Quels sont les « animaux de guerre » auxquels certains élus veulent rendre hommage ?
Les propositions de plaque et de mémorial pour les « animaux de guerre » ont beaucoup divisé les élus de deux arrondissements parisiens. Quelle est l’histoire de ces animaux-soldats ?
Le Monde | | Par Cyrielle Chazal
Le conseil du 14e arrondissement de Paris a voté, mardi 22 mai, en faveur de l’apposition d’une plaque commémorative pour les « animaux de guerre » au niveau de l’ancien dépôt de remonte et de l’école de dressage des chevaux de guerre, boulevard Jourdan. L’objectif est de rendre hommage aux chevaux, pigeons, chiens et autres animaux morts pour la France.
L’association Paris Animaux Zoopolis et l’adjoint au maire écologiste du 14e, Florentin Letissier, chargé du développement durable et de l’économie sociale et solidaire, proposaient même un mémorial, qui a suscité l’incompréhension, voire l’indignation de plusieurs élus. Une proposition semblable a été rejetée le même jour au conseil du 13e arrondissement. « Oui, il faut parler de la condition animale, mais il ne faut pas mettre ça sur le même plan que les hommes et soldats morts au combat », avait alors justifié au Parisien Jérôme Coumet, maire (PS) du 13e.
Ce vœu s’inscrit dans le cadre du centenaire de l’armistice de la première guerre mondiale, le 11 novembre 2018, et sera abordé au Conseil de Paris au début de juin. En attendant, quelques éléments d’éclairage pour comprendre une espèce heureusement en voie de disparition en Europe : les animaux de guerre.
Quels sont les « animaux de guerre » ?
A l’époque, les chevaux transportaient les soldats et tiraient les canons. Ils ne sont toutefois pas les seuls animaux de guerre. A leurs côtés, mules et ânes ployaient sous les sacoches et les pièces d’artillerie. Les chiens détectaient des mines, aidaient aux recherches et aux sauvetages, faisaient le guet et servaient aussi de messagers. Leurs qualités auditives étaient particulièrement utiles pour détecter les personnes ensevelies ou l’ennemi. « L’oreille du chien fonctionne comme un radar pour localiser la source émettrice et capter les sons sous forme de vibration », explique le docteur vétérinaire Arnaud Portal dans sa thèse intitulée Les Chiens d’utilité. Cet animal capte aussi plus de fréquences que l’homme (de 15 Hz à 40 000 Hz, voire 80 000 Hz, contre seulement 20 à 20 000 Hz).
Les pigeons ont eux aussi été enrôlés. Parfois revêtus de masques antigaz, ils avaient pour mission de porter des renseignements. « Entre 1917 et 1918, il fut fait un emploi intensif des pigeons », peut-on lire dans la Revue historique des armées. L’emploi des messagers volants était très varié : à titre d’exemple, les aviateurs en détresse pouvaient faire connaître leur position grâce au lâcher de messagers ailés. » Certains portaient un appareil photo miniaturisé.
Les animaux furent des soldats, mais aussi des compagnons qui ont soutenu le moral des poilus. Dans les tranchées, on adopte « chiens, chats, singes, fouines, sangliers, trouvés ou apportés sur le front », liste Florentin Letissier, lors de son intervention devant le conseil du 14e arrondissement, le 22 mai. Les chats aidaient également à chasser les rats des tranchées.
Combien d’« animaux de guerre » sont morts pendant la première guerre mondiale ?
En France, les historiens estiment à 1,8 million le nombre d’équidés (chevaux, mules, ânes) mobilisés, avec un taux de mortalité de 40 %, soit plus de 700 000 morts. Soixante-quinze pour cent de ces animaux auraient été réquisitionnés ou achetés en métropole et dans les colonies, 25 % auraient été importés de l’étranger. L’armée française aurait enrôlé 60 000 pigeons au cours du conflit. Au niveau mondial, le conflit aurait fait environ 11 millions de morts chez les équidés. Au total, 100 000 chiens et 200 000 pigeons auraient péri.
Ces estimations sont incertaines, particulièrement pour les chiens, les pigeons et les chats. Pour les chiens par exemple, le manque de chiffres précis est lié à la destruction des registres militaires. « Ils ont été détruits soit par les troupes soit par les archivistes qui n’en voient pas l’utilité, au nom d’une histoire réservée aux hommes », relate l’historien Eric Baratay, spécialiste des relations hommes-animaux, dans un entretien à la revue Ballast. Notre conception de l’histoire est, aujourd’hui encore, anthropocentrée, puisque cette science est définie comme la « connaissance du passé de l’humanité et des sociétés humaines » (Larousse).
Les armées utilisent-elles encore des animaux aujourd’hui ?
