Dissuasion : L’Allemagne reçoit l’offre de dialogue stratégique proposée par M. Macron avec scepticisme
« Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne », a lancé le président Macron, lors d’un discours sur la stratégie de défense et de dissuasion, prononcé le 7 février devant les stagiaires de l’École de Guerre. Et de proposer aux « partenaires européens qui y sont prêts » un « dialogue stratégique » sur le « rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective », voire de les associer « aux exercices des forces françaises de dissuasion », l’objectif étant de développer une « véritable culture stratégique entre Européens ».
Cette offre de « dialogue stratégique » s’adressait en premier lieu à l’Allemagne, où certaines voix s’inquiètent des orientations prises par l’administration Trump à l’égard du Vieux Continent. « Le temps où l’on pouvait compter tout simplement sur les États-Unis pour nous protéger est révolu. […] L’Europe doit prendre son destin elle-même en main, c’est notre défi pour l’avenir », avait même déclaré Angela Merkel, la chancelière allemande, en mai 2018.
En outre, Berlin subit régulièrement les foudres de l’actuel chef de la Maison Blanche, qui estime insuffisant le niveau des dépenses militaires allemandes [bien en-deçà des 2% du PIB exigés par l’Otan], critique son implication dans le gazoduc Nord Stream 2, qui doit permettre d’accroître significativement les exportations russes de gaz, et voit dans les importations de voitures allemandes une « menace à la sécurité nationale » pour justifier une hausse des droits de douane.
Pour autant, ces « piques » semblent être le prix à payer, aux yeux de certains responsables allemands pour bénéficier du parapluie américain en matière de défense dans le cadre de l’Otan. Et sans doute fait-ils le pari qu’il s’agit d’une mauvaise passe et que le successeur de M. Trump [d’ici quelques mois ou d’ici quatre ans] reviendra à des sentiments meilleurs à l’endroit de l’Allemagne.
Cependant, lors de la Conférence annuelle de Munich sur la sécurité, le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, a affirmé qu’il « ne suffit pas de renforcer l’Union européenne dans le domaine militaire, nous devons aussi continuer à investir dans le lien transatlantique. »
« La sécurité de l’Europe est basée sur une alliance forte avec les États-Unis car c’est pour nombre de nos partenaires d’Europe centrale et orientale, c’est là que se joue leur sécurité existentielle, et c’est là avant tout qu’elle est assurée et garantie », a fait valoir M. Steinmeier, dont la fonction est honorifique outre-Rhin, après avoir regretté que « notre principal allié, les États-Unis, refusent sous l’administration actuelle l’idée même d’une communauté internationale », ce qui fait que les « pays sont invités à placer leurs propres intérêts au-dessus de ceux de tous les autres. »
« Malgré l’ampleur des progrès accomplis, l’Union européenne ne pourra garantir à elle seule avant longtemps la sécurité de tous ses membres. De plus, miser sur la seule Union européenne signifierait enfoncer un coin en Europe. Inversement, seule une Europe qui veut et peut se défendre de manière crédible pourra maintenir les États-Unis dans l’Alliance atlantique », a ensuite estimé le président allemand, avant de plaider pour que l’Allemagne saisisse l’invitation au dialogue lancée par M. Macron lors de son discours à l’École de Guerre.
« Nous devrions saisir son invitation au dialogue! Mais cela signifie aussi pour nous la nécessité de nous placer dans la perspective de la France et d’apporter notre propre contribution au développement de cette culture stratégique commune sans laquelle l’Europe ne pourra pas vraiment devenir un acteur de la politique de sécurité », a affirmé M. Steinmeier.
Sur ce point, la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, est parue beaucoup plus réservée en soulignant que l’offre faite par M. Macron ne devait pas « remettre en cause le parapluie nucléaire américain ».
« J’insiste, la protection de beaucoup de pays en Europe est garantie par l’Alliance atlantique, par le parapluie nucléaire des États-Unis », a dit Mme Kramp-Karrenbauer. « Si nous renforçons [la défense de] l’Europe, il s’agit avant tout de renforcer le pilier européen au sein de l’Otan », a-t-elle ajouté.
S’agissant de la proposition française, « il faut savoir concrètement de quoi il retourne », a insisté la ministre allemande. « Pour l’instant, la seule certitude c’est que les Français « ne veulent en aucun cas placer leur arsenal nucléaire sous un commandement européen », a-t-elle fait remarquer.
D’ailleurs, c’est ce qui semble déplaire à Berlin. Du moins à en juger par les propos tenus par Johann Wadepul, un proche de Mme Merkel et vice-président du groupe parlementaire de la CDU au Bundestag. « Macron nous a toujours invités à penser européen. Mais on ne peut pas seulement européaniser ce qui est cher aux Allemands [comme la mise en place d’un budget de la zone euro]. Il faut aussi européaniser ce qui est cher aux Français et c’est le cas de la force de frappe française », a-t-il dit, selon des propos rapportés par l’AFP.
Chez les sociaux-démocrates allemands [SPD], l’existence de la force de frappe française a récemment été remise en cause par Rolf Mützenich, leur chef de file [par intérim] au Bundestag. Selon lui, la France devrait carrément abandonner sa dissuasion nucléaire.
« Nous ne voulons pas d’armes nucléaires et nous voulons aider les pays qui en ont à s’en passer », a ainsi affirmé M. Mützenich, après avoir rappelé que son parti « souhaite que les accords du Traité de non-prolifération nucléaire soient mis en œuvre. »
Au-délà des discours, des responsables allemands se disent circonspects à l’égard de l’offre française. « L’Allemagne a renoncé à l’arme nucléaire, je ne vois pas un grand mouvement » pour revenir sur ce point « par l’intermédiaire d’une association au dispositif français », a résumé l’un d’eux à l’AFP. « Au sein du ministère [allemand] des Affaires étrangères, on travaille à l’objectif d’un monde sans arme nucléaire et l’on préfèrerait ne pas envisager du tout une force de dissuasion européenne », a rappelé l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.
En réalité, l’Allemagne n’a pas exactement renoncé à l’arme nucléaire… étant donné qu’elle participe aux plans de l’Otan en la matière et qu’elle abrite des bombes nucléaires tactiques américaines B-61 sur l’une de ses bases aériennes. Ce qui, d’ailleurs, ne va pas sans poser quelques soucis pour le remplacement de ses chasseurs-bombardiers Tornado, dont la mission est justement de mettre éventuellement en oeuvre ces armes.
Le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, a profité de la conférence de Munich pour le rappeler. « Nous avons déjà une dissuasion aujourd’hui, c’est celle de l’Otan […] et c’est la garantie ultime de sécurité en Europe », a-t-il dit. « Les alliés de l’Otan l’assurent chaque jour et ce n’est pas une promesse, c’est comme cela depuis des décennies », a-t-il poursuivi. « Nous l’assurons ensemble avec les Etats-Unis. Ils ont déployé leurs armes [en Europe]. Les Européens fournissent des bases, des infrastructures », a-t-il en effet souligné.