Ce que signifie le « F35 » dans l’expression de la politique de puissance des Etats-Unis d’Amérique
Le F35 Lightning II est un avion de chasse fabriqué par l’entreprise américaine Lockheed Martin. Monomoteur, furtif, polyvalent. Il est capable de décollage et atterrissage vertical et dispose d’une visée électronique et d’un système de communication sans équivalent. Reliées au casque des caméras disposées autour du fuselage projettent sur sa visière ce que verrait le pilote si l’avion était transparent. D’un certain point de vue, le F35 pourrait ressembler à ce que le manga futuriste Macross-Robotech de Noburi Ishiguro en 1987 mettait en scène : des Variable-Fighters, des avions capables de se transformer en robot.
Toutes ses capacités font du F35 un appareil de 5ème génération, un des avions de combat les plus performants au monde. Pourtant il est de notoriété que le F35 rencontre encore de nombreuses difficultés. Son dernier crash remonte à moins d’un mois lors d’un atterrissage, certes vertical, raté sur une base militaire du Texas à Fort Worth. Dans le monde des matériels militaires, les avions de chasse occupent une place singulière de par l’avantage décisif qu’ils procurent dans un conflit. Les avions de chasse ne garantissent pas à eux seuls la victoire mais peuvent pratiquement éviter la défaite. De ce fait, pour les États-Unis d’Amérique, première puissance militaire mondiale, il est juste inconcevable de ne pas disposer du meilleur avion de combat présent, et même futur, pour conserver leur pleine influence et leur supériorité militaire.
Le laurier des autres est toujours une plante amère.
En 1999, je vivais à Doha capitale du Qatar, riche émirat pétrolier et déjà un important client de l’industrie aérienne militaire française avec des mirages 2000-9 dont même l’armée française ne disposait pas. J’y étais coopérant et avais eu l’occasion de rencontrer plusieurs pilotes de chasse français, tous désabusés, car pensant voler, ils avaient été mutés là-bas uniquement pour y faire de l’instruction. Je leur posais régulièrement la question des difficultés rencontrées à l’export par l’avion de combat français Rafale qui devait à lui seul remplacer tous les autres appareils en service par sa polyvalence.
Une conviction unanime se dégagea en guise de réponse : les États-Unis d’Amérique avaient décrété l’interdiction d’exportation du Rafale et ne pouvaient tolérer une concurrence aussi sérieuse. Aux moyens de pression infinis, les clients potentiels étaient tout simplement dissuadés…entre alliés ou adversaires de la guerre économique, l’arbitraire est une arme comme les autres même si elle contrevient à la libre concurrence. Ayant apporté la preuve de son efficacité au combat (combat proven), le Rafale n’a réussi à s’exporter que très tardivement. Son évolution du standard F1 au standard F3 l’ayant aidé, il est aussi curieux de noter la coïncidence du calendrier entre le renoncement de la vente des bateaux Mistral à la Russie et les soudains succès à l’export du Rafale en 2015.
Conséquence de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la France, sous pression, a décidé de l’annulation du contrat pour la livraison des deux porte-hélicoptères commandés par le Kremlin en 2010. Dans cette situation, il n’est pas impossible d’envisager le premier succès à l’export du Rafale comme une mesure de compensation avec la levée de l’interdiction implicite américaine. La dénonciation du contrat russe, a permis à la France d’exporter ses premiers Rafales à l’Égypte, qui de plus, lui a racheté les deux navires initialement destinés à la Russie. Connaissant l’importance de l’aide militaire américaine à l’Égypte représentant près de 1.3 milliards de dollars par an, il est difficile d’imaginer que Washington n’ait pas eu à donner son accord à une telle opération.
Diplomatie de la canonnière
Les avions de chasse sont des éléments de la diplomatie de la canonnière, mais contrairement à la force atomique, ils sont un Ultima Ratio dont se servent les États. Le F35 symbolise aussi le pouvoir d’influence que le complexe militaro-industriel exerce sur la politique américaine.
