Rapport de la Cour des comptes sur les zones de compétences : l’analyse du général (2S) Bertrand Cavallier
Le général de division (2s) de Gendarmerie Bertrand Cavallier, expert en sécurité intérieure, consultant pour plusieurs médias, dont la Voix du Gendarme, réagit au rapport de la Cour des Comptes consacré aux zones de compétences de la Gendarmerie et de la Police.
LVDG : le ministre de l’Intérieur doit-il suivre les recommandations de la cour des comptes du sujet des zones de compétences ?
Général (2S) Bertrand Cavallier : la Cour des comptes formule des pistes de réflexion intéressantes qui ne sont cependant pas nouvelles. Mais elle ne prend pas, à mon avis, suffisamment en considération, deux éléments essentiels qui renvoient au principe de redevabilité envers la population.
Tout d’abord, le service de sécurité concret rendu tant dans la mission du quotidien que dans la capacité de montée en puissance en cas de crise ponctuelle ou généralisée, au profit des populations. En la matière, il suffit de se poser de façon non exhaustive quelques questions incontournables :
– le nombre de patrouilles à un instant T (notamment la nuit), par rapport à l’effectif d’une unité donnée ;
– les chiffres de la délinquance, sachant que les phénomènes nouveaux qui touchent la Gendarmerie – principalement le trafic de stupéfiants – sont générés à partir de zones devenues de non droit qui ne relèvent pas de sa compétence;
– la réponse à l’évènement. Comme le révèle la Cour des comptes, le protocole CORAT (Coopération opérationnelle renforcée dans les agglomérations et les territoires) est quasi exclusivement dans un sens unique, alors même que très souvent, l’unité de Police bénéficiaire compte plus d’effectifs que l’unité de Gendarmerie fournisseuse de renforts, et que celle-ci est déjà en charge d’une circonscription peuplée mais également très étendue ( la Gendarmerie assure la sécurité au profit de 55% de la population sur 95% du territoire national).
Ensuite, mais adossée à ce concept de redevabilité, la productivité d’un service donné, par rapport à la dotation budgétaire allouée. Ce critère prend tout son sens dans un contexte budgétaire dégradé et incertain, dans lequel d’aucuns souhaiteraient recourir encore plus à l’impôt, c’est-à-dire demander plus encore aux citoyens, sans garantir en retour une amélioration significative du service rendu.
LVDG : au delà des seuls transferts de zones de compétence, quelles sont les mesures à adopter d’urgence selon vous pour répondre aux attentes des Français en matière de sécurité ?
Général (2S) Bertrand Cavallier : je me suis déjà exprimé dans ce même média sur certains grands axes autour desquels pourraient s’articuler l’action du ministre de l’Intérieur. Sachant que la situation est grave et, comme l’a indiqué le préfet des Alpes-Maritimes, va empirer. Je constate cependant une rupture au sens positif du terme dans la politique sécuritaire initiée depuis septembre dernier.
L’arrêt des surenchères catégorielles
S’agissant des mesures d’urgence, j’en identifie quatre, qui participent évidemment d’une dynamique inter-ministérielle :
– d’une part, au travers d’une démarche globale, et de remise à plat du système (attendue notamment par Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats FO), pouvoir réamorcer la logique du procès pénal, c’est-à-dire la cohérence entre le constat d’une infraction, l’identification de son auteur, et son renvoi effectif devant une juridiction avec le restauration de la peine d’emprisonnement (même très court, voir l’exemple danois). Or les prisons sont pleines, et l’augmentation des infractions graves, notamment les violences de toute sorte, va accentuer l’absurde auxquels sont confrontés gendarmes et policiers dans l’exercice de leur mission, sans évoquer le désarroi de la population. En conséquence, l’expulsion des étrangers (plus de 20% des personnes détenues) à l’issue de leur emprisonnement est un impératif majeur qui ne saurait être subordonné à de quelconques arguties diplomatiques. La France doit redevenir souveraine. Cette mesure aura de surcroît un effet dissuasif s’agissant du comportement d’individus d’orgine étrangère, tout en confortant l’immense majorité des étrangers qui respecte les lois de la République. Par ailleurs, la construction de nouvelles prisons (15 000 places) est incontournable, et devrait permettre, de créer notamment des établissements dédiés aux courtes peines, comme l’envisage le garde des sceaux, Gérald Darmanin.
– la reconquête effective de certains quartiers, devenus des centres de gravité des organisations criminelles, selon une logique de concentration des efforts et d’approche globale, en s’appuyant sur l’ensemble des capacités dont dispose l’Etat, y compris de renseignement et de services spécialisés, en agissant tant sur les filières étrangères (narco-trafic) que sur les mouvances de blanchiment. La République doit démontrer qu’elle est forte. La sixième puissance mondiale doit prouver qu’elle est capable de maintenir l’ordre sur son propre territoire. Cette reconquête doit être adossée à un véritable contrôle des frontières intérieures et extérieures de l’Union européenne, tant les flux d’immigration massifs déstabilisent aujourd’hui de façon globale le corps social.
– l’arrêt des surenchères catégorielles qui ont été dominantes depuis trente ans, au point, sur fond de budget qui ne saurait être illimité, de fragiliser le fonctionnement et surtout de sacrifier les investissements.
La réalité budgétaire s’impose aujourd’hui à une France qui doit redécouvrir le sens de l’effort, qui doit refaçonner une fonction publique trop longtemps dominée par le fameux “Toujours plus”, titre d’un livre de François de Closets paru en 1984 et, force de le constater, toujours d’actualité!
Le toujours plus de moyens n’est plus acceptable. Doivent être évoqués, d’ailleurs pointées du doigt à plusieurs reprises par la Cour des comptes, la complexité et la réalité des règles de fonctionnement des forces de sécurité intérieure. Doit être notamment clarifiée la question du temps de travail effectif (sans évoquer les abus d’arrêt de travail qui atteignent des proportions inégalées dans la fonction publique). S’agissant de la Gendarmerie, cette question du temps de travail renvoie bien évidemment au maintien de sa pleine appartenance aux forces armées, tel que voulu par la représentation nationale par la loi du 4 août 2009. (*)
Réformer le cadre juridique de l’usage des armes
– La dernière mesure mais qui appellera un développement particulier, porte sur la réforme du cadre juridique de l’usage des armes par les forces de sécurité intérieure, défini par l’article 435-1 du Code de la sécurité intérieure. Ce cadre qui, est notamment devenu plus restrictif pour la Gendarmerie, n’est manifestement pas adapté à l’évolution de la délinquance.
Il met en insécurité physique et juridique les membres des forces de l’ordre dans de nombreuses situations où ils devraient intervenir, y compris par le recours à l’usage des armes.