Le chef de la British Army affirme que la menace russe est « bien plus grande » que celle des groupes jihadistes
Alors désigné pour devenir le prochain chef d’état-major interarmées américain, le général Joseph Dunford avait affirmé, lors d’une audition au Sénat pour confirmer sa nomination, que la Russie posait « la plus grave menace, à court terme, pour la stabilité du monde entier ». Et d’expliquer qu’il s’agissait d’une « puissance nucléaire » qui n’hésitait pas à de « violer » la souveraineté de pays indépendants [comme celle de l’Ukraine] tout en ayant un comportement « imprévisible », voir « agressif ».
Cette analyse a depuis été confortée par la nouvelle stratégie de défense américaine, pour qui la priorité doit être donnée aux « menaces croissantes » de « puissances révisionnistes » qui, comme la Russie et la Chine, « tentent de créer un monde compatible à leurs modèles autoritaires. » De fait, la lutte contre les groupes terroristes d’inspiration jihadiste est passée au second plan, même si les forces américaines continueront d’y être impliquées.
Au Royaume-Uni, responsables politiques et militaires pensent la même chose. Alors chef de la British Army et pressenti pour devenir le prochain chef d’état-major des armées britanniques, le général Nick Carter avait estimé, en janvier, que la modernisation des capacités militaires du Royaume-Uni devaient « tenir compte » de la menace russe.
« Les menaces auxquelles nous sommes confrontés ne sont pas à des milliers de kilomètres mais sont maintenant aux portes de l’Europe. Nous avons vu comment la guerre informatique peut être menée sur le champ de bataille et perturber la vie des gens. Au Royaume-Uni, nous ne sommes pas à l’abri de cela », avait affirmé le général Carter.
Son successeur à la tête de la British Army, le général Mark Carleton-Smith, a tenu des propos similaires dans un entretien donné au quotidien The Daily Telegraph [il l’avait aussi fait en juin, lors d’une intervention devant le Royal United Services Institute, ndlr]. « La Russie aujourd’hui représente indiscutablement une menace bien plus grande pour notre sécurité nationale que les menaces extrémistes islamistes que représentent al-Qaïda et le groupe État islamique », a-t-il dit.
Ainsi, a-t-il expliqué, la « Russie a montré qu’elle était prête à utiliser la force militaire pour défendre et développer ses propres intérêts nationaux » et elle « cherche à exploiter la vulnérabilité et la faiblesse partout où elle la détecte ». En outre, a-t-il ajouté, cette menace russe concerne des domaines « non traditionnels », comme le cyberespace, l’espace et la guerre sous-marine. Dans le même temps, a-t-il poursuivi, la « menace islamiste » s’est estompée avec la « destruction » du groupe État islamique au Levant.
Sur ce point, un rapport des Nations unies publié cet été n’est pas aussi affirmatif que le général britannique. Les « moteurs sous-jacents du terrorisme sont toujours présents et peut-être plus raffinés que jamais », y était-il avancé. Et cette situation pourrait durer jusqu’à ce que « l’EI se réorganise et qu’al-Qaïda augmente son activité terroriste internationale ou que d’autres organisations émergent dans l’arène terroriste ».
L’État islamique est « une hydre dont il faudra en permanence contrôler qu’elle ne soit pas en train de se réveiller », avait également estimé le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition parlementaire, en mai dernier.
Reste que les propos du chef de la British Army ont suscité des commentaires acerbes de la part de Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. « En ce qui concerne les déclarations [du général Carleton-Smith], nous ne pouvons pas interdire à quelqu’un de mettre en évidence ses capacités intellectuelles », a-t-il ironisé.
« J’ai déjà entendu beaucoup de déclarations de ce genre de la part du ministre de la Défense [Gavin Williamson, ndlr] du Royaume-Uni », a continué M. Lavrov. « Nous ne pouvons pas influencer les décisions du gouvernement britannique concernant les personnes désignées pour diriger leurs forces armées », a-t-il poursuivi. « Affirmer que la Russie est une menace plus importante que Daesh n’est pas une déclaration originale. Le président Obama avait dit la même chose à l’Assemblée générale de l’ONU quand il a placé la Russie au même niveau que le virus Ebola », a-t-il conclu.
Cela étant, les sujets de contentieux entre le Royaume-Uni et la Russie se sont multipliés ces derniers mois (et années). Des navires et des avions militaires russes sont régulièrement envoyés patrouiller non loin des côtes britanniques tandis que Londres accuse Moscou d’être à l’origine de cyberattaques et de « cartographier » ses infrastructrures critiques. Et puis l’affaire de la tentative d’empoisonnement au Novitchok du colonel Sergueï Skripal, à Salisbury, n’a pu que détériorer les relations entre les deux pays.
Par ailleurs, pour répondre à la menace russe qu’il a décrite, le général Carleton-Smith a affirmé qu’il ne soutiendrait « aucune initiative qui diluerait l’efficacité de l’Otan », qui représente « le centre de gravité de la sécurité européenne ».