Stratégie : Macron à Djibouti pour contrer l’influence croissante de la Chine
Le chef de l’État rend visite lundi et mardi à cet allié stratégique sous influence croissante de Pékin, avant de poursuivre sa tournée en Éthiopie et au Kenya.
Voilà neuf ans qu’un président français n’avait pas rendu visite à son partenaire historique djiboutien. Emmanuel Macron y passera la nuit, ce lundi, avant d’aller jusqu’à jeudi en Éthiopie et au Kenya. Une étape présidentielle à Djibouti devenue relativement urgente tant le «grand jeu» s’est intensifié dernièrement autour du petit territoire (23 000 km2, moins de 900 000 habitants), indépendant depuis 1977, et qui revêt une importance stratégique majeure par son positionnement sur l’axe entre la Méditerranée à l’océan Indien, structuré par le canal de Suez, le détroit de Bab el-Mandeb (à proximité de Djibouti), et le détroit de Malacca (où croisera en juin prochain le Charles-de-Gaulle).
La montée en puissance de l’influence chinoise domine le contexte djiboutien sur lequel pèse la proximité de la guerre au Yémen. Pékin a investi la «caserne du monde» en installant à Djibouti sa première base à l’étranger, susceptible d’accueillir 10 000 militaires, et envisage une deuxième base. Pékin finance massivement les infrastructures, portuaires notamment, du «hub» djiboutien.
Une manne chinoise qui inquiète à Paris – bien au-delà de Djibouti d’ailleurs – tant par les pressions et marchandages qui l’accompagnent que par ses conséquences potentiellement déstabilisatrices. Les ressources propres de l’État djiboutien sont très limitées, or il va devoir dès cette année rembourser ses prêts. Les deux tiers de sa dette sont détenus par la Chine qui exige notamment, en échange de non-paiements réguliers, une réduction du loyer de sa base militaire. «Dans ces conditions, le risque est grand que le créancier chinois se paye en nature, en récupérant tout ou partie de la propriété des infrastructures», s’inquiétait une mission d’information du Sénat, au printemps dernier, en pointant le risque que surviennent des conflits du type de Suez, en 1956, à la suite de la nationalisation du canal par Nasser.
«Nous sommes déterminés à contrecarrer cette influence croissante», a prévenu le mois dernier Florence Parly, qui accompagnera Emmanuel Macron à Djibouti. Ce pays qui héberge la principale base française en Afrique et qui est le seul du continent dont l’accord de défense avec la France (renouvelé en 2011) conserve une «clause de sécurité».
«Le détroit de Bab-El-Mandeb est devenu plus stratégique qu’Ormuz, car il impacte l’ensemble de l’économie française dépendante des échanges avec l’Asie», explique Pierre Razoux, directeur de recherche à l’Institut de recherche de l’École militaire (Irsem).
«La Russie cherche à obtenir des bases dans les pays riverains pour être en mesure, si nécessaire, de dénier l’accès de la mer Rouge aux Occidentaux. Il est donc crucial que la France reste militairement présente à Djibouti pour garantir la sécurité du détroit de Bab-el-Mandeb», estime Pierre Razoux.
Paris entend bien préserver son rôle historique, sans équivalent en Afrique – «un rôle stabilisateur et d’apaisement, comme on le constate chaque fois qu’il y a une poussée de fièvre entre Djibouti et ses voisins», rappelle-t-on à l’Élysée. Les chefs d’état-major des deux pays ont échangé des visites l’an dernier. En diminution ces dernières années, la présence militaire française à Djibouti (1 450 personnes) ne devrait toutefois pas progresser significativement mais «se stabiliser avec une légère hausse pour des postes de coopération», selon une source militaire. Dans le domaine économique, Paris entrevoit à Djibouti une fenêtre d’opportunités après un climat longtemps néfaste (redressements fiscaux abusifs, augmentations de loyer…). Emmanuel Macron, accompagné par des chefs d’entreprise, semble déterminé à ne pas laisser Djibouti en tête à tête avec la Chine, alors que de nouveaux projets d’infrastructures se profilent. Pour cela, «nous mettrons sur la table de nouveaux instruments financiers qui ne pèseront pas sur la dette djiboutienne», dit-on dans l’entourage du chef de l’État.
Dans l’environnement immédiat de Djibouti, Paris devra également prendre en compte une recomposition régionale inédite, marquée par le rapprochement, l’an dernier, de l’Éthiopie et de l’Érythrée – qui a «complètement changé la donne», estime une source militaire. «Ce rapprochement rouvre pour Addis-Abeba l’accès au port d’Asmara», relève Pierre Razoux. L’Éthiopie, elle aussi, «souhaite diversifier ses relations et ne pas dépendre uniquement des Chinois», ajoute-t-il.
À Addis-Abeba, Florence Parly signera un accord de défense, doublé d’une lettre d’intention prévoyant une coopération pour la création d’une marine éthiopienne. Une initiative emblématique, puisque liée à la volonté séculaire de l’Éthiopie de disposer d’un port sur la mer Rouge.
par Alain Barluet – Le Figaro – le 10/03/2019