«Immaturité» des engagés, sanctions trop faibles : un rapport pointe les causes des désertions en hausse dans l’Armée de terre
Publié le 19 mars dernier, ce rapport parlementaire énumère les multiples raisons de cette augmentation et dresse des pistes pour endiguer le phénomène.
Les chiffres sont là, implacables. Il ne reste qu’à les comprendre. Les désertions au sein des personnels militaires de l’armée de terre sont en forte hausse depuis 2022, d’après un rapport parlementaire publié le 19 mars dernier par l’Assemblée nationale, rédigé par les députés Loïc Kervran (Horizons) et Caroline Colombier (RN), et intitulé «recrutement et fidélisation : gagner la bataille des ressources humaines du ministère des Armées» .
D’après les chiffres transmis par l’État-major des armées, il y a eu 1485 désertions en 2022, soit une hausse de 56% par rapport à l’année précédente. Ils étaient 1253 en 2023, soit un chiffre en légère baisse qui correspond toutefois à une augmentation de 31% par rapport à 2021. Avant 2022, les chiffres étaient globalement stables, avoisinant les 900 départs par an, avec une baisse notable en 2020, du fait de la crise du Covid.
Des raisons multiples
Selon l’article L321-2 du Code de justice militaire, un militaire est déclaré déserteur s’il «s’évade, s’absente sans autorisation, refuse de rejoindre sa formation de rattachement ou ne s’y présente pas», sur le sol français ou à l’étranger, ou s’il ne se présente pas au départ d’une mission se déroulant à l’extérieur du territoire national. La désertion est constatée 7 jours après l’absence, et punie de 5 à 10 ans d’emprisonnement, en vertu de l’article 698 du Code de procédure pénale. Le statut de déserteur concerne seulement les personnels militaires du ministère des Armées.
Le rapport pointe trois facteurs principaux : le premier fut la guerre en Ukraine, qui a eu pour conséquence le départ de 85 légionnaires d’origine ukrainienne pour leur pays. Traditionnellement, et officieusement, ces départs sont tolérés par l’encadrement lorsque les légionnaires ressortissants d’un pays en guerre repartent chez eux pour se battre. Ça s’était produit dans les Balkans, et presque à chaque conflit. Même si elles sont comptabilisées comme telles, ce ne sont pas des désertions comme les autres.
Les deux autres facteurs principaux sont la sortie de la crise du Covid, avec un «effet de rattrapage des départs», et la «période de plein-emploi» qui a entraîné une hausse des départs alimentée par les réformes et les radiations disciplinaires.
Le texte relève d’autres facteurs de désertion, comme les «incertitudes et versatilités professionnelles des jeunes actifs» et, plus largement, «un problème d’adaptation à la vie militaire et d’acceptation des singularités et contraintes de cet engagement». Il y aurait une part «d’immaturité toujours difficile à modéliser», liée à la difficulté pour certains engagés de respecter leur contrat jusqu’au bout.
À cela s’ajoute une justice trop peu répressive. «Les peines prononcées sont des peines assorties d’un sursis simple allant de 15 jours à 6 mois, voire par un classement sans suite» affirme le texte. Les sanctions ne seraient donc pas assez dissuasives pour endiguer les défections. «La section AC3 du Parquet de Paris – affaires militaires et atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation – classe systématiquement sans suite», déplore-t-il.
Lutter contre la désertion, fidéliser les personnels
Les armées ont récemment développé des mesures pour lutter contre le phénomène, notamment «la création d’alternatives au recours à la désertion ou à l’absentéisme sous couvert médical», une individualisation du parcours à travers la prise en compte des ambitions personnelles, ainsi que la valorisation des parcours des militaires du rang.
Dans une perspective plus large, le texte rappelle que l’objectif est d’améliorer le bien-être des personnels, militaires et civils. Le programme «Fidélisation 360», annoncé en mars 2024 par le ministre des Armées Sébastien Lecornu, a pour objectif, comme l’indique son nom, de «fidéliser les effectifs, militaires et civils», à travers cinq mesures principales. Entre autres, l’aide à la mobilité familiale et la mutation, l’accès à des prêts immobiliers à des taux avantageux, ou encore l’intégration de primes dans le calcul des droits à pension à partir de 2026. En conclusion, le rapport énumère douze recommandations pour accroître la fidélisation. Il conseille par exemple de doter chaque département d’un CIRFA commun aux trois armées (centres de recrutement, ndlr), de veiller à l’exécution des mesures de revalorisation des rémunérations, ou encore de permettre aux régiments de recruter directement les candidats qui souhaitent les rejoindre.
Ces mesures sont à comprendre en lien avec les aspirations affichées par la Loi de programmation militaire 2024-2030, qui souhaite porter le budget consacré à la Défense à 67 milliards d’euros en 2030, soit 16,5 milliards de plus que ce que prévoit le budget de 2025. Le ministère des Armées ambitionne d’augmenter ses effectifs de 6.000 hommes en six ans, en plus de son objectif d’atteindre le seuil de 80.000 réservistes.