L’ajustement de la LPM 2019-25 va renforcer la capacité des Armées à « mieux détecter et contrer » les menaces
Selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25, le budget de la Défense devrait s’élever à 44 milliards d’euros en 2023, ce qui suppose une hausse substantielle de 3 milliards par rapport à 2022. Seulement, aucun montant n’a été inscrit pour les deux dernières annuités. Et pour cause : rappelant l’objectif de porter les dépenses militaires à 2% du PIB d’ici à 2025, le texte indique que les montants en question seront précisés à l’occasion d’une actualisation de la LPM prévue en 2021.
Seulement, les conséquences économiques de la pandémie de covid-19 ont changé la donne : la chute de la PIB [-8% en 2020, ndlr] fait que, mécaniquement, le niveau du budget de la mission « Défense » est déjà équivalent à 2% de la richesse nationale… alors que les Armées sont encore loin d’avoir achevé leur remontée en puissance.
Aussi, le gouvernement a considéré qu’il n’était pas utile de procéder à une actualisation de la LPM par voie parlementaire, comme il était prévu, mais de réaliser des « ajustements » en fonction des conclusions de la Revue stratégique actualisée et des évolutions capacitaires constatées lors des derniers conflits, comme celui du Haut-Karabakh. C’est en effet ce qu’a expliqué Florence Parly, la ministre des Armées, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 4 mai.
« Concentrons-nous sur la relance de notre économie, avant de réévaluer nos perspectives de croissance pour l’horizon 2025. Alors seulement, il sera pertinent de consolider les ressources de nos armées pour les années 2024 et 2025 », a affirmé la ministre, soulignant que le « cadre financier est stabilisé jusqu’en 2023 au moins. »
Les ajustements évoqués par Mme Parly visent à « renforcer notre capacité dans les conflits à venir, notamment les conflits hybrides ». Et ils se déclinent selon trois grand thèmes : « Mieux détecter et contrer », « Mieux se protéger », et « Mieux se préparer. »
Le premier axe est sans doute celui qui apportera le plus de nouveautés en termes capacitaires, l’objectif étant de développer des capacités défensives et offensives dans « le champ du cyber et du numérique » ainsi que dans le domaine de la guerre électronique.
« Pour renforcer notre cyberdéfense, nous allons nous appuyer sur le programme d’intelligence artificielle Artemis pour ‘booster’ nos capacités de valorisation de la donnée » afin d’être en mesure « d’analyser et de recouper des données massives grâce à des algorithmes d’IA [intelligence artificielle] », a expliqué Mme Parly. L’enjeu est de pouvoir « détecter des modes opératoires, de reconnaître des tactiques ou des techniques particulières qui sont autant de signatures des cyber-attaquants », a-t-elle précisé.
Le programme ARTEMIS n’est pas une nouveauté. Lancé en 2017 par la Direction générale de l’armement [DGA], il est entré dans sa seconde phase en mai 2019, avec la mise en concurrence des groupements Thales/Sopra et Atos/Cap Gemini/CEA. « Nous investirons dans la construction d’un datacenter dédié […] ainsi que dans le développement d’outils de collecte, de traitement de données ainsi que de logiciels. Des capacités supplémentaires de stockage et d’exploitations de données en masse seront ainsi acquises », a annoncé Mme Parly.
Il sera aussi question de mieux protéger les communications, ce qui passera par l’accélération du « renouvellement des équipements cryptographiques des armées ». En clair, il s’agira d’acquérir 1.300 chiffreurs pour les radio tactiques et de développer d’une « nouvelle gamme souveraine » de tels équipements.
Dans le domaine spatial, la ministre a parlé de l’acquisition de « services de surveillance par des télescopes », afin de « mieux prendre en compte le besoin d’attribution des actions. » Ce qui passera également par un renforcement des capacités en matière de renseignement électromagnétique [ROEM].
« Nous nous allons acquérir des capacités supplémentaires d’interception et de localisation des émissions électromagnétiques qui pourront être embarquées sur nos équipements, que ce soit un 4×4, un char, un bâtiment de la Marine ou bien un aéronef », a en effet développé Mme Parly.
Des radars « dans le domaine maritime » seront également mis en service… Et des investissements seront dédiés au « Seabed Warfare », c’est à dire, littéralement, à la « guerre des fonds marins », où sont posés, par exemple, les câbles de communications qui constituent un enjeu stratégique majeur. La ministre a ainsi annoncé, sans plus de précisions, de « premières capacités sous-marines qui seront des drones d’investations et d’actions. »
Le volet « Mieux se protéger » compte trois axes. Le premier concerne les risques NRBC [nucléaire, radiologique, biologique, chimique], présents « sur des zones où nos forces pourraient encore être engagées à l’avenir. » L’effort, a détaillé la ministre, portera sur l’acquisition de davantage de protections individuelles, la constitution de stocks de précaution « au bon niveau » et le développement d’une « filière souveraine de contre-mesures médicales » et « de « moyens nouveaux d’identification. »
Le second axe intéresse la santé. « Le durcissement de notre environnement stratégique induit un risque accru de devoir prendre en compte plus de blessés sur les théâtres d’opérations », a relevé la ministre. En conséquence, les capacités d’évacuation sanitaire vont être renforcées, avec la commande de 20 supplémentaires « MEDEVAC » pour les hélicoptères et l’amélioration de la prise en charge des EVASAN par les avions de transport A400M et C-130H Hercules. Le kit Morphée sera en outre modernisé.
Dernier axe de ce volet : la lutte anti-drones [MILAD], qui est désormais un « domaine opérationnel clé. » Les efforts porteront sur la recherche et le développement [R&D] de futurs systèmes d’identification et de neutralisation de drones [efforts déjà engagés, ndlr] et il est prévu d’acquérir, à très court terme, des solutions déjà disponibles afin de sécuriser les installations sensibles et les bases sur les théâtres extérieurs ainsi que… quelques véhicules terrestres et les navires de la Marine.
Enfin, au chapitre « Mieux se préparer », l’enjeu sera d’améliorer la préparation opérationnelle dans tous les « champs de conflictualité ». Aussi, « l’effort en cours sur la disponibilité de nos matériels doit être poursuivi pour permettre de multiplier les entraînements au quotidien et de perfectionner les scénarios de préparation », a indiqué Mme Parly. Les moyens de simulation seront encore améliorés et étendus et les centres de préparation opérationnelle bénéficieront de nouveaux investissements.
Ces ajustements se feront dans l’enveloppe prévue par la LPM 2019-25… Sans pour autant renoncer aux autres programmes en cours ou sur le point d’être lancés.
« Il ne s’agit pas en effet d’un exercice traditionnel de programmation militaire. Nous avons à gérer les programmes et leurs aléas, exactement comme lorsque l’on construit une maison. Nous serons donc peut-être amenés dans cet exercice à décaler certaines cibles et certains jalons, sans que cela ne remette en cause, jamais, l’atteinte de nos ambitions », a expliqué Mme Parly.
Photo : Illustration / Teledyne Marine