« Risques pour la sécurité des jeunes », « coût largement sous-estimé » : la Cour des comptes étrille le déploiement du SNU
Par Rose Amélie Becel – Public Sénat – Publié le
Début 2024, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé le lancement de « travaux » en vue d’une généralisation du Service national universel (SNU) « à la rentrée 2026 ». Aujourd’hui facultatif, le dispositif a accueilli 40 000 élèves en 2023, un chiffre qui devra donc être multiplié par 20 en l’espace de deux ans, pour toucher une classe d’âge d’environ 800 000 jeunes.
Dans un rapport publié le 13 septembre, la Cour des comptes dénonce l’« absence d’horizon clair » et l’« insuffisante planification des moyens » nécessaires à la généralisation du dispositif. « C’est pourtant une politique prioritaire du gouvernement, qui mobilise une part croissante du programme “jeunesse et vie associative” du budget », souligne Pierre Moscovici.
Un objectif de mixité sociale loin d’être atteint
Si on est encore loin de sa généralisation, le premier président de la Cour des comptes estime tout de même que la « montée en puissance rapide du SNU ne s’est pas accompagnée d’une clarification de ses objectifs ». Actuellement, le dispositif se découpe en trois phases. La première, et la plus connue, consiste en un « séjour de cohésion » où les jeunes passent 12 jours ensemble hors de leur département. Mais cette expérience doit ensuite être prolongée par une « mission d’intérêt général » de 84 heures et un « engagement volontaire » de 3 à 12 mois, au sein d’un corps en uniforme ou d’une association.
Décrite par le gouvernement comme un « projet de société », cette expérience complète est pourtant « toujours perçue par la population, et en particulier par les jeunes, comme un dispositif militaire », explique Pierre Moscovici. D’ailleurs, le premier président observe que les volontaires qui réalisent la deuxième et troisième phase du SNU s’engagent « principalement dans les corps en uniforme, et non au sein des associations ».
Conséquence de ce manque de clarté sur les objectifs du SNU, 46 % des jeunes volontaires en 2023 ont des parents militaires, policiers, gendarmes ou pompiers. Alors que le SNU se donne pour mission de réunir des élèves de tous horizons, notamment lors du fameux « séjour de cohésion », ses objectifs de mixité sociale ne sont donc pour le moment pas atteints. De façon générale, Pierre Moscovici déplore « une surreprésentation de jeunes issus de catégories socio-professionnelles supérieures et d’élèves ayant de bons résultats scolaires ».
« Des risques pour la sécurité des jeunes volontaires » lors des séjours de cohésion
Dans un second temps, le rapport de la Cour des comptes alerte sur les difficultés d’organisation du SNU. D’un point de vue administratif, d’abord, « les parties prenantes sont trop peu associées au dispositif », constate Pierre Moscovici. Sur le terrain, notamment lors de l’organisation des « séjours de cohésion », les associations d’éducation populaire « regrettent d’être considérées comme de simples prestataires », détaille-t-il. « Il n’existe pas non plus de stratégie nationale pour encadrer l’implication des collectivités territoriales », note Pierre Moscovici, alors même qu’elles sont souvent sollicitées pour organiser l’hébergement et les transports des « séjours de cohésion ».
Sans véritable coordination, l’organisation des séjours de cohésion rencontre donc régulièrement des difficultés logistiques qui « démontrent un certain désordre », déplore le premier président de la Cour. Le rapport pointe surtout des « défaillances » au niveau des transports, indispensables puisque les volontaires doivent réaliser leur séjour de cohésion en dehors de leur département, notamment en raison d’un récent changement de prestataire dans des délais très courts. « L’ampleur de la désorganisation a induit des risques pour la sécurité des jeunes volontaires et des surcoûts de transport significatifs », alerte le rapport.
La Cour des comptes pointe aussi du doigt les difficultés de recrutement des encadrants de ces séjours de cohésion. La mission est d’abord peu attractive. « Des retards considérables dans la mise en paiement des rémunérations ou indemnités ont fortement dégradé l’image du SNU auprès des encadrants », déplore le rapport. « Généraliser le dispositif sans stratégie d’emploi et de recrutement représenterait une prise de risque majeure », alerte la Cour, qui recommande donc la création d’une « filière métier » spécifique. La Cour des comptes tire par ailleurs la sonnette d’alarme sur la « dégradation sensible des conditions de travail des personnels », au sein des services régionaux et départementaux chargés de la jeunesse. Malgré la charge de travail supplémentaire conséquente induite par l’organisation du SNU, estimée à 157 équivalents temps plein, « les équipes n’ont que marginalement évolué avec la création de 80 postes ».
Une généralisation qui coûterait autour de 10 milliards d’euros
Enfin, alors que l’examen du projet de loi de finances 2025 débutera à l’Assemblée nationale au mois d’octobre, la Cour des comptes s’intéresse aux coûts du SNU. Le coût du dispositif est d’abord « largement sous-estimé » : dans le cadre du budget 2024 il avait été évalué à 2 000 euros par jeune, pour la Cour des comptes il s’élèverait plutôt à 2 900 euros.
Partant de ce constat, la Cour a également estimé les coûts induits par une généralisation du SNU. Le coût de l’organisation du seul séjour de cohésion, qui devrait donc accueillir autour de 800 000 jeunes par an, s’élèverait ainsi à 2,5 milliards d’euros. En ajoutant à cela les coûts liés à la seconde et à la troisième phase du dispositif, la Cour des comptes estime que l’organisation du SNU dans sa totalité pourrait représenter entre 3,5 et 5 milliards d’euros. À ces coûts de fonctionnement doivent également s’ajouter des investissements, notamment pour construire, rénover ou louer les bâtiments nécessaires à l’accueil des jeunes lors de leur séjour de cohésion, que la Cour des comptes estime à 6 milliards d’euros.
Considérant l’ampleur de ces dépenses liées à la généralisation du SNU, la Cour des comptes recommande donc vivement la tenue d’un « débat parlementaire pour décider de l’avenir du dispositif ». « Le Parlement n’a jamais eu l’occasion de débattre de ce dispositif, aucune loi ordinaire ou de programmation n’a été examinée sur le sujet », précise Pierre Moscovici. Il y a un an, dans un rapport pour le compte de la commission des finances, le sénateur socialiste Éric Jeansannetas réclamait déjà « un véritable débat » au Parlement sur le SNU. Une demande relayée depuis par de nombreux sénateurs de tous bords politiques.