Avec les premières sous-marinières françaises

Avec les premières sous-marinières françaises

Quatre femmes officiers viennent de rentrer de leur première patrouille à bord du sous-marin nucléaire lanceur d’engins « Le Vigilant ».

Ces pionnières, âgées de 27 à 40 ans, témoignent de leur « fierté » d’être intégrées à ces missions ultra sensibles.

 

Brest

De notre envoyée spéciale

« Le Vigilant » est rentré, sa coque noire luit au soleil, un dauphin barbote autour de lui, jouant avec l’une de ses amarres. Dans la rade de Brest, l’île Longue est l’antre ultra secrète des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) qui assurent la permanence en mer de la dissuasion nucléaire de la France. Mais lundi, dans la base sous-marine, les vedettes ne sont ni le monstre de 12 000 tonnes ni le cétacé. Quatre femmes officiers viennent d’effectuer leur première patrouille à bord d’un SNLE. Deux mois et demi en mer inconnue pour des pionnières et leurs compagnons de l’équipage rouge du « Vigilant ».

La médecin Pauline, 31 ans, l’enseigne de vaisseau Harmonie, 27 ans, officier pour la « sécurité plongée », et l’enseigne de vaisseau Camille, 29 ans, officier « lutte sous la mer » se présentent, l’une après l’autre. La capitaine de corvette Karen, 40 ans, mère d’un garçon de 8 ans, ingénieure « atomicienne », n’est pas présente, retenue à Paris pour les répétitions du 14-Juillet.

De ce bouleversement culturel dans un monde exclusivement masculin, les jeunes femmes s’attachent à banaliser la portée, préférant évoquer une « évolution » normale et leur « fierté d’être intégrées ». D’abord intimidées, derrière leur regard un peu cerné, les jeunes sous-marinières finissent par laisser apparaître leur caractère déterminé et la passion pour leur métier. Elles mettent en avant leur longue préparation, depuis que l’ancien ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a annoncé en 2014 « l’expérimentation ». Jusqu’à deux ans de formations complémentaires et d’entraînements sur simulateur.

« J’ai dû enlever ma casquette de médecin pour prendre celle de dentiste »

« J’étais médecin généraliste et j’ai acquis des compétences sur le plan chirurgical, en formation dentaire et en hygiène nucléaire », explique la médecin Pauline, passée par l’École du service de santé des armées de Bordeaux. Et cela lui a servi ! « J’ai dû enlever ma casquette de médecin pour prendre celle de dentiste. Soigner une grosse carie qui faisait souffrir un jeune matelot. Le voir repartir au quart et tenir deux, trois semaines de plus a été une satisfaction. » Si elle a reçu une formation en chirurgie, c’est pour réaliser des interventions à bord, comme une appendicite, car il n’est pas question pour un SNLE, qui doit rester indétectable, de remonter à la surface. En quarante-cinq ans de dissuasion, il n’y a eu que quinze évacuations sanitaires.

Habituée à la « lutte sous la mer » à bord d’une frégate multimissions, l’enseigne de vaisseau Camille est devenue un as de la détection grâce aux sonars, les oreilles du sous-marin, celui-ci devant rester caché en permanence. « Il faut être très joueur face à des sous-marins très agiles, et très combatif aussi car la recherche peut être longue », explique-t-elle, reconnaissant que son travail s’apparente à « une chasse ». L’enseigne de vaisseau Harmonie se montre très aguerrie, elle aussi. Seule femme à bord d’une frégate de défense aérienne, elle commandait 24 garçons. La production de l’eau et de l’air, les bars, les huiles, la mécanique n’ont aucun secret pour elle. « J’ai fait le tour de tous les postes de chef de quart pour connaître le sous-marin par cœur, raconte-t-elle. La période en simulateur a permis d’éloigner la pression. »

« À bord, il n’y a pas de vie privée. On est dans une vie professionnelle 24 heures sur 24 »

Avant d’embarquer, il a pourtant fallu lever les doutes. Sur des questions d’ordre pratique. Les femmes auraient-elles des douches réservées et des passe-droits ? Les hommes pourraient-ils continuer à faire du sport en short ? « L’habitabilité du SNLE permet le logement, il n’y a pas eu d’aménagement spécifique. Les officiers sont logés en chambre individuelle ou pour deux. Les réticences ont été levées très vite », explique le capitaine de frégate Mathieu, commandant en second du « Vigilant ». L’arrivée de femmes à bord pouvait aussi inquiéter les épouses de sous-mariniers. « On a fait des dîners entre officiers avec les conjoints avant de partir », rassure l’enseigne de vaisseau Harmonie. « À bord, il n’y a pas de vie privée. On est dans une vie professionnelle 24 heures sur 24 », ajoute le commandant en second, se montrant ferme sur les codes comportementaux.

Des femmes de militaires sur le front du quotidien

Après cette expérience, le commandement de l’escadrille de SNLE va continuer à féminiser « progressivement » les sous-marins. Un deuxième équipage partira à l’automne avec deux femmes à bord, tandis qu’une dizaine d’autres sont en formation.

Un taux de féminisation qui reste bas

► « L’armée française est la quatrième armée la plus féminisée au monde. Le taux de féminisation, à 15 %, reste cependant bas et insatisfaisant, et il diminue au fur et à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie », a rappelé la ministre des armées Florence Parly le 8 juillet.

► Le personnel féminin représente 14,7 % des officiers, 17,4 % des sous-officiers, 12,8 % des militaires du rang et 28,3 % des volontaires, selon le bilan social 2016 du ministère des armées.

► La Marine nationale compte 14,9 % de femmes. Cinq femmes sont commandantes et 36 ont commandé depuis 1993. Aucune femme n’est brevetée commando marine.

► Les actuels sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) ne sont pas adaptés pour accueillir des femmes mais la prochaine génération de SNA, type Suffren, en service en 2019, est conçue pour la féminisation.