Armée française : en immersion avec les troupes de La Cavalerie au Mali

Armée française : en immersion avec les troupes de La Cavalerie au Mali

De Gao (Mali), Jérémy Beaubet (Midi Libre Millau) Mis à jour le

Autour de Gao, le désert s’étend sur des centaines de kilomètres.

Ces dernières années, la ville malienne de Gao a retrouvé un semblant de paix grâce à l’armée française qui protège les habitants de toute offensive jihadiste. Reportage avec des légionnaires du Larzac, de Nimes, de Laudun et de Carpiagne.

Gao, 6 h du matin. Le soleil se lève. Et déjà, le thermomètre titille les 30 degrés. Au cœur de la base militaire française, des tourbillons de poussière se forment au-dessus des guitounes et tournoient jusqu’à tout recouvrir d’une pellicule orangé. Y compris la tenue des nombreux soldats qui mettent à profit la fraîcheur relative de l’aurore pour se dégourdir les jambes. Dans cette atmosphère de far-west, un convoi de plusieurs véhicules blindés légers se met en route.

Direction le centre de Gao, une ville de 80 000 âmes, perdue au milieu du désert, où il y a de cela quelques années,  » les barbus  » du Mujuao et de Boko-Haram y faisaient régner la charia et mutilaient à tour de bras sur la place de l’Indépendance. Si l’opération Barkhane – lancée par la France en 2014 – a ramené depuis un semblant de paix au nord du Mali, la menace terroriste n’a pas disparu. Loin des forces françaises, les affrontements sanglants se poursuivent, imposant une vigilance de tous les instants pour le millier de soldats français projetés actuellement sur cette terre martyrisée.

Autour de Gao, le désert s’étend sur des centaines de kilomètres.

En contact quotidien avec les FAMAs

Ce matin, la mission est conduite par les bérets verts du 1er Régiment étranger de la cavalerie (REC) de Carpiagne (13). Dans les véhicules, on trouve aussi des hommes du 2e REI de Nîmes et de la 13e DBLE, dont les troupes sont désormais regroupées sur le Larzac, au camp militaire de La Cavalerie (12).

En chemin, pas un chat. Sur l’une des rares routes en bitume de la région, le convoi croise juste quelques charrettes tirées par des ânes faméliques et deux camions roulant vers Ansongo et la frontière nigérienne, plus au sud.

«  D’habitude, il y a un peu plus de monde sur cet axe mais c’est le ramadan en ce moment. Les gens sortent surtout le soir « , nous explique au volant d’un VBL, Benjamin, un jeune légionnaire d’origine malgache.

Quelques kilomètres plus loin, à travers de petites dunes, il braque sur une piste et rejoint le reste du peloton au niveau d’un check-point tenu par les FAMAs (Forces armées et de sécurité maliennes), non loin d’un oued asséché. «  Nous entretenons avec eux de bonnes relations. C’est toujours l’occasion de faire le point sur la nuit précédente, et recueillir des renseignements « , lance le lieutenant François qui dirige la mission. Au loin, au sud-est de la ville, une grosse fumée épaisse grimpe dans le ciel. Le Major Gilles, un réserviste catalan âgé de 56 ans, relativise. Rompu à l’exercice, il participe depuis le mois de février aux actions de coopération civilo-militaire que l’armée mène au Mali. « Rien de grave, ils sont juste en train de faire brûler des pneus. Ils récupèrent les fils de fer qui sont à l’intérieur et font de l’artisanat avec. »

De retour dans ces  » blindés  » armés de missiles moyenne portée, le thermomètre flirte avec les 40 degrés. Un coup d’œil dans le ciel permet de voir que le soleil est encore loin d’être à son zénith. Le nuage de poussière reprend sa route.

Le brigadier-chef Michel, copilote de Benjamin, en profite pour sortir le torse de l’habitacle. «  J’ai déjà fait le Tchad, la Côte-d’Ivoire, Djibouti mais c’est la première fois que la chaleur est aussi pesante. Ne pas boire, c’est se mettre en danger « , prévient ce colosse né en Arménie, qui engloutit «  jusqu’à 10 litres d’eau par jour « , chaude le plus souvent. «  On n’a pas le choix, on n’a pas de frigo dans nos véhicules, ni la clim’comme les Américains. Mais j’ai ma petite combine. J’humidifie des chaussettes et je place les bouteilles dedans. En roulant, au vent, ça les refroidit. « 

L’entrée dans la ville se fait par le nord. «  On ne prend jamais le même chemin car l’ennemi n’est jamais loin « , lance le lieutenant François. Tous munis de tablette dans les véhicules, les pilotes suivent un itinéraire bien précis. Dans les faubourgs, la colonne se resserre, traverse plusieurs quartiers ensablés, où les véhicules doivent zigzaguer entre les enfants, très démonstratifs, et les détritus formant des monticules brûlant au milieu des rues. Malgré le déploiement de force, l’accueil réservé par la population est chaleureux. «  Dans l’ensemble, les gens ont plaisir à voir les soldats de Barkhane « , raconte le chef de peloton, qui dit n’avoir «  jamais vu quelqu’un sur la défensive en plusieurs mois de patrouille dans Gao. « 

En patrouille, les soldats doivent rester vigilants, car la situation peut dégénérer à tout moment. C’est pourquoi les enfants sont souvent tenus à l’écart.

