2023, année charnière pour le bouclier anti-drones des armées
Entre la livraison de moyens supplémentaires, la sécurisation de la Coupe du monde de rugby et les perspectives qu’offre l’écriture d’une nouvelle loi de programmation militaire, le renforcement de la lutte anti-drones sera l’un des enjeux de l’année 2023 pour les armées françaises.
Quand des millions de spectateurs se concentreront sur un ballon ovale en septembre et octobre 2023, d’autres auront les yeux tournés vers le ciel. L’enjeu sera en effet important pour les armées, mobilisées en soutien des forces de sécurité intérieure pour, entre autres, surveiller l’espace aérien. L’événement fera aussi office de laboratoire en vue des Jeux olympiques et paralympiques organisés neuf mois plus tard à Paris, un rendez-vous figurant « dans le haut du spectre » selon le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace (CEMAAE), le général Stéphane Mille. Il s’agira donc de ne pas louper le coche en matière de lutte anti-drones.
« Les moyens de la PPS standard seront évidemment présents et couvriront la totalité de la manifestation. Des moyens spécifiques contribueront à mettre en place une défense multicouche pour protéger le dispositif », déclarait récemment le CEMAAE lors d’une audition à l’Assemblée nationale. De nouveaux moyens LAD sont attendus d’ici là pour muscler les couches les plus basses. Hormis 100 fusils brouilleurs supplémentaires, ce sont les six premiers systèmes acquis auprès de Thales et CS Group au titre du programme PARADE (Protection déployAble modulaiRe Anti-DronEs). Livrés cette année, tous sont « essentiels dans la perspective des Jeux olympiques de Paris en 2024 ».
En attendant ces grands raouts sportifs, les armées ont pu affiner leur expérience lors de la dernière Coupe du monde de football, tenue l’an dernier au Qatar. Trois détachements français y ont été déployés en appui de l’armée qatarienne, dont un dédié à la LAD. Des moyens non détaillés ont ainsi été mobilisés pour sécuriser l’espace aérien aux abords des stades. Les prises en main se poursuivent également sur le territoire national. S’agissant de PARADE, « des expérimentations ont déjà eu lieu sur les Champs-Élysées, à Paris », soulignait le délégué général pour l’armement Emmanuel Chiva au cours d’une récente audition parlementaire.
Si les armées accélèrent, c’est aussi parce qu’elles étaient jusqu’alors un peu à la rue sur le sujet. La lutte anti-drones, le ministère des Armées ne l’a érigée en priorité qu’à l’occasion de l’actualisation stratégique de 2021. Malgré une menace grandissante et l’existence de nombreuses solutions techniques souveraines, l’arsenal français reposait alors sur des moyens embryonnaires et parfois « artisanaux ». Ce sont les trois systèmes BASSALT fournis par Hologarde, les systèmes MILAD de CS Group, les 50 fusils brouilleurs de MC2 Technologie ou encore les quatre VAB ARLAD conçus en urgence opération par la Section technique de l’armée de Terre. Bien trop peu pour protéger simultanément des emprises militaires, des troupes en OPEX et des événements publics.
Érigée en programme à effet majeur en 2022, la lutte contre les drones de moins de 25 kg bénéficie désormais d’une ligne budgétaire permettant de donner de l’ampleur et de la cohérence à des initiatives jusqu’alors limitées et éparses. Avec 350 M€ potentiellement alloués sur 11 ans et des applications élargies à l’ensemble des armées, PARADE en est le porte-drapeau. Après le pic d’investissement de 2022, moins de 10 M€ seront engagés au profit de l’opération LAD l’an prochain. L’enveloppe servira essentiellement à commander une tranche de trois moyens LAD au profit de la Marine nationale et à la mise à hauteur de quatre systèmes MILAD. En parallèle, un effort sera consenti sur la modernisation des formations à destination du personnel.
Le fléchissement du volet financier peut paraître paradoxal, mais la réflexion ne s’arrête pas là. « S’agissant des systèmes PARADE, nous souhaiterions en avoir davantage et pouvoir en déployer sur chacune des bases pour éviter un survol de drones », indiquait le CEMAAE. Mais il s’agira avant tout de miser sur la modularité et l’évolutivité du système. « Ce ne serait pas de bonne politique que d’acheter 100 systèmes PARADE d’un coup alors que ce domaine évolue très vite. Dans deux ans, nos besoins seront différents. Il nous faut garder agilité et flexibilité », relevait à ce titre le CEMAAE.
Derrière les acquisitions, la recherche continue. « L’innovation reste un axe de très grande importance et l’attention portée aux crédits d’étude sera maintenue. Parmi nos grandes priorités je citerai la lutte anti-drones, l’hypervélocité et les fonds marins, ainsi que le développement d’armes à énergie dirigée », indiquait le chef d’état-major des Armées, le général Thierry Burkhard, à l’automne dernier en audition parlementaire.
« Toutes les pistes sont ouvertes afin de renforcer notre capacité de lutte anti-drones, sur nos emprises et sur nos théâtres de déploiement. Singapour dispose de drones intercepteurs, décollant et volant très vite, capables d’attraper un autre drone avec un filet », complétait le CEMAAE. Le drone « tueur de drones », une brique parmi d’autres présentées par certains industriels français comme MBDA et qui pourrait être l’une des évolutions intégrées dans PARADE. « Nous réalisons actuellement une expérimentation à Mont-de-Marsan sur des moyens à énergie dirigée », ajoutait-il sans détailler la technologie mise à l’épreuve. C’est néanmoins à quelques encablures de là, sur le site de Biscarosse de DGA Essais de missiles, qu’ont été réalisés les premiers essais du laser anti-drones Helma-P développé par CILAS, autre segment du PEM LAD dont un prototype devrait être disponible pour les JOP 2024. Et tout cela, sans compter sur de possibles inflexions supplémentaires inscrites dans la future loi de programmation militaire pour 2024-2030.