DOSSIER. Manipulation, désinformation, espionnage, lobbying… La France trop vulnérable aux ingérences étrangères

DOSSIER. Manipulation, désinformation, espionnage, lobbying… La France trop vulnérable aux ingérences étrangères

  • DOSSIER. La France encore trop vulnérable aux ingérences étrangères
    DOSSIER. La France encore trop vulnérable aux ingérences étrangères iStockphoto – gorodenkoff

l’essentiel Le dernier rapport annuel de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) alerte sur les ingérences étrangères qui ciblent la France. Opérations de déstabilisation de l’opinion, notamment en périodes électorales, espionnage industriel, lobbying puissant et enrôlement de personnalités françaises mettent à l’épreuve la France et l’Europe.

C’est une vidéo de 39 secondes appelant au boycott des Jeux olympiques de Paris en 2024, qui a été visionnée des millions de fois sur les réseaux sociaux depuis fin juillet. Une vidéo dénoncée par les autorités françaises comme étant une campagne de manipulation de l’information visant à porter atteinte à la réputation de la France dans sa capacité à accueillir les JO.

Cette campagne a été orchestrée par des acteurs liés à l’Azerbaïdjan selon un rapport de Viginum, l’organisme de lutte contre les ingérences numériques étrangères, dévoilé hier. Cette opération a été vraisemblablement conduite en rétorsion à l’implication de la France ces derniers mois dans la médiation entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, deux anciennes républiques soviétiques en conflit depuis trente ans. Viginum a conclu que cette campagne « Olimpiya » (JO en azéri), « est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Et l’organisme s’attend à d’autres potentielles campagnes visant les JO.

Cette affaire est une illustration des ingérences étrangères qui frappent notre pays – et plus largement les démocraties européennes – comme celle des étoiles de David peintes au pochoir sur des façades parisiennes.

Le piratage des serveurs du candidat Macron en 2017

Opérations de désinformation sur les réseaux sociaux, de déstabilisation de l’opinion, notamment en périodes électorales, espionnage industriel, cyberattaques, lobbying puissant et enrôlement de personnalités françaises se multiplient depuis plusieurs années et mettent à l’épreuve la France comme l’Union européenne. Derrière ces opérations d’ingérence, la Russie, la Chine et parfois des puissances amies comme l’ont montré les révélations d’Edward Snowden sur les systèmes d’écoute de la NSA américaine ou l’affaire du logiciel Pegasus, utilisé par plusieurs pays, dont le Maroc, pour mettre sous surveillance les portables de nombreuses personnalités politiques et des chefs d’État et de gouvernement comme Emmanuel Macron.

L’actuel président de la République est d’autant plus sensible au sujet que durant la campagne présidentielle de 2017, les serveurs d’En Marche avaient été piratés entre les deux tours, vraisemblablement par la Russie. S’en était suivie une fuite massive de documents confidentiels, les MacronLeaks.

Ces dernières années, et particulièrement depuis 2017, plusieurs rapports fouillés ont documenté toutes ces opérations, souvent très sophistiquées et s’appuyant parfois sur des personnalités politiques de premier plan. En octobre 2021, Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer et Paul Charon publient au nom de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem), un rapport qui fait date sur « Les opérations d’influence chinoises ». Sous-titré « un moment machiavélien », il décrypte « une russianisation » des pratiques de la Chine.

Opérations d’influence chinoises massives

Ce rapport de 646 pages montre que la Chine entend « vaincre sans combattre, en façonnant un environnement favorable » à ses intérêts. Les acteurs principaux de ces opérations d’influence chinoises sont des émanations du Parti communiste chinois (département de Propagande, Bureau 610, qui a des agents dans le monde entier, Ligue de la Jeunesse), de l’État, de l’Armée (notamment les cybersoldats de la base 311) mais aussi des entreprises publiques et privées.

Tous ont deux objectifs : « séduire et subjuguer les publics étrangers, en faisant une narration positive de la Chine » et surtout « infiltrer et contraindre » via une diplomatie agressive et coercitive, qui s’appuie aussi sur des personnalités en France comme l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.

Guerres hybrides

Autre rapport, celui de « la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français ». Remis le 1er juin dernier par les députés RN Jean-Philippe Tanguy et RE Constance Le Grip, ce rapport estime que la Russie est la principale menace pour les démocraties occidentales en termes d’ingérence, mais il pointe aussi la Chine, l’Iran, le Maroc, le Qatar et la Turquie. Soulignant les vulnérabilités de la France, il considère que « les ingérences peuvent être des actes d’une guerre hybride d’États qui nous sont hostiles. »

La perspective d’une guerre hybride inquiète au plus haut point l’armée française, qui voit l’impact des manipulations étrangères survenues en Afrique autour de l’opération Barkhane, ou celles liées à la guerre en Ukraine. « Les guerres hybrides seront de plus en plus complexes à appréhender » , prévenait déjà fin 2022 Sébastien Lecornu, ministre des Armées. « L’invasion russe en Ukraine a également été favorable à des campagnes d’espionnage stratégique au cours de l’année 2022 et a fourni un contexte favorable à des actions de déstabilisation en Europe », relève l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) dans son panorama de la cybermenace 2022.

Le rapport de la délégation parlementaire au renseignement publié ce mois-ci résume l’état actuel des ingérences en estimant que les puissances étrangères profitent « d’une forme de naïveté et de déni » de la France dont elle doit rapidement sortir…