Le Conseil constitutionnel retoque à nouveau le financement de l’industrie de défense par le Livret A
« La taxonomie est une réalité de plus en plus pressante. Le léger assouplissement lié au choc de l’invasion russe n’a pas empêché un retour à la tendance : on continue à pointer du doigt l’industrie de défense comme non durable. Cela touche le financement mais aussi, plus largement, l’ensemble des acteurs susceptibles de participer à l’industrie de défense », avait ainsi expliqué Emmanuel Levacher, le PDG d’Arquus, lors d’une audition au Sénat, en mars dernier.
Et d’ajouter : « Par exemple, un salarié peut se voir refuser un crédit immobilier parce qu’il travaille pour l’industrie de défense. Cela montre l’ampleur de cette pression malsaine subie par l’industrie, incompatible avec la nécessité reconnue de remonter en puissance ».
Aussi, lors de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, députés et sénateurs s’étaient mis d’accord pour orienter une partie des encours du Livret A vers le financement de la BITD. Seulement, le Conseil constitutionnel censura cette disposition, estimant qu’il s’agissait d’un « cavalier législatif ».
Pour autant, les parlementaires parmi les plus actifs sur ce sujet ne désarmèrent pas. Les députés Jean-Louis Thiérot [LR], Christophe Plassard [Horizons] et Thomas Gassilloud [Renaissance, président de la commission de la Défense] revinrent à la charge à l’occasion du projet de loi de finances 2024. Et ils firent voter un amendement visant à affecter une partie de l’épargne collectée au titre des Livrets A et de développement durable et solidaire au financement de la BITD.
« Les encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire ont atteint quelque 510 milliards d’euros à la fin de l’année 2022. Il est de la responsabilité de l’État de faire converger l’épargne privée disponible avec ses priorités stratégiques », avait d’ailleurs soutenu M. Plassard, dans un rapport sur le financement de l’économie de guerre publié quelques mois plus tôt.
« Le Livret A va financer l’industrie de défense! Je salue cette proposition de parlementaires pour flécher une partie des encours vers des entreprises et des PME de défense. C’est une bonne nouvelle pour notre souveraineté, pour la réindustrialisation et pour la défense! », s’était alors félicité Sébastien Lecornu, le ministre des Armées.
Le PLF 2024 ayant fait l’objet d’un recours à l’article 49-3 de la Constitution, la motion de censure déposée par l’opposition fut rejetée. Aussi pouvait-on penser que ce dossier était réglé. Mais c’était sans compter sur une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel, les députés de la Nupes ayant estimé que cette mesure constituait un « cavalier budgétaire ».
Ainsi, dans un avis rendu ce 28 décembre, les Sages de la rue de Montpensier leur ont donné raison.
« L’article 197 modifie notamment l’article L. 221-5 du code monétaire et financier afin de prévoir que les ressources collectées par les établissements distribuant le livret A ou le livret de développement durable et solidaire non centralisées auprès de la Caisse des dépôts pourront également être employées au financement des entreprises de l’industrie de défense française. […] Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions adoptées en méconnaissance de la règle de procédure relative au contenu des lois de finances, résultant des articles 34 et 47 de la Constitution et de la loi organique du 1er août 2001 », ont-ils en effet expliqué.
Et d’ajouter : « Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles ». Ce qui veut dire que le financement de la BITD par le Livret A devra faire l’objet d’un projet [ou d’une proposition] de loi distinct.
Photo : Arquus