Sur le marché, le Major Gilles réserviste catalan sonde le besoin de la population

Le marché à nouveau joyeux et bordélique

Pour autant, tous les légionnaires restent sur le qui-vive, l’arme au bras et scrutant sans relâche le chemin et les environs, histoire de détecter la présence d’IED (engin explosif improvisé, NDLR), une plaie pour les fantassins du coin. Après un léger détour – touristique – par le tombeau des Askia, un chef-d’œuvre d’architecture de l’empire Songhaï, les VBL rallient le centre-ville et sa fameuse place de l’Indépendance, littéralement bondée. Ici, la vie a repris son cours, comme l’attestent la circulation, joyeusement bordélique, et les étals qui  » mangent  » les trottoirs et rivalisent de couleurs.

Une halte s’improvise. Première étape, le marché Damien Boiteux. Ravagé par les bombardements en 2012, la France a participé à sa rénovation et l’a renommé ainsi, «  en hommage au premier soldat français mort pour libérer le nord du Mali « , indique Gilles, le réserviste.

À l’ombre, sous les arches en pierre de ce lieu ô combien central, lui et les autres légionnaires ont droit à d’innombrables élans de sympathie de la part des commerçants qui viennent les aborder naturellement. Et les taquiner, accessoirement, notamment sur le port du gilet pare-balles, il est vrai si peu confortable en pleine cagne. «  C’est le meilleur endroit pour sonder l’état d’esprit de la population, sourit Gilles après avoir taillé le bout de gras avec quelques bouchers et un attroupement de femmes venues des environs vendre du poisson, des ignames et des oignons. Le marché est plein. Il y a même tout un tas de stands qui se sont installés autour. On le voit, ces derniers temps, l’économie se porte mieux et c’est important pour le maintien d’un climat de confiance. «  Avant de reprendre la route, le réserviste tient à nous montrer l’ancien cinéma français de la ville, laissé à l’abandon, mais réinvestis par les chèvres, une radio locale et des couturiers. Sur les toits de la bâtisse, la ville se découvre dans son intégralité, au pied d’un fleuve mythique – le Niger – devenu filet d’eau. «  Cela fait 50 ans que les Maliens n’ont pas vécu une telle sécheresse, relaie le militaire. La pluie est attendue avec impatience. « 

Dans la région, seules les berges du Niger, propices aux cultures maraîchères et où travaille Abdoulaye et sa famille, apportent un peu de fraîcheur à la population.

En patrouille, les soldats doivent rester vigilants, car la situation peut dégénérer à tout moment. C’est pourquoi les enfants sont souvent tenus à l’écart.

Une heure plus tard, Abdoulaye confirme l’attente de tout un peuple. Au sud de la ville, le convoi s’arrête à Djdira, un hameau fait de maraîchages longeant les berges du Niger. C’est là, dans cet improbable havre de verdure, que ce vieux malien cultive ses betteraves, ses salades et ses courgettes, grâce à de petits moteurs pompant l’eau du fleuve. Financée par la force Barkhane, l’opération permet de faire vivre une soixaintaine de familles depuis 2014. «  C’est dur en ce moment car il faut arroser sans cesse. La pluie manque… Mais c’est une chance d’avoir ces terres, ça nous aide à survivre. Encore merci patron ! « , distille Abdoulaye au Major Gilles et aux soldats avant qu’ils ne reprennent la direction du camp.

En chemin, certains, éloignés de leur famille depuis trois mois et demi, prennent le temps de chahuter avec des enfants. La température oscille désormais entre 45 et 50 degrés et la journée n’est pas terminée. Dans les heures à venir, ce sera leur tour d’être de garde dans les miradors de la base. En attendant, le brigadier-chef Michel allume une cigarette et profite des paysages désertiques qui défilent devant lui, satisfait que cette énième mission ne se soit pas conclue par des actes d’intimidation ou des saisies d’armes. Une preuve que la présence française participe à la sécurité des habitants. À Gao, en tout cas. Autour, c’est une autre histoire dont nul ne connaît vraiment l’issue.