Défense : la France a-t-elle un retard technologique ?

Défense : la France a-t-elle un retard technologique ?

Par Patrick Cappelli  |  26/06/2018  |  La tribune

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(Crédits : Reuters)« La France est une des deux armées européennes avec un modèle d’armée complet depuis des années« , a expliqué à l’occasion du Paris Air Forum, organisé par La Tribune, le général Charles Beaudouin, sous-chef d’État-major « Plans & Programmes » à l’État-major de l’Armée de Terre. 

[ PARIS AIR FORUM ] Les avancées technologiques dans le domaine militaire se multiplient : missiles hypervéloces, cyberguerre, armes à énergie dirigée, robots tueurs. La France tient son rang même si une partie des équipements reste vétuste.

Dans un environnement technologique militaire en perpétuelle mutation, la France est-elle en retard ? La réponse est non pour le général Charles Beaudouin, sous-chef d’État-major « Plans & Programmes » à l’État-major de l’Armée de Terre : « nous possédons un porte-avions nucléaire, des Rafale et bientôt le programme Scorpion (visant à assurer la modernisation des groupements tactiques interarmes NdA). La France est une des deux armées européennes avec un modèle d’armée complet depuis des années », a-t-il expliqué à l’occasion du Paris Air Forum, organisé par La Tribune.

Toutefois, le général Beaudouin ne cache pas que le budget de la défense a souffert longtemps de « réductions temporaires de capacités » en raison de fortes contraintes budgétaire, qui ont pesé sur le budget des armées. Elles ont empêché de renouveler des équipements tels que des véhicules blindés dont certains ont plus de 30 ans d’âge et des camions dont les châssis datent des années soixante. Or, les soldats français se battent depuis 1991 en Bosnie, puis en Afghanistan et désormais au Mali et au Levant.

« Nous assistons à une asymétrie inversée : ce sont désormais nos ennemis, comme Daech, qui disposent de la technologie civile, comme les drones capables de lâcher des grenades ou de nous localiser puis d’attaquer au mortier sans que l’on sache d’où vient l’attaque », a regretté  le général Beaudoin.

Risques de décrochage

La France n’a pas de retard, a également estimé lors de la table-ronde intitulé « Défense, la France a-t-elle un retard technologique », Jean-François Ripoche, directeur du service des recherches et technologies de défense à la direction générale de l’armement (DGA). « Il n’y a pas de retard car nous avons toujours investi en R&D dans l’ensemble des domaines des technologies de rupture comme l’IA (Intelligence artificielle, ndlr), les armes à énergie dirigée, l’hypervélocité, la furtivité et la cybersécurité, a-t-il souligné. On essaie d’être en veille active là où le civil est leader : pas la peine de lutter ni de se lancer dans une politique de démonstrateurs qui coûte cher ».

Thierry Michal, directeur technique général de l’Onera, le centre français de recherche aérospatiale, a rappelé que « l’innovation scientifique et technique est un effort de long terme, que c’est cette philosophie qui a prévalu à la création de l’Onera en 1948. Nous continuons dans cette voie, par exemple sur les système optroniques (utilisant à la fois l’optique et l’électronique NdA) ou les chambres de combustion super stratosphériques. Nous ne sommes pas encore en retard mais il faut rester vigilant car il existe des risques de décrochage en cas d’aversion aux risques. Les efforts en R&D de long terme sont rapides à casser mais très longs à reconstruire ».

Ne rien faire serait plus grave

Ainsi, la pépite française Kalray permet par exemple à la France de conserver une avance dans le secteur des micro-processeurs dont l’architecture permet d’accroître la puissance de calcul avec une consommation d’énergie très basse. « C’est un défi de tous les jours face à nos concurrents américains et chinois. Notre technique est performante, et nous bénéficions du soutien de Definvest (le fonds d’investissement du Ministère de la Défense). Nos processeurs sont principalement utilisés dans les voitures autonomes mais les frontières avec les besoins militaires sont minces », a analysé Stéphane Cordova, vice-président BU Embedded.

Dans la loi de programmation militaire, les budgets de R&D ne montent en puissance qu’à partir de 2022 : seront-ils suffisants pour ne pas se faire décrocher? « Cela permet d’engager des actions à long terme pour les projets les plus chers, comme les démonstrateurs de missiles hypersoniques. Sommes-nous à l’année près ? C’est ne rien faire qui serait très grave », a estimé Jean-François Ripoche. Le programme Scorpion constitue le socle de la modernisation de nos armées, mais celles-ci ont d’autres besoins, comme l’a expliqué le général Beaudouin : « Scorpion est incrémental : trois nouveaux programmes doivent apporter les successeurs des blindés légers et des engins de génie. La menace des missiles est également forte avec le pillage des dépôts libyens, irakiens et syriens, ce qui nous donne des sueurs froides. Il faut aussi scorpioniser la logistique pour remplacer nos vieux camions ».

Si l’armée française occupe une place particulière en Europe, les militaires comptent sur la coopération européenne, notamment avec les Allemands et les Britanniques pour rester à niveau : « l’objectif premier, c’est une armée européenne », a affirmé le général Beaudoin, qui, réaliste, a avoué qu’il continuera à acheter du matériel américain, comme les roquettes, que la France ne fabrique pas, en attendant cette force de défense européenne qui reste pour l’instant hypothétique.