Reconnaissance de l’électrosensibilité : un rentable jeu de dupe
Qu’est-ce que l’électrosensibilité ? Il s’agit d’un trouble auto-diagnostiqué caractérisé par des symptômes neurasthéniques, végétatifs, ou dermatologiques, très variés et non spécifiques, qui diffèrent d’un individu à l’autre, mais que les personnes affectées relient à leur exposition aux ondes. Face à une telle définition, il apparaît pertinent et nécessaire de convoquer la physique des rayonnements et les résultats des études de provocations pour mieux cerner la nature réelle de l’électrosensibilité et en comprendre l’étiologie la plus probable, dont nous allons voir qu’elle n’a aucun rapport avec l’exposition aux ondes.
Les ondes sont des rayonnements électromagnétiques dont les mécanismes d’action, au niveau biologique, diffèrent selon leur fréquence. Dans le domaine des radiofréquences, telles qu’exploitées par la téléphonie mobile et la majorité des appareils communicants sans fil, le seul effet avéré qui pourrait affecter la santé est l’échauffement des tissus par agitation moléculaire sous l’action du rayonnement. Or, des études ont permis de corréler l’intensité d’échauffement des tissus avec la puissance absorbée (ou DAS, Débit d’Absorption spécifique), et d’en tirer des limites d’exposition réglementaires très protectrices dont l’application rend impossible l’apparition de phénomènes d’échauffement notable et délétère des tissus en cas d’exposition aux ondes communément rencontrées dans l’environnement; même chose pour les différents compteurs communicants, qui émettent généralement moins d’ondes « parasites » que les petits appareils électroménagers.
On peut donc écarter les effets thermiques de la liste des causes possibles de tout ou partie des symptômes vécus par les électrosensibles. Or, aucun mécanisme scientifiquement plausible ne peut être convoqué pour expliquer un « autre » effet des ondes radiofréquence, dans les conditions d’expositions communes.
S’il n’existe pas de mécanisme d’action scientifiquement décrit, existe-t-il au moins une approche clinique démontrant la réalité de l’électrosensibilité ? Pour répondre à cette question, un échantillon de personnes se disant électrosensibles a participé, voilà plusieurs années déjà, à des études de provocation, lesquelles consistaient à tester leur capacité, dans des expériences contrôlées en double aveugle, à déterminer si une source d’émission d’ondes à proximité d’elles était active ou pas. Les résultats de ces études, plusieurs fois répliquées, démontrent une réalité bien éloignée des discours militants faisant de l’électrosensibilité une maladie des ondes: les électrosensibles testés étaient incapables de faire mieux qu’une pièce que l’on jouerait à pile ou face pour détecter la présence d’ondes dans les salles d’expérimentation. Pire, certains participants durent cesser les expériences à cause des douleurs ressenties, qu’ils attribuaient aux ondes… lors de conditions d’exposition fantôme, c’est-à-dire en l’absence d’onde.
Absence de preuve scientifique d’une relation causale entre exposition aux ondes et électrosensibilité, absence de mécanisme plausible, absence de preuve clinique, douleurs ressenties en condition d’exposition fantôme… tout cela plaide pour l’hypothèse d’une étiologie psychologique, dans laquelle c’est l’exposition socio-cognitive aux informations inquiétantes entourant les ondes qui rend les gens malades en les poussant à attribuer, par erreur, des symptômes d’un trouble anxieux préexistant à l’exposition aux ondes, ce qui le mute en phobie des ondes; mécanisme que j’ai eu l’occasion d’expliciter plus en détail [1,2] et dans lequel le focus attentionnel, le biais de confirmation et l’amplification somato-sensorielle jouent un rôle, semble-t-il, majeur.
Dans cette hypothèse, il est à craindre que toute forme de reconnaissance de l’électrosensibilité favorisera le développement de stratégies d’évitement et de défense, comme le recours à des dispositifs anti-ondes, qui, parce qu’ils s’apparentent à des objets contra-phobiques, sont susceptibles de maintenir la phobie en diminuant l’anxiété et apaisant les symptômes associés, et en renforçant ainsi la croyance que ces symptômes sont produits par les ondes et qu’il est nécessaire de s’en protéger… l’exemple, réel, d’un électrosensible qui affirmait dormir beaucoup mieux dans la proximité immédiate d’un brouilleur d’ondes, et percevoir une disparition de ses symptômes, alors que, par construction, un brouilleur d’ondes est un intense émetteur radiofréquence, illustre la puissance des mécanismes psychologiques à l’œuvre.
La reconnaissance de l’électrosensibilité est donc un jeu de dupe. Le business model du lobby anti-ondes en serait le grand gagnant, lui qui prospère sur la souffrance psychologique des électrosensibles et n’a aucun intérêt à ce que leurs troubles disparaissent. C’est à ce business, basé sur la souffrance, auquel les députés offriront de belles perspectives de développement commercial s’ils adoptaient le texte proposé le 17 septembre 2024, en faisant fi de la réalité scientifique et en accordant crédit aux marchands de peur et de gadgets anti-peur, qui pourraient ainsi être intégrés aux listes des produits et prestations remboursables sur les deniers publics… ce qui n’est pas sans rappeler d’autres dérives comme le financement, par les chambres d’agriculture, d’interventions de géobiologues, chargés de détecter les « mauvaises ondes » et autres « énergies négatives » dans les élevages [3].
Ce qu‘il faut pour traiter sérieusement l’électrosensibilité et aider les personnes qui en souffrent, c’est, d’une part, qu’elle soit comprise et abordée comme une phobie, et d’autre part que des thérapies cognitivo-comportementales soient mises en place et proposées aux électrosensibles. La communauté des psychologues cliniciens doit se saisir du sujet et ne pas laisser le champ libre aux pseudoscientifiques.
[1] Sébastien Point, Syndrome EHS: une grave épidémie de croyances, Physique au Canada, Vol.76, n°1,2020.
[2] Sébastien Point, Electrohypersensitivity as a new psychological disorder, Skeptic Magazine, Vol.26, N°4, 2021.
[3] « Élus ne cédez pas à la géobiologie » S. Point (Interview), European Scientist, novembre 2024.