Oui. Par exemple, l’armée française recourt aux chiens soldats. En 2016, le 132e bataillon cynophile (qui dresse les chiens) a acquis 232 nouveaux chiens et 345 l’année suivante. Une partie de ces chiens est toutefois utilisée par l’administration des douanes et certaines polices municipales. L’armée française dresse aussi des aigles, notamment chasseurs de drones.
Les dauphins sont aussi des « animaux de guerre ». L’armée russe a par exemple acheté cinq dauphins en 2016. Les animaux ont quitté leur delphinarium de Moscou pour intégrer le centre d’entraînement militaire pour mammifères marins de Sébastopol. Pendant la guerre froide, les dauphins étaient déjà utilisés pour détecter des mines sous-marines. Aux Etats-Unis, le programme U.S. Navy Mammal Program, lancé dans les années 1960 et en cours de clôture, utilise des dauphins à gros nez (Tursiops truncatus) et des otaries de Californie (Zalophus californianus) pour retrouver des explosifs ou des objets dans les ports, les zones côtières et les eaux profondes.
En 2015, le Hamas a même affirmé avoir capturé un dauphin israélien portant un équipement d’espionnage, alimentant la théorie complotiste des « animaux espions » d’Israël. Tsahal a démenti utiliser de dauphins.
Les animaux sont utiles à l’armée même en dehors des champs de bataille. Des médecins s’exercent à la chirurgie militaire sur des cadavres et parfois sur des animaux vivants, tels que des cochons, ce qui suscite la colère d’associations telles que PETA France. Certains pays testent sur des animaux les effets d’agents chimiques. Au sein de l’Union européenne, ces tests sont difficilement quantifiables : par exemple, le rapport de la Commission de 2013 « sur les statistiques concernant le nombre d’animaux utilisés à des fins expérimentales et autres fins scientifiques dans les Etats membres » ne mentionne pas les usages militaires.
Existe-t-il des mémoriaux pour les « animaux de guerre » ?
En juillet 2017, un mémorial a été inauguré à Pozières (Somme) par The Australian War Animal Memorial Organization. Il rend hommage aux animaux morts pendant la première guerre mondiale.
A l’étranger, on trouve un monument mémoriel à Hyde Park (Londres), baptisé Animals in War. Très imposant (18 mètres de large sur 17 mètres de profondeur), il se compose de deux mules en bronze, dans l’enceinte d’un mur symbolisant l’expérience de la guerre. A l’extérieur du mur, un cheval et un chien incarnent l’espoir. On peut y lire : « Ils n’avaient pas le choix. » A Ottawa (Canada), l’hommage prend la forme de trois plaques de bronze et des empreintes de chiens, chevaux et mules. On trouve aussi un mémorial à Canberra (Australie) et à Bruxelles (Belgique).
Les animaux peuvent-ils recevoir les honneurs militaires ?
L’oubli pour la chair à canon, les lauriers pour les héros. Par exemple, le pigeon Vaillant (matricule 787.15) est honoré d’une citation à l’ordre de la Nation pour avoir transporté un message capital, bravant les fumées toxiques et les tirs ennemis en juin 1916. Le chien Charlot a quant à lui reçu la croix de guerre pour avoir sauvé des poilus ensevelis dans les tranchées. En 2006, dans le cimetière d’Asnières (Hauts-de-Seine), une cérémonie avec apposition d’une plaque commémorative a honoré Moustache, le chien-soldat de Napoléon. Parmi ses nombreux faits d’armes : il a débusqué un Autrichien venu espionner les Français, la veille de la bataille de Marengo, en juin 1800. Il s’en sort mais est tué par un boulet de canon en mars 1811 lors du siège de Badajoz (Espagne). En 2011, le chien Fitas a reçu la médaille d’or de la défense nationale pour avoir déjoué une embuscade en Afghanistan.
En Angleterre, la médaille militaire Dickin a été spécialement créée en 1943 pour récompenser les animaux. Le chien du RAID, Diesel, tué en novembre 2015 lors de l’assaut contre l’appartement où se cachait Abdelhamid Abaaoud, à Saint-Denis, l’a reçue à titre posthume. Les récipiendaires sont au nombre de 67 − un chat, cinq chevaux, 29 chiens et pas moins de 32 pigeons –, essentiellement pour des exploits lors de la seconde guerre mondiale. Parmi les volatiles, on peut citer Gustav, qui a délivré le premier message du débarquement de Normandie, ou encore Kenley Lass, premier pigeon à avoir transmis des informations depuis la France occupée. Les 53 premières médailles ont été remises avant 1950.
Comme chez les humains, les rangs des animaux comptaient des héros mais aussi des resquilleurs, conscients du danger qu’ils couraient à s’aventurer sur les champs de bataille. Des chevaux ont ainsi été surpris faisant semblant de boiter et des chiens, feignant le sommeil.