Il n’apparaît pas uniquement comme un révélateur des mauvaises priorités de la politique américaine comme le dit l’historien Michael Brenes à l’université de Yale, mais comme un outil pour satisfaire nos angoisses présentes et futures. Avec la guerre en Ukraine, la menace d’un conflit avec la Chine se fait plus pressante. Le F35 serait la réponse à cette éventualité pour le Pentagone de toute évidence. John Fitzgerald Kennedy avait alerté sur les dangers que les lobbies faisaient peser sur la démocratie. Celui de l’industrie d’armement est probablement le plus puissant d’entre eux.
Le F35 est un pur produit du système de défense américain révélant les relations étroites entre les groupes industriels et l’armée, entre les chefs d’entreprise et le congrès. Au-delà du chantage à l’emploi, on parle de 30 000 personnes chez Lockheed Martin et du soutien à apporter aux entreprises, comme ce fut le cas pour la production de l’avion C-5 Galaxy destiné au transport, son implantation dans 45 états et à Porto Rico confère à Lockheed Martin un pouvoir de pression considérable.
Depuis les années 1907 les industries d’armements mise en place après la seconde guerre mondiale ont progressivement été privatisées, le marché a décidé de s’emparer des profits de cette industrie…conséquence là où l’armée US jouait son rôle de maitrise d’ouvrage auparavant, pour le F35 toutes les décisions sont prises par le constructeur, le département américain chargé du programme devant se contenter d’être spectateur et laissant le congrès impuissant face Lockheed Martin.
Du dollar F16 au dollar F35
Le F35 ne peut être réduit à un avion de 1000 milliards de dollars, voire d’avantage avec un cout planifié sur 66 ans, mais constitue aussi un outil de politique économique destiné à perpétuer le dollar F16. On parle de dollar F16, renvoyant au chasseur de supériorité aérienne F16 Fighting Falcon construit par General Dynamics à 4608 exemplaires pour 28 clients dans le monde, comme d’un avertissement pour ceux qui seraient tentés de renoncer à l’usage du dollar comme monnaie de réserve. A une autre époque, la France de François Mitterrand menait au Tchad la politique du Jaguar issue du nom de l’avion de chasse franco-britannique spécialisé dans le bombardement au sol.
La nouvelle de la mort du F35 a été très exagérée
Décrié pour ses coûts de développement et d’exploitation 3 fois supérieurs à ce qui avait été prévu, on parle de plus de 1000 md$, le F35 est aussi sujet à controverse du fait de sa technologie complexe ayant conduit à la destruction de plusieurs exemplaires. Alors même qu’il ne répond pas au mieux aux besoins de ses armées clientes, il est intéressant de noter que cet avion est en passe de devenir le standard de toute la force aérienne occidentale.
Les exemples des nations étrangères ayant acheté le F35 malgré l’absence de conviction de leurs dirigeants sont nombreux. Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, avait d’ailleurs promis de retirer son pays du programme lors de sa campagne électorale de 2015…finalement le Canada a acheté des F35, comme la Suisse et l’Allemagne après Israël, le Royaume-Uni, l’Australie, l’Italie , la Norvège, le Japon, la Corée du Sud, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique, la Finlande, la Pologne…la Grèce et la Roumanie se sont déclarées intéressées. Seule la Turquie, exclue du programme pour avoir acquis le système de défense aérien russe S-400, n’aura pas de F35.
Le F35 est essentiel à la conduite de la politique étrangère américaine et va devenir la norme aérienne du modèle OTAN induisant par la même un risque de mort programmée de l’industrie militaire aérienne européenne. Quid des successeurs du Rafale, Eurofighter, Grippen ? L’avenir déjà compliqué du programme SCAF s’annonce un peu plus incertain.
Cette convergence des intérêts de la puissance étatique américaine et ceux de l’entreprise a permis à Lockheed Martin d’influencer le budget du programme en s’imposant comme maitre d’œuvre à tous les niveaux de la production ; du matériel d’entrainement et de la formation des pilotes ; de la maintenance et de la formation des techniciens ; dans la logistique et l’équipement. En ayant pris le contrôle du projet F35, Lockheed Martin s’assure une rente sur l’argent des contribuables américains. L’avenir dira si le F35 ne menace pas uniquement ses ennemis ou l’industrie européenne mais peut-être aussi la démocratie elle-même.