Ceux de 14 – Max Mader, un héros français de la Grande Guerre d’origine… allemande
Photo : Le sous-lieutenant Max Mader, à gauche sur la photo.
En ce début d’août 1914, les ressortissants allemands engagés au sein de la Légion étrangère se trouvèrent devant un cas de conscience : prendre les armes contre le pays qui les avait vu naître ou pour celui qu’ils avaient choisi de servir?
L’écrivain Ernst Jünger, qui relatera, en 1936, son expérience de légionnaire dans « Jeux africains« , prit la décision de déserter pour rejoindre l’armée allemande. D’autres conservèrent en leur « coeur » la devise de la Légion étrangère : « Legio Patria Nostra ». Et certains eurent une conduite héroïque, comme Max Mader.
Né le 18 janvier 1880 à Giengen [Wurtemberg, Allemagne], Max Mader est incorporé dans un bataillon de pionners wurtembourgeois à 18 ans. D’un caractère bien affirmé, il aurait eu un « différend » avec l’un de ses supérieurs. Que s’est-il passé? Difficile à le dire avec certitude… Mais il aurait probablement soldé définitivement ses comptes avec ce « supérieur », ce qui expliquerait ensuite sa désertion…
Quoi qu’il en soit, en décembre 1889, venu de la Suisse, Max Mader se présente à un bureau de recrutement de la Légion étrangère et signe un engagement de cinq ans. Affecté un 1er Régiment Étranger [RE], il sert au Tonkin jusqu’en 1904. Arrivé au bout de ses cinq années de contrat, il rempile pour un second. Il rejoint alors le 2e RE, à Saïda [Algérie]. Là, il prend part à de nombreux combats dans les régions sahariennes du Maroc et de l’Algérie.
En 1909, Max Mader est promu caporal. Et, désormais, il sert « sans interruption de service par engagements successifs ». Naturalisé français, il devient sous-officier en octobre 1911.
Après le début de la Première Guerre Mondiale, Max Mader, alors promu adjudant, est affecté au 2e Régiment de marche du 2e RE. Il se distingue lors des combats en Champagne, ce qui lui vaut la Médaille Militaire (décernée en mars 1915). Lors de la dissolution de son unité, le 11 novembre 1915, il est réaffecté au Régiment de Marche de la Légion étrangère [RMLE]. Il prend alors part à de nombreuses offensives et à autant de coups de main audacieux. Il se forge ainsi une solide réputation, qu’illustre son exploit du 21 avril 1917, à Auberive [Haute-Marne]
Voici tel qu’il est raconté dans l’historique du RMLE :
« Dans la longue et profonde sape, d’où s’échappaient des odeurs nauséabondes, mêlés aux morts ennemis en décomposition, éreintés par 5 jours et 5 nuits de combats, officiers et légionnaires des 6e et 7e compagnies, déjà décimées, et quelques mitrailleurs, dormaient d’un pesant sommeil. Cependant à l’extérieur, où ne veillaient que quelques guetteurs, immobiles dans le lugubre silence de ce matin de guerre, cote à côte, anxieux de savoir ce qu’apportait avec lui ce nouveau jour de lutte, un capitaine et son adjudant-chef, l’adjudant-chef MADER, le héros déjà légendaire, observaient le terrain en avant.
La tranchée 67, orientée lace au nord, commandait le vallon.
Du versant opposé qu’ils avaient atteint la veille, à la tranchée Bethmann-Hollweg, les zouaves tenaient la partie ouest. Mais en face de nous, l’Allemand s’était maintenu et même une batterie de canons lourds, soutenue par une compagnie, était encore en place à 150 mètres en avant du front du 26 bataillon. Pour y arriver il fallait descendre dans le ravin, et le boyau à flanc de coteau était pris d’enfilade par une mitrailleuse ennemie admirablement pointée.
Tandis que les deux chefs observaient en silence, un guetteur (Bangerter, Ire classe) attire leur attention sur un mouvement insolite dans le fond du vallon. En effet, une compagnie du 168e venant de l’ouest cherche à s’y infiltrer. Elle ignore sans doute la présence à cet endroit de l’ennemi qui, déjà, a remarqué son avance.
D’un petit fortin qui commande le boyau de liaison, il s’apprête à la recevoir à coups de grenades. Ce faisant il tourne le dos à la crête où se tiennent les observateurs de la Légion qui ne peuvent tirer de la tranchée sans atteindre l’ami en même temps que l’ennemi.
Encore quelques minutes et les bleu-horizon tomberont dans le piège. Mais Mader en vieux limier des champs de bataille a flairé le danger et d’un coup d’œil il débrouille toute la situation. Se mettre d’accord avec son commandant de compagnie, rassembler en hâte quelque dix légionnaires de surveillance dans la tranchée, ramasser quelques grenades, bondir dans le boyau de liaison suivi de ses hommes électrisés, c’est l’affaire d’une minute. Le petit groupe court si vite que les mitrailleurs ennemis ne peuvent ouvrir le feu, avant qu’il soit dans l’angle mort à l’abri des balles. La tête de la compagnie du 168e n’est plus qu’à quelques mètres du fortin, déjà les Allemands lèvent les bras pour lancer leurs grenades, lorsque, soudain, maigre et nerveuse, la grande silhouette de Mader bondissant dans leur dos, surgit au milieu d’eux. Épouvantée par cette apparition inattendue, l’escouade ennemie, abandonnant munitions et fortin, s’enfuit en désordre du côté de la batterie.
Quelques grenades éclatent, puis dans le boyau libéré l’adjudant-chef peut serrer la main du commandant de la compagnie ‘bleue’ reconnaissant.
Sans perdre une seconde Mader commence la poursuite. Suivi de ses dix fidèles légionnaires, soutenu à quelque distance par la courageuse compagnie du 168e, qui de la tranchée où elle est maintenant alertée, le ravitaille en grenades et le suit des yeux avec émotion, il saute dans les boyaux, nettoie les abris et poursuit inlassablement le combat corps à corps. Réveillés trop tard par leurs camarades du fortin, surpris dans leurs gîtes, les Saxons se défendent cependant avec beaucoup de courage. Mais leur résistance est inutile. En peu de temps la compagnie de soutien est mise hors de combat. Les six canons sont pris et remis à la bonne garde de la C. H. R. du 7e tirailleurs qui, de la crête où elle venait d’arriver, a pu suivre des yeux et admirer ce bel exploit.
Au retour, dans la tranchée boueuse, la 6e compagnie émerveillée accueille son adjudant-chef. Il fallait un Mader, un légionnaire de la vieille école, pour réaliser ce fait d’armes peut-être unique d’avoir du même coup, avec dix hommes, sauvé du désastre une compagnie française, mis en fuite une compagnie allemande, enlevé une batterie lourde et gagné la Légion d’honneur. »
Promu sous-lieutenant après cet exploit, Max Mader obtiendra d’autres citations (9 au total). Malheureusement, le 12 juin 1918, sa chance « hors du commun » va l’abandonner : il est en effet gravement blessé à Courtezon. Amputé du bras droit, il sera réformé.
Après la guerre, Max Mader devient surveillant du palais du Rhin à Strasbourg, puis, en 1935, gardien-chef du Château de Versailles. Durant l’occupation, il fait le sourd-muet pour ne pas avoir à répondre à ses anciens compatriotes. Il décédera le 24 octobre 1947 à Pancher-Bas [Haute-Saône]. Il était commandeur de la Légion d’Honneur et titulaire de la Médaille Militaire ainsi que de la Croix de Guerre 14-18 avec 9 citations.