Sahel : La France espère que les États-Unis seront assez « lucides » pour maintenir leur soutien à Barkhane
D’ici quelques semaines, le chef du Pentagone, Mark Esper, donnera ses arbitrages au sujet de la présence militaire américaine dans le monde, la priorité étant désormais de répondre aux « défis » posés par la Chine et la Russie, la lutte contre le terrorisme passant au second plan, conformément à la stragégie de défense nationale publiée en janvier 2018. Deux commandements sont particulièrement concernés : l’US Centcom, qui dirige les opérations en Asie centrale et au Moyen-Orient, et l’US Africom, qui en fait de même en Afrique.
Or, comme l’a souligné le président Macron à l’issue d’un sommet avec ses homologues du G5 Sahel [Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad], à Pau, le 13 janvier, un désengagement américain d’Afrique, et en particulier du Sahel, « ne serait pas une bonne nouvelle ».
En effet, les forces américaines appuient les armées locales [en particulier au Niger] et apportent un soutien non négligeable à la force française Barkhane, notamment dans les domaines du renseignement, du transport aérien et du ravitaillement en vol.
Cependant, le 16 janvier; et après avoir rencontré, à Paris, le général François Lecointre, son homologue français le général Mark Milley, le chef d’état-major interarmées américain, a temporisé. « Beaucoup pensent que ‘nous nous retirons d’Afrique’. C’est une description erronée et une exagération », a-t-il assuré.
Mais, s’agissant de l’appui à la force Barkhane, les interrogations sur les intentions de Washington demeurent. « La question sur laquelle nous travaillons avec les Français, c’est le niveau de soutien que nous leur apportons. Est-ce trop? Est-ce trop peu? Est-ce que c’est ce qu’il faut? », s’est demandé le général Milley.
Lors de ses voeux à la presse, ce 27 janvier, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a évoqué le sujet. « Les États-Unis s’interrogent sur le soutien logistique qu’ils apportent et sur la durabilité de ce soutien. […] Nous espérons qu’ils prendront conscience que l’enjeu du terrorisme se passe aussi là et seront suffisamment lucides pour garder ce partenariat », a-t-il en effet déclaré.
« On espère que dans cette affaire le bon sens et l’appréciation globale de la crise seront au rendez-vous », a insisté M. Le Drian. « Ce qui est en jeu, c’est un espace beaucoup plus grand […] c’est une dynamique destructrice qui s’attaque désormais aux États, qui vise à déstabiliser les États, avec aussi une logique qui peut amener des métastases de ces menaces jusqu’à la région du lac Tchad ou qui peut faire le lien régulièrement avec la Libye », a-t-il ensuite souligné, en faisant référence aux récentes attaques commises par les groupes jihadistes actifs en Afrique de l’Ouest.
Par ailleurs, la ministre des Armées, Florence Parly, va tenter de convaincre les responsables américains de continuer à soutenir la force Barkhane. Ce 27 janvier, elle doit rencontrer M. Esper à Washington pour, selon un communiqué, aborder « la lutte contre le terrorisme en Afrique et au Levant, les tensions au Moyen-Orient, l’avenir de la coalition internationale contre Daesh, la sécurité maritime dans le Golfe ou encore les risques de prolifération nucléaire » et « au-delà, évoquer les défis globaux croissants auxquels sont confrontés l’Europe et l’Amérique. »
Et le texte d’ajouter que « la réflexion stratégique sur le rôle de l’Otan et l’engagement grandissant des pays européens dans la sécurité internationale, la stabilité stratégique en Europe et le contrôle des armements seront également à l’ordre du jour. »
En outre, Mme Parly doit aussi rencontrer Robert O’Brien, le conseiller à la sécurité nationale du président Trump, le général Nakasone, le commandant du United States Cyber Command [et de la NSA] ainsi que des parlementaires.
Justement, au Congrès, plusieurs élus ont déjà appelé l’administration Trump à « examiner attentivement les conséquences néfastes de la réduction » de l’engagement militaire américain « en Afrique », laquelle pourrait « entraîner la nécessité pour les États-Unis ne réinvestir bien davantage que les gains espérés. » C’est ce qu’ont fait valoir Adam Smith [démocrate] et Mac Thornberry [républicain], respectivement président et membre de premier plan du comité des services armés de la Chambre des réprésentants.
Au Sénat, le républicain Lindsey Graham et le démocrate Chris Coon, ont pris une initiative similaire, en adressant un courrier au chef du Pentagone pour lui faire part de leur « grave préoccupation concernant les informations faisant état d’une éventuelle décision de réduire ou de retirer complètement les forces armées américaines dans la zone de responsabilité » de l’US AFRICOM, notamment « au Sahel et en Afrique de l’Ouest ».
« Bien que nous soutenons les orientations de la Stratégie de défense nationale de 2018 et le désir de faire davantage pour nous concentrer sur nos concurrents proches, nous ne devons pas oublier la menace continue que représente l’extrémisme violent pour nos intérêts et notre patrie », ont plaidé les deux sénateurs. « De plus, le maintien des forces dans la zone de responsabilité d’AFRICOM sert de frein à la présence croissante de concurrents proches comme la Chine et la Russie, qui continuent d’étendre leur influence à travers le continent », ont-ils souligné.
Quoi qu’il en soit, Mme Parly tentera de convaincre son homologue américain en soulignant que le coût du soutien américain à Barkhane, estimé à 45 millions de dollars par an, est « limité pour un effet maximal sur le terrain. »
« Ce n’est pas le moment de se désengager mais au contraire de mettre le paquet dans tous les domaines », explique-t-on dans l’entourage de la ministre, d’après l’agence Reuters. Qui plus est, insiste-t-on, il « y a un risque réel de voir Daesh reconstituer au Sahel le sanctuaire qu’il a perdu au Proche-Orient. »
Ce que tend montrer le rapprochement entre l’État islamique au grand Sahara [EIGS] et la Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest [ISWAP], une faction de groupe jihadiste nigérian Boko Haram, actif dans la région du lac Tchad, laquelle ne serait déjà plus survolée par les drones MQ-9 Reaper américains.