec de nouvelles poussées de la 4e armée britannique et des 1ère et 3e armées françaises, même si le GAR est ponctionné de 81 batteries d’artillerie de tous types pour équiper la 1ère armée américaine en cours de formation [11]. Le 27, les 2e et 18e armées allemandes décrochent à leur tour sur la « position d’hiver », quelques kilomètres en arrière. Le 29, cette position est attaquée par les cinq armées alliées. La 1ère armée britannique la perce au nord et la 4e britannique au centre dans la région de Péronne. La situation n’est plus tenable pour les Allemands. Le 2 septembre, Ludendorff ordonne le repli général sur la ligne Hindenburg à partir de la nuit du 3 au 4 septembre. Il ordonne même le repli du terrain chèrement conquis en avril lors de l’opération Georgette, rendant ainsi inutile l’opération de reconquête prévue par Foch.

BCL : bataillon de chars légers.

DI : division d’infanterie.

GAR : groupe d’armées de réserve.

OHL : Oberste Heeresleitung, Commandement suprême de l’armée allemande.

[1] André Corvisier, La vie d’une division française pendant la guerre 1914-1918, Mémoire d’Histoire pour la maîtrise spécialisée es-lettres, sous la direction du professeur Duroselle, Paris-Sorbonne, 1969, p. 237.

[2] Général Daille, La bataille de Montdidier, Paris, Berger-Levrault, 1922, p. 52.

[3] André Laffargue, Foch et la bataille de 1918, Arthaud, 1967, p. 278.

[4] Général Daille, op. cit., p. 81.

[5] Ibid. , p. 272.

[6] Ibid. , p. 107.

[7] Cité par Jean-Yves Le Naour, op. cit., Format Kindle emplacement 5407.

[8] André Laffargue, op. cit., p. 287.

[9] Ibid., p. 293.

[10] Guy Pédroncini, Pétain général en chef, Publications de la Sorbonne, PUF, 1974, p. 416.

[11] Elizabeth Greenhalgh, The French Army and the First World War, Cambridge University Press, 2014, p. 330.

 

Les vainqueurs 1918  (Comment la France a gagné la Grande Guerre) de Michel Goya

Edition : Tallandier sortie le 30 août 2018