Point de situation des opérations en Ukraine 21 mars J+25
par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 21 mars 2022
https://lavoiedelepee.blogspot.com/
Situation générale
Poursuite de la transformation d’une opération russe visant à obtenir une victoire totale rapide et qui a abouti à une grande dispersion et un épuisement des forces, en opération séquentielle recherchant l’atteinte d’un objectif après l’autre avec la faible capacité de manœuvre restante, capacité qui a par ailleurs tendance à décliner.
Les forces russes vont prendre Marioupol et auront peut-être la possibilité d’atteindre ensuite au mieux un ou deux autres objectifs géographiques – Kharkiv ou Odessa, pour des raisons politiques, Dnipropetrovsk, afin de menacer l’arrière de l’armée ukrainienne du Donbass (AUD) – ou d’obtenir un repli de l’AUD par une pression générale frontale.
L’hypothèse la plus probable est ensuite une rigidification générale des fronts sur la longue durée.
Situations particulières
Ciel : emploi toujours fréquent des missiles par les Russes et consommation de leur stock. Publicité autour de l’emploi de missiles hypersoniques, sans intérêt tactique par rapport à d’autres modèles moins sophistiqués mais à des fins purement démonstratives.
Question du renforcement du système de défense antiaérien S300 ukrainien, un actif essentiel pour la dispute du ciel en particulier autour de Kiev. Possibilité de manœuvre de roque (transfert en Ukraine de batteries ou de systèmes complets slovaques, bulgares ou grecs en échange de Patriot américain). Peut-être peut-on envisager aussi un transfert de S400 turcs en échange de la possibilité d’acquérir des chasseurs F-35. Peut-être faut-il envisager la fourniture de batteries anti roquettes de type Dôme de fer.
Biélorussie et zone Ouest de l’Ukraine : la question d’une intervention biélorusse dans le conflit est toujours en suspens. Cette intervention ajouterait sans doute plus de problèmes que d’avantages au camp russe. Nombreux sabotages des voies ferrées en Biélorussie (origine inconnue) qui entravent fortement la logistique russe.
La capacité de manœuvre russe à l’Ouest de l’Ukraine est pour l’instant limitée à des frappes et des raids et peut-être une manœuvre d’infiltration-harcèlement.
Zone Kiev-Nord Est : Toutes les forces russes de la zone Nord sont passés en mode défensif et on assiste à la mise en place de fortifications de campagne (apparition de champs de mines, travaux du génie). Effort sur la protection des axes et sur l’artillerie. La bataille de Kiev se transforme en siège d’artillerie de longue durée. Le combat peut porter sur l’acquisition de positions d’artillerie dans un rayon de 25 km du centre de la capitale.
Si la zone russe à l’Ouest de Kiev occupée par les 35e, 36e armées et troupes aéroportées (VDV) est cohérente, toute la zone du Nord-Est (triangle Chernihiv-Soumy-Brovary) des 41e, 2e Armée de la Garde (AG) et 1ère Armée blindée de la garde (ABG) est en « peau de léopard » avec des forces antagonistes imbriquées. Comment cela peut-il évoluer ? Les forces russes vont-elles essayer d’unifier la zone par la réduction successive des poches ukrainiennes ? Vont-elles évacuer les zones les plus difficiles ? Vont-elles pour des raisons politiques (tenir le plus de terrain possible afin de mieux négocier) rester partout où elles sont au risque d’une couteuse petite guerre permanente dans la région ?
Zone Donbass : au Nord, les Russes semblent avoir abandonné l’idée de s’emparer de Kharkiv pour l’instant et ont remplacé la conquête de la ville par un siège d’artillerie. Les forces ukrainiennes ont repoussé avec de fortes pertes un régiment blindé russe au sud d’Yzioum (120 km Sud-Est Kharkiv). Impliquant deux brigades d’assaut aérien (mais sans hélicoptères), c’est sans doute l’attaque ukrainienne la plus importante de la guerre. Poursuite des combats autour de Severodonetsk, entre Yzioum et Louhansk. L’équivalent de 3 brigades ukrainiennes (peut-être 5 000 hommes) est menacée d’encerclement par la 3e Division d’infanterie motorisée (DM) russe et le 2e Corps d’armée de la LNR.
Au Sud : la lente progression des 19e DM à l’Ouest et 150e DM (plus brigade tchétchène à l’Est) et 810e brigade d’infanterie navale au Nord se poursuit. La prise de Marioupol est sans doute une question de jours, deux semaines au maximum.
Zone Sud-Ouest : la zone est la moins densément occupée par les forces russes et ukrainiennes. C’est donc celle où les mouvements sont les plus importants, avant de rencontrer les résistances urbaines. La reconnaissance de la 7e division aéroportée vers Voznesensk a été repoussée vers Nova Odessa. De la même façon une reconnaissance limitée (une brigade -) vers Kryuyi Rih a été repoussée. La 20e DM russe, assez faible, a du mal à résister aux forces ukrainiennes devant Mykolayev et semble sur le recul.
Frappe de missile(s) de croisière Kalibr de la flotte de la mer Noire le 19 mars sur centre de recrutement/formation ukrainien à Mykolayev, nombreux morts.
Notes
S’il est pour l’instant difficile d’imaginer une mobilisation générale en Russie, la Russie l’impose dans les républiques DNR-LPR (4 millions d’habitants au total). Cela peut constituer la ressource humaine la plus importante pour l’effort de guerre russe, mais au prix semble-t-il de nombreuses réticences locales.
La société Wagner servirait de relais pour le recrutement de combattants de l’armée nationale libyenne du maréchal Haftar à destination de l’Ukraine.
Théorie : la numérisation du champ de bataille par les civils
La numérisation du champ de bataille était le grand thème militaire à la mode au début des années 2000. On l’imaginait comme la mise en place de couteux systèmes de géolocalisation et de transmissions de données entre multiples capteurs et « effecteurs » militaires sachant tous sur des images communes où ils se trouvent, où se trouve une bonne partie de l’ennemi et pouvant collaborer entre eux. Personne ne parlait alors de gonfler cette architecture selon une logique public-privé/militaire-civil, et de combiner nos systèmes avec ceux des organisations armées que nous affrontions qui utilisaient des technologies civiles.
L’Ukraine l’a fait (pour mémoire, ce sont les nations qui font les guerres pas les armées) en intégrant massivement la numérisation civile, depuis les simples combattants dotés de smartphones jusqu’aux petites unités de renseignement territoriales dotés de petits drones low cost. Associés à la masse de combattants mobilisés (une donnée que l’on a oublié), cela donne à l’armée ukrainienne une quantité considérable d’informations tactiques en temps réels sur soi et sur l’ennemi, et très supérieure à celle dont disposent au contraire les Russes qui ne bénéficient pas pour l’instant d’un tel apport. Cela donne évidemment un avantage considérable aux petites unités ukrainiennes mobiles sur les lourdes colonnes russes. La très grande majorité des combats, jusqu’aux embuscades d’artillerie, sont ainsi à l’initiative des Ukrainiens, ce qui constitue un atout énorme.