“Les forces spéciales françaises ont atteint un niveau d’expertise très envié”

Les forces spéciales françaises ont atteint un niveau d’expertise très envié

Par Louis de Raguenel – Valeurs actuelles – Mardi 12 juin 2018

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Les forces spéciales françaises, en mission au Sahel. Photo © JMT

Interview. En publiant La Task forceSabre, les forces spéciales françaises au Sahel (132p., Éd. Histoire & Collections), le journaliste spécialiste des questions de Défense Jean-Marc Tanguy (auteur du blog Le Mamouth) lève le voile sur l’action de ces soldats d’élite qu’il a pu suivre pendant plusieurs semaines.

Valeurs actuelles. Pourquoi ce livre sur les forces spéciales ?
Jean-Marc Tanguy. J’ai eu l’opportunité de pouvoir réaliser un reportage sur les forces spéciales françaises au Sahel en décembre dernier. J’en ai fait profiter les deux magazines qui m’emploient, RAIDS et RAIDS Aviation, destinés à des publics avertis, mais le volume de photographies amassé pendant le reportage permettait largement de nourrir un beau livre. Et dans ceux que j’avais écrits par le passé, la plupart des contenus s’adressaient à des publics de passionnés. Cette fois-ci, j’ai eu l’envie de pouvoir faire un ouvrage de pure vulgarisation. De faire mesurer aux Français qui ne connaissent pas forcément l’existence de cette unité le travail qu’elle réalise, les risques encourus. Par-delà les simples brèves qu’on lit ou entend régulièrement, signalant la mort d’un soldat français. Et ce livre peut aussi contribuer à faire mesurer aux familles de ces commandos ce qu’ils vivent en mission.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en opérations ?
La même chose que quand je les suis en France : ce sont des humains comme nous. Ils paient le prix de leur engagement dans leurs corps, parfois dans leur tête. Ils ont besoin d’être compris, soutenus par le monde extérieur. Leur absence pèse à leurs proches. Il leur est difficile, voire impossible de restituer ce qu’ils font en opérations. Leurs missions ne sont pas secrètes, seulement discrètes. Ce sont les modes opératoires, les protocoles qui sont secrets, car ce sont les fondements du coup d’avance qu’ils conservent sur leurs adversaires.

Ce qui est aussi sidérant pour celui qui les observe, et doit l’être aussi, pour d’autres raisons, pour leurs adversaires, est l’intégration parfaite des opérateurs. Une chenille d’opérateurs du 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine ou du commando Jaubert coulisse parfaitement. Chacun sait où est sa place. C’est un rouleau compresseur, et pourtant, tout est fait avec doigté. Presque scientifiquement. Idem pour les équipes de recherche du 13e régiment de dragons parachutistes, qui cumule rusticité et capacité d’analyse.

Enfin, ces militaires sont évidemment des patriotes imbibés du souvenir de leurs camarades, tombés en opérations. Leurs photos sont partout dans la base arrière, mais aussi en France, dans les bases-mères. J’étais le 6 juin en Normandie avec Geneviève Darrieussecq pour inaugurer une rue à la mémoire de l’adjudant-chef Stéphane Grenier, mort en Syrie en septembre dernier. Sa compagne, sa fille étaient là. Et une section de ses frères d’armes, marqués, malgré la cagoule, par l’évocation de la mémoire de leur camarade. Ils ont chanté, avec les vétérans du 13, la prière du para. Et ont repris la route. La mission ne s’arrête jamais, ces militaires ont le culte de la mission.

Qu’est-ce qui distingue les forces spéciales françaises des unités de même nature d’autres pays ?
Il m’est difficile de comparer par les déploiements en opérations. Il est rare, de fait, que des étrangers puissent vraiment toucher de près la réalité de forces spéciales d’un pays. Le vice-amiral Laurent Isnard a permis que cela se fasse, au Sahel, et je l’en remercie pour nos lecteurs, et ceux comme celles qui découvriront le livre.

Mais on peut néanmoins constater que les forces spéciales françaises ont désormais atteint un niveau d’expérience et d’expertise très envié. Elles sont aussi très déployées, comparées à leurs homologues américaines. C’est une vraie pointe de diamant dont la France peut être fière. Le président Macron ne s’y est pas trompé, en leur consacrant une partie de son temps en novembre dernier, quand il était passé dans la capitale du Burkina-Faso. Sans presse, il a pu s’imbiber de ces combattants d’exception, en les visitant dans leur base-arrière. Clairement, c’est le premier chef des armées à s’intéresser autant à ces hommes et femmes et sans doute, à mesurer leur plus-value.

Comment vivent-ils le fait de ne pas pouvoir parler de ce qu’ils font ?
Ce ne sont pas des militaires qui cherchent une exposition médiatique très forte, c’est le moins qu’on puisse dire, mais étant très exposés en opérations, ils ne refusent pas non plus qu’on parle de leurs bilans. Il leur faut aussi recruter, obtenir du matériel, qui arrive souvent en retard et en quantité insuffisante. Faire parler de soi est donc une façon de commencer à régler une partie de ces problèmes. Et j’y reviens, ils cherchent aussi à faire vivre le souvenir de leurs anciens, de leurs morts, et de leurs blessés, désormais de plus en plus nombreux avec la lutte contre le terrorisme commencée en 2001. A cet égard, on peut citer l’initiative lancée par deux anciens opérateurs du 1er RPIMa qui travaillent à la reconversion des anciens opérateurs, blessés ou non, grâce à un site internet dédié (http://www.veterans-jobs-center.com/).

La Task force Sabre, les forces spéciales françaises au Sahel, Jean-Marc Tanguy,

Éd. Histoire & Collections, 132 pages, 25 €.