L’Europe se penche – encore – sur ses carences et ses investissements en matière de défense
Entre les 100 Mds€ annoncés en Allemagne, le souhait de la Suède et les 298 M€ supplémentaires alloués en 2022 par la Lituanie, plusieurs pays européens ont décidé de muscler davantage leur outil de défense. Des initiatives consécutives de l’invasion russe de l’Ukraine et annonciatrices d’investissements capacitaires que l’Europe souhaite faire converger.
Une « mission » pour la Commission européenne
Le renforcement de l’Europe de la défense était l’un des trois axes majeurs du sommet de Versailles des 10 et 11 mars. En ressortent une seule décision tangible, l’allocation d’une seconde enveloppe de 500 M€ à l’aide militaire apportée à l’Ukraine, mais aussi la d’ « identifier les champs d’action » et les « investissements dont nous avons besoin », annonçait le président du Conseil européen, le Belge Charles Michel.
« Les choses ont accéléré, je crois, énormément en quelques jours à la suite de l’attaque russe », estimait le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes Clément Beaune vendredi dernier lors d’une audition au Sénat. Des débats de natures différentes selon les situations géographiques et politiques « se sont accélérés ou réveillés un peu partout » et contribuent à un changement de posture tant à l’échelon national que pour la sécurité collective.
Selon le secrétaire d’État, l’objectif est désormais de « pousser les feux pour que les investissements en matière de défense qui sont annoncés de manière parfois éparse mais ne sont pas négligeables soient coordonnés au niveau européen ». Lors du sommet de Versailles, « mandat a été donné à la Commission européenne pour lister nos carences, nos besoins et nos compléments d’investissements nécessaires d’ici le mois de mai en ce qui concerne les dépenses de défense », complète Clément Beaune.
Le verdict de cet exercice de cartographie plusieurs fois menés auparavant « est en partie connu », relève Clément Beaune, pour qui « le diagnostic est posé mais est une accroche pour coordonner et renforcer ces efforts financiers de défense au niveau européen ». De même, s’il a été question de coordination et de mutualisation, la déclaration de Versailles élude l’idée d’intégration européenne. Ainsi, un flou persiste quant à l’objectif final de la manoeuvre : s’agit-il de construire des capacités communes ou de soutenir les initiatives nationales ? Après tout, les déficits et budgets de l’un ne sont pas ceux de l’autre et il sera d’autant plus difficile de s’aligner que les calendriers diffèrent également.
Cette mission n’est donc pas sans soulever quelques questions parmi les sénateurs français. Est-elle l’unique priorité, sachant que de nombreuses analyses précédentes ont déjà relevés les carences européennes en matière de défense et que l’échéance de mai « est bien lointaine en période de guerre », soulève le sénateur LR Cyril Pellevat.
Bonne nouvelle pour le FEDef ?
« Les choses bougent très vite », ajoutait Clément Beaune. Ce qui sera adopté « de manière sûre » les 24 et 25 mars, c’est la boussole stratégique. Au-delà du document d’orientation, la boussole stratégique doit permettre entériner « des mesures concrètes ». Hormis la mise sur pied d’une force de réaction rapide européenne, le contexte paraît favorable à un regain d’ambition financière en faveur du Fonds européen de la défense (FEDef).
Ce n’est qu’un souhait de la France pour le moment, mais la volonté est bien de faire marche arrière après avoir réduit le montant initial du FEDef de 13 Mds€ à environ 7 Mds€ sur sept ans. « C’est peu », concède-t-il mais « c’est 1 Md€ par an pour abonder le financement de projets de coopération types SCAF ou MGCS dans les années qui viennent ».
Ici aussi, le secrétaire d’État reste prudent. « Est-ce qu’on aura dès le sommet de Versailles un réinvestissement chiffré européen dans le Fonds européen de défense ou dans les mécanismes européens, je ne sais et je ne crois pas ». Pratiquement tout reste à faire en l’absence de consensus politique sur la question. Côté français, l’ambition reste bien de donner l’impulsion nécessaire pour espérer « renforcer la dotation budgétaire de ce fonds dans les années qui viennent. « C’est en tout cas l’un des sujets que l’on portera au nom de la présidence française ».
Assurer l’équilibre UE-OTAN
Exit les dissensions entre alliés, les questions budgétaires et le retrait d’Afghanistan, l’OTAN semble finalement bien loin de l’état de « mort cérébrale » avancé par le président Emmanuel Macron en 2019. Au point de rebattre les cartes du sacro-saint non alignement finlandais. Derrière, certains s’inquiètent d’un déséquilibre favorable à l’Alliance et d’orientations nationales susceptibles d’atténuer les effets européens de ce rebond.
Ainsi, pour le sénateur PCF Pierre Laurent, la relance des programmes d’armement dans différents pays européens est « à l’évidence une bonne nouvelle pour l’OTAN, mais est-ce une bonne nouvelle en matière d’autonomie stratégique européenne en matière de défense ? ». De même, « est-ce que les lieux de décision en matière de défense européenne ne sont pas en train de se déplacer de fait vers l’OTAN et vers le sommet de l’OTAN à Madrid [en juin 2022] ? ». En filigrane, l’une des préoccupations majeures serait que ce sursaut ne profite pas qu’à la seule BITD européenne.
L’inquiétude porte essentiellement sur les bénéficiaires des fonds débloqués et sur la part captée par la BITD européenne. « Soyons francs, nous ne sommes pas, du jour au lendemain, malgré les circonstances et malgré quelques accélérations chez notre partenaire allemand, en train d’acter immédiatement une forme de défense européenne passant par des achats militaires strictement européens », tempère Clément Beaune.
Pour autant, celui-ci ne croit pas que « nous soyons dans un moment où toute cette prise de conscience et ce réveil européen en partie sur les questions de sécurité et de défense se canalisent vers un renforcement de l’OTAN ». Au contraire, l’équilibre et les synergies entre les deux organismes doivent primer, la défense européenne ne pouvant se construire « en cassant l’outil de l’OTAN ».
« Cela ne veut pas dire que les Allemands, comme de tradition, achèteront systématiquement du matériel américain dans tous les contrats à venir. (…) Cela ne veut pas dire que le projet SCAF est remis en cause, les autorités allemandes ont été très claires à notre égard sur ce sujet », relativise le secrétaire d’État.
« Nous ne nions pas cette nécessité de l’OTAN mais les pays européens, et pas uniquement la France, se tournent vers l’Union européenne en essayant de renforcer ces moyens financiers ou ces moyens d’action en général ». L’engagement allemand dans les sujets SCAF et MGCS, par exemple, a été rappelé par le nouveau chancelier Olaf Scholz au travers de plusieurs canaux ces dernières semaines.
« Je crois qu’avec le gouvernement [allemand] précédent, nous avons rendu ces investissements, par plusieurs votes budgétaires, notamment au Bundestag récemment, irréversibles. Même si, ne nous le cachons pas, ils resteront difficiles et il y aura sans doute des débats internes en Allemagne, peut-être encore des tensions entre industriels, mais je crois que ces deux projets sont sur les rails et marquent un changement important », indiquait Clément Beaune.