La DGSE entre secrets et communication
Par Pierre Bayle – Pensées pour la planète – Publié le 30 décembre 2019
La DGSE entre secrets et communication
Il fallait un vrai spécialiste des services secrets – Jean Guisnel a écrit six ouvrages depuis 1988 sur ce seul sujet – pour revenir sur le feuilleton télévisé consacré à la DGSE qui est en quatre saisons devenu un fait de société, et même une image de marque de cette administration ultra-confidentielle. C’est l’objet de son nouveau livre, “Histoire secrète de la DGSE – Au cœur du véritable Bureau des Légendes”.
Lors de la présentation de la 4e saison (qui n’est heureusement pas la dernière), la chaîne Canal+ avait distribué un intéressant ouvrage de grande vulgarisation, “Le Bureau des Légendes décrypté”, préfacé par le scénariste et réalisateur de la série Eric Rochant et où Bruno Fuligny révélait, avec un texte rapide et beaucoup d’illustrations, quelques ficelles du métier d’espion comme on en voit dans les films d’espionnage à la James Bond…
Mais pour une analyse plus sérieuse du dessous des cartes, c’est Jean Guisnel qu’il faut lire : il y a consacré 378 pages extrêmement denses et précises, avec références et bibliographie, y compris une intéressante liste des “auteurs ayant appartenu aux services”. Et j’ajoute comme référence importante sur le sujet le livre publié en 2013 par Jean Guisnel avec Roger Faligot et Rémi Kauffer : « Histoire politique des services secrets français – de la Seconde guerre mondiale à nos jours ».
L’auteur part donc de la genèse de ce feuilleton, qui n’était pas une initiative de la DGSE mais de Canal+, à partir d’une idée d’Eric Rochant et d’Alex Berger (The Oligarchs Productions) et dans laquelle les services ont vu l’intérêt d’améliorer leur image de marque auprès du public. Une nécessité impérieuse au moment où les services ont un besoin pressant de développer un recrutement en volume et en qualité.
Pour lui, la réforme du renseignement en France décidée par le président Sarkozy en 2008 a entraîné ce besoin d’ouverture de la DGSE, laquelle a donc apporté son appui à la réalisation de la série, sans révéler aucun de ses vrais secrets. Au-delà de situations souvent rocambolesques et totalement invraisemblables, les services ont apprécié que leurs agents puissent un peu se reconnaître dans les aventures de Malotru et de ses camarades, mais aussi que leurs familles puissent visualiser l’univers dont, par statut, ils n’ont pas le droit de parler. Ce qu’on appelle en fait de la « communication interne » au profit des personnels de l’entreprise et de leurs familles.
L’intérêt du livre, c’est que bien entendu il va beaucoup plus loin que d’analyser les ressemblances et les invraisemblances du feuilleton, dont les auteurs eux-mêmes reconnaissent qu’il est romancé pour mieux « coller » aux attentes du public. Il explique en particulier ce besoin nouveau de recrutement à la DGSE : les analystes, les linguistes, les spécialistes du renseignement économique, du cyber, sont autant de compétences dont on a besoin pour répondre aux nouvelles menaces et préserver les atouts de la France pour son indépendance énergétique, ses ventes d’armes et la défense de ses entreprises de souveraineté.
Et si la menace terroriste reste évidemment prioritaire, elle n’est plus la seule prise en compte ; on voit bien dans l’évolution de la série l’importance du renseignement économique, stratégique et de la menace cyber avec le déplacement des épisodes du Moyen-Orient à l’Iran et à la Russie. Jean Guisnel relève en particulier que, même si la stratégie du renseignement est désormais décidée à l’Élysée avec un système qui selon lui fonctionne harmonieusement entre les différents services et sans « coups tordus », la DGSE a acquis une position hégémonique sur la cybermenace en développant la première et à un rythme soutenu les moyens et les personnels consacrés à cette spécialité.
Une lecture sérieuse sans être trop ardue, vivante sans être trop légère, le spécialiste a gardé la plume du journaliste et son livre se parcourt d’une traite… mais c’est un secret !
– Histoire secrète de la DGSE, Jean Guisnel, 378 pages, Robert Laffont 2019.